Buzz médiatique autour du linceul de Turin

C'est une déferlante d'obscurantisme qui s'est abattu ce week end sur la télévision du service public français autour de ce que l'on appelle le « suaire de Turin », qui serait selon ses adorateurs le linceul dont on aurait recouvert Jésus Christ après sa crucifixion.

D'abord dans l'émission C dans l'air (France 5) du vendredi 25 novembre 2005, présenté par Yves Calvi. Pour débattre sur l'authenticité du linceul et l'éventuelle possibilité de cloner Jésus Christ à partir des traces de sang présentes sur le tissu (Halala !), le journaliste avait convié 2 invités « pour » l'authenticité du linceul (François Brune, prêtre et théologien et Pierre Merat, chirurgien orthopédique et président du Centre international d'études sur le linceul de Turin), 1 invité « contre » (Jacques Evin, ancien ingénieur de recherches au CNRS spécialiste de la datation radiocarbone) et 1 invité « neutre » (Odon Vallet, historien des religions). Voilà un « débat » légèrement déséquilibré. Le contenu des échanges avait aussi de quoi surprendre :

Thierry Ardisson recevait lui Didier Van Cauwelaert dans son émission Tout le monde en parle du samedi 26 novembre 2005, pour la promotion du dernier ouvrage de l'auteur, Cloner le christ ?. Là, il ne s'agissait plus de débat mais d'une interview dont on n'avait pas grand chose à attendre. Van Cauwelaert a donc pu développer à loisir ses thèses sans avoir à faire face à la moindre contradiction. Le député socialiste Jean Glavany a bien essayé de démarrer une réflexion sur une montée de l'obscurantisme, mais il a bien vite été recadré, et rien de sérieux n'est ressortit de l'émission, mise à part l'incompétence du maître de cérémonie à comprendre ce qu'est une démarche scientifique.

Un seul exemple de cette incompétence d'Ardisson : l'affirmation que la « datation au carbone 14 démontre que le suaire est un faux fabriqué à l'époque médiévale ». Alors, répétons-le, car certains ne comprennent toujours pas le sens d'une expertise scientifique : la datation au carbone 14 ne démontre pas que le suaire est un faux fabriqué à l'époque médiévale. La datation au carbone 14 démontre une chose et une seule : que les fibres de lin constituant le linceul ont été tissées entre 1260 et 1370. Point.

Par ailleurs, cette datation cadre bien avec les première représentations (non controversées) du suaire au XIVe siècle et ce que l'on sait des pratiques religieuses de cette époque. Enfin, on peut expérimenter des techniques très simples, connues au Moyen-Age, permettant de reproduire l'image imprimée sur le linceul. De tout cela, on peut déduire que le suaire de Turin date vraisemblablement du XIVe siècle. Quant à sa « fausseté », c'est une autre question : est « fausse » l'affirmation qui fait de ce linceul celui qui recouvrit Jésus Christ après sa crucifixion. Le suaire de Turin n'est a priori un « faux » que si on lui applique cette affirmation. Ce n'est plus un « faux » si on le replace dans le cadre des pratiques religieuses de la fin du Moyen-Age et la célébration de la Passion du Christ par exemple.

Mais ce type d'approche n'est pas « télégénique », alors on préfère simplifier les raisonnements avec une assertion primaire du genre « la datation c14 montre que c'est un faux », avec comme conséquence une simplification du discours scientifique, ce qui peut être dévastateur dans l'esprit du téléspectateur moyen :

Une conséquence qui peut être illustrer par le niveau de discussion sur le forum dédié à l'émission d'Yves Calvi du site de France 5 : fôtes d'orthographe et de syntaxe dignes des plus belles heures d'un chat sur MSN témoignant à l'évidence d'un manque de réflexion ; islamophobie qui suinte par tous les ports de certains messages et dont on se demande ce qu'elle vient faire là - mais les récentes saillies de la « droite décomplexée » sur les barbus, la polygamie, etc. n'y sont sans doute pas étrangères ; affirmations gratuites sans mises en perspectives ; etc... C'est une critique un peu facile, je l'avoue, mais qui illustre parfaitement pour moi la chose : la difficulté d'exposer des raisonnements complexes, à plusieurs niveaux et non manichéens propres à la démarche scientifique.

Une ultime réflexion : je pense que cette « controverse », tout comme celle qui oppose actuellement les biologistes aux religieux du courant « Dessein intelligent » aux États-Unis, n'aurait sans doute jamais lieu d'être - du moins pas à ce niveau - si les hommes de sciences avaient été moins hypocrite dés le départ. Cette « hypocrisie » peut se comprendre si l'on regarde l'histoire mouvementée des relations entre sciences et religion, mais comme l'a souligné Alan Sokal dans son dernier ouvrage, La vision du monde de la science moderne, si l'on veut bien être honnête à ce propos, conduit naturellement à l'athéisme (...). Laisser sous-entendre, depuis des décennies et pour conserver un statu quo politiquement correct, que ces deux visions du monde peuvent co-exister, c'est finalement permettre de présenter ces controverses, qui n'en sont pas, comme parfaitement valides.

Edit : un collègue me signale qu'il a eu l'occasion d'interviewer le président du CIELT en 2002 à propos de la controverse du linceul de Turin et, qu'au terme de l'entretien, ce dernier avait fini par dire que derrière tout cela, il y avait un complot franc-maçon... Je vous laisse seuls juges de la pertinence de ce type d'argument.

En savoir plus :

Berger Patrick, « « Suaire » de Turin : Comment Ray Rogers a trompé ses lecteurs », Cercle de Zététique, date inconnue.

Blanrue Paul-Éric, « Pourquoi le « suaire » de Turin est une imposture », Cercle de Zététique, date inconnue.

Broch Henri, « Carbone 14, contamination et rajeunissement du « Saint Suaire de Turin » », Université de Nice-Sophia Antipolis, date inconnue.

Carroll Robert Todd, « Shroud of Turin », Skepdic, 30 octobre 2005.

Evin Jacques, « La datation du linceul de Turin : le point de vue d'un spécialiste du radiocarbone », Centre de Datation par le Radiocarbone de l'Université de Lyon, date inconnue.

Goudet Jean-Luc, « Un faux saint-suaire de Turin réalisé en cinq minutes ! », Futura-Sciences, 30 juin 2005.

Tropman Bernard, « Le « Suaire de Turin », Un faux et intox », Cercle de Zététique, date inconnue.


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