Alain Souchon. Mélancolique et farfelu
Pour une fois, ce n'est pas en voilier mais sur scène qu'Alain Souchon vient faire escale en Bretagne. Samedi à Morlaix et dimanche à Vannes, le chanteur laissera les foules sentimentales sous le charme.
Après cinq années de silence, Alain Souchon a publié son onzième album en septembre dernier. Son titre, « La Vie Théodore », rend hommage à l'inlassable chercheur-voyageur Théodore Monod, décédé en 2000 à l'âge de 98 ans.
Quant à l'extrait le plus diffusé du disque, « Et si en plus y'a personne », il interroge sur un sujet a priori pas tubesque : le sens des religions. La chanson bénéficie d'une irrésistible mélodie signée Laurent Voulzy. Nos vies rêvées Le tandem Souchon-Voulzy charme la chanson française depuis 1974, année du premier immense succès d'Alain : « J'ai dix ans ». Depuis, l'homme a tranquillement installé ses mots et ses mélodies dans nos vies et dans nos coeurs, atteignant sans tapage le statut de monstre sacré de la chanson française. Il est le recordman des Victoires de la Musique. Il a même obtenu la Victoire spéciale des vingt ans de la cérémonie pour « Foule sentimentale ». Alain Souchon dresse des constats doux-amers sur notre époque, soulignant le fossé existant entre nos vies rêvées et la morosité du quotidien. Son goût des noms propres ancre ses chansons dans leur temps. La génération de chanteurs qui le suit, Vincent Delerm et Bénabar en tête, a d'ailleurs repris le procédé à son compte. Limpidité Une autre caractéristique du style Souchon est son remarquable sens de l'épure. Directe, son écriture est d'une limpidité modèle. « J'essaie que ce soit simple et en même temps pas trop quotidien, que ce soit un peu poétique même, confie l'auteur. C'est mon goût, mais je ne sais pas vraiment comment je fais. » L'actuelle tournée du sexagénaire à la silhouette juvénile ouvre sur « La ballade de Jim ». Jusqu'à « L'amour à la machine » joué au rappel, deux heures de spectacle permettent au chanteur d'interpréter une bonne partie de ses nouvelles créations. Des titres puisés dans trente ans de carrière les agrémentent. On y retrouve quelques incontournables comme « Y'a d'la rumba dans l'air » et des moins connus. Exemple ces chansons qu'Alain Souchon avait écrites pour des films dont il était l'acteur : « L'amour en fuite » (de François Truffaut) et « Comédie » (de Jacques Doillon). Ce sont les derniers liens qu'il entretient avec le septième art : il ne veut plus jouer l'acteur. Cinq musiciens accompagneront Alain Souchon samedi à Morlaix et dimanche à Vannes, où l'homme retrouvera avec plaisir la Bretagne qu'il affectionne particulièrement.
Quelle chance vous avez d'être en Bretagne !
Alain Souchon effectuait les ultimes répétitions de sa nouvelle tournée à Paris lorsqu'il nous a accordé cet entretien.
Vous aviez annoncé que votre précédent album était le dernier. Qu'est-ce qui vous a poussé à enregistrer « La Vie Théodore » et à venir le présenter au public ? On hésite toujours à écrire de nouvelles chansons. On se dit : est-ce que je vais savoir ? Est-ce que je n'ai pas perdu la main ? On a toujours un peu peur de ça. Et puis aussi d'avoir moins de succès, ce qui est une idée très désagréable à vivre (rires). J'avais d'abord fait ma petite chanson pour Françoise Sagan, « Bonjour tristesse », avec l'intention de lui envoyer. Et puis là-dessus elle est morte. Moi, j'avais toujours ma chanson, je me suis dit que dans le fond elle n'était pas mal, ça m'a donné envie d'en faire d'autres et voilà, j'ai continué.
Ecrivez-vous vos chansons selon une méthode particulière ? Oui, je vais marcher. Puisque vous êtes du Télégramme, je vais vous parler d'un chemin côtier ahurissant qui se trouve chez vous : il passe par la Pointe du Raz et là-bas, un panneau indique « Brest » à je ne sais plus combien de kilomètres (rires) ! Ce chemin côtier est sublime.
Une de vos chansons y est-elle née ? Je ne sais pas parce que je n'ai quand même pas énormément marché sur celui-là. Je parcours plus les chemins du Morbihan. La marche m'inspire deux ou trois phrases que je note en rentrant.
Qu'est-ce qu'une bonne chanson selon vous ? Elle doit posséder un peu tous les ingrédients : un air charmant - c'est primordial ! -, un petit peu de profondeur - donc pas trop de n'importe quoi dans les paroles ! -, du charme aussi dans la façon dont c'est dit. C'est ce que j'appellerais un petit style. Et puis les arrangements et la voix comptent.
Lesquelles de vos propres chansons préférez-vous ? Je me rends bien compte que certaines ont plus d'impact que d'autres : « Foule sentimentale », « Si en plus y'a personne », « Y'a d'la rumba dans l'air »... Ce sont des tubes avec certainement une petite magie supplémentaire par rapport aux autres. Mais j'aime bien les autres aussi.
Qu'est-ce qui vous a donné envie de consacrer une chanson à Théodore Monod ? J'ai vu un reportage sur cet homme à la télévision. J'ai été fasciné par la vie qu'il menait, très ascétique, très rude, marchant dans le désert à un grand âge avec une petite tente, une petite gamelle, et puis une Bible. Il était protestant et priait beaucoup. J'aime beaucoup marcher, je suis attiré par les religions : cet homme m'a ébloui.
Vous vous dites attiré par les religions mais dans « Et si en plus y'a personne », vous posez la question de leurs fondements... Les religions me touchent beaucoup parce qu'elles proposent un secours dont tous les hommes ont besoin. Ils sont un peu perdus dans cet inconnu où nous nous trouvons : la terre, l'infini, la mort... Donc les religions apportent des réponses aussi bien aux musulmans qu'aux juifs, bouddhistes ou chrétiens. Par contre, l'extraordinaire des événements récents de la vie mondiale est de constater que des guerres éclatent entre les gens à cause des religions : ils veulent que les autres choisissent la leur, sans ça ils les tuent ! Nous, on a fait pareil avec les croisades, l'Inquisition... Ce qui est curieux par rapport à ces guerres de religions, c'est qu'elles sont justement tellement loin de la religion ! C'est tragiquement drôle.
Etes-vous quelqu'un de mélancolique ? Mélancolique oui, mais aussi farfelu. J'aime bien faire l'idiot, j'aime la vie : c'est quand même agréable quand ça sourit ! J'adore les gens qui font rire. Valérie Lemercier, Gad Elmaleh sont des gens merveilleux. Ce sontt des médicaments !
Sur la « bio légère » de votre site internet, vous écrivez : « Je suis devenu une star énorme, disons célèbre ». Comment vivez-vous ce statut ? Je le trouve plutôt agréable. Les gens sont gentils avec moi. Evidemment, il y a quelques petits inconvénients, mais par exemple, quand je croise une jolie fille dans la rue qui me fait un sourire, je trouve ça génial !
Dans votre dernier album, vous nommez la mer d'Iroise et le raz Blanchard. Quelle importance la mer a-t-elle pour vous ? Enorme ! J'habite à La Trinité-sur-Mer une partie de l'année. Tous les ans, je loue un voilier avec Vincent qui est un skipper formidable et on fait le tour de la Bretagne. On passe par ces trois îles, Sein, Molène et Ouessant, qui n'ont plus l'air d'être de ce monde même si elles sont encore chez nous. Il y règne une ambiance tellement extraordinaire ! J'adore ces endroits, mais aussi la Pointe du Raz, le Morbihan... En fait, j'adore la Bretagne, à la folie ! Ah, quelle chance vous avez d'être en Bretagne !
Frédéric Jambon
29/03/2006
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