17/02/1997 à 21h29

FESTIVAL DE BERLIN. Cru de choix à la 47e édition pour les sections parallèles, où fut projeté le manga «Memories». A Berlin, le «off» est «in».

PERON Didier

Berlin envoyé spécial

Le 47e festival international de Berlin doit probablement pester de n'être pas plus vieux de trois ans et de ne pas avoir lieu à Cannes! Il n'aura échappé à personne que la Croisette aura cinquante ans cette année et qu'elle est bien décidée pour l'occasion à mettre les petits plats dans les grands. Vu d'ici, c'est à dire de l'hiver gla-gla et du gris carbonifère, le Filmfestpiele de Berlin ferait donc plutôt pâle figure face à son aînée française. D'autant qu'il y aurait, semble-t-il, de l'eau dans le gaz entre le directeur du festival, Moritz de Hadeln, et la ville de Berlin qui lui restreint ses espaces de pub et lui diminue son budget. Les mannes gouvernementales ont elles aussi été revues à la baisse. Un survol rapide de la sélection officielle renseigne plutôt cruellement sur le marasme ambiant. Même dans le but de refléter «certaines réalités de la production mondiales» (de Hadeln dans le catalogue), était-il vraiment nécessaire d'inviter un tel ramassis de has-been? Richard Attenborough qui avance, après Gandhi et Chaplin, un Hemingway en Italie dans In Love and War, Bille August, raseur danois palmé d'or (Pelle le conquérant) qui adapte quant à lui un roman de Peter Høeg, Smilla ou l'amour de la neige, ou encore Andrezj Wajda qui se termine à la manivelle catho avec les dilemmes de Miss Nobody entre foi et matérialisme. Comme pour aggraver ce sentiment de morne plaine, parmi les films français sélectionnés, outre Lucie Aubrac de Claude Berri et le Comédien de Christian de Chalonges, on peut d'ores et déjà compter au moins un navet certifié: le Jour et la nuit de BHL. Après Lelouch/Tapie à Venise, on voit dans quel curieux traquenard nous conduit la politique d'exception culturelle. Rappelons enfin que sur ces dix dernières années, s'il est arrivé aux différents jurys d'avoir la main heureuse et de décerner leur Ours d'or à qui de droit (Fassbinder pour Veronika Voss en 1982 ou Panfilov pour Thema en 1987), ils ont aussi consacré avec beaucoup de zèle le fond du tonneau de schnaps, entre le bavant Rain Man de Barry Levinson (1989) et le broutant Raison et sentiments de Ang Lee (1996).

Il faut espérer que Jack Lang, président du jury de cette session 1997 (composée de 10 autres membres, dont la Hong-kong star Maggie Cheung), saura sauvegarder sa réputation d'homme de goût. Il devrait trouver à satisfaire son souci de l'art avec un Raoul Ruiz (Généalogie d'un crime, avec Deneuve) ou une Kira Muratova (Trois histoires), tout deux surnageant de la mousse académique. Peut-être poussera-t-il l'audace branchée jusqu'à distinguer Mars Attacks! de Tim Burton, voire carrément la Rivière homophile du Taïwanais Tsai Ming-liang, remarqué par nos services avec son Vive l'amour. Cependant, si la vitrine officielle semble plutôt dégarnie, Berlin n'en continue pas moins de grouiller d'heureuses surprises dans ses arrière-boutiques, qu'il s'agisse, pour les professionnels, de son marché qui carbure à la vitesse de 100 films par jour ou, pour le public, de ses abondantes sélections parallèles, in (Panorama) et off (Forum). A elles deux, elles représentent une centaines de films, de toutes les provenances (avec une nette tendance asiatique) et de tous les sujets. Notons une constante faveur berlinoise à l'égard des représentations sexuelles les plus multiples possibles. Cette année encore, sadomasochistes, travelos, prostituées et pervers polymorphes auront droit de cité. Les gays et les lesbiennes afflueront comme d'ordinaire sur ces espaces alternatifs, avant de décerner le traditionnel Teddy Bear award du film le plus «sensible». Cette attention très allemande (de gauche) portée aux diversités communautaires va de pair avec une inclination du jeune public local pour un cinéma qui reste à défricher. Alors qu'à Venise et à Cannes, les sections parallèles tête chercheuse s'affaiblissent, Berlin renforce encore son rôle de sentinelle des tendances futures. Cette ferveur se vérifiait ce week-end, puisque ne vit-on pas des rastas blancs et des adolescentes piercées supplier à genoux le caissier du cinéma Arsenal de les laisser à entrer à la projo bondée de Memories, manga japonais en trois parties présenté dans la section Forum. A l'instar de Ghost in the Shell l'année dernière (sorti en France récemment), Memories confirme la santé de l'animation nippone. Le premier dessin animé, Magnetic Rose de Koji Morimoto, est une fastueuse science-fiction à la beauté chromatique souvent époustouflante, d'un lyrisme échevelé, qui ferait passer le dernier quart d'heure de 2001 pour une BD infantile. Le deuxième épisode, Stink Bombs de Tensai Okumara, ne mollit pas, qui raconte les mésaventures d'un enrhumé qui, suite à l'absorption d'une pilule expérimentale, se transforme en boule puante semant la mort panique dans tout le pays. En troisième position, Canon Fodder de Katsuchiro Otomo enfonce le clou no future en revisitant le thème de l'ennemi invisible. Bouquet techno d'éclaboussures mentales, Memories prouve que le Japon a pris quelques longueurs visuelles d'avance sur nos prochaines mutations.