AUX RACINES
DE LA ROYAUTテ SACRテ右
Dimanche テ Reims
Le dimanche 25 octobre 1131, テ Reims, le pape
Innocent II, le roi Louis le Gros et son テゥpouse
Adテゥlaテッde s窶兮vancent en procession de l窶兮bbaye Saint-
Rテゥmi vers la cathテゥdrale, conduisant le prince Louis,
le futur Louis VII, alors テ「gテゥ de dix ans. Puis, devant
l窶兮utel, en prテゥsence d窶冰ne immense et prestigieuse
assemblテゥe, le pontife, dit une chronique contempo-
raine, ツォ consacra l窶册nfant avec l窶冑uile dont saint
Rテゥmi, l窶兮yant obtenue de la main d窶冰n ange, avait
oint le roi des Francs Clovis (Clodoveus) pour le
faire chrテゥtien ツサ
31
. Cette simple phrase est la pre-
miティre, テ notre connaissance, テ identifier explicitement
l窶冑uile utilisテゥe pour un sacre royal au chrテェme dont,
plus de six siティcles auparavant, s窶凖ゥtait servi l窶凖ゥvテェque
de Reims pour baptiser Clovis. On supposait donc
31
La chronique de Morigny, テゥd. Lテゥon Mirot, Paris, 1912, p. 60.
L窶兮bbaye de Morigny se trouve prティs d窶凖液ampes. Cf. aussi Yves Sas-
sier, Louis VII, Paris, Fayard, 1991, pp. 19-21. Un concile se tenant
テ Reims テ cette pテゥriode, prティs de 300 テゥvテェques assistティrent テ la cテゥrテゥmonie.
que cette substance, considテゥrテゥe comme テゥtant d窶冩ri-
gine divine, s窶凖ゥtait conservテゥe si longtemps intacte.
Ainsi parvenait テ son terme un processus entamテゥ au
IX
e
siティcle, et peut-テェtre plus tテエt encore, par le siティge
mテゥtropolitain de Reims pour faire dテゥfinitivement
admettre que le prテゥcテゥdent de 496/498 vaut pour tous
ceux qui ont accテゥdテゥ テ la royautテゥ franque, et bientテエt
franテァaise : depuis le premier roi chrテゥtien, le succes-
seur de Rテゥmi de Reims est seul habilitテゥ テ procテゥder
au rite de consテゥcration royale.
テ la gテゥnテゥration prテゥcテゥdente, celle du pティre de Louis
VII, ce privilティge n窶册st pas encore complティtement
acquis. Le 3 aoテサt 1108, Daimbert, archevテェque de
Sens, テゥglise de tout temps rivale de celle de Reims,
a rテゥpandu sur la tテェte de Louis VI le Gros une huile
certes trティs sainte, mais qui n窶册st テ coup sテサr pas celle
de Rテゥmi, et accompli tous les gestes du sacre. テ
peine a-t-il fini, raconte, un peu narquois, l窶冓llustre
abbテゥ Suger de Saint-Denis, qu窶兮rrivent des messa-
gers rテゥmois ツォ porteurs de lettres de contestation et
qui, se fondant sur l窶兮utoritテゥ apostolique, efficace
s窶冓ls テゥtaient venus テ temps, interdisaient avec
menaces de procテゥder テ l窶冩nction royale ツサ. Seule est
fondテゥe テ le faire, ajoutent-ils, l窶凖ゥglise de Reims,
depuis que saint Rテゥmi avait baptisテゥ Clovis, premier
roi de France
32
. La protestation arriva trop tard, et
C
LOVIS
32
Suger, Gesta Ludovici Grossi, テゥd. Michel Bur, Paris, Imprimerie
nationale, 1994.
rien ne dit qu窶册lle eテサt テゥtテゥ suivie d窶册ffet. Vingt-cinq
ans plus tard, la partie テゥtait gagnテゥe puisque, de Louis
VII テ Charles X, sept cents ans durant, tous les rois,
テ l窶册xception d窶僣enri IV, furent sacrテゥs テ Reims,
presque toujours des mains de l窶兮rchevテェque. Aupa-
ravant ce dernier avait exercテゥ, en d窶兮utres lieux, le
mテェme office au profit de certains Carolingiens et de
tout premiers Capテゥtiens, テ commencer par Hugues
Capet sacrテゥ des mains d窶僊dalbテゥron de Reims le
3 juillet 987 テ Noyon. Au milieu du XII
e
siティcle, le
triomphe posthume de Rテゥmi テゥtait donc complet. テ
la conquテェte et テ l窶册xercice de ce monopole, Clovis
fut テゥtroitement associテゥ, puisqu窶冓l en テゥtait le fonde-
ment, et sa mテゥmoire en profita grandement. Ainsi se
poursuivait, commencテゥ テ la fin du V
e
siティcle, un
テゥchange de services d窶冰ne extraordinaire fテゥconditテゥ
33
.
Le magistティre de saint Rテゥmi
La premiティre テゥtape, dont tout dテゥpendait, fut l窶兮ssi-
milation du baptテェme au sacre, par une rテゥinterprテゥta-
tion de la grande scティne primitive. Comment s窶册st
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UX RACINES DE LA ROYAUTテ SACRテ右
33
Sur Reims et le sacre, voir Jean Devisse, Hincmar archevテェque de
Reims, Genティve, 1976. Jacques Le Goff, Reims, ville du sacre, in Les
lieux de mテゥmoire II. La Nation, dir. Pierre Nora, Paris, Gallimard,
1986, pp. 89-184. Michel Sot, Un historien et son テゥglise, Flodoard
de Reims, Paris, Fayard, 1993. Ces trois auteurs ont largement ins-
pirテゥ ma lecture des sources, et guidテゥ mon interprテゥtation.
テゥlaborテゥe cette transfiguration, il est difficile de l窶兮per-
cevoir. Grテゥgoire de Tours n窶兮 eu, テ l窶凖ゥpoque mテゥro-
vingienne, que deux successeurs historiens. Le
premier, appelテゥ, tardivement, Frテゥdテゥgaire, テゥcrit en
Austrasie ou en Bourgogne, vers 643, un rテゥsumテゥ de
l窶Histoire des Francs, avant de poursuivre, lui ou un
autre, le rテゥcit jusqu窶凖 son temps. Sur l窶凖ゥvテェque Rテゥmi
et le baptテェme de Clovis, il n窶兮joute guティre : le vase
de Soissons provient bien de l窶凖ゥglise de Reims ;
quand, durant la catテゥchティse, l窶凖ゥvテェque lui raconte la
passion du Christ, le roi s窶凖ゥcrie : ツォ Si j窶兮vais テゥtテゥ lテ
avec mes Francs, j窶兮urais vengテゥ son injure ! ツサ ; enfin,
le baptテェme est fixテゥ au samedi saint et non plus テ
Noテォl, le nombre des guerriers baptisテゥs テゥtant portテゥ テ
6 000. Reste que Frテゥdテゥgaire est le premier テ テゥcrire
explicitement que Rテゥmi a officiテゥ テ Reims, ce qui paraテョt
aller de soi. Quatre-vingts ans plus tard, un moine
anonyme de la rテゥgion parisienne achティve lui aussi une
chronique, connue sous le nom de Liber Historiae
Francorum, qui, sur le sujet qui nous occupe, n窶兮p-
porte rien d窶冓mportant par rapport テ Grテゥgoire, qu窶冓l
suit de trティs prティs. テ Reims, en revanche, le culte de
Rテゥmi, reconnu saint dティs avant sa mort survenue en
533, se dテゥveloppa autour de son tombeau, oテケ les
miracles se multipliaient. Une premiティre hagiographie,
aujourd窶冑ui perdue mais que signale Grテゥgoire de
Tours, fut bientテエt rテゥdigテゥe. Avant la fin du VI
e
siティcle,
l窶凖ゥglise oテケ il テゥtait enseveli prit le nom de Saint-Rテゥmi,
et une communautテゥ religieuse y cテゥlテゥbrait un office テ
C
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la gloire de l窶凖ゥvテェque dテゥfunt, considテゥrテゥ comme le
saint patron de la citテゥ. Il semble bien que ce soit la
liturgie ainsi progressivement mise en place aux VII
e
et VIII
e
siティcles qui ait attribuテゥ au chrテェme utilisテゥ par
Rテゥmi pour oindre Clovis une origine cテゥleste, en l窶冩c-
currence le Saint-Esprit qui, dans l窶凖益angile, prend
l窶兮pparence d窶冰ne colombe
34
. Sans doute cette huile
dテゥsormais sainte, enfermテゥe dans un petit vase, テゥtait-
elle vテゥnテゥrテゥe comme une relique sur l窶兮utel de Saint-
Rテゥmi, ou sur celui de la cathテゥdrale Saint-Nicaise, lテ
oテケ l窶凖ゥvテェque avait baptisテゥ le roi. Au reste, le saint
chrテェme テゥtait une spテゥcialitテゥ rテゥmigienne. Ne racontait-
on pas que, devant administrer le baptテェme テ un
malade et trouvant vides les vases liturgiques,
l窶凖ゥvテェque, les ayant placテゥs sur l窶兮utel, se prosterna en
priティre, puis, se relevant, constata qu窶冓ls s窶凖ゥtaient rem-
plis ? ツォ Oignant donc le malade avec cette huile don-
nテゥe par un miracle et ce saint chrテェme venu du ciel,
il confテゥra le baptテェme... ツサ Ce prodige, l窶兮rchevテェque
Hincmar le consigna dans le rテゥcit de la vie et des
miracles de son prテゥdテゥcesseur qu窶冓l composa vers 878.
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UX RACINES DE LA ROYAUTテ SACRテ右
34
ツォ Au moment oテケ Jテゥsus, baptisテゥ lui aussi, se trouvait en priティre, le
ciel s窶冩uvrit, et l窶僞sprit Saint descendit sur lui sous une forme cor-
porelle, tel une colombe. ツサ (Luc, 3, 21-22) Sur la liturgie rテゥmoise, cf
F. Baix, Les sources liturgiques de la Vita Remigii d窶僣incmar in
Mテゥlanges A. de Meyer, Louvain, 1946.
L窶冓ntervention d窶僣incmar
Ce trティs grand prテゥlat, qui occupa le siティge de Reims
テ partir de 845 et durant 37 ans, consacra une bonne
part de son ナ砥vre immense テ fortifier, enrichir et
exalter son テゥglise, tirant admirablement parti de la
mテゥmoire de celui qu窶冓l appelle l窶兮pテエtre des Francs.
La Vita Remigii, conjuguant l窶册xposテゥ de Grテゥgoire de
Tours, l窶兮ncienne hagiographie de Rテゥmi et les tradi-
tions liturgiques テゥlaborテゥes autour de son tombeau,
compose テ la plus grande gloire du saint champenois
un monument d窶冰ne exceptionnelle ampleur. Son
rテエle, tout au long du rティgne de Clovis, y est naturel-
lement magnifiテゥ, et c窶册st テ sa protection paternelle
que le roi doit ses succティs. Hincmar dテゥtaille le pro-
logue du baptテェme, situテゥ depuis Frテゥdテゥgaire テ la veille
de Pテ「ques, car Pテ「ques, au IX
e
siティcle, est devenue
depuis longtemps la plus grande fテェte chrテゥtienne, et
rien ne s窶兮ccorde mieux テ la Rテゥsurrection que la rテゥgテゥ-
nテゥration baptismale. Au cours d窶冰n entretien que
Rテゥmi accorde aux テゥpoux royaux Clotilde et Clovis,
et durant lequel le roi multiplie les marques de dテゥfテゥ-
rence envers l窶凖ゥvテェque, la chapelle est envahie d窶冰ne
lumiティre テゥclatante qui se reflティte sur le visage du saint
comme pour le nimber, une voix cテゥleste se fait
entendre, et une odeur d窶冰ne ineffable suavitテゥ se
rテゥpand, qui est en propre l窶冩deur de saintetテゥ. Aprティs
quoi l窶冑omme de Dieu se livre テ une prophテゥtie qui,
quatre siティcles a posteriori et alors que Charlemagne
C
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est passテゥ par lテ, ne relティve pas tout テ fait de la divi-
nation : la descendance de Clovis possテゥdera et テゥten-
dra le royaume, dテゥveloppera l窶凖曳lise et succテゥdera テ
la puissance romaine, mais テ la condition qu窶册lle ne
s窶凖ゥcarte jamais des voies du salut, ツォ et ne se laisse
pas entraテョner dans les vices mortels, par lesquels les
royaumes ont coutume d窶凖ェtre renversテゥs, et transpor-
tテゥs d窶冰ne famille テ l窶兮utre ツサ. Cette descendance n窶册st
pas rテゥduite テ la seule dynastie mテゥrovingienne, qui fut
en effet expulsテゥe du pouvoir par Charles Martel et
Pテゥpin le Bref, elle s窶凖ゥtend aussi aux Carolingiens,
que de fausses gテゥnテゥalogies affiliティrent dティs le IX
e
siティcle
aux Mテゥrovingiens.
La dテゥclaration solennelle mise par Hincmar dans la
bouche de Rテゥmi faisait de l窶凖曳lise en gテゥnテゥral, et de
l窶兮rchevテェque de Reims en particulier, le juge et le cas
テゥchテゥant le censeur des comportements royaux. Aprティs
ce discours lourd de signification, le cortティge prend
le chemin du baptistティre, l窶凖ゥvテェque tenant le roi par la
main. Les sons, les couleurs et les odeurs sont テ ce
point merveilleux que Clovis demande si c窶册st lテ le
royaume de Dieu annoncテゥ par la catテゥchティse. Ce n窶册st
que le chemin qui y conduit, rテゥpond Rテゥmi.
L窶僊mpoule et la Colombe
Vient enfin l窶凖ゥpisode, consignテゥ pour la premiティre
fois, qui a transfigurテゥ pour trティs longtemps la scティne
A
UX RACINES DE LA ROYAUTテ SACRテ右
du baptテェme, sublimant sa portテゥe et transformant sa
signification :
ツォ Alors qu窶冓ls テゥtaient parvenus au baptistティre, le
clerc qui portait le chrテェme fut arrテェtテゥ par la
foule, de sorte qu窶冓l ne put pas atteindre le bas-
sin. Aprティs la bテゥnテゥdiction du bassin, le chrテェme
manqua par le dessein de Dieu. Et comme, テ
cause de la presse, personne ne pouvait ni sortir
de l窶凖ゥglise ni y entrer, le saint pontife, les yeux
et les mains dirigテゥs vers le ciel, commenテァa テ
prier en pleurant. Et voici : tout テ coup une
colombe plus blanche que neige apporta dans
son bec une ampoule pleine de chrテェme saint,
dont l窶冩deur merveilleuse, supテゥrieure テ toutes
celles qu窶冩n avait respirテゥes auparavant dans le
baptistティre, remplit tous les assistants d窶冰n plaisir
infini. Le saint pontife ayant reテァu cette ampoule,
la forme de la colombe
35
disparut ツサ.
Le roi confesse la foi orthodoxe, est immergテゥ trois
fois dans le bassin au nom de la Trinitテゥ, et ツォ marquテゥ
du signe de la sainte croix de notre seigneur Jテゥsus-
Christ par l窶冩nction du chrテェme sacrテゥ ツサ. Que la colombe
fテサt celle du Saint-Esprit, personne ne pouvait s窶凉
tromper, ne fテサt-ce que par la terminologie, reprise de
l窶凖営riture. De plus, l窶冓dentification fut facilitテゥe, pour
C
LOVIS
35
Le texte porte : Speties columbae, ce qui dテゥsignerait davantage
une apparition qu窶冰ne rテゥalitテゥ physique. Mais cette derniティre s窶册st impo-
sテゥe dans l窶冓nterprテゥtation.
les contemporains, par l窶兮pparition rテゥcente, dans la
dテゥcoration des テゥglises et aussi des manuscrits reli-
gieux, d窶冰ne nouvelle iconographie christologique,
oテケ l窶册au du baptテェme de Jテゥsus テゥtait apportテゥe テ Jean-
Baptiste par une colombe tenant une fiole dans son
bec. Au modティle de Constantin, explicitement indiquテゥ
par Grテゥgoire de Tours, se substituait ainsi, implicite-
ment mais clairement, celui du Christ. Enfin, テ l窶冓s-
sue de la cテゥrテゥmonie, le nouveau baptisテゥ, comme il
se doit, reテァoit un nom nouveau : テ Clodoveus succティde
Ludovicus, qui apparaテョt sans doute de consonance plus
romaine et plus chrテゥtienne. Ce changement d窶兮ppel-
lation n窶册st pas, en 878, une innovation. En nommant
Louis son second fils, qui lui succテゥda seul テ la
royautテゥ et テ l窶僞mpire en 814, Charlemagne テゥtait bien
conscient de faire テゥcho au premier roi franc chrテゥtien.
Ce mテェme empereur Louis le Pieux, dans un diplテエme
テゥtabli en faveur de l窶凖ゥglise de Reims vers 820,
dテゥsigne le roi baptisテゥ par Rテゥmi comme ツォ notre homo-
nyme ツサ (aequivocus noster). Surtout, la chancellerie
ajoute, ce qui change tout : ツォ Ce mテェme trティs noble roi
a テゥtテゥ trouvテゥ digne de recevoir l窶冩nction royale par
la clテゥmence de Dieu ツサ. Cette onction n窶册st donc plus
celle du baptテェme ; c窶册st bien du sacre qu窶冓l s窶兮git.
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UX RACINES DE LA ROYAUTテ SACRテ右
Baptテェme et sacre
En octobre 816, dans la cathテゥdrale de Reims, Louis
avait reテァu l窶冩nction des mains du pape テ液ienne IV.
La procテゥdure du sacre テゥtait alors appliquテゥe テ la troi-
siティme gテゥnテゥration de Carolingiens, puisque Pテゥpin le
Bref, le premier, l窶兮vait mise en vigueur en 751, et
renouvelテゥe en 754. Il s窶兮gissait pour la nouvelle
dynastie, dont la lテゥgitimitテゥ pouvait paraテョtre incer-
taine, de sacraliser la fonction royale et son titulaire
en ressuscitant le prテゥcテゥdent biblique des rois d窶僮sraテォl,
et en particulier de David que Samuel avait imprテゥ-
gnテゥ des saintes huiles en signe d窶凖ゥlection divine.
Ce premier sacre avait eu lieu テ l窶兮bbaye de Saint-
Denis. Sans doute est-ce pour テゥcarter la concurrence
du prestigieux テゥtablissement royal, et fixer テ Reims
le siティge de la cテゥrテゥmonie qui associait le plus テゥtroi-
tement l窶凖曳lise et la royautテゥ, que les archevテェques
Ebbon puis Hincmar s窶册mployティrent テ rテゥactiver la
mテゥmoire de Clovis et de Rテゥmi : le choix de Dieu
s窶凖ゥtait jadis manifestテゥ par le baptテェme de Clovis, dont
les rois portaient dテゥsormais le nom (Louis le Pieux,
Louis le Germanique, Louis d窶僮talie, Louis le
Bティgue...). Il s窶册xprimait dテゥsormais par le sacre, nou-
velle onction administrテゥe par un prテゥlat, avec des
gestes et des substances analogues テ ceux de la pre-
miティre, en particulier l窶冑uile de la consテゥcration ; une
huile dont on savait, au moins テ Reims, qu窶冰ne
colombe l窶兮vait apportテゥe du ciel dans son bec. Il
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LOVIS
appartint テ Hincmar de lier tous ces テゥlテゥments en une
seule formule, qui devait devenir un article de foi de
la royautテゥ franテァaise.
En 869 Charles le Chauve, petit-fils de Charle-
magne et roi des Francs de l窶儖uest depuis le partage
de Verdun en 843, est en situation de se faire テゥgale-
ment couronner et sacrer roi de Lotharingie, ou pour
mieux dire de Lorraine. テ Metz, ce 9 septembre,
Hincmar prテゥside la cテゥrテゥmonie. C窶册st la premiティre fois
qu窶冰n テゥvテェque de Reims exerce cet office. L窶冩ccasion
est bonne de proclamer quelques vテゥritテゥs essentielles :
le roi Charles, par son pティre Louis, proclame Hinc-
mar devant un parterre d窶凖ゥvテェques, la famille royale
et la fleur de l窶兮ristocratie occidentale, descend du
ツォ glorieux roi des Francs Clovis, baptisテゥ la veille de
la sainte Pテ「que dans la cathテゥdrale de Reims, et oint
et consacrテゥ comme roi テ l窶兮ide d窶冰n chrテェme venu du
ciel, dont nous possテゥdons encore ツサ.
テ益テェque de Reims et roi des Francs
Ainsi Rテゥmi et ses successeurs テゥtaient proclamテゥs
dテゥpositaires de cette procテゥdure unique au monde :
consacrer le roi de France
36
, c窶册st-テ-dire crテゥer entre
Dieu et lui, par l窶冓ntermテゥdiaire de l窶凖曳lise, une relation
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UX RACINES DE LA ROYAUTテ SACRテ右
36
Le terme de Francia dテゥsignant le royaume des Francs de l窶儖uest
apparaテョt dans le premier tiers du X
e
siティcle.
particuliティre, au moyen d窶冰ne huile d窶冩rigine et donc
de nature divines qui avait servi pour le premier roi
chrテゥtien. Rテゥmi, par son geste fondateur durant lequel
Dieu lui avait manifestement tenu la main, n窶兮vait
pas seulement assumテゥ la conversion d窶冰n paテッen
illustre ; il avait aussi sanctionnテゥ sa lテゥgitimitテゥ テ
rテゥgner. Or, tandis que cette conversion avait eu lieu
une fois pour toutes et que les descendants de Clo-
vis naissaient dテゥsormais chrテゥtiens, l窶兮ptitude au rティgne
devait テェtre reconnue au nouveau roi テ l窶冩ccasion de
chaque successsion, et vテゥrifiテゥe au cours de son rティgne.
Il appartenait テ l窶兮rchevテェque de Reims, en prenant
bien entendu conseil, d窶册n dテゥcider chaque fois, ce qui
faisait de la cテゥrテゥmonie de Reims un passage obligテゥ
dans l窶兮ccティs テ la royautテゥ pleine et entiティre. テ partir
d窶僣incmar, les titulaires du siティge de Reims s窶兮char-
nティrent テ se faire reconnaテョtre ce privilティge. Ils le firent
d窶兮bord en resserrant le plus テゥtroitement possible les
liens entre Rテゥmi et Clovis. Hincmar, dans sa Vita
Remegii
37
, s窶兮ttarde sur les bienfaits qu窶凖ゥchangent le
roi et le prテゥlat. D窶冰n cテエtテゥ, Rテゥmi garantit et rend pos-
sibles les victoires de Clovis sur les Burgondes, puis
sur les Visigoths : avant chaque expテゥdition, il donne
au roi sa bテゥnテゥdiction, et lui remet un flacon de vin
bテゥnit, en lui recommandant de combattre tant que ce
C
LOVIS
37
Cette hagiographie est d窶兮utant mieux diffusテゥe qu窶册lle est reprise,
au milieu du X
e
siティcle, par le chanoine Flodoard, qui rテゥdige son
Histoire de l窶凖ゥglise de Reims sous l窶凖ゥpiscopat d窶僊rtaud.
flacon suffira テ ses besoins et テ ceux de son entou-
rage ; grテ「ce テ quoi le roi est vainqueur, non sans avoir
テゥtテゥ sauvテゥ de la mort テ Vouillテゥ ツォ par les mテゥrites de
son saint patron ツサ, qui est donc Rテゥmi bien plutテエt que
Martin ou Hilaire, dont, on s窶册n souvient, le rテエle avait
pourtant テゥtテゥ important. C窶册st encore sur le conseil de
Rテゥmi que Clovis a la bonne idテゥe de rテゥunir, avant
l窶册xpテゥdition d窶僊quitaine, un concile テ Orlテゥans, et
d窶册nvoyer au pape une couronne d窶冩r et de pierres
prテゥcieuses, appelテゥe regnum, destinテゥe テ sceller l窶兮l-
liance de la royautテゥ franque avec le Saint-Siティge. On
dira plus tard que cette couronne a constituテゥ le pre-
mier テゥtage de la tiare pontificale.
D窶冰n autre cテエtテゥ, le roi, dans le domaine temporel,
pourvoit le saint テゥvテェque de ses largesses : ツォ le roi
Clovis ツサ, テゥcrit Hincmar, ツォ テゥtabli dans la citテゥ de Sois-
sons, apprテゥciait beaucoup la prテゥsence et la conver-
sation de saint Rテゥmi ツサ, mais l窶凖ゥvテェque ne disposait lテ
que d窶冰n tout petit lieu de sテゥjour. Aussi le roi lui fit-
il don de tout le territoire dont il aurait le temps de
faire le tour pendant sa sieste. La promenade,
conforme テ un topique lテゥgendaire que nous retrou-
verons ailleurs
38
, n窶兮lla pas sans incident miraculeux.
Elle permettait de justifier les possessions de l窶凖ゥglise
rテゥmoise dans le Soissonnais, en particulier la trティs
puissante forteresse de Coucy, qui faisait partie du
lot. Sans doute Rテゥmi avait-il cheminテゥ d窶冰n bon pas,
A
UX RACINES DE LA ROYAUTテ SACRテ右
38
Cf. infra, p. 149, oテケ le rテゥcit est rapportテゥ plus en dテゥtail.
et Clovis prolongテゥ sa mテゥridienne. Le testament court
du saint, considテゥrテゥ comme authentique, qu窶僣incmar
insティre dans son hagiographie, fait テゥgalement テゥtat des
gテゥnテゥrositテゥs royales.
La carriティre des deux hテゥros se clテエt de faテァon paral-
lティle : tandis que le roi, dans l窶冩rdre laテッc, est nommテゥ
consul par l窶册mpereur Anastase, l窶凖ゥvテェque, et c窶册st une
nouveautテゥ, est proclamテゥ par le pape Hormisdas, dans
l窶冩rdre ecclテゥsiastique supテゥrieur au premier, son
vicaire dans le royaume de Clovis. Ainsi est assumテゥ
et transmis le double hテゥritage de Rome. Enfin, テ
l窶冓nstant mテェme oテケ le roi dテゥcティde, l窶凖ゥvテェque, comme
cela se retrouve dans beaucoup d窶冑agiographies, est
directement informテゥ par le Saint-Esprit.
Reims テ la conquテェte du monopole
La lettre d窶僣ormisdas テ Rテゥmi, qui lie テゥtroitement
le siティge de Reims テ la monarchie franque, fut cer-
tainement fabriquテゥe sous l窶凖ゥpiscopat d窶僣incmar, pour
fortifier sa position face aux rois d窶儖ccident, et sur-
tout face テ des テゥglises concurrentes, principalement
celles de Rouen et de Sens, qui pouvaient prテゥtendre
elles aussi テ ce prテゥcieux vicariat. L窶冰n des premiers
テ se rテゥfテゥrer テ ce document apocryphe fut le succes-
seur d窶僣incmar, Foulques, qui eut テ exercer concrティ-
tement cette fonction de lテゥgitimation par le sacre de
la fonction royale. En effet, en 888, le trティs jeune
C
LOVIS
Charles III dit le Simple avait テゥtテゥ テゥcartテゥ de la royautテゥ
des Francs de l窶儖uest au profit d窶冰n non-carolingien,
le comte de Paris Eudes, sacrテゥ テ Compiティgne, au moyen
d窶冰ne huile qui n窶凖ゥtait certainement pas celle du bap-
tテェme de Clovis, par l窶兮rchevテェque de Sens Gautier.
Ainsi le privilティge rテゥmois, d窶兮ffirmation rテゥcente,
テゥtait battu en brティche. Foulques, placテゥ テ la tテェte du
parti carolingien, n窶凖ゥtait pas parvenu テ s窶冩pposer テ
la nouvelle puissante montante, celle des Rober-
tiens
39
, qui s窶兮ppuyait davantage sur le rテゥseau
monastique que sur l窶凖ゥpiscopat traditionnel. Cinq ans
plus tard, il arrivait テ ses fins en sacrant テ Saint-Rテゥmi
de Reims Charles le Simple, arriティre-petit-fils de
Louis le Pieux et donc, avait naguティre rappelテゥ Hinc-
mar, descendant direct de Clovis. Dテゥsormais, jusqu窶凖
la mort d窶僞udes en 898, la lテゥgitimitテゥ de Charles parut
s窶冓mposer テ son rival ; du moins tant que le roi fit,
aux yeux de l窶凖曳lise, bon usage de sa fonction.
Lorsque, en 922, l窶兮rchevテェque Hervテゥ, aprティs avoir
longtemps apportテゥ son soutien au roi Charles contre
son aristocratie rテゥvoltテゥe, le lui retire, c窶册n est fait du
rティgne du Carolingien, au profit de son compテゥtiteur
Robert, le frティre d窶僞udes, sacrテゥ テ Saint-Rテゥmi. De
mテェme, mais dans une configuration inverse, en 987,
l窶兮rchevテェque de Reims Adalbテゥron convaincra une
partie de l窶兮ristocratie et de l窶凖ゥglise franques que le
A
UX RACINES DE LA ROYAUTテ SACRテ右
39
Eudes est le fils aテョnテゥ de Robert le Fort et l窶兮rriティre-grand-pティre
d窶僣ugues Capet.
petit-fils de Charles le Simple, Charles de Lorraine,
est inapte テ rテゥgner, et prendra en main l窶兮vティnement
d窶僣ugues Capet, contre l窶兮vis de son collティgue et rival
de Sens, Seguin. Ainsi fructifiait l窶冑テゥritage idテゥolo-
gique de Rテゥmi et de Clovis.
Au XI
e
siティcle, il continue de se fortifier et achティve
de s窶冓mposer, grテ「ce テ un arsenal de textes et de dテゥcla-
rations oテケ, selon une formule テゥprouvテゥe, le faux et
l窶兮uthentique se mテェlent pour constituer une vテゥritテゥ.
C窶册st vers 1059, テ l窶冩ccasion du sacre de Philippe I
er
,
que fut introduite dans l窶Histoire de l窶凖ゥglise de Reims
de Flodoard une version trティs sensiblement augmen-
tテゥe du testament de Rテゥmi, qui avait l窶兮vantage d窶兮c-
croテョtre considテゥrablement la liste des biens possテゥdテゥs
par l窶凖ゥglise rテゥmoise, et aussi d窶兮sseoir plus solennel-
lement la prテゥテゥminence de son テゥvテェque par rapport テ
la dynastie royale. En effet dans ce testament enri-
chi et augmentテゥ Rテゥmi, faisant rテゥfテゥrence テ ツォ la famille
royale que j窶兮i テゥlue pour テェtre テゥlevテゥe テ tout jamais テ
la majestテゥ royale, que j窶兮i baptisテゥe et ordonnテゥe テ la
royautテゥ par l窶冩nction du saint chrテェme ツサ, dテゥclare que
si un de ses membres s窶册n prenait un jour aux テゥglises,
l窶兮rchevテェque de Reims et ses テゥvテェques, aprティs sept
avertissements successifs, devront prononcer contre
lui l窶册xcommunication, l窶凖ゥcartant ainsi de la fonction
royale. Pour la premiティre fois, il est ainsi affirmテゥ que
l窶兮rchevテェque de Reims テゥlit, c窶册st-テ-dire choisit, par
instruction divine, le titulaire de la royautテゥ. Cette prテゥ-
tention, l窶兮rchevテェque Gervais, lors du sacre du jeune
C
LOVIS
Philippe I
er
テ Reims en 1059, la proclame publique-
ment, lui assignant pour origine le baptテェme et la
consテゥcration de Clovis par Rテゥmi. La crosse qu窶冓l a
en main, ajoute-t-il, a テゥtテゥ donnテゥe テ Rテゥmi par le pape
Hormisdas, ツォ avec le pouvoir de procテゥder au sacre
et la primatie de toute la Gaule ツサ. Trente ans plus
tard, le pape Urbain II confirmait テ l窶兮rchevテェque Rai-
naud la primatie, et l窶冓nvestissait, lui et ses succes-
seurs, du privilティge exclusif de sacrer les rois des
Francs, テ l窶冓mage de saint Rテゥmi qui, aprティs avoir
converti Clovis, l窶兮vait テゥtabli le premier comme ツォ roi
trティs chrテゥtien ツサ. Cette fois, les archevテェques de Reims
ne s窶兮utoproclamaient plus consテゥcrateurs, ils rece-
vaient cette mission de la plus haute instance spiri-
tuelle de la chrテゥtientテゥ. Le pape y ajoutait le pouvoir
de sacrer aussi les reines et de couronner ces mテェmes
rois, テ l窶册xclusion de tout autre archevテェque ou
テゥvテェque. L窶兮ppellation de rex christianissimus, jetテゥe
comme en passant, fait ici sa premiティre apparition
dans un document officiel. Rome, en assimilant le roi
des Francs テ Clovis, lui reconnaテョt ce titre, qui appa-
raテョt attachテゥ テ cette procテゥdure trティs sainte et テ vrai dire
unique, le sacre du roi par le moyen d窶冰ne huile
d窶冩rigine divine. Premier roi trティs chrテゥtien, Clovis, テ
partir du XI
e
siティcle, a transmis cette qualitテゥ テ tous
ses successeurs テ la couronne de France, qui feront
sonner trティs haut cette テゥpithティte.
A
UX RACINES DE LA ROYAUTテ SACRテ右
Les mots et les images
Baptテェme miraculeux de Clovis par le saint chrテェme
apportテゥ dans une ampoule par la colombe du Saint-
Esprit et perpテゥtuellement renouvelテゥ テ Saint-Rテゥmi,
identification de ce geste avec le sacre des rois
francs, monopole des archevテェques de Reims pour
sacrer et couronner le roi, et apprテゥcier son aptitude
テ exercer sa fonction, l窶册ssentiel est dティs lors fixテゥ,
sinon dテゥfinitivement acquis. Sans doute ces テゥlテゥments
constitutifs de la royautテゥ sacrテゥe et du patrimoine de
la monarchie franテァaise firent-ils l窶冩bjet de variations,
voire de tentatives de captation ou de dテゥtournement.
Le miracle de la colombe fut rapidement et large-
ment adoptテゥ. Sa premiティre reprテゥsentation iconogra-
phique connue se trouve sur une plaque d窶冓voire du
X
e
siティcle qui servit sans doute テ orner la reliure d窶冰n
manuscrit de la Vie de saint Rテゥmi. Dans les toutes
premiティres annテゥes du XI
e
siティcle, cet テゥpisode prend
place dans la chronique composテゥe par Aimoin, moine
de Fleury-sur-Loire oテケ se consigne alors l窶冑istoire
des Francs. De lテ elle diffusera dans l窶册nsemble de
l窶冑istoriographie royale franテァaise, en particulier par
le biais des Grandes Chroniques de France, compi-
lテゥes テ Saint-Denis dans la deuxiティme moitiテゥ du XIII
e
siティcle, テ la demande de Saint Louis, et tant de fois
recopiテゥes, rテゥsumテゥes, dテゥmarquテゥes. Dans le dテゥtail, elle
s窶册njolive. Ainsi l窶冑agiographe de sainte Clotilde, qui
テゥcrit peut-テェtre au dテゥbut du X
e
siティcle, donne テ voir
C
LOVIS
non pas une mais deux ampoules apportテゥes par la
colombe, contenant l窶冰ne de l窶冑uile l窶兮utre du chrテェme.
Dティs la fin du X
e
siティcle la colombe, mテェme si elle res-
tera toujours le vテゥhicule principal de la sainte
ampoule, est parfois remplacテゥe par un ange
40
, dont
il se dira plus tard qu窶冓l pourrait テェtre saint Michel,
Clovis テゥtant alors rテゥputテゥ avoir fondテゥ la premiティre
テゥglise consacrテゥe en France テ ce saint dont le culte
ne s窶凉 dテゥveloppa qu窶兮ssez tardivement. Au dテゥbut du
XIII
e
siティcle le chapelain de Philippe Auguste,
Guillaume le Breton, explique dans sa chronique le
manque de chrテェme au moment du baptテェme de Clo-
vis par un coup du diable, qui fait que l窶兮mpoule se
brise. Certains assistants en concluent que Dieu, par
cet incident, manifeste qu窶冓l ne veut pas que le roi
devienne chrテゥtien, mais saint Rテゥmi, ツォ par la priティre
et les larmes, obtient du Seigneur qu窶冰ne ampoule
cテゥleste pleine d窶冰ne huile angテゥlique lui soit appor-
tテゥe par la main d窶冰n ange ツサ. Dans un effet de rテゥel
inattendu, Nicole Gilles, secrテゥtaire de Charles VIII,
se prテゥoccupe de la situation embarrassante de Clovis
attendant dans son bassin l窶兮rrivテゥe du porte-chrテェme
coincテゥ par la foule : ツォ Et demeurait le roi tout nu
dedans les fonts trop longuement, dont il テゥtait aucu-
nement vergogneux de se voir nu entre tant de peuple ツサ.
A
UX RACINES DE LA ROYAUTテ SACRテ右
40
On trouve aussi des formules mixtes, comme dans une charte de
Charles V pour l窶凖ゥglise de Reims, en date de 1380 : ツォ Le Saint-Esprit,
ou bien un ange, apparut sous la forme d窶冰ne colombe ツサ.
C窶册st qu窶凖 la fin du XV
e
siティcle, la nuditテゥ est dテゥsor-
mais considテゥrテゥe comme impudique. テ cette mテェme
テゥpoque le baptテェme-sacre de Clovis, dテゥjテ sculptテゥ au
XIII
e
siティcle en trois endroits de la cathテゥdrale de
Reims, figure comme un thティme obligテゥ du programme
iconographique de la cテゥrテゥmonie rテゥmoise. Faisant son
entrテゥe テ Reims en 1484, Charles VIII a l窶册sprit テゥdi-
fiテゥ et les yeux rテゥjouis par un tableau vivant montrant
ツォ le mystティre du baptistティre, et le sacre du roi Clovis
premier roi chrテゥtien des Franテァais ツサ, et commentテゥ par
une petite piティce de vers :
L窶兮n de grテ「ce 500, le roi Clovis
Reテァut テ Reims par saint Rテゥmi baptテェme,
Couronne, et sacre de l窶兮mpoule pour chrテェme,
Que Dieu des cieux par son ange a transmis.
En 1610, en l窶冑onneur du jeune Louis XIII, ツォ un
arc de triomphe reprテゥsentait Clovis et portait des
vers latins et franテァais テ la gloire du royaume et de
l窶册mpire que le roi avait conquis et gardテゥ grテ「ce テ sa
vaillance et grテ「ce テ son chrテェme
41
ツサ
.
Il en alla de
mテェme pour Louis XV et aussi, j窶凉 reviendrai, pour
le dernier des rois sacrテゥs, Charles X, en 1825. テ par-
tir du sacre d窶僣enri II, en 1547, il fut d窶冰sage de dis-
tribuer テ la foule des jetons, reprテゥsentant la colombe
ou la main d窶冰n ange apportant la sainte ampoule.
C
LOVIS
41
Cf. Richard A. Jackson, Vivat Rex. Histoire des sacres et cou-
ronnements en France, 1364-1825, trad. Monique Arav, Paris, 1984.
Le succティs posthume d窶僣incmar テゥtait alors acquis
depuis longtemps.
Captations d窶冑テゥritage
Cependant le baptテェme de Clovis テゥtait une circons-
tance d窶冰ne telle importance spirituelle et idテゥologique
que, trティs tテエt, le monopole de saint Rテゥmi avait sus-
citテゥ des convoitises. Pourquoi l窶凖ゥvテェque et l窶凖ゥglise de
Reims auraient-ils テゥtテゥ les seuls テ en tirer bテゥnテゥfice ?
Il apparut donc opportun テ certaines テゥglises de faire
participer leur saint patron テ la cテゥrテゥmonie. Le pre-
mier テ s窶凉 inviter fut Vaast (Vedastus), qui fut テゥvテェque
d窶僊rras dans la premiティre moitiテゥ du VI
e
siティcle et qui
possティde une certaine consistance historique. Son
hagiographie, rテゥdigテゥe vers 640 par l窶冓llustre abbテゥ
Jonas de Bobbio, raconte comment le roi Clovis,
aprティs le difficile combat contre les Alamans oテケ il
n窶兮vait obtenu la victoire qu窶兮prティs promesse de
conversion au dieu de Clotilde, テゥtait arrivテゥ テ Toul.
Lテ il avait demandテゥ テ Vaast, dont les mテゥrites テゥtaient
dテゥjテ connus, de l窶兮ccompagner jusqu窶兮u lieu de son
baptテェme. En chemin, l窶冑omme de Dieu instruisit son
royal catテゥchumティne des vテゥritテゥs divines et, parvenu
avec lui テ Reims, assista au baptテェme. Le roi le recom-
manda テ Rテゥmi, qui l窶册nvoya テゥvangテゥliser l窶僊rtois.
Les frティres jumeaux Gildard et Mテゥdard jouティrent dans
la vie de Clovis un rテエle plus important, テ en croire
A
UX RACINES DE LA ROYAUTテ SACRテ右
la Vita Gildardi, テゥcrite au plus tテエt, du moins telle que
nous la connaissons, au dテゥbut du X
e
siティcle
42
. Les
jeunes gens furent attirテゥs au palais de Clovis, encore
paテッen, par Rテゥmi, qui y tenait alors le premier rang et
professait en secret le christianisme. Tous trois テゥdi-
fiティrent le roi par leur exemple. Rテゥmi fut bientテエt テゥlu
テゥvテェque de Reims, tandis que Gildard devenait テゥvテェque
de Rouen et Mテゥdard de Noyon. Rテゥmi et Mテゥdard
achevティrent de convaincre le roi de se convertir : Rテゥmi
le baptisa, mais ce fut Mテゥdard de Noyon qui le reテァut
et l窶兮ccueillit au sortir de la cuve baptismale. Autant
dire qu窶冓l テゥtait partie prenante テ la liturgie. L窶凖ゥglise
de Chartres alla plus loin et fit plus fort. Il n窶册st pas
douteux que, entre 485 et 510 environ, elle eut pour
テゥvテェque un nommテゥ Solein, dont l窶冑agiographie a テゥtテゥ
rテゥdigテゥe au moins trois cents ans plus tard. On y
apprend que Clovis, partant en expテゥdition contre les
Visigoths, entre テ Chartres alors que dans l窶凖ゥglise
rテゥsonne un chant d窶冑eureux prテゥsage, le mテェme du
reste qu窶册ntendit Clovis arrivant テ Saint-Martin de
Tours, car l窶冑agiographe, comme ses collティgues, tra-
vaille テ partir du fond fourni par Grテゥgoire de Tours.
C
LOVIS
42
La trティs grande difficultテゥ d窶冓nterprテゥtation et d窶冰tilisation des hagio-
graphies tient en particulier テ ce que la version parvenue jusqu窶凖 nous
est souvent la reprise et le dテゥveloppement d窶冰n rテゥcit plus ancien, et
historiquement plus sテサr. C窶册st le cas pour saint Rテゥmi et saint Maixent,
dont Grテゥgoire de Tours a connu les premiティres hagiographies perdues
depuis, et remplacテゥes par d窶兮utres, par exemple celle rテゥdigテゥe par
Hincmar.
L窶凖ゥvテェque Solein trace le signe de croix sur le front
et la poitrine du roi, qui lui promet de se faire bap-
tiser s窶冓l est victorieux. La nuit suivant la victoire dif-
ficilement acquise, l窶凖ゥvテェque apparaテョt en rテェve au roi,
honneur insigne pour tous les deux, et lui demande
de se montrer clテゥment. De retour d窶僊quitaine, Clovis
est baptisテゥ par Solein, qui est aidテゥ par ツォ Rテゥmi テゥvテェque
de la ville de Reims ツサ. De ツォ nobles satrapes ツサ, au
nombre de 365, ツォ formant comme le cercle d窶冩r d窶冰ne
annテゥe ツサ, sont テゥgalement baptisテゥs. Il y a lテ une signifi-
cation lテゥgendaire qui nous テゥchappe, mais que les contem-
porains devaient apprテゥcier. Ce dテゥsir de supplanter
Rテゥmi auprティs de Clovis resta sans suite. En effet la
cathテゥdrale de Chartres a テゥtテゥ pourvue au XII
e
siティcle
d窶冰ne verriティre basse racontant la vie de saint Rテゥmi,
que l窶冩n voit baptiser/sacrer Clovis テ l窶兮ide du
chrテェme de la sainte ampoule, alors que Solein n窶兮p-
paraテョt que sur une verriティre haute, moins visible, et
sans aucun rapport avec Clovis
43
. Seul, de faテァon
purement fortuite, Henri IV fut sacrテゥ テ Chartres, avec
une huile rテゥputテゥe avoir テゥtテゥ apportテゥe dans une fiole テ
saint Martin par un ange pour le guテゥrir d窶冰ne chute.
Plus que de Saint-Martin, qui ne revendiqua pas,
en dテゥpit des arguments qu窶冓l pouvait faire valoir, la
localisation du baptテェme de Clovis, Reims eut enfin
テ redouter la concurrence de Saint-Denis, lテ oテケ,
A
UX RACINES DE LA ROYAUTテ SACRテ右
43
Cf. Colette Manhes-Deremble, Les vitraux narratifs de la cathテゥ-
drale de Chartres, Corpus Vitrearum, Paris, 1993, pp. 254-256.
premier des rois, Pテゥpin le Bref avait テゥtテゥ sacrテゥ, lテ oテケ,
de plus en plus, テゥtait consignテゥe l窶冑istoire des rティgnes,
oテケ テゥtaient ensevelis les rois et conservテゥs les regalia,
tous ces objets, テ commencer par les couronnes et
les sceptres, par lesquels les rois sacrテゥs apparaissaient
en majestテゥ. Mais Denis n窶凖ゥtait pas Rテゥmi. Aucun
document, aucune circonstance ne permettait de relier
sa mテゥmoire テ celle du premier roi chrテゥtien franc. Ce
n窶册st guティre que dans la Chanson de Floovant, mise
en forme テ la fin du XII
e
siティcle ou au dテゥbut du XIII
e
,
que Clovis, rテゥputテゥ pティre de Floovant, est baptisテゥ ツォ en
douce France, au moutier Saint Denis ツサ
44
. Enfin, et
curieusement, la noblesse franテァaise, pourtant sou-
cieuse de ses origines qu窶册lle faisait volontiers
remonter テ Charlemagne, ne songea pas テ tirer parti
de la prテゥsence des trois mille, voire six mille guer-
riers que Clovis entraテョna dans la cテゥrテゥmonie baptis-
male. N窶册st citテゥ, テ la fin du XVI
e
siティcle, qu窶冰n certain
Lisoye, seigneur de Montmorency, ツォ qui le premier
des barons franテァais aprティs le roi se jeta dans la cuve
des fonts, laissant テ ses successeurs l窶冩ccasion de
crier en guerre Dieu aide au premier chrテゥtien ! ツサ
45
C
LOVIS
44
L窶兮uteur anonyme a beau renvoyer quiconque l窶兮ccuserait de men-
songe, donc テゥventuellement un Rテゥmois, テ la lecture de ツォ l窶册stoire en
France, テ Paris ツサ, c窶册st-テ-dire テ Saint-Denis, on ne trouve aucune
localisation du baptテェme テ Saint-Denis dans l窶冑istoriographie diony-
sienne.
45
Cf. Claude Fauchet, Les Antiquitテゥs gauloises et franテァaises, Paris
1599, p. 57. On sait que les Montmorency se dテゥclaraient ツォ premiers
barons de la chrテゥtientテゥ ツサ.