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  Difficultés des films européens en Europe
  Message publié le le 17/02/2007 à 11:24:10 par Nicolas & Fanny Descalles & Fromental - lu 4817 fois
Nicolas Descalles et Fanny Fromental


Les difficultés des films européens à s’imposer sur leur propre territoire
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Introduction

Nous sommes partis d’un constat simple qui se résume en une statistique : 71% des films vus dans une salle de cinéma européenne en 2004 sont des films produits sur le continent américain . Ce chiffre n’est ni spécifique à l’année 2004 (depuis 1997, la part des films américains vus en Europe est en moyenne de 70%), ni le résultat de l’ultra domination des films américains dans une poignée de pays européens (les films américains représentent 72% des films vus en Allemagne, 69.8% en Espagne, 61.9% en Italie ou encore 73.2% au Royaume-Uni). Ce chiffre a de quoi préoccuper tout défenseur de la diversité culturelle, dont l’un des fers de lance est la défense des intérêts nationaux et ou régionaux de la filière cinématographique. Rappelons brièvement le principe de diversité culturelle appliquée à la filière cinématographique selon la déclaration universelle de l’Unesco : « une attention particulière doit être accordée à la diversité de l’offre créatrice […] ainsi qu’à la spécificité des biens et services culturels qui, parce qu’ils sont porteurs d’identité, de valeurs et de sens, ne doivent pas être considérés comme des marchandises ou des biens de consommation comme les autres » . De plus, il est précisé que « tout en assurant la libre circulation des idées et des œuvres, les politiques culturelles doivent créer les conditions propices à la production et à la diffusion de biens et services culturels diversifiés, grâce à des industries culturelles disposant des moyens de s’affirmer à l’échelle locale et mondiale » .

Si l’on applique ces deux articles à la filière cinématographique européenne, les films ne sont donc pas des marchandises comme les autres et l’Europe a le devoir de créer des conditions propices à la production et la diffusion des films produits sur son territoire. Or, si l’on en croit la statistique qui reflète l’écrasante domination américaine sur le marché européen, ces conditions ne sont pas réunies. Nous sommes donc en droit de nous demander sur quel secteur l’industrie cinématographique européenne n’arrive pas à concurrencer sa rivale américaine. L’industrie du cinéma se composant de trois secteurs principaux : la production, la distribution et l’exploitation, nous allons essayer de mettre en évidence les raisons de l’échec de la stratégie européenne avant d’analyser l’efficacité des différentes politiques menées en Europe pour tenter de rééquilibrer la situation.


I. Les clés de l’échec européen


L’échec du cinéma européen sur son propre territoire est avant tout dû à la réussite du cinéma américain. En effet, la domination du cinéma américain sur le marché européen est incontestable. Si on prend l’année 2004, neuf des dix films ayant connu le plus de succès sont financés majoritairement par des capitaux américains. Seul Bridget Jones 2 est produit au Royaume-Uni mais co-produit et distribué par une major hollywoodienne, Universal. De façon générale, les 348 films américains distribués dans l'Union Européenne entre 1996 et 2000 ont réalisé plus d'un million d'entrées alors que seulement 165 films produits dans l'Union Européenne ont atteint ce niveau. 83 % des films européens ont donc réalisé moins de 1 million d'entrées dans l'Union européenne, alors que seulement 66 % des films américains ne dépassaient pas ce niveau. Une telle comparaison devient encore plus accablante si l’on prend en considération les entrées réalisées sur le marché américain. Il apparaît ainsi que 404 films américains ont réalisé plus de 5 millions d'entrées sur l'ensemble du marché européen et du marché américain, alors que seulement 40 films européens ont atteint ce niveau. Le rapport entre l'Europe et les États-Unis est donc de l'ordre de 1 à 10.

La raison du succès américain en Europe se situe principalement au niveau de la distribution. Les majors américaines, qui produisent et exportent leurs films cherchent les meilleures conditions possibles de distribution sur le territoire étranger. Différentes stratégies toutes aussi efficaces existent. Les voici:

• La création d’une filiale européenne de distribution commune à deux majors. Les deux majors Paramount et Universal se sont alliées pour créer United International Pictures.

• La création d’une filiale de distribution par une seule major. Disney avec Buena Vista, Columbia et Warner se sont implantés en Europe afin de mieux connaître son marché pour mieux pouvoir le pénétrer.

• L’association des majors américaines avec des entreprises de distribution nationales importantes .

• L’utilisation de sociétés de distribution européennes spécialisées dans l’importation de films américains .

Ces sociétés de distribution ont ainsi pour caractéristique commune de connaître aussi bien le produit exporté que le marché sur lequel elles le distribuent. Ce double avantage explique en partie le succès des films américains sur le territoire européen. Les filiales des majors américaines occupent 64% du marché européen de la distribution, ne laissant ainsi qu’une place limitée aux sociétés européennes de distribution, qui préfèrent investir dans des accords avec les majors américaines plutôt que de coopérer. Cet attrait des grands distributeurs européens pour les productions hollywoodiennes est évidemment un frein au succès des films européens, qui demeurent malgré tout sous distribués à l’échelle continentale.

Une solution à ce problème de la distribution des films européens en Europe serait la création d’une major européenne de distribution. En 1991, Polygram a essayé de devenir cette première major européenne. Polygram qui appartient à Philips, est à l’époque spécialiste de l’industrie phonographique et essaie donc d’appliquer le modèle de cette industrie à celle du cinéma. Polygram Filmed Entertainment est ainsi créée et est organisée autour de labels qui travaillent chacun avec « son équipe, sa liberté de création dans la limite d’un certain budget.» Si cette organisation se différencie de celle des majors hollywoodiennes, qui contrôlent le contenu des films beaucoup plus rigoureusement, PFE a néanmoins mérité son nom de major européenne au vu de sa puissance financière, de l’intégration verticale entre production et distribution, de la maîtrise des circuits de distribution à l’échelle continentale. Mais l’autonomie voulue par PFE en termes artistiques a montré ses limites financières et les productions bénéficiant des budgets les plus élevés se sont toutes avérées être des échecs. Philips a donc cédé PFE en 1998 à Seagram, déjà propriétaire d’Universal, dont le département production a intégré PFE.

Depuis l’échec de Polygram Filmed Entertainment dans les années 90, aucune grande société européenne de distribution n’a vu le jour, ce qui fait qu’un film européen qui veut une stratégie de distribution à l’échelle continentale, doit passer par la filiale d’une major américaine. C’est le cas de Billy Elliot, production britannique distribuée partout en Europe par UIP (sauf en France) ou des films de Almodovar, distribués par Warner.

On constate une fragmentation du secteur de la distribution en Europe. Nous sommes devant une situation d’oligopoles dans chacun des pays européens. Cette fragmentation ne facilite pas la circulation des productions nationales à l’échelle continentale et explique en partie la faible exportation des films européens en dehors de leur territoire. En 2000, la part de marché des films européens en dehors de leur marché national était seulement de 8 %. Certains blockbusters nationaux ne sont que des phénomènes nationaux et ne connaissent pas la même réussite dans le reste de l’Europe. Les Visiteurs, plus gros succès au box-office français n’a jamais connu de succès dans le reste de l’Europe.

En outre, l'industrie cinématographique européenne souffre d’un affaiblissement tendanciel des parts de marché des films nationaux sur leur marché national respectif. En 2005, excepté en France, la part de marché des films nationaux en Espagne, en Italie, en Allemagne ou en Suède ne dépasse jamais 20%.

Ainsi, la principale faiblesse de l'industrie cinématographique européenne réside probablement dans le fait que la production, la distribution et la consommation du cinéma restent avant tout, en Europe, soumises à des logiques nationales. Du point de vue économique, l'industrie cinématographique européenne éprouve de la peine à bénéficier des effets d'échelle que suppose la logique du marché unique, permettant de comparer marché américain et marché européen.


II.- Une politique européenne inefficace ?


Face à l’hégémonie américaine, les pays européens tentent depuis une quinzaine d’années de répondre par une politique volontariste de mise en place de systèmes d’aides communautaires. Il semble cependant qu’aujourd’hui, cette solution ne suffise plus. L’Europe s’est agrandie rapidement et les nouveaux pays entrants ont été pendant très longtemps fortement exposés aux productions audiovisuelles américaines et ainsi peu sensibilisés à l’importance de la diversité culturelle. Il en résulte des négociations complexes au sein de l’Union Européenne pour augmenter les aides publiques au cinéma.

La France est cependant parvenue à impulser une politique d’aides pour que le cinéma européen puisse prendre sens. Elle a ainsi été à l’origine de la fondation d’un fonds européen d’aide à la coproduction et à la distribution dans le cadre du Conseil européen, Eurimages, qui est alimenté par des ressources publiques provenant de chaque pays en fonction de l’importance de leur production audiovisuelle et cinématographique. La France assure à elle seule 23% du budget d’Eurimages. Depuis sa création en 1988 jusqu'à la fin de l'année 2000, Eurimages a soutenu 781 coproductions européennes pour un montant total de près de 212 millions d'euros. Les films de coproduction ont l’avantage d’agir comme un film national dans plusieurs pays. La coproduction est également un moyen de favoriser les rencontres des différents acteurs des industries nationales des pays européens, leur permettant de forger l’identité du cinéma européen. Cependant, il ne semble pas que cela ait permis une réelle transformation des mentalités ni même une meilleure circulation des films européens.

Un autre programme a été mis en place au début des années 90, le programme Media qui concentre les interventions communautaires sur la formation, le développement des projets et la distribution. Il apparaît en cela comme complémentaire d'Eurimages, puisqu'il intervient à la fois en amont et en aval de la production. Les programmes Média I et Média II ont respectivement couvert les périodes 1990-1995 et 1996-2000. Leurs moyens d'interventions sont restés très limités. Média II n'a pu disposer que de 310 millions d'euros sur 5 ans pour couvrir 15 pays ; ce montant correspond à deux jours du budget annuel de l'Union. Son bilan est cependant considéré comme positif. Le programme Media plus, qui a couvert la période 2001-2005, a été doté de 400 millions d'euros sur 5 ans. Ce chiffre, même s'il est en augmentation, demeure objectivement modeste par rapport aux ambitions qui devraient être celles d'une politique communautaire.

Enfin, l’association Europa-Cinéma créée en 1992, dans le cadre du programme Media et avec le soutien du Ministère des Affaires étrangères, a pour objectif d’améliorer la diffusion des films européens grâce à des encouragements financiers aux salles qui rejoignent ce réseau. Cette association regroupait à l'été 2000 plus de 800 salles - contre une centaine à sa création - réparties dans 17 pays ; ces salles se sont engagées à consacrer au moins 50% de leurs séances à des films européens, avec une majorité de films non nationaux. Le but de ce réseau est de mieux faire connaître les cinémas des pays voisins.

Toutes ces initiatives européennes marquent la préoccupation des européens à mener une politique volontariste en matière de diversité même si celle-ci reste encore balbutiante, faute de réels moyens financiers.

Conclusion

Le cinéma européen a encore beaucoup de chemin à parcourir pour devenir leader sur son propre marché. Que ce soit sur le marché de la distribution, complètement dominé par les films américains ou sur celui de la production ; les moyens apportés par les politiques de soutien européennes ne donnent pas au cinéma européen beaucoup d’espoir. Les idées et les intentions sont pourtant là mais elles manquent de poids devant les dollars des majors américaines. L’Union Européenne doit pourtant plus que jamais se soucier de valoriser son identité et ses spécificités. C’est une des conditions fondamentales pour que la reconnaissance des différentes cultures entre les différents pays européens puissent s’opérer. La volonté de l’Union Européenne doit donc être double : conserver la diversité de son cinéma tout en lui assurant une meilleure exposition dans chacun de ses états membres. La tentation protectionniste d’une politique de quotas concernant l’exploitation des films en salles pourrait alors réapparaître, puisqu’il semble que les aides financières ne suffisent pas. Ces quotas à l’échelle européenne sont déjà effectifs en télévision et même dans les salles espagnoles où un film sur trois doit être européen.


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Difficultés des films européens en Europe Nicolas & Fanny Descalles & Fromental11:24 le 17/024817
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