Contre la guerre

 

Voici le texte intégral de l'intervention de Ginette Skandrani au meeting organisé le 21 avril 1999 à Paris par le Collectif Non à la guerre.

Je voudrais saisir l'occasion qui m'est offerte pour m'exprimer contre cette absurdité qu'est l'intervention militaire de l'OTAN contre un petit peuple de l'Europe centrale. Comme la majorité des anciens pacifistes, y compris les écologistes se sont alignés sur la pensée dominante, il me fallait un endroit pour m'exprimer, merci de m'en avoir donné la possibilité.

J'ai signé et fait signer l'appel contre la guerre du COLLECTIF NON A LA GUERRE, au moment où tombaient les premières bombes sur Belgrade le 24 mars 1999, pour plusieurs raisons, dont avant tout ma haine viscérale des bombes et de tous les va-t-en guerre qui jouent impunément et lâchement avec la vie des autres.

J'ai toujours été pacifiste, ayant toujours milité pour une résolution non-violente des conflits, pour le débat, la discussion, qui est souvent une manière plus intelligente et surtout plus courageuse que de balancer des bombes du haut d'un avion. Comme il faut de toute façon retourner à la table des négociations, pourquoi faut-il toujours passer par l'extermination des plus faibles avant de négocier?

A l'époque où nous nous mobilisions contre l'installation des Pershings US en Europe, on nous accusait de faire le jeu de l'URSS, alors que nous étions tout autant opposés aux 55-20 soviétiques. C'est d'ailleurs pour nous démarquer du Mouvement de la Paix de tendance communiste que nous avions crée le CODENE (Comité pour le désarmement nucléaire en Europe) dans les années 1979 /80. Le Codene s'est auto-dissous dans les années 86/87, car s'étant aligné sur les positions socialistes, il ne voulait pas se prononcer contre la force de frappe française dont la première étape : 1' arrêt des essais nucléaires, campagne qui avait été proposée par les écologistes.

J'ai aussi souvent été à l'origine du débat sur la non-violence dans les différents mouvements d'écologie politique qui ont jalonné le parcours des Verts.( dans les années 80 au MEP, puis au Vert Parti en 83 ou j'étais responsable de la Commission défense qui déjà avait demandé la sortie de la France de l'Alliance Atlantique).Au moment de l'alliance entre le Parti vert et la Confédération écologiste en janvier 1984, ce qui allait donner les Verts actuels, le grand débat entre les commissions défense des deux partis était la sortie de l'Alliance atlantique, débat que j'avais largement impulsé.

Lorsque j'ai été contactée par les initiateurs du texte contre la guerre, Les Européens veulent la paix!, j'ai lu le texte, j'ai pesé le pour et le contre. Comme le texte me convenait sur plusieurs points, dont surtout celui sur le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, non à la guerre pour régler les conflits, non à l'intervention US, je l'ai signé. J'ai vu qu'il y avait des signatures de droite, de gauche, des libertaires, des écologistes et quelques personnes de la nouvelle droite. Ce n'était pas mon rôle d' aller trier là-dedans. Surtout que cette initiative était quelque chose d'inhabituel, de nouveau. Elle tranchait avec les pétitions traditionnelles qui couvraient rarement l'ensemble du champ politique en France. Je l'ai signé tout en me doutant qu'il allait y avoir une levée de boucliers de la part des anti-impérialistes de gauche, honteux d'être devenus les larbins porteurs de valises de 1' OTAN /US et nous criminalisant parce que nous avions signé à côté de gens de droite. J'étais une des signataires de l'appel des 75 contre la guerre du Golfe lancé en octobre 1990, alors que les bombardements sur Bagdad se préparaient A l'époque les Verts n'étaient pas contents car j' avais signé à côté des communistes et des trotskistes. Aujourd'hui, ils nous reprochent de signer à côté de la nouvelle droite. Vous voyez, les choses changent, le monde évolue, les gens aussi, il n' y a que les gens tributaires des institutions qui s'imaginent que la vie politique se limite aux décisions de l'Assemblée nationale.

LA DÉROUTE GUERRIÈRE DES ORGANISATIONS HEXAGONALES

Toute la gauche institutionnelle - à part quelques petites velléités communistes, écologistes, ou citoyennes vite alignées au vestiaire socialiste- s'étant rangée derrière la position impérialiste de 1' OTAN, il ne restait plus beaucoup de personnes anti-guerre et surtout anti-impérialistes avec qui signer un appel. Les trotskistes d' Arlette Laguiller et d' Alain Krivine, voire les lambertistes, dont les positions anti-impérialistes n' ont pas changé, préférant comme toujours, rester entre eux, bien au chaud. La droite institutionnelle tout aussi guerrière, y compris les gaullistes qui se sont empressé de trahir leur "Charles", qui du fond de sa tombe ne doit plus reconnaître ses petits Gaulois en train de se faire baiser par l'OTAN. Où sont donc passés les héritiers gaullistes?

DES BOMBARDEMENTS CRIMINELS

Depuis quand des bombardements ont-ils permis d'imposer l'indépendance d'une région ? Sinon pourquoi ne pas bombarder Paris et Madrid pour libérer le Pays Basque, ou Londres pour aider les Irlandais, ou Paris pour soutenir les Corses ou Ankara pour sauver les Kurdes ou Tel Aviv pour défendre le droit des Palestiniens bafoué depuis plus de 50 ans avec la complicité de toute la Communauté internationale?

Jamais aucun dialogue ne s'entamera à coups de bombes, y compris entre Serbes et Kosovars. Tous nos politiques et intellectuels guerriers - qui seraient d'ailleurs incapables de s'engager pour défendre leurs idéaux guerriers - semblent oublier que les bombardements ne sont pas des jeux : sous les bombes se trouvent des femmes, des enfants, des hommes qui ne demandent qu'à vivre. Le peuple serbe n'est pas responsable des erreurs de son gouvernement, pourtant c'est bien lui qui trinque comme a trinqué et continue actuellement à trinquer le peuple iraqien.

Veux-t-on réduire cette région comme on a réduit l'Iraq? Le peuple iraquien, étouffé par un embargo-blocus criminel qui dure depuis huit ans, tout en étant bombardé quotidiennement sans que nul média n'en parle, est aussi une des victimes des USA. En vertu de quel droit international, de quelles règles, 1' OTAN placé sous commandement américain se donne -t - il le droit de vie et de mort sur des peuples? Où est donc passée 1' ONU ? Y a-t--il encore une ONU ? Il semblerait que l'OTAN utilise des bombes à uranium appauvri, armes testées contre le peuple iraquien en février 1991, qui ont une part de responsabilité dans l'augmentation des cas de leucémie et de cancer de la thyroïde.

LA DEPORTATION DES POPULATIONS

L'épuration ethnique des Albanais du Kosovo s'est terriblement accentuée depuis l'intervention de 1' OTAN qui était censée l'arrêter. Il faut reconnaître que contrairement à ce qu'on a essayé de nous faire croire, les bombardements aident à vider le Kosovo de sa population. On ne nous fera jamais croire, comme semblent l'avaler la majorité de nos amis de la gauche plurielle, que ce sont des bombes humanitaires protégeant les populations concernées. Les colonnes de gens qui s'enfuient fuient autant les bombes que les exactions des armées serbes. Les différentes bavures de ces derniers jours et le cynisme des présentateurs de télé "On ne fait pas de guerre sans morts "nous prouvent que ces frappes chirurgicales sont aussi meurtrières que celles qui ont décimé l'Iraq dont les 400 personnes, surtout des femmes et des enfants réfugiées dans l'abri El Amérya le 15 février 1991, littéralement éclatées sur les murs, sans compter les dizaines de milliers de victimes civiles iraquiennes.

OU EST LE DROIT DES PEUPLES À DISPOSER D'EUX-MÊMES ?

Oui à 1' autonomie voire l'indépendance du Kosovo mais, discutée autour d'une table de négociation en respectant tous les Partenaires et sous l'égide de la Communauté Européenne en y associant la Russie et certainement pas à coups de bombes.
J'ai toujours été Pour le droit des peuples à disposer d'eux mêmes et ceci pour tous les peuples, Y compris les peuples Oubliés par notre Histoire : Palestinien, Irakien, Kurde, Tibétain, Basque etc. Sans oublier aujourd'hui ceux victimes de cette guerre : Kosovar et Serbe.
Oui à l'Europe des régions, dont la diversité culturelle y compris musulmane, est la plus grande richesse et le seul rempart contre tous les nationalismes exacerbés par les uns et les autres. L'Europe ne peut se construire Sans remettre en question le centralisme dont la France, mais aussi la Serbie Sont un des derniers exemples, après l'éclatement du bloc soviétique

La Communauté européenne, si elle veut s'opposer à la gestion du monde par les USA doit s'ouvrir aux anciens satellites du bloc de l'est y compris la Russie, la Serbie, le Monténégro, le KOSOVO et l'Albanie, c'est la seule façon de régler le feu qui couve dans les Balkans.

L'OTAN A - T - ELLE ENCORE UNE RAISON D'EXISTER ?

Pourquoi avoir réveillé l'OTAN qui n'a plus aucune raison d'être maintenu depuis le fin de l'empire soviétique et la dissolution du Pacte de Varsovie, puisqu'elle avait été crée pour s'opposer au bloc soviétique ?

L'ONU et son Conseil de Sécurité qui a si durement écrasé et continue à écraser l'iraq serait - il - devenu moins docile aux impératifs guerriers US ? Y aurait-il des réticences?
Craignait-on le droit de veto russe ou chinois?
Fallait -il donner une deuxième vie à l'OTAN, alors que l'ennemi de naguère était terrassé?
A moins de prévoir s'en servir pour donner des leçons à tous ceux qui du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest, osent choisir un développement autre, en dehors du diktat de cette mondialisation économique et culturelle ? On peut tout imaginer.

LES VERTS SERAIENT - ILS DEVENUS GUERRIERS?

Je ne comprends plus les Verts. Leur non-violence a fait long feu. Des années de débats internes, de travail des commissions, de vote de résolutions appelant à la résolution non-violente des conflits ont été oubliées par manque de courage politique. La non-violence, c'est aussi avoir le courage d' être minoritaire face à l'hystérie collective. Si rentrer dans les institutions et devenir réaliste veut dire s'asseoir sur tous les principes y compris l'éthique écologiste, je préfère rester à la base et à l'écoute de la rue.
Comment être écologiste et appeler à corps et à cris des bombardements ou des interventions musclées contre des peuples comme le fait le candidat va-t-en guerre des Verts?
Heureusement que la base des Verts ne suit pas toujours, et que les discussions continuent dans les régions.

Ginette SKANDRANI

Texte paru dans Basta ! journal de marche zapatiste N°2 de mai 1999

Correspondace : AZLS, 5 rue de Douai, 75009 Paris

Le grain de sable