Économie

Crise financière : Lehman Brothers en liquidation, Merrill Lynch rachetée

Le Monde | • Mis à jour le | Par

Deux ouragans ont ravagé les rivages américains durant le weekend. Ike s'est abattu sur le Texas. Celui qui dévaste Wall Street ne porte pas encore de nom. Samedi 13 et dimanche et 14 septembre, les patrons des principales banques d'affaires et de dépôt et de grands fonds d'investissement américains, dont certains ne cherchaient plus à masquer leur effroi, ont défilé dans les locaux newyorkais de la Fed (Réserve fédérale, banque centrale américaine) pour être reçu par Henry Paulson, le secrétaire américain au Trésor, et les plus hauts responsables de son ministère.

Le motif de ces réunions en cascade dépassait de très loin le seul sauvetage de la banque d'affaires Lehman Brothers, menacée d'effondrement après avoir perdu 95 % de sa capitalisation depuis son plus haut, en 2007 (et 75 % sur la dernière semaine). Son homologue Merrill Lynch, AIG, l'ex-numéro un mondial de l'assurance et la première caisse d'épargne américaine, Washington Mutual, sont désormais eux aussi happés par un "typhon financier" d'une dimension que l'ancien président de la Fed, Alan Greenspan, juge ne se produire "probablement qu'une fois par siècle".

Lehman Brothers en liquidation judiciaire

A l'issue de deux jours d'incessants rebondissements, le sort de Lehman Brothers est scellé. La banque devait être placée en liquidation judiciaire lundi 15 septembre. La direction de cette institution vieille de 158 ans a annoncé, lundi matin, qu'elle allait se déclarer en faillite dans la journée, "afin de protéger ses actifs et de maximiser sa valeur".

Toutes les tentatives du trésor américain pour dégager une solution de sauvetage ont échoué. Bank of America (BofA) a renoncé la première. Dimanche après-midi, le patron de l'autre candidat à la reprise, le britannique Barclays, se retirait également. Il avait, comme BofA, cherché à obtenir un engagement public dans les mêmes conditions que celles offertes il y a six mois lors de l'acquisition de la banque Bear Stearns par JP Morgan, soit un financement global du rachat par l'Etat. Jusqu'au bout, M. Paulson s'y est refusé, comme il l'avait fait dès vendredi.

Une banqueroute de Lehman Brothers serait la plus importante de l'histoire financière américaine. Placée sous contrôle judiciaire, sa liquidation posera d'innombrables problèmes. La banque disposait, fin mai, de 640 milliards de dollars d'actifs, mais personne ne sait quel volume de titres "pourris" elle détient, ni quelle est son exposition aux contrats dit CDS (credit default swaps).

Dès les rumeurs sur l'échec de sa reprise, les traders se sont précipités à leurs bureaux, à Wall Street, pour trouver des montages permettant de renégocier ces titres. L'ISDA (International Swaps and Derivatives Association), qui regroupe les grands acteurs mondiaux opérant sur les produits "dérivés", a lancé un appel en urgence à l'Etat américain pour autoriser la négociation de gré à gré, par exemple, entre un trader qui aurait acquis des "swaps" chez Lehman et une autre banque qui lui aurait vendu des titres identiques.

La liquidation de Lehman Brothers pourrait induire des risques majeurs. Un effondrement général de la valeur des titres "dérivés" notamment. Ou encore une accélération majeure de la crise de l'immobilier aux Etats-Unis, ses avoirs, très importants dans ce domaine, étant revendus au rabais pour financer le remboursement des créanciers. Toutes les valeurs immobilières détenues par Wall Street pourraient en subir la conséquence, qui se répercuterait sur leurs bilans. Troisième risque : une extension internationale qui verrait des pans entiers de l'activité financière réduits à néant.

"Le cours normal de la finance, c'est qu'il y a des gagnants et des perdants", a expliqué M. Greenspan, dimanche sur la chaîne ABC. Les pouvoirs publics, a-t-il ajouté, ne "peuvent pas placer un filet de sécurité sous toutes les sociétés financières qui s'effondrent".

Il a laissé entendre qu'il y en aurait inéluctablement d'autres. Il a surtout jugé qu'étant donné "le degré jamais connu d'interconnexion à l'échelle internationale", la stabilisation des marchés exigera de passer par "une série d'événements dans le monde entier".

Bank of America rachète Merrill Lynch

Une fois l'option Lehman Brothers abandonnée, Bank of America (BofA), deuxième banque de dépôt américaine, a donc jeté son dévolu sur Merrill Lynch, à court de liquidités après avoir perdu 57 milliards de dollars depuis l'été 2007. Une offre de rachat a été rendue publique lundi : BofA va racheter sa compatriote pour 50 milliards de dollars.

Cette transaction, qui a été validée par les conseils d'administration des deux entreprises, reste soumise au feu vert des actionnaires puis recevoir à celui des autorités de contrôle des marchés financiers. Elle devrait être finalisée au premier trimestre 2009 et donner naissance à la première institution financière mondiale (plus de 20 000 gestionnaires de comptes et 2 500 milliards de dollars d'actifs à gérer).

"Acquérir l'une des premières compagnies de gestion de fortune, de transaction de capitaux et de conseil est une grande opportunité pour nos actionnaires", a commenté Ken Lewis, le PDG de BofA, dans un communiqué. Merrill Lynch est la troisième banque d'affaires de Wall Street, derrière Goldman Sachs et Morgan Stanley, mais devant Lehman Brothers.

AIG

L'ex-numéro un mondial de l'assurance, qui est parvenu à lever plus de 20 milliards de dollars en huit mois, avait besoin de trouver très rapidement 30 milliards supplémentaires pour rester à flot (son action avait plongé vendredi de 31 %). Il s'apprête à se séparer de plusieurs activités, notamment sa filiale International Lease Finance Corporation (ILFC), numéro un mondial du leasing aéronautique, qui gère une flotte de plus de 900 avions - le plus gros client d'Airbus et de Boeing.

AIG serait aussi en discussion avec des fonds d'investissement pour obtenir plus de 10 milliards de dollars supplémentaires, selon le Wall Street Journal.

Un fonds "anti-faillite"

Dimanche soir, un consortium réunissant des banques américaines (Bank of America, Citibank, Goldman Sachs, JPMorgan Chase, Merrill Lynch, Morgan Stanley) et européennes (la britannique Barclays, l'allemande Deutsche Bank et les suisses Crédit Suisse et UBS) a annoncé la création d'un fond d'emprunt d'urgence, doté de 70 milliards de dollars, afin de venir en aide aux établissements en difficulté. Chacune de ces banques apportera 7 milliards de dollars et pourra obtenir jusqu'au tiers du montant du fonds en cas de difficultés de refinancement,

De son côté, la Fed autorisera temporairement les banques à emprunter en apportant des titres risqués et difficilement vendables, afin d'atténuer le choc de la probable disparition de Lehman Brothers.

 

"Les mesures que nous annonçons maintenant, ainsi que les engagements significatifs du secteur privé (annoncés par un groupe de dix grandes banques), sont conçus pour atténuer les risques potentiels et les perturbations du marché", a souligné le président de la Réserve fédérale Ben Bernanke.