Accueil > Afrique

Le Nigeria face au spectre d'une guerre de religion

LEMONDE | 29.12.11 | 13h14

"Nous avons peur que la situation dégénère en guerre de religion et que le Nigeria ne survive pas en tant qu'entité unie", s'est inquiété Saidu Dogo, secrétaire pour la partie nord du pays de l'Association des chrétiens du Nigeria (CAN).

"Nous avons peur que la situation dégénère en guerre de religion et que le Nigeria ne survive pas en tant qu'entité unie", s'est inquiété Saidu Dogo, secrétaire pour la partie nord du pays de l'Association des chrétiens du Nigeria (CAN).REUTERS/AKINTUNDE AKINLEYE

Johannesburg Correspondant - Des blessés meurent encore au Nigeria après le triple attentat perpétré le jour de Noël contre des chrétiens à la sortie d'églises. Avant même que soit connu le bilan définitif de la tuerie, des dérapages menacent. L'attentat a été revendiqué par un porte-parole du groupe islamiste Boko Haram, alourdissant le risque de voir le cycle des représailles reprendre entre communautés religieuses dans un pays de 160 millions d'habitants où la mixité est la règle - même si le Sud est en majorité chrétien et le Nord à forte dominante musulmane.

Mardi 27 décembre, un nouvel attentat a visé une école dans le sud du pays, dans le quartier hausa (nordiste, musulman) de Sapele, petite ville du delta du Niger. Ce n'était qu'une bombe artisanale mal conçue, mais son objectif était de détruire bien plus que des corps. Jetée en pleine heure d'étude, elle a blessé six enfants, âgés de cinq à huit ans, et un adulte.

S'agissait-il d'un acte de vengeance ou bien d'une nouvelle tentative d'enclencher des violences entre communautés ? Au Nigeria, les violences interconfessionnelles ont fait des milliers de morts. "Nous avons peur que la situation dégénère en guerre de religion et que le Nigeria ne survive pas en tant qu'entité unie", s'est inquiété Saidu Dogo, secrétaire pour la partie nord du pays de l'Association des chrétiens du Nigeria (CAN).

Le président de la CAN, le révérend Ayo Oritsejafor, a averti, mercredi soir, avant un entretien avec le chef de l'Etat nigérian, Goodluck Jonathan, que "la communauté chrétienne au niveau national n'aura pas d'autre choix que de répondre de façon appropriée s'il y a d'autres attaques contre nos membres, nos églises et nos biens."

C'est sans doute l'effet recherché par les auteurs de l'attentat : mélanger les responsabilités, alimenter les haines entre les populations. Ces derniers mois, des affrontements meurtriers ont eu lieu, mais ils mettaient aux prises essentiellement Boko Haram et les membres des organes de sécurité (une force conjointe police-armée et services secrets).

L'un des trois attentats de Noël a eu lieu à Damaturu, au nord-est du pays, où faisaient rage, depuis plusieurs jours, des combats de rues entre insurgés islamistes et forces gouvernementales, qui avaient bouclé des quartiers entiers avant d'y déployer des blindés. Il y a eu à Damaturu, selon le chef d'état-major de l'armée nigériane, le lieutenant général Azubuike Ihejirika, "plus de cinquante" membres de Boko Haram tués en début de semaine.

En novembre, les hommes de Boko Haram avaient déjà lancé une série d'attaques dans cette ville, s'en prenant à des églises, des postes de police et même, dans certains cas, à des passants sortant des mosquées. On avait compté environ 150 morts. Un porte-parole du groupe, Abou Qaqa, promettait alors de "continuer à attaquer les formations du gouvernement fédéral jusqu'à ce que les forces de sécurité arrêtent de persécuter nos membres et les citoyens vulnérables".

Les forces de l'ordre ont la main lourde. Après l'explosion d'une bombe sur un marché de Maiduguri (capitale de l'Etat de Borno, nord-est du pays), en juillet, blessant trois soldats, Amnesty International avait recueilli des informations permettant d'établir qu'en représailles "la force conjointe nigériane a riposté en tirant et en tuant un certain nombre de personnes, apparemment au hasard, avant de mettre le feu au marché". Au total, 23 personnes sans lien avec l'attentat ont été tuées.

Courant décembre, les violences s'intensifient et les foyers se multiplient, comme si Boko Haram pariait sur un embrasement. On compte onze morts à Maiduguri. A Potiskum, dans la même région, des inconnus incendient des dizaines de magasins appartenant à des chrétiens.

Dans le nord du Nigeria, les membres des différentes confessions vivent désormais dans des quartiers séparés, et se sont organisés en milices. Les représailles peuvent être plus meurtrières que les actes qui les ont déclenchées. Souvent, ce sont les responsables religieux qui calment les esprits, tandis que des responsables politiques tentent d'instrumentaliser la violence pour leur compte.

Y a-t-il une tentation chez les responsables politiques du Nord, de plus en plus marginalisés et auxquels échappent le pouvoir et ses ressources, de parier sur le chaos ? Richard Oguche, le porte-parole de la police dans l'Etat de Niger, proche d'Abuja, où a eu lieu l'attentat le plus meurtrier visant l'église catholique Sainte-Thérèse, l'affirme : "Nous cherchons (les responsables de l'attentat) au-delà de Boko Haram, car il y a d'autres personnes qui s'efforcent de déstabiliser le gouvernement et qui, pour y parvenir, font des choses sous ce nom."

Un sénateur de l'Etat de Borno, Mohammed Ali Nduma, accusé d'être l'un des cerveaux du groupe, a été arrêté en novembre par les services secrets.

Depuis l'an 2000, dans la foulée du retour à la démocratie, les Etats du Nord voyaient s'instaurer la charia. Des troubles religieux éclataient alors, provoquant des milliers de morts, "la pire effusion de sang jamais survenue depuis la guerre civile (1967-1970)", déclarait le président de l'époque, Olusegun Obasanjo. Chrétiens et musulmans s'affrontaient aussi pendant les périodes électorales, signe que les violences étaient en partie manipulées.

Dans une mosquée de Maiduguri, en 2002, un groupe de fidèles réuni autour d'un prêcheur, Mohammed Yusuf, forme alors le Jama'atu Ahlu Sunna Lidda'awati Wal Jihad ("Peuple engagé dans la propagation de l'enseignement du Prophète et du jihad"), connu aussi sous le nom de Boko Haram ("L'enseignement occidental est impur"). Certains de ses membres avaient fait partie des "talibans nigérians", un groupe resté marginal, et du reste sans contact avec l'Afghanistan, créé sur les bases d'un mouvement islamiste apparu deux décennies plus tôt à Kano, le Maitatsine.

Sous le commandement de Mohammed Yusuf, Boko Haram prend de l'ampleur, lance des attaques pour se financer et s'armer. En 2009, ils sont à la tête d'une petite insurrection dans la région de Maiduguri. La réplique des forces de sécurité est sévère. Sept cents à huit cents morts, de nombreuses exécutions de prisonniers, dont Mohammed Yusuf et deux de ses commandants.

Les survivants se replient vers les pays voisins, notamment le Tchad et le Niger. Avant de revenir en force. En 2010, Boko Haram reprend ses activités au Nigeria. Attaques de banques, de postes de polices. Mais aussi, désormais, attentats à la voiture piégée ou attentats suicides.

Au cours de l'année 2011, un climat insurrectionnel permanent s'installe dans les Etats du nord du pays. Dans l'intervalle, Boko Haram s'est sans doute scindé en plusieurs branches (de trois à cinq). L'un de ses principaux responsables est l'ex-numéro deux du mouvement, l'imam Abubakar Shekau. Un autre responsable, Alhadji Mamman Nur, est soupçonné d'avoir établi des relations avec le groupe Al-Chabab (la jeunesse), qui mène une insurrection islamiste en Somalie et revendique des liens avec Al-Qaida, avant de revenir au Nigeria où il serait le cerveau de l'attentat contre le siège des Nations unies, à Abuja, en août (24 morts).

Boko Haram semble aussi avoir tissé des liens avec les katiba (brigades) d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), qui évoluent autour du Sahara. Deux sources différentes qui ont été en contact direct avec l'une des katiba les plus radicales, celle d'Abou Zeid, affirment que des combattants nigérians faisaient partie du groupe présent dans le nord du Mali.

Jean-Philippe Rémy Article paru dans l'édition du 30.12.11
 

Les blogs