Rechercher OK

Portrait

Corneille

Par Jean Montenot (Lire), publié le 01/07/2006

Comédies, pastorales ou tragédies, Pierre Corneille, né il y a tout juste quatre cents ans, s'est essayé à tous les styles. Ses vers classiques sont loin d'être figés dans les manuels scolaires: ils restent dans toutes les mémoires et figurent aussi un pan de notre histoire.

 

Paris, années trente du Grand Siècle. L'Espagne, puissance hégémonique, menace la France à ses frontières. L'année de la rédaction du Cid, les avant-gardes espagnoles campent devant Pontoise. A l'intérieur, les grands du royaume conspirent contre le pouvoir royal. Fin politique, Richelieu dirige un pays divisé, intrigue avec son Cabinet noir, obtient les têtes des comploteurs: Chalais (1626), Marillac et Montmorency (1632), La Rivière (1636), puis Cinq-Mars (1642). Temps troublés, temps violents, rythmés par ces conspirations où la volonté de réformer le régime le dispute aux ambitions personnelles1. Le Cardinal se donne l'image (et la réalité) du protecteur des Lettres: soutien à La Gazette de Renaudot (1631), création de l'Académie française (1635-1636), mécénat tous azimuts. L' «homme rouge» ne peut que s'intéresser2 au théâtre en plein essor: «A présent le théâtre,/ Est en un point si haut que chacun l'idolâtre,/ Et ce que votre temps voyait avec mépris/ Est aujourd'hui l'amour de tous les bons esprits.3» Des salles de jeu de paume, le tennis d'alors, sont transformées en théâtres. Deux genres dominent: la tragi-comédie et la pastorale, sorte de comédie champêtre mais, dans l'ensemble, les pièces produites sont brouillonnes et irrégulières, «la plupart des sujets extravagants et dénués de vraisemblance, point de mœurs, point de caractères4». En une décennie, le théâtre classique balbutiant va imposer et en codifier deux autres: la comédie et la tragédie.

Qui était Corneille?
Au centre de ce dispositif, un jeune homme de trente ans. Il est avocat de formation, mais il n'a guère plaidé, tant il est malhabile causeur. Il exerce les modestes fonctions de juge des Eaux et Forêts - suite à l'achat par son père de cette charge qu'il exercera consciencieusement jusqu'en 1650. C'est un «bredouillant». «Avec son patois normand5», il ne brille guère par sa conversation. Il a l'air «d'un marchand de Rouen», mais à la fin et avant tout il est poète. Un poète dont le verbe parle haut et clair. Avec lui, l'alexandrin français perd sa monotonie soporifique, et la rhétorique, ingrédient obligatoire du théâtre de l'époque, est soumise aux nécessités de l'action dramatique. On aura reconnu Pierre Corneille. A en croire un de ses plus récents détracteurs, son nom n'évoquerait plus de nos jours qu'une emphase passée de mode, et son œuvre phare, Le Cid, ne serait qu'un «grand lustre cliquetant6». L'homme même, injure suprême par les temps qui courent, serait l'incarnation avant la lettre du «gaulliste, grognon, mais près de la niche7». On ne lui pardonne pas non plus d'avoir été «imposé en classe8», modèle assommant parce que trop asséné, trop ânonné. Qu'en est-il en fait? Qui était donc Corneille? Un Cyrano avant la lettre qui prête à ses personnages des paroles «qu'il savait bien écrire et mal dire9»? Un bourgeois normand mal embouché qui vit par procuration des émotions hors de sa portée? Ce maître incomparable qui a donné à la langue française classique un modèle qu'elle n'a cessé de transgresser pour mieux s'y ressourcer? Un «personnage né véritablement pour la gloire de son pays10»? L'inventeur de la tragédie chrétienne, avec Polyeucte? Un penseur politique? Un authentique chrétien?

Du milieu de Corneille, on retient qu'il appartenait à une famille de moyenne bourgeoisie, soucieuse de ne pas dilapider son capital, d'acheter de bonnes charges pour les enfants - car la charge est «le chausse-pied du mariage11» - et, par là même, d'éviter les mésalliances: «L'abondance des biens/Pour l'amour conjugal a de puissants liens:/ La beauté, les attraits, l'esprit, la bonne mine,/ Echauffent bien le cœur, mais non pas la cuisine», lit-on au tout début de Mélite, la première des trente-trois pièces de Corneille. La réplique d'Alcandre à la fin de L'illusion comique sonne encore comme un écho de ce qui a été une préoccupation atavique des Corneille, père et fils: «D'ailleurs, si par les biens on prise les personnes/Le théâtre est un fief dont les rentes sont bonnes.» (v. 1664-1665) 12 Le conflit, alors courant, entre les nécessités d'argent et la passion amoureuse a probablement joué un rôle décisif dans la vocation poétique du jeune Corneille. Faisant, en 1637, retour sur celle-ci - mais faut-il prendre pour argent comptant l'autoportrait en bouts- rimés qu'est L'excuse à Ariste? - Corneille l'attribue à une déception amoureuse: «J'ai brûlé fort longtemps d'une amour assez grande/Et que jusqu'au tombeau je dois bien estimer,/ Puisque ce fut par là que j'appris à rimer:/ Mon bonheur commença quand mon âme fut prise./ J'adorai donc Philis, et la secrète estime/Que ce divin esprit faisait de notre rime/Me fit devenir poète aussitôt qu'amoureux.» Cet amour de jeunesse - peut-être pour une certaine Catherine Hue, future Madame Du Pont - a pu avorter du fait que Corneille n'était «pas homme à bonne fortune13». L'amour, donc, mais aussi les études. Car Corneille était excellent élève. Sous la férule des jésuites du collège de Rouen, comme Rimbaud bien plus tard, il a récolté des prix de vers latins et une formation de grammairien. Les jésuites faisant jouer du théâtre dans leurs collèges, c'est sans doute aussi des jésuites qu'il a reçu les premières notions de l'art dramatique.

«Une peinture de la conversation des honnêtes gens»
Corneille s'est imposé comme auteur dramatique en s'essayant successivement aux différents genres de pièces, à croire qu'il suivait le cursus honorum de l'écrivain soucieux de se montrer capable d'exceller en tous les genres. En fait, parce que la concurrence était vive et parce que le public était avide de nouveautés, surtout parce qu'il était un génie créateur, Corneille écrivit tour à tour des comédies, des pastorales, des tragi-comédies, des comédies héroïques, des pièces à machines, des ballets et des tragédies, enfin. Et à chaque fois, il invente des personnages, des situations, des intrigues et surtout il introduit un ton inédit qui marque l'essor d'une nouvelle langue dramatique. Il en a d'ailleurs conscience: «La nouveauté de ce genre de comédie dont il n'y a point d'exemple en aucune langue et le style naïf qui en faisait une peinture de la conversation des honnêtes gens furent sans doute cause de ce bonheur surprenant, qui fit alors tant de bruit», lit-on dans l'Examen de Mélite, rédigé trente ans après ce premier succès14. Il invente la comédie de mœurs classique, justement avec ce style qui rompt avec celui de la farce grossière et bouffonne: cette «façon d'écrire [...] simple et familière15» exigeait qu'on purgeât la comédie de ses personnages ridicules ou grotesques. Avec Corneille, exeunt «les Valets bouffons, les Parasites, les Capitans, les Docteurs, etc.». Sa vis comica exige d'éliminer les bassesses et les inconvenances. A dire le vrai, il n'était pas le seul dans la jeune génération des dramaturges en vogue à résolument prendre le parti des «modernistes», et à privilégier le naturel dans l'expression. Simplement, il y arrivait mieux que les autres.

La question des règles
Corneille ne répugne pas à soutenir, voire à provoquer, des polémiques autour de son art de dramaturge. Toutefois on aurait tort de voir en lui un théoricien froid du classicisme, un ardent défenseur des règles de l'unité de temps, d'action et de lieu. Il n'est pas Chapelain dont c'est une des marottes depuis sa Lettre sur la règle des vingt-quatre heures (1630), ni Guez de Balzac, ni La Mesnardière ou ni même l'abbé d'Aubignac, auteur d'une Pratique du théâtre (1657). Avant tout homme de métier, Corneille écrit des pièces pour toucher le public, un public qui est en train de se constituer en type social nouveau - répondant à celui de l' «honnête homme» -, alliance subtile de l'aristocrate et du bourgeois. Bien sûr, il écrit aussi pour toucher de l'argent, complément nécessaire à des charges qui n'étaient pas des sinécures. Il écrit enfin pour une profession, elle aussi en train d'accéder à la reconnaissance sociale, celle de comédien. Corneille la sert autant qu'il s'en sert. Les vedettes de l'époque s'appelaient Charles Lenoir ou Mondory et c'est à leur troupe que Corneille confie ses premières pièces: Mélite, «mon coup d'essai», une comédie qui «n'a garde d'être dans les règles, puisque [Corneille ne savait] pas alors qu'il y en eût16», la tragi-comédie Clitandre (1631), d'autres comédies La veuve (saison 1631-1632), La suivante et La place royale (saison 1634-1635) et surtout cet «étrange monstre», L'illusion comique, pièce inclassable, dont le dernier acte contient une véritable défense et illustration du théâtre, des comédiens et des auteurs. Dans l'épître dédicatoire de La suivante, Corneille explique son point de vue sur la question, alors si débattue, des règles: «J'aime à suivre les règles, mais loin de me rendre leur esclave, je les élargis et resserre selon le besoin qu'en a mon sujet.17» Toutes ces polémiques sont d'ailleurs à replacer dans leur contexte historique, celui de la compétition entre jeunes auteurs à succès.

La concurrence, celle des Scudéry, des Claveret, des Mairet, des Rotrou, n'aime guère voir monter la nouvelle étoile dans l'estime du public, d'autant plus que Corneille est orgueilleux, vaniteux même. Ainsi, dans l'Excusatio adressée à l'archevêque de Rouen, il déclame en vers latins que sa «muse enjouée règne au théâtre où ondoie la foule. [...] Là peu d'hommes m'ont atteint, et nul ne m'a dépassé.» (1633) 18 Nouveau flagrant délit d'immodestie - il faut dire qu'alors tout lui réussit - dans L'excuse à Ariste: «Je sais ce que je vaux, et crois ce qu'on m'en dit./ Pour me faire admirer je ne fais point de ligue: J'ai peu de voix pour moi, mais je les ai sans brigue;/ Et mon ambition, pour faire plus de bruit,/ Ne les va point quêter de réduit en réduit;/ Mon travail sans appui monte sur le théâtre;/ Chacun en liberté l'y blâme ou l'idolâtre.» Le vieux dramaturge Hardy avait ouvert le bal des envieux, en s'en prenant à ces «excréments du barreau, [qui] s'imaginent de mauvais avocats pouvoir devenir de bons poètes, [...] ces misérables corbeaux [qui] profanent l'honneur du théâtre de leur vilain coassement19». Même s'il n'est pas nommé et que, Pierre Du Ryer était, tout comme Corneille à l'époque, avocat et faiseur de comédies, difficile de ne pas voir dans ces amabilités une pique contre Corneille. Le vieil Hardy aurait jugé Mélite «une assez jolie farce20». Ses rivaux accuseront Corneille de manquer aux règles, de plagiat, de vol, de grossièreté... Corneille riposte à chaque fois, dans ses adresses, ses épîtres, plus tard ses Examens qui ornent la publication des pièces. Ainsi, il évoque en passant «feu Hardy, dont la veine était plus féconde que polie21». De sa première tragédie, Médée (1635), on retient la réplique fameuse entre toutes de Médée à Nérine, sa suivante: «Dans un si grand revers que vous reste-t-il? -Moi,/ Moi, dis-je, et c'est assez.» L'ego de Corneille n'est pas, non plus, en reste. Il trouve à trente et un ans, dans le succès prodigieux du Cid, de quoi se laisser griser. On vient de reprendre Corbie aux Espagnols, Paris, au bord de l'exode massif respire, Richelieu a gagné malgré les partisans d'une paix immédiate qui eût alors été conclue au détriment de la France.

Héros et dilemmes cornéliens
Créée au Marais (en décembre 1636 ou, plus sûrement, en janvier 1637), la tragi-comédie du Cid met en lumière une figure maîtresse de la pensée dramatique de Corneille, celle du héros pris dans une situation de double bind: obligé de trancher entre les devoirs que lui imposent sa condition et son désir. Le dilemme du héros cornélien: choisir entre l'honneur qui lui impose d'accomplir son devoir et l'espérance d'un bonheur auquel il lui est d'autant plus difficile de renoncer qu'il semble à sa portée. Tout le monde connaît l'histoire du Cid. Deux enfants de haute noblesse, Chimène et Rodrigue s'aiment. Les familles sont d'accord quand interviennent la politique et l'honneur: Don Diègue, le père de Rodrigue, est choisi comme précepteur du prince héritier. Le père de Chimène, Don Gomès, comte de Gormas, estime mériter davantage cet honneur. «Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes:/ Ils peuvent se tromper comme les autres hommes.» (Acte I, scène 3) Ça tourne mal. Le comte soufflette Don Diègue (Acte I, scène 3), qui, trop vieux, ne peut répliquer: «Ô rage! ô désespoir! ô vieillesse ennemie!/ N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie?/ Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers/Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers?» C'est au fils, à Rodrigue, qu'échoit la redoutable tâche de laver l'affront fait à son père, et de prouver qu'il mérite bien une noblesse qu'il tient de sa naissance et du passé glorieux de ses pères. «Meurs ou tue!» Suivent les fameuses stances où Rodrigue se lamente «misérable vengeur d'une juste querelle». Placé dans la situation typique du fameux dilemme, il est «réduit au triste choix ou de trahir ma flamme,/ Ou de vivre en infâme, Des deux côtés mon mal est infini.» (v. 305) Conflit entre deux logiques qui, c'est une nouveauté, déchirent le héros, lequel hésite, tergiverse, calcule le pour et le contre et, enfin, tranche: «Je dois tout à mon père avant qu'à ma maîtresse.» (v. 342) Rodrigue provoque Don Gomès, lave son honneur dans le sang du père de Chimène. Celle-ci demande justice au roi tandis que Rodrigue, à la tête d'une armée privée, va au-devant des Maures sauver le royaume et se couvrir de gloire militaire. Il est désormais le Cid, le seigneur, le caïd. Le roi décide de trancher l'affaire. Il organise un duel judiciaire, Chimène aura un champion pour venger son père. D'abord mal informée, elle s'évanouit en apprenant la mort de Rodrigue. Cette ordalie judiciaire révèle surtout qu'elle l'aime encore avant d'apprendre, coup de théâtre final, qu'il a gagné le duel contre son champion.

La dialectique du héros
L'originalité du Cid ne tient pas à l'histoire, empruntée à Guilhem de Castro (1618) et également adaptée à la scène par Scudéry dans son Prince déguisé. Les rebondissements, les situations romanesques sont monnaie courante dans le théâtre de l'époque. Elle réside davantage dans l'apparition d'un type de personnages. Il ne s'agit plus de fantoches qui, tel le bouchon dans le courant d'une rivière, sont ballottés au gré des tourbillons de l'aventure. Pour être des héros, ils n'en sont pas moins des hommes, capables de volonté et d'action, de délibération et de décision. Les personnages des tragi-comédies avant Le Cid n'avaient pas cette épaisseur, ni cette intériorité. Les héros de Corneille, à partir du Cid, et notamment dans les trois tragédies majeures qui suivent - Horace (1640), Cinna (1641), Polyeucte (1643) - sont conscients de leur situation, ils sont capables de troubles et d'hésitations. N'en déplaise aux détracteurs de Corneille, Rodrigue n'est pas Matamore. L'héroïsme du héros n'est jamais une donnée de départ. Ce sont des hommes, et non des surhommes, qui surmontent leurs propres faiblesses et, dans ce combat contre eux-mêmes, se révèlent peu à peu à eux-mêmes et aux spectateurs. Le progrès de cette révélation est le ressort dramatique dominant des œuvres de Corneille, et la dialectique du héros cornélien tient en ce refus de se laisser aliéner par sa passion. Les personnages d'Horace, de Cinna, de Polyeucte, plus tard ceux de Rodogune (1645), Sertorius (1662), Suréna (1674) multiplient, le plus souvent sur le mode tragique, les situations cornéliennes. Il s'y fait jour aussi une dimension nouvelle de la pensée théâtrale de Corneille, où l'histoire et la politique jouent un rôle de premier plan.

La tragédie politique
Pour comprendre son théâtre, il faut toujours en discerner le fond politique. Horace et Cinna montrent à un pays en guerre (alors sans presse ni médias) que les devoirs de l'Etat exigent de ne pas se laisser aller aux attendrissements. Le jeune Horace se doit d'obéir au devoir d'Etat, jusqu'au meurtre de sa sœur, Camille, parce que, par désespoir, elle a renié leur père, le vieil Horace, a maudit Rome et refuse d'oublier Curiace à qui elle était promise. La vertu d'Horace l'a conduit au crime, mais cette même vertu «met sa gloire au-dessus de son crime». Par raison d'Etat, il sera décrété «d'abolition», autrement dit, le crime n'a pas eu lieu. La vertu d'Horace n'est pas sentimentale, elle est politique, proche de la virtu (force, courage) machiavélienne22. En politique, la fin justifie, parfois sinon toujours, les moyens: «Ce qu'on va nommer forfait,/ N'a rien qu'un plein succès n'eût rendu légitime.» (Agésilas, V, 7, 2014) A l'inverse de cette inflexibilité, dans Cinna, Corneille pose la question de l'attitude du pouvoir, celui d'Auguste, en fait Louis XIII, face à la conspiration. Comment mettre fin au cycle des conspirations? Thème à l'époque de chaude actualité. Avec toute la prudence nécessaire, Corneille soutient que s'il faut toujours respecter le pouvoir, celui-ci se doit néanmoins de rompre le «cercle infernal des conspirations et des répressions, en essayant une autre politique, la clémence23».

Images brouillées d'un homme complexe: celle d'un bourgeois prudent qui se fait chantre des valeurs aristocratiques, la gloire, l'honneur, la grandeur... Celle d'un homme libre et orgueilleux, mais qui, réaliste, se garde de défier ouvertement les puissants et ne laisse pas tout au long de sa vie de rechercher leur protection: les ducs de Liancourt, de Vendôme et de Longueville, Richelieu, Fouquet et, bien sûr, les rois, Louis XIII et son successeur Louis le Grand. Celle d'un dramaturge qui fait profession de foi de modernisme24 et qui, de son vivant, a vu pourtant sa gloire raillée comme celle d'un ancien, d'un passé de mode. Faut-il choisir entre un Corneille, homme de terrain qui énonce avec simplicité l'axiome qui est aussi le lieu commun du théâtre classique: «la poésie dramatique a pour but le seul plaisir des spectateurs25» et un Corneille, qui, confronté à l'arrivée de sérieux concurrents de son génie et de ses profits, tels Molière ou Racine, se laisse aller à certaines mesquineries indignes de lui? Le grand Corneille devenu vieux parfois redevient grand, et donne le meilleur avec Suréna; parfois, il sonne faux. En manque d'inspiration, il joue les donneurs de leçons. Le «vieux rocker pathétique26» fait même le malotru comme avec la Du Parc, «Marquise, si mon visage/A quelques traits un peu vieux/Souvenez-vous qu'à mon âge/Vous ne vaudrez guère mieux27». Le personnage a toujours irrité par ses défauts, ses contradictions parfois. Elles étaient sûrement le reflet de celles de la France de son temps, peut-être sont-elles, plus que nous voulons nous l'avouer, encore un peu les nôtres?

1. Georges Couton, Corneille et la tragédie politique, P.U.F.
2. Il serait même l'un des auteurs de la comédie héroïque Europe, éditée par Sylvie Taussig, Brepols, 2006.
3. L'illusion comique, V, 5, v. 1645-1649.
4. Jean Racine, Discours de réception de Thomas Corneille à l'Académie française.
5. Charpentier cité par Antoine Adam, dans son Histoire de la littérature française au XVIIe s., Del Duca.
6. Charles Dantzig, Dictionnaire égoïste de la littérature française, Grasset 2005.
7. Ibid.
8. Eugène Ionesco, Notes et contre-notes, Folio/ Gallimard.
9. Georges Couton, Corneille, Connaissance des Lettres, Hatier.
10. Jean Racine, Discours de réception de Thomas Corneille à l'Académie française.
11. Furetière, Le roman bourgeois, Folio/ Gallimard.
12. Dédicace à La place royale.
13. Œuvres complètes.
14. Examen de Mélite. Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, t. 1.
15. Adresse au lecteur de Mélite.
16. Œuvres complètes.
17. Epître dédicatoire à La Suivante.
18. Excusation. Œuvres complètes.
19. Alain Niderst, Pierre Corneille, Fayard, 2006.
20. Ibid.
21. Examen de Mélite.
22. Georges Couton, Corneille et la tragédie politique, P.U.F.
23. Ibid.
24. Georges Couton, Corneille, Connaissance des Lettres, Hatier.
25. Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, t. III.
26. Charles Dantzig, Dictionnaire égoïste de la littérature française, Grasset, 2005.
27. Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, t. III.

Bio
1606. 6 juin. Naissance de Pierre Corneille.
1629. Mélite, première comédie.
1637. Le Cid, tragi-comédie. Querelle du Cid.
1640. Horace, tragédie.
1641. Cinna, tragédie.
1642. Polyeucte, tragédie.
1647. Réception à l'Académie française.
1674. Suréna, tragédie.
1684. 1er octobre. Mort de Corneille. «Il ne pensait plus qu'à mourir chrétiennement/et/ ne fut même pas en état d'y penser beaucoup la dernière année de sa vie.» (Fontenelle)

Biblio
Les œuvres de Corneille sont disponibles dans la plupart des collections de poche avec de bons dossiers d'accompagnement.
Sur Corneille
Corneille, Georges Couton, Connaissance des Lettres, Hatier, 1969. Corneille et la tragédie politique, Georges Couton, Que sais-je?/PUF, 1984. Pierre Corneille, Alain Niderst, Fayard, 2006. Le héros et l'Etat dans la tragédie de Pierre Corneille, Michel Prigent, PUF, 1986. Europe, comédie héroïque, éditée par Sylvie Taussig, Brepols, 2006. Moi, Pierre Corneille, Christian Biet, Découvertes/Gallimard, 2006.

  • Partager l'info :
  • Envoyer par e-mail
  • Partager sur Facebook
  • Partager sur Twitter
  • Partager cet article avec mon réseau professionnel sur VIADEO
  • Partager sur del.icio.us
  • Partager sur Google
  • Partager sur Wikio

Découvrez les extraits des livres qui viennent de paraître. Cliquez ici

Newsletter

Recevez chaque jour toute l'actu culturelle :

Fermeture des commentaires - LEXPRESS.fr

Cet article a été mis en ligne il y a plus de quinze jours et vous ne pouvez plus, par conséquent, commenter cet article.
LEXPRESS.fr