Politiques 18/07/2009 à 06h51

Les sondages très controversés du conseiller de l’Elysée

Présidence. Le cabinet épinglé par la Cour des comptes est dirigé par un proche de Sarkozy.

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Par ANTOINE GUIRAL, LILIAN ALEMAGNA

(© AFP photo AFP)

Secret-défense ! En dépit d’une «volonté de transparence» revendiquée, l’Elysée refuse de révéler le nom du cabinet épinglé jeudi par le rapport de la Cour des comptes sur le budget de la présidence, pour avoir notamment facturé au prix fort - 392 288 euros - une quinzaine de sondages réalisés par OpinionWay et publiés par le Figaro et LCI (Libération de vendredi).

Le cabinet en question s’appelle Publifact, comme l’a confirmé vendredi à Libération un acteur majeur du dossier. Il s’agit d’une toute petite structure dirigée par Patrick Buisson, patron de la chaîne Histoire, mais surtout conseiller politique de l’ombre de Nicolas Sarkozy. Personnage très influent auprès du chef de l’Etat, cet ancien patron du journal d’extrême droite Minute et journaliste à LCI a facturé en 2008, via son cabinet, pour 10 000 euros d’honoraires mensuels à l’Elysée le prix de ses conseils. S’ajoutent à cette somme 130 autres factures qui, honoraires inclus, atteignent la somme de 1,5 million d’euros pour la seule année 2008, comme le relève le rapport de la Cour des comptes.

Fantasmagorie. Le cabinet Publifact est hébergé à Paris, rue des Mathurins, dans le VIIIe arrondissement. Lorsqu’on se rend sur place, pas de bureau propre à Publifact mais une société de domiciliation, ABC LIV. Elle se contente de transmettre le courrier à Publifact, seul moyen officiel de contacter le cabinet d’études.

Joint au téléphone par Libération, Patrick Buisson ne souhaite ni s’exprimer ni se justifier ou apporter des précisions sur la nature des études qu’il a fournies au Château. Pour lui, la seule vraie nouveauté est que Nicolas Sarkozy a choisi, contrairement à ses prédécesseurs, de jouer la transparence. Le reste n’est à ses yeux que complot et fantasmagorie dès lors que l’on parle de sondages et donc de possible manipulation de l’opinion.

Formellement, nul ne peut reprocher à l’Elysée de commander des études et des sondages à des cabinets privés, fussent-ils amis ou très proches du pouvoir. Dans le cas du cabinet de Patrick Buisson, ce genre de renvoi d’ascenseur est détestable, mais il est pratiqué par tous les pouvoirs et est inattaquable juridiquement. «C’est une habitude de la monarchie présidentielle, se défend le directeur de l’institut de sondages OpinionWay, Hugues Cazenave. Sous Mitterrand et Chirac, Ipsos n’a jamais été en concurrence avec d’autres instituts !» ajoute cet ancien d’Ipsos.

Le minimum serait alors pour le cabinet de fournir un travail qui ait une vraie valeur. Or, selon la Cour des comptes, «sur les 35 études diverses facturées en 2008, au moins 15 d’entre elles avaient également fait l’objet de publications dans la presse». En clair, l’Elysée a payé pour des études que l’on trouvait gratuitement dans les journaux.

Dans un communiqué publié hier, OpinionWay souligne que «la prestation régulière [le Politoscope, ndlr] fait l’objet depuis 2007 d’une facturation par OpinionWay à LCI et le Figaro, et seulement à ces deux médias». Pour Hughes Cazenave, la Cour des comptes aurait confondu deux choses : les enquêtes Politoscope payées et publiées par LCI et le Figaro et «une autre prestation» qui «correspond à des questions confidentielles posées» dans le cadre de ces mêmes enquêtes. Explication donnée par le directeur d’OpinionWay : «Nous commercialisons les résultats détaillés de ces enquêtes auprès d’acteurs politiques qui le souhaitent. Comme d’autres instituts de sondages.» Une explication qui ne convainc pas un directeur d’institut, pour qui ces ventilations des études sont systématiquement et gratuitement fournies aux commanditaires.

Pourquoi l’Elysée a-t-il besoin d’un intermédiaire et doit faire appel à un tel cabinet d’études au lieu de s’adresser directement à OpinionWay ?Les cabinets de ce genre «ne proposent pas la même prestation, explique Cazenave. Ils ajoutent une valeur de conseil que nous ne proposons pas. Si l’Elysée paie cela, c’est que ça doit l’intéresser.» Il s’interroge au passage sur le fait que son institut est le seul à avoir été nommé par l’enquête de la Cour des comptes alors qu’au paragraphe suivant «on parle de 35 enquêtes et aucun autre institut n’est cité» : «Je me demande s’il n’y a pas une petite affaire politique là derrière.» Petit rappel : OpinionWay avait été au cœur d’une polémique durant l’élection présidentielle. Ségolène Royal lui reprochant de réaliser des enquêtes extrêmement favorables à son adversaire, Nicolas Sarkozy.

Confiance. Vendredi, la société des rédacteurs du Figaro a exprimé sa «consternation» et réclamé à la direction du journal de «mettre immédiatement un terme» à la publication de sondages OpinionWay qui «sont commandités» par «la présidence de la République». Le directeur du Figaro, Etienne Mougeotte, a de son côté déclaré maintenir sa confiance à cet institut. Selon lui, il se «trouve aujourd’hui au cœur d’une campagne politique». Le patron du Figaro a par ailleurs «formellement» démenti tout financement par l’Elysée. Car, en creux, la Cour des comptes semble également déplorer que l’Elysée ait payé à l’institut OpinionWay des sondages lui étant favorables ou servant ses intérêts. «Ce n’est pas l’Elysée qui fait les questions», se défend Cazenave.

Au Parti socialiste, la députée et porte-parole de Ségolène Royal Delphine Batho a demandé de rendre publique «la liste des 15 sondages payés par la présidence de la République» et a dénoncé un «système d’instrumentalisation de l’opinion et de connivence entre le pouvoir, un institut de sondage et certains médias».

 

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