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Le Temps I Dossier spécial I Affichage de l'article
La «Grande vague» du Japonais Hokusai, symbole de la violence des tsunamis
Ses tentacules d'écume hantent tous les imaginaires. Elle a influencé les peintres occidentaux. C'est l'une des estampes les plus célébrées. On l'a «merchandisée» sous toutes les espèces. Quand la nature vient brutalement rappeler sa force, l'œuvre revêt une dimension tragique renouvelée

Isabelle Rüf
Mercredi 29 décembre 2004


C'est ce qu'on appelle une «icône»: tout le monde l'a dans un coin de sa mémoire, plus ou moins complète. De toute façon, elle est partout: en affiches, en cartes de vœux, en support de publicité, en bibelots, en pochettes de disques ou en couvertures de livres. Actes Sud l'a même choisie pour l'édition de poche du célébrissime Œdipe sur la route d'Henry Bauchau. Quelques jours après la tragédie de l'océan Indien, la Grande Vague du Japonais Hokusai apparaît l'archétype du tsunami qui a ravagé les côtes du golfe du Bengale. Il est probable que le peintre d'Edo ait observé les dégâts provoqués par des séismes ou des typhons, phénomènes fréquents au Japon. En 1703, le tsunami le plus meurtrier que l'Histoire ait retenu a lieu à Awa, faisant, estime-t-on, plus de 100 000 morts. Il a sans doute marqué les esprits, dont celui du peintre, plus d'un siècle après. Mais rien n'indique que le bel et effrayant monstre marin de Hokusai illustre une catastrophe particulière.

La gravure appartient à un cycle que Hokusai (1760-1849) a commencé en 1823 et publié en 1831 sous le pseudonyme de Litsu: les Trente-six vues du mont Fuji. Avec dix autres gravures ajoutées par la suite, l'ensemble a été adjugé aux enchères pour un million et demi d'euros, lors de la vente à Paris de la collection d'Henriette Bérès en 2002, un résultat «moyen» pour des œuvres qui hantent les imaginaires (et les murs) du monde entier – L'Aube sur le Fuji ou cette fameuse Grande Vague près de la côte Kanagawa (Kanagawa oki nami ura). Elle influencera les artistes occidentaux, parmi eux Degas et Monet, mais aussi Gauguin, Van Gogh, le graveur Félix Bracquemond. On dit que Debussy y a pensé en composant La Mer. Et Rilke l'avait en tête en écrivant Der Berg. Au Japon, l'image est assez connue pour qu'on la pirate: en 1834, quand des flots dévalent du Fuji causant de graves inondations, la Grande Vague est pastichée en version terrestre

Quand il élabore son hommage au volcan sacré, Hokusai a un peu plus de 60 ans. Une dizaine d'années plus tard, il écrira: «Depuis l'âge de 5 ans, j'ai la manie de recopier la forme des choses et, depuis près d'un demi-siècle, j'expose beaucoup de dessins; cependant, je n'ai rien peint de notable avant d'avoir 70 ans. A 73 ans, j'ai assimilé légèrement la forme des herbes et des arbres, la structure des oiseaux et d'autres animaux, insectes et poissons; par conséquent, à 80 ans, j'espère que je me serai amélioré et à 90 ans, que j'aurai perçu l'essence même des choses, de telle sorte qu'à 100 ans j'aurai atteint le divin mystère et qu'à 110 ans même un point ou une ligne seront vivants. Je prie pour que l'un de vous vive assez longtemps pour vérifier mes dires.» Et il signe: Manji, le vieux fou de la peinture.

Il mourra juste avant de percevoir, selon lui, «l'essence même des choses». N'empêche qu'il est un maître célèbre, spécialisé d'abord dans les scènes de théâtre, les portraits d'acteurs. Il devient un des plus grands interprètes de l'ukiyoe (images d'un monde fluctuant). Il illustre des romans populaires, rédige des manuels didactiques, les premiers mangas, et un précis sur l'utilisation des couleurs. Il est d'ailleurs le premier à travailler avec le bleu de Prusse pour sa Grande Vague.

La suite dédiée au mont Fuji naît à une époque où les Japonais, jusque-là très sédentaires, découvrent les joies du voyage. Les pèlerinages attirent des millions de visiteurs. Le peintre, originaire de la ville d'Edo, à 100 km du volcan, se déplace dans tout le pays, tout en privilégiant les vues de sa région. Il saisit le cône sacré dans toutes les lumières. La Grande Vague est la seule gravure de la série où le Fuji ne tient pas le rôle principal. Il figure à l'horizon, sa jupe enneigée nimbée d'une brume grisée, dans le creux de la vague. La mémoire, souvent, l'efface, comme elle noie les esquifs qui luttent contre les flots. Vous vous en souveniez, de cette montagne, de ces bateaux? Vous les avez probablement gommés pour ne garder que l'impact de la masse d'eau qui menace, poulpe gigantesque aux ventouses d'écume, aux tentacules d'un bleu de Prusse glacé, une importation nouvelle au Japon.

Les exégètes ont épilogué sur la signification de cette œuvre, comme pour lui arracher le secret de sa force. Le ciel, sur lequel se détachent des masses nuageuses claires, serait le symbole du yin, «des forces lumineuses, calmes et célestes». Et le bouillonnement des flots, le yang, «les forces brutales, obscures et terrestres». Entre les deux, l'homme, impuissant. On pourrait donc y lire les principes du bouddhisme – le caractère éphémère des choses symbolisé par les barques – et du shintoïsme – la toute-puissance de la nature. D'autres lisent de la compassion pour ces pauvres marins, convoyeurs de vivres attachés à leur cargaison, jouets d'une puissance démoniaque. Il est évident que l'homme ne peut pas espérer contrôler cette masse en mouvement, tout juste peut-il l'admirer et tenter de l'éviter.

Si Hokusai exerce une forte influence sur les artistes occidentaux de son époque, il a lui-même appris d'eux. Il utilise ici ce qu'il a appris de la perspective et de la construction en triangle. L'énergie qui se dégage de la composition est impressionnante: le peintre n'a pas pu observer ce qu'il dessine, lui qui se place en pleine mer face au volcan. Mais il a su saisir l'«essence même» de la terreur des hommes devant des forces impossibles à maîtriser. Celle qui a dû paralyser ceux qui, sur les plages de l'Asie du Sud-Est, ont à peine eu le temps de voir se dresser et s'écrouler le mur d'eau qui les a engloutis.

© Le Temps, 2004 . Droits de reproduction et de diffusion réservés.
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