Ivan Abramovitch Morosoff est né à Moscou en 1871 dans une des plus célèbres familles marchandes de Russie. Son fondateur, Sava Morosoff (1770/1862) était un artisan paysan, qui, grâce à son intelligence passa du statut de simple paysan asservi au statut d'entrepreneur et de marchand en ouvrant dans son village de Zouevo son premier atelier de production de dentelles de soie.

Ses cinq fils héritèrent de l'esprit d'entreprise de leur père et surent brillament créer et développer diverses manufactures dans différentes régions du pays.

 

 

 

 

 

 

 

De gauche à droite : Abram Abramovitch, Timofeï Savitch, Ivan Zakharovitch, Vikoula Ieliseevitch

Abram Savitch (1839/1882), le grand-père d'Ivan Abramovitch, prit la tête de la manufacture des cotonnades de Tver dont les derniers propriétaires furent Varvara Morosoff et son fils Ivan Abramovitch.

 

 

Abram Savitch Morosoff

 

Varvara Alexeevna Morosoff
Ivan Abramovitch Morosoff
Second fils d'Abram Abramovitch et de Varvara Morosoff, Ivan Abramovitch, après avoir terminé le lycée, poursuivit ses études supérieures à l'Ecole Polytechnique Supérieure de Zurich à la faculté de chimie. Parallélement, I.A.Morosoff prenait des leçons de peinture et de dessin chez K.A.Korovine, car, depuis sa plus tendre enfance, il montrait un grand intérêt pour l'art.

C'est en 1895 qu'I.A.Morosoff revient en Russie pour prendre la direction de la manufacture de Tver, ses frères, Mikhaïl et Arseni, ne montrant que peu d'intérêt pour l'entreprise familiale. Grâce à son opiniâtreté et son esprit d'initiative, le capital de l'entreprise sera triplé entre 1904 et 1916. Le plus gros des bénéfices sera réalisé au cours de la première guerre mondiale du fait des commandes de l'armée russe pour des tissus en coton, toile et drap.

 

 

Entrée principale des manufactures de Tver

S'occupant énergiquement des fabriques, I.A.Morosoff s'installa à Tver. Mais, au bout de 5 ans, la vie dans cette ville provinciale étriquée et ennuyeuse commença à lui peser et il décida en 1900, de s'installer dans sa ville natale, Moscou.

 

 

 

Maison de campgne de la famille Morosoff

Il commença, en premier lieu, par acquérir une maison particulière. Etant homme de goût et ambitieux, il fixa son choix sur un hôtel particulier classique, mais non sans magnificence, répondant à sa situation. Il acheta à la veuve de son oncle David Abramovitch une ancienne propriété sur la Pretchistenka qui avait appartenu à Serge Potemkine.

 

Jeune, riche, il devint rapidement connu dans le beau monde. Ses dîners de gala, ses soirées et ses déjeuners intimes réunissaient de nombreuses personnalités en vue, . C'est ainsi qu'il fit la connaissance de nombreux hommes de lettres, d'artistes et de peintres. Fréquentant souvent un tel cercle, Ivan Abramovitch tomba rapidement sous l'influence des ses nouveaux amis et porta un nouvel intérêt à la peinture. C'est ainsi qu'il fit la connaissance de Sergueï Chtchoukine, grand collectionneur et amateur d'art. Ivan Abramovitch fut très impressionné par la galerie de peinture occidentale de ce dernier. Son amitié avec Serov joua également un role déterminant pour ses début de collectionneur.

 

Façade de l'hôtel Morosoff rue Pretchistenka

C'est l'achat d'un tableau de Levitan qui marque le début de sa collection personnelle. En 1903, Ivan Abramovitch achète une toile de Sisley "Gelée à Louveciennes", et c'est ainsi qu'il commence à rassembler une collection de tableaux d'artistes ouest-européens, collection qui deviendra l'une des plus importantes de Russie.

 

Habituellement, I.A.Morosoff achetait ses toiles chez les marchands parisiens (Vollard, Durand-Ruel, Berheim...) mais également au cours de vernissages ou directement dans les ateliers des artistes. Il faisait régulièrement des voyages à l'étranger et notamment à Paris, où, pour lui, semblait-il, il n'y avait rien d'autre que les musées et les expositions."Les Indépendants" et le "Salon d'Automne" étaient les expositions qu'il visitait le plus fréquemment.

 

 

Salle Paul Cézanne

 

Les spécialistes prisaient énormement la composition de la collection Morosoff de peintres français d'avant-garde car, dans cette collection, presque tous les principaux maîtres étaient dignement représentés. C'est justement pour cette raison que sa collection diffère de celle de S.Chtchoukine qui, lui, ne donnait sa préférence qu'à un nombre limité d'artistes. Il faut noter que l'école de peinture russe était également fort bien représentéé dans la collection et cela avec plus de 300 toiles.Aucun des collectionneurs européens, et d'autant plus aucun des musées européens ne pouvait imaginer les sommes qu'Ivan Abramovitch pouvait se permettre de dépenser. Cet homme équilibré, qui ne frappait pas Moscou par ses millions de pertes au Club Anglais comme son frère Mikhaïl ou des paris déments comme son autre frère Arséni, se permettait des folies uniquement dans le domaine de l'art. Il pouvait dépenser entre 200 000 et 300 000 francs par an pour ses peintures. Il ne pouvait dépenser des sommes aussi colossales que grâce aux revenus que lui rapportaient les manufactures.

 

Salle Maurice Denis

 

Ses perceptions Parisiennes, ses nouveaux tableaux, ses affaires florissantes, incitèrent Ivan Abramovitch à réorganiser son hôtel particulier, ou plutôt à l'adapter à sa nouvelle passion : les collections. Il entreprit donc des travaux afin de mettre en valeur sa collection. Il est interéssant de remarquer qu'il était beaucoup plus difficile de pénétrer dans l'hôtel Morosoff, fermé aux étrangers, que dans celui de l'accueillant Chtchoukine. Ivan Abramovitch ne cherchait jamais à attirer l'attention de la presse et de la critique, il répugnait à exhiber sa collection. Cependant, la réputation du collectionneur avait franchi les frontières. Il fit surtout parler de lui en 1906, lorsqu'il prêta ses toiles russes à Serge Diaghilev pour l'exposition "Deux siècles d'art russe" que ce dernier avait organisé au Salon d'Automne de Paris. Cela valu à Ivan Morosoff d'être élu membre d'honneur du Salon et d'être décoré de la Légion d'Honneur.Les évènements prirent une telle tournure dans la Russie Soviétique que dès 1918, les anciens possédants n'eurent d'autre choix que de s'enfuir pour sauver leurs vies. La collection d'Ivan Morosoff fut nationalisée par un décret de Lénine daté du 19 décembre 1918. La maison Morosoff et la collection qu'elle abritait devinrent "deuxième musée de la peinture occidentale moderne" (le premier étant constitué de la collection Chtchoukine). Pendant quelques mois, Ivan Abramovitch sera conservateur adjoint de sa propre collection (tâche qui consistait à guider les visiteurs dans les salles).

 

C'est au printemps 1919 qu'il quitta définitivement la Russie avec sa femme Eudoxie et leur fille pour ne jamais y revenir. Il s'installa alors à Paris à l'hôtel Majestic, puis au 4, square Thiers dans le 16ème arrondissement.

 

 

 

 

Hôtel Majestic, Paris

Il décéda d'une insuffisance aortique le 22 juillet 1921, au cours d'un voyage à Karlsbad, sans avoir revu sa collection.

 

 

4 square Thiers, Paris 16ème

En 1922, les deux musées (Chtchoukine et Morosoff) sont réunis en une seule entité : le "Musée d'Etat de l'Art Occidental Moderne" et, en 1928, regroupés dans le palais Morosoff . Entre 1930 et 1934, une partie des oeuvres est transférée au musée de l'Ermitage de Leningrad. Deux toiles de la collection Morosoff ("Madame Cezanne dans la serre" de Cezanne et "Café de nuit" de Van Gogh) sont cédées à une galerie américaine dans le cadre de la campgne de cession des oeuvres des musées russes contre des devises. Pendant la seconde guerre mondiale, les collections du musée furent évacuées à Novossibirsk. Puis, de retour à Moscou, les toiles restèrent longtemps dans leurs caisses. On approchait de 1948, année des plus tragique pour l'art et la culture soviétiques, qui vit débuter la lutte contre le "cosmopolitisme" et toutes les manifestations de formalisme, catégories où se trouvaient reléguées toutes les tendances de la peinture moderne depuis l'impressionnisme. Ce n'est que par le plus heureux des hasards que ne put être mis à exécution le projet du Département des Musées du Comité pour les Affaires Artistiques, à savoir, disperser les toiles dans les divers musées de province, en détruisant même certaines, et ne garder dans les musées de la capitale que les meilleures oeuvres (suivant les critères de l'époque).

 

En 1948, suite à la fermeture du musée, les toiles seront arbitrairement réparties entre les musées de l'Ermitage et du Pouchkine.
 

Musée de l'Ermitage de Saint Petersbourg

 

Musée Pouchkine de Moscou

Les collections "Chtchoukine et Morosoff "resteront longtemps inaccessibles au public. Il fallu attendre les grandes expositions de peintures françaises , à Moscou en 1955 et à Leningrad en 1956, pour qu'une partie des tableaux soit exposée en permanence. Au milieu des années 60, on put enfin voir la quasi totalité des collections, quoique sans mention des anciens propriétaires à qui la Russie devait de posséder ces joyaux de l'art moderne.