Augmenter la taille du texte Diminuer la taille du texte Envoyer cet article par couriel Imprimer cet article

Paru dans le JDD Dimanche 17 Février 2008

Kadhafi, fils de Preziosi?

Par Adeline FLEURY, à Vezzani
Le Journal du Dimanche
>> C'est une histoire rocambolesque, une histoire de ressemblance et de descendance. Une histoire qui lie deux géographies méditerranéennes. Au nord, un village corse de 300 âmes à peine, niché à 800 mètres d'altitude; au sud, un vaste pays désertique de plus d'un million de km². Que peuvent bien avoir en commun Vezzani (Haute-Corse) et la Libye? Peut-être un étonnant lien du sang.

Depuis les années 1970 court en effet à Vezzani une assez ahurissante rumeur. Le capitaine Albert Preziosi, héros de la France Libre, fils d'un gendarme du village, pourrait être le père du Guide de la révolution libyenne, Muammar Kadhafi... Or cette rumeur, qui a refait surface cette semaine sur le site bakchich.info, s'est transformée en légende sur l'île de Beauté.

Le 17 juin 1940, Albert Preziosi rejoint Londres

"Ah, vous venez pour l'affaire Kadhafi? J'ai toujours entendu parler de cette histoire, comme beaucoup de mes administrés !" s'exclame Jean-Pierre Pagni, maire (UMP) de Vezzani. Il faut dire qu'ici, Albert Preziosi est le héros du village. Sur la façade de la maison communale, une plaque dorée célèbre la mémoire du soldat né à Vezzani le 25 juillet 1915 et tué en combat aérien à Karacha (Russie), le 28 juillet 1943. "Elle date de 2003, où nous avons organisé une commémoration à l'occasion du soixantième anniversaire de sa mort", explique l'édile.

Au-dessus du bureau du maire est aussi encadré un portrait de ce capitaine de l'armée de l'air coiffé de sa casquette d'aviateur. Annie Genasci, secrétaire de mairie, adore la photo de ce bel homme et se plaît à croire à l'incroyable histoire qui accompagne son destin. "Nous n'avons aucune preuve de cette filiation mais aucun élément ne la contredit non plus", constate Jean-Pierre Pagni en désignant l'ancienne gendarmerie, une haute maison de pierres où le petit Preziosi est né. "Et puis, il y a cette ressemblance..." note Annie.

Comment, en tout cas, expliquer que le destin de ce villageois corse ait pu croiser celui d'une Libyenne? Ou comment, en temps de guerre, l'histoire s'immisce dans les destinées humaines. Le "héros de Vezzani" quitte son village natal dans les années 1930. En 1935, il fait partie de la première promotion de l'Ecole de l'air de Salon-de-Provence. Le 17 juin 1940, il rejoint Londres avec deux autres officiers, où il suit une formation de pilote de chasse et s'engage dans les Forces aériennes françaises libres (FAFL). Le lieutenant est affecté au Moyen-Orient, dans le groupe de chasse numéro 1 "Alsace", puis dans le groupe de chasse numéro 3 "Normandie".

"Tu sais que j'ai eu un enfant en Libye"

Pendant l'été 1942, l'avion piloté par Albert Preziosi s'écrase dans le désert libyen. Selon d'anciens membres de son groupe, le soldat Preziosi aurait alors disparu pendant un mois, au cours duquel il aurait rencontré une jeune femme. Sur cette idylle orientale, les versions divergent. Selon Pierre Lorillon, l'un des derniers rescapés de l'escadrille Normandie-Niémen, "Albert aurait été recueilli par une tribu libyenne, puis soigné par une jeune femme noble avec laquelle il aurait eu un enfant". François Tulasne, fils du commandant Tulasne, l'un des deux fondateurs du Normandie-Niémen, évoque d'un ton amusé l'épisode de la "princesse libyenne": "Pour mon père, Preziosi était comme un fils. Ce dernier, qui pourtant avait un handicap au cou, était un bon soldat. Et apparemment un séducteur."

Cette histoire, les membres du Normandie-Niémen aimaient se la narrer au front, quitte à l'enjoliver. Princesse libyenne pour les uns, infirmière palestinienne juive pour les autres... tous se retrouvent sur un point : un enfant est né de cette escapade dans le désert. Philippe Beaudoin, retraité du deuxième bureau de l'armée de l'air, a eu vent d'une discussion entre le commandant Joseph Pouliquen, cofondateur du Normandie-Niémen, et Albert Preziosi. Ce dernier aurait fait la confidence suivante à son supérieur: "Tu sais que j'ai eu un enfant en Libye. S'il m'arrive quelque chose en manoeuvres, fais-lui parvenir cette lettre." Quelques semaines plus tard, l'aviateur Preziosi meurt en vol sur le front russe. "Par la suite, personne n'a eu cette lettre entre les mains", poursuit Philippe Beaudoin, pour qui la thèse de la paternité de Kadhafi est "plausible". En 1988, Joseph Pouliquen décède et emporte la missive dans sa tombe.

Les descendants d'Albert Preziosi, eux, prennent cette histoire avec des pincettes. "A chaque fois que l'on me dit : "Alors, tu es de la famille Khadafi", les bras m'en tombent", s'agace François Preziosi, fils d'un cousin d'Albert, qui travaille à l'entretien de la mémoire de son aïeul. Cet ancien d'Algérie reconnaît tout de même avoir mené sa petite enquête en contactant une "vieille connaissance" qui était, pendant la Seconde Guerre mondiale, en Libye pour "affaires indigènes". En vain. Dans l'armée, il n'est pas de bon ton de communiquer sur la vie privée. Le petit-cousin Preziosi préférerait d'ailleurs que l'on s'attache plus à l'héroïsme d'Albert qu'à cette bien embarrassante filiation. Il n'oublie pas de mentionner qu'à quelques kilomètres de Vezzani, la base aérienne de Solenzara porte le nom de Preziosi. Et n'ose imaginer qu'un jour, elle pourrait être rebaptisée "Kadhafi" !

Allez plus loin et découvrez en intégralité le Journal Du Dimanche en version PDF.