Économie

«Sans les fonds privés, que des expos commerciales»

Libération

Henri Loyrette, président du Louvre depuis 2001, a radicalement changé la gestion du plus célèbre des musées français. Pour mener à bien les multiples projets lancés depuis cinq ans, il a fallu ­ et il faut toujours ­ beaucoup d'argent. Plus que ce que l'Etat ne peut apporter. A 53 ans, cet expert en peinture impressionniste consacre une grande partie de son temps à lever des fonds privés. Entretien sur une révolution culturelle.

Il y a un mot proscrit, au Louvre, c'est «commercial». Acceptez-vous tout de même de dire que vous avez entrepris une démarche résolument marketing dans la gestion du musée ?

Il ne s'agit pas, en effet, de démarche commerciale mais d'un souci légitime d'efficacité du service public. Nous n'avons pas d'objectifs de rentabilité puisque nous sommes une institution «non profit». Lorsque je suis arrivé au Louvre, le musée, avec son statut d'établissement public depuis 1993, n'avait pas du tout les moyens de sa politique : aucune autonomie de gestion, pas même la capacité de gérer son personnel. Ma politique a donc consisté à réorganiser largement l'institution et à lui donner les moyens financiers de son développement, notamment en matière de mécénat et de politique tarifaire. Le Louvre ne disposait même pas de leviers importants de sa politique culturelle, comme les éditions ou les acquisitions. Nous les avons obtenus depuis.

Pensez-vous qu'un jour le financement du Louvre s'établira à parité entre public et privé ?

Lorsque je suis arrivé dans les musées, en 1974, tout venait de l'Etat. Aujourd'hui, on est à 60-40. Sur un budget annuel de 186 millions d'euros en 2006, 60 % des fonds viennent des subventions publiques et 40 % des ressources propres ­ billetterie, apport d'argent privé et mécénat. En trois ans, ce sont 104 millions d'euros qui ont pu être réunis auprès d'entreprises et d'un certain nombre de mécènes individuels. Les dispositifs fiscaux mis en place en France depuis 2002 permettent cette politique très audacieuse (lire ci-contre), notamment en matière d'acquisition d'oeuvres. L'engagement du Louvre en matière de mécénat nous mobilise déjà énormément. Et je ne suis pas certain qu'un financement du musée à 50-50 public-privé soit aujourd'hui une priorité.

N'est-ce pas l'objectif du contrat de performance qui vient d'être signé entre le Louvre et l'Etat (2006-2008) ?

Non, l'Etat ne se désengage nullement, au contraire. En termes de ressources humaines, de crédits de fonctionnement, de financement des grands projets comme le projet pyramide (réaménagement de l'espace sous la pyramide pour améliorer l'accueil du public, ndlr), l'Etat accroît nos moyens. Mais il ne peut pas tout faire. Et s'il s'engage à financer complètement certaines opérations pour lesquelles le musée trouverait difficilement des mécènes ­ par exemple, le schéma directeur incendie (à hauteur de 22 millions d'euros) ­, il ne nous soutient pas sur des projets pour lesquels nous pouvons trouver du mécénat. C'est le cas des grands chantiers de rénovation. Ainsi, la restauration de la galerie d'Apollon a été entièrement financée par Total. Mais c'est aussi le cas pour des projets touchant le public, comme le nouveau site Internet du Louvre, qui a bénéficié du mécénat du Crédit Lyonnais, d'Accenture et de Blue Martini Software.

Et la création du département des arts de l'islam ?

Les arts de l'islam, c'est un investissement de 56 millions d'euros, dont 26 millions viennent de l'Etat et 30 millions du mécénat. Ce sont des proportions considérables que l'on n'a jamais connues, mais ça marche puisque nous avons déjà réuni, en dix-huit mois, 25 millions de mécénat en complément de ce que nous apporte l'Etat.

Après cinq ans de présidence, cette maison peut-elle encore être choquée quand on lui parle de financement privé, par Total, Coca-Cola ou AXA ?

Ce n'est plus compliqué du tout. J'ai vécu les débuts du mécénat : c'était comme si on blanchissait de l'argent sale. Aujourd'hui, chacun constate que l'argent privé permet de soutenir des projets culturels difficiles. L'exposition «Primatice», en 2004, n'aurait pas été possible sans Morgan Stanley, ni «La France romane» sans le Crédit agricole. Sans le financement privé, on serait condamné à privilégier des expositions strictement commerciales, à l'instar malheureusement de tant d'autres institutions internationales.

Qu'en est-il du partenariat avec le High Museum of Art d'Atlanta, qui se traduit, entre autres, par le prêt (sur trois ans) de 142 oeuvres du Louvre au musée américain ? Au-delà de l'aspect financier, ce partenariat fait-il entrer la France dans un circuit international où elle faisait pâle figure ?

Compte tenu de la richesse de nos collections, nous avons toujours fait partie des grands circuits internationaux. Mais il est vrai que l'échange d'oeuvres entre le Louvre et les autres grands musées a été difficile pendant un certain temps. Le Louvre doit être d'autant plus généreux que nous sollicitons nous-mêmes régulièrement nos collègues étrangers. Ainsi, pour la rétrospective Ingres, le Louvre a bénéficié de prêts exceptionnels venant de musées du monde entier, notamment américains. Il y a une sorte d'économie au sens général, et pas seulement au sens financier, qui veut que nous prêtions ou que nous empruntions à des grands musées dont nous pouvons attendre des retours. Sans doute, au Louvre, y a-t-il eu de la frilosité de la part de certains pendant une période...

Au moment de la signature de l'accord d'Atlanta, certains conservateurs du Louvre ont dénoncé la «location d'oeuvres». Un peu comme si le prêt était devenu une source de revenus pour les grands musées.

On ne saurait parler de location d'oeuvres à propos de Louvre-Atlanta. C'est un partenariat global, qui comprend des projets pédagogiques, scientifiques et culturels. C'est autour de ce projet qu'un certain nombre de mécènes américains se sont mobilisés pour financer la restauration des salles des objets d'art du XVIIIe siècle. Je m'étonne que l'on s'étonne de ces mécénats. Tous les grands musées français et étrangers en bénéficient. Ainsi, les travaux de l'Orangerie ont été largement financés par une exposition itinérante dans le monde entier pendant trois ans.

Votre autre grand projet, qui décoiffe un certain nombre de vos confrères, c'est le Louvre-Lens, prévu pour 2009 et financé par les collectivités locales.

Le Louvre est un musée national. Ses oeuvres et son savoir-faire sont au service de l'ensemble de la nation. C'est la mission que lui ont assignée ses fondateurs, sous la Révolution. Le Louvre-Lens s'inscrit donc dans ces missions fondamentales, notamment la démocratisation culturelle, et les renouvelle. Nous ne voulions pas apporter un équipement culturel supplémentaire à une ville déjà bien dotée, c'est pourquoi nous nous installons dans le bassin minier, ce qui fut le choix du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin. A Lens, les oeuvres du Louvre seront présentées par roulement et nous organiserons au moins une fois par an une grande exposition internationale. Je reviens de Toledo, dans l'Ohio, où des architectes japonais du cabinet Sanaa, lauréats du projet Louvre-Lens, viennent de réaliser un nouveau bâtiment pour le musée. Ce que j'y ai vu est absolument magnifique et novateur.

Depuis cinq ans, le Louvre se rapproche-t-il des modèles économiques des musées anglo-saxons ?

Les modèles sont très différents, d'abord parce que les musées américains sont privés. L'immodestie me fait dire qu'on peut trouver un modèle économique propre à la France et qui renforce notre vocation de service public. Les musées américains vivent souvent sur un endowment, fruit des donations accumulées par les mécènes ; ce qui n'est pas notre cas. Nous sommes sans doute plus près du modèle britannique, avec ses grands musées nationaux, largement autonomes et qui vivent sur leurs ressources propres.

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