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Dantec repart en guerre

PAR ARNAUD BORDAS.
 Publié le 16 septembre 2006
Actualisé le 16 septembre 2006 : 12h13
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«Grande Jonction», son nouveau roman, mêle science-fiction et théologie. Rencontre avec un défenseur de «la Beauté comme arme de destruction massive».

 
 
Maurice G. Dantec, 47 ans, semble s'être révélé à lui-même, pour ainsi dire contre lui-même. Il avait tout pour «réussir» et il a tout envoyé balader en l'espace de quelques années. Voyez plutôt : petit banlieusard élevé au sein d'une famille communiste, créateur de polars cyberpunk encensés par la critique, accro au rock et à certaines substances illicites, artiste engagé qui part en Bosnie soutenir les combattants musulmans, le bonhomme était devenu l'un des héros de la gauche culturelle. Aujourd'hui installé au Québec et converti au catholicisme, il s'est transformé en contempteur acharné des valeurs du modernisme bêlant, notamment par l'entremise d'un volumineux journal (Le Théâtre des opérations) qui a provoqué le scandale.

 
L'homme est détendu, même si l'on sent peser en lui une colère tranquille. Il ne croit plus en son pays d'origine, où nous l'avons rencontré, ni en l'Europe : «En France, on ne peut plus discuter. Je me rappelle que, durant la campagne présidentielle américaine de 2004, je n'ai jamais vu un pays comme les Etats-Unis dialoguer aussi virilement. Chez nous, tout le monde déplorait que les Américains ne s'intéressent pas à la politique, mais c'est ici qu'il n'y avait pas de débat ! C'est ici que tout le monde était d'accord pour annoncer la victoire de John Kerry ! C'est ici que tout le monde était d'accord pour dire oui à l'Europe qu'on nous propose ! Aux Etats-Unis, la pensée est encore en mouvement. Ici, on se croit encore le centre du monde intellectuel, culturel et philosophique, alors qu'on est morts, alors que tout ce qu'on est capables de produire, ce sont des Michel Onfray.»

 
Devenu une sorte de phénomène médiatique, un agitateur toujours prêt à donner du grain à moudre à ses détracteurs, Dantec n'en continue pas moins de travailler et de bâtir une oeuvre romanesque à nulle autre pareille. Son dernier roman, sans doute le plus abouti et le plus impressionnant de tous, vient de paraître. Présenté par son auteur comme un «western sur l'électricité, l'infini et la lumière», Grande Jonction se situe en 2070, une douzaine d'années après les événements relatés dans le foisonnant Cosmos Incorporated, dans la ville qui donne son titre au roman et qui était déjà le théâtre de l'intrigue du livre précédent. La Chose, sorte d'entité synthétisant l'ensemble des machines, a lancé son ultime attaque contre les humains et plus particulièrement contre leur langage. Condamnés à mourir en débitant un sabir numérique semblable au grésillement d'un modem, les hommes n'ont plus qu'une seule chance : Gabriel Link de Nova, jeune garçon de 12 ans doué du pouvoir de guérir les machines. Combat désespéré d'un ange contre la Bête à l'échelle d'un pays, le Territoire, ravagé par la folie des hommes, Grande Jonction ressemble à une sorte de cyber-évangile, relevant à la fois de la science-fiction et de la théologie. Deux genres que Dantec avait pris le risque de faire cohabiter dans Cosmos Incorporated mais qu'il arrive ici à entremêler avec une maestria jamais atteinte auparavant. Pari difficile ? «Quand j'ai commencé Grande Jonction, je me suis dit que j'allais rabattre toute la verticalité de Cosmos Incorporated sur un territoire horizontal, le Territoire, qui est devenu le vrai personnage principal du roman. Cette horizontalité était évidemment un bon moyen de rallier à ma cause le lecteur quelque peu dérouté par Cosmos Incorporated. Cette fois-ci, je voulais vraiment arriver à entremêler la narration et les digressions théologiques.»

 
Un projet fou mais payant à l'arrivée, sauf peut-être pour les tenants français du bon goût littéraire, qui n'acceptent pas qu'on mélange la littérature dite de divertissement et la spiritualité la plus complexe. Mais l'écrivain n'a que faire des règles à suivre et d'une littérature française qu'il juge complètement à côté de la plaque : «En France, soit on fait un roman sur sa belle-mère, soit on reprend la manière de faire des Anglo-Saxons pour accoucher, par exemple, d'une pauvre science-fiction socialisante, pour ne pas dire socialiste. Moi, ce que je veux, et je sais que c'est ambitieux, c'est battre les Américains sur leur propre terrain. D'ailleurs, par rapport à la reconnaissance, ma seule ambition, ça serait d'avoir un prix Hugo ou un prix Nebula. Avoir un Goncourt ou un Renaudot, je peux vous garantir que ça ne me ferait strictement rien. C'est pas ma culture, ce genre de trucs, j'en ai rien à foutre des médailles germanopratines. Par contre, si demain un mec comme William Gibson me remet un prix Nebula à New York, là je peux ressentir une émotion.»
 
Une identité affirmée d'écrivain catholique
 
Se revendiquant «écrivain nord-américain de langue française», Dantec ne se reconnaît plus dans la vie culturelle de notre doux pays. Bien conscient du scandale généré par ses prises de position politiques et religieuses, il continue néanmoins d'affirmer son identité d'écrivain catholique, une identité omniprésente dans Grande Jonction, roman métaphysique articulé, entre autres, autour du principe d'individuation cher à John Duns Scot, théologien écossais du XIIIe siècle. Car le catholicisme de Dantec ne relève pas vraiment de la pose mondaine, mais davantage d'un vrai questionnement, nourri de lectures ardues et d'un profond respect pour le dogme catholique, comme il s'en explique : «Oui, je crois au dogme. C'est pour ça que je suis catholique, c'est le dogme qui fait que je suis catholique, sinon autant être protestant ou autre chose. Je crois que ce refus actuel du dogme religieux vient de l'histoire du XXe siècle, où les gens ont cru en des utopies dogmatiques comme le communisme et ses multiples avatars. Quand toutes ces transcendances de substitution se sont écroulées, l'homme moderne s'est mis par réflexe à haïr toute pensée charpentée par un dogme.»

 
On le voit, la conversion de Maurice G. Dantec a eu des répercussions sur son oeuvre. Y transparaît une volonté de se battre contre l'air du temps, contre la tyrannie moderne de la transparence qui annihile toute notion de mystère, mais aussi une célébration de la Beauté et de son caractère salvateur qui accouche de quelques moments de poésie proprement magnifiques (la page 37 en est un bel exemple). «Dans Grande Jonction, termine l'écrivain, la Beauté est la seule chose qui peut sauver une humanité rendue folle par cette recherche effrénée de l'égalisation totale, par ce désir de supprimer toutes les aspérités que l'on peut trouver dans le monde et dans l'humain. Or, c'est justement de ces aspérités, de ces failles que jaillit la Beauté. La Beauté, c'est quelque chose de sublime et de terrible à la fois, c'est une arme de destruction massive. Très éloignée de la notion de confort.»

 
Grande Jonction, Albin Michel, 775 p., 25 euros.
 

«Grande Jonction», son nouveau roman, mêle science-fiction et théologie. Rencontre avec un défenseur de «la Beauté comme arme de destruction massive».

 
 
Maurice G. Dantec, 47 ans, semble s'être révélé à lui-même, pour ainsi dire contre lui-même. Il avait tout pour «réussir» et il a tout envoyé balader en l'espace de quelques années. Voyez plutôt : petit banlieusard élevé au sein d'une famille communiste, créateur de polars cyberpunk encensés par la critique, accro au rock et à certaines substances illicites, artiste engagé qui part en Bosnie soutenir les combattants musulmans, le bonhomme était devenu l'un des héros de la gauche culturelle. Aujourd'hui installé au Québec et converti au catholicisme, il s'est transformé en contempteur acharné des valeurs du modernisme bêlant, notamment par l'entremise d'un volumineux journal (Le Théâtre des opérations) qui a provoqué le scandale.

 
L'homme est détendu, même si l'on sent peser en lui une colère tranquille. Il ne croit plus en son pays d'origine, où nous l'avons rencontré, ni en l'Europe : «En France, on ne peut plus discuter. Je me rappelle que, durant la campagne présidentielle américaine de 2004, je n'ai jamais vu un pays comme les Etats-Unis dialoguer aussi virilement. Chez nous, tout le monde déplorait que les Américains ne s'intéressent pas à la politique, mais c'est ici qu'il n'y avait pas de débat ! C'est ici que tout le monde était d'accord pour annoncer la victoire de John Kerry ! C'est ici que tout le monde était d'accord pour dire oui à l'Europe qu'on nous propose ! Aux Etats-Unis, la pensée est encore en mouvement. Ici, on se croit encore le centre du monde intellectuel, culturel et philosophique, alors qu'on est morts, alors que tout ce qu'on est capables de produire, ce sont des Michel Onfray.»

 
Devenu une sorte de phénomène médiatique, un agitateur toujours prêt à donner du grain à moudre à ses détracteurs, Dantec n'en continue pas moins de travailler et de bâtir une oeuvre romanesque à nulle autre pareille. Son dernier roman, sans doute le plus abouti et le plus impressionnant de tous, vient de paraître. Présenté par son auteur comme un «western sur l'électricité, l'infini et la lumière», Grande Jonction se situe en 2070, une douzaine d'années après les événements relatés dans le foisonnant Cosmos Incorporated, dans la ville qui donne son titre au roman et qui était déjà le théâtre de l'intrigue du livre précédent. La Chose, sorte d'entité synthétisant l'ensemble des machines, a lancé son ultime attaque contre les humains et plus particulièrement contre leur langage. Condamnés à mourir en débitant un sabir numérique semblable au grésillement d'un modem, les hommes n'ont plus qu'une seule chance : Gabriel Link de Nova, jeune garçon de 12 ans doué du pouvoir de guérir les machines. Combat désespéré d'un ange contre la Bête à l'échelle d'un pays, le Territoire, ravagé par la folie des hommes, Grande Jonction ressemble à une sorte de cyber-évangile, relevant à la fois de la science-fiction et de la théologie. Deux genres que Dantec avait pris le risque de faire cohabiter dans Cosmos Incorporated mais qu'il arrive ici à entremêler avec une maestria jamais atteinte auparavant. Pari difficile ? «Quand j'ai commencé Grande Jonction, je me suis dit que j'allais rabattre toute la verticalité de Cosmos Incorporated sur un territoire horizontal, le Territoire, qui est devenu le vrai personnage principal du roman. Cette horizontalité était évidemment un bon moyen de rallier à ma cause le lecteur quelque peu dérouté par Cosmos Incorporated. Cette fois-ci, je voulais vraiment arriver à entremêler la narration et les digressions théologiques.»

 
Un projet fou mais payant à l'arrivée, sauf peut-être pour les tenants français du bon goût littéraire, qui n'acceptent pas qu'on mélange la littérature dite de divertissement et la spiritualité la plus complexe. Mais l'écrivain n'a que faire des règles à suivre et d'une littérature française qu'il juge complètement à côté de la plaque : «En France, soit on fait un roman sur sa belle-mère, soit on reprend la manière de faire des Anglo-Saxons pour accoucher, par exemple, d'une pauvre science-fiction socialisante, pour ne pas dire socialiste. Moi, ce que je veux, et je sais que c'est ambitieux, c'est battre les Américains sur leur propre terrain. D'ailleurs, par rapport à la reconnaissance, ma seule ambition, ça serait d'avoir un prix Hugo ou un prix Nebula. Avoir un Goncourt ou un Renaudot, je peux vous garantir que ça ne me ferait strictement rien. C'est pas ma culture, ce genre de trucs, j'en ai rien à foutre des médailles germanopratines. Par contre, si demain un mec comme William Gibson me remet un prix Nebula à New York, là je peux ressentir une émotion.»
 
Une identité affirmée d'écrivain catholique
 
Se revendiquant «écrivain nord-américain de langue française», Dantec ne se reconnaît plus dans la vie culturelle de notre doux pays. Bien conscient du scandale généré par ses prises de position politiques et religieuses, il continue néanmoins d'affirmer son identité d'écrivain catholique, une identité omniprésente dans Grande Jonction, roman métaphysique articulé, entre autres, autour du principe d'individuation cher à John Duns Scot, théologien écossais du XIIIe siècle. Car le catholicisme de Dantec ne relève pas vraiment de la pose mondaine, mais davantage d'un vrai questionnement, nourri de lectures ardues et d'un profond respect pour le dogme catholique, comme il s'en explique : «Oui, je crois au dogme. C'est pour ça que je suis catholique, c'est le dogme qui fait que je suis catholique, sinon autant être protestant ou autre chose. Je crois que ce refus actuel du dogme religieux vient de l'histoire du XXe siècle, où les gens ont cru en des utopies dogmatiques comme le communisme et ses multiples avatars. Quand toutes ces transcendances de substitution se sont écroulées, l'homme moderne s'est mis par réflexe à haïr toute pensée charpentée par un dogme.»

 
On le voit, la conversion de Maurice G. Dantec a eu des répercussions sur son oeuvre. Y transparaît une volonté de se battre contre l'air du temps, contre la tyrannie moderne de la transparence qui annihile toute notion de mystère, mais aussi une célébration de la Beauté et de son caractère salvateur qui accouche de quelques moments de poésie proprement magnifiques (la page 37 en est un bel exemple). «Dans Grande Jonction, termine l'écrivain, la Beauté est la seule chose qui peut sauver une humanité rendue folle par cette recherche effrénée de l'égalisation totale, par ce désir de supprimer toutes les aspérités que l'on peut trouver dans le monde et dans l'humain. Or, c'est justement de ces aspérités, de ces failles que jaillit la Beauté. La Beauté, c'est quelque chose de sublime et de terrible à la fois, c'est une arme de destruction massive. Très éloignée de la notion de confort.»

 
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