Mouvement des Jeunes Socialistes

Note sur les machines à voter

jeudi 22 mars 2007

Dispositions légales et origine :

En effet, l’utilisation de « machines à voter » est prévue et autorisée par la loi 69-419 du 10 mai 1969. A cette époque, il s’agissait de lutter contre la fraude au moyen de dispositifs mécaniques et électromécaniques uniquement. Seulement, c’était sans compter sur Nicolas Sarkozy qui, durant son mandat de ministre de l’intérieur, a fait passer un arrêté le 17 novembre 2003. Cet arrêté autorise le « dispositif informatique » et le candidat de l’UMP a même décidé d’aller plus loin en subventionnant les « urnes informatiques » !

Mais les risques de l’arrivée en masse de ces nouvelles machines ont-ils bien été mesurés ? La fiabilité du vote est elle garantie ? Le fondement de la démocratie, le vote secret, la parole du peuple, sont ils garantis par l’Etat ?

L’e-vote en France, où ? et en quoi consiste-t-il ?

Suite à la modification de la loi de 1969, une cinquantaine de municipalités, en mai 2005, étaient passées du côté obscur et depuis plusieurs villes les ont rejointes dont notre voisine Reims. Peut être plusieurs communes vont elles franchir le pas en se laissant séduire par la simplicité du dépouillement ("appuyez sur un touche et laissez faire la machine") ainsi que par la baisse des coûts d’organisation d’une élection.

L’e-vote n’est rien d’autre qu’un vote sur un ordinateur présent dans le bureau de vote. L’électeur compose son vote directement sur un ordinateur qui l’enregistre dans une mémoire informatique. A la clôture de l’élection, l’ordinateur calcule le résultat à partir de cette mémoire, puis l’imprime. Il enregistre les votes et les dépouillent, sans s’occuper de l’identification de l’électeur ni de son émargement. Il faut savoir que cette pratique est la seule méthode autorisée en France. Il demeure, pour le moment, interdit aux yeux de la loi d’avoir recours à internet etc.

Quels risques planent sur ce le scrutin ?

Nous pouvons scinder le problème en deux points de vue : celui propre à la technologie informatique, l’autre ayant trait à la possibilité de manipulation politique.

En ce qui concerne la technologie informatique :

Il faut savoir que la majorité des urnes fabriquées sont constituées de milliers de lignes de code informatique (environ 25000 plus précisément) afin de « garantir » leur infaillibilité, de traduire l’appui sur la touche du candidat X en voix pour X, et de permettre l’anonymat du vote. Quel est le risque moyen d’erreur ? 3 à 5 erreurs par milliers de lignes, soit ici prêt de 75 à 125 erreurs possibles ... Sachant qu’un bug à des répercutions extrêmement difficiles à identifier, aucune chance de retrouver la vérité, sauf peut être au prix d’efforts très longs et coûteux.

Il faut également dire que ces fameuses lignes de code informatique, cruciales à la bonne tenue d’élections, sont quasi impossibles à consulter, même pour les États achetant de tels matériels. En effet, se cachant derrière la concurrence industrielle, les fabricants les gardent secrètement. Il y a donc autour de ces urnes informatiques un voile d’obscurité beaucoup plus sombre, au propre comme au figuré, que dans nos urnes en plexiglas transparentes classiques.

Dans les faits, les lignes de code ne suivent aucun standard de développement industriel logiciel et le nombre de lignes présentes dans les programmes mais étant a priori sans utilité contribuent à l’opacité du procédé. Imaginons nous une machine informatique devant traduire les bons résultats. On teste sa capacité à le faire, tout va pour le mieux. Mais que faisons nous des lignes apparemment inutiles, pourquoi sont elles là si elles ne servent à rien ? Ne permettent elles pas éventuellement de s’introduire dans le système pour le modifier ? Ne jouent elles pas un rôle sur le système de fonctionnement, par exemple en le modifiant à certaines dates comme les jours de vote par exemple ?

N’oublions pas qu’en plus un programme dispose de la capacité de s’effacer seul et de s’écrire d’autres données, alors qu’un bulletin ne peut se transformer. Bref, les moyens de renverser plus d’une élection majeure ne manquent pas pour un programmeur malhonnête avec des idées politiques bien arrêtées.

En ce qui concerne le risque de manipulation politique :

Qui possède réellement le code ? Les fabricants. Mais alors, ne peut il y avoir d’entente entre partis politiques et la société voulant équiper des municipalités françaises ? Ne peut il y avoir d’agents de maintenance de ces urnes acquis à une cause politique et ayant un minimum de bonne fois ? Ne peut il y avoir des logiciels facilement créés permettant à un utilisateur de ces urnes d’en modifier le fonctionnement ?

Sachant qu’il y a environ 3 producteurs mondiaux, un marché énorme à conquérir, il y a une belle quantité d’argent à se partager entre sociétés et entre actionnaires... Or les rapports entre la politique et l’entreprise sont pour le moins flous et peuvent s’avérer dangereux quand il ne passent pas par les circuits démocratiques et transparents normaux.

Des exemples concrets :

Aux USA, le second fabricant d’e-urnes est un bailleur de fond des Républicains. Or les dernières élections présidentielles aux Etats-Unis ont largement été entachées par des soupçons d’irrégularité notamment concernant les votes en Floride. Bush, d’une très courte majorité, fut finalement porté à la présidence des Etats-Unis sans que le doute soit pour autant dissipé.

Aux Etats-Unis encore, depuis 2002 et le passage massif aux vote électroniques, les bugs sont devenus courant ainsi que les résultats inexplicables. Par exemple, le 4 novembre 2003 dans le comté de Boone, durant les élections pour les municipales, au moment du dépouillement la machine indique et comptabilise 144 000 voix, alors qu’il n’y a eu que 5 532 votants, étonnant non ? En novembre 2006, un candidat se retrouve crédité de 0 voix alors qu’il a au moins voté pour lui-même... la justice saisie dans cette affaire cherche toujours !

Aux Etats-Unis toujours, l’université de Princeton, a eu la chance de posséder une urne à écran tactile. Au bout de 4 mois, les chercheurs avaient mis au point un système viral de vol de vote indétectable, configurable en 1 minute sur une urne, dans un isoloir par exemple, expérience qui a fait grand bruit mi 2006 et qui prouve de manière éclatante la possibilité de fraude au vote.

La commission mandatée par le gouvernement irlandais pour analyser les e-urnes a jugé trop important le nombre de lignes de code-source a priori sans utilité et noté que le code ne suivait aucun standard de développement industriel logiciels. Il y a 4 ans, ce pays achetait 7 500 urnes Nedap (plus de 800 sont en fonction en France actuellement), aujourd’hui encore elles restent, suite aux conclusions de la commission, dans un hangar malgré l’addition de 52 millions d’euros.

Et plusieurs autres affaires de la sorte dans les pays équipés par ces machines : Australie, Brésil, Canada, Belgique et Pays-Bas.

Quels tests a effectué L’Etat français avant de les autoriser ?

A première vue, la France s’est prémunie de ces risques, se targuant d’avoir exigé 114 points précis dans le cahier des charges donné aux fabricants. Or, si les urnes résistent à la chaleur, à un froid extrême, au transport et autres détails pratiques incontournables, aucune exigence au sujet des lignes du code source du logiciel. Ne mentons pas non plus, on exige que les parties de la machine pouvant interagir avec l’extérieur soient fournies afin de regarder si elles sont inattaquables. Cependant, voter dans de telles urnes demeure confier sa voix, son vote, à la confiance d’une société. Comment être sur que le bâton (notre vote) aille dans la bonne colonne (le bon candidat) ?

Le secret autour du code informatique des urnes est-il une fatalité ?

Non, ces lignes de code obscures ne sont pas une fatalité. En Belgique, le code source, très simple et court, est consultable librement sur internet afin que les novices puissent lire et tenter de comprendre, pendant que les experts (et pirates...) s’attaquent à leur sécurité et à leur infaillibilité. On voit qu’ici la confiance serait plus grande, même si l’erreur incompréhensible plane toujours : En mai 2003, à Schaerbeek un candidat a tout de même eu 4096 votes de surplus ! L’hypothèse de rayons cosmiques qui auraient modifié un bit du code est avancée.

Existe t il un vote informatique infaillible ?

Oui, il existe peut être déjà, mais il combine informatique et : papier ! En effet, l’électeur fait son choix sur un ordinateur, celui-ci imprime sur un papier visible derrière une vitre le bulletin, reste alors a valider son vote, le bulletin tombe dans une urne, un système brasse les papiers et à la fin on obtient le résultat informatique instantanément et l’on prend le temps de dépouiller à l’ancienne les bulletins papier. Quel intêret donc pour la France, où les consultations démocratiques et élections sont moins fréquentes qu’aux Etats-Unis (référendum, élection du shérif ou du procureur, question concernant une école ...) ? Aucun !

Pour quelles raisons des maires passent-ils aux urnes électroniques ?

-  Plusieurs mairies ont pointé du doigt la difficulté de trouver des assesseurs, en particulier lors des référendums ou des scrutateurs pour le dépouillement. Dès lors, il faut payer des employés municipaux pour tenir ce rôle : coût jugé trop important, et vite rentabilisé par les e-urnes.

-  Certaines villes disent vouloir réduire le nombre de bureaux de vote, mais quel gain de temps au final puisque l’identification de l’électeur et son émargement doivent toujours être réalisés ?

-  Des économies de papier ? Il faut savoir que les bulletins et enveloppes représentent une quantité de papier négligeable devant celle des brochures de promotion des programmes ou simplement les papiers destinés à la publicité.

-  Avoir les résultats plus rapidement ? L’argument est faible comparé à l’intérêt supérieur de la sûreté du scrutin.

La démocratie française ne vaut elle pas plus que ce système obscur ? Doit elle être une question d’argent ? La parole du citoyen peut elle être glissée dans les entrailles de ces urnes obscures ? Prenons nous le risque de confier au secteur privé la parole publique ? Sommes nous disposé à courir ces risques d’erreur ?

Nous ne sommes heureusement pas seuls dans cette démarche. D’autres chercheurs y sont totalement opposés : Roberto Di Cosmo (professeur au laboratoire « Preuves, Programmes, Systèmes » de l’université Paris VII) ou encore Chantal Enguehard (maître de conférence au laboratoire d’informatique de Nantes Atlantiques), Andrew Apple (chercheur en sécurité de l’université de Princeton) etc. D’autres organisations de gauche ont déjà manifesté leur opposition. Il est temps que la famille socialiste se positionne fermement sur le sujet !

Dès lors, opposons nous à ces machines à voter synonyme d’ombres sur nos voix et donc à fortiori, d’ombres sur nos décisions, sur nos représentants, sur notre démocratie ! Préférons leur la transparence de nos urnes en plexiglass !