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Marc Moulin s'en est allé

THIERRY COLJON

mardi 30 septembre 2008, 19:32

LE MUSICIEN, homme de médias et touche-à-tout de génie, est mort d'un cancer à l'âge de 66 ans. Le compositeur belge laisse derrière lui une œuvre abondante.

Marc Moulin s'en est allé

Hommage

"C'est avec une profonde tristesse" que le président du parlement francophone bruxellois, Christos Doulkeridis, a appris mardi le décès de Marc Moulin.

"Marc Moulin était un artiste aux multiples talents et à l'imagination débordante. Et ce n'est pas un hasard si cet être d'exception a pu séduire plusieurs générations. Intellectuel respecté et en avance sur son temps, compositeur reconnu sur la scène internationale, Bruxelles a perdu un ami fidèle et un créateur inspiré qui nous a passionné tout au long de sa très riche carrière", affirme M. Doulkeridis, qui souligne aussi qu'on retiendra "la générosité naturelle et le franc-parler qui caractérisait tant cet amoureux de Bruxelles".

"Le parlement francophone bruxellois adresse ses plus sincères condoléances à la famille et aux proches de Marc Moulin", dit encore le communiqué publié mardi.

Marc Moulin est décédé ce vendredi 26 septembre, des suites d'un cancer de la gorge. Il avait 66 ans. Afin de respecter ses dernières volontés, ses funérailles se sont tenues, mardi au cimetière d'Ixelles, dans la plus stricte intimité. Ainsi s'en va discrètement, sur la pointe des pieds, un homme sensible dont on retiendra l'élégance et l'humilité. Même s'il a touché à l'écriture et au théâtre, on gardera de Marc Moulin le souvenir d'un grand musicien et d'un homme de radio exceptionnel. Rien qu'en cela, il a touché plusieurs générations de personnes séduites par son esprit fin, sa culture aussi vaste que n'étaient humbles sa façon de vous la communiquer et surtout cet humour pince-sans-rire distillé en privé, au Jeu des dictionnaires et à la Semaine infernale (qu'il a lancés, sur la Première, avec Jacques Mercier), ou dans ses Humoeurs pamphlétaires hebdomadaires de Télémoustique.

Certains l'ont découvert par le biais de ses premiers concerts de jazz dans les années 70, avec Philip Catherine qu'il produisit ou au sein de Placebo qu'il fonda. D'autres ont appris ce qu'était la bonne musique en l'entendant dans des émissions de la RTBF comme Cap de nuit, King Kong, Radio Crocodile et surtout, le week-end, Radio Cité (de 1978 à 1986). Et puis il y a ceux qui ont craqué pour Telex, ce concept électro-BD typiquement belge. Sans oublier ceux qui ignorent encore que Marc fut impliqué dans les meilleurs albums de Lio et d'Alain Chamfort. Enfin, il y a tous ceux qui, de par le monde, ont craqué pour ses trois albums Blue Note qui mêlaient jazz, soul et électronique. Nous avons tous un peu de Marc dans nos souvenirs de jeunesse.

Marc a marié à la perfection ses deux passions : la musique et le son, innovant avec la bande FM pour Radio Cité. Ses émissions étaient une vraie mine d'or pour tous ceux qui s'intéressaient à la musique. Marc avait le chic pour toujours trouver des imports introuvables chez nous, pour se passionner pour des musiques méconnues qu'il aimait tant partager avec le plus grand nombre. Musiques noires, musiques métissées, à l'image d'un Miles Davis qu'il vénérait.

Issu d'une famille d'intellectuels (le papa, Léo Moulin, est écrivain et enseignant ; la maman, Jeannine Moulin, est poétesse), Marc n'a cessé au cours de sa longue carrière de marier l'élitiste au populaire, de mettre à la portée de tout un chacun un art dit cérébral (le jazz) à une musique dite populaire (la chanson, la soul ou la musique électronique). Un jeu radiophonique ou télévisé se devait d'être aussi éducatif. Avec Moulin, le divertissement se doit d'être intelligent, jamais bête, parfois mordant, jamais vulgaire.

Un homme de l'ombre

Marc Moulin, c'était la classe à l'état pur, alliant discrétion, pudeur (ah, cette main dont il se couvrait le bas du visage quand il riait…), bon goût et raffinement. Marc était un homme de l'ombre, préférant la radio à la télévision, se cachant au sein de Telex comme sur ses pochettes de disques. Top secret n'a pas ouvert pour rien sa trilogie Blue Note.

Par ses choix musicaux, ses exigences morales et son humour dévastateur, Marc a influencé bon nombre de journalistes musicaux. Marc était une référence, un modèle. Combien de voix n'a-t-il révélé, grâce à cette oreille et ce flair exceptionnels ? Ils sont nombreux, à la RTBF, à lui devoir leur début de carrière. Jamais, Marc ne s'en enorgueillit. Il avait le chic pour tirer le meilleur de vous, guidant, conseillant, rassurant. Nous étions nombreux à l'appeler pour lui demander son avis. Il était toujours fidèle au rendez-vous. Sa présence chaleureuse nous a aidés à avancer. Ses marques d'intérêt valaient tous les diplômes.

Marc était un grand esprit, un homme de réflexion plus que d'impulsion. Tout, chez lui, était prétexte à concepts. Son essai La surenchère (L'horreur médiatique) (paru chez Labor en 1997) était visionnaire d'une société qui n'avait pas encore inventé la télé-réalité. La politique l'horripilait à tel point qu'il en fit le menu principal de ses Humoeurs dont deux recueils compilatifs ont paru chez Luc Pire. Des chroniques qu'il écrivait de chez lui, dans la maison familiale d'Ixelles. Casanier, il dévorait les médias (Le Monde et Le Soir, sur papier et sur le web), avec la complicité de son épouse Laurence, à qui nous pensons beaucoup, ainsi qu'aux enfants Denis et Corinne.

C'est par l'intermédiaire du papa de Laurence, Billy Fasbender, directeur du Théâtre National et du Festival de Spa, que Marc s'intéresse sur le tard au théâtre. Et encore, pas n'importe lequel. Celui de la Toison d'or qui est au théâtre classique ce que Telex est au rock et Lio à la chanson. Une fois de plus, le mariage entre le sérieux et l'humour, cette façon de ne pas y toucher tout en abordant l'essentiel. L'humour à la rescousse du désespoir. Autant en rire…

Aujourd'hui, on pleure l'ami fidèle. Celui qui était toujours là aux étapes importantes de notre vie. Discret mais présent. Combien de mots gentils, de mails encourageants, de folles discussions toujours tempérées de bons mots et d'éclats de rire. Marc Moulin s'en est allé, nous laissant nous dépatouiller avec cette Belgique moribonde, ce siècle aux grandes idées mortes, cette actualité déprimante. Et maintenant, qui nous fera rire et penser ? Restent ses amis proches, Geluck et Kroll. Chargés de perpétuer son œuvre, à sa mémoire. Lourde tâche.

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