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Le mystère de la pyramide bosniaque

JOHN BOHANNON.
 Publié le 30 septembre 2006
Actualisé le 30 septembre 2006 : 22h00
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Un amateur prétend avoir découvert au nord de Sarajevo un édifice pyramidal haut de 360 mètres et vieux de 12 000 ans. Une affirmation contestée qui soulève l'enthousiasme en Bosnie.

 
CELA aurait dû être un grand jour pour l'archéologie des Balkans. Pour la première fois depuis la fin de la guerre en Bosnie des experts venus de tout le pays avaient décidé de se rencontrer au Musée national à Sarajevo. Des équipes de télévision patientaient à l'extérieur pour faire des interviews. Des scientifiques étrangers étaient aussi présents, dont Anthony Harding de l'université d'Exeter au Royaume-Uni, président de l'Association européenne des archéologues. Mais ils furent profondément frustrés. Les journalistes ne s'intéressèrent ni aux projets de relance des collaborations internationales ou de l'enseignement universitaire ni à la préservation des biens archéologiques. « Ils n'ont voulu entendre qu'une chose, dit Zilka Kujundzic-Vejzagic, la spécialiste en archéologie préhistorique du musée qui avait organisé la rencontre : les pyramides, les pyramides, les pyramides ». Les pyramides en question sont à 30 km au nord-ouest de Sarajevo, près de la ville de Visoko. Un homme d'affaires bosniaque, Semir Osmanagic, directeur d'une entreprise dans le bâtiment à Houston aux États-Unis, a annoncé l'an passé qu'une colline haute de 360 mètres dominant la localité était en fait une pyramide construite il y a 12 000 ans par une civilisation inconnue. Il l'a baptisée la « pyramide du Soleil ». Avec l'aide de volontaires, Osmanagic a mis au jour sur la colline des blocs de pierre et un système de tunnels qui sont selon lui comme ceux des pyramides d'Égypte. Puis il a déclaré que deux talus voisins faisaient aussi partie du même « complexe pyramidal ».
 
Une analyse que ne partage aucun archéologue ou géologue parmi la demi-douzaine qui a visité le site. L'histoire est simple pour Stjepan Coric, un géologue bosniaque de l'université de Vienne en Autriche initialement invité par Osmanagic à examiner la colline. Les blocs de rocher ne sont que les fragments d'un type de sédiments appelé brèche qui formait le fond d'un lac il y a 7 millions d'années et a été ensuite soulevé par des forces naturelles pour lui donner sa forme angulaire. Pour les tunnels, « s'ils ont été faits par l'homme, dit-il, sans connaître leur âge, on peut supposer qu'ils faisaient partie d'une ancienne mine ». Pour Anthony Harding, « c'est juste une colline ».
 
Les dégâts de la guerreAvant le début de la guerre en 1992, Sarajevo était vraiment un centre d'excellence en archéologie estime Harding. Après quatre années de bombardements incessants, « nous avons presque tout perdu », déplore Zilka Kujundzic-Vejzagic qui a fui en Croatie après une année de conflit. Les sites archéologiques ont été utilisés comme retranchements au cours des combats acharnés et les fenêtres brisées du musée ont laissé celui-ci ouvert à l'hiver et aux animaux. « Dix ans après, la communauté scientifique ne s'en est toujours pas remise, mais nous savons au moins ce que nous devons faire pour nous rétablir », ajoute Kujundzic-Vejzagic en poste à Sarajevo depuis 1998. La première priorité est d'évaluer et de protéger les richesses archéologiques en danger dans le pays, maintenant appelé Bosnie-Herzégovine.
 
Ce territoire, de la taille de la Suisse, a toujours été occupé depuis la dernière glaciation et même au-delà. On en sait peu sur les premières tribus slaves qui sont arrivées là il y a 1 500 ans précise Kujundzic-Vejzagic. On en sait encore moins sur le peuple qui les a précédées, les Illyriens qui ont dominé la région entre 1 300 avant notre ère et l'arrivée des Romains. La connaissance de leurs relations avec les cultures voisines, notamment celle des Grecs, nous éclairerait sur les révolutions qui ont bouleversé les âges du bronze et du fer en Europe. « Tous ces sites et ces tombeaux attendent d'être étudiés, reprend l'archéologue, bien que nous ferions mieux de tout laisser en place jusqu'à ce que nous ayons les moyens de les protéger des intempéries et des pillards ».
 
Lors de l'ascension de la colline près de Visoko, on peut voir des rochers mis à nu que les guides locaux désignent comme « des parties de la pyramide du Soleil ». Les deux autres petits reliefs sont « la pyramide du Dragon et celle de la Lune », noms trouvés par Osmanagic lui-même. Celui-ci est persuadé de l'existence de pyramides enfouies, au vu de la forme et de la position des collines. Il est épris des pyramides et dit qu'il en a étudié des centaines de par le monde, notamment celles des Mayas, qui ont été construites selon lui par une technique « vibratoire » héritée des civilisations perdues de l'Atlantide et de la Lémurie...
 
Soutien des politiquesAmer Smailbegovic, un géophysicien qui dirige une société d'observation de la Terre et enseigne à l'université de Sarajevo dit qu'Osmanagic n'a pas pris la peine de regarder leur rapport basé sur des images par satellite. Celui-ci concluait à l'origine naturelle du relief et qu'un travail archéologique méticuleux devait être effectué pour déterminer une éventuelle intervention humaine. « Après le passage d'Osmanagic, s'alarme un archéologue désireux de garder l'anonymat pour ne pas perdre la possibilité de travailler dans le pays, nous ne saurons peut-être jamais ce qu'il y avait vraiment ici. Le matériel archéologique est entre la surface et la roche sous-jacente, mais pour un chasseur de pyramides, ce ne sont que des gravats à déblayer ». Osmanagic dit qu'il en est conscient et qu'il publiera ses résultats dans une revue à comité de lecture en novembre. « Mais l'approbation d'une élite scientifique ne m'intéresse pas, dit-il. Ce projet est pour le peuple. »
 
Malgré les protestations du milieu académique, Osmanagic semble être de plus en plus soutenu par le public et les politiques. Le gouvernement lui a donné toutes les autorisations nécessaires et l'a même aidé à financer ses excavations. « Il est choquant de voir que l'argent public va à Osmanagic au lieu d'aller aux archéologues », remarque Johannes Müller, un archéologue allemand qui a effectué des fouilles dans la région. Osmanagic réplique que seulement 10 % du budget actuel, qui s'élève dit-il à 300 000 dollars, vient du gouvernement, le reste provenant de fonds privés. Un expert indique qu'il est facile de comprendre pourquoi les gens à la recherche d'une identité nationale suivent le phénomène Visoko. « Les lubies de pyramides d'Osmanagic sont exactement ce que la majorité des Bosniaques veut entendre », explique un sociologue du pays qui désire garder l'anonymat. Il y a aussi des motivations économiques. Osmanagic a annoncé en août qu'il projetait de faire construire trois parcs archéologiques en Bosnie-Herzégovine qui « récriront l'histoire mondiale » en dévoilant de nouveaux éléments de la « supercivilisation » préhistorique en Bosnie. De nouvelles routes et des hôtels sont prévus. Une chose paraît claire : certains vont profiter de la recherche d'une civilisation préhistorique en Bosnie, mais ce ne seront probablement pas les archéologues.
 
Cet article est paru dans la revue internationale Science, éditée par l'Association américaine pour l'avancement des sciences (AAAS). Traduction et adaptation de Pierre Kaldy pour Le Figaro.
 
 

Un amateur prétend avoir découvert au nord de Sarajevo un édifice pyramidal haut de 360 mètres et vieux de 12 000 ans. Une affirmation contestée qui soulève l'enthousiasme en Bosnie.

 
CELA aurait dû être un grand jour pour l'archéologie des Balkans. Pour la première fois depuis la fin de la guerre en Bosnie des experts venus de tout le pays avaient décidé de se rencontrer au Musée national à Sarajevo. Des équipes de télévision patientaient à l'extérieur pour faire des interviews. Des scientifiques étrangers étaient aussi présents, dont Anthony Harding de l'université d'Exeter au Royaume-Uni, président de l'Association européenne des archéologues. Mais ils furent profondément frustrés. Les journalistes ne s'intéressèrent ni aux projets de relance des collaborations internationales ou de l'enseignement universitaire ni à la préservation des biens archéologiques. « Ils n'ont voulu entendre qu'une chose, dit Zilka Kujundzic-Vejzagic, la spécialiste en archéologie préhistorique du musée qui avait organisé la rencontre : les pyramides, les pyramides, les pyramides ». Les pyramides en question sont à 30 km au nord-ouest de Sarajevo, près de la ville de Visoko. Un homme d'affaires bosniaque, Semir Osmanagic, directeur d'une entreprise dans le bâtiment à Houston aux États-Unis, a annoncé l'an passé qu'une colline haute de 360 mètres dominant la localité était en fait une pyramide construite il y a 12 000 ans par une civilisation inconnue. Il l'a baptisée la « pyramide du Soleil ». Avec l'aide de volontaires, Osmanagic a mis au jour sur la colline des blocs de pierre et un système de tunnels qui sont selon lui comme ceux des pyramides d'Égypte. Puis il a déclaré que deux talus voisins faisaient aussi partie du même « complexe pyramidal ».
 
Une analyse que ne partage aucun archéologue ou géologue parmi la demi-douzaine qui a visité le site. L'histoire est simple pour Stjepan Coric, un géologue bosniaque de l'université de Vienne en Autriche initialement invité par Osmanagic à examiner la colline. Les blocs de rocher ne sont que les fragments d'un type de sédiments appelé brèche qui formait le fond d'un lac il y a 7 millions d'années et a été ensuite soulevé par des forces naturelles pour lui donner sa forme angulaire. Pour les tunnels, « s'ils ont été faits par l'homme, dit-il, sans connaître leur âge, on peut supposer qu'ils faisaient partie d'une ancienne mine ». Pour Anthony Harding, « c'est juste une colline ».
 
Les dégâts de la guerreAvant le début de la guerre en 1992, Sarajevo était vraiment un centre d'excellence en archéologie estime Harding. Après quatre années de bombardements incessants, « nous avons presque tout perdu », déplore Zilka Kujundzic-Vejzagic qui a fui en Croatie après une année de conflit. Les sites archéologiques ont été utilisés comme retranchements au cours des combats acharnés et les fenêtres brisées du musée ont laissé celui-ci ouvert à l'hiver et aux animaux. « Dix ans après, la communauté scientifique ne s'en est toujours pas remise, mais nous savons au moins ce que nous devons faire pour nous rétablir », ajoute Kujundzic-Vejzagic en poste à Sarajevo depuis 1998. La première priorité est d'évaluer et de protéger les richesses archéologiques en danger dans le pays, maintenant appelé Bosnie-Herzégovine.
 
Ce territoire, de la taille de la Suisse, a toujours été occupé depuis la dernière glaciation et même au-delà. On en sait peu sur les premières tribus slaves qui sont arrivées là il y a 1 500 ans précise Kujundzic-Vejzagic. On en sait encore moins sur le peuple qui les a précédées, les Illyriens qui ont dominé la région entre 1 300 avant notre ère et l'arrivée des Romains. La connaissance de leurs relations avec les cultures voisines, notamment celle des Grecs, nous éclairerait sur les révolutions qui ont bouleversé les âges du bronze et du fer en Europe. « Tous ces sites et ces tombeaux attendent d'être étudiés, reprend l'archéologue, bien que nous ferions mieux de tout laisser en place jusqu'à ce que nous ayons les moyens de les protéger des intempéries et des pillards ».
 
Lors de l'ascension de la colline près de Visoko, on peut voir des rochers mis à nu que les guides locaux désignent comme « des parties de la pyramide du Soleil ». Les deux autres petits reliefs sont « la pyramide du Dragon et celle de la Lune », noms trouvés par Osmanagic lui-même. Celui-ci est persuadé de l'existence de pyramides enfouies, au vu de la forme et de la position des collines. Il est épris des pyramides et dit qu'il en a étudié des centaines de par le monde, notamment celles des Mayas, qui ont été construites selon lui par une technique « vibratoire » héritée des civilisations perdues de l'Atlantide et de la Lémurie...
 
Soutien des politiquesAmer Smailbegovic, un géophysicien qui dirige une société d'observation de la Terre et enseigne à l'université de Sarajevo dit qu'Osmanagic n'a pas pris la peine de regarder leur rapport basé sur des images par satellite. Celui-ci concluait à l'origine naturelle du relief et qu'un travail archéologique méticuleux devait être effectué pour déterminer une éventuelle intervention humaine. « Après le passage d'Osmanagic, s'alarme un archéologue désireux de garder l'anonymat pour ne pas perdre la possibilité de travailler dans le pays, nous ne saurons peut-être jamais ce qu'il y avait vraiment ici. Le matériel archéologique est entre la surface et la roche sous-jacente, mais pour un chasseur de pyramides, ce ne sont que des gravats à déblayer ». Osmanagic dit qu'il en est conscient et qu'il publiera ses résultats dans une revue à comité de lecture en novembre. « Mais l'approbation d'une élite scientifique ne m'intéresse pas, dit-il. Ce projet est pour le peuple. »
 
Malgré les protestations du milieu académique, Osmanagic semble être de plus en plus soutenu par le public et les politiques. Le gouvernement lui a donné toutes les autorisations nécessaires et l'a même aidé à financer ses excavations. « Il est choquant de voir que l'argent public va à Osmanagic au lieu d'aller aux archéologues », remarque Johannes Müller, un archéologue allemand qui a effectué des fouilles dans la région. Osmanagic réplique que seulement 10 % du budget actuel, qui s'élève dit-il à 300 000 dollars, vient du gouvernement, le reste provenant de fonds privés. Un expert indique qu'il est facile de comprendre pourquoi les gens à la recherche d'une identité nationale suivent le phénomène Visoko. « Les lubies de pyramides d'Osmanagic sont exactement ce que la majorité des Bosniaques veut entendre », explique un sociologue du pays qui désire garder l'anonymat. Il y a aussi des motivations économiques. Osmanagic a annoncé en août qu'il projetait de faire construire trois parcs archéologiques en Bosnie-Herzégovine qui « récriront l'histoire mondiale » en dévoilant de nouveaux éléments de la « supercivilisation » préhistorique en Bosnie. De nouvelles routes et des hôtels sont prévus. Une chose paraît claire : certains vont profiter de la recherche d'une civilisation préhistorique en Bosnie, mais ce ne seront probablement pas les archéologues.
 
Cet article est paru dans la revue internationale Science, éditée par l'Association américaine pour l'avancement des sciences (AAAS). Traduction et adaptation de Pierre Kaldy pour Le Figaro.
 
 

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