Événement 18/04/2005 à 01h48

La sacrée division

Analyse

«Néoconservateurs» et réformistes s'affrontent au sein du Sacré Collège.

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SEMO Marc

Rome envoyé spécial

Faute de candidat consensuel de poids, le conclave s'ouvre dans l'incertitude. Quand, après la prononciation de la formule consacrée «extra omnes» («tous dehors»), seuls resteront dans la chapelle Sixtine les 115 cardinaux électeurs, il n'est même pas certain qu'ils commencent tout de suite à voter. Trouver un successeur à un pape aussi charismatique et politique que Karol Wojtyla n'est en effet pas chose aisée. Certes, tous les cardinaux électeurs, sauf deux, ont été nommés par Jean Paul II, et le nouveau pape s'inscrira nécessairement dans la continuité. Mais l'héritage de ce pontificat record de vingt-six ans est très contradictoire et les divisions restent fortes, opposant deux conceptions de l'Eglise, l'une conservatrice ­ notamment en matière de dogme et de centralité romaine ­, l'autre plus ouverte au monde. En outre, les cardinaux électeurs, provenant de 52 pays, n'ont aucune expérience des conclaves et ne se connaissent pas tous.

Le grand favori, du moins pour les premiers tours, reste le cardinal allemand Joseph Ratzinger, 78 ans, théologien de haut vol et inflexible gardien de l'orthodoxie «wojtylienne» depuis un quart de siècle. A ce titre, il a traqué tous les déviants, dont les «marxistes» de la théologie de la libération, se gagnant le surnom de «Panzerkardinal».

Ratzinger est le porte-drapeau de ce que Sandro Magister, vaticaniste de l'hebdomadaire l'Espresso, appelle les «néoconservateurs» en référence aux néoconservateurs américains, anciens gauchistes passés à l'extrême opposé. Le cardinal Ratzinger lui-même était jadis un progressiste très engagé dans le concile Vatican II. «Dans le sillage de Jean Paul II, ces néoconservateurs veulent une Eglise qui ne parle pas simplement dans l'intimité des consciences mais agisse aussi au centre de l'arène publique», souligne Sandro Magister. Une bataille dont l'enjeu principal est la reconquête de sociétés occidentales toujours plus sécularisées. Le maintien du dogme et de la centralité de Rome sont leurs autres priorités.

Au conclave, Ratzinger pourrait compter sur une cinquantaine de voix, ce qui est important mais insuffisant pour arriver à la majorité des deux tiers. Le doyen du Sacré Collège pourrait donc ensuite parrainer un autre candidat de son camp, comme le cardinal de Vienne, Christoph Schönborn (60 ans), très engagé dans le dialogue avec l'Orthodoxie, ou le patriarche de Venise, Angelo Scola, 63 ans.

La montée en puissance du «Panzerkardinal» a amené ses nombreux adversaires à faire bloc autour d'un candidat de prestige, le cardinal Carlo Maria Martini, 78 ans, ancien archevêque de Milan. Retiré à Jérusalem, souffrant et atteint de la maladie de Parkinson, ce théologien jésuite progressiste et libéral a clairement affirmé qu'il ne voulait ­ ni ne pouvait ­ monter sur le trône de Pierre. Longtemps pourtant, il avait été considéré comme l'un des possibles successeurs de Jean Paul II, qui l'estimait profondément malgré leurs divergences. Peu avant le conclave, il avait appelé l'Eglise à «ouvrir de nouvelles routes».

Crédité d'une bonne trentaine de voix pour les premiers tours, Carlo Maria Martini devrait ensuite faire reporter ces suffrages sur un candidat à même de ratisser large, comme Dionigi Tettamanzi, 71 ans, actuel archevêque de Milan, resté très discret dans la phase de préconclave. Spécialiste de bioéthique et très proche du défunt pape sur les questions de la famille, il passe pour «réformiste modéré» et a toujours su montrer un grand sens du dialogue, comme à Gênes lors du sanglant sommet du G8 de 2001, où il s'était entretenu avec les altermondialistes. Ses adversaires ironisent sur son physique rondouillard, son manque de charisme et sa méconnaissance des langues étrangères. Parmi les plus conservateurs certains l'accusent même d'être le «dernier des communistes».

Le camp «réformiste» compte aussi nombre de cardinaux latino-américains, conscients de représenter plus de la moitié des catholiques du monde. «Il est important que le pape et l'Eglise sachent montrer qu'ils sont au service de l'humanité, notamment des plus pauvres et des plus marginalisés», insistait dès son arrivée à Rome le Brésilien Claudio Hummes, archevêque de São Paulo et possible papabile. Ce bloc compte également des «occidentaux», dont le cardinal belge Godfried Danneels ou l'Américain Roger Mahonny, ainsi que nombre de Français et d'Allemands partisans d'une Eglise plus «collégiale», c'est-à-dire plus démocratique et plus ouverte aux nouvelles réalités des sociétés occidentales.

Dans la demi-douzaine d'autres prélats à même de cristalliser un compromis, se détache notamment la figure de José da Cruz Policarpo, 69 ans, archevêque de Lisbonne, très engagé dans le social et qui pourrait représenter un pont avec l'Amérique latine. Et enfin le cardinal Ivan Dias, 64 ans, Indien et grand diplomate de la curie, le plus cité dans un sondage de Radio Vatican parmi les cardinaux.

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