Économie 10/05/1997 à 03h04

La viande aux hormones menace L'EuropeL'Organisation mondiale du commerce juge l'interdiction illégale.

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QUATREMER Jean

Le retour du steak qui fond dans la poêle, c'est pour bientôt.

L'Organisation mondiale du commerce (OMC), sise à Genève, vient de donner tort à l'Union européenne pour avoir interdit ­depuis le début des années 90­ l'importation de viande traitée à coup d'hormones de croissance. L'instance d'arbitrage de l'OMC, saisie par les Etats-Unis en mai 1996, a fait parvenir mercredi soir un «rapport préliminaire» à Bruxelles et à Washington concluant que, faute d'éléments scientifiques probants démontrant la dangerosité pour la santé humaine des hormones naturelles, le boycott européen était illégal au regard des règles du commerce international. Washington jubile. Les Américains n'ont pas caché leur intense satisfaction: «Cette décision est (...) d'une grande importance dans la mesure où elle va dans le sens des producteurs américains et de la science dans le commerce international», s'est félicité Bob Smith, le président républicain de la Commission de l'Agriculture de la Chambre des représentants. Les institutions européennes, paralysées par le pont du 8 mai, n'ont toujours par réagi officiellement.

Cette décision, si elle est confirmée, est une véritable catastrophe pour un marché européen de la viande bovine déjà traumatisé par l'affaire de la «vache folle». Hormone ne rimant pas avec qualité, on risque fort d'assister à une nouvelle chute de la consommation... Certes, le rapport de l'OMC n'est pas définitif, les deux parties ayant quinze jours pour communiquer leurs observations. C'est seulement ensuite que l'instance d'arbitrage de l'OMC rendra sa décision définitive. Et l'Union pourra faire appel: «Nous ne manquerons pas de le faire, l'instance d'appel étant plus politique et donc plus sensible à nos arguments, affirme un haut fonctionnaire de l'exécutif européen. Mais, je ne me fais guère d'illusion sur le résultat final.» De fait, pour l'OMC, tout obstacle au commerce international doit être motivé par une raison objective, soit technique, soit sanitaire. Or, en l'occurrence, l'Union européenne ne peut faire valoir que les craintes de l'opinion publique face aux hormones de croissance.

C'est à la suite du boycott des consommateurs, au milieu des années 80, que l'Union européenne a décidé de proscrire, à compter du 1er janvier 1989, l'utilisation de toute hormone dans l'élevage. Outre l'émotion publique, cette interdiction obéissait à une autre motivation: le marché de la viande, notamment bovine, étant déjà excédentaire, mieux valait pour les finances communautaires interdire l'utilisation de produits ne visant qu'à accroître le poids des bêtes et donc celui du portefeuille des éleveurs...

En bonne logique, à la suite de cette prohibition totale, Bruxelles a interdit l'importation de viande contenant de tels anabolisants. Une mesure qui frappait essentiellement les Etats-Unis, l'Argentine, l'Australie, le Canada ou la Nouvelle-Zélande, où les hormones naturelles sont toujours légales. Résultat: les importations de viande américaine, par exemple, sont passées de 231 millions de dollars par an à environ 20 millions de dollars (de la viande sans hormone, évidemment). Une première plainte de Washington devant le Gatt (le prédécesseur de l'OMC) n'avait rien donné. Et pour cause: à l'époque, les conclusions des arbitres devaient être acceptées par les parties concernées...

Totale innocuité? Dans cette affaire, la position européenne a toujours été extrêmement fragile, aucune étude scientifique n'ayant établi clairement le danger que les hormones naturelles font courir à l'homme. D'ailleurs, en juillet 1995, le «codex alimentarius», un comité international d'experts dépendant de l'ONU chargé d'édicter des normes sanitaires homologuées par l'OMC, a autorisé l'utilisation de ces anabolisants. Pis: en décembre 1995, une conférence réunissant 80 scientifiques, organisée à l'initiative de la Commission qui voulait en avoir le coeur net, a conclu à la totale innocuité tant pour l'animal que pour l'homme des hormones naturelles (oestradiol béta 17, progestérone, testotérone) ou de synthèses (zéranol et trenbolone acétate)... Dès lors, les Etats-Unis n'avaient plus aucune raison de ne pas porter l'affaire devant l'OMC, ce qu'il firent début 1996. Mais, avec les accords de l'Uruguay Round, les décisions des instances d'arbitrage sont devenues obligatoires...

L'Europe coincée. «Je ne vois aucune porte de sortie, commente un haut fonctionnaire de la Commission, car si l'OMC maintient sa décision, aucun pays de l'Union ne voudra changer la législation». De fait, après l'affaire de la vache folle, on voit mal les consommateurs accepter que l'on prenne un risque, si faible soit-il, avec leur santé. Mais sauf à se mettre en congé de l'OMC, on ne voit pas ce que pourront faire les Européens pour s'opposer à l'entrée de viande aux hormones... Et c'est là tout le drame: la décision de l'OMC, si elle est confirmée, interdira à l'avenir, dans le commerce international, toute politique de précaution sanitaire. Ainsi, en dépit des inquiétudes de l'opinion publique, même si les Quinze en avaient l'intention, les organismes génétiquement modifié (OGM) ne pourront pas être bannis du territoire européen, leur dangerosité pour l'homme n'étant pas prouvée. Le doute ne profite pas au consommateur. Mais ce sont les Européens eux-mêmes qui se sont lié les mains lors des négociations du Gatt: faute d'avoir réussi à imposer, dans les accords conclus en décembre 1993, la prise en compte des préoccupations des consommateurs, l'Union s'est interdit toute politique autonome en la matière.

Reste à savoir «si on arrivera à faire bouffer aux gens une viande dont ils ne veulent pas», s'interroge un diplomate. Une chute de la consommation est donc prévisible, d'autant que l'on voit mal comment l'utilisation des hormones naturelles pourra continuer à être interdite aux éleveurs européens... Seule solution: l'étiquettage, obligatoire à partir de l'an 2000 dans l'Union (en France dès le 1er juillet 1997): le consommateur jugera lui-même .

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