Edition spéciale | AFP/JOEL SAGET

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Certitudes et interrogations sur l'enquête des juges

LEMONDE | 18.05.06 | 13h39  •  Mis à jour le 19.05.06 | 09h14

 

Entre déclarations publiques et dépositions judiciaires, les protagonistes de l'affaire se sont plusieurs fois contredits, accroissant la confusion autour de l'enquête. Voici, résumées en quatre points, les certitudes et interrogations qui s'en dégagent.

EN QUOI DOMINIQUE DE VILLEPIN EST-IL IMPLIQUÉ DANS L'AFFAIRE ?

Commanditaire de l'enquête secrète du général Philippe Rondot sur les listings de Clearstream, le premier ministre apparaît comme le premier protagoniste à être informé de la manipulation en cours. Mais le cadre de son intervention est officieux et, surtout, son silence persistant devant les mises en garde répétées de l'officier fait planer un doute sur sa bonne foi.

Le 9 janvier 2004, lorsqu'il organise la rencontre, dans son bureau, de Jean-Louis Gergorin, vice-président d'EADS, et du général Rondot, M. de Villepin est ministre des affaires étrangères ; le respect de la convention de l'OCDE sur la corruption des marchés internationaux - qu'il a invoquée depuis pour justifier son initiative - est donc étranger à son champ de compétences, a fortiori s'il s'agit de vérifier la mise en cause de hauts fonctionnaires, d'industriels et de politiques français.

Il est par ailleurs acquis que M. de Villepin demanda au général de ne rendre compte que partiellement de ses investigations à Michèle Alliot-Marie - et que l'officier, en effet, dissimula une partie de ses informations à sa ministre de tutelle.

A lire les notes de M. Rondot saisies par les juges, M. de Villepin lui aurait, en outre, personnellement commandé des recherches touchant au monde politique (sur certains "réseaux tangentiels" et, à plusieurs reprises, au sujet de Nicolas Sarkozy). Si cette curiosité n'est pas fautive en soi, force est de constater que le résultat négatif des recherches de l'officier n'a pas servi à interrompre la mystification qui était en cours, ni avant ni après les premiers envois de listings au juge Van Ruymbeke.

S'il était avéré que l'insistance du ministre s'est prolongée - en demandant en juillet 2004 une enquête à la direction de la surveillance du territoire (DST) sur ces listings Clearstream - alors qu'il était clairement informé de la falsification des documents, voire de l'implication de M. Gergorin, M. de Villepin pourrait encourir l'accusation de "complicité de dénonciation calomnieuse".

QUEL RÔLE A JOUÉ L'INFORMATICIEN IMAD LAHOUD ?

Il est, d'après les enquêteurs, le "technicien", l'homme des basses oeuvres de Jean-Louis Gergorin, celui que ce dernier désigne dans son entretien au Parisien du jeudi 18 mai comme sa "source".

Le 7 octobre 2002, Imad Lahoud sort de prison, où il vient de purger 108 jours de détention provisoire pour une affaire d'escroquerie. Son frère, Marwann Lahoud, haut dirigeant d'EADS, le met en contact, lors d'un déjeuner le 8 octobre, avec M. Gergorin. Celui-ci le fait recruter chez EADS, en février 2003. Entretemps, il l'a présenté au général Rondot, qui l'a aussi recommandé à la DGSE.

Imad Lahoud a travaillé pour la banque d'affaires Meryll Linch, où il dit avoir géré les comptes de la famille Ben Laden. Il propose aux services secrets de récupérer des documents relatifs à Al-Qaida. Les opérations échouent, à trois reprises. La DGSE, assure M. Lahoud, l'envoie ensuite recueillir des listings de Clearstream chez l'écrivain Denis Robert. Il s'exécute, en mars 2003, et remet un cd-rom contenant des listes de comptes à son officier traitant, "Antoine". Il n'aurait plus jamais eu ce CD-ROM entre ses mains, dit-il. La DGSE le juge peu fiable et met fin à leur collaboration. Elle assure aujourd'hui ne pas avoir recruté, mandaté ou rémunéré M. Lahoud.

A partir de juillet 2003, M. Lahoud, qui travaille toujours chez EADS, est repris en main, directement, par le général Rondot. Même si le militaire s'en méfie, il le fait pénétrer le système informatique de Clearstream. Il prend du galon chez EADS, et devient directeur du centre de recherches de Suresnes (Hauts-de-Seine). Il vient de quitter ses fonctions, et est hospitalisé pour une "déprime" profonde.

NICOLAS SARKOZY EN SAVAIT-IL PLUS QU'IL NE L'A DIT ?

M. Sarkozy, qui n'a de cesse de se poser en victime dans ce dossier, assure qu'il a découvert l'affaire Clearstream en lisant Le Point du 8 juillet 2004. Une manière de couper court à toute accusation de manipulation de sa part.

Entendu le 9 mai en qualité de partie civile, le ministre de l'intérieur a précisé aux juges que le directeur de la DST l'avait informé "quelques jours avant la sortie de l'article du Point (...) que (son) nom était cité" dans le dossier - alors que l'hebdomadaire ne le mentionnait pas. Selon le directeur de son cabinet, Claude Guéant, M. Sarkozy - qui était alors ministre de l'économie - fut alerté "à la même époque" par le garde des sceaux, Dominique Perben, de sa présence sur les listings de Clearstream.

Le journaliste du Figaro Stéphane Denis a affirmé, pour sa part, lui avoir transmis un message du général Rondot, d'abord "à l'été 2004" par téléphone, puis le 1er avril 2005 lors d'une réception. Il lui aurait confié que l'enquête de M. Rondot l'innocentait entièrement.

M. Sarkozy le nie, assurant n'avoir découvert les conclusions de l'enquête de la DST qu'en juin 2005, après son retour à l'intérieur. En janvier 2006, constatant qu'il avait fallu quatorze mois pour que les commissions rogatoires internationales qui le disculpent soient versées au dossier, il s'est constitué partie civile.

L'ELYSÉE A-T-IL DONNÉ DES INSTRUCTIONS ?

Le président Jacques Chirac a démenti toute intervention dans cette affaire, de même que M. de Villepin. Comment, alors, interpréter la phrase attribuée à M. de Villepin par le général Rondot dans ses carnets : "Si nous apparaissons, le PR (président de la République) et moi, nous sautons" ?

Tout au long des notes prises par le général Rondot durant son enquête, l'Elysée apparaît à la manoeuvre. Le 21 janvier, le général Rondot revient d'un rendez-vous avec Philippe Marland, directeur du cabinet de Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. "En parler au MD (ministre de la défense) ? Le PR (président de la République) voulait un traitement direct avec D de V (Dominique de Villepin) à son seul niveau".

Le 28 janvier, il fait à nouveau état "d'instructions du PR" et précise : "Avertir MAM (Michèle Alliot-Marie) (le voit cet après-midi)." Deux jours plus tard, colère de la ministre : "MAM a très mal pris la décision du PR que je traite en direct cette opération sans lui rendre compte." Puis, le 19 juillet 2004 : "Je mets en garde sur les retombées négatives que cela peut avoir sur le PR."

Gérard Davet et Hervé Gattegno Article paru dans l'édition du 19.05.06
 

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