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Le chĂąteau de Pierrefonds
Une nouvelle vision du monument
Par Jean MESQUI
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Le chĂąteau de Pierrefonds
Une nouvelle vision du monument
Par Jean MESQUI
Le chĂąteau de Pierrefonds peut paraĂźtre, Ă certains Ă©gards, bien rĂ©barbatif Ă celui qui cherche Ă
retrouver, derriĂšre lâarchitecture de Viollet-le-Duc, le projet initial de Louis dâOrlĂ©ans, tant le monument
primitif sâefface au profit de lâĆuvre trop souvent dĂ©criĂ©e du grand architecte ; au demeurant, on
pourrait croire que tout a été écrit de façon définitive depuis les études menées, entre 1958 et 1983,
par Jacques Harmand, le premier auteur à avoir dépouillé de façon à peu prÚs exhaustive la
documentation du chantier de restauration pour tenter de rétablir la « réalité » du chùteau ducal.
Malheureusement, le travail remarquable auquel sâest livrĂ© lâauteur est obĂ©rĂ© par une vĂ©ritable
obsession dirigĂ©e contre Viollet-le-Duc, quâil nâhĂ©sitait pas Ă taxer de manque dâintelligence et de
probitĂ© dans son traitement du monument ; lâarchitecte nâaurait rien compris du monument, ses
successeurs « thurifĂ©raires » nâayant pas dĂ©passĂ© la vision fausse du restaurateur. Les trois
publications de lâauteur sâarticulĂšrent autour de deux idĂ©es maĂźtresses : la premiĂšre, selon laquelle le
chĂąteau de Louis dâOrlĂ©ans aurait Ă©tĂ© implantĂ© sur un site vierge, le chĂąteau primitif Ă©tant situĂ©
ailleurs, sur le site de la ferme du Rocher
1
; la seconde, suivant laquelle Louis dâOrlĂ©ans aurait dâabord
construit un « manoir colossal, mais sĂ©vĂšre presque jusquâĂ lâaustĂ©ritĂ© », de 1393 Ă 1397, puis, Ă
partir de 1397, « la forteresse strictement fonctionnelle qui lâa enveloppĂ© »
2
.
Ces deux idées maßtresses sont fausses, ainsi que les démonstrations qui y conduisent ; sans doute
lâauteur Ă©tait-il guidĂ© par une sincĂšre passion, mais elle atteignit un vĂ©ritable aveuglement, nourri de
quelque « manque de probitĂ© et dâintelligence » quâil reprochait au restaurateurâŠ
3
DĂšs lors, une
nouvelle analyse sâimpose, en prenant en compte, sans prĂ©jugĂ© ni idĂ©e prĂ©conçue, lâensemble des
indices archĂ©ologiques et historiques qui demeurent, et qui nâont jamais Ă©tĂ© exploitĂ©s Ă leur mesure
potentitelle, tant le site a pu dĂ©couragĂ© les historiens de lâarchitecture depuis 130 ans.
Le premier chĂąteau de Pierrefonds
On ne peut Ă©videmment prĂ©tendre comprendre le chĂąteau de Louis dâOrlĂ©ans sans avoir une idĂ©e du
chĂąteau qui lâa prĂ©cĂ©dĂ©. Un certain nombre de donnĂ©es textuelles permettent dâen cerner quelque peu
les contours. Mais, avant mĂȘme de les aborder, il convient de dire quelques mots du site.
Pierrefonds, la colline du chĂąteau et le promontoire du Rocher
Pierrefonds est situé dans une vallée large
au fond sablonneux et marécageux irrigué
par le rĂ» de Berne, Ă la lisiĂšre de la forĂȘt
de Cuise dâorigine immĂ©moriale (fig.1) ;
sur la rive gauche courait lâancienne voie
romaine, dite aujourdâhui ChaussĂ©e
Brunehaut, de Senlis Ă Soissons, dont le
tracé est parfaitement reconnu sur toute
sa longueur ; à proximité se trouvaient les
palais impériaux, puis royaux, de Senlis,
Verberie, CompiĂšgne, et plus au nord celui
de Quierzy. La famille Ă©ponyme de
Pierrefonds, rameau de celle de Quierzy,
sâimplanta ici au XI
e
siĂšcle, ainsi quâĂ
Ambleny dans la vallĂ©e de lâAisne,
contrĂŽlant en deux points le grand axe de communication, entre les possessions royales au sud et Ă
lâouest, celles des comtes de Valois Ă lâest, celles enfin des Ă©vĂȘques de Soissons au nord et au nord-
ouest.
Figure 1 : Carte de situation de Pierrefonds par rapport aux
deux itinéraires de Senlis à Soissons
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Il faut, pour comprendre lâimplantation du chĂąteau, faire abstraction de lâĂ©difice actuel, et restituer la
topographie des lieux avant les travaux gigantesques de Louis dâOrlĂ©ans. Du plateau de Valois se
détachait en rive gauche du rû de Berne un long et étroit promontoire aux flancs moyennement
abrupts, offrant une parfaite assise pour lâĂ©tablissement dâun
castrum
(fig.2).
Naturellement dominĂ© par le plateau, il pouvait ĂȘtre facilement isolĂ© par des fossĂ©s pour former un
Ă©peron barrĂ© ; il surplombait la vallĂ©e dâenviron 25 m en son point le plus bas, ce qui lui assurait un
commandement largement suffisant par rapport Ă la voie situĂ©e de lâautre cĂŽtĂ©.
Sans doute est-ce faute de voir exhiber
sur ce site les tĂ©moins dâun chĂąteau
antĂ©rieur Ă celui de Louis dâOrlĂ©ans que
lâhistorien Claude Carlier forgea de
toutes piĂšces, en 1764, une thĂšse
suivant laquelle le duc implanta son
Ă©difice sur site vierge, et que le chĂąteau
primitif se trouvait sur la colline voisine,
Ă lâemplacement de la «
ferme du
Rocher », sous prétexte que celle-ci se
trouvait naturellement bien mieux
défendue, à la cassure du plateau, au-
dessus dâescarpements nettement plus
impressionnants que ceux de lâĂ©peron
barré
4
; les auteurs du XIXe siĂšcle lâont
en général suivis, sans plus de preuves.
Jacques Harmand, on lâa vu, a repris
cette thĂšse, dont il a fait son cheval de
bataille.
Cette ferme qui, semble-t-il, datait du
XV
e
siÚcle, a brûlé en 1865
5
; Ă aucun
moment, Ă aucun endroit, nâa jamais pu ĂȘtre exhibĂ©e la moindre trace de fortification en ce lieu, voire
le moindre indice dâune occupation ancienne
6
. Or ce site, en flanc de cĂŽteau, se prĂȘtait fort mal Ă
lâimplantation dâun
castrum
, tant il était accessible de toutes parts, sauf, évidemment, du cÎté de
lâabrupt ; de plus, comme on va le voir, tous les indices historiques convergent pour assurer la stabilitĂ©
de lâimplantation au long du Moyen Ăge.
Les Ă©glises et chapelles du castrum
Pour tenter de retrouver la topographie du
castrum
primitif, force est de se concentrer sur les sources,
trĂšs rares, Ă disposition ; celles-ci concernent au premier chef lâoccupation du site par des lieux de
culte.
LâĂ©glise collĂ©giale, puis chapelle Saint-Mesme
DÚs avant 1072, Nivelon I de Pierrefonds, premier seigneur connu, avait implanté dans la vallée une
Ă©glise sous lâinvocation de Saint-Sulpice sur le site dâune source qui fut certainement lâobjet dâun culte
depuis lâAntiquitĂ© ; cette Ă©glise canoniale se trouvait sous les flancs de la colline du Rocher, et son
Ă©glise Ă©tait Ă©galement le siĂšge de la paroisse
7
. Thibaud, le frÚre de Nivelon, avait été installé comme
premier doyen, avant quâil ne prenne le siĂšge Ă©piscopal de Soissons ; avant sa mort en 1082, il le
donna à Marmoutier dans le cadre du mouvement de réforme canonial qui marquait cette époque
8
.
Le
castrum
apparaĂźt dĂšs la fin du XI
e
siĂšcle, sous Nivelon II, fils de Nivelon I
9
. Au début du siÚcle
suivant, il contenait une Ă©glise collĂ©giale, sous lâinvocation de saint Mesme (Maximin) : Ă la veille de
se croiser, Nivelon, sa femme et ses quatre fils donnÚrent cette église aux moines du prieuré Saint-
Sulpice voisin
10
. Les moines de Saint-Sulpice devaient remplacer progressivement les chanoines de
Saint-Mesme au fur et à mesure de leur décÚs ; il semble que ces derniers étaient au nombre de six.
Cette donation entrait, elle aussi, dans le cadre des réformes canoniales qui marquÚrent la seconde
Fig.2 : Le site avant le chĂąteau neuf. Ă gauche l'Ă©peron du
chĂąteau, avec restitution symbolique du premier
castrum
. Ă
droite, lâĂ©glise Saint-Sulpice et un fragment de son enceinte.
En haut, emplacement de la ferme du Rocher.
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moitié du XI
e
siÚcle et le siÚcle suivant, et dont on trouve bien des équivalents dans la région, ainsi par
exemple à La Ferté-Milon et à Oulchy-le-Chùteau, comme à Marizy-Ste-GeneviÚve
11
.
La charte de donation, confirmée en 1113
12
, fournit des éléments intéressants sur la topographie
castrale. LâĂ©glise collĂ©giale Saint-Mesme Ă©tait situĂ©e Ă lâintĂ©rieur du
castrum
entre deux tours ; la
donation aux moines comprenait la chambre situĂ©e Ă cĂŽtĂ© de lâĂ©glise, la cuisine, le puits et la terre
« qui confronte Ă lâest le chemin public situĂ© au pied du terral ». Il ne faut pas en dĂ©duire que le
castrum
comprenait à cette époque une enceinte flanquée de tours : le terme
turris
dĂ©signait Ă
lâĂ©poque une tour dâhabitation, voire une tour maĂźtresse. Dans lâenceinte mĂȘme du
castrum
, résidaient
Ă lâĂ©poque pas moins de douze chevaliers (
milites castri
), dont un avait la charge de sénéchal
(
dapifer
) : les deux tours mentionnĂ©es dans le texte devaient ĂȘtre, selon toute probabilitĂ©, les
résidences de deux de ces chevaliers
13
; ces résidences des
milites castri
devaient se situer dans la
basse-cour, comme lâĂ©glise, suivant une organisation classique
14
.
La chambre, câest-Ă -dire le logis, la cuisine, le puits et la terre composant la tenure de la chapelle
priorale se trouvaient donc dâĂ©vidence Ă lâintĂ©rieur mĂȘme du
castrum
, dans la basse-cour ; le texte
semble montrer que lâensemble se situait entre lâĂ©glise elle-mĂȘme, et la contrescarpe du fossĂ© de
lâouvrage de terre, le « terral ».
Je nâai trouvĂ© quâune autre mention de
cette Ă©glise, devenue simple chapelle
aprĂšs la donation de Nivelon II : en 1299,
une rente de 20 s. prise sur la prévÎté de
Pierrefonds était versée à Saint-Mesme
15
.
On peut penser quâelle nâĂ©tait plus
desservie, dĂšs le XIII
e
siĂšcle, que par un
moine
: sous Philippe Auguste est
mentionné le moine Raoul, qui recevait un
revenu dâune livre sur la prĂ©vĂŽtĂ© ; en 1285,
un certain frĂšre DĂ©odat recevait, lui, la
somme de 40 sous
16
. Or ces moines ne
pouvaient provenir que du prieuré Saint-
Sulpice, le revenu qui leur était assigné
correspondant au service de lâĂ©glise.
Lâensemble des historiens de lâAncien
RĂ©gime sont trĂšs flous, voire
contradictoires, sur les destinées de celle-
ci, qui aurait contenu une relique du saint
martyr ; selon Muldrac, Louis dâOrlĂ©ans et
son Ă©pouse Valentine de Visconti auraient
fait transférer la relique dans la chapelle
de lâ« enclos du chĂąteau neuf »
17
. Cette
relique aurait été à nouveau transférée,
aprĂšs le siĂšge et la destruction du chĂąteau
en 1617, vers le prieuré de Saint-Pierre-
en-ChĂątres, puis dans lâĂ©glise paroissiale
Saint-Sulpice
18
.
Le chapitre Saint-Jacques
Il existait Ă Pierrefonds un autre chapitre,
sous lâinvocation de saint Jacques ; il est
mentionné pour la premiÚre fois en 1233,
Ă lâoccasion dâune vente ; en 1308, le
doyen Richard de lâĂ©glise Saint-Jacques
émargeait dans la comptabilité royale,
ayant reçu 48 s. dâaumĂŽne du trĂ©sor
19
. En
1572, un pouillĂ© de lâĂ©vĂȘchĂ© de Soissons
mentionne « le doyen et le chapitre, dans
lâĂ©glise duquel il y a quatre prĂ©bendes Ă la
collation de lâĂ©vĂȘque ; le doyen est Ă©lu par
Fig. 3 : Plan interprété du site avant 1870. En noir et grisés
sont figurés les restes d'enceintes de basse-cour tels qu'ils
apparaissent dans les plans de 1860. En bleu, les contours
du chùteau XVe et postérieur ; en vert, projet de cavalier
(1865) ; en rouge, ouvrages réalisés par Viollet-le-Duc. Les
fausses-braies et lâenceinte bastionnĂ©e, postĂ©rieurs Ă 1868,
ne sont pas représentés.
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le chapitre, et Ă la prĂ©sentation de lâĂ©vĂȘque »
20
. Carlier pensait quâĂ lâĂ©poque de Louis dâOrlĂ©ans, le
chapitre siégeait dans la chapelle du chùteau neuf ; aprÚs la destruction de 1617, il aurait été
transfĂ©rĂ© Ă lâĂ©glise paroissiale Saint-Sulpice, les canonicats devenant des bĂ©nĂ©fices simples
21
. Selon
lui, le chapitre comportait six chanoines et un doyen, ce qui ne correspond pas au nombre fourni par le
pouillé
22
; les chanoines se réunissaient encore à son époque une fois par an le jour de la saint
Jacques le Majeur, le 25 juillet, pour cĂ©lĂ©brer lâoffice.
Cette Ă©glise est mentionnĂ©e dans lâun des rares textes concernant les travaux menĂ©s sous Louis
dâOrlĂ©ans : en fĂ©vrier 1399 n.st., une vieille tour carrĂ©e Ă©tait abattue « au coin du chĂąteau devant
lâĂ©glise Saint-Jacques au lez devers le marchĂ© »
23
. Le marché ne pouvait se situer que dans le bourg,
câest-Ă -dire entre le promontoire et Saint-Sulpice, en face du chĂąteau moderne dans la direction de
lâouest â sans doute Ă lâemplacement de la place de la mairie actuelle (fig.3) ; les termes de la mention
comptable suggĂšrent que la tour se trouvait entre lâĂ©glise Saint-Jacques et le marchĂ©, ce qui indique
que lâĂ©glise occupait une place proche de la chapelle actuelle, et confirme ainsi les dires de Carlier
quant Ă la localisation.
La crĂ©ation du chapitre Saint-Jacques, alors mĂȘme que Nivelon I
er
avait supprimé celui de Saint-
Mesme avant la fin du XI
e
siĂšcle, rĂ©vĂšle lâaction dâun de ses successeurs â voire dâun riche donateur
de la famille de Pierrefonds ; le chapitre et lâĂ©glise existaient en tout cas dĂšs le dĂ©but du XIII
e
siĂšcle.
Son invocation Ă saint Jacques le Majeur est peut-ĂȘtre Ă mettre en relation avec le pĂšlerinage de
Nivelon II vers JĂ©rusalem ; on ne possĂšde cependant aucun indice sur son retour ou non de croisade,
oĂč il partit avec son frĂšre Hugues, Ă©vĂȘque de Soissons qui y dĂ©cĂ©da. Quoi quâil en soit, on ne peut
manquer de noter que le chapitre demeura constituĂ© de chanoines sĂ©culiers ; faut-il penser alors quâil
rĂ©sulta dâune scission entre sĂ©culiers et rĂ©guliers, le chapitre sĂ©culier ayant Ă©tĂ© maintenu malgrĂ© la
charte de Nivelon II ?
La chapellenie
Il faut enfin mentionner lâexistence dâune chapelle â ou plus exactement dâune chapellenie, câest-Ă -dire
dâun office ecclĂ©siastique attachĂ© directement au service des seigneurs de Pierrefonds, dotĂ© de
revenus affectés, et desservant la chapelle privée. Elle existait dÚs la seconde moitié du XII
e
siĂšcle,
puisque le prévÎt de Pierrefonds, du temps de Philippe Auguste, versait 100 sous au chapelain de la
dame Agathe, la derniÚre dame de Pierrefonds, qui délaissa ses droits au roi progressivement à partir
de son veuvage en 1180
24
. Le chapelain est mentionné de façon constante dans les comptes royaux
du XIIIe siĂšcle, ainsi en 1285 et en 1299, oĂč il continuait de recevoir 100 sous et une robe Ă©valuĂ©e Ă
60 sous, enfin 12 muids dâavoine
25
.
La topographie religieuse dans le castrum et les vestiges du prieuré Saint-Mesme
Compte tenu de lâensemble de ces donnĂ©es, on peut faire lâhypothĂšse dâune double implantation
religieuse sur le
castrum
de Pierrefonds (fig.3):
-
dans le noyau seigneurial, une Ă©glise, siĂšge dâun chapitre de fondation peut-ĂȘtre plus
rĂ©cente placĂ© sous lâinvocation de saint Jacques, occupĂ©e par des chanoines sĂ©culiers ;
cette Ă©glise Ă©tait Ă©galement le siĂšge dâune chapellenie seigneuriale ;
-
dans la basse-cour, une Ă©glise collĂ©giale de fondation ancienne, sous lâinvocation de saint
Mesme, donnée vers 1100 au prieuré Saint-Sulpice.
La premiĂšre de ces implantations peut ĂȘtre localisĂ©e, comme on lâa vu, approximativement Ă
lâemplacement de la chapelle du chĂąteau neuf de Louis dâOrlĂ©ans, ou en tout cas Ă proximitĂ©. Pour
localiser la seconde, il faut examiner attentivement les vestiges qui subsistent aujourdâhui au sud du
chĂąteau du XV
e
siĂšcle.
Câest le le 5 octobre 1858, dans le cadre des travaux de rĂ©alisation du premier chemin dâaccĂšs, que
furent mis au jour les restes dâun grand Ă©difice Ă perron
26
(fig.3). Les ruines visibles aujourdâhui en
sont pitoyables par rapport aux plans fournis par Wyganowski : quelques assises disjointes Ă©mergeant
dâune terre tassĂ©e par les innombrables visiteurs qui se pressent ici pour prendre des photographies
du chĂąteau (fig.4). La topographie moderne est trĂšs trompeuse, puisquâelle semble placer ces ruines
au-dessus dâun petit promontoire Ă©troit dominant de trois mĂštres la grande terrasse des lices. Il nâen
Ă©tait pas ainsi avant le creusement du chemin dâaccĂšs nord qui longe le promontoire, et le nivellement
des lices avec la crĂ©ation dâun mur ; probablement le bĂątiment nâĂ©tait-il pas ainsi isolĂ© primitivement
vers lâest. En revanche, dĂšs le dĂ©but du XIX
e
siĂšcle il Ă©tait bordĂ© Ă lâouest par un mur de soutĂšnement
à contreforts qui laisait place à un chemin montant de la vallée à cet endroit, dont la restauration
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empĂȘche toute datation. Le « bĂątiment Ă perron » est reprĂ©sentĂ© dans la gravure de Duviert, datĂ©e de
1611, ainsi que peut-ĂȘtre la poterne situĂ©e en contrebas (fig.10).
Au siĂšcle dernier, il demeurait de ce bĂątiment
un soubassement de muraille dâune trentaine
de mÚtres de longueur orientée nord-sud ; on
pouvait encore, en 1958, en reconnaĂźtre la
partie centrale, et identifier les trois marches
supérieures du perron
27
. Le Journal de
lâinspecteur Wyganowski est muet sur les
destructions qui lâaffectĂšrent lors du
creusement du chemin nord ; mais on peut
penser, en examinant le plan, que la moitié
orientale de lâĂ©difice disparut Ă cette occasion.
On sait que les ouvriers du chantier y
découvrirent cinq assiettes en étain, deux pots
de terre et «
plusieurs squelettes
», la
découverte devenant pour Jacques Harmand
un « cimetiĂšre », ce qui est loin dâĂȘtre avĂ©rĂ©.
Rien nâassure que ces restes nâaient pas correspondu Ă une structure dâune autre nature quâune
Ă©glise. Mais, en admettant quâil sâagisse bien dâun Ă©difice religieux, ce qui paraĂźt tout de mĂȘme
vraisemblable, ce ne put ĂȘtre que Saint-Mesme, et non Saint-Jacques comme le soutint Jacques
Harmand ; on a vu, en effet, que celle-ci Ă©tait situĂ©e Ă lâintĂ©rieur du noyau castral
28
.
Câest Ă proximitĂ© de ces vestiges, lĂ©gĂšrement au sud-est, que demeure un autre Ă©lĂ©ment important de
lâoccupation des abords sud. DĂšs 1859, les premiers plans du parc impĂ©rial faisaient apparaĂźtre au
sud-est du mur de clĂŽture un ouvrage particulier, flanquĂ© Ă lâest par deux contreforts, et se retournant
vers lâouest sur une longueur dâenviron une dizaine de mĂštres en se terminant par un autre contrefort,
à la limite du chemin creusé dans cette zone pour les besoins du chantier. Le caractÚre particulier de
cet angle, bùti en grand appareil, amena sans doute Viollet-le-Duc à le considérer comme la limite sud
de la fortification ; en 1865, dans son projet dâĂ©tablissement de grand cavalier au sud (non rĂ©alisĂ©), il
prolongea fictivement la ligne est-ouest au travers du chemin neuf, pour le faire mourir dans les
terrassements du cavalier (fig.3).
Une nouvelle intervention fut menée à partir de
septembre 1867, lors de la construction de la grande
remise casematée orientale contre le mur de
soutĂšnement, garni primitivement de deux contreforts.
Ă cette occasion, on dĂ©gagea lâouvrage, et le 18
septembre, on découvrit à la base un arc derriÚre
lequel se trouvait un «
machicoulis
»
; ceci fut
interprété comme une poterne par Wyganowski, puis
par Jacques Harmand
29
.
Lâexamen de cet Ă©lĂ©ment apporte aujourdâhui une
interprĂ©tation assez diffĂ©rente. Il sâagit, en plan, dâun
angle formé par deux contreforts de bel appareil, dont
les pierres portent de nombreuses marques de pose
(fig.5) ; le contrefort oriental est isolé, alors que le
contrefort méridional a été intégré dans le mur de
soutÚnement postérieur de la colline. Ce dernier est
reconnaissable de profil, avec un amaigrissement Ă
deux assises en glacis en partie supĂ©rieure ; la mĂȘme
disposition devait exister dans les assises disparues
de lâautre contrefort. CĂŽtĂ© oriental nâĂ©mergent que cinq Ă six assises au-dessus des terres ; le
prolongement vers lâouest dessinĂ© par Viollet-le-Duc en 1859, sans doute rĂ©vĂ©lĂ© autrefois par des
dĂ©blaiements, nâest plus dĂ©celable que par des traces, et le second contrefort nâest plus visible.
Fig.4 : Vue des ruines du bĂątiment Ă perron, prise du
sud-ouest
Fig.5 : Plan, élévation et coupe de l'angle sud-
est du chĂąteau
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à la base de la face orientale du second contrefort est ménagée une ouverture plein cintre qui prend
appui, comme les maçonneries voisines, sur quelques assises de gros moellons débordant du nu des
parements supérieurs. Ces assises constituaient certainement la fondation du mur, autrefois enterrée,
dĂ©gagĂ©e seulement en 1867 ; lâarc plein cintre nâa donc jamais Ă©tĂ© la partie supĂ©rieure dâune porte,
mais bien une ouverture semi-circulaire surmontant une percée ménagée dans la fondation. Ceci se
justifie lorsquâon examine sa coupe : lâarc a 0,85 m dâĂ©paisseur, et il nâest pourvu au revers dâaucun
piĂ©droit destinĂ© Ă accueillir un vantail de bois, ni mĂȘme de retraits permettant de clore un tel vantail.
De plus, la position dâune poterne dans une telle position, derriĂšre un contrefort qui lâaurait totalement
cachée à la défense, est quasi impossible à imaginer.
à son revers est ménagée, dans toute la hauteur du mur, un passage vertical de plan rectangulaire,
profond de 0,86 m, interprété comme un assommoir par Wyganowski puis par Harmand ; il est
délimité par un second arc, épais celui-ci de 0,68 m. Les parois latérales, en moellons, ont été
partiellement arrachĂ©es, et lâutilisation du lieu comme cheminĂ©e pour les branchages du parc depuis
des décennies ont contribué à sa ruine progressive ; malgré les rubéfactions, le fond situé à 2,6 m du
nu extérieur est parfaitement identifiable, en continuité avec les parois latérales.
Lâensemble de ces indices caractĂ©rise une fosse de latrines, lâ« assommoir » visible actuellement
Ă©tant la descente de cette latrine. Lâarc plein cintre marque lâexutoire de cette fosse de latrines, et non
une improbable poterne ; le mĂȘme genre de dispositif est visible aujourdâhui encore Ă la ferme de la
Montagne Ă Ressons-le-long, dans lâAisne, Ă une vingtaine de kilomĂštres au nord
30
. Mais si ce dernier
est certainement attribuable Ă la fin du XIII
e
, voire au XIV
e
siĂšcle, lâouvrage sud-est de Pierrefonds est
manifestement plus ancien. La mise en Ćuvre de lâarc de tĂȘte en plein cintre, avec ses claveaux de
0,46 m de hauteur et ses joints trĂšs fins, traduit une Ă©poque ancienne, sans doute le XII
e
siĂšcle ; la
similitude est frappante avec la crypte de Saint-Sulpice
31
.
Il semble donc quâon ait, Ă cet angle sud-est, le reste dâun bĂątiment rĂ©sidentiel. Quel put-il ĂȘtre ? Il
convient de revenir au texte de 1102 relatif Ă la donation de lâĂ©glise Saint-Mesme Ă Saint-Sulpice :
cette donation mentionne la
camera
des chanoines, doublĂ©e dâune cuisine, et la terre confrontant Ă
lâest le chemin sous le « terral ». Je pense que lâangle de bĂątiment Ă latrines identifiĂ© au sud-est est le
bĂątiment de la
camera
des chanoines, qui servit ensuite aux moines de Saint-Sulpice.
Ainsi peut-on identifier avec une certitude relative, dans ce secteur sud du
castrum
, lâensemble
canonial puis prioral de Saint-Mesme, qui venait peut-ĂȘtre clore vers le sud lâensemble castral. Y-eut-
il, au-delĂ de ce bĂątiment, dâautres implantations mĂ©diĂ©vales, ou peut-on fixer Ă cet endroit la limite de
lâancien
castrum
? Si cette conclusion paraßt vraisemblable, les travaux de déblaiement du XIX
e
siĂšcle
nâayant pas permis dâexhiber des restes plus au sud
32
, la matérialisation de la limite sud demeure
problĂ©matique. En effet, il nâexiste Ă ce jour aucune preuve de lâexistence dâun fossĂ© immĂ©diatement
au sud de lâouvrage sud-est ; pas plus nâexiste-t-il de preuves dâun prolongement du mur est-ouest
reprĂ©sentĂ© par Viollet-le-Duc pour fermer lâisthme. Lâarchitecte avait sans doute Ă©tĂ© lui-mĂȘme gĂȘnĂ© par
la topographie des lieux, la plate-forme de lâouvrage sud-est se trouvant Ă plus de cinq mĂštres en-
dessous de la croupe mĂ©diane quâil fallait refermer, en contrehaut de Saint-Mesme ; câest pourquoi il
proposa son projet de cavalier, qui lui permettait de résoudre élégamment la difficulté en refermant le
mur est-ouest sur le flanc oriental de celui-ci (fig.3). Mais ce cavalier nâĂ©tait en fait quâune mise en
forme de la grande et large carriÚre réalisée à partir de novembre 1858 qui accueillit le nouvel accÚs
au parc et au chantier, Ă mi-cĂŽte de lâancienne route de Villers-Cotterets
33
; les terres qui furent
extraites de cette tranchée, comme celle de la tranchée venant du sud, furent rejetées de chaque
cÎté, contribuant à accentuer les reliefs existants, et gommant la topographie originelle. Le cavalier ne
fut pas réalisé, mais la tranchée subsiste comme parking, perturbant définitivement la lecture des
abords sud, comme les deux autres carriĂšres qui sâĂ©chelonnent le long du chemin dâaccĂšs en allant de
grande tranchée aux lices.
La consistance du chĂąteau avant la reconstruction par Louis dâOrlĂ©ans
Si Carlier, dans son histoire, affirme péremptoirement que Philippe Auguste, aprÚs avoir acquis la
seigneurie, abandonna aux moines de Saint-Sulpice « une grande partie des bùtiments du chùteau,
afin dâeffacer jusquâaux traces du pouvoir Ă©norme des anciens seigneurs »
34
, toutes les sources
indiquent au contraire que le
castrum
des seigneurs de Pierrefonds demeura le siĂšge du pouvoir royal
sur les lieux. DÚs 1194, aprÚs avoir acquis les droits seigneuriaux, le roi y fit un séjour ; en 1213, il
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 8
sâengageait Ă indemniser Jean de Montgobert des dommages que le vivier du roi pourrait lui apporter,
preuve que la chĂątellenie Ă©tait mise en valeur
35
. En 1237, câest
apud castrum de Petrafonte
que les
bourgeois de CrĂ©py vinrent sâacquitter de 15 livres envers le trĂ©sor royal pour clore un diffĂ©rent avec le
prévÎt et éviter une pénalité plus importante
36
. En 1299, des travaux furent effectués, pour un montant
dâun peu plus de 18 livres,
in castro Petrafontis
; en 1305, on relĂšve Ă©galement de menus travaux
in
castello Petrafontis
, en particulier le curage dâune fosse (de latrines, sans doute), et le remplacement
de la corde du puits
37
. Philippe le Bel séjourna au chùteau à plusieurs reprises, en novembre 1300,
novembre 1307, octobre et novembre 1308, juin 1310 ; son fils Charles IV y fit des passages en
octobre 1325 et décembre 1326
38
.
La chĂątellenie de Pierrefonds, qui demeura royale tout au long du XIII
e
siÚcle et de la premiÚre moitié
du XIV
e
siĂšcle, fut adjointe en 1353 Ă lâapanage de Philippe de France, duc dâOrlĂ©ans, fils du roi
Philippe VI. à sa mort en 1375, un inventaire fut dressé pour constituer le douaire de sa veuve
Blanche : le « chastel de Pierrefons » y est décrit comme « grant et fort et bien herbergier »
39
: on est
donc fort loin des affirmations de Carlier.
La chemise du donjon et lâenceinte principale Ă tour carrĂ©e au nord du site
En dehors des sources relatives Ă la topographie religieuse du site, on ne dispose, en tout et pour
tout, que de trois mentions comptables dâĂ©lĂ©ments du chĂąteau primitif, datant de la reconstruction des
années 1400. Les deux premiÚres datent de mars-avril 1397 n.st. : elles concernent le vidage des
« terraux et gravoiz yssus des décombres de la refente qui été faicte du pan et préau du donjon pour
fonder en icelui pan une vix du cÎté devers la cour »
40
.
Tous les auteurs ont interprĂ©tĂ© cette mention comme attestant de lâexĂ©cution des fondations de la
grande vis du logis de Louis dâOrlĂ©ans, au nord-ouest de celui-ci ; il nâexiste pas de raison dâen douter,
aucune autre vis ne se prĂȘtant Ă cette localisation. En revanche, la signification du « pan et prĂ©au du
donjon » nâa jusquâĂ prĂ©sent pas Ă©tĂ© expliquĂ©e de façon correcte. On sait que le terme « donjon »
avait, au Moyen Ăge, une acception plus large quâaujourdâhui : ce terme dĂ©signait, dans le chĂąteau,
une zone de prééminence symbolique, recouvrant dans les premiers siÚcles la motte, son enceinte
sommitale, ainsi que, le cas échéant, la tour maßtresse édifiée en son sommet. Un trÚs bel exemple en
est fourni, dans la rĂ©gion, par le « donjon » dâOulchy-le-ChĂąteau, mentionnĂ© dans le dĂ©nombrement
de lâapanage dâOrlĂ©ans en 1375 comme Ă©tant en ruines : il sâagissait de lâensemble construit sur
lâancienne motte
41
. Plus généralement, le terme en vint à désigner la partie purement seigneuriale du
site, avec des variations suivant les époques et les régions ; ainsi le « donjon » comportait-il souvent
une tour maĂźtresse, mais, Ă lâinverse, la tour maĂźtresse (le plus souvent dĂ©signĂ©e comme « grosse
tour ») nâĂ©tait quâune partie du « donjon ». Un exemple en est apportĂ© par le « donjon » de Loches,
constituĂ© au Moyen Ăge par lâensemble de la fortification situĂ©e au sud du plateau castral, comprenant
la tour maĂźtresse, ses enceintes et ses logis
42
.
Lâutilisation du terme « pan » montre clairement que le « donjon » nâĂ©tait pas de plan circulaire ou
ovale, mais constitué de facettes. Quant au mot « préau », sa signifiation originelle est celle de « petit
pré » ; mais il fut utilisé dÚs le XII
e
siÚcle pour désigner une cour fermée, dans un cloßtre, une prison,
un chĂąteau. La mention comptable montre donc clairement que lâon fonda lâescalier en vis dans lâune
des faces dâune enceinte enfermant une cour, la cour du « donjon »
43
. Il existait donc au moins une
« chemise », suivant le terme consacré, délimitant le secteur seigneurial éminent ; en revanche, on
demeure sans information sur lâexistence, ou non, dâune tour maĂźtresse Ă lâintĂ©rieur de cette chemise.
La troisiÚme source a déjà été citée plus haut ; elle date de février 1399 (n.st.), et elle est relative à la
destruction dâune « viez tour quarrĂ©e abbattue par le commandement de mondit seigneur au coing
dudit chastel devant lâĂ©glise Saint-Jacques au lez devers le marchĂ© »
44
. Il convient dâen dire quelques
mots, car elle a fait lâobjet dâune thĂ©orie fausse de la part de Jacques Harmand â contribuant Ă nourrir
le trouble sur lâinterprĂ©tation du chĂąteau. Plaçant Saint-Jacques au sud du chĂąteau neuf, lĂ oĂč se
situait probablement Saint-Mesme, et oubliant la rĂ©fĂ©rence au marchĂ©, lâauteur a placĂ© cette tour
flanquant au sud-ouest le logis neuf de Louis dâOrlĂ©ans, symĂ©trique diagonalement de celle existant
au nord-est (fig.6) ; les deux tours auraient fait partie du programme primitif du « manoir » ducal,
construit pour lâauteur entre 1393 et 1397. Pour justifier sa thĂ©orie, lâauteur indique : «
viez
nâa
Ă©videmment ici dâautre signification que celle dâune diffĂ©rence temporelle relative, par rapport Ă la
construction nouvelle »
45
: cet argument, une fois de plus, est pernicieux, car lâon ne saurait admettre
que les comptables aient décrit comme « vieille tour » une tour datant de moins de cinq ans au
moment oĂč ils rĂ©digeaient. Mais la proposition de lâauteur tombe dâelle-mĂȘme avec le fait que cette
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 9
tour carrĂ©e Ă©tait « au coin du chastel » ; eĂ»t-elle Ă©tĂ© Ă lâemplacement proposĂ©, que le comptable
lâaurait situĂ©e « au coin du donjon ».
La source de 1399 prouve donc, sans aucun doute,
lâexistence dâune enceinte situĂ©e au nord du « donjon » ;
cette enceinte devait ĂȘtre de forme quadrangulaire, et
pourvue en son angle nord-ouest dâune tour carrĂ©e
flanquante, en cours de destruction en fĂ©vrier â on peut
admettre que dâautres flanquements existaient. Il est
impossible de la situer prĂ©cisĂ©ment, car lâenceinte du
chĂąteau neuf put dĂ©border assez largement lâenceinte
antérieure. On peut enfin penser que le puits du chùteau
de Louis dâOrlĂ©ans nâĂ©tait autre que le puits du chĂąteau
précédent (fig.3).
Mise en évidence du « préau du donjon »
Si les sources textuelles sont lacunaires, les restes
archĂ©ologiques sont quasi inexistants â au moins ceux
que lâon pourrait sans risque dater dâune Ă©poque
antĂ©rieure aux travaux de Louis dâOrlĂ©ans,
principalement en raison de la restauration, et de la
lacune de constats archéologiques durant celle-ci ; on
aurait cependant mauvaise grĂące Ă le reprocher Ă
lâarchitecte â il nâexistait pas Ă lâĂ©poque la lĂ©gislation
actuelle. Aucune fouille ne fut effectuée en dehors des
déblaiements imposés par le chantier ; tout au plus deux
tranchées diagonales furent-elles exécutées dans la cour
en janvier 1858, mais elles nâĂ©taient profondes que dâun
mĂštre et ne rĂ©vĂ©lĂšrent rien quâune faible couche de
gazon sur du sable fin et trĂšs compact
46
. Il est donc
probable quâune fouille plus profonde dans cette cour
donnerait aujourdâhui des rĂ©sultats.
On peut penser que la construction sous Louis
dâOrlĂ©ans de lâenceinte pĂ©riphĂ©rique du chĂąteau neuf,
ainsi que celle des bùtiments sur caves accolés aux
courtines, sâaccompagna dâune suppression totale des
restes du chùteau précédent qui les auraient précédés :
en effet, la profondeur des caves lâaurait justifiĂ© Ă elle
seule. Cependant, il est plus probable encore que ces bĂątiments et cette enceinte furent Ă©tablis au-
delĂ de lâenceinte primitive, sur les flancs de lâĂ©peron du
castrum
primitif. Seul peut-ĂȘtre le sous-sol de
la cour en conserve-t-il des restes enfouis (fig.23).
On accordera en revanche plus dâattention au
secteur du logis neuf de Louis dâOrlĂ©ans,
appelĂ© sous Charles dâOrlĂ©ans le « corps du
donjon »
47
. Lâanalyse du plan dâensemble du
chĂąteau montre clairement que ce logis
trapézoïdal est placé de façon trÚs irréguliÚre
par rapport au plan dâensemble (fig.7) ; ceci a
malheureusement engendré la fausse thÚse
de Jacques Harmand, suivant laquelle Louis
dâOrlĂ©ans aurait en premier lieu construit un
«
manoir
», quâil aurait intĂ©grĂ© dans un
chĂąteau plus vaste Ă partir de 1397
48
.
Ce logis apparaĂźt aujourdâhui parfaitement
unitaire, du fait de la reconstruction totale de
ses faces sud-ouest, nord-ouest et presquâentiĂšre de la face nord-est ; lâensemble de ces Ă©lĂ©vations
avait disparu dĂšs 1617, la destruction nâayant laissĂ© subsister la base des murs externes et murs de
Fig.7 : Plan du grand logis au niveau de la cave et du
rez-de-chaussée. En grisé, sur la droite, parties ruinées
en 1858
Fig.6 : La restitution erronée par Jacques
Harmand du « manoir de Louis dâOrlĂ©ans »,
qui mĂ©rite dâĂȘtre reproduite, car elle
consolide toutes les erreurs de lâauteur, de
la fausse interprétation des sources à la
surinterprétation des vestiges. Il faut noter
que cette restitution avait été précédée par
une autre, aussi peu fondée historiquement
et archéologiquement, flanquant le corps
trapézoïdal de quatre tours à contreforts.
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 10
refend quâĂ une cinquantaine de centimĂštres au-dessus du sol du rez-de-chaussĂ©e. Seul le pignon
sud-est demeurait avant la restauration, incontestablement attribuable dans son élévation à Louis
dâOrlĂ©ans sur toute sa hauteur.
La fondation de la grande vis du nord-est, qui ne demeurait en 1858 que par son perron et fut
consolidée en mai de cette année, avait entamé en mars-avril 1397 le mur du « préau »
49
; il est
Ă©vident, au vu du plan, que ce mur Ă©tait le mur nord-est du grand logis. DĂšs lors, on peut avec
vraisemblance faire coĂŻncider lâenceinte du « prĂ©au » avec le contour trapĂ©zoĂŻdal du grand logis, en
tout cas au moins au nord-ouest et nord-est : lâarchitecte de Louis dâOrlĂ©ans respecta le tracĂ© au sol
de cette enceinte pour implanter le nouvel Ă©difice.
Les parements inférieurs du grand logis ne sont,
malheureusement, plus visibles ; il nâest donc pas
possible de vérifier si ces parements sont, ou non, du
mĂȘme type que ceux du pignon sud-est conservĂ©. En
revanche, le rĂŽle de « chemise » jouĂ© par lâenceinte
trapézoïdale est prouvé par un autre élément, le
caveau inférieur (fig.8). Ce caveau est un simple couloir
voûté en berceau de 9,7 m de longeur et de 2,1 m de
hauteur, Ă©tabli Ă 6,5 m sous le niveau du rez-de-
chaussée du grand logis. Pourvu de trois profondes
niches elles-mĂȘmes couvertes en berceau et dâun
soupirail bouché, il était accessible par une grande
volée de marchés voûtée en arceaux successifs, dont
le palier supĂ©rieur sâĂ©tablit Ă 3,8 m sous le niveau du
rez-de-chaussée ; de là , une rampe voûtée en berceau
brisĂ© Ă©tablie Ă angle droit, terminĂ©e par un escalier Ă
double coude, rejoint le rez-de-chaussée
50
. Dans cette
rampe sâouvre un autre caveau, carrĂ©, Ă©tabli en
diagonale : il sâagit du caveau creusĂ© en avril-mai 1864
pour accueillir le calorifĂšre, en Ă©vitant les piliers de la
voûte supérieure déjà reconstruite à cette époque
51
.
Réalisé en bel appareil, les raccords des niches avec la
voûte en berceau étant assemblées avec une parfaite
science de la stéréotomie, le caveau inférieur peut dater de toute époque comprise entre la fin du XII
e
siĂšcle et lâĂ©poque de Louis dâOrlĂ©ans
52
. Il est remarquable de constater que son plan nâest pas en
cohĂ©rence avec le grand mur de refend nord-ouestâsud-est, qui vient se fonder sur sa voĂ»te (fig.15) ;
de plus, il est dâune taille totalement disproportionnĂ©e par rapport Ă la surface du logis de Louis
dâOrlĂ©ans. Enfin, le soupirail presque vertical qui existe dans sa face nord-ouest semble avoir Ă©tĂ©
bouché par la muraille construite au XV
e
siĂšcle ; sâil ne lâĂ©tait pas, son prolongement a disparu lors de
la restauration.
On peut Ă©mettre lâhypothĂšse que le caveau appartient Ă une construction antĂ©rieure Ă la construction
du grand logis, contenue Ă lâintĂ©rieur de lâenceinte du « prĂ©au » ; le dĂ©nivelĂ© de 3,8 m entre le palier
supĂ©rieur de lâescalier et le sol du rez-de-chaussĂ©e du grand logis montre vraisemblablement que le
sol primitif, dans le « prĂ©au », Ă©tait plus bas quâaujourdâhui. Il va de soi que cette hypothĂšse doit ĂȘtre
regardĂ©e avec prudence ; lâabsence de constat archĂ©ologique direct nâautorise aucune affirmation
définitive.
La basse-cour sud
Lâoccupation de la langue de terrain au sud du chĂąteau nâest que trĂšs imparfaitement connue ;
malheureusement, la topographie a été dans toute cette zone profondément modifiée par les travaux
de restauration de 1858 Ă 1885, tant par lâamĂ©nagement du parc paysager, le creusement de la
nouvelle route dâaccĂšs, la rĂ©alisation de modelĂ©s de terrains, que par le nivellement final des « lices ».
La gravure de Duviert montre que lâensemble de cette zone Ă©tait recouvert de terres formant des
merlons, peut-ĂȘtre amĂ©nagĂ©s pendant les guerres de Religion (fig.11) ; cette situation perdurait au
XIX
e
siĂšcle oĂč nâĂ©mergeaient que des restes Ă©pars de murs de clĂŽture flanquĂ©s de contreforts, bĂątis
en simple blocage, dĂ©limitant une vaste zone allongĂ©e escaladant lâĂ©peron (fig.3). Ces murs de clĂŽture
Fig.8 : Plan et coupe du caveau du grand
logis (en tireté, caveau construit pour le
calorifĂšre par Viollet-le-Duc)
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 11
est et ouest ont Ă©tĂ© entiĂšrement repris, complĂ©tĂ©s et remontĂ©s â Ă©galement en blocage - par les
restaurateurs de telle sorte quâil est vain dây trouver aujourdâhui le moindre indice de datation.
DÚs 1848-1853, Questel et Leblanc retrouvÚrent ce que Wyganowski appelait le mur de la « poterne
devant le pont-levis » : il sâagissait dâune muraille de direction nord-ouestâsud-est qui se terminait Ă
lâouest par une sorte de chĂątelet percĂ© dâune poterne sur le flanc, et dâune porte charretiĂšre en face de
du chĂąteau de Louis dâOrlĂ©ans ; la porte a Ă©tĂ© dĂ©truite pour mĂ©nager le chĂątelet moderne, et le mur a
été entiÚrement reconstruit (1865), mais il est partiellement représenté dans le plan de Wyganowski
en 1860, qui le qualifiait de réalisé en « matériaux trÚs mal appareillés, presque bruts » (fig.3)
53
. Ce
mur Ă©tait Ă©tonnamment proche (moins de 3 m) de la grosse tour sud (tour CĂ©sar), alors que sa
distance de la courtine sud du chĂąteau Ă©tait dâenviron 15 m. Il est peu probable quâune telle disposition
eĂ»t Ă©tĂ© retenue si le mur de basse-cour avait Ă©tĂ© Ă©levĂ© en mĂȘme temps que la tour ; aussi peut-on
estimer que la sĂ©paration entre cour et basse-cour Ă©tait, dĂšs avant Louis dâOrlĂ©ans, matĂ©rialisĂ©e par
un fossĂ© peu profond dâune quinzaine de mĂštres de largeur, entre le mur extĂ©rieur du « prĂ©au du
donjon » au nord, et le mur nord de la basse-cour. Lors de la construction du chùteau de Louis
dâOrlĂ©ans, on se contenta de bĂątir la tour CĂ©sar dans le fossĂ©, sans agrandir celui-ci.
Les autres murs de cette basse-cour ont été entiÚrement remontés en les limitant à un simple parapet
sur un boudin continu â comme sâils dataient du XVI
e
siĂšcle : Ă lâouest, il semble quâils avaient
totalement disparu au moment des restaurations, si lâon en croit les plans antĂ©rieurs Ă celles-ci. Ils ont
Ă©tĂ© reconstruits Ă neuf en 1865 en y comprenant une Ă©chauguette dâangle et une tour-porte inventĂ©e
au devant de la cave sans doute tardive, identifiée dans cette zone, sans compter une galerie voûtée
de contre-mine également créée de toutes piÚces pour relier cette tour-porte à la porte principale (fig.3
et 9)
54
. Ă lâest au contraire, ils sont constituĂ©s dâune mauvaise maçonnerie de moellons qui fut
restaurĂ©e sans doute au dĂ©but du chantier, de mĂȘme que les contreforts qui le flanquent ; Duviert
reprĂ©sente lâangle nord-est de cette courtine, avec la base dâune Ă©chauguette posĂ©e sur les
contreforts dâangle, et le sommet dâune autre voisine, le tout Ă©tant presque cachĂ© par les amas de
terres déversées pour protéger cette courtine, au XVI
e
siĂšcle vraisemblablement.
Questel et Leblanc avaient Ă©galement mis au jour au sud-ouest de lâentrĂ©e la « margelle dâun
abreuvoir circulaire » (fig.3)
55
. Il a Ă©tĂ© supprimĂ© par Viollet-le-Duc ; il est donc impossible de savoir sâil
appartenait au chĂąteau primitif, Ă celui de Louis dâOrlĂ©ans, ou sâil Ă©tait plus tardif encore.
Une autre dĂ©couverte fut celle dâune cave situĂ©e juste au sud de la tour
sud (Charlemagne), trouvée le 27 février 1858
56
; son entrée est
dĂ©sormais cachĂ©e par le mur oriental des lices, oĂč les restaurateurs ont
élevé en 1868 une petite tour-porte donnant sur une galerie de
contremine allant rejoindre par un tracé coudé le revers du mur qui a été
Ă©voquĂ© ci-dessus, puis le chĂątelet dâentrĂ©e, sans que lâon sache si ces
dispositions répondaient à une quelconque réalité archéologique (fig.3 et
9). Accessible par une grande rampe voûtée en arceaux, comme de
coutume, cette cave ne comprend quâun caveau voĂ»tĂ© en berceau
surbaissĂ© sur lequel sâouvrent deux niches de chaque cĂŽtĂ©. Lâexamen de
ses maçonneries montre clairement quâil fut rĂ©alisĂ© en deux phases, les
niches occidentales plus courtes et dâune maçonnerie bien moins
soignée ayant été rajoutées aprÚs coup
57
. Les deux premiĂšres niches
présentent des claveaux à crossettes qui, malgré la restauration,
paraissent bien dâorigine et prouvent le caractĂšre tardif de la cave, qui
se trouvait dâailleurs sous lâun des mamelons de terre crĂ©Ă©s au XVI
e
siĂšcle devant le chĂąteau
58
.
Plus au sud, le fossĂ© transversal dĂ©limitant au sud les « grandes lices » nâa, semble-t-il, Ă©tĂ© mis au
jour quâassez tardivement : câest le 4 janvier 1867 quâest mentionnĂ©e, lors du dĂ©blaiement de ces
fossĂ©s, la mise au jour des deux culĂ©es dâun pont ruinĂ©
59
. Cependant, ce fossĂ© devait ĂȘtre
apprĂ©hendable, ne serait-ce que par lâinterruption du mur de clĂŽture occidental dĂ©jĂ visible sur les
premiers plans du chĂąteau (fig.3). Les murs dâescarpe de ce fossĂ© ont Ă©tĂ© fortement repris, si ce nâest
reconstruits, en 1867-68, et les pierres gélives en ont été remplacées en 1874 ; toutefois, le parement
de lâescarpe, au nord, paraĂźt comporter des pierres anciennes dans sa partie orientale. Si tel est le
cas, le type dâappareil semble plutĂŽt orienter vers une construction sous Louis dâOrlĂ©ans â sous toutes
réserves.
Fig.9 : Plan et coupe de la
cave sud
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 12
Au-delĂ , on trouvait, comme on lâa vu, lâĂ©glise et le prieurĂ© Saint-Mesme, sans que lâon sache si la
basse-cour sud se développait au-delà .
La « poterne XIIe siĂšcle » sous le chĂąteau Ă lâest : un faux vestige du chĂąteau primitif
On terminera cette évocation des restes éventuels du chùteau primitif en mentionnant la « poterne XII
e
siĂšcle » situĂ©e Ă lâest et en contrebas de la tour sud (tour Charlemagne (fig.3). En effet, Viollet-le-Duc
voyait dans cet Ă©lement lâun des plus anciens vestiges du chĂąteau primitif ; Wyganowski lâappela
successivement « poterne du X
e
siĂšcle », puis « du XIIe siĂšcle », nom quâelle conserva Ă partir de
1878. Aujourdâhui intĂ©grĂ©e dans les dĂ©fenses basses totalement inventĂ©es par Viollet-le-Duc et mises
en Ćuvre entre 1878 et 1880 par lui-mĂȘme, puis Ouradou aprĂšs sa mort, cette « poterne » Ă©tait, en
1862, totalement enfouie, isolĂ©e au bord du chemin vicinal conduisant Ă la ferme dâAutreval ; si elle
avait Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©e par les fouilles de Questel, Wyganowski la fit Ă nouveau dĂ©gager le 3 mars 1862, oĂč
elle se trouvait Ă 4 mĂštres sous terre
60
. Elle resta en lâĂ©tat jusquâau chantier entamĂ© en 1874 pour la
nouvelle route dâaccĂšs faisant le tour du chĂąteau, qui est restĂ© le chemin dâaccĂšs principal.
Il ne demeure malheureusement aucun tĂ©moignage de lâĂ©tat primitif du vestige, celui dâune « entrĂ©e
conduisant vers le chĂąteau » ; mais on peut sans crainte dâerreur penser quâelle demeurait Ă lâĂ©tat de
substructions seulement. Sa restauration quasi-totale, voire sa réinvention, commença le 4 juin 1879 ;
le 15 aoĂ»t suivant, lâarc en Ă©tait terminĂ©, mais les crĂ©neaux nâen furent posĂ©s que le 3 mai 1880, et la
maçonnerie terminĂ©e le 28 juin de la mĂȘme annĂ©e ; en mĂȘme temps Ă©tait Ă©levĂ© le mur la reliant au
revers Ă la tour Charlemagne, ainsi que la porte moderne, perpendiculaire, interceptant la route
dâaccĂšs
61
, bùtie par les restaurateurs en style gothique, avec portes charretiÚre et piétonne.
Lâexamen actuel de lâouvrage montre que la quasi-
totalitĂ© a Ă©tĂ© montĂ©e Ă lâĂ©poque moderne (fig.10) ;
seule peut-ĂȘtre la partie infĂ©rieure du massif nord, avec
ses deux ressauts en glacis, pourrait ĂȘtre ancienne.
Toute lâĂ©lĂ©vation supĂ©rieure est une pure invention de
Viollet-le-Duc et dâOuradou
62
; il est donc impossible de
prétendre dater cet élément, ni de le faire remonter au
XII
e
siĂšcle, encore moins au X
e
siĂšcle. Quant Ă son
plan au sol, il nâest guĂšre significatif, puisquâil sâagissait
dâune simple porte charretiĂšre dâun peu plus de
2 mĂštres de largeur, sans autres dĂ©fenses quâune
paire de vantaux.
En tout état de cause, le caractÚre parfaitement isolé
de cet élément, sa position en contrebas du site
primitif, rendent trĂšs peu probable son appartenance
aux dĂ©fenses du premier chĂąteau. Peut-ĂȘtre pourrait-il
ĂȘtre mis en relation avec les dĂ©fenses tardives â en particulier le gros boulevard Ă©tabli Ă lâest du
chùteau dans la vallée, juste à cÎté de la poterne, si ce boulevard était effectivement un élément
dĂ©fensif, ce qui nâest pas sĂ»r (
Fig.
)
63
. Mais on peut se demander Ă©galement sâil ne sâagissait pas dâun
Ă©lĂ©ment dâune dĂ©fense jamais achevĂ©e, entreprise au temps de Louis dâOrlĂ©ans pour protĂ©ger les
abords sud-est du chùteau, et en particulier la porte de la « cour aux provisions » dont on montrera
quâelle ne se situait pas primitivement Ă son emplacement actuel.
Un castrum régional majeur mal connu
En rĂ©sumĂ©, la connaissance que lâon peut acquĂ©rir, sans lâappoint de fouilles archĂ©ologiques sur
lâensemble du site, demeure extrĂȘmement lacunaire, et il nâest pas question en cet Ă©tat de la
recherche de prĂ©tendre proposer mĂȘme une esquisse de plan restitutif. Pour autant, on peut affirmer
que le site dâĂ©peron porta un site castral majeur au niveau rĂ©gional, composĂ© au moins dâun secteur
rĂ©servĂ© comportant un « donjon » formĂ© dâune chemise trapĂ©zoĂŻdale et une dâenceinte flanquĂ©e de
tours, complété par une basse-cour comportant en son extrémité sud un ensemble religieux avec une
Ă©glise (Saint-Mesme) et un petit prieurĂ© au sud-est. Cette basse-cour fut-elle, dĂšs lâorigine, sĂ©parĂ©e en
deux par un fossĂ© ? La possibilitĂ© existe, mais rien nâest moins sĂ»r.
Fig.10 : Vue de la "poterne XII
e
siĂšcle prise
depuis le nord-est
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 13
Le chĂąteau de Louis dâOrlĂ©ans
Les données sur le chùteau
Histoire événementielle
Câest trois ans aprĂšs la prise de possession effective de son apanage de Valois, en 1396, que Louis
dâOrlĂ©ans lança le chantier de reconstruction du chĂąteau. Le 8 juillet de cette annĂ©e, Robert Fouchier,
sergent dâarmes et maĂźtre des Ćuvres de charpenterie du roi, reçut la somme considĂ©rable de 500
livres tournois pour gratification dâavoir Ă©tĂ© Ă Pierrefonds « faire le devis des ouvrages que ledit duc y
veut faire »
64
. DĂšs lâannĂ©e suivante, le chantier avait commencĂ© : on a Ă©voquĂ© plus haut le texte
mentionnant les travaux de fondation de la grande vis en mars avril 1397, qui prouve que le chantier
se porta au premier chef sur la construction du logis neuf â ce qui semble logique
a posteriori
. Si lâon a
ensuite quelques mentions Ă©parses mentionnant le suivi du chantier par Jean Lenoir, maĂźtre des
Ćuvres de maçonnerie du roi au bailliage de Senlis, le seul autre document prĂ©cis qui nous soit
parvenu est celui qui mentionne, en février 1399 n.st., la destruction de la « vieille tour carrée », alors
que deux tours rondes Ă©taient en chantier ; Ă cette occasion, on dĂ©blaya les dĂ©bris de roches quâil
fallut déraser pour asseoir la fondation de la courtine intermédiaire. On a vu plus haut que ce second
texte dĂ©signe lâenceinte du chĂąteau, mais il est impossible de localiser les deux tours alors en
chantier ; aucune raison particuliĂšre ne plaide pour quâil se soit agi des deux tours majeures du front
sud. Le chantier se poursuivit jusquâĂ la mort de Louis dâOrlĂ©ans, en 1407 ; le chĂąteau Ă©tait en Ă©tat de
dĂ©fense, puisquâil servit de base au chevalier des Bosquiaux dans le second septembre de 1411 pour
courir le Valois et résister aux troupes de la coalition bourguignonne
65
. Il fut remis aux troupes du
connĂ©table de Saint-Pol Ă la fin de cette annĂ©e ; aprĂšs la paix dâAuxerre, signĂ©e le 22 dĂ©cembre 1412,
le duc dâOrlĂ©ans eut toutes les peines du monde Ă rĂ©cupĂ©rer ses chĂąteaux de Pierrefonds et de
Coucy, toujours tenus par le connétable. Au premier trimestre 1413, le connétable fit mettre le feu aux
couvertures de Pierrefonds avant de le rendre ; selon le mandement de réparation de Charles
dâOrlĂ©ans qui sâensuivit en 1415, toutes les toitures des tours brĂ»lĂšrent, ainsi que les charpentes du
logis, dont seul le premier étage au-dessus du rez-de-chaussée voûté demeura en état
66
.
En 1591, pendant les guerres de la Ligue, Pierrefonds, commandé par le ligueur Jean de Rieux en
1589, subit quelques canonnades et un siĂšge rapidement levĂ© par le duc dâĂpernon, puis dans la
mĂȘme annĂ©e un second siĂšge, tout aussi rapidement levĂ©, par le marĂ©chal de Biron
67
; il ne revint en
la main du roi quâen 1594. AussitĂŽt repris par les Ligueurs, il revint aux mains du roi aprĂšs trois
attaques successives des troupes en 1595. Durant les troubles de 1616-1617, le chĂąteau, tenu par un
factieux, fit cette fois lâobjet dâun siĂšge et dâune canonnade par le comte dâAuvergne Charles de
Valois ; cette canonnade fit brĂšche dans la courtine de la porte, au nord-ouest, et le chĂąteau capitula.
Louis XIII en ordonna la destruction avant la fin avril 1617 ; câest Ă cette Ă©poque que les tours furent
systématiquement éventrées par la mine, et celles du front sud-ouest anéanties
68
.
Les représentations avant la ruine
Il est bon, avant dâentrer dans lâinterprĂ©tation du monument, de revenir sur les deux reprĂ©sentations
qui en existent avant sa ruine. La premiĂšre, du dessinateur Joachim Duviert, date de 1611 ; elle est
Fig.11 : Ă gauche, vue du chĂąteau par Duviert en 1611 depuis l'ouest. Ă droite, restitution sous le mĂȘme
angle, montrant la prĂ©cision et lâexactitude du dessin de Duviert
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 14
dâune grande prĂ©cision et fiabilitĂ© (fig.11). La seconde a Ă©tĂ© publiĂ©e par Claude Carlier dans son
Histoire du Valois
; il lâaurait copiĂ©e dâune peinture existant Ă son Ă©poque au palais de Fontainebleau ;
bien que trĂšs imparfaite, elle nâen figure pas moins les Ă©lĂ©ments principaux du chĂąteau (fig.12).
Ces deux gravures montrent clairement que la vision idĂ©ale que Viollet-le-Duc a restituĂ©e nâa jamais
Ă©tĂ© menĂ©e Ă achĂšvement : le chĂąteau ne fut jamais terminĂ© selon la rĂ©gularitĂ© quâil aurait dĂ» avoir.
Elles figurent une enceinte de forme subrectangulaire, flanquée de tours circulaires pourvues du
double couronnement si cĂ©lĂšbre de Pierrefonds ; cependant, deux dâentre elles au moins font
diffĂ©rence. Celle du nord-ouest (centre gauche pour Duviert, centre droit pour Carlier) nâavait que la
ceinture basse de mùchicoulis ; Viollet-le-Duc a mal interprété la gravure de Carlier, qui semble
reprĂ©senter une surĂ©lĂ©vation Ă deux Ă©tages qui a guidĂ© lâarchitecte dans sa restauration. Mais cette
apparente surélévation est en fait la tour sud-ouest théoriquement non visible par le dessinateur, mais
figurĂ©e nĂ©anmoins en dĂ©formant la perspective. Quant Ă la tour ouest, elle ne possĂ©dait pas mĂȘme la
couronne de mùchicoulis inférieure.
Le front sud-est nâest reprĂ©sentĂ© que par Carlier, Ă revers ; son dessin pĂȘche ici par une grande
confusion : la tourelle dâescalier polygonale de la tour est (Ă gauche sur son dessin), est figurĂ©e
comme si elle était une tour indépendante située au revers ; le bùtiment rectangulaire qui lui est voisin
Ă droite reprĂ©sente la chapelle, mais rien nâest moins sĂ»r. Aucune certitude nâexiste donc sur la façon
dont la tour de la chapelle, située au sud-est, était couronnée.
Dans le dessin de Duviert comme dans celui de Carlier, seules les tours nord et ouest conservaient
leur toiture. Les chemins de ronde à deux niveaux des courtines intermédiaires, décalés vers le bas
par rapport Ă ceux des tours, avaient eux aussi perdu la toiture de leur niveau bas Ă mĂąchicoulis â
Duviert montrant les restes de charpente Ă la tour sud-ouest. Seule la courtine reliant les tours sud-
ouest et ouest, celle de lâentrĂ©e, Ă©tait totalement dĂ©pourvue de couronnement, exactement comme la
tour dâangle ouest, prouvant lĂ encore un Ă©tat dâachĂšvement non-conforme au parti originel. La
courtine situĂ©e entre les deux tours majeures du sud ne possĂ©dait, elle, quâun seul niveau de chemin
de ronde, ceci devant correspondre en revanche Ă lâĂ©tat initial.
Les deux gravures montrent les bĂątiments formant le logis neuf de Louis dâOrlĂ©ans ; on reconnaĂźt sur
celle de Carlier la tour carrée à contreforts diagonaux, et, la voisinant sur la droite, le pignon nord-
ouest du logis proprement dit. Duviert reprĂ©sente le mĂȘme pignon, flanquĂ© sur sa gauche par une
tourelle cylindrique. Toutes deux figurent dans ce pignon une grande fenĂȘtre Ă remplage. Dans le
dessin de Duviert, les toitures du logis nâapparaissent pas ; le dessin de Carlier figure au moins celle
de la travée nord. En revanche, aucun des deux dessins ne représente le second pignon du logis au
sud-ouest ; au contraire, Duviert fait émerger le sommet de la tour carrée, avec son premier niveau de
mĂąchicoulis, montrant que ce pignon avait disparu dĂšs le XVII
e
siĂšcle
69
.
Enfin, les deux dessins ne mettent nullement en scĂšne les bĂątiments qui eussent dĂ» garnir lâintĂ©rieur
des courtines de lâenceinte, que Viollet-le-Duc a restituĂ©s avec une toiture dĂ©bordant en hauteur sur
les courtines â restitution valable dans lâabsolu, on le verra. Cette absence de figuration dans les deux
dessins antĂ©rieurs Ă la ruine semble prouver quâĂ tout le moins, ces toitures, si elles existaient, Ă©taient
établies à un niveau inférieur aux chemins de ronde ; on verra cependant que ces bùtiments ne furent
Fig.12 : Ă gauche, vue du chĂąteau depuis le nord par Carlier. Ă droite, restitution sous le mĂȘme angle
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 15
jamais ni terminĂ©s ni couverts. Le mandement dĂ©jĂ citĂ© de Charles dâOrlĂ©ans, en 1415, ne les
mentionne pas parmi les éléments habitables et ruinés du chùteau ; or il est fort peu probable que le
connĂ©table de Saint-Pol, sâils avaient existĂ©, ne les eĂ»t fait brĂ»ler comme le reste. On verra que ceci
est justifiĂ© par lâexamen des restes avant restauration.
La structure dâensemble
Le chùteau se présente comme une grande enceinte subrectangulaire apparemment de type
« philippien », flanquée de tours circulaires ou semi-circulaires aux angles et aux milieux des faces
70
;
cependant, le concepteur joua de la prĂ©sence dâun Ă©lĂ©ment antĂ©rieur, quâon a essayĂ© de caractĂ©riser
prĂ©cĂ©demment, lâenceinte trapĂ©zoĂŻdale de la chemise, pour Ă©tablir son programme dâensemble. Du
coup, celui-ci nâentre pas dans le schĂ©ma prĂ©dominant de lâenceinte « philippienne », marquĂ©e par la
rĂ©gularitĂ© et le poids Ă©quivalent des diverses tours, Ă lâexception de la tour maĂźtresse. Un simple coup
dâĆil sur le plan permet de distinguer, dâemblĂ©e, deux zones (fig.13).
La premiĂšre, qui constitua lâĂ©lĂ©ment dominant, est formĂ©e par le quart sud de lâensemble castral. Il
comprend le logis neuf de Louis dâOrlĂ©ans, implantĂ© sur les murs de lâancienne chemise ; ce logis a
été flanqué vers le sud par les deux tours majeures (tours César et Charlemagne), qui dominaient
largement le reste de lâenceinte, et vers le sud-est par une tour carrĂ©e Ă contreforts, elle-mĂȘme reliĂ©e
à la tour sud-est de la chapelle (tour Judas Macchabée)
71
. Au sud, ces bùtiments délimitent avec
lâenceinte extĂ©rieure une petite cour trapĂ©zoĂŻdale que Viollet-le-Duc a baptisĂ©e « cour aux provisions »
du fait du rĂŽle quâil attribuait Ă la porte ouverte dans la courtine sud-est entre la tour Charlemagne et la
tour de la chapelle.
La seconde zone est constituée par les trois quarts restants du chùteau, qui devaient accueillir les
bĂątiments non affectĂ©s Ă la rĂ©sidence, autour dâune grande cour bordĂ©e au sud-est par les bĂątiments
du « donjon » et de la chapelle.
Cette distinction en plan se retrouvait Ă©galement en Ă©lĂ©vation : il suffit dâexaminer la gravure de
Duviert pour se rendre compte à quel point le « donjon » dominait le reste du chùteau, constituant un
ensemble massif et puissant face au plateau. Cette vision est encore présente, aprÚs les
restaurations, si ce nâest que la restitution des toitures des bĂątiments de la cour principale, Ă©mergeant
de lâenceinte, contribue Ă une certaine Ă©galisation dâensemble.
Fig.13 : Plans du chùteau avant restauration restitués à partir de Viollet-le-Duc 1857 et 1859, et consolidation
avec les observations de lâauteur. En grisĂ©, sur le plan du rez-de-chaussĂ©e, les parties conservĂ©es Ă lâĂ©tat de
substructions avant les restaurations
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 16
Le « donjon de Louis dâOrlĂ©ans », la « cour aux provisions » et la chapelle : un
chĂąteau dans le chĂąteau
Le logis et la tour carrée (fig.14)
Le logis a repris le plan trapézoïdal de la chemise préexistante
72
; la disparition des élévations ouest
et nord aprĂšs 1617 ainsi que lâenfouissement de toutes les fondations, empĂȘchent de savoir sur quelle
hauteur les maçonneries antérieures furent conservées, mais il est certain que le flanc oriental au
moins fut reconstruit de fond en comble. Le texte de 1397 relatif Ă la fondation de la vis au nord
montre, Ă tout le moins, que dans ce secteur une partie au moins des anciennes fondations fut
reprise. Le trapĂšze du logis Ă©tait complĂ©tĂ© par la tour carrĂ©e Ă contreforts Ă©tablie Ă lâest, dont le
fonctionnement lui Ă©tait Ă©troitement liĂ© ; Ă cet ensemble sâajoutait le bĂątiment des latrines implantĂ© le
long de la courtine sud-ouest du chĂąteau.
Si lâon fait abstraction du caveau antĂ©rieur, le logis comportait un rez-de-chaussĂ©e voĂ»tĂ© et trois
Ă©tages ; les voĂ»tes dâogives du rez-de-chaussĂ©e Ă©taient simplement collĂ©es aux murs latĂ©raux, sauf
aux angles
73
. La tour carrĂ©e Ă contreforts Ă©tablie Ă lâangle avait une structuration verticale similaire,
quoique avec deux niveaux supplémentaires (fig.15).
Tant dans le logis que dans la tour, les rez-de-chaussée étaient accessibles directement depuis la
cour, chacun par une porte séparée. Dans la tour, cette porte donnait sur un escalier droit à deux
rampes desservant le premier Ă©tage
74
, alors que dans le logis, aucune communication directe
nâexistait entre le cellier et les Ă©tages supĂ©rieurs. En effet, ces Ă©tages Ă©taient desservis par la grande
vis dont Viollet-le-Duc avait retrouvé le perron, affirmant la partition entre les celliers du rez-de-
chaussée et les espaces nobles des étages, partition confirmée par le mandement de 1415.
Fig.14 : Plans du grand logis, de la tour carrée, des deux tours sud et de la chapelle aux différents niveaux,
restituĂ©e dans l'Ă©tat antĂ©rieur aux restaurations dâaprĂšs Wyganowski pour le rez-de-chaussĂ©e, et Ă lâaide des
photographies et représentations anciennes
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 17
Ă chacun des Ă©tages du logis, un grand mur de refend nord-ouestâsud-est sĂ©parait une salle
allongĂ©e formant la travĂ©e nord, et une seconde travĂ©e plus Ă©troite, elle-mĂȘme recoupĂ©e par un mur
de refend octogonal en deux chambres plus petites. Le premier étage était le niveau de réception,
pourvu de trĂšs hautes fenĂȘtres Ă meneau et double traverse vers le sud-est, et dans la travĂ©e nord
dâune cheminĂ©e monumentale ornĂ©e dâun linteau sculptĂ©
75
; il communiquait avec le premier Ă©tage de
la tour par un couloir coudé. Vers le sud, la chambre communiquait par un couloir avec le bùtiment
des latrines et avec la tour dâangle.
Ă partir du deuxiĂšme Ă©tage, on entrait sans doute
dans les espaces privatifs. La salle nord de cet Ă©tage
possĂ©dait Ă©galement une trĂšs belle cheminĂ©e Ă
linteau sculpté réutilisée par le restaurateur (fig.16) ;
comme au premier, un couloir menait, de la petite
salle sud, vers les latrines. La grande salle de la
travée nord communiquait directement avec la salle
de la tour carrée ; de celle-ci partait un escalier en vis
desservant les étages supérieurs de la tour, qui
acquĂ©rait ainsi un fonctionnement indĂ©pendant Ă
partir de ce niveau.
Le troisiÚme étage du logis était ménagé sous
combles, les deux travées étant couvertes de voûtes
de bois lambrissées ; ici, la paroi sud-est était percée
de deux fenĂȘtres Ă une seule travĂ©e, encadrant la cheminĂ©e, de facture plus simple quâaux niveaux
inférieurs. On retrouvait un passage direct vers la tour carrée depuis la grande salle nord, avec
communication avec la vis de la tour dans le passage. Mais la particularité de ce niveau était de
posséder une coursiÚre extérieure ménagée sur mùchicoulis, desservie tant depuis la tour carrée par
une porte dans le mur sud, que depuis la petite chambre sud par une porte située juste à cÎté de la
grande fenĂȘtre
76
. Il est Ă©vident, compte tenu de la position du bĂątiment, que cette coursiĂšre avait une
Fig.15 : Coupe de la tour carrée et du logis suivant un axe nord-est--sud-ouest, avant restauration, à partir
des photographies et gravures anciennes
Fig.16 : Cheminée monumentale du deuxiÚme
étage, conservée par Viollet-le-Duc lors de la
restauration
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 18
vocation de galerie dâagrĂ©ment, orientĂ©e vers le sud-est ; elle nâĂ©tait pas couverte, en raison de la
prĂ©sence en façade des fenĂȘtres du logis.
Une seconde particularitĂ© de ce niveau Ă©tait de possĂ©der, dans le pignon aujourdâhui disparu de la
travĂ©e nord, une grande fenĂȘtre gothique Ă deux lancettes et oculus, que lâon connaĂźt par la gravure
de Duviert de 1611 ; cette fenĂȘtre tranche dâavec les fenĂȘtres Ă croisĂ©e existant encore dans la façade
sud-est, sans pour autant justifier lâexistence dâune chapelle, comme le pensait Jacques Harmand
77
. Il
suffit, pour comprendre cette diffĂ©rence, de remarquer que les fenĂȘtres orientĂ©es au sud avaient une
vocation Ă©vidente dâagrĂ©ment et dâouverture, alors que les fenĂȘtres orientĂ©es vers le nord-ouest
devaient ĂȘtre Ă vocation purement dĂ©corative, et ornĂ©es de vitraux colorĂ©s.
LâĂ©lĂ©vation du logis proprement dit se terminait par deux pignons Ă redents, suivant une mode
constructive trĂšs vivace dans lâarchitecture rĂ©gionale ; ils Ă©taient reliĂ©s par un chemin de ronde factice
pourvu dâun merlon. Dans le petit pignon sud Ă©tait mĂ©nagĂ©e une porte en hauteur, qui nâĂ©tait
accessible que par la charpente du comble, et donnait accĂšs Ă une sorte dâĂ©troit belvĂ©dĂšre dominant
le toit du bĂątiment des latrines, communiquant avec le chemin de ronde de la courtine sud-ouest ;
Viollet-le-Duc a restauré et conservé ce curieux appendice, qui trouvait sa justification par la nécessité
dâĂ©paissir depuis la base le mur de fond du bĂątiment des latrines, afin dâ accueillir les couloirs joignant
les chambres sud, les chambres de latrines et la tour sud.
Si lâon revient maintenant Ă la tour carrĂ©e, lâescalier en vis desservait Ă partir du troisiĂšme Ă©tage un
niveau intermédiaire de faible hauteur, éclairé par des soupiraux ouvrant entre les consoles de
mùchicoulis du chemin de ronde. On montait ensuite au cinquiÚme étage, ménagé au-dessus du
niveau du chemin de ronde Ă mĂąchicoulis ; celui-ci Ă©tait pourvu de trois Ă©chauguettes dâangle montĂ©es
sur des trompes aux angles des contreforts, chacune dâentre elles pouvant ĂȘtre thĂ©oriquement isolĂ©e
du chemin de ronde par deux portes de bois dont
les encastrements furent réalisés dans les murs
latéraux, sans pour autant que les vantaux eux-
mĂȘmes aient jamais Ă©tĂ© installĂ©s. Ce cinquiĂšme
étage possédait au moins vers le sud une grande
fenĂȘtre que Viollet-le-Duc a restaurĂ©e avec
justesse en « fenĂȘtre flamande » dĂ©bordant du toit
du chemin de ronde inférieur de la tour ; cet étage
possédait une cheminée dans le mur de
sĂ©paration avec le logis, et lâon peut penser,
compte tenu des vues dont il disposait alentour,
quâil sâagissait dâun cabinet de travail ou « Ă©tude ».
On notera enfin quâau troisiĂšme Ă©tage de la tour
carrĂ©e, la fenĂȘtre originelle conserve dans ses
ébrasements les saignées horizontales pratiquées
pour installer les planches dâaccrochage dâun
lambris ; Viollet-le-Duc en faisait Ă©tat dans ses
descriptions, mais les a fait disparaĂźtre ailleurs
78
.
Le bĂątiment des latrines
Ce bùtiment rectangulaire a été implanté contre la
courtine sud-ouest, entre le logis et la tour dâangle.
Il Ă©tait pourvu dâune grande fosse au rez-de-
chaussée, avec un exutoire vers la « cour des
provisions » noté dans les plans antérieurs à la
restauration ; la voûte était percée de six conduits,
deux par niveaux desservis. Deux photographies
antérieures à la restauration permettent de
reconnaßtre les arrachements laissés par ces
conduits sur le mur gouttereau conservĂ© Ă
lâĂ©poque
79
(fig.15).
LâaccĂšs sâeffectuait Ă chaque niveau par une porte
situĂ©e dans un angle de la chambre sud, donnant accĂšs Ă un couloir biais qui justifia lâĂ©paississement
Fig.17 : Coupe nord-ouestâsud-est du bĂątiment
des latrines avant restauration, dâaprĂšs photos
anciennes
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 19
du mur pignon dans cette zone, évoqué plus haut. Ces couloirs devaient desservir dans deux cabinets
sĂ©parĂ©s par des cloisons, ainsi que la tour dâangle sud et son escalier en vis. Cette zone Ă©tait
particuliĂšrement encombrĂ©e, dâautant que lâarchitecte mĂ©diĂ©val jugea utile dâĂ©quiper les trois cabinets
dâaisance sud de cheminĂ©es amĂ©nagĂ©es dans lâangle est du bĂątiment, visibles en coupe sur les
photographies mentionnées ci-dessus. Dans ses plans publiés dans le
Dictionnaire
, ainsi que dans un
projet de 1859
80
, Viollet-le-Duc restitua un fonctionnement respectant toutes les contraintes,
conduisant Ă placer lâescalier en vis de la tour Ă la bissectrice des deux courtines, conformĂ©ment Ă la
vue de Duviert ; pourtant, lors de la restauration en 1866-67, il plaça la vis contre la courtine sud-est,
sans doute pour des raisons de simplification du plan. Quant aux siĂšges, ils ont Ă©tĂ© remplacĂ©s parâŠ
des latrines Ă la turque, qui dĂ©notent curieusement dans une restauration mĂ©diĂ©vale destinĂ©e Ă
lâEmpereurâŠ
Au troisiÚme étage, outre le couloir biais superposé à ceux des étages inférieurs, le bùtiment des
latrines communiquait avec la coursiĂšre sur mĂąchicoulis du pignon du grand logis par un couloir triple.
DÚs 1617, la porte de ce couloir dans le bùtiment avait été bouchée, comme en témoignent les
anciennes photographies ; Viollet-le-Duc ne lâa pas restituĂ©e.
Les deux tours majeures du sud
Le grand logis Ă©tait complĂ©tĂ© par les deux tours majeures du sud, totalement abattues en 1617 Ă
lâexception de leurs socles. Il semble quâelles Ă©taient pleines Ă leur base, mĂȘme si dans les deux, le
cylindre intérieur était seulement rempli de remblais
81
. La tour sud-ouest (CĂ©sar) en U, dâun diamĂštre
de 15,5 m, communiquait directement avec la salle voisine du logis au rez-de-chaussée ; la gravure
de Duviert prouve quâun escalier en vis Ă Ă cage carrĂ©e Ă©tait mĂ©nagĂ©e Ă son angle ouest avec le logis,
que Viollet-le-Duc a restituĂ© en le surmontant dâune immense guette. Il est probable que les salles de
cette tour avaient pour vocation dâoffrir des espaces complĂ©mentaires au logis â on pense volontiers Ă
des garde-robes ; elles Ă©taient apparemment peu ouvertes vers lâextĂ©rieur, si ce nâest au troisiĂšme
Ă©tage oĂč Duviert reprĂ©sente des fenĂȘtres.
La tour Sud (Charlemagne), dâun rayon de 16 m, Ă©tait, en apparence, moins liĂ©e au logis, puisquâelle
en Ă©tait sĂ©parĂ©e par le bĂątiment des latrines ; cependant, elle nâĂ©tait accessible que depuis ce dernier
Ă tous les Ă©tages, formant donc un Ă©lĂ©ment Ă part entiĂšre de lâensemble, comme la tour CĂ©sar. Au
rez-de-chaussée, la communication était assurée par par une gaine voûtée ménagée dans la courtine
sud-ouest, en Ă©vitant la fosse des latrines ; cette gaine demeurait encore en partie au moment des
dégagements. Au-dessus, on a vu que les communications étaient vraisemblablement complexes, afin
de desservir les deux cabinets dâaisance et lâescalier en vis qui se situait Ă la bissectrice des deux
courtines. Duviert montre que des fenĂȘtres existaient au moins Ă deux niveaux sous le chemin de
ronde.
Les diamĂštres de ces tours Ă©quivalaient Ă ceux des plus importantes tours maĂźtresses bĂąties par
Philippe Auguste ; ils Ă©taient lĂ©gĂšrement plus faibles que celles du Coucy dâEnguerrand III, qui servit
probablement de modĂšle
82
; elles possédaient un double couronnement, avec un chemin de ronde
couvert sur mùchicoulis établi à mi-hauteur du troisiÚme étage du logis, entourant une salle éclairée
de fenĂȘtres hautes, et, au-dessus, un chemin de ronde crĂ©nelĂ© dâoĂč Ă©mergeait le toit, qui avait disparu
en 1611. Entre les deux tours, la courtine qui servait de gouttereau sud au logis, était percée de
fenĂȘtres sur deux niveaux, et couronnĂ© par un chemin de ronde simple Ă mĂąchicoulis.
Le « donjon », son lien avec la chapelle et les similitudes avec le palais des Coucy à Soissons
Il sâagissait donc, avec le logis, ses trois tours et le bĂątiment des latrines, dâun ensemble rĂ©sidentiel
extrĂȘmement abouti, ce « donjon » dont parle Charles dâOrlĂ©ans en 1415. Ă chaque niveau rĂ©sidentiel
existaient une grande salle, deux chambres annexes complétées par les garde-robes des tours,
auxquelles sâajoutait une chambre dans la tour carrĂ©e ; la rĂ©pĂ©tition sur trois niveaux permettait la
crĂ©ation dâun appartement de rĂ©ception, et de deux appartements superposĂ©s, la tour carrĂ©e venant
apporter, avec une vis particuliĂšre, des chambres plus privatives. Doit-on imaginer que les chambres Ă
coucher se situaient au sud-ouest, reliĂ©es aux latrines ? Câest au moins probable, et lâon imaginerait
volontiers quâĂ chaque niveau la grande salle ait servi de chambre de parement, la chambre nord-
ouest de chambre de retrait. Cependant, on se gardera de toute affirmation, en raison de la multiplicité
des combinaisons possibles, rendue plus complexe encore du fait quâon pourrait imaginer assez
volontiers également que la tour carrée ait abrité la chambre à coucher, en raison de son rÎle éminent.
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 20
Cet ensemble palatial nâeĂ»t pas Ă©tĂ© complet
sâil nâavait eu une relation privilĂ©giĂ©e avec la
chapelle. Celle-ci se situait au nord-est de la
tour carrĂ©e ; lâarchitecte conçut sa façade de
maniĂšre Ă la flanquer dâun contrefort diagonal
exactement en prolongement du contrefort
nord-est de la tour carrĂ©e, de maniĂšre Ă
permettre une communication aux Ă©tages
entre les deux édifices. Au rez-de-chaussée, le
mur ainsi dĂ©terminĂ© fut percĂ© dâune porte
pourvue dâune dâune herse dĂ©limitant la « cour
aux provisions
»
83
. On ignore
malheureusement la façon précise dont
sâĂ©levaient les parties supĂ©rieures de cette
liaison, seul le dessin de Bichebois
lithographié pour les
Voyages pittoresques et
romantiques
en 1845 apportant une vue de ce
cĂŽtĂ©, malheureusement dans lâombre
(fig.18)
84
. Dans ses plans du «
donjon
»
publiés dans le
Dictionnaire
, Viollet-le-Duc
supposait quâil existait au-dessus de cette
porte, dÚs le premier étage de la tour carrée, un passage supérieur débouchant sur un couloir percé
dans le mur nord disparu de la tour ; il ne tarda pas cependant Ă constater lâimpossibilitĂ© gĂ©omĂ©trique
dâun tel couloir, au demeurant non attestĂ© par Bichebois. Aussi fit-il rĂ©aliser en dĂ©finitive le curieux
dispositif actuel, consistant en un couloir coudé ménagé en encorbellement, qui forme une verrue
disgrùcieuse sur la façade de la tour.
En fait, comme lâavait dĂ©jĂ remarquĂ© Jacques Harmand, le seul passage supĂ©rieur qui existait se
trouvait au deuxiÚme étage de la tour-carrée
85
. En effet, il fallait cette dénivellation pour que le massif
de base de la porte sâamincisse suffisamment, par une retraite progressive, pour devenir simple
contrefort et laisser place Ă un passage latĂ©ral communiquant avec la tour. Lâexistence du couloir
traversant le mur nord de la tour est attesté par la trace de sa fermeture : une porte ouvrant vers
lâextĂ©rieur venait se loger dans une feuillure mĂ©nagĂ©e dans la face du contrefort, visible dans le dessin
de Bichebois, et respectée par Viollet-le-Duc. Il est probable que ce passage supérieur a été une
simple coursiĂšre de bois en encorbellement.
De lâautre cĂŽtĂ©, le passage supĂ©rieur
aboutissait dans un escalier en vis ménagé
dans le contrefort de la chapelle, réservé à cet
usage privatif
; il dĂ©bouchait Ă lâintĂ©rieur
mĂȘme de la chapelle, et possĂ©dait une autre
porte sur le parvis.
Ainsi ce passage venait-il compléter
lâensemble rĂ©sidentiel, lui confĂ©rant toutes les
composantes dâune luxueuse demeure â
totalement intégrée. Mais, plutÎt que de
chercher de lointaines inspirations, on ne peut
manquer de remarquer quâexistait, Ă peu de
distance de Pierrefonds, un palais neuf édifié
par Enguerrand VII de Coucy Ă Soissons, qui
prĂ©sente dâĂ©tonnantes similitudes de
programme avec le « donjon » de Pierrefonds
(fig.19). Ce palais, entiÚrement détruit à partir
de 1771 pour laisser place Ă lâhĂŽtel de
lâIntendance, avait Ă©tĂ© construit sur lâun des
longs cĂŽtĂ©s de lâenceinte rectangulaire
flanquée de tours du chùteau des comtes de
Soissons, attribuable peut-ĂȘtre au XIIIe
Fig.19 : Plan du palais de Soissons en 1640 au premier
étage (BnF, Va 428, Cliché H 186987).
Fig.18: Liaison "donjon"-chapelle. Vue comparée du
dessin de Bichebois (avant 1845) et de la restauration
de Viollet-le-Duc.
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 21
siĂšcle ; une ordonnance royale de 1411 en attribue la construction Ă Enguerrand VII, avant sa mort qui
intervint en 1397
86
. Il sâagissait dâun Ă©difice dont le cĆur Ă©tait un rectangle de 19 m par 23, accolĂ© de
trois tours carrĂ©es Ă contreforts diagonaux, et dâune chapelle rectangulaire Ă©galement pourvue de tels
contreforts. Lâune des trois tours, plus importante que les autres, Ă©tait flanquĂ©e dâun cĂŽtĂ© par une
grande vis, de lâautre par une appendice abritant des latrines, la sĂ©parant dâune longue salle
rectangulaire faisant la jonction avec la chapelle, de lâautre cĂŽtĂ©. Le reste du cĆur du palais, Ă©tait
séparé en deux par un mur de refend, chacune des deux parties communiquant avec la tour carrée
correspondante.
Cette organisation extrĂȘmement compacte de lâensemble rappelle Ă©tonnamment le programme utilisĂ©
Ă Pierrefonds (fig.20) : en particulier, la conception en un corps central flanquĂ© dâune tour dominante Ă
contreforts diagonaux, communiquant de lâautre cĂŽtĂ© avec deux tours, mis en liaison avec la chapelle,
est saisissante, mĂȘme si bien des dĂ©tails diffĂšrent, Ă commencer par les plans des deux tours
annexes. On ignore la date exacte Ă laquelle Enguerrand VII entreprit cette construction ; mais il
nâentra en possession du comtĂ© de Soissons quâen 1367, par don de son beau-pĂšre Ădouard III
dâAngleterre, et lâon sait par ailleurs quâil entreprit les travaux de restructuration de son chĂąteau
éponyme dans les années 1386-87
87
. Quoi quâil en soit, elle Ă©tait achevĂ©e lorsque Louis dâOrlĂ©ans
entama la construction de Pierrefonds, et il nâest pas invraisemblable que le jeune duc se soit inspirĂ©
du palais voisin de son aßné, avec lequel il entretenait des relations suivies.
Jâai eu dĂ©jĂ lâoccasion, Ă ce sujet, de souligner la raretĂ© du plan carrĂ© Ă contreforts diagonaux utilisĂ©
pour la tour de Pierrefonds, plan reproduit dans la tour carrĂ©e de La FertĂ©-Milon par le mĂȘme duc ; la
prĂ©sence Ă quelque distance dâun Ă©difice ne prĂ©sentant pas moins de trois tours de ce type est un
indice assez net du cousinage entre les Ă©difices â peut-ĂȘtre Ă©galement entre les architectes
88
.
Ces deux ensembles se distinguent de la grande majoritĂ© des rĂ©sidences palatiales de lâĂ©poque, par
leur conception massĂ©e â on les opposerait ainsi volontiers Ă des rĂ©sidences palatiales telle que
Saumur, ou Tarascon, voire encore Angers, oĂč les logis se dĂ©veloppent de façon linĂ©raire le long des
Fig.20 : Comparaison des structures des deux logis intégrés : à gauche Pierrefonds, à droite Soissons
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 22
courtines. Pour autant, on ne peut manquer de constater quâelle appartient Ă un courant prĂ©sent dans
le dernier tiers du XIV
e
siĂšcle â on songera ainsi par exemple au palais ducal de Suscinio, bĂąti par le
duc Jean IV de Bretagne, avec sa conception intégrée dans un grand bùtiment rectangulaire auquel
sâadjoignaient deux tours de flanquement, dont une contenait la chapelle
89
; on songera Ă©galement au
logis Ă deux tours dâArgentan, bĂąti vers 1380 par le duc Pierre dâAlençon, et Ă dâautres encore
90
. Mais
les logis intĂ©grĂ©s Ă trois tours de Soissons et de Pierrefonds forment un type assez particulier, oĂč le
caractĂšre Ă©minent sâaffirme de façon plus ostensible sur le reste du chĂąteau â justifiant, dans le cas de
Pierrefonds, lâappellation de « donjon ».
La « cour aux provisions »
Un dernier élément essentiel au fonctionnement du complexe résidentiel était la cour située au sud-est
du chùteau, dite improprement depuis Viollet-le-Duc « cour aux provisions ». De forme trapézoïdale,
elle est cantonnée entre le grand logis et sa tour carrée, la chapelle, le bùtiment des latrines et la
courtine sud-est. Elle était séparée de la cour principale par une porte ménagée dans le contrefort
commun de la tour carrée et de la chapelle, possédant une herse, comme on vient de le voir. Placée
juste devant la façade « ouverte » du logis vers le sud-est, elle ne pouvait avoir quâun rĂŽle Ă©troitement
liĂ© au logis lui-mĂȘme, formant vraisemblablement une cour rĂ©servĂ©e au dĂ©lassement du duc et de ses
invités, isolée du bruit et des nuisances de la cour principale
91
. Il aurait mĂȘme pu sâagir dâun vĂ©ritable
jardin, les dĂ©gagements de Wyganowski nâayant mis au jour aucun pavement dans cette cour
92
.
La question de lâaccĂšs Ă cette cour depuis lâextĂ©rieur a donnĂ© lieu Ă ce qui semble une erreur de
Viollet-le-Duc dans sa restauration (fig.21). La courtine sud-est était marquée par deux contreforts
plats montant de fond, sĂ©parĂ©s de 2,5 m environ ; sur sa moitiĂ© sud et jusquâau premier contrefort,
cette courtine était conservée en élévation sur une hauteur de 8 à 9 m au dessus du niveau de la
cour, alors que sa moitiĂ© nord, y compris lâintervalle entre les deux contreforts, Ă©tait arasĂ©e au niveau
de la cour intérieure. Viollet-le-Duc interpréta ces deux contreforts comme encadrant une ancienne
porte, dont il fit la porte dâapprovisionnement du chĂąteau, et ce contre toute logique puisque la
dĂ©nivellation avec le sol extĂ©rieur Ă©tait telle quâil lui fallut imaginer un systĂšme de plan inclinĂ© et de
treuils particuliĂšrement complexes
93
.
Or aucun document nâatteste que ces deux
contreforts aient jamais encadrĂ© une porte ; il sâagit
en fait dâune supputation de Viollet-le-Duc et de
Caillette de lâHervilliers, qui ne trouve pas mĂȘme
une justification dans la présence de rainures de
herse. Cependant, lâabsence de photographies
permettant de visualiser la face nord du contrefort
sud empĂȘcherait de rejeter dĂ©finitivement la
restitution proposĂ©e, sâil nâexistait pas, dans les
photographies antérieures à la restauration, la trace
dâun piĂ©droit vertical situĂ© plus au sud dans la mĂȘme
courtine dĂ©limitant une large brĂȘche dans la
maçonnerie (fig.21)
94
; Viollet-le-Duc a purement et
simplement supprimé ce piédroit en comblant la
brĂȘche lors de la restauration. Jacques Harmand,
qui a reconnu ce vestige, lâavait interprĂ©tĂ© comme le
reste dâune «
seconde baie à seuil relevé
»,
admettant la présence trÚs rapprochée de deux
portes dans la mĂȘme courtine
95
.
En fait, lâexamen attentif de la photographie montre
que ce piédroit, situé assez en hauteur, constituait la
face latĂ©rale de la feuillure dâune flĂšche de pont-
levis ; la brĂȘche correspondait donc Ă une porte
charretiÚre, fermée par un pont-levis à double
flÚche, et située assez logiquement sous la
protection directe de la tour sud (Charlemagne),
comme lâĂ©tait la porte principale par rapport Ă la
tour sud-ouest (CĂ©sar).
Fig.21 : ĂlĂ©vation de la courtine sud-est avant
restauration, d'aprĂšs photo ancienne, et
restitution proposée
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 23
Malheureusement, cette porte dut ĂȘtre une cible privilĂ©giĂ©e des canonnades de 1617, de mĂȘme que la
courtine ; en témoignent les traces de chocs de boulets parfaitement visibles sur la photographie de
1860, et scrupuleusement conservées par Viollet-le-Duc lors de la restauration. Tout le dispositif de
fermeture a donc disparu, et les parements latĂ©raux de lâancien passage ont disparu, soit du fait de la
canonnade, soit plus probablement par arrachement.
Il serait inconcevable que les constructeurs aient pratiquĂ© deux portes dâune taille Ă©quivalente dans la
mĂȘme courtine ; ceci conduit nĂ©cessairement Ă Ă©liminer lâhypothĂšse dâexistence de la fameuse
« poterne aux provisions » imaginée par Viollet-le-Duc entre les deux contreforts. Ceux-ci devaient
avoir pour fonction de supporter une bretĂšche rectangulaire en saillie, leur vocation Ă©tant plus
dĂ©corative que structurelle puisquâils devaient encadrer en outre la statue de saint Michel restaurĂ©e
par Viollet-le-Duc aprĂšs sa mise au jour en avril 1863
96
.
Ainsi se clarifie la fonction de cette zone. La porte à pont-levis constituait la « porte des champs », si
souvent prĂ©sente dans la conception castrale au Moyen Ăge, offrant une issue secondaire
dĂ©bouchant hors de lâenceinte de basse-cour ou de ville ; il nâest pas sĂ»r quâelle ait jamais Ă©tĂ© mise en
fonction, ne serait-ce que par lâĂ©normitĂ© de la rampe quâil eĂ»t fallu constituer pour la rendre accessible.
Pour autant, on peut se demander si la « poterne XIIe siÚcle » évoquée ci-dessus, restituée par
Viollet-le-Duc en contrebas au sud-est, ne fut pas une porte avancée prévue en relation avec cette
porte secondaire (fig.3).
DerriÚre la porte secondaire se trouvait la cour noble par excellence, fonctionnellement séparée de la
cour intĂ©rieure par une porte qui formait une seconde dĂ©fense au chĂąteau. Si lâon peut sâĂ©tonner que
cette cour ou jardin noble ait Ă©tĂ© bordĂ© par le bĂątiment des latrines, câest en fait tout le logis qui lâĂ©tait,
et une telle promiscuitĂ© ne gĂȘnait pas les narines de lâĂ©poque, habituĂ©es Ă vivre dans lâodeur
permanente des Ă©curies.
Viollet-le-Duc restaura le chemin de ronde de la courtine extĂ©rieure en lâĂ©tablissant Ă un niveau tel
quâil Ă©tait dominĂ© par la coursiĂšre Ă mĂąchicoulis du logis situĂ© par derriĂšre, afin de rĂ©server les vues
depuis celui-ci ; une telle restitution est assez réaliste. Il est probable que ce chemin de ronde de la
courtine sud-est était équipé en promenoir accessible également depuis la vis de la chapelle, avec en
son centre une petite chambre en surplomb, magnifiĂ©e comme on lâa vu par les deux contreforts et la
statue de saint Michel.
On est donc fort loin de la restitution proposĂ©e par Viollet-le-Duc, tant au plan matĂ©riel quâau plan du
programme ; et Ă nouveau on ne peut manquer de sâĂ©tonner que lâarchitecte, qui raisonnait en gĂ©nĂ©ral
avec un bon sens basé sur son expérience, ait pu proposer pour cette zone trÚs particuliÚre du
chĂąteau une vocation ancillaire qui eĂ»t obligĂ© les « provisions » Ă transiter devant les fenĂȘtres du
logis, franchir deux portes successives, et traverser toute la cour principale pour rejoindre lâescalier
descendant aux caves. Quant à Jacques Harmand, il est resté trop prisonnier de son analyse militaire
du chĂąteau, pour imaginer ce programme palatial exceptionnel par sa relation avec lâenceinte.
La chapelle
Fonctionnellement, la chapelle nâappartenait pas Ă proprement parler Ă lâensemble rĂ©sidentiel ;
cependant, on a vu quâelle Ă©tait intimement liĂ©e Ă son programme. Seule son abside Ă©tait conservĂ©e
au moment de la restauration, au-dessus du niveau de caves ; cette restauration par Viollet-le-Duc
relĂšve dâune fantaisie post-romantique dĂ©bridĂ©e, tout particuliĂšrement en ce qui concerne son chĆur Ă
double étage et tribunes, vraie création architecturale plutÎt que restitution (fig.22).
LogĂ©e dans la tour sud-est de lâenceinte, elle se composait dâun vaisseau unique se terminant en
demi-cercle, long de plus de 17 m ; le chĆur Ă©tait couvert par une voĂ»te dâogives Ă sept quartiers,
haute de plus de 13 m, et il était éclairé par trois hautes lancettes. Entre les retombées des voûtes
étaient ménagés des sortes de loges pourvues de banquettes, vraisemblablement destinées aux
membres du chapitre dédié à saint Jacques le Majeur
97
; il en existait sept, ce qui correspond au
nombre de chanoines avancé par Carlier (six, sans compter le doyen).
On ne sait rien de lâĂ©lĂ©vation de la nef, et de ses dispositions
98
; pas plus ne connaßt-on les modalités
par lesquelles le duc, depuis le deuxiĂšme Ă©tage du logis, assistait aux offices ; peut-ĂȘtre disposait-il
dâune tribune â il ne semble pas, en tout cas, quâaient existĂ© au rez-de-chaussĂ©e de petites loggias
mĂ©nagĂ©es dans les murs latĂ©raux pour lui permettre, ainsi quâĂ son Ă©pouse, de sâisoler, comme câĂ©tait
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 24
souvent le cas dans les chapelles princiÚres ; on songerait ainsi à celles qui sont présentes aux
Saintes Chapelles de Vincennes ou de Riom. Cette absence conduisit Viollet-le-Duc Ă restituer ces
oratoires privés au niveau supérieur de la chapelle, directement accessibles depuis le passage de la
tour carrée, sans que rien ne le prouve.
Quoi quâil en soit, lâescalier en vis venant du
logis dĂ©bouchait Ă lâangle sud-ouest de la
nef, et possédait aussi une sortie vers le
perron. Ce dernier avait été retrouvé par
Wyganowski, et fut entiĂšrement reconstruit ;
dĂšs cette Ă©poque, lâarc brisĂ© visible sur
lâaquarelle de Tavernier de JonquiĂšres, qui
semble avoir constituĂ© lâarriĂšre voussure du
porche, trÚs différente de la restitution par
Viollet-le-Duc, avait disparu
99
.
Symétriquement à la vis ducale existait une
autre vis permettant dâaccĂ©der aux Ă©tages
des bùtiments annexés au nord, ainsi
vraisemblablement quâĂ lâaccĂšs aux parties
hautes par le commun.
Au nord de la chapelle, les terrassements
de Wyganowski ont permis de reconnaĂźtre
les restes dâune salle carrĂ©e, accessible par
une porte latérale, interprétée par tous les
auteurs comme la sacristie. Enfin, une
troisiĂšme vis existait au sud, mais celle-ci
pour descendre au niveau inférieur, de
façon totalement indépendante de la vis
ducale, et de la vis du commun. Elle
conduit Ă une salle voĂ»tĂ©e dâogives Ă six
quartiers, pourvue de hautes fentes de jour, par lâintermĂ©diaire dâun couloir fermĂ© par deux portes
successives. Contrairement aux autres tours, cette salle est unique, et nâa pas eu la fonction de
prison, comme en tĂ©moigne lâabsence de latrines, et elle est totalement indĂ©pendante des caves ; on
reconnaĂźt encore dans son mur de fond la tracĂ© dâun plancher intermĂ©diaire â peut-ĂȘtre une tribune.
Selon toute vraisemblance, il sâagissait ici de la salle capitulaire
100
Au niveau du sommet de la voûte, la tour de la chapelle était couronnée par des mùchicoulis ; il est
probable que Viollet-le-Duc a interprété la gravure publiée par Carlier pour restituer un niveau
supĂ©rieur abritant la tribune de chĆur, et supportant un second niveau dĂ©fensif. Si celui-ci a existĂ©,
comme aux autres tours, il nâexiste aucune raison pour que son volume intĂ©rieur ait constituĂ© une
extension en hauteur de la chapelle ; de façon plus probable, il aurait dĂ» sâagir dâun espace noble,
accessible par le passage venant du logis, et communiquant avec le chemin de ronde-promenoir de la
courtine sud-est. Comme on le verra en Ă©tudiant la tour symĂ©trique du nord-ouest, il est probable quâil
ne formait pas une élévation identique à celle des autres tours.
Une composition dâune grande inventivitĂ©
En conclusion, lâensemble rĂ©sidentiel, agrĂ©mentĂ© de la chapelle, se rĂ©vĂšle marquĂ© par une conception
trĂšs inventive dâun architecte qui sut tout Ă la fois tenir compte dâun Ă©lĂ©ment prĂ©existant â la chemise
du chĂąteau anĂ©rieur, le transformer en un ensemble logis-tours-chapelle, enfin lâintĂ©grer dans un
concept dâenceinte de type philippien, tout en rĂ©servant une cour noble privative. Le pragmatisme de
cet architecte est remarquable, puisquâil nâhĂ©sita pas Ă dĂ©former les Ă©lĂ©ments constitutifs dâune telle
fortification philippienne pour y intĂ©grer lâensemble des fonctionnalitĂ©s prĂ©vues â ou commandĂ©es par
le duc.
On considĂšrera, de ce point de vue, la conception de la partie sud de lâensemble comme une
incontestable rĂ©ussite dans la mise en Ćuvre du programme mĂȘlant agrĂ©ment et ostentation avec
dĂ©fense : une façade de logis pourvue dâune coursiĂšre dâagrĂ©ment dont les mĂąchicoulis nâont quâun
rÎle factice ; une communication avec la chapelle privilégiée au niveau noble ; une autre circulation
dâagrĂ©ment sur la courtine sud-est, avec sans doute un cabinet privĂ© au-dessus des deux contreforts,
Fig.22 : Plans, élévations et coupes de la chapelle au
moment de sa restauration
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 25
dominant ce qui devait ĂȘtre un jardin. Lâostentation, ou en tout cas lâaffirmation symbolique de
prééminence, était affirmée par la tour carrée à contreforts, offrant également un étage aux vues
incomparables sur les environs. Enfin la dĂ©fense Ă©tait prĂ©sente, ne serait-ce que par lâexistence dâune
« porte des champs » théoriquement destinée au duc, pourvue de son pont-levis propre qui ne fut
sans doute jamais installĂ© ; et par la prĂ©sence Ă©galement dâune seconde porte, Ă herse celle-ci,
donnant de la cour noble vers la cour principale. Mais elle sâimposait surtout du fait des deux tours
majeures bĂąties sur le front dâattaque, formant un Ă©norme bouclier â qui succomba Ă la mine de Louis
XIII et de Richelieu en 1617.
Lâenceinte
Lâenceinte fut Ă©tablie suivant un tracĂ© neuf, sur les escarpements en contrebas de la plate-forme du
chùteau primitif ; il y avait donc une forte dénivelée, de plus de seize mÚtres, entre la base des tours
et des courtines ceinturant la cour, et la cour intĂ©rieure, de mĂȘme quâentre ces bases et celles des
deux tours majeures du front dâattaque. Lâarchitecte profita Ă©galement de cette circonstance pour
amĂ©nager entre la plate-forme originelle et lâenceinte neuve deux niveaux de caves voĂ»tĂ©es qui
constituent un élément spectaculaire, et trÚs mal connu, du chùteau (fig.23) ; il pouvait ainsi doter le
chĂąteau de volumes de stockage et dâannexes considĂ©rables, sans pour autant faire rĂ©aliser des
travaux de terrassement qui eussent Ă©tĂ© gigantesques sâil avait fallu creuser. Comme lâa fait par
ailleurs remarquer Jacques Harmand, ce dépassement des caractéristiques naturelles du site a
permis de bĂątir ici lâune des plus vastes enceintes rectangulaires du Moyen Ăge, mesurant environ
97 m par 100, largement au-delĂ des forteresses « philippiennes » dâorigine comme le Louvre,
Dourdan ou dâautres
101
.
Les courtines
Les courtines des faces nord-ouest, nord-est et sud-est présentaient une grande homogénéité.
ĂlevĂ©es sur un talus dâune dizaine de mĂštres de hauteur, elles prĂ©sentaient un premier niveau
dĂ©fensif Ă une hauteur de 22 m au-dessus du sol extĂ©rieur â câest-Ă -dire seulement un peu moins de
huit mĂštres au-dessus de la cour. Il sâagissait dâun chemin de ronde crĂ©nelĂ© sur mĂąchicoulis, prĂ©vu
pour ĂȘtre couvert par une toiture dont subsistaient les solins horizontaux avant la restauration. Cette
galerie traversait de part en part la tour nord-ouest ; en revanche, elle contournait les salles des tours
de la face nord-est par des couloirs interceptant les vis de ces tours. Elle sâinterrompait Ă son raccord
avec la tour sud-est (Judas MacchabĂ©e) de la chapelle, et se terminait de lâautre cĂŽtĂ© Ă la tour ouest
(Arthus), cette disposition confirmant la bipartition du chĂąteau (fig.24).
Fig.23 : Coupe du chĂąteau (Ă©lĂ©vations supĂ©rieures avant restauration) suivant un axe sud-est--nord-ouest. Ă
gauche la tour de la chapelle (tour Judas Macchabée), à droite la tour nord-ouest (tour Alexandre). En grisé,
la plate-forme originelle remblayée, dans laquelle est représentée la cave du « donjon », théoriquement non
visible sur lâaxe de coupe.
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 26
Un second niveau défensif était ménagé au sommet des
courtines, Ă une hauteur de 29 m au-dessus du sol
extérieur (15 m au-dessus de la cour) ; le chemin de
ronde, également crénelé, était élargi grùce à un
encorbellement. Il communiquait en continuité avec les
galeries de mĂąchicoulis des tours.
Sur le reste du pourtour, il ne semble pas quâait existĂ© ce
principe du double couronnement. La courtine nord-
nourd-ouest, entre la tour Arthus et la tour CĂ©sar, ne
possĂ©dait pas â ou plus â de mĂąchicoulis en 1611,
lorsquâelle fut reprĂ©sentĂ©e par Duviert â on y reviendra
plus loin. La petite courtine entre les tours CĂ©sar et
Charlemagne avait un chemin de ronde crĂ©nelĂ© unique Ă
mĂąchicoulis, Ă©tabli Ă 25 mĂštres au-dessus de la cour ;
quant Ă la courtine reliant la tour sud (Charlemagne) Ă la
tour de la Chapelle, il est probable quâelle ne comportait
quâun niveau Ă mĂąchicoulis, afin de laisser les vues aux
fenĂȘtres sud du logis.
On notera que les courtines ne comportent absolument
aucun orifice de tir, si ce nâest ceux des chemins de ronde â encore nâa-t-on aucune certitude sur le
fait que les merlons aient été dotés de telles ouvertures, la restauration de Viollet-le-Duc étant
totalement imaginaire.
Les tours flanquantes
Si lâon met Ă part les deux tours majeures du front sud, et la tour de la chapelle, dĂ©jĂ dĂ©crites,
lâenceinte Ă©tait flanquĂ©e par cinq autres tours de plan circulaire aux angles, en U au milieu des faces.
Les diamÚtres des cylindres ou demi-cylindres, tous différents, varient entre 9,6 m pour la tour ouest
(Arthus) et 12 m pour la tour nord-est (Josué) ; la tour de la Chapelle avait un diamÚtre légÚrement
supérieur, de 12,3 m
102
. Jacques Harmand mettait cette variation sur le compte dâune rarĂ©faction des
moyens financiers, le chantier se dĂ©roulant dans le sens inverse des aiguilles dâune montre ; il en
voulait pour preuve lâinachĂšvement de la tour ouest qui eĂ»t Ă©tĂ© la derniĂšre construite, et la plus mince,
dont on a vu quâelle est reprĂ©sentĂ©e sans couronnement Ă mĂąchicoulis par Duviert
103
; une telle
hypothÚse est pour le moins hasardeuse, rien ne prouvant une telle raréfaction des moyens.
Il faut, en fait, analyser les fonctionnalités des tours pour comprendre
cette variation. On peut citer dâabord la tour nord-est (JosuĂ©), la plus
importante en taille des cinq tours flanquantes autres que la chapelle
et les deux tours majeures, qui se trouvait abriter les latrines de la
garnison, et fut peut-ĂȘtre dimensionnĂ©e Ă la mesure de ce rĂŽle (fig.25).
Cette tour a été décrite par Viollet-le-Duc dans son
Dictionnaire
104
.
Elle comportait Ă la base une fosse voĂ»tĂ©e en coupole, dotĂ©e dâun
pilier dont Viollet-le-Duc pensait quâil Ă©tait destinĂ© Ă la sĂ©paration des
matiĂšres ; cette fosse Ă©tait accessible depuis lâextĂ©rieur par une porte
de vidange en tiers-point située au nord, conservée lors de la
restauration, dont les dimensions Ă©tonnent en une zone aussi
accessible, dâautant quâil existait une autre porte Ă ce niveau dans le
mur de fond, donnant dans la cave supérieure nord-est ; elle est
représentée par le plan de Wyganowski de 1859, ainsi que par le
dessin lithographié de Auguste-Victor Deroy
105
.
Au-dessus se trouvaient quatre niveaux pourvus de siÚges, éclairés
par des fenĂȘtres rectangulaires ou de simples soupiraux ; le premier
Ă©tage â au niveau de la cour intĂ©rieure, Ă©tait accessible directement
par une porte et un couloir dans lâĂ©paisseur du mur nord, alors que les
niveaux supérieurs étaient desservis par une vis située dans la
courtine formant le fond de la tour
106
.
Les quatre autres tours possédaient toutes à leurs bases deux
Fig.24 : Plan schématique du premier
niveau défensif des courtines
Fig.25 : Plans et perspective
de la tour nord-est des
latrines, par Viollet-le-Duc
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 27
niveaux de cachots pourvus de latrines Ă fosse, voĂ»tĂ©s lâun en coupole et lâautre sur ogives, mĂ©nagĂ©s
dans la base sous le niveau de la cour (Fig.26) ; les niveaux inférieurs ne possédaient aucun
Ă©clairage et nâĂ©taient accessibles que par des orifices percĂ©s dans la voĂ»te â ce qui leur vaut leur nom
dâoubliettes, alors que les niveaux supĂ©rieurs Ă©taient accessibles depuis les vis accolĂ©es aux tours et
éclairés par des fentes de jour haut placées.
En revanche, les dispositions des Ă©tages supĂ©rieurs diffĂ©raient dâune tour Ă lâautre. Ă la tour est, les
niveaux de cachots Ă©taient surmontĂ©s par quatre Ă©tages planchĂ©iĂ©s, Ă©clairĂ©s par de simples fenĂȘtres
rectangulaires, formant des chambres équipées de latrines et de cheminées. La tour nord possédait
un niveau supplémentaire intercalé entre les cachots et les quatre étages supérieurs ; ce niveau était
voûté sur ogives, et pourvu de trois archÚres plongeantes. Dans ces deux tours, la chambre du
premier Ă©tage sur cour (niveau 4 Ă lâest, niveau 5 au nord) Ă©tait contournĂ©e par le couloir du premier
niveau défensif des courtines ; celle du second étage sur cour, en retrait, était ceinturée par le chemin
de ronde couvert à mùchicoulis des tours, en communication avec le niveau défensif supérieur des
courtines. Enfin, le troisiĂšme Ă©tage sur cour sâouvrait par des crĂ©neaux vers lâextĂ©rieur ; il Ă©tait couvert
dâun comble ceinturĂ© par un parapet crĂ©nelĂ© Ă vocation dĂ©corative cachant la base des toitures.
à nouveau, la tour nord-ouest (Alexandre) présentait une partition verticale différente, mais proche de
celle de la tour nord. Si lâon y retrouve les deux niveaux de cachots, ici lâescalier en vis descend
jusquâau niveau infĂ©rieur de la cave quâil dessert â il sâagit de la seule permĂ©abilitĂ© entre les caves
infĂ©rieures et lâensemble des tours. Comme Ă la tour nord, un niveau voĂ»tĂ© pourvu dâarchĂšres est
ménagé au-dessus des deux cachots (fig.23, 26). Il est vraisemblable que les niveaux supérieurs
devaient reprendre une distribution analogue Ă celle des deux autres tours ; cependant, contrairement
aux tours prĂ©cĂ©dentes, celle-ci se terminait par une terrasse crĂ©nelĂ©e, ceinturĂ©e dâun parapet sur
mùchicoulis de niveau avec le niveau supérieur de défense des courtines (fig.11). La restauration par
Viollet-le-Duc dâune tourelle Ă trois niveaux au-dessus est une pure invention rĂ©sultant dâune mauvaise
interprĂ©tation de la gravure de Carlier, comme on lâa vu plus haut. Cette disposition Ă©tait-elle dâorigine,
ou rĂ©sulta-t-elle dâune suppression postĂ©rieure ? Je pense que, comme Ă la tour symĂ©trique de la
chapelle, lâon se passa ici dâune Ă©lĂ©vation supplĂ©mentaire, non justifiĂ©e par la fonction propre de cette
tour qui nâĂ©tait pas une tour dâangle.
Ainsi les diverses tours, outre leurs différences dimensionnelles, possédaient-elles des dispositions
intérieures trÚs variables ; si les trois tours du front nord-ouest étaient pourvues au-dessus des
Fig.26 : Coupes de principe des trois tours est, nord et nord-ouest avant restauration
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 28
cachots dâune chambre de dĂ©fense Ă archĂšres, les autres en Ă©taient dĂ©pourvues â pour des raisons
fonctionnelles Ă la tour de la chapelle et Ă la tour des latrines, mais sans quâon sâen explique la raison
Ă la tour est (Hector). Il est frappant, par ailleurs, de constater la variation dans les hauteurs des
Ă©tages, et dans leur nivellement, les tours du front nord-ouest Ă©tant dotĂ©es dâun Ă©tage supplĂ©mentaire,
sans pour autant ĂȘtre plus Ă©levĂ©es ; lâunification sâeffectuait seulement Ă partir du premier Ă©tage sur
cour, du fait de lâexistence Ă ce niveau du chemin de ronde continu des courtines.
On peut se demander, dÚs lors, si un degré de liberté assez important ne fut pas donné aux
constructeurs : le texte déjà cité de 1399 prouve que les chantiers des tours furent menés en parallÚle,
peut-ĂȘtre par des marchĂ©s sĂ©parĂ©s â ainsi deux tours rondes Ă©taient-elles respectivement construites
par les maĂźtres Girard lâAllemand et Thomas Aquillart. Tout se passe comme sâils avaient eu pour
consigne générale de respecter le nivellement des étages supérieurs, afin de garantir la continuité des
circulations, et comme sâils avaient Ă©tĂ© libres de disposer les Ă©tages infĂ©rieurs Ă leur guise.
La question de la tour ouest (Arthus) et de la courtine de lâentrĂ©e principale
La derniĂšre tour, celle de lâouest (Arthus), la plus grĂȘle, avait perdu toute son Ă©lĂ©vation, Ă lâexception
de la base contenant deux cachots superposés, dÚs la destruction du chùteau en 1617 ; le cachot
infĂ©rieur prĂ©sente la particularitĂ© dâavoir en son centre un puits cylindrique qui nâĂ©tait pas fonctionnel,
et qui rĂ©sulta sans doute du non remplissage du cylindre de maçonnerie. On sait par Duviert quâelle
présentait, par rapport à toutes les autres, la particularité de ne posséder aucun couronnement de
mĂąchicoulis, ce qui est confirmĂ© par la gravure de Carlier (fig.11 et 12). Sa hauteur nâen Ă©tait pas
moins importante, puisquâelle semble avoir Ă©tĂ© aussi haute que la partie supĂ©rieure des deux autres
tours dâangle. Duviert reprĂ©sente de façon trĂšs nette une archĂšre Ă un niveau Ă©quivalent au niveau Ă
archĂšres de la tour Alexandre, une autre archĂšre .
De mĂȘme que la tour ouest (Arthus), la courtine de lâentrĂ©e principale qui reliait cette tour Ă la grosse
tour sud-ouest (César), présentait la particularité de ne posséder aucun couronnement de
mĂąchicoulis, comme on lâa dĂ©jĂ remarquĂ©. Duviert semble avoir eu quelque peine Ă rĂ©aliser
exactement les dispositions de cette courtine, puisquâil y reprĂ©sente en son centre une sorte de
renflement dans lequel aurait Ă©tĂ© percĂ© une porte pourvue dâun pont-levis Ă double flĂšche ;
immédiatement à sa droite, il figurait une porte de plus grandes dimensions, elle aussi surmontée de
deux flÚches, mais bouchée et manifestement désaffectée. Les plans antérieurs à la restauration,
suivis lors de cette derniĂšre, montrent que lâouvrage accueillant les portes Ă©tait Ă©tabli en trĂšs lĂ©gĂšre
Fig.27 : Vue du chùteau de Pierrefonds par Duviert, en 1611. Sont surlignés en rouge les encadrements de
hauts-reliefs figurés par le dessinateur.
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 29
saillie par rapport Ă la courtine ; il est probable que lâombre provoquĂ©e par cette saillie lĂ©gĂšre a
entraĂźnĂ© une premiĂšre erreur dâapprĂ©ciation de Duviert.
Par ailleurs, les dĂ©gagements entrepris avant la restauration ont prouvĂ©, sans que lâon puisse en
aucun cas le contester, que la porte Ă©tait constituĂ©e par la juxtaposition dâune poterne piĂ©tonne avec
pont-levis Ă une flĂšche, et dâune porte charretiĂšre avec pont-levis Ă deux flĂšches, selon un modĂšle
diffusé à grande échelle au moins depuis les chantiers royaux de Charles V ; le couloir piéton
rejoignait le couloir charretier aprÚs un coude, ce dernier étant intercepté par une herse (fig.13). Cette
porterie, collĂ©e Ă la tour CĂ©sar, nâeĂ»t pas laissĂ© place Ă un autre dispositif ; on peut donc penser que
la porte charretiÚre avait été bouchée dÚs les siÚges de 1591, seule la porte piétonne étant encore en
usage du temps de Duviert. Peut-ĂȘtre celui-ci commit-il une erreur en la reprĂ©sentant avec un pont-
levis Ă deux flĂšches â peut-ĂȘtre Ă©galement avait-elle Ă©tĂ© transformĂ©e en mĂȘme temps que lâon
bouchait la porte charretiĂšre.
Pour autant, demeure posée la question de la raison pour laquelle tant la tour ouest que la courtine de
lâentrĂ©e principale â la courtine qui eĂ»t mĂ©ritĂ© le plus grand soin, Ă©taient dĂ©pourvues de lâappareil
défensif présent dans le reste du chùteau. Jacques Harmand, qui a consacré un long développement
Ă lâanalyse de ce secteur, estimait quâil fut hĂątivement achevĂ© Ă lâĂ©conomie dans les derniĂšres annĂ©es
du rĂšgne de Louis dâOrlĂ©ans, voire peut-ĂȘtre mĂȘme reconstruit par la suite en raison du caractĂšre trop
faible de la maçonnerie initiale
107
.
Lâexamen attentif de la gravure de Duviert
permet de voir les choses tout Ă fait
autrement. En effet, le dessinateur fait
apparaĂźtre des dĂ©tails jusquâĂ prĂ©sent non
vus, à savoir la présence de hauts-reliefs
tant au sommet de la tour ouest quâĂ celui de
la courtine qui la reliait Ă la porterie (fig.27).
Le haut-relief de la tour Arthus se situait bien
plus haut que celui des autres tours de
lâenceinte (on peut voir nettement celui de la
tour nord-ouest ou Alexandre) ; de mĂȘme, le
haut-relief de la courtine voisine se situait
assez haut, plus haut en tout cas que ceux
des tours de lâenceinte orientale, Ă peu prĂšs
de niveau avec le haut-relief de
lâAnnonciation se trouvant entre les deux
tours majeures du sud. Il apparaĂźt donc clair
que la tour ouest (Arthus) était prévue avec
une hauteur Ă©quivalente, si ce nâest Ă©gale, Ă
celle des deux tours majeures du sud ; que, de la mĂȘme façon la courtine nord--nord-ouest devait ĂȘtre
plus élevée, approchant la hauteur de la courtine située entre les deux tours majeures.
La tour Arthus et le courtine la reliant au « donjon » étaient donc prévues pour constituer un véritable
bouclier pour les pignons du logis situĂ© au revers ; il leur manquait en 1611 le couronnement quâelles
eussent dĂ» possĂ©der pour ĂȘtre complĂštes (fig.28). Aussi nâest-ce- pas dâun achĂšvement Ă lâĂ©conomie
quâil faut parler, mais plutĂŽt dâun inachĂšvement. Encore celui-ci nâest-il pas avĂ©rĂ© ; en effet, on sait que
lâincendie de 1413 ruina tous les combles et les couronnements des tours, rien nâinterdisant de penser
que ce secteur souffrit particuliĂšrement, et quâil fut dĂ©finitivement dĂ©couronnĂ© en 1415.
108
.
Les principes gĂ©nĂ©raux de lâĂ©tagement de la dĂ©fense et de la double circulation
Quoi quâil en soit, il faut exclure ce secteur particulier par ses Ă©lĂ©vations pour revenir sur les principes
gĂ©nĂ©raux dĂ©veloppĂ©s dans la conception de cette enceinte. On a vu comment le parti gĂ©nĂ©ral dâune
enceinte philippienne fut adaptĂ© et mĂȘme profondĂ©ment modifiĂ© pour intĂ©grer le programme du
« donjon ». Celui-ci entraĂźna bien sĂ»r la dĂ©formation de ce qui aurait dĂ» ĂȘtre un rectangle rĂ©gulier en
un polygone irrégulier ; il eut également une conséquence pour la conception des deux entrées, non
placĂ©es entre deux tours, comme frĂ©quemment, mais placĂ©es chacune sous lâĂ©troite protection dâune
des deux tours majeures. Sans doute la présence du « donjon », et sa puissance, permirent-ils enfin
de concevoir une tour dâangle ouest comme un simple flanquement dĂ©fensif, dont le diamĂštre de
Fig. 28 : Restitution du chĂąteau, vu depuis le nord-ouest,
tel quâil aurait pu ĂȘtre en Ă©tat dâachĂšvement
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 30
9,6 m nâĂ©tait pas pour autant ridicule par rapport Ă la tour de flanquement philippienne classique de 6
Ă 7 m de diamĂštre.
Lâappareil dĂ©fensif se concentrait dans les hauts de la forteresse â mĂȘme si lâon ne peut douter que
les nombreuses fenĂȘtres eussent pu servir dâorifices de tir en cas de besoin ; cependant, on ne doit
pas passer pour nĂ©gligeable lâintention manifestĂ©e par les constructeurs de disposer, dans les deux
tours nod et nord-ouest, une salle Ă archĂšres â mais fut-elle rĂ©ellement un Ă©lĂ©ment voulu du
programme ? Lâaffectation des sous-sols Ă deux niveaux de cachots nâa Ă©videmment rien Ă voir avec
la défense ; le chùteau se trouvait doté ainsi de huit cachots, dont quatre ne laissaient guÚre de
chances de survie. Il nâest pas sĂ»r quâil ne faille pas voir dans ce nombre important une simple
conséquence de la disposition topographique trÚs particuliÚre du chùteau, avec la dénivellation entre
cour intérieure et extérieur, qui rendait de toute façon les espaces inférieurs peu utilisables pour
dâautres causes que celles de cachots. En tout cas, cette fonction fut utilisĂ©e jusquâĂ une Ă©poque
tardive
109
.
La conception de ces niveaux hauts est particuliĂšrement intĂ©ressante, dâautant quâelle est souvent
considĂ©rĂ©e â sans doute Ă tort - comme le modĂšle dâune nouvelle gĂ©nĂ©ration de couronnements de
chĂąteaux. Le caractĂšre sans doute le plus Ă©vident est celui du double niveau de couronnement des
tours, constituĂ© dâune couronne de mĂąchicoulis, surmontĂ©e en retrait par un niveau crĂ©nelĂ© couvert
dâun comble ; seule la tour nord-ouest (Alexandre) et peut-ĂȘtre celle de la chapelle en furent exclues. Il
sâagit dâune: disposition que lâon retrouve tout au long du XV
e
siĂšcle de façon si frĂ©quente quâil est
inutile dâen citer tous les exemples â mais lâon songerait ainsi Ă Langeais ou au Plessis-BourrĂ© sâil
fallait en désigner deux parmi les plus connus.
Fig.29 : Elévations externe et interne de la face nord-ouest avant restauration, restituées d'aprÚs gravures et
photographies anciennes
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 31
Ce type de couronnement Ă double niveau des tours fit son apparition dans les chantiers royaux de
Charles V, au Louvre comme à la Tour du Bois de Vincennes, dans les années 1370. Dans le premier
cas, lâarchitecte mĂ©nagea un premier niveau de couronnement avec chemin de ronde crĂ©nelĂ© sur
mĂąchicoulis, et, ren retrait, Ă©leva une tourelle Ă deux Ă©tages couverte dâun comble, percĂ©e de
fenĂȘtres, dont la vocation Ă©tait manifestement rĂ©sidentielle plus que dĂ©fensive. Ă Vincennes, ce
principe fut appliqué dans une forme plus « militaire », puisque la partie supérieure couverte en
terrasse Ă©tait elle-mĂȘme crĂ©nelĂ©e, et sans doute affectĂ©e Ă la dĂ©fense (fig.30)
110
.
La tendance affirmĂ©e au Louvre fut exacerbĂ©e Ă lâenvi par Jean de Berri Ă Mehun-sur-YĂšvre, aprĂšs
1380 ; ici, les tourelles élevées au-dessus de la couronne de mùchicoulis furent finement ornées de
rĂ©seaux gothiques dessinant fenĂȘtres et gĂąbles, vĂ©ritables Ćuvres dâorfĂšvrerie ciselĂ©es dans la pierre,
contrastant avec le parapet crénelé qui entoure leur base. Plus sagement, le chùteau neuf de Poitiers,
transformĂ© par le mĂȘme duc aprĂšs 1382, utilisa une formule analogue Ă celle du Louvre
111
.
Les tours de Pierrefonds ne firent que reprendre cette mode, ajoutant seulement la couverture
systématique du chemin de ronde inférieur par une toiture en appentis, et entourant la toiture du
comble dâun parapet crĂ©nelĂ©. Cette ultime mise en forme du concept dĂ©veloppĂ© au Louvre fit florĂšs
par la suite, la couverture du chemin de ronde apportant Ă©videmment une protection des hommes
comme des maçonneries.
Il paraĂźt presquâĂ©vident, si lâon excepte le cas particulier de Vincennes, que cette mode fut plus
dĂ©corative que vĂ©ritablement dĂ©fensive : la tourelle en retrait, couverte dâun toit, nâoffrait aucune
capacitĂ© dĂ©fensive supplĂ©mentaire, et le percement par de vĂ©ritables fenĂȘtres, au Louvre comme Ă
Poitiers, témoigne de la vocation résidentielle des chambres hautes ainsi constituées ; ce fut le cas
Ă©galement Ă Pierrefonds, et lâon a vu que la chambre supĂ©rieure de la tour carrĂ©e du « donjon » avait
certainement une vocation dâ « Ă©tude ».
La dĂ©clinaison du mĂȘme concept pour les chemins de ronde des courtines Ă Pierrefonds est, en
revanche, quasiment un cas unique, qui ne peut sâexpliquer que par la fusion de deux courants
architecturaux contradictoires. Le premier courant résulte du vieux principe «
militaire
» de
commandement des tours sur les courtines : ainsi le chemin de ronde Ă mĂąchicoulis des courtines est
situé plus bas que celui des tours. On trouve ce principe appliqué dans les couronnements des
chùteaux rénovés par Charles V, comme le Louvre, voire aussi des chùteaux neufs comme
Vincennes ; on le trouve Ă©galement aux chĂąteaux de Poitiers et de Mehun-sur-YĂšvre de Jean de Berri,
au chĂąteau de Saumur de Louis I
er
dâAnjou.
Le second courant, nettement plus novateur, fut introduit Ă©galement sous le rĂšgne de Charles V, au
chùteau-citadelle de La Bastille, voire, une décennie auparavant, à la porte de la citadelle de
Fig.30: Les couronnements des tours du Louvre, de Mehun, de Poitiers d'aprĂšs les
TrĂšs riches Heures du duc
de Berri
, et le couronnement de la tour Godefroy de Bouillon dâaprĂšs Duviert
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 32
Villeneuve-lez-Avignon
112
: il dĂ©coulait dâun nouveau principe abandonnant le commandement des
tours sur les courtines au profit dâune continuitĂ© horizontale des circulations dĂ©fensives sommitales. Il
fut repris au chùteau de Nonette du duc de Berri dans les années 1370-74
113
, mĂȘme si dans ce cas la
tour maßtresse conserva une prééminence (fig.31) ; il fut appliqué également, dans les années 1410,
au chĂąteau des ducs dâAnjou Ă Tarascon
114
. Ce fut, on le sait, le parti retenu par lâarchitecte de Louis
dâOrlĂ©ans qui conçut le chĂąteau de La FertĂ©-Milon.
Lâarchitecte de Pierrefonds tenta de concilier ces deux
principes apparemment inconciliables : ainsi fut ménagée
une continuité horizontale de la circulation au niveau du
premier chemin de ronde en traversant ou en contournant
les tours ; par surcroĂźt, lâarchitecte surĂ©lĂ©va les courtines
pour offrir un second niveau de circulation en continuité
avec les mùchicoulis des tours. Ainsi, en définitive,
lâapparente contradiction fut transformĂ©e en une
opportunitĂ© conservant lâavantage du commandement des
tours sur les courtines et introduisant deux niveaux de
circulation dĂ©fensifs continus au lieu dâun.
On notera enfin que le « donjon » se trouvait exclu de ce
principe de double circulation, tout simplement du fait de
lâĂ©norme commandement quâil avait sur le reste de lâenceinte et de lâimpossibilitĂ© dâassurer une
continuitĂ© quelconque ; ici, lâarchitecte se contenta de disposer un seul chemin de ronde au sommet
de la courtine joignant les tours César et Charlemagne, en continuité avec les mùchicoulis des tours,
celles-ci possĂ©dant, comme les autres, une tourelle en retrait. Câest exactement le schĂ©ma qui servit
de modÚle pour un nombre considérable de chùteaux du XV
e
siĂšcle
115
.
Fig.31 : Le chĂąteau de Nonette dans
l'
Armorial de Revel
Fig.32 : Vue des ruines du chĂąteau par F.Thorigny lors de la visite par lâEmpereur et lâImpĂ©ratrice le 7
novembre 1862. Le « donjon » nâest quâĂ moitiĂ© restaurĂ©, la tour Hector est terminĂ©e. Noter sur la gauche la
courtine nord-est, avec les passerelles enjambant les caves ; noter Ă©galement les harpages des pierres
dâattente. Dans le fond, restes de la courtine sud-est et de la chapelle. Ă droite, restes de la porte dâentrĂ©e
(cl.MédiathÚque du Patrimoine, n°79N00056).
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 33
Les bĂątiments intĂ©rieurs Ă lâenceinte
La conception mĂȘme de lâenceinte au-delĂ de lâemprise du chĂąteau primitif avait conduit lâarchitecte Ă
prĂ©voir lâamĂ©nagement de caves sur deux niveaux, le long des trois faces disponibles â la face nord-
ouest, la face nord-est et la face sud-est, jusquâĂ la chapelle. Tout naturellement, des bĂątiments
étaient prévus au-dessus de ces caves, occupant la totalité du périmÚtre disponible. Ceux-ci furent-ils
jamais élevés ? Cette question a souvent été posée, et Jacques Harmand le premier a posé
lâhypothĂšse que, peut-ĂȘtre, ils nâauraient pas Ă©tĂ© achevĂ©s, se basant sur lâabsence de toitures visibles
dans la gravure de Duviert
116
. Mais lâauteur nâa pas Ă©tĂ© jusquâau bout de la dĂ©monstration, pris quâil
Ă©tait dans une restitution intellectuelle Ă©tonnante de ces bĂątiments et de leurs fonctions.
Il faut remarquer, en premier lieu, que pas une des représentations anciennes du chùteau ne donne
une figuration de ces bĂątiments ou de leurs ruines avant la restauration, au point que Jacques
Harmand parlait « dâĂ©vanouissement des façades et des murs de refend ». Plusieurs tĂ©moignages
antĂ©rieurs Ă la restauration prouvent, de plus, que ces refends restĂšrent Ă lâĂ©tat de harpages dâattente,
indiquant quâils ne furent jamais construits : ainsi les dessins de Jean-Antoine-François LĂ©rĂ©
conservés à la BibliothÚqe municipale de CompiÚgne, dont un a été recopié et reproduit par Jacques
Harmand
117
. Ce dessin montre la face intĂ©rieure nord-ouest ; il a servi de base pour dresser lâĂ©lĂ©vation
donnĂ©e en fig.29, et fait apparaĂźtre nettement, au nord de cette façade et Ă proximitĂ© de la tour dâangle
nord, les lignes horizontales des pierres dâattente du mur de refend nord identifiable dans les caves.
De façon plus parlante, la
gravure de FĂ©lix Thorigny
représentant une visite de
lâEmpereur et lâIm-
pératrice en novembre
1862 montre la façade
intérieure nord-est avant
restauration (fig.32). Le
dessinateur représente
ici, sans aucun doute
possible, les pierres
dâattente des murs de
refend non rĂ©alisĂ©s â tels
quâils ont subsistĂ© jusquâĂ
nos jours au chĂąteau de
La Ferté-Milon. On note
Ă©galement, sur cette
gravure, la représentation
de deux assises de pierre
comme seule élévation
de la façade intérieure
nord-ouest. Ceci est
encore confirmé par une
photographie de Charles
Marville immédiatement
postérieure à la
restauration de la tour est
(Hector)
118
; elle montre
clairement lâintĂ©rieur de la
courtine nord-est au
voisinage de la tour, avec
les pierres dâattente du
mur dâattente situĂ©e Ă la
verticale du refend sud-
est des caves.
Il ne fait donc aucun doute
que les bĂątiments ne furent jamais Ă©levĂ©s au-dessus des deux niveaux de caves, si ce nâest pour leurs
Figure 33 : Elévations externe et interne de la face nord-est avant
restauration, restituées d'aprÚs gravures et photographies anciennes
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 34
façades externes. Mais il nâest pas mĂȘme sĂ»r que les caves aient jamais Ă©tĂ© achevĂ©es, elles non plus,
en tout cas sur lâaile nord-est. Les dessins anciens antĂ©rieurs Ă la restauration, tout particuliĂšrement
ceux de Tavernier de JonquiĂšres Ă la fin du XVIII
e
siÚcle, montrent clairement que le niveau supérieur
de ces caves était alors totalement dégagé, le niveau inférieur étant partiellement comblé ; de plus,
seuls les arcs pratiqués dans les murs de refend demeuraient alors en élévation, aucun indice
nâexistant relatifs Ă la ruine des voĂ»tes couvrant ce niveau. On sait par Caillette de lâHervilliers que le
niveau inférieur des caves de cette aile fut dégagé par les architectes du palais de CompiÚgne
Questel et Leblanc de 1848 Ă 1853
119
; le dessin lithographié de Auguste-Victor Deroy déjà cité,
postérieur à ce dégagement du niveau inférieur, montre quant à lui des arrrachements correspondant
Ă lâancienne voĂ»te en berceau brisĂ© de ce niveau (fig.33).
CÎté nord-ouest en revanche, les dessins lithographiés des
Voyages pittoresques et romantiques
font
apparaßtre un sol de niveau entre la cour et le dessus des caves ; soit celles-ci avaient été totalement
comblĂ©es, soit elles avaient conservĂ© leurs voĂ»tements. Questel et Leblanc ne procĂ©dĂšrent ici quâau
dĂ©gagement de quelques salles, selon Caillette de lâHervilliers ; Wyganowski fit le reste lors de la
restauration, sans malheureusement signaler lâĂ©tat des voĂ»tements. La reconstruction des voĂ»tes du
niveau supĂ©rieur des caves par Viollet-le-Duc sur un profil diffĂ©rent du profil originel nâaide
malheureusement pas Ă comprendre si celles-ci existaient prĂ©alablement, sâils les a reconstruites en
les modifiant, ou au contraire sâil les a restituĂ©es en se plaçant dĂ©libĂ©rĂ©ment au-dessus du profil
originel. On va avoir lâoccasion dây revenir de façon plus dĂ©taillĂ©e.
Les caves supérieures
Il existe donc deux Ă©tages de caves, le premier situĂ© approximativement Ă la base de lâescarpement
primitif du chùteau, le second à mi-hauteur entre ce niveau et celui de la cour ; les contours extérieurs
des salles sont Ă peu prĂšs identiques dâun Ă©tage Ă lâautre, si lâon excepte cependant le secteur de
jonction entre les ailes nord-ouest et nord-est, mal connu et difficilement restituable en raison des
restaurations de Viollet-le-Duc.
Les caves se répartissaient en trois ailes (fig.34) ; la plus importante au niveau de ses dimensions
Ă©tait lâaile nord-ouest, dâune longueur totale dâune soixantaine de mĂštres. Les salles de lâaile nord-est
avaient une quarantaine de mĂštre de longueur ; enfin, les salles de lâaile sud-ouest avaient Ă peut prĂšs
la mĂȘme longueur.
On ne connaĂźt pas le dispositif par lequel on descendait du niveau de la cour Ă lâĂ©tage supĂ©rieur des
caves. La superbe aquarelle de Viollet-le-Duc intitulée « Pierrefonds, chùteau, vue cavaliÚre du
chùteau en partie restauré » montre que ce secteur était décaissé en 1858 ; un escalier moderne
longeant le mur intérieur descendait depuis le niveau de la cour dans cette « fosse » dont le fond se
situait vraisemblablement au-dessus du niveau des caves inférieures
120
. Il est possible que la zone ait
Ă©tĂ© dĂ©gagĂ©e par Questel et Leblanc, mais, plus probablement, elle nâavait jamais Ă©tĂ© voĂ»tĂ©e, de
Fig.34 : Plans des deux niveaux de caves, restitués avant restauration
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 35
mĂȘme que lâensemble de la cave supĂ©rieure de lâaile nord-ouest. Il nâest donc pas impossible que, Ă
partir de la fin du chantier, en 1407, on ait accédé de plain-pied, depuis la « fosse », dans ces caves
supérieures.
Les plans de Viollet-le-Duc varient, entre sa premiĂšre notice de 1857, Ă celle de 1865 contemporaine
de la restauration finale
; lâarchitecte envisageait la descente dâun escalier depuis lâespace
rectangulaire situĂ© derriĂšre la tour nord â dans ses premiers plans lâescalier se situait en prolongement
de la travĂ©e orientale des caves, et, par la suite, il le plaça plutĂŽt au-dessus de lâescalier reliant lâĂ©tage
supĂ©rieur Ă lâĂ©tage infĂ©rieur
121
. La restauration finale a tout oblitĂ©rĂ©, avec la crĂ©ation dâun monumental
escalier Ă deux rampes occupant tout lâespace, dont le caractĂšre majestueux est totalement dĂ©placĂ©
en ce lieu.
Le niveau supĂ©rieur de lâaile nord-ouest Ă©tait constituĂ© par trois salles successives, larges de 9,7 m,
longues respectivement de 7,8 m, 12,7 m et 34 m, sĂ©parĂ©es par dâĂ©pais murs de refend percĂ©s de
portes ; toutes trois étaient voûtées sur ogives à pénétrations retombant sur des piliers centraux à la
base polygonale et aux fĂ»ts cylindriques (fig.29, fig.35). Lâensemble de ces voĂ»tes a Ă©tĂ© reconstruit
par Viollet-le-Duc en Ă©vitant, sans doute volontairement, les profils primitifs ; on lit encore dans les
maçonneries des murs les arrachements des voĂ»tains primitifs, plus bas dâun mĂštre environ que les
voĂ»tains modernes. Pour autant, Viollet-le-Duc remonta ces voĂ»tes sur les voussoirs dâangles encore
visibles, en ayant soin de laisser apparentes les diffĂ©rences de profils. Lâarchitecte restaurateur
suréleva-t-il volontairement les voûtes pour laisser subsister les vestiges antérieurs, ou le fit-il pour
respecter son projet de salles supérieures ? La question demeure posée ; accessoirement demeure
posĂ©e la question de lâĂ©tat de conservation des voĂ»tes Ă lâĂ©poque de la restauration
122
. Ces salles
étaient éclairées et aérées par dix soupiraux étaient ménagés cÎté cour.
Les caves de lâaile nord-est sont, elles articulĂ©es par dâĂ©pais murs
de refend en cinq compartiments bien plus Ă©troits que ceux de lâaile
nord-ouest (de 3,3 m Ă 4,5 m) ; ils nâont jamais Ă©tĂ© voĂ»tĂ©s, si lâon
excepte les passages ménagés au travers des murs de refend.
Viollet-le-Duc a restituĂ© ici des voĂ»tes dâogives dans les deux
premiers compartiments, et des voûtes en berceau dans les
compartiments suivants, ce qui semble parfaitement adapté (fig.33).
Dans la paroi sud du quatriÚme compartiment compté depuis le
nord, un couloir voûté mÚne à la colonne verticale, parfaitement
appareillĂ©e, dâun puits ; une margelle permettait dây puiser lâeau,
mais la colonne se prolongeait vers le haut jusquâau niveau de la
cour
123
. LâĂ©clairage et la ventilation Ă©taient parcimonieusement
apportĂ©s par un soupirail central cĂŽtĂ© cour, dont lâĂ©brasement donne
la largeur du bùtiment prévu au niveau de la cour.
Les parois du cinquiÚme compatiment ont été totalement reprises
par le restaurateur, qui a inclus cÎté sud un escalier en vis inventé
desservant lâensemble des niveaux ; ces dispositions, en particulier
lâescalier, sont absentes des plans originels (fig.34).
On accĂšde de lĂ aux caves sud-est, dont la structuration est encore
différente, mais doit beaucoup à la restauration. Les plans anciens
semblent mettre en évidence une premiÚre travée longue de 25 m
environ, large de 4,3 m, voûtée en berceau et interrompue par un
épais mur de refend ; lui succÚdait une petite travée voûtée
dâogives, un nouveau mur de refend, enfin une derniĂšre travĂ©e de 7,5 m de longueur voĂ»tĂ©e de la
mĂȘme façon. Ces refends servaient de fondation aux murs de bĂątiments dont les ruines Ă©taient
conservées en élévation, le premier pour la sacristie, le second pour le mur latéral de la chapelle elle-
mĂȘme. La reconstruction des bĂątiments supĂ©rieurs, et celle de la citerne au niveau infĂ©rieur, ont
apparemment conduit Viollet-le-Duc à rétrécir à 2,8 m la premiÚre section de ce couloir, dÚs lors
voĂ»tĂ©e en demi-berceau, mais il nâest pas sĂ»r que ceci corresponde Ă la disposition originelle
124
.
On note, dans les deux derniers compartiments de cette aile, des encastrements de poutres qui
montrent quâil exista ici un plancher intermĂ©diaire ; ceci prouve que ces caves furent utilisĂ©es, mĂȘme si
Fig.35 : Vue de la plus grande
salle des caves supérieures
nord-ouest par LefĂšvre-
Pontalis au début du Xxe siÚcle
(MĂ©diathĂšque du Patrimoine,
Cl.LefĂšvre-Pontalis
LP007430)
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 36
elles ne possĂ©daient aucun Ă©clairage vers lâextĂ©rieur â la restauration empĂȘchant de savoir si,
primitivement, il exista un Ă©clairage vers lâintĂ©rieur.
Les caves inférieures
Si lâaccĂšs aux caves supĂ©rieures a disparu, celui
qui mÚne des caves supérieures aux caves
inférieures est en revanche parfaitement
conservĂ©. Il sâagit dâun grand et large escalier
situé dans la travée occidentale de la cave nord-
ouest, Ă proximitĂ© de la tour dâangle ; on y
accédait depuis le grand espace faisant jonction
entre les deux ailes. Cet escalier est couvert
dâune voĂ»te constituĂ©e dâarceaux successifs
(fig.36) ; il est assez curieux que cette voûte se
soit prolongĂ©e presque jusquâau sommet de
lâescalier, saillant ainsi au-dessus du sol des
caves supérieures, comme si elle avait été
primitivement autonome. La seule explication de
cette bizarrerie me semble provenir de lâĂ©tat dâinachĂšvement des caves supĂ©rieures nord-ouest en
1407, laissĂ©es ouvertes vers la « fosse » dĂ©jĂ Ă©voquĂ©e, conduisant Ă doter le niveau infĂ©rieur dâune
entrée autonome et protégée.
Contrairement aux salles supĂ©rieures nord-ouest, les salles infĂ©rieures ne sont pas voĂ»tĂ©es dâogives,
mais dâun double berceau reposant sur un mur diaphragme portant les piliers des salles supĂ©rieures ;
il est percĂ© dâarcades en plein cintre permettant une transparence entre les deux travĂ©es ; lâaĂ©ration
était apportée cÎté cour par des soupiraux dont les conduits étaient jumelés avec ceux du niveau
supĂ©rieur, alors que deux autres soupiraux presque verticaux sâouvraient vers lâextĂ©rieur aux
extrĂ©mitĂ©s. La jonction avec lâaile nord-est, au nord, a conservĂ© sa partition originelle, contrairement
au niveau supĂ©rieur Ă©galement ; la salle dâextrĂ©mitĂ© est aujourdâhui couverte dâune voĂ»te en berceau
brisĂ© prolongeant la travĂ©e orientale de lâaile nord-ouest, mais cette voĂ»te a Ă©tĂ© reconstruite par
Viollet-le-Duc qui a laissĂ© subsister le dĂ©part dâune voĂ»te dâarĂštes Ă lâangle, montrant quâil y avait
intersection entre les voûtes des deux ailes.
Lâaile nord-est ne prĂ©sente pas de diffĂ©rence
en plan avec le niveau supérieur
;
cependant, dans le troisiĂšme compartiment Ă
partir du nord (non comptée la salle de
jonction), sâouvre une poterne donnant sur
lâextĂ©rieur. Il sâagit dâune simple porte en
berceau brisé, fermée par deux battants,
sans aucune autre protection
; lors des
dégagements menés en 1875 pour la
création des fausses-braies du chùteau, on
retrouva les restes probables dâune dĂ©fense
avancée
125
. Cette poterne avait-elle pour
fonction dâĂȘtre, comme le pensait Jacques
Harmand, « le seul accÚs spécialisé des
approvisionnements, pour le portage humain
mais aussi pour les bĂȘtes de bĂąt »
126
? Câest
possible, quoique peu probable dans un
fonctionnement normal du chĂąteau ; il sâagit
bien plus probablement dâune porte « de
confort » utilisée par le service pour accéder
aux escarpes nord et est du chĂąteau sans
faire le tour entier par lâextĂ©rieur.
Dans le mur de refend situé immédiatement
au sud-est, tous les plans antérieurs à la
restauration et contemporains de celle-ci
Fig.36 : Vue de l'escalier des caves inférieures
nord-ouest
Fig.37 : Coupe nord-est--sud-ouest de l'aile nord-est, et
élévation interne restituées de l'aile sud-est et de la
chapelle, par Viollet-le-Duc en 1866. Surligné en rouge :
conduit de vidange ( ?). Surligné en bleu : soupirail (Cl.
MH ???)
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 37
figurent un conduit perpendiculaire Ă la courtine nord-est (fig.37). Il sâagit ici du dispositif que Viollet-le-
Duc a décrit en 1857 comme un systÚme de porte-voix pour contrÎler les entrées de la poterne, puis
lâannĂ©e suivante de façon fantaisiste comme « assez large pour quâon pĂ»t y faire monter ou descendre
un homme couché sur un chariot, sans ouvrir une seule porte ou poterne ». Ce conduit est figuré sur
une coupe de 1866 ; celle-ci représente en pointillés ce conduit, partant verticalement du niveau de la
cour, puis obliquant et passant au-dessus de lâarc infĂ©rieur du mur de refend, pour dĂ©boucher enfin Ă
lâextĂ©rieur au-dessous du niveau de seuil de la poterne. MalgrĂ© lâinterprĂ©tation de lâarchitecte, il nâa pu
sâagir que dâun conduit de vidange, soit pour le bĂątiment prĂ©vu au-dessus des caves, soit pour la cour
si lâon admet que le conduit se prolongeait sur la ligne oblique et traversait toute la base, comme il est
reprĂ©sentĂ© par les plans antĂ©rieurs Ă la restauration. Cette mĂȘme coupe fait apparaĂźtre le profil dâun
des deux soupiraux qui permettaient lâaĂ©ration de ces caves nord-est
127
.
La prĂ©sence de la poterne dĂ©termina lâorientation des vantaux â sans doute jamais mis en place, qui
auraient dû fermer les arcs ménagés dans les murs de refend des compartiments ; chacune des deux
portes aurait dĂ» se fermer sur le couloir dâentrĂ©e de façon symĂ©trique, disposition dâailleurs reprise au
niveau supérieur.
Comme au niveau supĂ©rieur, le dernier compartiment de lâaile nord-est, largement restaurĂ© par Viollet-
le-Duc, communiquait avec la cave sud-est, dont le plan et les dispositions sont identiques Ă celle de
ce niveau. Au moment de la restauration, la voûte de toute la premiÚre section était écroulée ; aprÚs
son dĂ©gagement, câest ici que Viollet-le-Duc implanta la citerne du chĂąteau Ă partir de fĂ©vrier 1867 â
citerne toujours existante quoique désaffectée
128
. On a déjà évoqué plus haut le rétrécissement
probable de la premiĂšre section de ce compartiment qui sâensuivit.
Les salles de lâaile nord-ouest : lâaile de prestige
Il ne demeurait en élévation, au moment de la restauration, qule la moitié nord du mur gouttereau de
lâaile nord-ouest, situĂ©e entre la tour nord-ouest (Alexandre) et la tour nord (Godefroy de Bouillon) ;
encore cette partie était-elle largement entamée par une des brÚches pratiquée à la mine en 1617.
Cependant, la partition interne prĂ©vue pour les bĂątiments de cette aile peut ĂȘtre dĂ©duite des murs de
refend des caves ; on a vu que demeurait au nord le harpage dâattente du mur de refend
septentrional. Il existait donc trois salles successives, de dimensions croissantes, sans compter au
sud et au nord les espaces de jonction entre lâaile nord-ouest et les deux ailes perpendiculaires ; Ă
lâouest, on sait que peu de cet espace de jonction dâassez faible largeur, qui raccordait lâaile Ă la porte
principale, sinon quâil contenait Ă la base deux fosses de latrines. Il est possible que les deux refends
soient montĂ©s jusquâaux toits pour former des pignons intermĂ©diaires, mais la restauration de Viollet-
le-Duc qui les arrĂȘte au niveau du premier Ă©tage est Ă©galement possible.
Les élévations de la courtine nord-nord-ouest,
partiellement conservées avant la restauration,
ainsi que celles des courtines nord-est, permettent
dâĂ©tablir que deux niveaux Ă©taient prĂ©vus (fig.29,
fig.33
Figure
) ; les rez-de-cour étaient éclairés vers
lâextĂ©rieur par des fenĂȘtres rectangulaires haut
placées, accessibles par des emmarchements
dans leurs embrasures ; Ă lâĂ©tage, la prĂ©sence
extérieure des chemins de ronde couverts obligea
Ă se contenter de soupiraux. Il va de soi que des
fenĂȘtres Ă©taient prĂ©vues pour complĂ©ter cet
éclairage cÎté cour
; on peut, par ailleurs,
raisonnablement suivre Viollet-le-Duc dans sa
restitution de charpentes lambrissées pour couvrir
la succession des salles de lâĂ©tage, tant cette
disposition Ă©tait frĂ©quente dans lâarchitecture
palatiale de lâĂ©poque (fig.38).
On sait que le restaurateur ménagea le mur gouttereau cÎté cour au droit du mur inférieur des caves,
construisant au devant une galerie ou portique Ă deux niveaux, dont il justifie la conception en
affirmant « que le portique Ă©tait Ă©crit par lâĂ©paisseur du mur intĂ©rieur et par les fragments de cette
structure trouvĂ©s dans les fouilles » ; lâamĂ©nagement sur deux niveaux, quant Ă lui, Ă©tait motivĂ© par le
Fig.38 : Coupes schématiques du bùtiment nord-
ouest. Ă gauche, restauration par Viollet-le-Duc. Ă
droite, autre restitution possible.
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 38
fait que lâescalier de la tour nord-ouest (Alexandre) « ne montant quâĂ une hauteur dâentresol, indiquait
clairement le niveau de cet entresol »
129
.
En fait, les plans antĂ©rieurs Ă la restauration ne semblent guĂšre apporter dâĂ©lĂ©ments probants Ă la
thĂ©orie de Viollet-le-Duc. Tous indiquent au rez-de-cour la prĂ©sence dâun mur dâun peu moins de deux
mĂštres dâĂ©paisseur, bĂąti au droit du nu extĂ©rieur du mur des caves, Ă©pais pour sa part de 4 mĂštres
130
;
ce mur Ă©tait absolument incompatible avec le portique restituĂ© par lâarchitecte, et lâon ne voit guĂšre
quels auraient pu ĂȘtre les fragments de la structure trouvĂ©s dans les fouilles. Il est plus probable que
Viollet-le-Duc prit le parti de monter le mur intérieur en continuité du nu intérieur des caves, mais il ne
pouvait le faire en en conservant lâĂ©paisseur, bien trop importante ; ainsi se trouvait-il disposer dâune
surlargeur quâil utilisa pour bĂątir son portique.
La justification fournie pour lâexistence dâun
niveau dâentresol nâest pas plus convaincante.
Certes, lâĂ©lĂ©vation de LĂ©rĂ© antĂ©rieure Ă la
restauration, comme les photographies
anciennes, montrent quâil existait un niveau
dans la tour nord-ouest en entresol entre le
rez-de-cour et le premier Ă©tage de lâaile nord-
ouest (fig.26, fig.29)
: ceci est prouvé par
lâexistence dâun couloir y menant depuis la
cage de lâescalier en vis attenant Ă la tour.
Mais cette cage avait perdu toute son élévation
intérieure, rendant purement spéculative la
restitution dâun passage dâentresol entre la tour
et le portiqueâŠ
Si lâon fait abstraction de la restauration de
Viollet-le-Duc, alors on peut faire lâhypothĂšse
que le concepteur pimitif du chĂąteau dessina â
sans pouvoir les réaliser faute de temps, des
salles plus larges que celles reconstruites par
le restaurateur, câest-Ă -dire avec une largeur hors tout dâun peu plus de 16 m (fig.38). Mais, pour
autant, lâon ne jettera pas la pierre au restaurateur : le profil plus large ainsi restituĂ© est certainement
moins harmonieux que celui restituĂ© par Viollet-le-Duc ; et lâon se souviendra Ă©galement que les
étages du grand logis nord de Coucy, établis en retrait du rez-de-chaussée, laissaient place au
premier étage à une galerie non couverte établie cÎté cour (fig.39)
131
. Laissons donc au restaurateur
le bĂ©nĂ©fice dâun certain douteâŠ.
Quoi quâil en soit, lâaile nord-ouest Ă©tait donc structurĂ©e en trois
blocs de salles superposées sur deux niveaux. Par ses
dimensions, il paraĂźt quasi Ă©vident que le plus septentrional des
trois blocs était destiné à accueillir au premier étage la grande
salle du chùteau ; la salle correspondante du rez-de-chaussée
Ă©tait probablement une salle du commun â on ne suivra pas
Viollet-le-Duc qui, dans son
Dictionnaire
, en fit une « salle des
mercenaires », pas plus que lâon ne suivra Jacques Harmand qui
en faisait une⊠écurie
132
. La vocation de prestige de cette salle
infĂ©rieure sâaffirmait par la prĂ©sence, au moment de la
restauration, de plusieurs consoles sculptées destinées à recevoir
les poutres du plafond : trois portaient des Ă©cus aux armes
dâOrlĂ©ans soutenus par des anges, trois autres des musiciens,
jouant du psaltérion (fig.40), du tambour et de la harpe, deux
autres des personnages indistincts ; ces consoles ont été remplacées par des éléments resculptés au
XIX
e
siÚcle, les originaux étant soit posés au plancher, soit remontés en décor dans le mur gouttereau
extérieur
133
.
Les deux salles superposées comportaient, sur le mur gouttereau extérieur, une grande cheminée ;
lâĂątre de celle du rez-de-chaussĂ©e subsistait en 1858, alors que celle du premier nâexistait plus quâĂ
lâĂ©tat dâarrachements. Le restaurateur a placĂ© le « haut bout » de ces deux salles au nord-est, oĂč il a
Fig.40 : Console de la grande
salle inférieure de l'aile nord-ouest
(Cliché MH 55P01087)
Fig.39: Plan restitué du chùteau de Coucy au premier
Ă©tage
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 39
restitué deux monumentales cheminées de pignon ; rien, malheureusement, ne pourra jamais
confirmer cette restitution dâun espace qui ne fut pas achevé⊠Quant aux deux blocs de plus petite
dimension qui succĂ©daient vers le sud-ouest au bloc de la grande salle, plus rien nâexistait en
élévation au moment de la restauration ; cependant, le plus petit des deux blocs communiquait avec
les latrines situĂ©es dans lâaile sud-ouest, entre la porte et la tour ouest (tour Arthus), ce qui laisse Ă
penser quâil avait une vocation publique affirmĂ©e. Peut-ĂȘtre, comme le pensait Viollet-le-Duc, devait-on
prĂ©voir ici le « vestibule » public, avant dâentrer dans une salle de parement, puis enfin dans la grande
salle.
Les salles de lâaile nord-est : lâaile des services
Contrairement Ă lâaile nord-ouest, oĂč les bĂątiments en Ă©lĂ©vations avaient mĂȘme largeur que les caves,
les restes au sol des murs intĂ©rieurs de lâaile nord-est Ă©taient largement en retrait des caves, Ă vrai-
dire trÚs étroites, de cette aile. Les plans antérieurs à la restauration permettaient de restituer depuis
le nord les fondations dâun premier bĂątiment, long dâun peu plus de 18 mĂštres et large dâun peu plus
de 14, suivi immĂ©diatement par celles dâun second bĂątiment large de 17 mĂštres, qui occupait le reste
de la face. Ă lâangle entre les deux ailes subsistait le socle dâun escalier en vis, dont Viollet-le-Duc a
fait la fameuse vis Ă double rĂ©volution, pure fantaisie dâarchitecte que rien ne justifiait, pas plus que
nâĂ©tait justifiĂ© le couloir le contournant cĂŽtĂ© cour en prolongement du portique.
La structuration de cette aile était déterminée au rez-de-chaussée par quatre murs de refend dont
subsistaient les harpages dâattente, en continuitĂ© verticale des refends des caves ; seul un des
refends de celles-ci, le second depuis le nord, semble nâavoir pas Ă©tĂ© poursuivi au rez-de-chaussĂ©e, la
porte dâaccĂšs aux latrines de la tour nord-est (JosuĂ©) se trouvant juste Ă la verticale de ce refend
(fig.13, fig.33, fig.34). On trouvait donc successivement lâespace de jonction entre les deux ailes, oĂč se
trouvait lâescalier dâaccĂšs aux caves nord-ouest ; puis une longue salle ayant accĂšs Ă la tour des
latrines ; deux salles plus larges, mais bien plus petites, dont la premiĂšre Ă©tait Ă©clairĂ©e par un fenĂȘtre
haute Ă gradins, la seconde possĂ©dant lâaccĂšs au puits interne de cette aile ; enfin, au-delĂ , la salle de
jonction avec lâaile sud-est. Entre les deux petites salles, dans lâĂ©paisseur du mur de refend, se
trouvait le conduit de vidange débouchant à cÎté de la poterne nord-est, à la base du chùteau. On est
amenĂ©, en consĂ©quence, Ă suivre Jacques Harmand lorsquâil
y situe les cuisines, contrairement Ă Viollet-le-Duc qui les a
placées sans preuve dans la salle de jonction entre les deux
ailes
134
; rien apparemment ne justifiait par ailleurs la
restitution des bĂątiments sud-est par Viollet-le-Duc, qui
raccourcit ces espaces en les dotant dâune galerie extĂ©rieure
(fig.37). La vocation de la salle nord est, quant Ă elle, difficile
Ă restituer ; selon toute probabilitĂ©, sa liaison avec lâespace
nord dâentrĂ©e aux caves et sa situation Ă cĂŽtĂ© des cuisines en
faisait logiquement un espace rĂ©servĂ© aux services â
Ă©chansonnerie, panĂšterie, etc.
La structuration du premier Ă©tage ne peut ĂȘtre
raisonnablement interprĂ©tĂ©e, dans la mesure oĂč les murs de
refend infĂ©rieurs ne sây prolongeaient pas (fig.33
Figure
).
Avant restauration, on y voyait les deux portes dâaccĂšs Ă la
galerie de chemin de ronde Ă mĂąchicoulis couvert ; mais il
nâexistait aucune communication directe entre lâespace
intĂ©rieur et la tour des latrines â il fallait, pour accĂ©der Ă celle-
ci, sortir et emprunter le chemin de ronde. Jacques Harmand
voyait ici les logements de la garnison
; mais cette
interprĂ©tation nâest guĂšre plausible â pas plus que ne le sont
les interprĂ©tations « militaristes » de Viollet-le-Duc. Il nâest pas
un seul chĂąteau-palais princier de cette Ă©poque qui ait
rĂ©servĂ© Ă lâĂ©tage noble â le premier Ă©tage â des logements
pour des garnisons qui, au demeurant, nâĂ©taient pas
permanentes⊠La coexistence de « casernements » et de logis civils dans les programmes des
chĂąteaux-palais fait partie des fictions hĂ©ritĂ©es des annĂ©es 1850-1950 ; je nâai pas rencontrĂ© encore
un seul cas oĂč les comptes anciens mentionnent des logements affectĂ©s Ă des troupes au mĂȘme
niveau que les logis princiers, mais plus encore pas un seul cas oĂč soient mentionnĂ©s de tels
logements destinĂ©s Ă la soldatesque. Pas plus dâailleurs les comptes anciens ne mentionnent-ils les
Fig.41 : Vue de l'angle entre les ailes
nord-est (Ă gauche) et sud-est (Ă
droite) avant restauration (cl. MH
56P00715)
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 40
logements des domestiques, qui devaient dormir dans les combles et les galetas â voire dans les
antichambres lorsquâils Ă©taient affectĂ©s aux dignitaires
135
.
Aussi faut-il plutÎt penser que cet étage aurait été destiné à des logis pour la cour princiÚre, comme
les tours qui lâencadrent. Si tel fut le cas, la restitution par Viollet-le-Duc dâun plancher au-dessus du
premier étage, délimitant un galetas habitable, est plausible.
Les salles de lâaile sud-est
Les vestiges au sol des salles de lâaile sud-est Ă©taient, si lâon en croit les plans antĂ©rieurs Ă la
restauration, peu marquĂ©s ; les traces de ces fondations semblent indiquer quâun bĂątiment dâun peu
plus de 14 m de largeur Ă©tait prĂ©vu, venant sâachever au sud-ouest sur la sacristie de la chapelle dont
les murs demeuraient encore en Ă©lĂ©vation Ă lâĂ©tat de ruines ; on ignore la raison pour laquelle Viollet-
le-Duc restitua une aile sensiblement plus Ă©troite, en retrait sur les fondations, faisant ainsi saillir la
sacristie sur les façades.
La disparition quasi-totale de la courtine sud-est, si ce nâest Ă son raccord avec la tour dâangle
(Hector), et lâabsence de refends autres que ceux de la sacristie dans les caves, empĂȘche toute
interprĂ©tation sur ce que devaient ĂȘtre les salles de cette aile ; tout au plus lâĂ©lĂ©vation de la courtine
extĂ©rieure montre-t-elle que la structuration verticale Ă©tait identique Ă celle de lâaile nord-est (fig.41).
Peut-ĂȘtre les Ă©curies du chĂąteau auraient-elles dĂ» se trouver dans cette zone au rez-de-chaussĂ©e â et
non, comme le pensait Jacques Harmand, au rez-de-chaussée du bùtiment de la grande salle, ce qui
aurait Ă©tĂ© du « jamais vu ». Le premier Ă©tage, quant Ă lui, devait ĂȘtre tout naturellement affectĂ© Ă des
logements de cour ou administratifs, en relation avec la tour dâangle est.
Les abords du chĂąteau
La restitution des abords du chĂąteau sous Louis dâOrlĂ©ans est une tĂąche quasi impossible, tant ceux-
ci ont Ă©tĂ© modifiĂ©s par les travaux postĂ©rieurs, quâil sâagisse des terrassements effectuĂ©s lors des
guerres de la Ligue et lors du siÚge de 1617, ou de ceux réalisés par Viollet-le-Duc, puis par Ouradou
de 1858 à 1880, sans compter les reconstructions et restaurations qui ont profondément altéré la
réalité médiévale.
La protection des bases des courtines
La vue de Duviert en 1611 montre clairement que les talus des tours et des courtines de la face nord-
ouest au moins furent protégés par un imposant bastion de terre séparé de ces talus par un fossé
(fig.11) ; il est vraisemblable que la base de ce bastion était stabilisée par une muraille basse en
pierres de taille dont lâangle nord subsistait, ruinĂ©, avant la restauration â il figure au cadastre de 1838,
et a servi de pierre dâangle Ă la restitution par Viollet-le-Duc de lâenceinte basse bastionnĂ©e Ă partir de
1869 (fig.3)
136
. Caillette de lâHervilliers signalait, pour sa part, que Questel, lors des fouilles de 1848-
1853, avait mis au jour les fondations du « grand mur des terrasses » qui entourait le chùteau à une
douzaine de mĂštre de sa base
137
; les fondations mises au jour apparaissent clairement dans les plans
antĂ©rieurs Ă la restauration au nord de la tour Godefroy de Bouillon, faisant partie de la ligne de crĂȘte
de la terrasse entourant le chùteau. Enfin, les plans antérieurs à la restauration montrent tous
lâexistence en contrebas de la tour dâangle ouest dâune fausse-braie circulaire maçonnĂ©e (fig.3), qui a
été plus tard englobée dans les défenses basses restituées par Viollet-le-Duc à partir de 1865 ; cette
fausse-braie apparaĂźt Ă©galement dans la gravure de Duviert, sa plate-forme Ă©tant plus basse que la
terrasse du cavalier.
Ă partir dâavril 1864 fut amĂ©nagĂ©e dans cette zone la nouvelle route dâaccĂšs du chĂąteau, qui devait
partir du village et monter progressivement en contournant lâĂ©difice dans le sens des aiguilles dâune
montre. La terrasse-bastion fut alors entiÚrement déblayée, sur une hauteur considérable atteignant
8 m au droit de la tour ouest ; lors de ces dĂ©blais, les ouvriers rencontrĂšrent dâabord, Ă une quinzaine
de mÚtres de la tour nord-ouest (Alexandre), ce qui semble avoir été une galerie de mine creusée
dans le sable, puis, au droit de la tour nord (Godefroy de Bouillon), un énorme rocher qui dépassait de
5 mÚtres le niveau prévu pour le chemin
138
.
Ces aménagements, fausse-braie de la tour ouest, terrasse-bastion de la face nord-ouest, étaient-ils
contemporains de Louis dâOrlĂ©ans ? Peut-ĂȘtre la premiĂšre lâĂ©tait-elle, pour protĂ©ger les bases de la
tour ouest fortement exposées à la mine du fait de la position topographique de la tour. La terrasse-
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 41
bastion, dans son état de 1611, résultait en revanche certainement des travaux de fortification de la
Ligue ; mais la prĂ©sence en son sein, au niveau de la tour dâangle nord, du grand rocher, montre que
les reliefs avant la constitution de cette dĂ©fense Ă©taient bien moins lissĂ©s autour du chĂąteau quâils ne
le sont maintenant.
Quâen Ă©tait-il sur les autres faces ? Ici encore, les terrassements entrepris Ă partir de 1864 ont
beaucoup modifiĂ© les profils, mais lâon a peine Ă restituer ce quâils furent originellement. En tout cas,
les représentations du chùteau aux XVIII
e
et XIX
e
siĂšcles semblent montrer que la terrasse se
prolongeait sur ces deux flancs, se raccordant au curieux boulevard ovoïdal présent au sud-ouest ;
câest dans cette zone de raccord que se trouvait la « poterne du XII
e
siÚcle » décrite plus haut (
Fig.
).
Malheureusement, lâentiĂšre reconstruction de cette derniĂšre, et le remodelage intĂ©gral des terres dans
toute cette zone pour crĂ©er les chemins dâaccĂšs et les fausses-braies empĂȘchent dĂ©finitivement de la
caractĂ©riser et dâen retrouver la fonction primitive.
Quant aux fausses-braies qui ceinturent aujourdâhui les bases du chĂąteau, elles ont Ă©tĂ© purement et
simplement inventées par Viollet-le-Duc en 1877, et réalisées aprÚs sa mort par Ouradou
139
.
La basse-cour sud
On a dĂ©jĂ eu lâoccasion, Ă propos du chĂąteau primitif,
dâĂ©voquer la prĂ©sence du fossĂ© des « grandes lices »,
redĂ©couvert et recreusĂ© en 1867, dont lâexistence est
prouvée par les culées du pont restauré au début de
cette année
140
. Pour autant, la totalitĂ© de lâescarpe
semble avoir été entiÚrement remaçonnée par Viollet-le-
Duc, peut-ĂȘtre Ă partir dâun mur existant
141
; jâignore la
raison pour laquelle la partie nord de cette escarpe a
Ă©tĂ© pourvue dâun renforcement apparemment plein
montant aux deux tiers de sa hauteur (fig.42). Il est peu
probable que Viollet-le-Duc ait inventé de toutes piÚces
cette disposition qui nâa aucune logique dĂ©fensive â Ă
moins quâil nâait voulu rĂ©gulariser une asymĂ©trie entre la
partie nord et la partie sud en Ă©tablissant un mur
rectiligne au niveau de la cour de part et dâautre de la porte.
On peut Ă©mettre lâhypothĂšse que cette basse-cour fut dĂ©limitĂ©e au temps de Louis dâOrlĂ©ans Ă
lâintĂ©rieur de la grande basse-cour primitive qui sâĂ©tendait jusquâau delĂ de lâĂ©glise Saint-Mesme
(fig.3) ; peut-ĂȘtre les murs primitifs est et ouest furent-ils conservĂ©s, ce qui expliquerait lâaspect actuel
du mur occidental. LâĂ©tat de cette basse-cour au moment des restaurations devait ĂȘtre proche de celui
figuré par Duviert ; les mamelons de terre créés pour protéger le chùteau des canonnades furent
nivelĂ©s tout au long des travaux de restauration, sans quâon ait en quoi que ce soit la garantie que le
nivellement fit retrouver un niveau dâorigine mĂ©diĂ©val
142
.
Un chĂąteau-palais inachevĂ© en contrepoint dâun autre : Pierrefonds et La FertĂ©-Milon
Ainsi sâaffirme lâimage de ce chĂąteau qui ne fut jamais achevĂ©, malheureusement trop souvent
interprété comme un édifice « militaire » au sens du XIX
e
siĂšcle. Pour comprendre Pierrefonds, il faut
avant tout le remettre en perspective par rapport Ă dâautres Ă©difices princiers contemporains, quâil
sâagisse du Louvre de Charles V, du Saumur de Louis I
er
dâAnjou, du Mehun sur YĂšvre de Jean de
Berri, et de tant dâautres de ces chĂąteaux bĂątis par les princes Ă la fin du XIV
e
et au début du XV
e
siĂšcle, que lâon pourrait caractĂ©riser en disant quâil sâagissait de palais civils bĂątis Ă lâintĂ©rieur de
carapaces défensives, en fait des chùteaux-palais. Si le vocabulaire architectural « militaire » y était
prĂ©sent et sâimposait vis-Ă -vis de lâextĂ©rieur, le programme palatial y Ă©tait dĂ©terminant ; les bĂątiments
civils nây Ă©taient plus de simples accessoire accolĂ©s aux courtines, car lâĂ©difice Ă©tait conçu comme un
tout, les Ă©lĂ©ments de dĂ©fense Ă©tant dĂ©sormais la face extĂ©rieure et lâenveloppe aux attributs
« militaires » dâun ensemble Ă vocation civile de prestige. Cette fusion, exacerbĂ©e Ă Mehun-sur-YĂšvre
presque jusquâĂ lâoutrance, trouva une expression nouvelle Ă Pierrefonds, comme Ă La FertĂ©-Milon,
lâautre chĂąteau-palais de Louis dâOrlĂ©ans, avec la prĂ©sentation sur les tours des statues
monumentales des Preux dans lâun, des Preuses dans lâautre, et avec lâaffichage entre les deux tours
Fig.42 : Vue de l'escarpe des grandes lices,
et du pont sur le fossé de celles-ci
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 42
majeures de chacun des deux sites dâun haut-relief Ă la gloire de la Vierge Marie, lâAnnonciation dans
lâun, le Couronnement ou lâEntrĂ©e au Paradis dans lâautre
143
. Ainsi le chĂąteau-palais devenait un
vĂ©ritable manifeste de la personnalitĂ© princiĂšre, voire mĂȘme un instrument de propagande ; il nâĂ©tait
plus seulement un objet en soi, conçu avec ostentation, mais aussi le faire-valoir dâun idĂ©al et dâune
quĂȘte
144
.
Mais un autre caractĂšre frappe, dans le programme de Pierrefonds : il sâagit de lâabandon presque
total de la fortification primitive, voire son Ă©radication pour bĂątir un chĂąteau neuf. En aucun cas, les
grands princes qui bĂątirent avant Pierrefonds ne forcĂšrent le trait jusquâĂ anĂ©antir tout reste du
bĂątiment antĂ©rieur â ne serait-ce que pour des questions de coĂ»t. Câest un caractĂšre que lâon retrouve,
plus marquĂ© encore, Ă La FertĂ©-Milon ; en effet, il semble bien quâĂ Pierrefonds ait Ă©tĂ© au moins repris
le plan de lâancienne « chemise » qui constituation le « donjon » primitif, alors quâĂ La FertĂ©-Milon, on
fit place nette de toute implantation antĂ©rieure pour bĂątir le chĂąteau. Charles V, lorsquâil bĂątit le
Louvre, reprit le corset de lâancien chĂąteau de Philippe Auguste ; Jean de Berry, Ă Bourges comme Ă
Poitiers ou à Mehun-sur-YÚvre, réutilisa les édifices antérieurs ; Louis I
er
de Bourbon rebĂątit Saumur
sur les bases des tours primitives ; Enguerrand VII de Coucy conserva lâextraordinaire enceinte de son
ancĂȘtre Enguerrand III. Rien de pareil dans les constructions de Louis dâOrlĂ©ans Ă Pierrefonds et La
FertĂ©-Milon : tĂ©moignage, ici encore, dâun orgueil cherchant Ă faire place nette du passĂ©, ou simple
indication sur le fait que lâĂ©difice prĂ©cĂ©dent ne mĂ©ritait pas lâintĂ©rĂȘt ?
On constatera que, chaque fois quâun prince a conservĂ© peu ou prou lâĂ©difice prĂ©cĂ©dent, il sâagissait
dâun chĂąteau royal de type philippien, comme si, de fait, le symbole reprĂ©sentĂ© par ce chĂąteau
prĂ©existant mĂ©ritait dâĂȘtre conservĂ©, ne serait-ce que par son impact symbolique. Il fait assez peu de
doute que Louis, sâil avait disposĂ© de tels Ă©difices Ă Pierrefonds et La FertĂ©-Milon, les aurait
également conservés pour en faire le noyau de son édifice. On peut penser que ceci donne au moins
une indication sur le fait que, prĂ©alablement Ă Louis dâOrlĂ©ans, ni Pierrefonds, ni La FertĂ©-Milon ne
comportaient de tels chĂąteaux dâessence royale : Philippe Auguste, aprĂšs avoir pris possession de ce
secteur gĂ©ographique, ne semble pas lâavoir marquĂ© de son empreinte, comme en tĂ©moigne par
exemple le chùteau de Crépy-en-Valois, capitale du petit comté
145
. Ce nâest que bien plus au nord quâil
bĂątit Ă Laon une tour maĂźtresse considĂ©rable, et un peu au nord-est quâil fortifia lâabbaye de Saint-
MĂ©dard de Soissons.
Fig.43 : Plans comparés de Pierrefonds et deLa Ferté-Milon
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 43
Cette absence de signes royaux permettait à Louis de développer ses deux nouveaux édifices sans
remettre en cause des symboles dâune haute signification dans le systĂšme fĂ©odal français. Pour
autant, mĂȘme lancĂ©s Ă trois annĂ©es dâintervalle, mĂȘme sous-tendus par la mĂȘme volontĂ© de
programmes intĂ©grĂ©s, les deux chĂąteaux-palais de Louis dâOrlĂ©ans traduisent des motivations
extrĂȘmement diffĂ©rentes, voire, au-delĂ , montrent lâintervention dâarchitectes distincts.
Jâai dĂ©jĂ eu lâoccasion de mettre en relation cette dualitĂ© des deux Ă©difices, en la mettant en relation
avec lâĂ©volution de la personnalitĂ© de Louis dâOrlĂ©ans dans les annĂ©es 1395-1407
146
; il sâagit
Ă©videmment dâun exercice difficile, tant il peut paraĂźtre artificiel, en analysant les biographies ducales,
de restituer son Ă©volution psychologique. Pourtant, cette dychotomie semble Ă©vidente en examinant
les plans comparés des deux chùteaux inachevés. Le plan de Pierrefonds, certainement marqué par
le maintien de la prĂ©Ă©minence du « donjon » primitif, est en total contraste avec lâamorce de plan de
La FertĂ©-Milon ; alors que le second affirme â au moins pour la partie achevĂ©e, un plan dâensemble
dâune grande simplicitĂ©, mais fait saillir Ă lâextĂ©rieur des tours aux plans sophistiquĂ©s, le premier
prĂ©sente un plan complexe, mais constituĂ© dâĂ©lĂ©ments simples, sans sophistication dâaucune sorte. Ă
Pierrefonds, les continuités horizontales des chemins de ronde sont assurées par un systÚme
complexe â
certes intéressant au niveau plastique, mais certainement moins fonctionnel et
impressionnant que lâhorizontalitĂ© parfaite, sur 100 m de longueur, de la façade de La FertĂ©-Milon.
Plus, Pierrefonds frappe aussi par les irrégularités de son plan, la variété des dimensions de ses
tours. Comme si, en dĂ©finitive, Pierrefonds nâavait Ă©tĂ© quâun chantier expĂ©rimental â Ă lâavancement,
La FertĂ©-Milon Ă©tant, au contraire, mis en chantier sur la base dâun plan dâensemble cohĂ©rent et
grandiose.
Si lâon va plus loin dans lâanalyse des dĂ©tails architecturaux, en laissant de cĂŽtĂ© la sculpture qui rĂ©vĂšle
la main de sculpteurs des mĂȘmes ateliers, lâexamen comparĂ© des dĂ©cors des fenĂȘtres ne manque pas
dâintriguer.
Fig.44 : ĂlĂ©vations des fenĂȘtres de La FertĂ©-Milon (en haut) et de Pierrefonds (en bas)
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 44
Un premier point frappe : les fenĂȘtres extĂ©rieures des courtines et tours de Pierrefonds sont dâun seul
modĂšle, particuliĂšrement simple
: il sâagit dâouvertures rectangulaires de petite taille, aux
encadrements Ă©vidĂ©s de quarts de tores (fig.44, en bas Ă droite). La destruction de 1617 empĂȘche
malheureusement de savoir ce quâĂ©taient les fenĂȘtres extĂ©rieures du « donjon » ; tout au plus Duviert,
en 1611, semble-t-il reprĂ©senter des fenĂȘtres Ă meneau vertical â vraisemblablement des fenĂȘtres Ă
croisĂ©es, Ă la fois dans la façade sud de lâĂ©difice et dans les deux tours majeures. Peut-ĂȘtre ces
fenĂȘtres Ă croisĂ©e Ă©taient-elles identiques Ă celles de la façade conservĂ©e du « donjon », donnant sur
la « cour aux provisions ». Leurs encadrements sont plus complexes, évidés de deux quarts de tore
successifs, une colonnette prenant place dans le tore extérieur ; cette colonnette possÚde des bases
prismatiques et de petits chapiteaux sculptĂ©s de part et dâautre de la fenĂȘtre. Quant Ă la croisĂ©e, elle
est située en retrait, au droit du tore intérieur.
Cette mise en forme des fenĂȘtres nâa rien que de trĂšs classique : on connaĂźt lâengouement marquĂ©
tout au long du XIV
e
siĂšcle, mais surtout Ă partir du chantier de Vincennes, pour ces encadrements Ă
colonnettes, qui pouvaient Ă©pouser lâarchivolte en tiers-point comme justement Ă Vincennes, ou au
contraire suivre le contour rectangulaire de lâencadrement.
Ă La FertĂ©-Milon, les fenĂȘtres extĂ©rieures sont toutes de grandes dimensions en façade, celle des
tours étant moins hautes que dans les courtines ; on jugera dans la fig.44 de la différence de taille :
alors quâĂ Pierrefonds, seules peut-ĂȘtre les fenĂȘtres du « donjon » Ă©taient Ă croisĂ©es, toutes les
fenĂȘtres de La FertĂ©-Milon donnant sur lâextĂ©rieur Ă©taient assez hautes pour ĂȘtre divisĂ©es par une
traverse, voire par deux, et certaines possédaient des meneaux. Or la situation défensive de La Ferté-
Milon Ă©tait autrement moins favorable que celle de Pierrefonds, ces larges et hautes ouvertures
constituant un vĂ©ritable dĂ©fi â ou encore une extraordinaire marque dâegoâŠ
En revanche, le dessin des encadrements y est beaucoup plus sobre : ils sont évidés de quarts de
tores dans les tours, alors que dans les courtines, le relief est accentué par un pan coupé
supplĂ©mentaire vers lâintĂ©rieur. Ce dĂ©tail architectural nâest pas Ă nĂ©gliger ; car il semble sâinsĂ©rer
dans un courant architectural marquant lâarchitecture princiĂšre du dĂ©but du XV
e
siĂšcle, on le trouve
ainsi Ă la tour Jean-sans-Peur de Paris, bĂątie en 1412, comme Ă Tancarville en 1408-1410
147
.
Peut-on déduire de tous ces éléments que Pierrefonds et La Ferté-Milon sont dûs à des mains
diffĂ©rentes ? Ă vrai-dire, la tentation est forte, tant lâesprit diffĂšre dans les deux chĂąteaux-palais. On ne
peut, de ce point de vue, faire abstraction dâun autre chĂąteau strictement contemporain, celui de Sully-
sur-Loire, dont on sait quâil fut conçu par Raymond du Temple en 1396, la mĂȘme annĂ©e que
Pierrefonds, et suivi ensuite par le maçon Colin des Chapelles
148
. Or la mise en forme de Sully-sur-
Loire, avec son double niveau de chemin de ronde Ă mĂąchicoulis, rappelle Ă©tonnamment celle de
Pierrefonds, quoique en moins aboutie et moins sophistiquĂ©e ; jâaurais tendance Ă attribuer le plan et
le concept de Pierrefonds au mĂȘme illustre architecte, le suivi du chantier et la conception de dĂ©tail
Ă©tant le fait du maĂźtre des Ćuvres royal du bailliage de Senlis Jean Lenoir â ce qui pourrait expliquer
les imperfections du plan. Malheureusement, la seule source dont on dispose est celle de
lâintervention du maĂźtre charpentier Robert FouchiĂ© qui fut rĂ©munĂ©rĂ© 500 livres pour le devis dâĆuvres
quâil effectua Ă Pierrefonds au dĂ©but de mois de juillet1396, mais, malgrĂ© lâĂ©normitĂ© de la somme, il ne
paraĂźt guĂšre plausible que le duc ait confiĂ© Ă un maĂźtre charpentier la conception de lâarchitecture de
son chĂąteau. Au demeurant, Raymond du Temple Ă©tait alors justement Ă Sully-sur-Loire, et il aurait pu
donner ses ordres Ă Robert Fouchier
149
.
On ne sait rien de la conception de La FertĂ©-Milon ; si lâhorizontalitĂ© de son Ă©lĂ©vation doit certainement
beaucoup Ă la Bastille de Paris, qui devait ĂȘtre achevĂ©e vers 1382, lâoriginalitĂ© du plan de ses tours
nâa pas son Ă©quivalent dans lâarchitecture contemporaine. On peut, bien sĂ»r, en attribuer la paternitĂ© Ă
Louis dâOrlĂ©ans lui-mĂȘme, qui aurait pu fixer un programme plus ambitieux quâĂ Pierrefonds. Quoi quâil
en soit, ce nâest quâen 1405 quâapparaĂźt, sur les deux chantiers, Jean Aubelet, maçon gĂ©nĂ©ral de
Louis dâOrlĂ©ans ; mais il portait ce titre dĂšs 1403, et celui de maçon ducal en 1400, et fut envoyĂ© en
1401 et 1402 par Raymond du Temple pour le remplacer dans une expertisĂ© dâune jubĂ© de la
cathĂ©drale de Troyes. Il est tentant â je lâai dĂ©jĂ fait, de lui attribuer le second des deux chĂąteaux,
sans malheureusement que cei puisse ĂȘtre appuyĂ© sur la moindre source.
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 45
Pierrefonds, du mythe à la réalité
Ainsi, derriĂšre la carapace de la restauration qui a, dâune certaine façon, assĂ©chĂ© la recherche,
Pierrefonds demeure un ensemble fascinant, qui mĂ©riterait de nouvelles recherches â
tout
particuliĂšrement archĂ©ologiques, pour mieux apprĂ©hender son histoire et son passĂ©. Si lâon parvient,
sans trop de peine, Ă retracer le parti du chĂąteau de Louis dâOrlĂ©ans, restĂ© inachevĂ©, les deux
interventions brutales sur le site, la sienne puis celle de Viollet-le-Duc, semblent avoir gommé les
traces du ou des Ă©difices antĂ©rieurs â au point dâavoir conduit depuis lâhistorien Carlier Ă des
interprétations fantaisistes sur ces édifices.
Or, contrairement aux idées reçues, il demeure selon toute probabilité des vestiges non négligeables
de ce chĂąteau antĂ©rieur Ă Louis dâOrlĂ©ans,
castrum
dâun puissant seigneur des franges du
Soissonnais, puis chĂąteau royal frĂ©quentĂ© par les rois venant chasser dans la forĂȘt de Cuise. Le site
mĂ©riterait largement quâun programme de fouilles y soit menĂ©, afin de retracer les jalons de
lâoccupation du site, et peut-ĂȘtre de mieux cerner ce que fut, justement, ce
castrum
primitif, en
contrepoint des réalisations monumentales du XV
e
et du XIX
e
siĂšcle.
Au-delĂ , la rĂ©alitĂ© du chĂąteau de Louis dâOrlĂ©ans demeure masquĂ©e par lâimportance de lâĆuvre de
Viollet-le-Duc ; on ne critiquera pas cette derniĂšre, qui reprĂ©sente la crĂ©ation dâune Ă©poque â et celle
dâun homme avant tout, qui sut trouver dans le souverain de lâĂ©poque le mĂ©cĂšne capable de rĂ©aliser
ses rĂȘves les plus fous dâarchitecte restaurateur imposant sa vĂ©ritĂ© au monument. Mais faut-il pour
autant que les vestiges du chĂąteau dâOrlĂ©ans, assez scrupuleusement conservĂ©s par Viollet-le-Duc,
soient masqués par des collections adventices qui peuplent son premier sous-sol, sans compter les
Ă©paves qui envahissent le second de ces niveaux ? Ici, comme dans les tours, tout existe encore de la
rĂ©alitĂ© mĂ©diĂ©vale. Peut-on rĂȘver que toute cette architecture revienne Ă la vie, quâon puisse la visiter et
lâĂ©tudier ?
Ce serait, en contrepoint du Pierrefonds de Viollet-le-Duc, une justice Ă rendre Ă ce monument
insigne, délaissé par beaucoup comme trop « moderne ».
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 46
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1
Ăšre
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e
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e
Ă©d., Paris,
1863. 4
e
Ă©d., Paris, 1865. 5
e
Ă©d., Paris, 1869. 6
e
Ă©d., Paris, 1872. 7
e
Ă©d., Paris, 1874.
Wyganowski 1858-1885
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, conservĂ©s aux Archives dĂ©partementales de lâOise,
4 Tp 1*-4*. Une copie existe au chĂąteau de Pierrefonds.
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 49
ANNEXE 1
Charte de Nivelon II (Gallia Christiana, t.X, Instrumenta, col.106)
Notum sit omnibus tam futuris quam prasentibus, quod domnus Nivelo dominus de Petrafonte dedit et deo et
beato Martino Majoris-monasterii et monachis ejus
, ecclesiam
santi Maximi que sita est in eodem castro inter
duas turres
, cum omnibus quae ad eamdem ecclesiam pertinent, annuentibus filiis suis Petro, Ansculfo,
Nivelone et Drogone, et omnibus militibus sui castru et pluribus optimis viris de burgo, cum ceteris familae suae
hominibus.
Voluntas autem hujus donationis orta est in corde Nivelonis et uxoris ejus, hortatu et instinctu domni Hugonis
fratris sui Suessionensis episcopi, antequam pergeret in viam Hierusalem. Hujus vero adhortationis ipse Nivelo et
uxor ejus Haduisa non immemores, pro salute animarum suarum et pro sequie antecessorum suorum,
supradictam ecclesiam Sancti Maximi cum omnibus rebus ad eam pertinentibus donaverunt Deo et beato Martino
Majoris-monasterii et monachis ejus, sicut supradictum est, quatinus monachi inibi Deo servirent et secundum loci
qualitatem quatuor aut quinque, sive sex post decessum canonicorum inibi habitarent.
Locus igitur ubi monachi
officinas suas sunt facturi, est camera quae est juxta ecclesiam et coquina et puteus et terra quae ab
oriente adjacet juxta viam publicam ad pedem Teralli secundum amĆnitatem loci
.
Haec ergo omnia donaverunt Deo et B.Martino Majoris-monasterii et monachis ejus ipse Nivelo et uxor ejus
Haduisa, concedentibus supradictis filiis eorum Petro, Ansculfo, Nivelone et Drogone, inter manus domni Hugonis
tunc prioris, per librum collectaneum de domo monachorum, et postea posuerunt illud super altare sancti Sulpitii,
videntibus monachis et militibus et aliis probis viris, quorum nomina subscripta sunt.
De monachis Hugo prior ipsius loci, Seguinus prior de S. Tetbaldo, Rotbertus monachus, Raimbertus monachus,
Haimericus monachus, Raimbertus monachus, Haimericus monachus, Bernardus monachus, Haimericus
presbyter.
De militibus Hilbertus avunculus Guermundi et Johannis, Johannes filius Guermundi, Albertus de Gurnaio,
Gascelino infans, Philippus filius Rotgerii dapifer, Petrus filius Testhonis et Guido frater ejus, Guido de Moseio,
Rainaldus filius Hervei, Thenardus de Crispeio, Paganus de Chala, Rurius Senterius.
De burgensibus Stephanus Dives, Hugo Parvus, Lambertus serviens frater Raimberti monachi, Guibertus
armiger, Girardus de Atichio, Guanilo cementarius, Raherius carpentarius, Andreas archerius, Bloinus archerius,
Ascherius de Artasia, Richardus filius Ancelini, Gislebertus filius Alberti, Gaenbertus filius Bertranni, Gausbertus
tornator.
De famulis monachorum Guaiembertus famulus, Hatho famulus, Guibertus famulus, Albericus famulus.
+ Signum Nivelonis. + Signum Haduisae. + Signum Petri. + Signum Nivelonis. + Signum Drogonis.
ANNEXE 2
Confirmation de Lisiard Ă©vĂȘque de Soissons (Depoin St-Martin-des-Champs)
Notum sit omnibus t. f. q. p. frequenti precum instantia rogatos esse domnum LISIARDUM episcopum
Suessionensem et ejusdem ecclesie clericos ut
capella Sancti Maximi in castello Petrefonte sita
, monachis
Sancti Sulpicii in vico ejudem castelli commorantibus
concederetur, hoc fieri deposcente venerabili et
religioso patre domno Guillelmo, Majoris monasterii abbate, cujus monachi in supradicto loco inhabitant, et
maxime exorante hoc fieri Nivolone predicti castelli domino, eadem capellam eatenus obtinente.
Dicebat enim idem castelli dominus hoc ad meliorationem vite sue, quam satis inter discrimina et peccata
exercuerat, maxime proficere si eandem capellam eo voto in manus Episcopi recusaret, ut religiose viventibus
Deumque timentibus personis ordinaretur. Diu tamen dubitatum est a Suessionensibus clericis illam monachis
mancipari, propter insolentiam et arrogantiam quorumdam monachorum circa positorum, qui, velut quadam
privilegii libertate nullam poenam metuentes, et obedire contempnentes, excommunicatos ab Episcopo et clericis
suscipere presumunt et, si quando divinum officium pro quorumdam facinoribus in termitti jubetur, indignos
quosque, oblationum spe aut quolibet favore ad sacra audienda vel etiam sumenda, irreverenter admittunt. Hujus
igitur pessimi exempli timore, dubitatum est diuque dilatum capellam predictam monachis concedi ne et ipsi,
contra ecclesie Suessionensis justiciam et ad dampnum ejus, insolenter agerent, excommunicatis et indignis
communicando et, contra prohibitionem, divinum officium facere presumendo, precipue illo in castello unde contra
Suessionensem ecclesiam violentie et injusticie frequenter erumpere consueverunt.
Sed nichil tale hoc metuendum esse domnus abbas predictus venerabilis Guillelmus litteris suis mandavit et
postea, in capitulo Suessionensi presens, cum multis religiosis monachis suis, viva voce confirmavit,
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 50
considentibus domno Lisiardo episcopo et domno Tetbaldo, priore Sancti Martini de Campis, multisque honestis
personis. Ibi igitur concessio, talisque constitutio approbata est a predictis patribus et personis, ut monachi in
predicta capella manentes, Suessionensi episcopo et capitulo obedientes semper sint hoc modo ut, si quando
Suessionensi ecclesia, vel per scriptum vel per certum legatum, eis prohibuerit divinum officium facere, vel ubi
ipse dominus castelli fuerit, vel familia ejus, vel quilibet ex castello, vel quemcumque pro injuria ecclesie divinum
officium non habere censuerint, diligentes observent eo modo quo eis mandabitur. Quod si mandatum illud
violasse aliquis monachorum arguetur, veniat in Suessionense capitulum culpam hanc vel negaturus vel
emendaturus, ut servitur Deo obedientia, AeclesiĂŠ pax et unitas ubique tencatur. At si quis adeo contumax
extiterit, ut mandatum non observasse parvipendat, et predicto modo satisfacere contempnat, iste nec apud
abbatem aut fratres Majoris-monasterii refugium aut susceptionem inveniat, donec in predicto capitulo culpam
illius inobediente aut excuset aut emendet. In hoc autem constitutione pariter collaudatum est ut, quoniam omnes
Deo servientes tam clerici quam monachi, beneficiis ecclesiasticis et fidelium oblationibus ali habent, ecclesie
Suessionensis que tanti boni et aliorum multorum frequenter erga Sancti Martini monachos benigna extiteret,
quotannis de eadem capella x solidos accipiat, in anniversario domni LISIARDI episcopi, tam ejus in vita quam
post vitam. Hanc autem constitutionem, inter Suessionensem ecclesiam et monachos predictos, ut utrimque certa
et inmutata permaneat, placuit cyrographi memoria contineri hoc modo, salvo episcopali et archidiaconali jure.
S. LISIARDI episcopi. S. BERNARDI decani. S.FULCONIS prepositi. S. ANSCULFI archidiaconi. S. PETRI
archid. S. EBALI archid. S. HUGONIS precentoris. S. Hugonis sacerdotis. S. Odonis sacerd. S. Johannis sacerd.
S. Rodberti diac. S. Gualteri diacon. S. Herberti diac. S. Laurentii diac. S. Tetbaldi, Ivonis, Hugonis, Odonis, item
Tetbaldi, item Tetbaldi, Ansculfi, item Hugonis, Blihardi, subdiaconorum. S. Ingelbertuli, Leonelli, Ivoli,
accolitorum. Anno Dominice Incarnationis 1113, epacta 12, VIIII Kal. Novembris, data est regnante LUDOVICO
anno 6. Ego BERNARDUS cancellarius subscripsi.
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 51
NOTES
1
Cette thÚse est développée dans les deux articles publiés par le
Bulletin
Monumental en 1958 :Harmand 1958.
2
Cette thÚse a été argumentée devant les Antiquaires de France en 1960 : Harmand 1960. Elle sert de trame au
grand Ćuvre, publiĂ© en 1983 : Harmand 1983.
3
Jâavais dĂ©jĂ eu lâoccasion de souligner, Ă propos du chĂąteau de lâanalyse de MontĂ©pilloy par le mĂȘme auteur, Ă
quel point il pouvait tordre la réalité architecturale pour la faire coller à un schéma de pensée : voir
Harmand 1979, Mesqui 1979. De mĂȘme, jâavais Ă©mis des doutes sur la seconde des thĂšses de Jacques
Harmand en analysant le rĂŽle des architectes de Louis dâOrlĂ©ans : Mesqui 1982.
4
Carlier 1764, I, p.235. Il est cocasse de lire la description du « premier chùteau » par Carlier, qui correspond trait
pour trait au chùteau neuf : « un grand et majestueux donjon, accompagné de deux tours énormes par
leur grosseur et lâĂ©paisseur de leurs murs, en dĂ©fendoit lâaccĂšs⊠». Aucun des prĂ©dĂ©cesseurs de Carlier
nâa jamais Ă©mis pareille hypothĂšse, quâil sâagisse de Bergeron et de Muldrac ; Jacques Harmand le
reconnaĂźt dans son article de 1958 (Harmand 1958, p.176-177), sans pour autant malheureusement que
ceci influence son jugement.
5
Incendie le 28 août 1865 : voir Wyganowski 1858-85, à la date.
6
De ce point de vue, lâaffirmation par Caillette de lâHervilliers quâil tenait pour certain que les fondations du
premier chĂąteau « avaient Ă©tĂ© dĂ©couvertes aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siĂšcles sur lâemplacement actuel
de la ferme du Rocher » est parfaitement gratuite ; Jacques Harmand la reprend malheureusement pour
argent comptant. Lâauteur est tellement Ă court quâil va jusquâĂ utiliser un argument incroyable : celui de
la prĂ©sence dâentrĂ©es de caves en fond de vallĂ©e, prĂšs de Saint-Sulpice, dont il pense quâil sâagit
dâentrĂ©e de souterrains (bouchĂ©s, bien sĂ»r !) servant de sortie de fuite au « chĂąteau du Rocher »
implantĂ© quarante mĂštres plus haut⊠Harmand 1958, p.248 et suiv. cite pĂȘle mĂȘle tous les Ă©rudits du
XIX
e
siĂšcle qui accordaient foi Ă cette lĂ©gende, quâil reprend en lâargumentant, ce qui fait le bonheur de
tous les tenants de souterrainsâŠ
7
La structure double de lâĂ©glise Saint-Sulpice, avec une nef servant aux offices paroissiaux sĂ©parĂ©e du chĆur
abritant les offices des moines, est encore parfaitement lisible ; la cure était à la présentation du prieur :
Longnon 1908, p.117F ; on sâĂ©tonne que Jacques Harmand ait pu imaginer lâexistence dâune autre Ă©glise
paroissiale (Harmand 1958, p.254, n.3). Sur lâhistoire de lâĂ©glise, voir Sandron 1997 : vers 1085, lâĂ©vĂȘque
Hilgot remettait le patronage de la cure au doyen du chapitre de Soissons.
8
Carlier 1764, I, p.235 et suiv. Il nâest pas utile de reprendre ici les auteurs plus anciens (Bergeron 1583, Muldrac
1662), analysĂ©s et critiquĂ©s par Carlier. En 1085, Helgot, Ă©vĂȘque de Soissons et successeur de Thibaut,
rappelle lâhistorique, et le don par Thibaut ; cependant, constatant que la cure est nĂ©gligĂ©e, il en attribue
la collation au doyen du chapitre cathédral de Soissons ; il réserve 5 sous par an au chapitre Saint
Gervais prĂ©existant (sans doute en cours dâextinction), et le reste des revenus Ă Marmoutier (
Gallia
Christiana
, t.X,
Instrumenta
, col.100).
9
En 1089, Nivelon II abandonnait la corvĂ©e quâil imposait aux hommes du chapitre de Notre-Dame de Soissons
habitant Ă Chelles
ad munitionem sui castri
(BnF, coll.Picardie, vol.233, fol.274-276, cité par Brunel
1994, p.12 et n.14). Vers 1100, au contraire, il obtint trois jours de service annuels de certains hommes
de Saint-LĂ©ger-aux-Bois
ad firmitatem castri mei
(Bibl. mun. de Bordeaux, manuscrit 770, fol.73 verso-74
recto, cité par Brunel 1994, p.12 et n.15).
10
Annexe 1.
11
Voir en particulier Carlier 1764, t.III, p.189-190.
12
Annexe 2.
13
Harmand 1958, p.255, commet cette erreur dâinterprĂ©tation.
14
Ce type dâorganisation est encore parfaitement lisible dans les chĂąteaux qui ont maintenu des
mlites castri
au-
delĂ du XII
e
siÚcle : voir par exemple Excideuil (Rémy-Séraphin 1998). La collégiale seigneuriale castrale
est toujours située dans la basse-cour, comme par exemple à Montreuil-Bellay.
15
Fawtier-Maillard 1954, n°882.
16
Carlier 1764, t.II, p.47.
Recueil des Historiens de la France
, t.22, Paris, 1865, p.632.
17
Muldrac 1662, p.16-17, 75.
18
Carlier 1764, I, p.236.
19
Carlier 1764, II, p.356.
Recueil des Historiens de France
, t.22, Paris, 1865, p.560.
20
Longnon 1908, p.116
E
.
21
Carlier 1764, II, p.357
22
Carlier fit-il confusion avec la charte des années 1100 ? Le doute est permis.
23
BnF, p.o. 2156, publié par Mesqui-Ribéra-Pervillé 1980, p.333-335
.
24
Carlier 1764, t.II, p.47. Agathe mourut en 1192, retirée au monastÚre de Saint-Jean-aux-Bois ; Philippe
Auguste, pour sa part, acquit en 1185/86 la seigneurie Ă©minente de lâĂ©vĂȘque de Soissons, et en 1193
dédommagea Gaucher de Chùtillon, un de ses héritiers, en compensation de la cession de la
chĂątellenie. Voir Brunel 1994, p.18.
25
Recueil des Historiens de la France
, t.22, Paris, 1865, p.632. Fawtier-Maillard 1954, t.I, n°860, 893, 1670.
26
Wyganowski 1858-1885, à la date : « Les terrassiers en faisant les déblais de terres au-dessus des murs de la
poterne, vis-Ă -vis le pont-levis, ont dĂ©couvert les restes dâun bĂątiment avec son perron. Cette
construction est faite en matériaux trÚs mal appareillés, presque bruts, comme les murs de la poterne et
autres dont les traces se trouvent dans le parc ; peut-ĂȘtre ce sont les restes de lâancien chĂąteau et de
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 52
son enceinte, le chĂąteau qui a existĂ© avant celui quâon voit Ă prĂ©sent. Lâinspecteur a fait dĂ©blayer le
terrain autour de ces constructions ».
27
Harmand 1958, p.192-193.
28
En utilisant les minutes dâun inventaire non datĂ©, dressĂ© avant 1749, date de sa mort, par Jacques-Louis Minet,
prĂ©sident du prĂ©sidial de CrĂ©py, lâauteur identifia ces restes avec lâĂ©glise Saint-Jacques (Harmand 1958,
p.193 ; Harmand 1960, p.172-173 ; Archives nationales de France, R
4
126 ; date du décÚs de Minet
dans Carlier 1764, t.III, p.62). Le prĂ©sident Minet affirmait quâavant les guerres de la Ligue, cette Ă©glise
collĂ©giale Ă©tait « devant la porte du chĂąteau » (sans doute pensait-il au sud ?), et quâĂ son Ă©poque elle
Ă©tait dĂ©molie et en ruines ; mais le prĂ©sident Minet nâapportait aucune preuve de ses dires, postĂ©rieurs
de plus dâun siĂšcle Ă la ruine du chĂąteau et de son environnement direct, et Jacques Harmand les reprit
sans les confronter correctement Ă la mention de 1399, quâil avait tronquĂ©e de la rĂ©fĂ©rence au marchĂ©
de Pierrefonds. De plus, pour justifier encore son hypothĂšse, Harmand 1960, p.173, fait pruve de
tromperie dĂ©libĂ©rĂ©e, puisquâil nâhĂ©site pas Ă crĂ©diter Joachim Duviert dâune reprĂ©sentation des restes
« dâune ancienne Ă©glise dĂ©diĂ©e Ă saint Jacques », « masure marquĂ©e de la lettre D en avant et Ă droite
du chĂąteau ». Or de fait, lâartiste reprĂ©sente sous la lettre D une construction apparemment ruinĂ©e, qui
pourrait correspondre aux ruines du bĂątiment Ă perron ; mais le dessin de Duviert nâa jamais Ă©tĂ©
lĂ©gendĂ©,et lâon chercherait en vain sur sa gravure la signification de cette lettre D (B.n.F.,
Cab.Estampes, Vx 23 rĂ©s.). Or le texte de 1399 permet dâexclure dĂ©finitivement quâil se soit agi de Saint-
Jacques ; celle-ci se serait trouvée bien trop au sud par rapport au marché de Pierrefonds, et à la tour en
cours de destruction.
29
Wyganowski 1858-1885, Ă la date : « Ă lâextrĂ©mitĂ© du bĂątiment des remises, en faisant les dĂ©blais, les
terrassiers ont dĂ©couvert une poterne avec mĂąchicoulis ». Harmand 1960, p.171-172, en faisait lâun des
angles de lâenceinte du « manoir dâOrlĂ©ans », estimant quâil sâagissait dâun vestige des annĂ©es 1393-97,
ce qui stylistiquement est absurde.
30
Je remercie Denis Rolland, prĂ©sident de la SociĂ©tĂ© historique et archĂ©ologique de Soissons, dâavoir bien voulu
me faire connaßtre ce magnifique ensemble gothique, vraisemblablement datable des années 1300,
ancienne ferme de lâabbaye Notre-Dame de Soissons. Marie-JosĂ© Salmon, dans sa belle Ă©tude des
fermes du Soissonnais, avait bien notĂ© le caractĂšre curieux de lâouverture externe pratiquĂ©e Ă la base
dâune tour rectangulaire bĂątie au devant de la façade principale ; elle Ă©crivait « un simulacre de poterne,
dont la destination est imprécise, une sorte de « cheminée assommoir » se trouve dans le linteau de son
seuil » : voir Salmon 1971, p.115-117. Ici comme Ă Pierrefonds, aucun doute nâest permis sur la fonction
de fosse de latrine ouverte, puisque lâarc externe donne sur un espace fermĂ© dont la voĂ»te Ă©tait percĂ©e
par le conduit de latrine.
31
Sandron 1997.
32
On peut noter cependant sur le rebord ouest de la plus méridionale des deux carriÚres qui suivent la grande
tranchĂ©e vers le nord, un fragment de maçonnerie qui pourrait ĂȘtre ancien et correspondre Ă une
fondation ; il se situe Ă la crĂȘte du « cavalier » de Viollet-le-Duc.
33
Wyganowski 1858-1885, au 8 novembre 1858 et ensuivant : « Les terrassiers ont commencé les déblais de la
grande tranchée de la route descendant à mi-cÎte de la montagne Terjus. La réparation de la route de la
plaine est terminée ».
34
Carlier 1764, t.II, p.353-354.
35
Recueil des actes de Philippe-Auguste
, ed. H.-Fr.Delaborde, t.I, n°472, p.564. L.Delisle,
Catalogue des actes
de Philippe Auguste
, Paris, 1856, n°1440.
36
Recueil des Historiens de France
, t.24, Paris, 1904, p.285.
37
Fawtier-Maillard 1954, t.I, n°1785, 4786, 4787.
38
Recueil des historiens de France
, t.21, Paris, 1855, p.508.
39
Mesqui 1977, p.110 et note 26. Archives nationales de France, KK 287, f°28 verso.
40
Mesqui-RibĂ©ra-PervillĂ© 1980, p.332-333, piĂšces IVb et IVc. Cette derniĂšre date bien dâavril 1397, et non 1398
comme improprement indiqué dans le titre de la transcription.
41
Mesqui-Ribéra-Pervillé 1980, p.317.
42
Voir Mesqui 1998. Sur lâutilisation du terme, voir, pour le contexte savoyard, la mise au point de Daniel de
Raemy dans le contexte savoyard (De Raemy 2004, I, p.87-88) ; pour le contexte limousin, Christian
RĂ©my a lui aussi fait une mise au point tendant aux mĂȘmes conclusions (RĂ©my 2005-2006, II, p.73).
43
LâinterprĂ©tation fournie par Jacques Harmand est ici particuliĂšrement pernicieuse : tronquant la mention
comptable de 1399, il utilisa la mention du « préau » indépendamment de celle de la vis pour justifier de
lâexistence dâune enceinte gĂ©nĂ©rale du « manoir » de Louis dâOrlĂ©ans : « un projet de cour vers le nord-
est (âŠ) entourĂ© dâune muraille plus ou moins fortifiĂ©e dont lâaplomb devrait avoir correspondu Ă celui de
la future cour castrale : Harmand 1983, p.90 et fig.20.
44
Voir note 23.
45
Harmand 1960, p.163. Lâauteur estimait dans cet article que deux autres tours flanquaient le « manoir » au
nord-ouest et au sud-est ; elles auraient Ă©tĂ© dĂ©truites en mĂȘme temps que celle du sud-ouest. Puis, en
1983, lâauteur revint sur cette hypothĂšse dans son plan publiĂ© Ă la fig.20, ainsi que dans son texte
(Harmand 1983, p.99 et suiv.) ; à cette époque, il pensait en définitive que seules deux tours, au sud-
ouest et nord-est, assuraient le flanquement, le deux autres angles étant flanqués par des contreforts
supportant des Ă©chauguettes. Ă noter que, dans on plan lâauteur dĂ©forme la rĂ©alitĂ© du contrefort nord-
ouest, qui nâest nullement diagonal ; il suppose lâexistence de celui du sud-est.
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 53
46
Wyganowski 1858-1885, vol.1, au 21 janvier 1858. CitĂ© par Harmand 1983, p.87, qui en dĂ©duit quâil ne
sâagissait donc pas dâun remblai, alors quâon peut sans doute tirer la conclusion exactement inverse, les
vestiges archéologiques se trouvant sans doute encore conservés au-dessous.
47
Champollion-Figeac 1844, p.295-296.
48
Jâavais rejetĂ© cette hypothĂšse en 1982, tout en Ă©mettant lâidĂ©e que le « manoir » aurait pu ĂȘtre Ă©difiĂ© par un de
ses prédécesseurs : voir Mesqui-Ribéra-Pervillé 1982, p.305-307.
49
Wyganowski 1858-1885, vol.1, au 10 mai 1858 : « Les maçons (âŠ) ont commencĂ© aussi Ă construire la
descente de cave du grand logis, pour consolider la fondation du grand perron ». Le déblaiement du
caveau nâont Ă©tĂ© menĂ©s quâavec le dĂ©blaiement gĂ©nĂ©ral du grand logis en novembre-dĂ©cembre 1859 ; le
2 décembre, Wyganowski enregistre : « Les déblais du caveau dans le grand logis étant terminés
aujourdâhui au soir, les terrassiers ont Ă©tĂ© renvoyĂ©s du chantier ».
50
Jacques Harmand est le premier auteur à avoir vraiment examiné ce caveau (Harmand 1960, p.168 ; Harmand
1983, p.102) ; malheureusement, il développa une théorie absurde suivant laquelle un niveau de caves
voĂ»tĂ© dâogives intermĂ©diaire entre le caveau et le rez-de-chaussĂ©e aurait Ă©tĂ© bouchĂ© par Viollet-le-Duc
lors des travaux de restauration, celui-ci Ă©tant par ailleurs accusĂ© dâavoir inventĂ© de toutes piĂšces les
voĂ»tes du rez-de-chaussĂ©e (voir note 73). De ce fait, Jacques Harmand finit par minimiser lâimportance
du caveau.
51
Wyganowski 1858-1885, vol.2, au 26 avril 1864 : « Les terrassiers ont commencé à faire le caveau et les
tranchées pour les conduits de chaleur du calorifÚre dans le grand logis ».
52
Lâexamen des parements ne fournit ici aucune aide ; sâils sont marquĂ©s de signes lapidaires nombreux, il sâagit
exclusivement de marques gravées en chiffres romains servant à la pose des lits, utilisés de façon quasi
universelle dans lâarchitecture mĂ©diĂ©vale soissonnaise Ă toute Ă©poque.
53
Le chĂątelet est figurĂ© dans le plan de Ămile Leblanc publiĂ© par Caillette 1860. Wyganowski dans le plan Viollet-
le-Duc-Wyganowski de 1860, nâen reprĂ©sente que la partie orientale, limitĂ©e Ă la poterne piĂ©tonne ; il en
va de mĂȘme pour tous les plans de lâatelier Viollet-le-Duc avant restauration. Wyganowski 1858-85, au 8
octobre 1858, indique que la poterne est bùtie en matériaux bruts. Il est curieux que la seconde partie de
la poterne, figurĂ©e par Leblanc, nâait pas Ă©tĂ© mise au jour Ă cette Ă©poque, oĂč on la dĂ©blayait ; faut-il
penser que ce fut cette seconde partie qui fut mise au jour le 31 janvier 1865, lorsque lâinspecteur
indique quâil « lĂšve le plan des murs dĂ©couverts devant le pont-levis » ? Quoi quâil en soit, le 3 fĂ©vrier
suivant, Viollet-le-Duc donnait les plans du nouveau chĂątelet, qui ne tenaient sans doute pas compte des
anciens murs.
54
Wyganowski 1858-1885, au 30 octobre 1865 : « Les maçons et terrassiers reconstruisent le mur Briffaut (sous
la tour Hector), ainsi que la construction de lâĂ©chauguette des grandes lices et chĂątelet (âŠ) ».
55
Caillette 1860, p.9.
56
Wyganowski 1858-85 : « Les terrassiers qui enlevaient une butte de terre qui se trouvait devant la façade du
chùteau sur la cour extérieure ont découvert une cave, le croquis ci-joint indique sa position. Cette cave
paraĂźt ĂȘtre faite en sous-Ćuvre, puisque les claveaux de la voĂ»te ne font pas liaison entre eux ; la
construction est trĂšs mauvaise, ce sont des moellons ayant 0,15 Ă 0,20 dâĂ©paisseur liĂ©s avec de la terre
glaise. Les extrémités de la cave a [
sic
] des 4 petites galeries commencées, se terminent perdues dans
la terre ».
57
Présence de signes lapidaires de pose dans la premiÚre section, aucune marque dans la seconde.
58
J.Harmand est, ici encore, le premier Ă lâavoir signalĂ©e (Harmand 1960, p.168-169), mais pour lâassimiler au
caveau prĂ©sent sous le grand logis, et en dĂ©duire quâelle appartenait au projet « primitif » de manoir de
Louis dâOrlĂ©ans, alors que tout dans la facture de cette cave montre une Ă©poque tardive.
59
Wyganowski 1858-1865, à la date : « Les terrassiers déblaient le fossé devant le chùtelet, on a découvert les 2
piles de lâancien pont ».
60
Wyganowski 1858-1885, 1
er
avril 1862 : « Les terrassiers (8) ont déblayé la poterne, environ 4m de profondeur
et ils ont dĂ©couvert Ă cette profondeur de lâancien sol une entrĂ©e conduisant vers le chĂąteau »
61
Wyganowski 1858-1885, aux dates.
62
Harmand 1958, p.187-192.
63
Wyganowski 1858-1885, au 25 février 1867 : « Les terrassiers fouillent dans la motte vis-à -vis la poterne St-
Michel, nouvellement acquise de M.Petit, on y trouve que cette motte est composée de recoupes de
pierre de taille ; peut-ĂȘtre câest le dĂ©pĂŽt du dĂ©blais du chantier primitif du chĂąteau »
64
Sur lâhistorique du chantier, voir Mesqui-RibĂ©ra-PervillĂ© 1982, et p.305-308 et les piĂšces justificatives de
fournies dans cet article Ă lâannexe. IV.
65
Monstrelet 1861, t.V, p.213-214 : « Et aprĂšs [Valeran de Saint-Pol] sâen ala au chastel de Pierrefonds, qui moult
estoit fort et défensable, et bien garni de garnisons appartenans à guerre⊠». Religieux de Saint-Denis
1842, t.IV, p.586 : «
Municipium Petri Fontis, quod amplitudine, miro decore et inusitato artificio cetera
regionis superaret
».
66
Champollion 1844, p. 295-296, transcrit un mandement de Charles dâOrlĂ©ans datant vraisemblablement du 21
février 1414 (v.st.), sans malheureusement le référencer (voir aussi Mayor s.d., p.156-157) :
« Plusieurs chambres basses et moyennes estoient demourées saines et entiÚres et [
Ăšs
] aucunes des
tours dudit chastel, des quelles tous les combles, couvertures et plus haultes chambres ont esté arses,
et par ainsi les dites chambres sont demourées découvertes ; et semblablement, au corps du donjon
dudit chastel soit demourĂ©e une chambre entiĂšre du premier estage sur les voltes des celiers dâicelui, et
tout le hault et couvertures ars et embrasés ; lesquelles chambres sont en aventure de tourner en grave
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 54
ruine par les pluyes de lâever prochain et autres ensuivans, Ă nostre trĂšs grant domage se pourveu nây
estoit ; et oultre que nostre dit chastel est du tout démontez aprÚs ladit arsure, desgarni et despourveu
de trait, dâarbalestres, de poudres, de canons et autres habillemens pertinens et convenables Ă lâamision
et deffense dâicellui, sans lesquels habillemens ne pourroit estre bonnement gardĂ©s ne deffendus en cas
de besoin : nous voulons à ce présentement estre pourveu pour eschever les inconvenniens et
dommages qui, en deffault de provision, nous pourroient avenir, attendu le temps dâhiver qui est si
prouchain, et autres causes à ce nous mouvens, vous mandons et expressément enjoingnons que, par
nostre receveur de Valois, vous, des deniers de sa recepte, faictes emploier et paier la somme de cent
livres tournois, câest assavoir cinquante livres tournois en lâachat dâarbalestres de trait, de poudres de
canon, et aussi de canons sâaucuns nâen estoient demourez audit chastel aprĂšs la dicte arsure ; et les
autres cinquante livres tournois, en ouvrages et matiĂšres pour couvrir les dictes chambres, tant des
dictes tours comme de la dicte chambre dudit donjon, de couverture légiÚre comme de chaume ou autre
semblable, affin de conserver tant les dictes comme la maçonnerie dâicelles tours, par lâordonnance du
maistre de noz ouvrages de nostre dit duchié de Valois, jusques à ce que mieux y soit par nous
pourveu ».
67
Le dessin de Duviert montre clairement en capitale de la tour sud-ouest (tour CĂ©sar), la ruine du parement due
aux canonnades de 1593.
68
Sur lâhistoire du chĂąteau aux XVI
e
et XVII
e
siÚcles, voir Harmand 1983, p.171-187, bien mieux documenté et
critique que tous ses prĂ©dĂ©cesseurs. Lâauteur met ainsi fin Ă la lĂ©gende invraisemblable selon laquelle
une canonnade eût fait écrouler la tour majeure du sud-ouest (tour César).
69
Harmand 1983, p.98, et Mayor s.d., p.30-31, ont interprété le dessin de Duviert comme représentant une
bretĂšche qui aurait Ă©tĂ© accrochĂ©e Ă ce pignon et lâaurait cachĂ© ; cette interprĂ©tation nâest guĂšre rĂ©aliste,
car la bretĂšche aurait eu une dimension tout Ă fait incomptable avec la taille de ce pignon.
70
Les plans fournis ici rĂ©sultent dâune analyse comparĂ©e des divers plans existants dans les premiĂšres annĂ©es
de la restauration : en premier lieu le plan de Viollet-le-Duc dans sa notice de 1857 (Viollet-le-Duc 1857),
reproduit Ă lâidentique dans le
Dictionnaire
; en second lieu le plan dit de Wyganowski par Jacques
Harmand, signé Viollet-le-Duc, daté de 1859 (CRMH n°2325, cliché n°310790), qui distingue par des
hùchures les parties non conservées à cette époque (publié par Harmand 1983, fig.7) ; enfin le plan de
Ămile Leblanc de 1860, publiĂ© dans Caillette 1860 (reproduit par Harmand 1983, fig.6).
71
Bien que lâidentification des Preux figurant sur les tours ne soit pas avĂ©rĂ©e, je reprendrai ici lâappellation
officielle. On sait en particulier que le César remonté sur la tour sud-ouest a été copié sur un fragment
de statue retrouvĂ© au pied de cette tour, conservĂ© dans le musĂ©e lapidaire ; or la cote dâarmes porte
lâaigle bicĂ©phale barrĂ© dâune cotice (brisure) de Bertrand du Guesclin ; voir Mayor s.d., p.55, qui estimait
que le sculpteur avait représenté César sous les traits du célÚbre chevalier, et Harmand 1983, p.39, qui
réfute vivement cette hypothÚse (cliché avant restauration MH 55P01075). Le Charlemagne remonté
(Mayor s.d., p.42) a été partiellement copié sur un original restauré et conservé dans la statuaire (cliché
avant restauration MH 55P01074) ; curieusement, la statue remontée a été affublée de la couronne
impĂ©riale alors que la statue originelle portait un haume Ă visiĂšre ; la cote dâarmes porte lâaigle impĂ©rial.
Harmand propose dâidentifier cette statue Ă CĂ©sar, mais ne donne aucune justification plausible. Par
ailleurs, seules Ă©taient encore en place au moment de la restauration les statues de la tour de la
chapelle (Judas MacchabĂ©e) et de la tour nord-est (Hector), qui furent restaurĂ©es et remises en place â
mais on ignore dans quel Ă©tat exact elles se trouvaient au moment de la restauration, ni si elles
permettaient effectivement une identification formelle
; leurs socles sont aujourdâhui dĂ©pourvus
dâinscriptions (voir photos dans Mayor s.d., p.56-57). La statue dâArtus (Mayor s.d. p.55) a Ă©tĂ© resculptĂ©e
Ă partir dâun torse non identifiĂ© conservĂ© dans la statuaire (clichĂ© MH 55P01082) ; on ignore si ce torse a
été retrouvé à proximité de la tour.
72
Cet ensemble a été bien analysé et décrit par Viollet-le-Duc au plan de son fonctionnement, en particulier dans
son
Dictionnaire
: Viollet-le-Duc 1854-1868, t.V, p.85-92. Les plans fournis par lâarchitecte du rez-de-
chaussée, du premier et du troisiÚme étage, antérieurs à sa restauration, comportent une part de
restitution importante qui doivent cependant les faire considérer comme peu fiables. Les plans, coupe et
élévation fournis ici ont été dressés à partir du plan de Viollet-le-Duc-Wyganowski 1859, pour le rez-de-
chaussĂ©e, et par lâanalyse de deux documents principaux : la photographie de MĂ©dĂ©ric Mieusement de
la façade intérieure du logis, antérieure à la restauration, prise vers 1860-61 (MédiathÚque du
Patrimoine, phototype n° MH0002151) ; la planche n°123, p.184 du t.III des
Voyages pittoresques et
romantiques dans lâancienne France
,
Picardie,
due à Bichebois, représentant les ruines de la tour carrée
et du logis avant 1845.
73
Sans aucune exception, toutes les descriptions anciennes mentionnent un niveau voûté au rez-de-chaussée et
trois Ă©tages ; ceci correspond dâailleurs au texte du mandement de 1415. Ce rez-de-chaussĂ©e Ă©tait
enterrĂ© avant les travaux de restauration, du fait de lâaccumulation de matĂ©riaux provenant de la
destruction. La photographie antérieure à la restauration conservée à la MédiathÚque du Patrmoine,
n°MH0002151, reproduite à de nombreuses reprises (voir par exemple Harmand 1983, fig.18) montre
distinctement les départs des voûtes dans les angles.
74
La porte et le couloir dâentrĂ©e sont figurĂ©s dans le plan de Wyganowski de 1860, que lâon ne peut soupçonner
dâavoir travesti la rĂ©alitĂ©. De mĂȘme, ce plan figure lâescalier Ă rampes droites encadrant un petit local
rectangulaire. Cette partie a été restaurée par Viollet-le-Duc en respectant le plan au sol.
75
Bonne restitution des cheminées du premier et du second étage dans Verdier-Cattois 1855, t.II, p.209.
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 55
76
Viollet-le-Duc ne représente pas la seconde de ces portes dans ses plans antérieurs à la restauration ; il ne
lâavait manifestement pas remarquĂ©e, bien quâelle ait Ă©tĂ© parfaitement visible.
77
Harmand 1983, p.98-99. La restauration de Viollet-le-Duc est ici outranciĂšre, avec quatre lancettes et un
Ă©norme oculusâŠ
78
La photographie intérieure de la façade due à Mieusement, citée en note 72, montre de pareilles saignées dans
les Ă©brasements des fenĂȘtres de la chambre sud ; en revanche, il ne semblait pas y en avoir dans celles
de la travée nord.
79
MédiathÚque du Patrimoine, photo de Charles Marville, vers 1860, cliché MH67656. Voir aussi la photo de
Ădouard-Denis Baldus conservĂ©e au MusĂ©e de la voiture de CompiĂšgne, provenant de lâAlbum
photographique du train impérial (RMN 192225, cliché 96-018560).
80
Plan du 31 décembre 1859 : MédiathÚque du Patrimoine, cliché n°56N22061.
81
Wyganowski 1858-1885, à la date du 25 novembre 1862 : « Les terrassiers enlÚvent les terres de la tour
[voisine du pont-levis]. On découvre le dallage et au milieu de la tour un vide de 2m40 de diamÚtre, peut-
ĂȘtre un puits ou une citerne, dans tout le cas nous avons trouvĂ© de lâeau Ă 0m30 en contrebas du
dallage de la tour qui est de 0,30 plus haut que le sol de la cour ». Puis, le lendemain : « Les terrassiers
ont trouvĂ© ce matin que lâeau a montĂ© de quatre centimĂštres au-dessus le niveau que nous avons laissĂ©
hier au soir, dans le trou au milieu de la grosse tour attenant au pont. AprĂšs avoir enlevĂ© lâeau, plus de
30 seaux, nous avons continué les déblais, mais à 1m65 en contrebas de la cour intérieure du chùteau
nous avons reconnu que câest un trou fait dans le massif de la grosse tour et lâeau provenait
probablement des infiltrations des eaux pluviales à travers les joints de maçonnerie ». On voit
aujourdâhui encore dans le sol de la tour sud (tour Charlemagne) une dĂ©pression centrale circulaire
encerclĂ©e de maçonnerie, qui pourrait avoir la mĂȘme origine.
82
Rappelons que les diamÚtres des tours maßtresses de Philippe Auguste variaient entre 9,5 m (Montlhéry) et
20 m (Bourges), la majoritĂ© dâentre eux sâĂ©chelonnant entre 12 et 15 m. Ă titre de comparaison, les tours
de flanquement de Coucy avaient 18 Ă 20 m de diamĂštre. Pour Coucy, voir Mesqui 1994-2.
83
Ce secteur était rasé, et enfoui au début des travaux de restauration ; cependant, il avait été fouillé
antĂ©rieurement par Questel et Leblanc. Jacques Harmand cite lâĂ©rudit Caillette de lâHervilliers qui Ă©crivait
en 1860 : « une porte pratiquée dans une voûte joignant la tour carrée⊠et la chapelle », « fermée par
des vantaux et une hersse » (Caillette 1860, p.114 ; voir aussi Harmand 1983, p.114). Cependant,
contrairement Ă ce que pensait Harmand, Caillette ne fit quâinterprĂ©ter ce quâil voyait Ă lâĂ©poque, dâajĂ
affecté par la restauration ; mieux vaut se base sur les plans de Viollet-le-Duc 1857, Wyganowski-Viollet-
le-Duc 1859, et Leblanc 1860, qui figurent la porte.
84
Voir note 72 ; publiée par Harmand 1983, fig.19.
85
Harmand 1983, p.114-115.
86
Je remercie vivement Daniel Defente, conservateur du MusĂ©e municipal de Soissons, des documents quâil a
bien voulu me communiquer en 1992 pour lâĂ©tude de cet Ă©difice. Sur lâhistoire gĂ©nĂ©rale du bĂątiment, voir
Ancien 1969-72. Lâordonnance de Charles VI du 29 dĂ©cembre 1411 rĂ©unissant Soissons Ă la couronne
est publiée sans les
Ordonnances des Rois de France
, t.IX, Paris, 1755, p.664-666 : « âŠfeu Enguerran
seigneur de Coucy qui lors estoit conte et viconte dudit Soissons fist de fait et de nouvel construire et
ediffier un chastel qui encores est, tant au-dedans comme au dehors de ladicte ville, parmi et en
dĂ©rompant les murs de la closture dâicelle⊠». Curieusement, H. Martin et P.-H. Jacob,
Histoire de
Soissons
, 1837, p.243, créditent correctement Enguerrand VII de la construction, puis, à la p.273,
lâattribuent sans preuve Ă Louis dâOrlĂ©ans entre son acquisition du comtĂ© de Soissons en 1400 et sa
mort en 1407.
87
Mesqui 1994-2.
88
Mesqui 1980, p.309. Voir aussi Mesqui 1991, p.201. Les contreforts diagonaux sont souvent associés à la
prĂ©sence, en partie supĂ©rieure, dâĂ©chauguettes dâangles, comme câest le cas Ă La FertĂ©-Milon et
Pierrefonds ; de trÚs nombreux exemples existent dans ce sens à partir de la seconde moitié du XIV
e
siĂšcle, mais plutĂŽt dans un contexte dâĂ©difices de second ordre, manoirs ou logis â on penserait ainsi Ă
Rauzan en Gironde, oĂč un contrefort de ce type supporte une Ă©chauguette dâangle du logis sur la cour
intĂ©rieure. Dâautres exemples existent frĂ©quemment dans des manoirs. En revanche, les tours
maßtresses utilisant ce type de dispositif sont peu fréquentes ; on citerait la tour de Bassoues dans le
Gers, antérieure à 1370, celle de la Chaise-Dieu dans la Haute-Loire, antérieure à 1378. Dans le Pas-
de-Calais subsiste une belle tour maĂźtresse Ă©quipĂ©e de tels contreforts supportant des tourelles dâangle,
la tour de Bours, bĂątie vers 1400.
89
André 1983. Plus généralement, on songerait également à la mode des logis sur porte bretons, dérivant du
modÚle des « gatehouses » anglaises.
90
Chave 2003, p.219-230.
91
Jacques Harmand avait dĂ©jĂ fait cette remarque, contestant lâinterprĂ©tation de Viollet-le-Duc, et suggĂ©rant,,
aprÚs des interprétations liées à la conception défensive : « enfin il y a lieu de se demander si en dépit
de son peu dâensoleillement cette cour nâa pas eu, quand les temps le permettaient, une troisiĂšme
fonction, purement civile celle-ci : fournir le cadre dâun petit jardin intĂ©rieur sous les fenĂȘtres et Ă portĂ©e
de lâentrĂ©e du manoir-donjon » (Harmand 1983, p.113).
92
Wyganowski 1858-85, à la date du 28 novembre 1859 : « 7 terrassiers continuent à déblayer la petite cour
derriĂšre la tour carrĂ©e ; cependant lâinspecteur ne trouvant pas dans ces dĂ©blais que du sable rapportĂ©
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 56
et ne voyant pas de traces de lâancien pavage de la cour, il a fait faire seulement une tranchĂ©e au long
du mur de la tour carrée et de la poterne nouvellement construite ».
93
Viollet-le-Duc 1854-1868, t.VII, p.379-382. Jacques Harmand lâaccuse de sâĂȘtre inspirĂ© de Caillette de
lâHervilliers, qui Ă©crivait en 1860 que les contreforts faisaient partie dâune poterne qui « ne devait servir
quâĂ lâapprovisionnement du chĂąteau au moyen dâun treuil et dâun plan inclinĂ© sensables Ă ceux qui
servent encore aujourdâhui pour monter les provisions du Mont-Saint-Michel » (Caillette de lâHervillier
1860, p.14), mais il est probable au contraire que Caillette prit son inspiration auprĂšs de Viollet-le-Duc
qui avait étudié le chùteau depuis longtemps (Harmand 1983, p.63).
94
MédiathÚque du Patrimoine, photo de Charles Marville, vers 1860, cliché MH6699 et 6700.
95
Harmand 1983, p.67.
96
Wyganowski 1858-1885, à la date du 16 avril 1863 : « Les terrassiers ont découvert dans les déblais la niche et
la statue représentant St Michel (2m00 de haut). Tout cela était au pied de la chapelle et de la poterne
de la petite cour derriÚre la tour carrée ». Mauvaise lecture par Harmand 1983, p.149 n.154, qui
mentionne que seule la niche aurait Ă©tĂ© retrouvĂ©e, la statue lâayant Ă©tĂ© par les dĂ©gagements de Questel
et Leblanc. Voir photo de la statue telle que retrouvée à la MédiathÚque du Patrimoine, cliché MH
55P01093 ; état aprÚs restauration dans le dépÎt lapidaire clichés MH 79P00789 et 90.
97
Voir note n°21. Caillette de lâHervillier 1860, p.15, reprend lâaffirmation de Carlier, dont il nây a guĂšre lieu de
douter ; Viollet-le-Duc la fera sienne Ă©galement, au point de se faire figurer en tant que saint Jacques
dans la chapelle.
98
Lâaquarelle de Viollet-le-Duc intitulĂ©e « Pierrefonds, chĂąteau, vue cavaliĂšre du chĂąteau en partie restaurĂ© »,
conservée aux Centre de recherche des Monuments Historiques (reproduction à la RMN, cliché n°79-
001708) semble indiquer quâen 1858 subsistait la base Ă arcades du mur sud de la nef ; mais ceci est
contredit par le dessin publié dans les
Voyages pittoresques et romantiques,
vol.III, pl.122 (publié par
Harmand 1983, fig.15) ; voir aussi le dessin de Félix Thorigny reproduit en fig.32. Cette figuration résulte
peut-ĂȘtre du mĂ©lange de reprĂ©sentation de lâexistant, et de restauration projetĂ©e, dans cette aquarelle
par ailleurs remarquable.
99
Aquarelle intitulĂ©e « ChĂąteau de Pierrefonds du cĂŽtĂ© de la forĂȘt de Villers-Cotterets », conservĂ©e Ă la BnF, Est.
Rés. Ve-26i-Fol., publiée par Harmand 1983, fig.13. Wyganowski 1858-85, au 22 avril 1858 : « demande
de nouveaux dĂ©tails de la porte dâescalier de la poterne [de la tour carrĂ©e] par suite de nouvelles
dispositions du plan, qui ont été découvertes en démolissant le massif du perron de la chapelle ».
100
Jacques Harmand rejette cette hypothÚse, faisant du local un « magasin à vivres et à redevances
ecclĂ©siastiques » (Harmand 1983, p.109). Il sâagit dâune hypothĂšse aussi fantaisiste quâabsurde, car lâon
ne voit guĂšre pourquoi lâon aurait rĂ©servĂ© un local aussi difficilement accessible, au surplus uniquement
depuis la chapelle, pour une telle vocation. Sur lâinterprĂ©tation en tant que salle capitulaire, GourĂ© 1841,
p.285, Dangu 1913, p.109.
101
Si les dimensions des cÎtés des chùteaux philippiens varient fréquemment entre 50 et 80 m, on pourrait
trouver des exemples dâenceintes plus vastes antĂ©rieures Ă La FertĂ©-Milon, comme celles des chĂąteaux
de Courtrai et de Lille, bĂątis Ă la fin du XIII
e
siĂšcle par Philippe le Bel, oĂč le module varie entre 100 et
170 m (Blieck 1997) ; mais il sâagissait ici de vĂ©ritables camps de guerre ou citadelles avant la lettre, et
non de chĂąteaux de type privatif. Voir Harmand 1983, p.31-32.
102
Les diamĂštres sont les suivants : Tour ouest (Arthus) : 9,6 m. Tour nord-ouest (Alexandre) : 10,8 m. Tour nord
(Godefroy de Bouillon) : 11 m. Tour nord-est (Josué) : 12 m. Tour est (Hector) : 11,8 m. Tour sud-est
(Judas Machabbée, chapelle) : 12,3 m. Tour sud (Charlemagne) : 16 m. Tour sud-ouest (César) :
15,6 m. Les dimensions fournies par Harmand (Harmand 1983, p.42) sont inutilisables car mesurées au
pied des courtines, compris le fruit.
103
Harmand 1983, p.43.
104
Viollet-le-Duc 1854-1868, t.VI, p.168-169.
105
Voir note 70. Dessin dâAuguste-Victor Deroy, conservĂ© Ă la BnF, Est., Coll.Destailleur, publiĂ©e par Harmand
1983, fig.25.
106
Cette tour a Ă©tĂ© entiĂšrement restaurĂ©e intĂ©rieurement, mais respecte les dispositions originelles â si ce nâest,
ici encore, les latrines Ă la turqueâŠ.
107
Harmand 1983, p.72-79.
108
Voir note 66.
109
Les cachots supérieurs de toutes les tours contiennent de nombreux graffitis (il eût été impossible aux
prisonniers dâen rĂ©aliser dans les cachots infĂ©rieurs, dĂ©pourvus de toute lumiĂšre). Lâun de ces graffitis,
relevé Wyganowski et publié par Mayor s.d., p.25, a été lu « Gille de Flavy » ; je lis pour ma part « Gulle
de Flowy ». Le 10 mars 1864, Wyganowski rapporte que « les terrassiers ont découvert un squelette
dâhomme au fond de lâoubliette de la tour du milieu, Alexandre (façade Ouest) » (Wyganowski 1858-
1885, Ă la date) ; ceci devint, dans lâarticle « Latrines » du
Dictionnaire
« dans la cachot de la tour du
milieu (ouest), nous avons découvert un squelette de femme accroupi dans la niche formant siÚge
dâaisances » (Viollet-le-Duc 1854-1868, t.VII, p.483). Le 19 novembre 1859, Wyganowski remit Ă Viollet-
le-Duc un mĂ©moire judiciaire de 1600 : « Lâinspecteur des travaux a remis Ă M.Viollet le Duc une feuille
de papier trouvĂ©e dans lâoubliette de la tour N.Est ; câest un mĂ©moire pour le nommĂ© Picart adjoint du
substitut du baillage de CompiĂšgne, contre Charpentier substitut du substitut du Procureur royal dudit
CompiĂšgne. Ce mĂ©moire est datĂ© de 1600, câest-Ă -dire 17 ans avant le bombardement et la destruction
du chùteau de Pierrefonds » (
ibid.
).
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 57
110
Vincennes : voir biblio Faucherre et Chapelot.
111
Rapin 2005, p.254-255, 258-259.
112
Voir lâouvrage collectif
Sous les pavés, la Bastille
, Paris, 1989, et plus particuliĂšrement les articles de Corvisier
1989, Faucherre 1989, Mesqui 1989 dans cet ouvrage
113
Rapin 2005, p.254.
114
Robin 2005, p.14-15.
115
Sur tout ceci, voir Harmand 1983, p.44-52, qui, comme Ă lâhabitude, sâattaque frontalement aux thĂ©ories de
Viollet-le-Duc sur la continuité de la défense, la superposition des deux galeries, enfin la limitation des
dĂ©fenses aux parties hautes â tout simplement du fait que lâarchitecte nâa pas suffisamment distinguĂ©
dans sa thĂ©orisation de la dĂ©fense de Pierrefonds le secteur du « donjon » du reste de lâenceinte. Et
pourtant, pour lâessentiel Viollet-le-Duc avait justement analysĂ© cette dĂ©fense, mĂȘme si peut-ĂȘtre il la
« militarisait » Ă outrance, Ă lâĂ©gal dâun fort de son Ă©poque. Malheureusement, Harmand fit de mĂȘmeâŠ
116
Harmand 1983, p.115.
117
BibliothĂšque municipale de CompiĂšgne, fonds LĂ©rĂ©, ms.22. Ce fonds contient lâensemble des notes et dessins
effectués par cet érudit autodidacte ; il sont malheureusement en partie effacés par le temps, et au
demeurant sont extrĂȘmement schĂ©matiques et souvent peu clairs. La fig.24 dans Harmand 1983 a le
mĂ©rite dâavoir Ă©tĂ© redesssinĂ©e par lâauteur.
118
MédiathÚque du Patrimoine, cliché
MH0006701.
119
Caillette 1860, p.102.
120
Voir note 98.
121
Il est fascinant de voir comment les plans de restitution du chĂąteau variĂšrent de la premiĂšre Ă©ditions de la
Description du chĂąteau de Pierrefonds
de la premiĂšre Ă©dition en 1857, aux Ă©ditions suivantes ; voir
Viollet-le-Duc - Description 1857, 1861, 1865.
122
Wyganowski 1858-85 signale, le 23 novembre 1863 : « Les terrassiers ont commencé les déblais au-dessus
des voûtes conservées de la partie Ouest du chùteau ». Ces travaux de déblaiement « des caves » se
poursuivirent en décembre 1863 et janvier 1864. Le 3 février 1864, il signale : « Les terrassiers
continuent Ă dĂ©blayer lâĂ©tage souterrain du bĂątiment ouest » ; il sâagissait manifestement de la cave
inférieure, car le 1
er
mars Ă©tait dĂ©couverte lâ « oubliette » de la tour Alexandre (tour nord-ouest). Le
déblaiement des caves inférieures était terminé le 9 mars, puisque Wyganowski signale : « Les
terrassiers continuent le dĂ©blaiement de lâĂ©tage souterrain du bĂątiment Ouest ; les maçons font des
raccords par incrustement dans les parements de la façade ouest dans les étages souterrains. On pose
la 1
Ăšre
pierre de la pile portant le pignon de la grande cheminée de la salle de justice, contre la tour Nord-
Ouest (Godefroi de Bouillon) ». On peut en dĂ©duire que lâon commença par dĂ©blayer le dessus des
voĂ»tes des caves supĂ©rieures, conservĂ©es au moins sur une partie de leur Ă©tendue, puis que lâon
procéda au déblaiement des caves inférieures.
123
Ce puits a été dégagé en décembre 1863-janvier 1864, comme en atteste le journal de Wyganowski.
124
Wyganowski 1858-85, à la date du 18 février 1858, publiait un plan, reproduit par Harmand 1983, fig.21,
semblant indiquer pour le niveau inférieur une absence de rétrécissement ; malheureusement, aucun
plan ne figure de façon prĂ©cise lâĂ©tat superposĂ© des deux niveaux avant la restauration.
125
Wyganowski 1858-85, à la date du 7 octobre 1875 : « Les terrassiers ont découvert une cave devant la
poterne basse de la façade Nord-Est ». Dans sa
Description
de 1857, Viollet-le-Duc fait apparaĂźtre le
plan de ce qui paraĂźt un petit local de dĂ©fense devant la poterne ; le plan de lâĂ©dition de 1861 fait, en
revanche, apparaĂźtre un pont-levis au-dessus dâun petit fossĂ© â toutes dispositions inventĂ©es par lui sans
bases archéologiques.
126
Harmand 1983, p.130. Viollet-le-Duc pensait quâil sâagissait dâune poterne pour les rondes de la garnison en
cas de siĂšge (Viollet-le-Duc - Description 1857, p.13).
127
Viollet-le-Duc 1857, p.13-14. Le plan de Viollet-le-Duc reprĂ©sente la premiĂšre section du conduit, sâarrĂȘtant sur
le porte-voix (imaginé ?) ; trois ans plus tard, le plan de Wyganowski figure correctement le conduit dans
toute son Ă©tendue. Viollet-le-Duc 1854-68, t.III, p.157. Harmand 1983, p.139, n.498, conteste lâexistence
mĂȘme de ce conduit au motif quâil ne pouvait le voir, et pour cause, puisquâil Ă©tait intĂ©rieur aux
maçonneries restaurĂ©es⊠Pourtant, il est parfaitement visible aujourdâhui dans les parties hautes,
restaurées, du mur de refend, Viollet-le-Duc ayant restitué les deux branches supérieures de ce conduit
qui lui tenait Ă cĆur pour justifier du rĂŽle « militaire » de la poterne infĂ©rieure ; il existe deux exutoires,
masquĂ©s par des portes en bois, tant au rez-de-chaussĂ©e quâau premier Ă©tage.
128
La cave a été reconnue par Wyganowski le 24 février 1858 ; le début des travaux de la citerne intervint, quant
à lui, le 27 février 1867 : voir Wyganowski 1858-85, aux dates.
129
Viollet-le-Duc 1854-1868, t.VIII, p.88. Publié en 1866, le texte était tout juste postérieur à la restauration de
lâaile, et Viollet-le-Duc sentait dĂ©jĂ lâobligation de justifier sa restitution pour le moins discutable.
130
Voir les rĂ©fĂ©rences de ces plans en note 70 ; voir Ă©galement lâaquarelle de 1858 rĂ©fĂ©rencĂ©e en note 120.
131
Mesqui 1994-2, p.224-225.
132
Viollet-le-Duc 1854-1868, t.VIII, p.88. Harmand 1983, p.123-129.
133
Voir clichés MédiathÚque du Patrimoine, MH 55P01086 à 55P01092.
134
Harmand 1983, p.135.
135
La longue démonstration de Jacques Harmand citant les garnisons, parfois importantes, qui vinrent occuper le
chĂąteau dans tous les Ă©pisodes guerriers (Harmand 1983, p.133-134), nâapporte rien ici, dâautant queâŠ
les bĂątiments nâexistaient pas, et que ces garnisons durent se loger partout oĂč ils trouvaient de la place,
Pierrefonds â version 25/05/07 â page 58
dans le « donjon » dâabord, et dans les caves probablement. La preuve de cette occupation est fournie,
en particulier, par les dispositifs dâencastrement de poutres et les niches prĂ©sentes dans la cave
supérieure sud-est.
136
Voir en particulier lâaquarelle de Tavernier de JonquiĂšres, B.n.F., Est. A 31190.
137
Caillette 1860, p.7-8.
138
Wyganowski 1858-1885, Ă la date du 2 juin 1864 : « Les terrassiers de la route dâentrĂ©e principale ont
rencontré un chemin souterrain de 1m00 de large sur 1m50 de hauteur à 15m00 de la tour du milieu de
la façade Ouest ; ce souterrain est creusĂ© dans le sable et se dirige vers le village Ă 45° dâinclinaison ;
peut-ĂȘtre un chemin dâapproche exĂ©cutĂ© pendant un des siĂšges que le chĂąteau a subi avant sa
dĂ©molition ». Ă la date du 27 juin 1864 : « Les terrassiers en dĂ©blayant la route dâentrĂ©e principale ont
trouvé un rocher en granit dépassant le niveau de la route de 5m00 et de 7m00 de large environ ; les
ouvriers en régie ont été mis pour démolir ledit rocher en employant le feu et la pioche ».
139
Wyganowski 1858-1885, au 9 juin 1877 : « M.Viollet-le-Duc est venu sur le chantier ; il a donné les plans,
coupes et élévations du mur de soutÚnement du rempart au pied de la façade du chùteau, cÎté Nord-
Est, depuis la tour Godefroy de Bouillon jusquâĂ la poterne du XII siĂšcle, au pied de la tour
Charlemagne ».
140
Voir note 59.
141
Voir Wyganowski 1858-85, à la date du 8 juin 1874 : « Les maçons réparent les vieux murs du fossé devant le
1
er
chùtelet (remplacent les pierres gélives) ».
142
Le mamelon situĂ© au sud-est fut nivelĂ© dĂšs 1858, lorsque lâon trouva la cave situĂ© au-dessous. Mais ce nâest
quâĂ partir dâavril 1882 que fut nivelĂ© le mamelon situĂ© entre le chĂątelet des lices et lâouest de Saint-
Mesme, figuré sur le plan de la fig.10 le journal de Wyganowski.
143
Erlande-Brandenburg 1994 a proposé une nouvelle interprétation de ce haut-relief de La Ferté-Milon, estimant
quâil sâagissait plutĂŽt dâune « entrĂ©e de la Vierge au Paradis ».
144
On mâexcusera de ne pas donner ici, afin de ne pas allonger lâarticle, une analyse dĂ©taillĂ©e des Preux de
Pierrefonds, voire mĂȘme de la sculpture ; elle mĂ©riterait une Ă©tude approfondie qui nâa pas sa place ici.
145
Mesqui 1994-1.
146
Mesqui 1982.
147
Mesqui 2006. Mesqui 2007.
148
Mesqui 1986, p.114. Archives nationales de France, 1 AP 165, compte de 1396 : « Ă Adenin quâil a paiĂ© pour
les despens de maistre RĂ©mond du Temple, un varlet et deux chevauls, et des despens dâun maçon et
de son cheval quâil mena avecques lui Ă Suly, et party le xxii
e
jour de juing pour aller veoir et visiter la
place et la tracier et ordonner oĂč se doit faire le chastel dudit Suly, et demoura jusques au xxix
e
ensuivant par viii jours entiers tant en alant, séjournant là et retournant, à xvi s. viii d.t. par jour, valent vi
fr. xiiii s. iiii d.t. »
149
Souces dans Mesqui 1982.