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Scènes volées à Guantánamo : Omar, ado soldat terrorisé
(DR)
Le Canadien Omar Khadr, dernier prisonnier occidental à Guantanamo, a été filmé à son insu au cours d'un interrogatoire en 2003, alors qu'il n'avait que 16 ans. Ses avocat publient dix minutes d'enregistrement.
JEAN-PIERRE PERRIN
QUOTIDIEN : mercredi 16 juillet 2008
Cet adolescent complètement au bout du rouleau, qui s’effondre en sanglots, supplie, se plaint d’avoir perdu ses yeux et ses pieds et demande même qu’on le tue, c’est Omar Khadr, un Canadien de 16 ans, le seul Occidental détenu à ce jour à Guantánamo. Dans une vidéo de dix minutes, le premier enregistrement en provenance de la tristement célèbre base américaine, le jeune prisonnier, quasiment un enfant soldat, exprime une détresse telle que le gouvernement canadien est aujourd’hui dans le plus grand embarras. La vidéo n’est pas récente. Elle a été filmée en février 2003, en secret. La caméra semble avoir été cachée derrière une grille de ventilation, ce qui expliquerait sa qualité médiocre et son plan fixe permanent. Les agents qui l’interrogent appartiennent aux services de renseignements canadiens, le SCRS. Ils sont venus collecter des informations le concernant - sa famille était proche de celle d’Oussama Ben Laden - et sa vie en Afghanistan. Ils ont l’humour pesant et sont dépourvus de la moindre compassion. Quand l’adolescent pleure, se tire les cheveux de désespoir, montre ses blessures à ses interlocuteurs, l’un des flics canadiens lui lance : «Mange quelque chose […] Je comprends que cela soit stressant.» Dans un autre extrait, un flic canadien, encore plus lourdaud, ricane en faisant référence aux bonnes conditions météorologiques dans cette île des Antilles : «Je veux rester à Cuba avec toi. Peux-tu m’aider ?» «Tes pieds sont au bout de tes jambes» L’adolescent avait été arrêté en Afghanistan durant l’été 2002 et accusé du meurtre d’un soldat américain, sur lequel il aurait lancé une grenade. Il avait alors 15 ans. Depuis, il est l’un des 265 détenus que compte la base et dont les conditions de détention semblent des plus difficiles. Recevant, en février 2003, les agents canadiens sur la base de Guantánamo, Omar Khadr avait d’abord cru qu’ils étaient venus l’aider à rentrer chez lui. D’où ses cris de désespoir : «Aidez-moi ! Aidez-moi !» répète, ad nauseam, le jeune prisonnier dans la vidéo. La tête entre ses mains, on l’entend même murmurer : «Kill me ! [tuez-moi].» On le voit aussi enlever le haut de sa tenue orange pour montrer les mauvais soins prodigués à la suite des blessures reçues en Afghanistan. C’est au cours de ces combats que le soldat américain - un infirmier -- avait été tué. «J’ai perdu mes yeux. J’ai perdu mes pieds», lance-t-il à ses interlocuteurs venus s’enquérir aussi de son état de santé. «Non. Tu as toujours des yeux et tes pieds sont au bout de tes jambes» , réplique l’un des trois agents canadiens dont les visages ont été masqués au montage. «Ça ne sert à rien d’utiliser cette stratégie devant nous», ajoute l’un d’eux, qui insiste pour que le jeune homme prenne une «pause» et «se relaxe», avant de poursuivre l’interrogatoire. Un autre lui demandera s’il pensait que des vierges l’attendaient au paradis. Transféré toutes les trois heures Selon les avocats de Omar Khadr, les extraits de la vidéo couvrent quatre jours d’interrogatoire. C’est à la faveur d’une décision de la Cour fédérale canadienne, et après une longue bataille juridique avec le gouvernement canadien, qu’ils ont pu être diffusés hier par ses défenseurs. La Cour fédérale les a finalement autorisés à remettre à la presse plus de sept heures d’enregistrements, réalisés à Guantánamo à l’insu du jeune homme. La diffusion de cette vidéo intervient peu après la publication de documents officiels montrant qu’Ottawa savait, dès 2004, qu’Omar Khadr était victime de mauvais traitements. Selon ces documents, un responsable du ministère canadien des Affaires étrangères avait rendu visite à Khadr, le 30 mars 2004, à Guantánamo. Les responsables américains lui avaient alors indiqué que l’adolescent avait été privé de sommeil pendant trois semaines, afin qu’il soit plus docile lors des interrogatoires. «Toutes les trois heures, il est transféré dans une autre cellule, le privant ainsi de sommeil ininterrompu», précisait le compte-rendu officiel canadien. Menacé de viol par ses geôliers Selon ses avocats, ses geôliers américains ont aussi menacé de le violer ou de le faire violer dans un autre pays. Les organisations de défense des droits de l’homme avaient appelé en vain le Premier ministre canadien - le parti Libéral était alors au pouvoir - à demander aux Etats-Unis son extradition. Elles faisaient valoir que le prisonnier devrait être traité comme un enfant soldat. Un refus que la vidéo, témoignage exceptionnel sur la vie des prisonniers de la base américaine, rend aujourd’hui très difficile à justifier. |
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