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Les grandes familles de Toulon

Un arsenal d'identités

par Bruno Aubry, mis à jour le 10/03/2005 - publié le 28/02/2005

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Familles de «moccots», qui ont fait souche à Besagne, immigrés venus d'Italie, bourgeois accrochés à leurs propriétés du cap Brun, L'Express est allé à la rencontre de leurs héritiers. Pour tenter, au fil d'anecdotes puisées dans le grimoire de ces dynasties, d'appréhender la petite et la grande histoire de la ville

Toulon n'est pas une ville facile. Pour le marin, elle apparaît comme un entrelacs de ruelles chaudes. Pour l'homme de passage, elle semble un enchevêtrement de façades géométriques un peu grises. Une cité où même le vieux quartier de la Savonnière, dédié aux pêcheurs - qui y faisaient sécher leurs filets - et aux savonneries - qui firent du Toulon du XVIIe siècle l'un des trois hauts lieux de la production provençale - paraît avoir oublié son passé. «Ville sans renom, hommes sans honneur, femmes sans pudeur», plaisantent les habitants. «Une pute un peu moche», s'amuse avec tendresse le pédopsychiatre Marcel Rufo, Toulonnais de souche et fier de l'être. Pute insoumise qui s'est donnée aux Anglais, port rebelle où la flotte s'est sabordée, Toulon s'est aussi jetée dans les bras du Front national.

«Qui si levo de Touloun, si levo de la raisoun» («Qui se lève de Toulon, se lève de la raison»), affirme un dicton local. Car Toulon la mutine réserve son charme au visiteur qui, tel Léon Vérane, le Francis Carco toulonnais, prendra le temps de découvrir ses venelles et de se laisser surprendre par la beauté de ses criques. «La rade de Toulon est, on le sait, la merveille du monde; il y en a de plus grandes encore, mais aucune si belle, si fièrement dessinée...», écrivit l'historien Jules Michelet. A en croire un manuscrit provençal, l'origine de Toulon remonte à 1642 avant Jésus-Christ, époque à laquelle un peuple de la haute Allemagne serait venu s'y établir. Selon l'astronome Peiresc, Toulon vient du celtique tolo («guitare»), en référence à la forme de son port. Les Romains, pour leur part, l'avaient baptisée «Telo Martius», et ils y faisaient le commerce de cette poudre rouge utilisée pour la teinture des manteaux de leurs généraux.

Ville martiale, Toulon s'est développée à travers les siècles autour de son port. Lorsqu'en 1481 le royaume de France annexe la Provence, la cité est exposée à la mitraille. Petit à petit, sous l'impulsion de Louis XII, du Roi-Soleil et de l'incontournable Vauban, les tours fleurissent un peu partout le long du littoral. Edifiée en 1514 par Louis XII, la tour Royale, encore surnommée la «Grosse Tour», est la première de la quarantaine de batteries qui veillent sur la cité. Au lendemain de la Révolution, en 1790, le bruit courait à l'Assemblée nationale constituante que Toulon, «bien que située sur le littoral et à une extrémité de la circonscription administrative, prétendait en être le chef-lieu». C'est ainsi que la ville obtint la préférence des députés, en dépit de la plaidoirie du maire de Draguignan, Honoré Muraire, qui s'emporta à la tribune: «Que Toulon fasse valoir son immense population, son commerce, son port, ses vaisseaux, sa citadelle, ses troupes et tous les établissements qui sont réunis dans ses murs, cette ville n'aura fait valoir qu'une raison de plus d'établir ailleurs le chef-lieu.» La victoire ne fut que de courte durée car la population, excitée par les royalistes, se rangea aux côtés des Girondins et pactisa avec les Anglais. Elle envoya à l'échafaud les révolutionnaires. Une fois les troupes de la perfide Albion repoussées, en décembre 1793, par le capitaine d'artillerie Bonaparte - qui conquit là ses galons de général - la ville «infâme» fut menacée de démolition. Si, au dernier moment, la Convention ajourna l'ordre de destruction, le siège de la préfecture fut transféré, en représailles, à Grasse, le 27 juillet 1793, puis à Draguignan, en 1797. Ce n'est que le 5 décembre 1974 que le Premier ministre Jacques Chirac restitua à Toulon son titre de chef-lieu.

Les historiens ont retrouvé un ouvrage du Moyen Age dressant la liste d'un millier de familles de notables de l'époque. Et, sans qu'il soit toujours possible d'établir la filiation, certains noms comme Toucas, Audemard, Tassy, Barnéoud, Marin, Durbec… continuent de marquer la vie économique de leur empreinte. La toponymie atteste de ce lien filial noué entre la ville et les dynasties qui l'ont façonnée. La rue Félix-Brun, par exemple, porte le patronyme de ce fils et petit-fils de patrons pêcheurs, installé en 1794 comme sculpteur.

Matelots, barbots, Borsalino et tripots...

A Claret, le quartier des Bretons, où jadis les femmes se promenaient avec leurs coiffes bigoudens, la rue Bayle doit son nom au père d'un ancien député gaulliste, Marcel Bayle, conseiller général du canton. Et, à quelques centaines de mètres seulement, le boulevard Trucy rappelle celui d'un avoué, héritier d'une longue lignée de notaires royaux établie dans le Var avant la Révolution. Personnage marquant de ce début de XXe siècle à Toulon, Albert Trucy est aussi le grand-père de François Trucy, actuel sénateur du Var, ancien maire UDF de Toulon (1985-1995), petit-neveu d'Emile Loubet (président de la République de 1899 à 1906) et… vainqueur d'un combat fratricide contre Marcel Bayle aux cantonales de 1970. Un combat de rues.

Matelots et barbots, Borsalino et tripots, en ce début du xxe siècle et jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, Toulon cultive l'art de la rime sulfureuse. Si, avec la réhabilitation de la vieille ville, lancée en 1990, les enseignes audacieuses, le feu des néons criards et les filles à matelots se sont faits plus discrets, le «petit Chicago» garde encore en mémoire les stigmates de ses folles années. C'étaient les années 1920, lorsque, au débouché de la rue de Lorgues, Cocteau venait s'encanailler au cabaret Chez Dubois. Pionnier du noir et blanc et portraitiste émérite, Marius Bar a collectionné les plaques de ces gens qui faisaient la ville, des artistes aux hommes de la Royale. Autant de clichés religieusement conservés par son arrière-petit-fils, Bernard Castel.

Autre témoin de cette époque: l'Opéra. Sa construction fut ordonnée par Napoléon III, qui s'était engagé, en 1852, à développer la cité ensoleillée. Il faut dire que avant de redessiner Paris, Haussmann, préfet du Var entre 1848 et 1850, avait ouvert la voie des grands travaux de la ville haute. L'Opéra et le lycée Peiresc furent alors confiés à un entrepreneur, Etienne Dauphin, père du peintre Eugène et réalisateur, notamment, du port de Constantinople. L'un de ses hoirs, Antoine de Ganay, habite toujours la villa Paradis, au cœur de ces demeures qui font encore le lustre et la grandeur du cap Brun. Parmi elles, la Résidence a été transformée en maison pour hôtes de marque. Olivier Boré de Loisy y faisait ses devoirs avec Aragon, ami de la famille et habitué de la chambre 15. De Gaulle, lui, préférait la 12. Car, à la Résidence, le beau monde a ses habitudes.

En dépit de la cure d'amaigrissement qu'il a subie au fil des restructurations, l'arsenal demeure le pouls économique et social de la ville. Il emploie encore quelque 12 000 personnes, civils ou militaires, et continue de faire vivre une partie de la population de l'agglomération, forte désormais de 520 000 habitants. Celle-ci peut compter aussi sur un tissu de microentreprises et de gros commerçants. Certains d'entre eux sont issus de grandes familles, comme les Meiffret, dont un frère a présidé un temps la chambre de commerce, ou les Chabre, qui tiennent, de père en fils, un commerce d'appareillage médical.

Pharmaciens et médecins, libraires et concessionnaires perpétuent, eux aussi, le Toulon de leurs ancêtres. Les Monges (voir pageVIII) exploitent les derniers vignobles du cap Brun, dont le vin était à l'honneur sur la table de Louis XIV. A la tête de la librairie Charlemagne depuis 1927, les Rouard participent, de père en fils, à la destinée du RCT, le club de rugby toulonnais. Du Mans à Toulon, du Bol d'or à la concession, les Guignabodet continuent de propager le virus de la moto. Depuis 1907, les Guglielmi, venus d'Italie, pérennisent la tradition du chichi fregi, ce beignet local devenu symbole de la ville. Une part du destin du port du Levant leur appartient. Es' como co… c'est comme ça!

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