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N°5 - Mai 2006
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Productions cinématographique et télévisuelle : un mariage de raison

Bruno Cailler
Maître de conférences en cinéma et audiovisuel, Université Sorbonne Nouvelle (Paris III)

Qu’advient-il de la production cinématographique et de son indépendance lorsque la télévision devient le principal financier du cinéma ?

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Etre producteur de films de cinéma se résume depuis toujours à quatre fonctions : découvrir des talents et développer des projets, établir un plan de financement pour un film, le fabriquer, et enfin le commercialiser. Or, les conditions d’exercice du métier ont progressivement changé, ces cinquante dernières années, en raison de la mutation de la distribution, mais également de la concentration de la filière cinématographique et surtout de la filière audiovisuelle dans son ensemble.

La télévision est un exemple représentatif de cette évolution qui touche bien sûr le domaine industriel avec l’augmentation du volume global de production ces quinze dernières années, ou encore avec les nouvelles tendances des stratégies éditoriales et de développement des sociétés : diversification vers la distribution, vers la production télévisuelle, vente de catalogues, etc. Mais celle-ci a pu aussi changer nos habitudes de « consommation » des films de cinéma tout autant qu’elle a pu influer sur la quantité et la nature des films qui sont produits : augmentation du volume de films à gros et à petits budgets sur la même période, évolution du vedettariat nouvellement issu de la télévision, etc.

Apparue en France après la Seconde Guerre mondiale, la télévision est d’abord un monopole du service public qui créera trois chaînes. Puis, avec les années 80, le secteur privé hertzien prend son essor alors que les chaînes câblées se multiplient. Il faudra attendre le milieu des années 90 pour que les bouquets de chaînes satellites diversifient davantage l’offre de télévision, tandis que les années 2000 sont déjà marquées par la TNT, le podcasting (du i-pod, un baladeur vidéo) et la téléphonie mobile 3G (de troisième génération proposant la consultation de services vidéo).

Dès lors, on ne peut plus parler d’une télévision, mais de télévisions dont le film de cinéma constitue un produit phare apte à fidéliser l’audience. Celle-ci, vendue aux annonceurs de publicité, peut être aussi abonnée à des chaînes thématiques, ou encore consommatrice de produits unitaires avec le pay per view (la télévision payante propose des programmes dont le consommateur paye le visionnage à la séance).

Indépendance des sociétés de production mise à mal

Toutefois, dès l’apparition de ce média, naît un conflit latent entre les producteurs de cinéma, qui demandent une juste rétribution de l’usage de leurs films par les chaînes, et ces dernières qui tendent à vouloir peu à peu maîtriser leur approvisionnement en films, - comme d’ailleurs en d’autres produits, dont les événements sportifs par exemple. Plusieurs dates jalonnent l’histoire de ce conflit régulé par les pouvoirs publics : les accords Cinéma - ORTF de 1972, la loi Fillioud de 1982, etc. Mais ce sont les décrets de 1990 d’obligation de diffusion et de production - pour les oeuvres audiovisuelles autant que cinématographiques - qui font figure de tournant décisif, car ils obligent toutes les chaînes de télévision en clair par voie hertzienne à créer des filiales de production. A travers elles, les chaînes doivent investir 3% de leur chiffre d’affaires net de l’année précédente en préachat ou/et en coproduction dans des œuvres cinématographiques européennes dont 2,5 % en films d’expression originale française (EOF), appellation créée en 1982.

Ces décrets ont été par la suite modifiés pour les adapter entre autres aux nouvelles formes télévisuelles (décrets 2001-1330 et 2001-609 en particulier). Mais ce qu’ils entérinent est plus vaste : c’est le passage d’une logique d’amortissement à une logique de préfinancement. Le producteur y mutualise quasi systématiquement le risque financier encouru par son activité, en recourant à la coproduction intersectorielle, celle qui fait intervenir un nombre croissant de partenaires, venus de secteurs divers : finance, télévision, édition vidéo, localités, etc.

De ces nouvelles relations sont issues de nombreuses problématiques. Ainsi pour n’en proposer qu’une, qu’advient-il réellement de la notion d’indépendance des sociétés de production ? Bien qu’en France l’indépendance du secteur de la production ait toujours été soutenue, - les trois quart des contributions des chaînes évoquées plus haut doivent être consacrés à la production cinématographique indépendante -, sa sauvegarde est rendue de plus en plus difficile face à la concentration industrielle et commerciale de la filière audiovisuelle. Car, l’indépendance est un subtil équilibre entre des indépendances de quatre natures différentes : artistique, capitalistique ; basée sur la détention des droits d’exploitation, et enfin définie en termes d’activités productives. De quoi alimenter bien des recherches...

Laurent Creton (direction), Le cinéma à l’épreuve du système télévisuel, CNRS éditions, Paris, 2002, 314 p.
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