09 juillet 2011 | Mise à jour 01h30 Le Point

Le Point.fr - Publié le 06/04/2001 à 19:59

« Lobby juif » la polémique

Lettre ouverte des amis de Mitterrand

Nous avons tous connu François Mitterrand. Certains d'entre nous pendant la Résistance. D'autres durant ces longues années de reconstruction de la gauche socialiste, où nul courtisan ne jugeait utile de le fréquenter. Parmi nous il y a des juifs, des catholiques, des qui croient au Ciel et des qui n'y croient pas. Mais tous nous croyons en des valeurs toutes simples qui furent, depuis toujours, celles pour lesquelles ont combattu et sont morts ceux qui portaient la République au coeur. Elles se nomment justice, vérité, fidélité, compassion, fraternité, liberté. Quelques-uns ont travaillé avec lui, avant ou après mai 1981. Un petit nombre peut s'honorer du nom d'ami, mais tous peuvent se flatter d'avoir eu avec l'homme, le premier secrétaire du PS ou le président de la République des rapports fondés sur le respect réciproque, la liberté de parole et la communauté d'idéal.

C'est pour cela, c'est-à-dire pour rester fidèles à nous-mêmes, et pas seulement en mémoire d'un homme si ignoblement attaqué après avoir été si servilement flatté (et souvent par les mêmes hommes), que nous réagissons aujourd'hui. La publication par l'hebdomadaire Le Point d'extraits du livre de Georges-Marc Benamou, assortis d'un article de présentation qui soulève le coeur, est plus que nous ne pouvons supporter. Nous n'hésitons pas à dire que les rencontres tardives que François Mitterrand a pu avoir avec René Bousquet ont choqué certains d'entre nous. Mais faire de lui un antisémite, un nostalgique de Vichy et « la figure centrale » d'un réseau d'anciens collabos démontre une méconnaissance totale de sa personnalité, de son histoire personnelle, comme de ce qu'il pensait et disait de cette période.

Il a vécu la guerre et l'Occupation en prenant bien plus de risques que d'autres qui le jugent aujourd'hui avec des certitudes forgées cinquante ans plus tard, dans le confort des salons parisiens. La peinture d'un Mitterrand « accouru de son stalag » pour jouir des délices vichyssois - tel que le décrit l'auteur de l'article - pourrait faire rire, en songeant aux trois évasions tentées par François Mitterrand au péril de sa vie, avant de regagner la France, si cette volonté délibérée de salir n'était insupportable.

Déjà, ceux qui avaient assisté au dernier réveillon de François Mitterrand, quelques jours avant sa mort, savaient bien que, trop épuisé par la douleur, il n'avait rien pu avaler de cet ultime repas. Benamou, sans vergogne, n'avait nullement été gêné de le décrire dévorant goulûment un ortolan. Anecdotique ? Le problème, pour les lecteurs de Benamou, c'est que tout est de la même veine. Pour vendre, il faut faire scandale. Fût-ce sur le dos d'un mort à qui l'on dispensait, de son vivant, courbettes, flatteries et servilité. Si nous, qui signons cette lettre, avons un reproche amer à faire à François Mitterrand, c'est d'avoir pu supporter auprès de lui des gens si méprisables. Quand nous lui en faisions la remarque, il avait un geste agacé de la main. Il n'était pas dupe, seulement indifférent. Nous, nous ne parvenons pas à l'être. Alors, après nous être tus, trop longtemps, nous voulions le dire. François Mitterrand n'était pas l'homme que Benamou cherche à salir pour des raisons que nous lui laissons traiter avec sa conscience. S'il en a une .

Signataires : Général Pierre de Bénouville, Georges Beauchamp, Jean-Louis Bianco, Edmonde Charles-Roux, Irène Dayan, Danièle Delorme, Rémi Dreyfus, Kathleen Evin, Jean Glavany, Stéphane Hessel, Jean Lacouture, Jean et Ginette Munier, Jeannine Tillard, Dina Vierny.

La réponse de Georges-Marc Benamou

Je suis très étonné à la lecture de ce texte-pétition. Je découvre qu'il a été signé par quelques personnages respectables. Concernant les injustices faites à François Mitterrand, je serais même prêt à souscrire à certains de leurs propos, si le procès qui m'est fait là n'était insultant et aberrant. Pour la simple raison qu'aucun de ces pétitionnaires n'a lu mon livre, qui n'était pas en librairie. Comment peut-on brûler un livre que l'on n'a pas ouvert ? Comment peut-on l'attaquer - ce qui est concevable - sans en avoir pris connaissance ? C'est, hélas, le cas.

Où a-t-on pu lire, ou même croi-re, que j'ai laissé penser que Mitterrand était un « antisémite » ? Au contraire, ce livre est né en réaction à l'« affaire du lobby juif » dévoilée en 1999 par Jean d'Ormesson. J'en ai entrepris la rédaction pour combattre ce préjugé, il suffit de me lire. Voici deux extraits.

« Si les propos rapportés par Jean d'Ormesson sont incontestables, ils étaient adressés à quelqu'un, étranger à une histoire de famille, qui aurait attrapé à la volée un mot malheureux. Il faut savoir qu'entre Mitterrand et les Juifs ce fut une histoire intense, excessive, passionnée jusqu'à l'obsession. Il était l'ami des Juifs et les Juifs l'aimaient - piège du philosémitisme... »

« Mitterrand fut cet "ami des Juifs" » qui donna l'impression qu'après les années du silence d'après-guerre la France les "reconnaissait". J'emprunte à Claude Lanzmann la métaphore de la "reconnaissance". Il y eut, depuis l'infâme statut de 1940, deux hommes qui comptèrent pour les Juifs français : Jean-Paul Sartre et, à sa manière, François Mitterrand. »

En revanche, comment nier qu'entre François Mitterrand et la communauté juive les relations amicales, intenses, passionnées butèrent sur deux écueils ? En 1989, une première déchirure se produit à la suite de l'invitation de Yasser Arafat en France. Les historiens les plus sérieux en attestent.

Une seconde déchirure se produisit en 1992, lors du 50e anniversaire de la commémoration du Vél'd'hiv, quand Mitterrand se rendit à cette cérémonie accueilli par des manifestations violemment hostiles. C'est alors que commence une « guerre de la mémoire » qui opposera, c'est indiscutable, une partie de la communauté juive, des intellectuels et des jeunes à la « vieille mémoire française », incarnée par François Mitterrand. Cette guerre de la mémoire fut violente, parfois caricaturale par son schématisme, et souvent injuste à l'endroit de François Mitterrand. Je le dis, je le décris. Et je persiste.

Comment nier que Vichy compta pour le jeune Mitterrand ? Le président lui-même, à la fin de sa vie, l'admettait, en parlait, ne le contestait pas. Une histoire officielle gaulliste a longtemps occulté la vérité sur Vichy. Il y eut à Vichy, et pour l'essentiel dans les milieux maréchalistes, un fort courant antiallemand.

Mitterrand fut de ce Vichy-là. Il appartint à une famille de résistants méconnue mais que les historiens contemporains, en particulier Jean-Pierre Azéma, ont distinguée : les vichysto-résistants. Il est incontestable que Mitterrand fut, dès Vichy, un antigaulliste de droite qui, sous la IVe République, se transforma en un antigaulliste de gauche. Dans le « bloc Mitterrand », il y a Vichy.

Et puis, il y a Bousquet. Je n'ai été choqué ni par Vichy ni par sa tendresse pour Pétain, que Péan révélait en 1994, ni même par ses colères contre Klarsfeld.

En revanche, il y eut, du vivant de Mitterrand, un violent désaccord entre nous sur la question de Bousquet, alors que nous rédigions les « Mémoires interrompus ». Elle fut si publique, du vivant de Mitterrand, que Favier et Rolland-Martin la racontent dans leur ouvrage de référence. Cette « brouille » entre nous se situa à la fin de 1995. Je lui dis alors, et après d'innombrables conversations, mon désaccord devant le refus de sa responsabilité de s'expliquer. Cela non plus, je ne le renie pas.

A chacun son Mitterrand.

Celui que j'ai vu, et décrit, était un vieil homme cerné. J'avais pour lui de la tendresse, et avec lui des désaccords, ceux qu'on peut avoir avec un grand-père entouré de ses fantômes. Mitterrand, c'était la France, la « complexité française ». Cette « complexité » est-elle indicible ? Inaudible ?

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