Mandela en terre blanche

publié le 30/09/1993

En acceptant de rencontrer le leader du Front afrikaner Constand Viljoen, et en le faisant savoir, le chef de l'ANC divise l'extrême droite et préserve son pays d'une guerre civile. Pour l'instant.

 

Dans l'extraordinaire numéro de fildefériste auquel il se livre depuis sa libération, Nelson Mandela vient d'inventer une nouvelle figure acrobatique: la poignée de main avec le méchant faire-valoir qui ne songe qu'à le faire tomber. Bizarre. On admirait le chef historique de l'ANC pour la maîtrise dont il a fait preuve jusqu'ici en contrôlant, avec le président Frederik De Klerk, le passage chaotique d'un régime raciste à un système démocratique. Dans un parcours jusqu'ici sans véritable faute, sa rencontre avec un leader d'extrême droite, le général Constand Viljoen, pourrait donc laisser pantois. A moins que cette étonnante contorsion idéologique ne soit un nouvel exemple d'une remarquable créativité politique.
Car Constand Viljoen n'est pas exactement le symbole resplendissant de la «nouvelle Afrique du Sud». Lui - ancien chef d'état-major de l'armée, héros de la guerre en Angola - et ses amis conservateurs considèrent Frederik De Klerk comme un traître. Traître à la cause du peuple afrikaner, qui se croit élu de Dieu, lequel - tout pasteur sud-africain de l'Eglise réformée de Hollande vous le dira - a voulu faire des Noirs des êtres inférieurs. Traître, aussi, à l'avenir du sous-continent austral: De Klerk ne veut-il pas, en effet, abandonner le pouvoir économique et politique à des gens irresponsables, qui ont plongé l'Afrique entière dans la faillite? «Les militants de l'ANC sont comme des serpents dans l'herbe, disait Viljoen, il y a peu, dans les meetings. Pas question d'appartenir au même pays que ces nègres staliniens et criminels.» Conclusion de ce beau raisonnement: Viljoen et ses troupes exigent la création d'un Etat afrikaner ethniquement pur qui regrouperait une bonne partie du Transvaal, de l'Etat libre d'Orange, sans oublier une bande de terrain dans le Natal pour se réserver un accès à l'océan Indien.
Pareilles revendications, sans parler de la rhétorique qui les entoure, ont toujours été rejetées par le nouvel establishment politique. L'ANC a de solides traditions centralisatrices: il n'est pas question d'organiser l'émiettement du pays, qui serait en même temps son affaiblissement. Tant que l'ANC existera, il n'y aura donc pas d'Etat afrikaner indépendant.
Mais alors, pourquoi Mandela a-t-il rencontré Viljoen? Pourquoi ce communiqué commun reconnaissant l'existence de contacts? Parce que l'Afrique du Sud vient justement de franchir un pas historique sur le chemin de son renouveau. Le Parlement a institué la semaine dernière un Conseil exécutif transitoire, multiracial et multipartite, chargé d'organiser les élections d'avril 1994 et de gouverner le pays jusque-là. Cap important, qui a conduit Mandela à demander la levée de toutes les sanctions frappant Pretoria.
Mais c'est la création de ce conseil que l'extrême droite avait fixée comme limite à ne pas franchir par le gouvernement, faute de quoi elle déclencherait la guerre. Une vraie guerre civile, à laquelle les commandos néonazis d'Eugene Terre Blanche se préparent depuis des années. L'annonce de contacts entre le futur président sud-africain et le représentant le moins éructant des nostalgiques de l'apartheid vient à point pour désamorcer un peu cette menace. En effet, comment déclarer la guerre à un ennemi qui accepte de vous écouter? Fin politique, Mandela divise donc ses adversaires les plus irréductibles, entraînant une partie d'entre eux dans le débat politique. Surtout, il gagne du temps. Mais que fera l'extrême droite quand elle se rendra compte qu'il ne s'agit que de cela?
PHOTO: Nelson Mandela.

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