beta
Événement 08/03/2001 à 23h55

Retour sur les polémiques autour de la génération 68

L'affaire a vite dépassé le seul cas Cohn-Bendit.

Réagir

HELVIG Jean-Michel

Comment Daniel Cohn-Bendit en est-il arrivé à devoir se défendre d'accusations de pédophilie? Retour sur une «provocation» formulée il y a vingt-cinq ans et utilisée aujourd'hui selon lui par ses détracteurs dans un esprit de «revanche contre Mai 68».

1975. Daniel Cohn-Bendit publie chez Belfond le Grand Bazar, où il évoque son expérience d'éducateur dans les jardins d'enfants alternatifs de Francfort et raconte son embarras face au «désir» d'enfants avec lesquels il a échangé des «caresses».

22 avril 1977. L'auteur est l'invité d'Apostrophes, sur Antenne 2. Bernard Pivot écrit à ce propos dans le Journal du dimanche du 25 février dernier : «Daniel Cohn-Bendit n'avait été interpellé là-dessus par aucun des invités de l'émission. Ni par un homme d'ordre, le préfet Maurice Grimaud, ni par un catholique traditionaliste, Michel de Saint-Pierre, ni par le philosophe François Châtelet. Ni par moi non plus. Aucune protestation dans la presse, y compris à l'Express.»

Mi-janvier 2001. Bettina Röhl, la fille de l'ancienne terroriste de la Fraction armée rouge Ulrike Meinhof, propose à la correspondante de Libération, lors d'un entretien consacré à l'affaire Fischer, une enveloppe contenant une photocopie du passage du Grand Bazar concernant les jardins d'enfants. Libération n'utilise pas ces documents, qui étaient déjà dans le domaine public et qui n'ont pas donné lieu à des plaintes.

28 janvier. L'hebdomadaire britannique The Observer, dont une journaliste a également rencontré Bettina Röhl, publie un long article consacré aux passages incriminés du Grand Bazar. Dans la foulée, les quotidiens The Independent (Royaume-Uni), Repubblica (Italie) et Bild (Allemagne) y consacrent de courts articles.

22 février. Sous le titre les Remords de Cohn-Bendit, l'Express évoque à son tour des écrits devant lesquels «on est frappé de stupeur», soulignant que «la complaisance de l'époque pour les excès de langage ­ et parfois d'actes ­ des militants de la libération sexuelle s'accompagnait d'un véritable aveuglement: l'enfant, croyaient-ils, ne demandait qu'à exprimer sa sexualité et c'était l'interdit qui constituait un abus sexuel. Cette complaisance qui a servi d'alibi et de caution culturelle à bien des pédophiles, masque aussi une autre réalité, l'infantilisme d'une mouvance (...).»

22 février. Au terme d'un échange assez vif avec le présentateur du 20 heures de TF1, rendez-vous prévu depuis trois semaines, Cohn-Bendit déclare: «Ce que l'on peut me reprocher, c'est mon désir de provocation. Mais de grâce, arrêtons la chasse à l'homme. Je ne me laisserai pas assassiner en public, ni par TF1 ni par un autre journal.»

22 février. Jean-Claude Guillebaud écrit dans un éditorial de Sud-Ouest, sans viser directement Cohn-Bendit: «Pendant des décennies, c'est vrai, la violence sexuelle exercée contre des enfants (qu'elle soit ou non incestueuse) a été ensevelie sous le silence et l'hypocrisie. On n'en parlait pas. C'était le secret des secrets. Pire encore: le "climat" post-soixante-huitard conduisait à minimiser la gravité de ces agressions sexuelles. Des crétins dans le vent allaient jusqu'à vanter la permissivité en ce domaine, sans que cela suscite beaucoup de protestations. Je pense à ces écrivains qui exaltaient dans les colonnes de Libération ce qu'ils appelaient "l'aventure pédophile". Et pendant ce temps, des hommes et des femmes gardaient cette souffrance enfouie au fond d'eux-mêmes ; une souffrance qui avait saccagé leur enfance. (...) Le problème c'est qu'on est passé sans transition d'un excès à l'autre. A l'indifférence coupable, voire à la complaisance "branchée" des années post-soixante-huitardes, a succédé une obsession quasi paranoïaque. On s'est mis à voir des pédophiles et des incestes partout.»

23 février. Dans Libération, Philippe Sollers, Roland Castro et Romain Goupil dénoncent le «procès stalinien» fait à Cohn-Bendit. «A force de répéter que les soixante-huitards détiennent les rênes du pouvoir, de l'économie et des médias, ça devait dégénérer en chasse aux sorcières. Et ça finit par exploser», note Romain Goupil.

27 février. Régis Debray, Jean-Claude Guillebaud et Paul Thibaud écrivent dans le Monde: «Nous ne sommes pas en phase avec les positions dites libérales libertaires ou radicales-chic. Daniel Cohn-Bendit, de son côté, a souvent caricaturé et vilipendé celles qui nous sont prêtées. C'est le jeu. Mais nous sommes scandalisés que la vox populi lui demande de démissionner pour avoir consigné il y a vingt-cinq ans ce que presque tout l'establishment intellectuel et journalistique de l'époque cosignait des deux mains.»

28 février. Sous le titre Devoir d'inventaire, Laurent Joffrin écrit dans le Nouvel Observateur: «Les soixante-huitards doivent se repentir? Pourquoi pas: tout le monde y passe. Mais quand Dany expie quelques paragraphes aujourd'hui scandaleux et naguère passés inaperçus, c'est une pure chasse à l'homme.» Il ajoute: «l'important c'est que la réévaluation touche une doctrine toujours en vigueur: l'idéologie "libérale libertaire" (...) Cette idéologie fut précieuse à l'époque de la société cadenassée, des morales d'Etat, de la gauche autoritaire. Mais dans la toute-puissance du marché, sous le règne d'un individualisme ultracompétitif, elle est décalée (...) Aujourd'hui, le libéral libertaire, en sapant l'idée même de la loi, n'est plus l'artisan d'une libération. Il est l'idiot utile du libéralisme. Si l'affaire Cohn-Bendit pouvait le faire comprendre, elle aurait au moins servi à quelque chose».

Vos commentaires

0 commentaire affiché et 0 en attente de modération.

À la une de libération.fr