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À Bissau, le naufrage
du narco-État guinéen

Les cartels sud-américains de la drogue seraient impliqués dans le double assassinat du président et du chef de l'armée dans cette ex-colonie portugaise.

Le cercueil du président de Guinée-Bissau, le 10 mars, jour des funérailles. L'enquête officielle sur la mort de Joao Bernardo Vieira n'a pas commencé, mais l'ombre des narcotrafiquants plane sur ce règlement de comptes au sommet de l'État. (AFP/SEYLLOU) AFP

Assassinés à quelques heures d'intervalle dans la nuit du 1er au 2 mars, le président Joao Bernardo Vieira et son chef d'état-major des armées, le général Tagmé Na Waié, reposent sous des dalles de béton couvertes de gerbes de fleurs fanées. Le destin des deux anciens compagnons de route de la guerre d'indépendance s'est achevé dans le même cimetière catholique de Bissau, une capitale à l'allure villageoise cernée de mangroves et pourrie par les cartels colombiens de la drogue.

Le duo infernal aurait été victime de ses propres haines, a-t-on assuré au lendemain de leur mort. Vieira et Tagmé avaient de bonnes raisons de se détester. En 1985, le général analphabète avait été arrêté, émasculé et emprisonné pour avoir comploté contre le chef de l'État. En 1999, le despote avait été renversé, par un putsch ourdi par des militaires proches du général, avant de revenir au pouvoir par les urnes en 2005. Mais quinze jours après le règlement de comptes au sommet de l'État, le double crime reste une énigme.

Opération de destabilisation

L'enquête officielle n'a toujours pas démarré alors que la piste d'un coup de force des barons de la cocaïne prend de la consistance. «Le gouvernement a la volonté de découvrir les coupables et de les punir, mais je ne peux pas vous assurer que nous allons y parvenir», reconnaît Mamadu Diallo Pires, le ministre de la Justice. Lucide, il ne se fait guère d'illusion sur l'issue des investigations dans une contrée où la vérité est une ombre.

Selon le scénario le plus vraisemblable, les mystérieux commanditaires de l'opération de déstabilisation auraient cherché à faire d'une pierre deux coups. Tué en premier, le général Tagmé est mort dans l'explosion d'une bombe placée sous l'escalier de son bureau et actionnée à distance. Soit un mode opératoire plus proche des méthodes des mafias internationales que des vendettas africaines. Le chef des armées avait la réputation d'être un complice passif du trafic de cocaïne. Il fermait les yeux sur les combines de ses subordonnés jusqu'à la découverte, une semaine avant son élimination, d'un important stock de poudre blanche dans un hangar militaire de l'état-major. Il aurait alors menacé de faire le ménage. Son assassinat a entraîné, par vengeance aveugle de ses partisans, celui de son adversaire. Les militaires, qui ont criblé ce dernier de balles et l'on découpé à la machette, ont d'abord attaqué les locaux de la PJ pour détruire des dossiers et voler de la drogue provenant de saisies.


Les militaires montent la garde lors des funérailles du président Vieira. Crédits photo : AFP

Une proie idéale

Désignée comme un narco-État par l'Office contre la drogue et le crime des Nations unies, la Guinée-Bissau sert de tête de pont vers l'Europe aux narcotrafiquants d'Amérique latine. Pays pauvre, elle est une proie idéale : ses militaires sont mal payés, sa prison détruite depuis la guerre civile de 1998 et la surveillance des frontières inexistante. En dépit des alertes des Nations unies, la police a engrangé une unique saisie de cocaïne ces dernières années et la justice n'a jamais prononcé de condamnation. Interrogé sur les pressions qu'il subit, le ministre de la Justice reconnaît que «les investigations sont difficiles, surtout lorsqu'elles mettent en cause des militaires».

Il aurait pu ajouter des politiciens, tant les élites dirigeantes ont succombé aux sirènes des narcodollars. Le Prid, le parti du président Vieira, est désigné comme le parti responsable de l'introduction de la drogue. Et les élections législatives de novembre ont vu pour la première fois l'irruption de l'argent sale dans la campagne. «Une trentaine de députés sur cent sont des trafiquants notoires. La drogue est le turbo de la violence politico-militaire», accuse Idrissa Diallo, un homme d'affaires qui dirige un parti d'opposition. Dans les couloirs de l'Assemblée nationale tout se sait, mais rien ne se dit publiquement. «On se polarise sur la petite Guinée-Bissau, mais il y a pire ailleurs», se défend Manuel Manelinhio, un parlementaire à la notoriété sulfureuse. En ville, l'argent de la drogue ne se montre pas. Quelques véhicules Hummer sont avec un parc élevé de 4 × 4 les seuls signes extérieurs de richesse des habitants d'une ville dépourvue d'eau courante et de réseau électrique.

La drogue arrive par bateau ou par avion via l'archipel des Bissagos. Le chapelet d'îles dispose des pistes d'avion de fortune construites par les Portugais pour les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Les pilotes n'hésitent pas à l'occasion à livrer leur marchandise jusque sur le tarmac de la partie militaire de l'aéroport de Bissau. C'est là qu'en juillet, la police a intercepté un appareil en panne, un Learjet de douze places, et arrêté ses deux pilotes vénézuéliens. L'un d'eux était sous notice rouge, autrement dit sous mandat de recherche international, depuis une condamnation à vingt-cinq ans de prison au Mexique pour un transport de 6 tonnes de drogue. L'examen de son Palm par Interpol a révélé qu'il venait de toucher 900 000 dollars et qu'il en était à sa cinquième livraison depuis mars. De nombreuses personnalités du cru ont réclamé sa libération, finalement prononcée par un magistrat peu scrupuleux.

Soupçonné de couvrir le trafic, le chef de la marine nationale, le contre-amiral Bubu Na Tchuto, a été destitué en août. Placé en résidence surveillée, il organisa un putsch raté avant de se réfugier en Gambie, d'où il continuerait à tirer les ficelles. Quant à l'avion d'affaires, il est toujours en rade dans un hangar de l'aéroport. Les narcotrafiquants colombiens ont-ils téléguidé des représailles au plus haut niveau pour laver l'affront et adresser un message de fermeté ? L'hypothèse est privilégiée par les chancelleries occidentales de la région. Elle fait craindre des jours sombres en Guinée-Bissau.

6 commentaires

    À Bissau, le naufrage
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