Les Européens peinent toujours à définir une politique commune de l'immigration alors que l'Espagne doit faire face depuis quinze jours aux îles Canaries à des arrivées massives de clandestins. Mais ils tentent de sauver les apparences. «Pour la première fois, l'Union européenne s'implique véritablement dans la politique migratoire», se félicitait mercredi Maria Teresa Fernandez de la Vega, numéro deux du gouvernement socialiste espagnol, de retour de Bruxelles. La Commission venait d'annoncer quinze mesures pour aider Madrid, dont notamment la mise en place «d'un système de patrouilles navales et aériennes» le long des côtes des Canaries, mais aussi du Sénégal et de la Mauritanie, auquel participeraient huit Etats membres dont la France. Les autres mesures prévoient le cofinancement de la surveillance des frontières et la construction de centres d'accueil temporaire au Sénégal et en Mauritanie pour les immigrants refoulés. Et Madrid a envoyé à Dakar un ambassadeur spécial chargé de mette en place un plan Afrique.

Ligne. Le but est de signer des accords de réadmission des immigrés illégaux, comme cela a été fait, notamment, avec le Maroc ou l'Algérie. Madrid suit l'exemple de nombreux pays européens que l'histoire ou la géographie placent en première ligne. L'Italie et l'Allemagne avaient tenté en 2004 de passer directement un accord avec la Libye pour qu'elle installe sur son sol des «camps d'accueil» pour les refoulés, ce qui déchaîna justement l'ire des organisations de défense des droits de l'homme : ils restèrent vides.

«Le dénominateur commun de la politique des Européens est la volonté de mieux contrôler les frontières externes de l'Union, mais cela ne peut pas régler le problème. Il y a dans ces pays de réels besoins de main-d'oeuvre, d'où ces flux entérinés a posteriori par des opérations de régularisation de masse comme celles menées en Espagne et en Italie ces dernières années», souligne Jean-Philippe Chauzy, de l'OIM (Office international pour les migrations). Le renforcement des contrôles a surtout pour effet de changer les itinéraires des candidats au rêve européen. L'afflux record aux Canaries, avec 7 500 arrivées depuis janvier, s'explique ainsi par le durcissement des autorités marocaines, qui bloquent désormais l'accès vers les enclaves espagnoles de Ceuta ou Melilla. L'an dernier, les clandestins s'embarquant vers les Canaries partaient d'El Ayoun, au Sahara espagnol, distant d'à peine 100 km. Le renforcement de la surveillance les a obligés à partir des côtes mauritaniennes, à trois jours de mer, puis de celles du Sénégal, à une semaine de navigation. Un trajet toujours plus long, plus dangereux et plus cher.

Les experts soulignent néanmoins que la grande majorité des immigrants illégaux arrivant chaque année dans l'espace Schengen ­ 300 000 personnes selon l'OIM ­ débarque avec des visas de tourisme. La presse espagnole relève ainsi que 60 000 Bulgares et Roumains seraient rentrés illégalement en Espagne depuis le début de l'année.

Mot. L'immigration reste un enjeu majeur des prochaines années pour une Europe à la population vieillissante. Mais sur cette question, les 25 restent à l'heure du chacun pour soi, avec des réponses opposées sinon contradictoires. «L'UE ne dispose d'aucune compétence dans la question des flux migratoires : les Etats membres ont toujours refusé qu'elle ait son mot à dire sur le nombre d'étrangers qu'ils admettent sur leur territoire», rappelait Franco Frattini, commissaire européen pour la Justice et les Affaires intérieures (Libération du 1er avril). Les opinions publiques de nombreux pays, notamment en Europe du Nord, qui furent longtemps accueillants, affichent une hostilité croissante et prêchent pour un contrôle. Quand, l'année dernière, le gouvernement espagnol régularisa plus de 500 000 clandestins, il fut critiqué par les gouvernements allemand et néerlandais, qui lui rappelèrent que l'immigré régularisé en Espagne peut à terme s'installer dans n'importe quel autre pays de l'Union.

Il y a pourtant l'urgence d'une approche commune. Comme le soulignait l'an dernier un rapport de la Commission, l'UE perdra 20 millions de travailleurs entre 2010 et 2030 du fait du vieillissement démographique. Pour rester compétitive, elle devra revoir à la hausse sa politique d'admissions des immigrés.

SEMO Marc