Le sous-marin "Koursk", victime de négligences multiples

'en brûle de honte pour la flotte russe. " C'est ainsi que l'amiral à la retraite Iouri Senatsky a commenté les conclusions de l'enquête sur les circonstances du naufrage du sous-marin Koursk, envoyé par le fond le 12 août 2000 par l'explosion accidentelle d'une torpille, tuant les 118 membres de l'équipage qui se trouvaient à bord. Le procureur général, Vladimir Oustinov, a annoncé à l'issue de son enquête que, si de nombreuses défaillances avaient été constatées, personne ne serait poursuivi en justice : les erreurs étaient en somme jugées trop nombreuses pour qu'une responsabilité précise puisse être établie.

Ce drame qui a bouleversé la Russie paraissait relégué aux oubliettes. Mais, deux ans après, une autre catastrophe militaire, celle d'un hélicoptère MI-26 écrasé en Tchétchénie, a fait tout autant de morts (118 personnes), ravivant le débat sur l'état de déliquescence des forces armées russes. Vladimir Poutine a cherché à circonscrire les retombées de ce dernier épisode en tançant, devant les caméras de télévision, son ministre de la défense, Sergueï Ivanov, pour que "de telles tragédies ne se reproduisent pas". Le président russe a ensuite dénoncé, lors de manoeuvres militaires en Sibérie, "la non-exécution des ordres, l'irresponsabilité et la négligence" parmi les militaires, ce qui "porte gravement atteinte au prestige de l'armée dans la société".

C'est dans ce contexte que le journal officiel russe Rossiskaïa Gazeta a publié le 29 août sur quatre pages - sous le titre "Un secret nuisant à l'Etat" - de larges extraits du rapport final sur le naufrage du sous-marin nucléaire. Le tableau dressé, s'il n'apporte aucun élément nouveau sur les origines de la catastrophe, se lit comme un réquisitoire contre les dérives au sein de l'armée russe, avec en ligne de mire l'un de ses "fleurons", la flotte du Nord.

On apprend ainsi que des "fuites" ont été relevées sur d'autres sous-marins, en 2000 et 2001, sur des torpilles semblables à celle que transportait le Koursk . Les garnitures de joints en matière plastique dont ces torpilles sont dotées n'étaient pas régulièrement remplacées, comme l'impose le règlement. De même, les documents attestant de la préparation de l'équipage chargé des torpilles, ainsi que de l'état de certains équipements sur le "Koursk", portaient "des signatures non conformes", ce qui laisse entendre que les papiers étaient contrefaits.

UNE "DÉCISION ERRONÉE"

Autre défaillance, la capsule de signalisation en cas de naufrage, qui aurait dû être projetée vers la surface de la mer, n'a jamais été décrochée. "Ces capsules n'ont jamais bien fonctionné, commente un ancien officier cité dans l'article. Par le passé, il est arrivé qu'elles partent toutes seules. Sur certains bâtiments, on avait fini par les souder." Neuf heures se sont écoulées avant que l'alerte ne soit donnée sur la disparition du submersible, et il fallut trente et une heures pour localiser le bâtiment, à 110 mètres de fond.

Pourtant, le navire amiral Pierre - le-Grand se trouvait à proximité au moment du sinistre, avec à son bord le commandant de la flotte du Nord, Viatcheslav Popov, qui donna au contraire l'ordre de s'éloigner ! "Une décision erronée", commente sobrement la Rossiskaïa Gazeta, ajoutant que "la direction de la flotte a failli dans sa tâche de préparation des équipes à des opérations de sauvetage". Renvoyé de la marine, l'amiral Popov est aujourd'hui sénateur, représentant de la région de Mourmansk au Conseil de la Fédération. Un sondage effectué le jour de la publication de l'article montre que, pour 66 % des Russes, les autorités ont tout fait pour protéger les coupables.