LeMonde.fr
Recherchez
depuis
sur Le Monde.fr Yahoo!
» Recevez les newsletters
gratuites

Le Bhoutan, royaume étrange, irréel, improbable

LE MONDE | 26.05.05 | 17h34  •  Mis à jour le 08.06.05 | 11h40
Ce petit pays de l'Himalaya, longtemps replié sur lui-même, s'ouvre lentement aux visiteurs, amateurs de trekking ou passionnés par le bouddhisme.  | Erick Bonnier/Optimum Ce petit pays de l'Himalaya, longtemps replié sur lui-même, s'ouvre lentement aux visiteurs, amateurs de trekking ou passionnés par le bouddhisme.

Erick Bonnier/Optimum

Augmentez la taille du texte
Diminuez la taille du texte
Imprimez cet article
Envoyez cet article par e-mail
Recommandez cet article
Citez cet article sur votre blog
Classez cet article
Réagissez à cet article
Kuenga rêve. Sur les murs du restaurant qui porte son nom - nappes à carreaux blanc et vert, néons, ventilateur -, la photo du roi, Jigme Singye Wangchuk, quatrième de la dynastie, et celle du prince héritier, beau comme un jeune premier d'un film de Bollywood. Elle a 23 ans, est née, vit et tient commerce à Wangdue-Phodrang, un bourg au centre du Bhoutan, ce royaume étrange, irréel, presque improbable, coincé dans l'Himalaya entre Chine et Inde. Elle dit que le roi est aimé par son peuple et par ses quatre épouses officielles, quatre soeurs ayant rang de reine.


Carnet de route

Repères. Le Bhoutan (46 000 km2, 650 000 habitants) est composé des hauts sommets de l'Himalaya au nord, de vallées au centre (climat semi-tropical) et d'une étroite plaine au sud (climat tropical avec mousson). Dans les villes et dans les bourgs, l'anglais est fréquemment utilisé.

La monnaie est le ngultrum (40 ngultrums = environ 1 euro). Les cartes de crédit sont peu utilisées, mais les hôtels effectuent le change (dollar ou euro).

Circuits
Lire

Elle rêve de partir, pas à la capitale, Thimphou, où « la vie est trop chère », mais aux Etats-Unis d'Amérique. Au Bhoutan, la télévision n'est arrivée qu'en 1999 et, depuis, Kuenga, comme beaucoup, est fascinée par ces ailleurs. Là-bas, elle veut seulement gagner « beaucoup d'argent », et puis revenir dans son pays, celui de ses traditions et « où on vit si calmement ».

Calme, tranquille, presque au ralenti, le Bhoutan ressemble à une peinture naïve. Dans les vallées, les maisons ont des fenêtres de bois sculpté, les terrasses sont cultivées comme des jardins potagers, des rivières claires serpentent entre des pierres et, au-dessus des yeux, des sommets enneigés. Parfois, un monastère comme celui de Taktsang ( « la tanière du tigre » ), pendu à la façade noire de la montagne.

En bas de la falaise, un homme balaie la route, entre de longues pauses méditatives à l'ombre de ses pensées. Arrive à pied un groupe de femmes aux cheveux courts, enroulées dans leur kira, les robes traditionnelles. Elles espèrent vendre quelques babioles aux touristes qui ont le courage de grimper.

Mais ils sont rares, les touristes, au Bhoutan, 9 000 en 2004. L'octroi de 200 dollars par jour imposé par le gouvernement à tout visiteur y est sûrement pour quelque chose. Même si cette taxe est un « forfait tout compris » : hôtel, repas, voiture et guide. Ceux qui viennent ont le goût des marches par des chemins inconnus et superbes ; ou le goût des marches qui mènent aux dzong, ces lourdes bâtisses à la fois monastère et lieu de l'administration royale. Ces forteresses furent élevées pour se protéger des envahisseurs potentiels.

Dans leurs cours s'égaillent de très jeunes garçons promis à un avenir de moine. En attendant leurs 18 ans, l'âge du choix entre vie monacale et vie tout court, ils jouent, c'est la récréation, jets d'eau, cache-cache, espiègleries de l'enfance.

Entre tous, le dzong de Punakha est une icône. Il a été construit au XVIIe siècle pour y protéger une relique, les vertèbres du fondateur de l'école bhoutanaise du bouddhisme. Demain, jeudi 17 février, le neuvième jour du premier mois de l'année lunaire, Punakha fera la serda, la grande procession.

Kuenga ira peut-être. La route est longue, longue de lacets, de pierres tombées de la montagne, de nids de poule, de ravins vertigineux et sans parapet. Et quand un cortège royal roule à toute allure, il est d'usage de se garer immédiatement sur le bas-côté.

A Punakha, le dzong a été bâti au confluent des rivières Pho et Mo. Dhoorjay n'empruntera pas la passerelle qui chancelle au-dessus de l'eau. Pour s'approcher de la forteresse, tout Bhoutanais doit porter la tenue traditionnelle, le go, sorte de kimono rayé de marron comme une robe de chambre. Lui est en jean et blouson de jogging. Cet étudiant de 22 ans aspire à réussir le concours qui lui permettra de poursuivre ses études en Australie. Après, il reviendra pour travailler à la capitale, enfin s'il trouve du travail.

De l'autre côté de la passerelle une kermesse s'est installée, baraques de bambou pour se restaurer sur le pouce, boire un thé noir ou une Red Panda, la bière bouthanaise, et stands de jeux : fléchettes, massacre, pêche à la ligne, tir à l'arc ou porté de sacs...

Des femmes aux petits chapeaux pointus demandent à être photographiées : elles sont d'un village proche de la frontière tibétaine, Laya, à trois ou quatre jours de marche.

Les voilà déçues que le visiteur ne possède qu'un appareil argentique : elles préfèrent les numériques, parce qu'elles se voient dans la photo.

Le froid tombe. Pour se réchauffer, hommes et femmes mâchent et remâchent la doma : un bout de noix d'arec recouvert d'un peu de chaux et enrobé d'une feuille de bétel. Cette chique dégage une odeur pestilentielle. Pour ceux qui dormiront à la belle étoile la doma adoucira peut-être les frimas de la nuit.

Le lendemain se lève tôt. Le dzong est sur le pied de guerre. Il ne s'agit pas moins que de reconstituer la fameuse bataille du milieu du XVIIe siècle qui a permis de repousser les Tibétains qui voulaient s'emparer de la précieuse relique. Cela commence par un long prêche du je khenpo, première figure religieuse du pays, sur ses troupes alignées dans la cour. Puis la bataille est lancée, avec cris et pétards, et quelques bataillons partent à l'assaut derrière des officiers à cheval.

Deuxième temps, le je khenpo mène une longue et lente procession colorée au milieu de la foule, pour jeter des oranges dans le fleuve : c'est là que les Tibétains se noyèrent, emportés par la forcedes courants et le poids de leur armure.

Le je khenpo rentre dans son dzong. Le bon peuple déjeune sur l'herbe. Kuenga est de ceux-là, elle a finalement fait le chemin, laissé son restaurant à sa mère. Elle rit, « c'est une belle journée », dit-elle. Belle de lumière et belle de l'idée que, une fois encore, le Bhoutan a su se préserver de l'ennemi extérieur.

Un moine drapé de rouge et un soldat en tenue de combat marchent main dans la main. Deux jeunes hommes s'en vont, traversent la passerelle, mettent des casques, retroussent leur go et enfourchent une moto japonaise. Ils rentrent plein gaz à Thimphou.

Leur route passe par la brume du sommet du col Ducha (3 040 mètres) et sa boutique, pour se réchauffer d'un thé et acheter des souvenirs authentiques mais chers. Au mur, les portraits des rois. Et un masque dont le nez est un phallus et la bouche une vulve.

Les Bhoutanais vouent un culte à Drukpa Kinley, un lama égrillard, un sacré gaillard dont les performances sexuelles auraient été sans limite. Des sexes masculins triomphants sont souvent peints sur les façades des maisons, ou taillés dans du bois et plantés dans les jardins. Ces représentations chasseraient les démons.

On en voit moins à Thimphou. C'est que la capitale commence à changer, avec le long des rues des immeubles de quatre étages, toujours dans l'esprit de l'architecture bouthanaise mais sans la tradition. Thimphou, 50 000 habitants, son marché, ses restaurants pour randonneurs, ses cafés Internet et ses boîtes de nuit. Comme le 34, où résonnent les lourds tempos des rythmes internationaux. La jeunesse y écrase ses mégots dans des cendriers pleins.

Pourtant le Parlement a voté, en décembre 2004, une loi qui taxe lourdement (100 % de la valeur) toute importation de cigarettes. Deux mois plus tard, les Bhoutanais fument encore. Même de hauts fonctionnaires ont toujours un paquet, de marque américaine, dans un repli de leur go. Ils assurent, avec un zeste de sourire, qu'il provient de stocks constitués avant la loi.

Les jeunes du 34 préfèrent les Navy Cut, des cigarettes indiennes grandes comme des allumettes, vendues en paquet de dix : « C'est facile de s'en procurer, raconte une étudiante. Il suffit d'aller dans les magasins connus. »  Un code, simple comme bonjour, permet la transaction. Seul souci, le coût : de 10 ngultrums, les Navy Cut sont passées à 40, soit environ 1 euro. Le prix de la contrebande à la frontière sud entre Bhoutan et Inde.

Quand, vers 1 heure du matin, trois policiers débarquent pour signaler aux patrons du 34 qu'il faut éteindre les lumières, ils laissent aux clients le plaisir d'en griller une dernière. Dehors, il fait nuit froide. Les chiens se livrent à de bruyantes agapes autour des poubelles. Le jour, ils dorment sur les trottoirs, au soleil, bercés par la mélancolie du temps qui passe si lentement au Bhoutan.

Bruno Caussé
Article paru dans l'édition du 10.03.05.
Abonnez-vous au Monde à -60%
Réagissez à cet article
Classez cet article
Citez cet article sur votre blog
Recommandez cet article
Imprimez cet article
Envoyez cet article par e-mail
Parmi les articles précédents
  | Bilan du Monde
Fiche pays
Bhoutan
Chef de l'Etat : Jigme Khesar Namgyel Wangchuck
Premier ministre : Lyonpo Kinzang Dorji (Jigmi Thinley élu en mars 2008)
Capitale : Thimphou
Superficie : 47 000 km2
Population (hab.) : 0,8 million
Densité : 17 hab./km2
Croissance (2007-FMI) : 22,4 %
Chômage (2004-CIA) : 2,5 %
Monnaie : ngultrum (0,0159231 €)
'); document.write('
'); document.write('

VOS OFFRES D\'EMPLOI

'); document.write(' '); document.write('
Toutes les offres'); document.write('
'); } }