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Paru dans le JDD Dimanche 25 Mars 2007

Des brèches dans le fief socialiste ?

Par Bertrand Gréco
Le Journal du Dimanche
>> En juin, les électeurs de la 18e circonscription de Paris devront choisir entre l'adjoint au maire socialiste Christophe Caresche, solidement installé dans le fief de Jospin et Vaillant et Jeannette Bougrab, la jeune candidate UMP. Les deux postulants n'ont pas que des amis dans leur propre parti. Le futur candidat de l'UDF pourrait arbitrer ce duel en gagnant le vote des "bo-bos" imprévisibles de Montmartre.

C'est un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître : Montmartre en ce temps-là... votait Alain Juppé. Le poulain de Jacques Chirac a débarqué dans le 18e arrondissement en 1988 en battant l'ex-député du coin (1981-1986), un certain Bertrand Delanoë. En 1993, il se fait même réélire dès le 1er tour dans ces terres de gauche, face à Christophe Caresche, jeune recrue de la "bande du 18e" - Lionel Jospin, Daniel Vaillant, Bertrand Delanoë et Claude Estier - implantée ici depuis des lustres. Mais en 1995, Vaillant parvient à ravir la mairie à Roger Chinaud (maire UDF depuis 1983). Et la parenthèse Juppé se referme en 1997, avec son départ pour Bordeaux. Montmartre renoue alors avec les jospinistes en désignant Christophe Caresche, réélu confortablement en 2002 (57,3%). Dès lors, la 18e circonscription de Paris - qui comprend aussi Barbès, la Porte de Clignancourt et un bout des Grandes Carrières - est considérée comme un fief socialiste quasi-imprenable. Les militants UMP locaux, eux, ne se sont toujours pas remis de la disparition de Juppé.

C'est dans leur propre camp que les deux candidats comptent le plus d'inimitiés
En juin, les 48.800 électeurs de "la" 18e (98.200 habitants) écriront une nouvelle page de l'histoire montmartroise. Fort de son assise électorale, le député sortant - également adjoint de Delanoë à la sécurité - se dit "plutôt à l'aise" : "J'ai fait mon trou, je fais partie des meubles maintenant", estime Caresche (46 ans), qui se présente donc pour la quatrième fois. "La droite fait du tourisme électoral ici. Elle investit un candidat différent à chaque élection. Aux municipales, on a eu Jean-Louis Debré (1995), puis Philippe Seguin (2001). Aux législatives, Juppé, Stefanini, Xavier Chinaud.

Cette fois-ci, la candidate UMP s'appelle Jeannette Bougrab (33 ans). Cette fille d'ouvriers algériens analphabètes donne des cours de droit et finances publiques à la Sorbonne et à Sciences Po. Elle habite dans le 18e depuis un an. "J'ai besoin de me faire connaître, dit-elle. Les gens m'accueillent bien, contents de voir une femme, jeune, issue d'une famille immigrée. Mon parcours prouve que c'est possible." Elle se voit déjà en haut de l'affiche, mais reconnaît que "le combat sera difficile".

Les Verts comme arbitres?

Alors, elle compte ses atouts. Alain Juppé est le président de son comité de soutien. "Elle a le profil idéal pour notre 18e", juge l'ancien Premier ministre. Elle revendique aussi le soutien de Michou - patron de cabaret et vedette locale - ou de Lilian Thuram, pourtant "en délicatesse avec Nicolas Sarkozy", souffle-t-elle. De son côté, Caresche pointe une "contradiction" chez sa concurrente : "Jeannette Bougrab est le pur produit de l'intégration républicaine, en ce sens elle est exemplaire. Mais c'est précisément ce modèle que menace Nicolas Sarkozy avec son approche communautariste et clientéliste. Elle va avoir du mal à l'assumer." Il est vrai que la jeune femme prend ses distances sur certains points : elle n'est pas favorable à la discrimination positive, défend l'homoparentalité, réclame "beaucoup d'argent pour l'université et la recherche".
"J'admets être iconoclaste, mais je suis de droite", jure cette "gaulliste sociale" qui se réfère au résistant, puis gaulliste "de gauche", René Capitant et à Pierre Mazeau. Et de renvoyer Caresche dans ses cordes : "Un homme d'appareil qui a un mauvais bilan."

Mais c'est dans leur propre camp que les deux candidats comptent le plus d'inimitiés. Dans la "bande des quatre", le ralliement de Caresche à Ségolène Royal et ses propos jugés agressifs envers Jospin ont été vécus par certains comme une "trahison impardonnable". Même si les ténors du 18e ont affiché une "unité retrouvée" cette semaine en meeting, la hache de guerre n'est toujours pas enterrée. "Caresche s'est fait beaucoup d'ennemis, observe Sylvain Garel, le candidat écologiste. Il ne sera pas beaucoup aidé dans sa campagne. Et si Ségolène est battue, il sera l'un des premiers à payer." Les Verts, qui font généralement de bons scores dans cette circonscription, rêvent d'éliminer la droite et d'affronter le député PS au 2e tour. D'où les lazzis, les quolibets. "Je n'aime pas sa façon de faire de la politique, au doigt mouillé. Il n'a pas de conviction", critique Garel. De plus, les candidates Vertes de la capitale ont décerné début mars à Caresche le titre "d'élu parisien le plus sexiste". "Elles ont dû se tromper, elles voulaient dire sexy", ironise l'intéressé.

Dans le camp adverse, l'ambiance semble tout aussi délétère. "L'état-major de l'UMP a fait une grosse bêtise en choisissant Jeannette Bougrab", fulmine Xavier Chinaud, le président du groupe UMP au conseil d'arrondissement, qui visait une nouvelle investiture. "Parmi les militants qui me sont fidèles, il y a des états d'âme. Des candidatures dissidentes à droite sont inévitables", ajoute-t-il en citant le président d'une association de commerçants ou un ancien colistier de son père. "Nos adhérents sont surpris par la suffisance de Mlle Bougrab, se laisse aller une élue locale. Elle nous zappe comme si elle était au-dessus du lot. Mais une élection ne se gagne pas seule." Reste une incertitude dans cette campagne : le rôle que jouera l'UDF, qui n'a encore désigné aucun candidat à Paris. "Ici, Bayrou va faire un malheur", pronostique le Vert Sylvain Garel. Les "bourgeois-bohème" de Montmartre sont imprévisibles.