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Eric Besson, 48 ans. Un mois après sa démission du PS, minimisée par Ségolène Royal et commentée comme un pétage de plombs, il publie un livre vengeur contre la candidate.
Le monsieur te répond
Par Edouard LAUNET
QUOTIDIEN : jeudi 29 mars 2007
«Q
ui connaît Monsieur Besson ?» De plus en plus de monde, au
train où vont les choses. Y compris, sans doute, les ouvrières de
la Somme à qui Ségolène Royal avait lancé cette phrase , manière de
dire : un type a démissionné du secrétariat national du PS pour des
histoires internes, on ne va tout de même pas en faire un plat.
L'affaire aurait pu en rester là. Mais les
«raisons personnelles» que
«Monsieur Besson» avait invoquées pour justifier son départ
sans avoir à l'expliquer ont trouvé des traducteurs dans
l'entourage de la candidate.
«La vie privée d'Eric Besson est un naufrage, il a pété les
plombs», ont-ils déchiffré en substance. Ces gentillesses
parviennent aux oreilles de l'intéressé, qui, ulcéré, décide illico
d'ouvrir le lance-torpilles. Tube n° 1 : départ du PS pour couper
les derniers ponts. Tube n° 2 : conférence de presse pour dénoncer
les dérives du parti. Tube n° 3 : parution la semaine dernière d'un
livre d'entretiens rédigé ventre à terre pour développer cet
impératif :
«Ségolène Royal ne doit pas devenir présidente de la
République.» Le porte-avions Ségolène n'a guère tangué, mais le
kamikaze a réussi un suicide politique sans précédent.
Un petit bureau chez Grasset, son éditeur. Patient, courtois,
Eric Besson est prêt à argumenter sur chaque minute d'un parcours
politique entamé en 1993. Les convictions, l'ascension, les doutes,
la rupture, le déballage, car
«on ne touche pas à ma famille». Il était
«prêt à partir en silence», mais on s'en est pris à sa femme,
à sa fille aînée. Alors il va dire comment il en est arrivé à
douter du PS, parti auquel il a consacré plus de dix ans de sa vie.
On vous la fait courte : Ségolène est
«fondamentalement dans la société post-industrielle», genre
écolo-défaitiste, et par ailleurs héraut d'une démocratie
participative proche du
«populisme». Lui croit encore en
«l'émancipation par l'alliance du progrès technique et du
progrès social», et tient à la démocratie représentative. Ce ne
sont pas des problèmes d'ego qui l'ont poussé au clash, mais des
raisons de fond.
Beaucoup de ses anciens camarades en doutent, grincent sur
«son ambition ministérielle contrariée». Pas sa femme.
«Il n'est pas du genre à agir sur un coup de tête», assure
Sylvie Brunel, économiste et géographe, ancienne présidente de
l'ONG Action contre la faim (ACF). Après
«des années de travail de fourmi dans l'ombre», il avait pris
la peine de sortir discrètement, parce que le parti
«ne servait plus les valeurs auxquelles il croyait». Et voilà
qu'on le tacle.
«Il était écoeuré.»
Jusqu'à très récemment, Eric Besson, député PS depuis 1997,
membre du conseil national depuis 2000, était un quasi-inconnu pour
le grand public (mais pas pour la presse).
«On me disait : "Tu es trop lisse, trop gentil, tu ne seras
jamais dans les grands noms du parti." Et maintenant on voudrait me
présenter en quasi-serial killer ?» La discrétion n'a pas
toujours été son fort. En 1982, après s'être fait bouler au
concours de l'ENA, il se paye un quart de page de pub dans
le Monde pour clamer
«Je ne crois pas que l'Etat soit le seul à satisfaire l'intérêt
général» et proposer ses services au privé. Il y fera une
carrière vive et variée, jusqu'à la tête de la fondation Vivendi,
les bonnes oeuvres de Jean-Marie Messier. Un proche témoigne :
«C'est une des rares personnes qui a réussi une belle carrière
dans le privé avant de percer en politique. Il a apporté une forte
culture d'entreprise au PS.» Itinéraire hétérodoxe, qui se
serait achevé de manière hétérodoxe, très «société civile»
(Servan-Schreiber, Giroud, Tapie, etc.).
La greffe culturelle n'aurait pas pris.
«Il y a eu une accumulation de vexations, qu'il a encaissées
jusqu'à ce que le vase déborde», poursuit cet ami. La goutte
d'eau de la rumeur. Sylvie Brunel, qui vient elle-même de rendre sa
carte du PS, approuve l'attitude de son mari :
«C'est par des ruptures qu'on reste fidèle à
soi-même.» Propos d'experte : en 2002, Brunel avait brutalement
démissionné de la présidence d'ACF, après dix-sept ans d'engagement
dans les ONG, provoquant un scandale en tonnant dans
Libération :
«Les organisations humanitaires sont devenues un
business.» Dans la famille «je claque la porte», la fille aînée
n'est pas mal non plus. A 13 ans, Alexandra réglait déjà ses
comptes avec la terre entière dans un livre (
Dieu est une femme, Denoël, sous le pseudo d'Ariane Fornia)
avec une plume incroyablement déliée. Sur son député de père, elle
écrivait :
«Grenouille de bénitier sur les bords, il communie dans
l'oecuménisme des socialistes rédempteurs.» Quatre ans plus
tard, depuis l'internat d'un grand lycée parisien où elle est en
hypokhâgne, Alexandra persiste et signe :
«Mon père a gâché une bonne partie de sa vie privée dans la
politique, avec des gens qui ne lui en sont même pas
reconnaissants.»
Pour ceux qui voulaient donner au coup d'éclat de Besson un
motif tout sauf politique, il était tentant de brosser cette
famille en grande pétaudière. Ses membres réfutent absolument.
«Chacun mène sa barque mais nous sommes tous
solidaires», résume Sylvie Brunel. Quant à la
«grenouille de bénitier sur les bords» , elle s'affirme
agnostique. Eric Besson a juste juré fidélité à une philosophie
qu'il se serait forgée dès ses 12 ans dans la rude réalité d'un
collège de jésuites, et qui tient en trois mots, nous citons :
«Action, justice, fatalisme.» Se battre tout le temps, avoir
le souci permanent de la justice, et, une fois qu'on a agi,
advienne que pourra. Le fatalisme, c'est sa
«fibre méditerranéenne». Il est né au Maroc d'une mère
d'origine libanaise et d'un père pilote-instructeur pour l'armée
française, qui s'est tué en vol trois mois après sa naissance. Il a
passé là-bas ses dix-sept premières années.
La seule référence culturelle qu'il concède, c'est
l'Homme révolté de Camus. Et la grande date, c'est le 6
septembre 1989 :
«Le jour de la naissance de mon premier enfant, mes doutes
existentiels se sont évanouis.» Sa première apparition publique,
il l'a faite en bébé dans une chronique d'Alexandre Vialatte, car
figurez-vous que l'auteur de
L'éléphant est irréfutable était son parrain (et une relation
de sa grand-mère). L'irréfutabilité de l'éléphant est une image qui
poursuit Besson ces jours-ci, il veut bien l'admettre.
Bon, on n'en serait pas à parler de tout ça s'il avait bien
voulu patienter jusqu'à la fin mai pour sortir son pamphlet (ou ne
pas l'écrire du tout, comme le lui avait conseillé sa mère).
«Imaginez que j'aie attendu et que le bouquin soit sorti après
la défaite de Royal. On m'aurait dit : "C'est inélégant, c'est le
coup de pied de l'âne." Et s'il était paru après sa victoire, on
m'aurait reproché de ne pas avoir prévenu avant !» Car il pense
désormais que Sarkozy et Bayrou sont
«plus qualifiés» que la candidate du PS pour diriger la
France.
«Il est d'une génération qui s'est mise à douter de ce que la
politique pouvait réellement apporter», diagnostique un autre
quadragénaire du PS. L'avenir, «Monsieur Besson» le brosse en trois
mots :
«Tout est ouvert.» Dirigeant dans le foot (une passion) ? Il
ne dirait pas non, mais ça ne sera sans doute pas à Nantes, dont le
maire Jean-Marc Ayrault commentait récemment :
«C'est triste, cette dérive personnelle.»
photo JERìME BREZILLON
Eric Besson
en 8 dates
1958
Naissance à Marrakech.
1983
Cadre chez Renault Véhicules Industriels.
1985
Rédacteur en chef du magazine Challenges.
1989
Conseil en ressources humaines.
1993
Adhère au PS.
1995-1997
Maire de Donzère, puis député de la Drôme.
14 février 2007
Démissionne du PS.
20 mars 2007
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