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Reconstruire les monuments disparus? Chiche...



En apparence, ce sont des projets fous: reconstruire à l'identique, à Paris, deux monuments historiques disparus... Et pas des moindres, puisqu'il s'agit du palais des Tuileries et du château de Saint- Cloud! Pourtant, ils sont réalisables l'un et l'autre. Selon leurs promoteurs, ces projets ne coûteraient même pas 1 Euros à l'Etat. Ils seraient tous les deux «autofinancés» par les associations en charge de ce défi.

Ironie du sort: ces deux constructions ont été détruites quasi en même temps et par... des Français. Le château de Saint- Cloud accueillait, l'été, Louis XIV et Marie-Antoinette, puis devint la résidence impériale de Napoléon III. Cet édifice néoclassique, parmi les plus beaux de notre histoire, réaménagé par Jules Hardouin-Mansart puis par Percier et Fontaine, fut ravagé en octobre 1870 par un incendie, lors de la guerre franco-prussienne. Les troupes ennemies s'y étaient installées. Et c'est un obus français tiré du mont Valérien voisin qui devait donner le signal de sa destruction. De son côté, le palais des Tuileries, que Napoléon III avait réuni au Louvre et où il avait installé le gouvernement, fut, lui aussi, incendié dans les dernières heures de la Commune de Paris, en 1871, par des éléments incontrôlés, les «pétroleuses».

Pendant une vingtaine d'années, les ruines de ces deux bâtiments furent conservées. Celles de Saint-Cloud devaient être arasées en 1891 pour des raisons de sécurité. Quant à l'aile manquante des Tuileries, qui passait perpendiculairement à la Seine entre les pavillons restants de Marsan et de Flore, les murs furent démantelés à peu près au même moment. Objectif: permettre la reconstruction à l'identique, promise par Jules Ferry. De Gaulle songea même à y transférer l'Elysée... Alain Boumier, un ingénieur des travaux publics à la retraite, que sa passion pour le second Empire a amené à créer le Comité national pour la reconstruction des Tuileries, et Laurent Bouvet, un ex-gestionnaire immobilier de 43 ans retiré des affaires, qui a décidé de consacrer sa vie à la renaissance du château de Saint-Cloud, peuvent donc se prévaloir d'une certaine «continuité».

Techniquement, leurs deux projets ne posent pas de problèmes majeurs. La ligne des fondations de l'aile manquante des Tuileries existe encore. Tous les plans du bâtiment ont été conservés, ainsi qu'un certain nombre de pierres de l'édifice, utilisées comme remblais du jardin le long du quai des Tuileries. Quant à Saint-Cloud, c'est l'un des rares châteaux détruits en Europe dont l'emplacement est resté vierge. Toutes ses fondations, soit le quart du bâtiment, demeurent On dispose d'une documentation gigantesque sur son état avant destruction. Enfin, l'ensemble du mobilier et des objets d'art qui s'y trouvaient avaient été prudemment déménagés avant l'occupation prussienne. Dispersés dans les musées, il suffirait de les rassembler pour reconstituer l'intérieur du château.

Ces deux projets coûtent cher: de 350 à 500 millions d'euros pour les Tuileries, selon les diverses versions de la reconstruction, et 400 millions d'euros pour Saint-Cloud. Mais, dans les deux cas, l'appel aux fonds de l'Etat devrait être limité, sinon nul. Alain Boumier a ainsi établi un véritable business plan pour la reconstruction des Tuileries. L'Etat se contenterait d'accorder la concession des lieux pour soixante-dix ou quatre-vingts ans - une pratique classique - à l'association, celle-ci se chargeant de réaliser et de rentabiliser les 20 000 m2 en plein coeur de Paris. Et les affectations possibles ne manquent pas: on pourrait y loger les collections à l'étroit du musée du Louvre ou du musée des Arts décoratifs voisin, mais aussi la Délégation à la francophonie du ministère des Affaires étrangères. On pourrait aussi y inclure un auditorium, en faire un centre de séminaires ou de réceptions international...

Zones d'ombre
Pour Saint-Cloud, Laurent Bouvet a, lui, une autre idée: il voudrait faire de sa reconstruction une espèce de «parc historique», où les visiteurs viendraient prendre des leçons vivantes d'architecture néoclassique. Et il a, pour cela, un modèle: à Guédelon, dans l'Yonne, un passionné d'architecture moyenâgeuse a fait de même pour un château fort, qui n'existait pas auparavant sur le site. Avec 300 000 visiteurs payants l'année dernière, le chantier est devenu le deuxième lieu touristique le plus couru de Bourgogne - les recettes finançant intégralement la (re)construction du château!

Bien sûr, ce paysage idyllique cache des zones d'ombre. Les obstacles ne manquent pas. Dans le cas des Tuileries, ces objections sont avant tout d'ordre urbanistique: en rétablissant, au milieu du jardin, l'aile manquante du bâtiment, celle-ci ne va-t-elle pas barrer la perspective qui va de la pyramide de Pei à l'arc de triomphe de l'Etoile, en passant par l'arc du Carrousel, l'obélisque de Louqsor et les Champs-Elysées? «Si cette perspective est continue, elle n'est pas rectiligne», tranche Alain Boumier. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle Napoléon avait fait construire l'Arc de Triomphe en son emplacement actuel: pour faire face au pavillon central des Tuileries et former ainsi une perspective rigoureuse. Bref, reconstruire les Tuileries ne briserait pas une perspective célèbre dans le monde entier, mais, au contraire, la rétablirait...

Saint-Cloud ne pose pas de tels problèmes. Les promeneurs sentent bien au contraire qu'il y «manque» quelque chose. Il y a quelques années, l'architecte du patrimoine en charge du site a d'ailleurs ressenti la nécessité de planter une rangée d'ifs en «U» sur l'espace occupé jadis par le château, pour rétablir une partie de cette présence spatiale. Les principales objections sont plutôt d'ordre esthétique: comment faire pour reconstruire un édifice aussi chargé historiquement sans tomber dans le pastiche?

Gestes politiques
A cela, Laurent Bouvier répond facitement. Il lui suffit de dérouler l'interminable liste des grands monuments historiques rebâtis à l'identique en France ou ailleurs. Quel visiteur a ainsi conscience, face à la cathédrale d'Orléans, que ce chef-d'oeuvre du gothique, détruit lors des guerres de Religion, fut rebâti de fond en comble au XVIIIe siècle? Et qui se soucie qu'à Arras la structure interne du beffroi soit en béton? Reconstruit entre 1924 et 1932, il paraît plus authentique que nature, comme la halle aux draps d'Ypres, en Belgique, dont il ne restait, après 1918, qu'un moignon. Quant aux deux places d'Arras, la reconstitution des pignons des maisons a été faite avec tant de soin que si, par extraordinaire, on perdait les documents attestant de leur reconstruction, nos descendants pourraient penser que jamais il n'y eut ici de bombardements... Et les techniques de reconstruction ont beaucoup progressé depuis. «Il n'y a pas plus de risque de «pastiche architectura» que lorsqu'une symphonie de Beethoven est interprétée par un orchestre contemporain...» précise Alain Boumier avec malice.

C'est d'ailleurs à ce sujet que se situe la grande originalité des projets de reconstruction du palais des Tuileries et du château de Saint-Cloud. «Ce qui diffère ces projets des cas d'Arras ou d'Ypres, c'est qu'on ne reconstruit plus aujourd'hui pour réparer des dommages de guerre, mais pour des raisons identitaires: pour renouer le fil avec un passé qui s'était trouvé, le plus souvent pour des raisons politiques, rompu», explique Pierre-André Lablaude, l'architecte en chef des Monuments historiques à Versailles et l'un des meilleurs spécialistes mondiaux des reconstitutions architecturales.

Car la vague des reconstrucuons identiques vient des opérations du même genre opérées depuis vingt ans dans les pays ex-communistes. C'est grâce à une souscription des Moscovites qu'est ressortie du néant, en 1999, l'église du Christ - Saint-Sauveur à Moscou, dynamitée par Staline en 1931. Même chose à Berlin, où la reconstruction du château doit commencer en 2010 pour une inauguration prévue en 2013. Là aussi, ce sont des considérations identitaires qui ont prévalu. Situé, après la coupure entre les deux Berlin, dans la partie est de la ville, l'ex-château des Hohenzollern était resté en ruine jusqu'en 1950. Le régime communiste avait ensuite bâti à sa place une sorte de bunker moderne, abritant le Parlement de la RDA. Abattre celui-ci pour lui substituer un château de Berlin tout neuf relève du geste politique. Tout comme à Dresde, la «Florence de l'Elbe», un des plus beaux ensembles baroques d'Europe réduit en poussière par les bombardements alliés de février 1945, où l'on a achevé en 2006 la reconstruction à l'identique de la Frauenkirche (Notre-Dame-de-Dresde): il s'agit de renouer le fil avec un passé européen «continental».

Considérations urbanistiques
Seul «hic»: la question ne se pose pas de la même façon en France. Les Monuments historiques ont déjà du mal à assurer la conservation de l'héritage de notre pays, lequel, avec la moitié des châteaux européens (40 000 édifices), est le conservatoire européen par excellence du passé! Mais, selon un tel raisonnement, aurait-on dû laisser à l'état de ruine le Parlement de Bretagne à Rennes, après l'incendie qui l'a ravagé en 1994?

En fait, ce qui doit dominer, ce sont des considérations d'ensemble, de nature urbanistique. On peut ainsi douter de la nécessité d'avoir reconstruit, en Italie, le monastère du Mont-Cassin, ravagée pendant la guerre, mais ne fallait-il pas restituer tel quel le Théâtre lyrique de la Fenice à Venise, détruit en 1996 par un incendie? Et qui peut rejeter à Paris la nouvelle tour Saint- Jacques, reconstituée quasiment de pied en cap, et qui avait bien failli être abattue?

Bref, c est au cas par cas qu'il faut raisonner. Et il n'y a pas de nostalgie indue dans ces reconstitutions. La rencontre d'architectures d'époques et de styles différents peut être un attrait urbanistique, comme on le redécouvre à Bucarest, où l'on commence à se rendre compte que la capitale roumaine, c'est aussi bien les restes du vieux quartier ottoman que l'on songe à faire renaître, les villas européennes second Empire du nord de la ville, les bâtisses Art déco des années 30... que le très mussolinien Palais du peuple de Ceausescu.

Et, dans certains cas, reconstruire à l'identique peut même avoir une valeur morale, comme à Mostar, où le vieux pont de pierre, détruit en 1993 par des tirs d'artillerie croates et que l'on a reconstitué pierre par pierre, pourrait bien dans le futur symboliser le retour à la coexistence de populations de même origine et de même langue, mais que des circonstances historiques et les passions religieuses avaient séparées. Reste à espérer que ce noble souci guide ceux qui reconstruisent les Tuileries et Saint-Cloud....


Samedi 17 Mai 2008 - 00:00
PATRICE BOLLON
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Prose pour des essaims - 16/08/2008

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