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Les attentats de 1995

La France pour cible

par Jacques Girardon, mis à jour le 24/09/2002 - publié le 24/08/1995

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La responsabilité des Groupes islamiques armés dans les récents attentats paraît de plus en plus probable. Paris, bailleur de fonds du très corrompu et impopulaire régime algérien, se retrouve au cœur du conflit.

La menace s'est précisée il y a un an. Août 1994: les groupes islamiques armés (GIA) algériens demandent à leurs compatriotes de ne plus acheter de produits français. Motif: le mois précédent, à Naples, lors du sommet du G 7, la France avait plaidé pour un soutien économique à l'Algérie et annoncé le déblocage d'une aide de 6 milliards de francs. Décembre 1994: à la veille de Noël, un commando des GIA prend en otages les passagers d'un Airbus d'Air France. Au début du mois, l'Union européenne avait, à l'initiative de la France, accordé au gouvernement algérien un nouveau prêt de 200 millions d'écus (1,3 milliard de francs). 25 juillet 1995: une bombe explose dans le RER parisien, à la station Saint-Michel, faisant 7 morts et 86 blessés. Quatre jours plus tôt, le Club de Paris, qui réunit les créanciers officiels de l'Algérie, avait consenti un rééchelonnement d'une partie de sa dette extérieure - 37 milliards de francs, sur un total estimé à 150 milliards. Le dernier attentat, place de l'Etoile, peut laisser penser que, après les menaces tant de fois proférées à l'encontre de la France, les terroristes des GIA sont désormais passés à l'attaque.

Les enquêteurs ont privilégié très tôt la piste algérienne, un premier attentat, ciblé celui-là, ayant eu lieu, le 11 juillet, avec l'assassinat, dans sa mosquée du XVIIIe arrondissement, de l'imam Sahraoui, un islamiste modéré, fondateur du FIS. L'identification, ces jours derniers, en Suède d'un suspect responsable d'un GIA, Abdelkrim Deneche, alias Abdessabour, semblait confirmer l'implication des réseaux islamistes. Mais les services secrets algériens, formés à l'école soviétique, sont capables - ils l'ont déjà prouvé - de manipuler des groupes armés qu'ils ont infiltrés, afin de susciter à l'étranger une indignation qui puisse faire oublier leur propre part de responsabilité dans la surenchère barbare unissant éradicateurs et terroristes dans un même refus de la paix. Cependant, depuis deux ans, cette nébuleuse de petits groupes composés de fous de Dieu, de mafieux, de psychopathes et aussi de nombreux jeunes devenus bandits de grands chemins - tous se réclament des GIA, même si souvent ils s'entre-déchirent - a quelques raisons de considérer la France comme une ennemie.

Coûteuses recrues

Cosignataire du meilleur livre paru récemment sur le sujet - L'Algérie dans la guerre (1), sous la direction de Rémy Leveau - Luis Martinez, chercheur au Ceri (Centre d'études et de recherches internationales de Sciences po), explique, dans une étude sur «Les groupes islamistes entre guérilla et négoce», comment s'est développée en Algérie une économie mafieuse concurrente des mafias institutionnelles. Dans un pays où les entreprises d'Etat sur lesquelles reposait l'essentiel de l'économie se sont effondrées, aggravant le chômage, un phénomène s'est propagé: le racket des nouvelles entreprises, privées, qui se sont créées là où le secteur public avait disparu sous l'effet des attentats. Celles-ci sont à l'abri des ennuis tant qu'elles versent aux groupes armés la redevance exigée. Dans ce contexte économique difficile, nombre d'Algériens qui prennent le maquis sont motivés moins par des considérations politiques que par la recherche désespérée d'un emploi. Celui-ci peut se révéler lucratif, puisque Martinez note, avec un brin de provocation, que les groupes armés sont devenus des «PME en pleine expansion» et que la «guerre civile, trois ans après son déclenchement, s'apparente de plus en plus à un instrument de promotion sociale et d'enrichissement personnel». Conscientes du danger, les autorités ont choisi d'offrir aux jeunes des cités une autre voie que le maquis: rejoindre les polices communales. L'appât? Un gros salaire (de deux à trois fois le Smic), un bel uniforme, avec lunettes de soleil dignes des héros des séries américaines.

Evidemment, cette politique de recrutement coûte cher. D'autant que des dizaines de milliers de gardes communaux ont déjà été engagés. Leur effectif devrait bientôt atteindre 50 000 hommes. De plus, 17 000 gardiens ont été recrutés pour la protection des édifices scolaires. Si l'on ajoute à cela les milices villageoises armées par le gouvernement, même si elles ne sont pas systématiquement salariées, et l'importation de matériel militaire neuf, cela fait beaucoup d'argent à trouver, pour un Etat lourdement endetté. Selon les groupes armés, tout est clair: le pouvoir algérien se procure cet argent en France, ou grâce à la France. Une analyse qui n'est pas totalement absurde. L'aide de Paris n'est certes pas destinée à recruter des gardes communaux, à armer des milices où à acheter du matériel militaire moderne. Seulement à contribuer au redressement du pays, qui jure vouloir passer du socialisme à l'économie de marché. Malheureusement, la quasi-impossibilité de contrôler l'usage qui est fait des crédits permet aux autorités d'utiliser l'argent à d'autres fins. Et la hantise des milliards perdus en cas de cessation de paiements paralyse la France, qui prête toujours plus, dans l'espoir d'être un jour remboursée.

Paris apparaît donc comme le bailleur de fonds du pouvoir algérien. Sans son aide, directe ou indirecte, le régime ne tiendrait pas longtemps, estiment les islamistes, à tort ou à raison. En frappant le «banquier», qui, à tout bien considérer, n'a qu'une estime on ne peut plus mitigée pour le régime qu'il soutient, les islamistes espèrent le contraindre à choisir entre deux maux et donc à couper les crédits... On peut effectivement se demander pourquoi la France continue à accorder une aide économique aux militaires algériens. Puisque, parallèlement, elle exprime ses réserves sur la politique éradicatrice actuellement menée et approuve, au contraire, l'initiative de dialogue de Sant'Egidio. En fait, la diplomatie française est paralysée par l'un de ses dogmes: le refus de la conditionnalité de l'aide économique. Une position opposée à celle des Etats-Unis, qui manient sans états d'âme l'arme du boycottage, comme c'est le cas actuellement en Irak, mais s'accommodent de régimes impitoyables, pour peu qu'ils soient leurs alliés. Conditionner l'aide à l'Algérie au respect des droits de l'homme ou à une véritable ouverture démocratique placerait le Quai d'Orsay en porte à faux sur nombre d'autres dossiers. François Mitterrand avait tenté de s'écarter de cette ligne au cours du sommet franco-africain de La Baule. Mais, très vite, les choses étaient rentrées dans l'ordre, lorsqu'il était apparu qu'en déstabilisant des despotes on risquait en fait de déstabiliser des pays.

Résultat: la France donne l'impression de n'avoir aucune politique cohérente à propos de l'Algérie, démentant ses actes par des discours gênés. Pis: en fermant les yeux sur la lourde responsabilité des autorités algériennes dans la mort d'un certain nombre de Français, Paris avoue sa faiblesse. Voilà des mois que plusieurs responsables confient en privé leur inquiétude et plusieurs années qu'ils confessent leur impuissance. Avec sa communauté algérienne de 1,5 million de personnes, ses chaînes de télévision regardées par toute l'Algérie, son rôle de principal partenaire commercial et son statut de premier bailleur de fonds, la France constitue un enjeu d'importance pour les parties en conflit. Ses hésitations ne peuvent qu'encourager chaque camp à tenter, par tous les moyens, de faire basculer la situation à son avantage.

(1) Editions Complexe, 1995.

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