ECOLE DES HAUTES ETUDES EN SCIENCES SOCIALES
2004
No. attribué par la bibliothÚqu
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T H E S E
Pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE LâEHESS
en Socioéconomie de Développement
Présentée et soutenue publiquement
Par
Nader BARZIN
Le 23 juin, 2004
LâEconomie Politique de DĂ©veloppement
de lâEnergie NuclĂ©aire en Iran
(1957-2004)
Directeur de thĂšse : M. le Professeur Farhad Khosrokhavar
JURY
M. Houchang Chehabi
M. lâAmiral Marcel Duval
M. Farhad Khosrokhavar
M. RĂ©my Leveau
2
Avant-propos et remerciements
Avant tout, je tiens Ă remercier mon directeur de thĂšses M. le professeur Farhad
Khosrokhavar. Je lui dois lâaboutissement de ce travail. Jâai abordĂ© ce sujet par des
perspectives multiples intégrant une analyse historique alimentée par des théories de
socioĂ©conomie de dĂ©veloppement, des relations et dâĂ©conomie politique internationale,
thĂ©ories des jeux et de la stratĂ©gie. Professeur Khosrokhavar a fait preuve dâune ouverture
extrĂȘme en acceptant de me laisser cette libertĂ©. Le sujet de lâindustrie nuclĂ©aire est
complexe et contient des dimensions multiples qui nĂ©cessitent lâutilisation des thĂ©ories
citĂ©es. Pour moi câest un privilĂšge de soutenir cette thĂšse Ă EHESS.
Jâavais commencĂ© ce travail Ă lâInstitut dâĂ©tudes Politique de Paris il y a douze ans. M. le
professeur Rémy Leveau a été, depuis le premier jour, un soutien précieux pour la
conception du projet de recherche, la compréhension des dynamiques politiques au
Moyen-Orient, lâaccĂšs Ă des sources indispensables pour la recherche, ainsi que pour la
validation de la version intermédiaire de cette étude. Il a toujours été disponible et une
source dâinspiration. Je le remercie vivement.
Une bonne partie de la recherche et de la modélisation théorique avait ensuite été
effectuĂ©e de 1993 Ă 1995 quand jâĂ©tais Ă lâuniversitĂ© de Harvard. Beaucoup de professeurs
dans la communauté de Harvard et du MIT ont été des ressources irremplaçables pour
cette thĂšse. Je remercie particuliĂšrement professeur Houchang Chehabi, dâavoir Ă©tĂ© mon
mentor informel durant mon sĂ©jour Ă Harvard. Jâai pu aborder les mĂ©canismes de la
politique interne en Iran dans le cadre de son séminaire doctoral sur ce sujet. Le professeur
Albert Carnesale, Doyen de la Kennedy School of Government de Harvard, conseiller du
Président Carter pour les affaires nucléaires, avait assuré la direction de ma recherche sur
les aspects internationaux de lâindustrie nuclĂ©aire. Je le remercie ainsi que le professeur
Robert Keohane sous la direction de qui jâai pu modĂ©liser les dynamiques du secteur
nuclĂ©aire en utilisant le paradigme de « chain store » de la thĂ©orie des jeux. Câest dans les
sĂ©minaires doctoraux de professeur Kenneth Oye au MIT que jâai travaillĂ© la revue de
littérature de cette étude. Je lui suis reconnaissant et rappelle que toute insuffisance
remarquée dans cette recherche est de ma seule responsabilité.
3
Jâai bĂ©nĂ©ficiĂ© des bourses de lâIEP, du MinistĂšre des Affaires EtrangĂšres (Lavoisier), et de
lâUniversitĂ© de Harvard entre 1992 et 1995. Sans cela je nâaurai pas pu mener cette Ă©tude Ă
bien, et je suis reconnaissant Ă toutes ces institutions pour leur soutien financier.
Je remercie Ă©galement les diplomates des missions permanentes de la RĂ©publique
Islamique dâIran, auprĂšs de lâONU Ă New York, et auprĂšs de lâAgence Internationale de
lâEnergie Atomique (AIEA) Ă Vienne, et les responsables de lâOrganisation de lâEnergie
Atomique de lâIran (OEAI) de mâavoir accordĂ© de multiples entretiens et libre accĂšs aux
sources primaires et publications en persan. M. Akbar Etemad, président fondateur de
lâOEAI, a eu la gentillesse et la patience de me fournir des feedbacks prĂ©cieux sur mes
raisonnements en 1992-93 et en 2003-04. Faire connaissance dâun responsable dâune telle
dévotion et intégrité a été en soit une récompense de cet effort. M. Shaoul Bakash de
Brookings ainsi que M. Gholamreza Afkhami et M. Hekmat de la Fondation pour les
Etudes Iraniennes Ă Washington mâont fourni des sources et conseils prĂ©cieux et je les
remercie. Je suis Ă©galement reconnaissant de lâaide prĂ©cieuse dâAmiral Marcel Duval,
auteur de lâouvrage majestueuse sur le nuclĂ©aire français, lui-mĂȘme un acteur dans la
crĂ©ation de la capacitĂ© de dissuasion de la France, qui mâa accordĂ© beaucoup de son temps
et des feedbacks précieux.
« Last but not least », je remercie ma famille, et mes amis, notamment Carlos Songini, et
François Rubichon, pour leur encouragement et soutien inconditionnel. Mes amis Erwan
Bigan et Anne Xiberras ont eu la gentillesse de corriger mon français et de me faire des
feedback et suggestions précieuses et je les remercie vivement.
Je rappelle que les conclusions et les arguments prĂ©sentĂ©s ne reflĂštent quâun point de
vue personnel. Il est fort possible quâaucun des interviewĂ©s, ni mon directeur et mes
mentors, ne partagent entiĂšrement les conclusions. La modestie doit ĂȘtre une rĂšgle dans ce
domaine oĂč l'on observe des Ă©carts importants entre l'analyse et la rĂ©alitĂ©.
4
LâEconomie Politique de DĂ©veloppement de lâEnergie NuclĂ©aire en lâIran : 1957-2004
Lâintroduction de lâAtome en Iran sâest fait Ă lâinitiative des Etats-Unis en 1957 dans le
cadre du programme « Atomes pour la Paix. » LâIran de lâĂ©poque nâavait aucun besoin de
la technologie nuclĂ©aire. Mais cette mĂȘme technologie a fourni les moyens de dissuasion
contre les Etats-Unis mĂȘme, 45 ans plus tard : lâAtome a paradoxalement servi pour la
« paix en Iran ». Lâinitiative des Etats-Unis des annĂ©es 1950 Ă©tait basĂ©e sur leur position de
faiblesse pour le contrĂŽle du secteur nuclĂ©aire. La participation de lâIran, comme des autres
pays, au programme « Atomes pour la Paix » a permis aux Etats-Unis de créer un régime
international afin de contrĂŽler ce secteur. Les Etats-Unis ont utilisĂ© lâaccession de lâInde
(1974) Ă la capacitĂ© nuclĂ©aire militaire, comme prĂ©texte pour empĂȘcher lâaccĂšs de tout
nouveau pays Ă lâutilisation de lâĂ©nergie nuclĂ©aire. Avec lâentrĂ©e de lâEurope dans le
marchĂ© dâenrichissement, les Etats-Unis nâavaient plus aucun intĂ©rĂȘt dans le maintien et la
croissance du secteur nuclĂ©aire international. LâInde avait fourni « lâĂ©vĂ©nement »
nĂ©cessaire pour justifier lâarrĂȘt par les Etats-Unis de la coopĂ©ration internationale dans ce
domaine. Un marché qui ne lui servait plus à rien, et pourrait aussi augmenter le coût de
ses interventions militaires.
Le dĂ©part des forces britanniques du Golfe Persique en 1971 a fourni lâoccasion pour le
Shah dâassumer un rĂŽle sĂ©curitaire important dans la rĂ©gion. La contrepartie pour le Shah
Ă©tait la rĂ©cupĂ©ration totale des bĂ©nĂ©fices de lâindustrie pĂ©troliĂšre. Mais le Shah visait aussi
dâenrayer la baisse continue des prix pĂ©troliers en termes rĂ©els par le biais dâune action
collective de lâOPEP, ce qui nâĂ©tait plus acceptable pour les Etats-Unis. Ceci, couplĂ© avec la
volontĂ© du Shah dâajuster ses dĂ©penses dâarmement aux besoins du pays, et de se fournir
chez les meilleurs fournisseurs et pas nécessairement aux Etats-Unis, a rendu le Shah un
client inutile aux yeux de ces derniers.
Lâintroduction de lâindustrie nuclĂ©aire iranienne en 1974 sâest faite, dans ces conditions
de mĂ©fiance entre les Etats-Unis et lâIran. Ce programme accĂ©lĂ©rĂ© Ă©tait un des piliers de
lâindustrialisation accĂ©lĂ©rĂ©e du pays : dâune part la nation prĂ©voyait un Ă©quilibre
5
Ă©nergĂ©tique optimal, et dâautre part la diminution de lâutilisation du pĂ©trole pour lâĂ©nergie,
permettait son utilisation à des fins de diversification. Le moment précis du lancement de
cette industrie Ă©tait choisi pour deux raisons : dâabord lâaugmentation des prix pĂ©troliĂšres
fournissait les revenus nécessaires pour des investissements de cette envergure.
DeuxiĂšmement, en tant que puissance hĂ©gĂ©monique rĂ©gionale, lâIran ne pouvait pas
ignorer le statut nuclĂ©aire dâIsraĂ«l et de lâInde. MĂȘme si le programme de lâIran Ă©tait de
nature strictement commerciale (usage civil), il fournissait deux éléments indispensables
pour lâIran. Dâune part lâindustrie nuclĂ©aire pouvait servir dans lâimmĂ©diat de symbole.
Dâautre part, la capacitĂ© de recherche et les technologies Ă double usage pouvaient fournir Ă
lâIran une capacitĂ© de dissuasion nuclĂ©aire dans le futur si besoin Ă©tait. La rĂ©ponse des
Etats-Unis au dĂ©fi de lâIran a Ă©tĂ© un mĂ©lange de deux mesures : au niveau international le
contrÎle des fournisseurs nucléaires a rendu difficile la souveraineté iranienne sur son cycle
de combustion. Les manipulations américaines des taux de change du dollar a renversé les
gains temporaires des pays producteurs et a de facto annulé le redressement des cours du
pĂ©trole. Ceci a imposĂ© des contraintes importantes sur les pays comme lâIran, qui sâĂ©taient
engagés dans des programmes industriels et des investissements lourds.
Notre thĂšse est que la divulgation en 2002, de la capacitĂ© dâenrichissement de lâIran sert
deux fonctions essentielles : installer une « dissuasion virtuelle » contre une invasion par les
Etats-Unis, et rendre obsolĂštes les accusations des Etats-Unis sur lâutilitĂ© militaire des
rĂ©acteurs civils de lâIran. La position difficile des Etats-Unis en Irak, son dĂ©saccord avec les
membres du Conseil de Sécurité, et son impopularité croissante dans les états du Golfe, ont
rendu le moment de cette divulgation particuliĂšrement bien choisi. Le programme de
missile iranien est la deuxiÚme composante de son systÚme de dissuasion : la capacité
dâenrichissement peut dissuader Etats-Unis de lâinvasion, mais les missiles capables
dâatteindre Tel-Aviv peuvent dissuader IsraĂ«l de lancer une attaque nuclĂ©aire contre lâIran.
Parmi les trois choix disponibles aux Etats-Unis face Ă cette situationâveto, acceptation
du nuclĂ©aire civil, acceptation du cycle complet de combustionânous avons Ă©mis
lâhypothĂšse que les Etats-Unis choisiront la deuxiĂšme, i.e. le fonctionnement de la centrale
civile. Lâoption du veto nĂ©cessiterait de la part des Etats-Unis une intervention militaire ou
un sabotage, des pressions sur la Russie, ou lâincitation aux troubles internes et au
changement de rĂ©gime. Lâacceptation du nuclĂ©aire civil peut ĂȘtre liĂ©e Ă des mesures
6
supplémentaires de démocratisation en Iran, notamment par le biais de contrats de
fourniture dâuranium enrichi. LâEurope et lâAIEA peuvent jouer un rĂŽle important pour
lâimplĂ©mentation de celui-ci.
LâaccĂ©lĂ©ration du processus de dĂ©mocratisation fournira plus de possibilitĂ©s de
coopĂ©ration entre lâIran et les Etats-Unis. Les intĂ©rĂȘts communs des deux pays, gaz, pĂ©trole
et son passage libre garanti par la sécurité de la région fournissent des opportunités de
coopĂ©ration entre les deux nations. Cela doit dâabord passer par lâabandon dâune
rhĂ©torique hostile des deux cĂŽtĂ©s et la prise en considĂ©ration des besoins lĂ©gitimes de lâIran
en matiÚre de sécurité. Des mesures à moyen et long terme nécessitent le renforcement du
processus de démocratisation en Iran et peuvent aller, au delà de la coopération
Ă©conomique, jusquâĂ la fourniture commune de sĂ©curitĂ© dans le Golfe persique.
7
The Political Economy of Development of Nuclear Energy in Iran: 1957-2004
âAtoms for Peaceâ was introduced in Iran under US initiative in 1957. The developing
Iran of the era had of course no need of atomic technology. But paradoxically the
technology will provide it some 45 years later the means of dissuasion against the United
States itself; what we have labeled as âvirtual dissuasionâ in this study.
Iranâs participation in the âAtoms for Peaceâ program, like that of most other countries
allowed the US to overcome its weakness for the control of this sector through creation of
an international regime. The US will use the Indian explosion of 1974 as pretext to stop
international cooperation in this field completely. With the entry of Europe and the Soviet
Union in the commercial enrichment sector, the last means of control of the sector had
escaped US power. The international nuclear sector presented no further interest to the
US: its market share in the field of fabrication of reactors had diminished considerably
with the entry of France and Germany in the market. With the entry of Urenco and
Eurodif in the enrichment market, the international sector not only presented no more
interest to the US, it also imposed a considerable detriment: that of increasing the cost of
US military intervention abroad.
The departure of British forces from the Golf had provided the Shah with the
opportunity of assuming the role of regional superpower. But the Shah wanted
sovereignty over his oil resources as payoff. Although the US had acquiesced this, the
correction of falling petroleum prices through OPEC collective action was no longer
acceptable. Added to this was the Shahâs unwillingness to procure military and industrial
equipmentâincluding nuclear reactorsâonly from the US.
The launch of the Iranian nuclear industry in 1974 takes place in this climate of tension
between the US and Iran. The realization of this industry will be hindered by two types of
US initiatives. On one hand the US will undertake actions to control nuclear suppliers,
which will hinder the ability of Iran to build a complete nuclear cycleâIran will however
8
invest in Eurodif to ensure access to fuel. On the other hand the manipulation of the dollar
exchange rate, decrease of international energy consumption and promotion of alternative
sources of petroleum supply will put Iranâs revenues and investment capacity under strain.
The result will be popular dissatisfaction, which will be aggravated by the US targeting of
Iran for its Human Rights shortcomingsâending in uprising and revolution.
Our thesis holds that the revelation of Iranian enrichment capacity in 2002 serves two
essential functions: first a âvirtual dissuasionâ against invasion of American forces that
besiege Iran on all frontiers. Second, having demonstratedâand abandonedâmilitary
capability, Iran seeks to be finally able to operate its civilian nuclear industry. For the past
30 years this has been impossible as the US accused Iran of wanting to use this industry for
military purposes.
Faced with this, the US has 3 choices: veto of Iranian nuclear industry, accepting of
civilian reactor operations without the fuel cycle, and accepting of complete Iranian
sovereignty over its nuclear cycle. The veto option will require the utilization by the US of
military or sabotage operations, pressure on Russia or internal unrest. We argue that
neither is feasible or desirable for the US. The option of allowing civilian reactor operation
can link provision of fuel to measures of democratization. This is the option that this study
identifies as optimal for both sides. The EU and the IAEA can play a constructive role in
this scenario. We conclude that increased democratization in Iran will also allow future
cooperation between Iran, the US and Golf states, allowing Iran to assume the role of
regional security.
SociologieâSocio-Ă©conomie de DĂ©veloppement
Iran, industrie nucléaire, atomes pour la paix, politique étrangÚre iranienne,
évolution de secteur nucléaire internationale, relations irano américaines.
Nader BARZIN. LâEconomie Politique de DĂ©veloppement de lâEnergie NuclĂ©aire en
lâIran (1957-2004). Sous la direction de professeur Farhad Khosrokhavar.
ECOLE DES HAUTES ETUDES EN SCIENCES SOCIALES. PARIS, FRANCE.
9
Curriculum Vitae
Expérience Professionnelle
2001-2004
H.E.C.
JOUY-EN-JOSAS, FRANCE
ChargĂ© dâEnseignement en StratĂ©gie.
Pratique internationale du conseil de direction. Intervenant Ă ESCP et Assas.
2000-2001
BOOZ-ALLEN & HAMILTON
PARIS, FRANCE
Principal, World Commercial Business et Directeur de Marketing, France.
1997-2000
CAMBRIDGE MANAGEMENT CONSULTING LONDRES, RU
Directeur, Business Analysis Function.
1995-1997
ORGANISATION DES NATIONS UNIES VIENNE, AUTRICHE
Administrateur PremiĂšre Classe, pour le DĂ©veloppement Industriel.
1985-1992
RENAULT AUTOMOBILES PARIS, FRANCE
SecrĂ©taire ExĂ©cutif, Inspection GĂ©nĂ©rale de lâOrganisation.
1982-1985
LEAR SIEGLER
CLEVELAND, USA
Ingénieur de Développement, Airborne Equipment Division.
Etudes
2001-2004
E.H.E.S.S.
PARIS, FRANCE
Docteur en Socioéconomie de Développement.
1992-1995
HARVARD
CAMBRIDGE, USA
Lauréat de la bourse Lavoisier du MinistÚre des Affaires EtrangÚres. Etudes doctorales en
Economie Politique Internationale.
1991-1992
INSTITUT DâETUDES POLITIQUES PARIS, FRANCE
Programme dâEtudes Doctorales en Science Politique.
1988-1989
INSTITUT DâETUDES POLITIQUES PARIS, FRANCE
DiplĂŽme dâEtudes Approfondies en Sociologie.
1978-1983
CLEVELAND STATE UNIVERSITY CLEVELAND, USA
Ingénier en Mécanique. Spécialisation secondaire en Psychologie.
10
Table des matiĂšres
Avant-propos et remerciements
................................. 2
Curriculum Vitae
........................................... 9
Table des matiĂšres
................................ 10
1- Introduction
.................................. 13
Problématique et questions de recherche
........................... 13
Approches des théories applicables à la recherche
..................... 17
Economie politique internationale
.......................... 17
« Régimes internationaux »
.............................. 23
« Dependencia »
...................................... 28
Les travaux sur le nucléaire
.............................. 30
La géopolitique
....................................... 32
Lâanalyse stratĂ©gique
.................................. 34
2- Offrir le nuclĂ©aire Ă lâIran
pour maßtriser le nucléaire dans le monde
.............. 37
Pourquoi « Atomes pour la Paix » en Iran en 1957 ?
................... 39
LâAIEA : lâorgane de contrĂŽle dâ« Atomes pour la Paix »
................ 42
Accommoder les pays forts et contrĂŽler les pays faibles
................. 43
Le cas de la Chine
..................................... 49
Le cas dâIsraĂ«l
....................................... 50
Le Traité de non-prolifération :
une collusion des concurrents contre les nouveaux entrants
............. 54
3- La trilogie de lâintĂ©rĂȘt des Ătats-Unis pour lâIran
.......... 57
Lâor noir
............................................... 59
De « contenir le communisme » Ă
« assumer le rÎle de superpuissance régionale »
...................... 61
Les Ătats-Unis perdent le pĂ©trole, le monopole du marchĂ© dâarmement
mais nâabandonnent pas lâIran Ă lâURSS
........................... 75
4- Pourquoi un programme aussi accĂ©lĂ©rĂ© dâindustrie nuclĂ©aire
pour un pays riche en pétrole et gaz ?
................. 77
La hausse des prix pétroliers en 1973 : le nucléaire pour économiser le pétrole
.. 80
La nuclĂ©arisation du Moyen-Orient : lâindustrie nuclĂ©aire comme symbole
... 88
LâĂ©chec de lâONU pour dĂ©nuclĂ©ariser la rĂ©gion
.................. 89
Lâindustrie de lâĂ©nergie nuclĂ©aire : quelle utilitĂ© militaire ?
......... 95
Lâessai nuclĂ©aire indien : prĂ©misse de la fin de la coopĂ©ration nuclĂ©aire
..... 107
11
5- LâĂ©nergie nuclĂ©aire en Iran :
une réalisation ardue (1974-1979)
.................. 109
Lâabsence de prĂ©paration, de direction et de coordination
............... 109
Le manque de direction, dâinfrastructure,
de coordination et dâexpĂ©rience
........................... 114
La signature de contrats dans des conditions de faiblesse croissante
.. 118
Lâabsence de coordination dans les nĂ©gociations avec les Ătats-Unis
.. 128
Des contraintes internationales croissantes
........................ 135
Lâexplosion indienne comme prĂ©texte au contrĂŽle politique
des fournisseurs : la perte du monopole amĂ©ricain dâenrichissement
.. 136
Le Club de Londres, 1975 : le contrĂŽle des concurrents
........... 140
Le contrÎle international du cycle du combustible nucléaire
........ 144
Quand les pressions de lâalliĂ© dâantan, les Ătats-Unis, surviennent
........ 153
Les difficultĂ©s dâachat dâarmes amĂ©ricaines
................... 153
Les droits de lâhomme liĂ©s Ă la vente dâarmes
................. 163
Les oppositions nucléaires, la mise en cause économique,
la rĂ©volution et lâarrĂȘt des travaux
............................. 170
Fin de lâOAEI
........................................... 177
6- La RĂ©publique islamique sâintĂ©resse Ă lâĂ©nergie nuclĂ©aire
quâelle avait vigoureusement dĂ©noncĂ©e (1984-2005)
...... 179
Les leçons de la guerre dâIrak
................................. 180
Lâhumiliation : lâobtention dâarmes aux Ătats-Unis et en IsraĂ«l
..... 183
Le marché du Pakistan
................................ 184
Lâutilisation dâarmes de destruction massive par lâIrak et lâembargo
imposĂ© Ă lâIran : la nĂ©cessitĂ© de la dissuasion par moyens internes
... 189
La fin de la guerre froide et le début des nouvelles alliances
............. 196
Les premiers contrats avec de nouveaux partenaires
............ 197
Le manque dâinvestissements militaires
..................... 201
Des considérations économiques toujours valables
.............. 202
La politique américaine de double maßtrise
................... 207
Iran-Russie : un partenariat stratĂ©gique et des intĂ©rĂȘts financiers
... 210
Le 11 septembre 2001 et lâoccupation de lâAfghanistan et de lâIrak : la dissuasion
virtuelle contre les « Croisés du Mal »
........................... 212
7- Démontrer sa compétence militaire pour faire fonctionner le
nuclĂ©aire civil aprĂšs 30 ans dâobstacles
................ 215
LâutilitĂ© de la divulgation des activitĂ©s dâenrichissement
............... 215
Le soutien multilatĂ©ral de lâIran : le monde multipolaire contre
lâunilatĂ©ralisme amĂ©ricain
............................... 216
La « dissuasion virtuelle » de la menace américaine
............. 218
Lâavenir du nuclĂ©aire iranien : trois options pour les Ătats-Unis
......... 220
Réputation et antécédent
............................... 220
Efficacité du régime de non-prolifération
.................... 220
Iran-USA : dolĂ©ances, avantages comparĂ©s et intĂ©rĂȘts communs
.......... 230
Les doléances
....................................... 230
Les avantages comparés
................................ 233
Les intĂ©rĂȘts communs : pĂ©trole, gaz et sĂ©curitĂ© du Golfe
.......... 238
12
Les mesures de coopĂ©ration et dâamĂ©lioration de la confiance
entre lâIran et les Etats-Unis
.................................
242
Conclusion
..................................... 245
Bibliographie
................................... 251
Annexes
...................................... 265
1-
Table dâĂ©vĂ©nements
...................................... 265
2- Traité de non-prolifération nucléaire (1970)
..................... 279
3. DĂ©finitions
........................................... 284
4- Cycle combustible
....................................... 285
L'extraction de l'uranium du minerai
....................... 285
La concentration et le raffinage de l'uranium
.................. 285
L'enrichissement de l'uranium
............................ 285
La préparation des assemblages de combustible
................ 285
La consommation de l'uranium-235
........................ 286
La dégradation du combustible
........................... 286
Les objectifs du retraitement
............................ 286
L'extraction des produits de fission
........................ 286
Le recyclage des matiĂšres combustibles
..................... 287
5- RĂ©acteurs
............................................ 288
Différentes familles de réacteur
........................... 288
Les réacteurs à eau sous pression (REP)
..................... 288
Les réacteurs à neutrons rapides (RNR)
..................... 288
Les réacteurs à caloporteur gaz (RCG)
...................... 289
Les différentes familles de réacteurs
........................ 289
RĂ©acteurs dans le monde
............................... 290
La diffusion gazeuse
.................................. 291
L'ultracentrifugation
.................................. 291
7- Sites nucléaires en Iran
................................... 292
8- Expérimentations nucléaires en Iran depuis 1977
.................. 294
9- Ogives Nucléaires dans le Monde
............................. 295
10- Population de lâIran et sa croissance
......................... 296
11- Structure du pouvoir constitutionnel en Iran
.................... 296
11- Structure du pouvoir constitutionnel en Iran
.................... 297
13
1.
Introduction
Problématique et questions de recherche
Depuis le dĂ©mantĂšlement de lâUnion soviĂ©tique, le centre dâintĂ©rĂȘt des Ă©tudes nuclĂ©aires
a basculĂ© des relations entre les Etats-Unis et lâex-Union soviĂ©tique vers les pays
pĂ©riphĂ©riques. Sâest dĂ©veloppĂ© un amalgame entre la notion dâĂ©nergie nuclĂ©aire et
lâutilisation de la technologie nuclĂ©aire Ă des fins militaires. La question de lâaccĂšs des pays
en voie de dĂ©veloppement Ă lâĂ©nergie nuclĂ©aire ne se pose plus et a Ă©tĂ© remplacĂ©e par la
prĂ©occupation de prĂ©venir lâutilisation des « armes de destruction massive ». Notre ouvrage
cherche Ă contribuer Ă la comprĂ©hension de la question nuclĂ©aire telle quâelle se pose
aujourdâhui au travers dâun cas unique et intĂ©ressant, celui de lâIran : un pays en voie de
dĂ©veloppement qui fournit la rare opportunitĂ© dâune comparaison entre les politiques de
deux rĂ©gimes distincts, dans un mĂȘme espace gĂ©ographique en un intervalle de 30 ans.
Cette étude ne cherche pas à prendre position pour ou contre une industrie nucléaire en
Iran. Une analyse globale de la question nuclĂ©aire, les avantages et inconvĂ©nients dâune
capacitĂ© de production dâĂ©nergie nuclĂ©aire et la maĂźtrise de cette technologie vont au-delĂ
du sujet de cette Ă©tude. La question posĂ©e ici est prĂ©cise et basĂ©e sur lâobservation du
comportement des différents gouvernements en Iran pendant différentes périodes,
comportements qui ont pu paraĂźtre paradoxaux. En 1974, lâIran lançait un programme
accĂ©lĂ©rĂ© pour le dĂ©veloppement dâune industrie dâĂ©nergie nuclĂ©aire, sous le rĂ©gime de
Mohammad Reza Shah Pahlavi. Malgré la grande importance que ce programme
prĂ©sentait Ă lâĂ©poque pour le pays, le projet quasi-terminĂ© (Ă 75%) a Ă©tĂ© abandonnĂ©
14
indĂ©finiment par le gouvernement issu de la rĂ©volution Islamique de 1979. Il est vrai quâĂ
lâĂ©poque toute coopĂ©ration avec les entreprises Ă©trangĂšres Ă©tait considĂ©rĂ©e comme signe de
dĂ©pendance envers lâĂ©tranger. Mais malgrĂ© ceci, dĂšs 1983, et avant de reprendre toute
autre coopération avec les entreprises et pays occidentaux, le gouvernement de la
RĂ©publique Islamique revient sur sa position et adopte la mĂȘme politique de
dĂ©veloppement nuclĂ©aire que celle de lâĂ©poque Pahlavi. Cependant, cette fois, ce sont les
Etats et les multinationales europĂ©ennes qui se trouvent dans lâimpossibilitĂ© de coopĂ©rer
autour de ce projet, contraintes par les nouvelles réglementations internationales en
vigueur. Apres des tentatives inabouties de coopĂ©ration avec lâInde et la Chine, câest
finalement en Russie que la RĂ©publique Islamique dâIran trouve un partenaire valable,
capable de résister aux pressions des Etats-Unis. Mais, en dépit de cette coopération,
aujourdâhui, 30 ans aprĂšs son lancement en 1974, lâindustrie de lâĂ©nergie nuclĂ©aire en Iran
nâest toujours pas opĂ©rationnelle.
Voici donc la question à laquelle ce livre cherche à apporter des éléments de réponse :
pourquoi, lâIran, un des plus grand producteurs pĂ©troliers au monde, lance une industrie
dâĂ©nergie nuclĂ©aire en 1974 ? Pourquoi le gouvernement issu de la rĂ©volution Islamique
abandonne ce programme qui était à 75% achevé ? Pourquoi le gouvernement de la
RĂ©publique Islamique reprend ce projet seulement 4 ans plus tard, lâayant dĂ©noncĂ© comme
« symbole de la dĂ©pendance » et comment se fait-il quâĂ ce jour, il soit dans lâimpossibilitĂ©
de mener Ă bien ce programme ? Pourquoi un projet de dĂ©veloppement qui aurait pu ĂȘtre
terminĂ© en lâespace de 4 ans ne lâest toujours pas 30 ans plus tard ? Quels sont les facteurs
domestiques et internationaux responsables dans cette dynamique ?
Le cas de lâIran reprĂ©sente non seulement un intĂ©rĂȘt particulier pour lâĂ©tude socio-
économique du développement, mais aussi pour les disciplines de science politique,
lâĂ©conomie politique internationale et les relations internationales : il est rare dâavoir deux
gouvernements avec des positionnements, idéologies et politiques, aussi différents dans un
mĂȘme espace gĂ©ographique dans lâhistoire moderne. Lâexplication dâune telle situation
(outcome) peut aider à déterminer la primauté des facteurs domestiques et internationaux
dans les Ă©quations du dĂ©veloppement et de lâĂ©conomie politique internationale et ainsi
contribuer Ă lâaffinement des thĂ©ories utilisĂ©es dans ces disciplines.
15
Lâobjectif principal de notre recherche a Ă©tĂ© de dĂ©crire lâhistorique du dĂ©veloppement de
lâindustrie dâĂ©nergie nuclĂ©aire dans lâIran de 1957, date de lâannonce de la signature dâun
accord de coopĂ©ration pour la recherche sur les utilisations pacifiques de lâĂ©nergie
nuclĂ©aire, proposĂ© par les Etats-Unis, jusquâĂ 2005, date de la rĂ©daction finale des
conclusions de cette étude. Je me suis concentré sur la question du « pourquoi » du
lancement de ce programme, de son abandon, de sa reprise, et de son impossibilitĂ© dâĂȘtre
opérationnel à ce jour.
Bien que la politique nucléaire iranienne soit, en tant que variable dépendante, au centre
de la recherche, il est important de dĂ©crire et dâanalyser la stratĂ©gie dâautres Etats et
entreprises dans ce domaine, pour qualifier les variables indĂ©pendantes. Câest pour cela
que, mĂȘme si la politique nuclĂ©aire iranienne entre 1957 et 2005 a Ă©tĂ© au centre de lâĂ©tude,
il a été parfois nécessaire de remonter à la période de la Seconde Guerre mondiale, pour
consolider les fondations de notre analyse de la structure internationale de ce secteur et de
la stratégie des Etats, notamment des Etats-Unis. Cette description est indispensable pour
permettre la compréhension du positionnement des Etats et des entreprises dans la période
actuelle. Comment les acteurs concernés sont-ils arrivés à leurs positionnements actuels, et
quelle sera leur marge de manĆuvre dans le futur ?
LâhypothĂšse de cette recherche est que l'insertion de l'Iran, en tant qu'entitĂ© nationale,
dans le systÚme international, lui impose des options restreintes et des stratégies en
nombres limités. Ceci oblige ses dirigeants à changer de politique et de discours afin de
sâadapter aux exigences de ce systĂšme. La RĂ©publique Islamique de lâIran qui avait dĂ©noncĂ©
le programme nucléaire hérité de l'ancien régime comme une extravagance et un signe de
dépendance à l'égard de l'étranger, a démultiplié les efforts, dÚs le début des années 80,
pour le mener Ă bien.
Le cas iranien représente une opportunité unique pour tester un certain nombre
dâarguments thĂ©oriques dans les domaines de lâĂ©conomie politique internationale et de la
socioéconomie du développement. La variable dépendante, la politique de développement
de lâindustrie nuclĂ©aire sous deux rĂ©gimes diffĂ©rents sur les plan sociaux, Ă©conomiques,
militaires, financiers et idéologiques, sera « expliquée » par un certain nombre de variables
explicatives systĂ©miques dâordre Ă©conomique, politique, sĂ©curitaire, et militaire, qui vont
16
ĂȘtre identifiĂ©es Ă travers une analyse historique. Les thĂ©ories de lâĂ©conomie politique
internationale et du développement, de stratégie, ainsi que la théorie des jeux fourniront les
grilles dâanalyse pour cette recherche, afin dâexpliquer les diffĂ©rents mĂ©canismes en jeu
dans cette complexité apparente.
Lâanalyse des Ă©volutions des structures principales du pouvoir
1
dans les différentes
pĂ©riodes et de lâutilisation de ces structures par les Etats « forts » pour contraindre les Etats
faibles, nous permettra de dĂ©crire les raisons de lâadoption des politiques de diffĂ©rents Etats
et des stratĂ©gies des entreprises, politiques susceptibles dâapparaĂźtre comme contradictoires
dans le temps.
La mĂ©thodologie utilisĂ©e est celle de lâĂ©tude de cas
2
qui nous permettra de fournir une
présentation descriptive tout en utilisant des apports théoriques pour analyser le contexte
et les résultats (
outcomes
). Cette utilisation de lâĂ©tude de cas Ă la fois descriptive, exploratoire
et explicative
3
permet une description chronologique des événements et une analyse
historique, tout en permettant de tester lâhypothĂšse avancĂ©e Ă la lumiĂšre de cette
description. Les études de cas exploratoires sont en principe utilisées pour tester les
hypothĂšses concurrentes ou bien plusieurs « cas » dans le mĂȘme contexte historique. Celui
de lâIran nous offre la richesse de se prĂ©senter sous la forme de deux cas, Ă©tant donnĂ© que le
changement radical de régime et les relations de ceux-ci avec le reste du monde,
notamment les Etats-Unis, nous permettent de mieux tester les hypothÚses avancées ci-
dessus.
Jâai fait ici le choix de ne pas perdre les dĂ©tails historiques riches que seule une Ă©tude de
cas peut fournir. Mais autant que possible, jâai voulu aussi intĂ©grer la perspective plus large
dâune approche systĂ©mique gĂ©nĂ©rale. Sans vouloir faire une analyse politique comparĂ©e
pour servir de pont entre les niveaux national et international, je fournis des descriptions
sommaires et brĂšves sur dâautres programmes de dĂ©veloppement nuclĂ©aires pendant la
mĂȘme pĂ©riode dans dâautres pays. Lâargument ici est que la politique nuclĂ©aire de lâIran
1
Voir la section consacrĂ©e a la revue de littĂ©rature, notamment lâapproche structurelle de Susan
Strange dans
States and Markets.
2
Yin, Robert K., Cas
e Study Research: Design and Methods
. Sage, CA, 1994.
3
Ibid, p. 39.
17
nâest pas une fonction de lâidĂ©ologie ou dâautres facteurs internes mais de facteurs
systémiques externes.
Approches des théories applicables à la recherche
Economie politique internationale
La naissance de la discipline de lâĂ©conomie politique internationale comme une
discipline Ă part entiĂšre date des annĂ©es 1970 bien que les racines de lâapproche
dâEconomie politique soient bien sur beaucoup plus anciennes. Lâune des premiĂšres
tentatives dâintĂ©gration de la politique et de lâĂ©conomie fut celle des mercantilistes, avec un
intĂ©rĂȘt particulier pour lâanalyse des relations Ă©conomiques internationales. Une autre
tentative à ce sujet a été celle de Marx et ses collaborateurs, au dix-neuviÚme siÚcle
1
. Cette
tradition marxiste sâest Ă©tendue, par les Social-dĂ©mocrates et dâautres penseurs marxistes, Ă
lâanalyse de lâimpĂ©rialisme capitalistique au dĂ©but du vingtiĂšme siĂšcle.
La pĂ©riode dâun « vide », notamment dans les pays anglo-saxons, entre le dĂ©but de siĂšcle
et les annĂ©es 1970, en ce qui concerne les dĂ©veloppements dans le domaine de lâEconomie
politique sâexplique par les faits suivants. Il y a eu une sĂ©paration croissante entre
lâĂ©conomie et la science politique, ainsi quâentre les Ă©tudes de politique nationale et
internationale pendant cette pĂ©riode, surtout aux Etats-Unis. MĂȘme dans le domaine des
études internationales, il y a eu une distinction entre la « haute » (
high
) et la « basse » (
low
)
politique. La « haute » politique se focalisant sur les questions de la diplomatie et de la
sécurité et la « basse » politique étudiant certaines questions économiques relevant du
commerce, de la finance, et des investissements Ă©trangers.
A lâĂ©poque dâAdam Smith (1723-1790) lâĂ©conomie et la politique nâĂ©taient pas des
disciplines sĂ©parĂ©es, comme câest le cas aujourdâhui. Lâapproche de Smith Ă©tait un dĂ©fi
direct au mercantilisme. Smith croyait que les mercantilistes exagĂ©raient lâimportance du
pouvoir national dâun pays en comparaison aux autres. Il voulait mettre en lumiĂšre les
structures latentes dans les conditions existantes et théoriser les relations au sein de ces
18
« structures ». Sa critique du mercantilisme reposait sur le fait que dernier attachait trop
dâimportance aux phĂ©nomĂšnes a la surface des choses et ne sâintĂ©ressait pas suffisamment Ă
lâimplication de la distinction entre lâapparence et lâessence dans lâanalyse sociale. Ce qui
Ă©tait nĂ©cessaire pour identifier plus pleinement les structures de lâĂ©conomie politique
2
.
Lâanalyse de Ricardo (1772-1823), au contraire, sĂ©pare lâĂ©conomie et la politique. Mais sa
division de lâĂ©conomie entre les catĂ©gories de la terre, du labeur, et du capital, chacune avec
des classes associĂ©es, dont les intĂ©rĂȘts ne semblaient pas ĂȘtre en conflit, a Ă©tĂ© une source
dâinspiration pour Marx (1818-1883). Bien que Marx critique Ricardo pour son analyse des
classes incomplÚtes, qui ne prend pas en considération les conflits entre le capital et le
labeur ou bien les relations de production en général.
Au-delà de la notion de la structure de marché, Marx a cherché à établir la notion plus
large de la structure sociale. Dans son analyse finale il est impossible de séparer la politique,
lâĂ©conomie et la sociĂ©tĂ©. En rĂ©sumĂ© les mercantilistes se sont focalisĂ©s sur la nation et les
interactions entre Etats, les Ă©conomistes libĂ©raux sur lâindividu dans le marchĂ© de travail, et
les marxistes sur la production et le conflit de classe.
Les développements récents dans ce domaine datent des années 1970 et continuent à ce
jour. La plupart de ces dĂ©veloppements sont dâorigine amĂ©ricaine et ceci en raison des
changements survenus dans lâĂ©conomie mondiale qui ont diminuĂ© la perception des
implications négatives potentielles de ces théories
3
. LâinterdĂ©pendance Ă©conomique
croissante, le séisme du systÚme économique international de
Bretton Woods,
et la hausse
des prix pétroliers de 1973 ont amené les universitaires américains à analyser les
consĂ©quences de ces changements. La « basse » politique sâest trouvĂ©e dans une position
plus Ă©levĂ©e dans lâagenda politique. Ces changements dans les conditions Ă©conomiques,
avec la baisse de la part des Etats-Unis dans le PNB mondial, ont été considérés comme un
signe dâaffaiblissement de la position dominante Ă©conomique et politique des Etats-Unis
dans le monde. Il y a eu donc, parmi certains leaders américains, le sentiment de la
1
Gill, Stephan, Law, David.
The Global Political Economy: Perspectives, Problems and Policies
. Johns
Hopkins University Press, Maryland, 1991.
2
Ibid, p. 3.
3
Ibid, p. 4.
19
nĂ©cessitĂ© de promouvoir une gestion en douceur de lâinterdĂ©pendance afin de soutenir le
contrĂŽle des Etats-Unis sur les aspects significatifs de lâĂ©conomie internationale.
Certains réalistes contemporains de tradition mercantiliste, comme Robert Gilpin
1
, ont
tentĂ© dâanalyser les implications de lâopĂ©ration des firmes transnationales et de lâEtat
amĂ©ricain sur lâĂ©conomie intĂ©rieure et la puissance internationale des Etats-Unis
2
. Dâautres,
comme Stephen Krasner
3
, se sont interrogĂ©s sur la question de degrĂ© dâinterdĂ©pendance et
se sont demandĂ©es sâil nây avait pas trop dâinterdĂ©pendance Ă©conomique internationale
4
.
Concernant les rĂ©gimes, lâargument original de Krasner Ă©tait que ceux ci Ă©taient des
variables intervenant entre le pouvoir structurel et les résultats (
outcomes
5
). Les
néomercantilistes comme Cox se sont focalisés sur les caractéristiques des pays en voie de
développement. Dans son ouvrage,
Production, Power, and World Oder,
il analyse les
interconnexions entre trois niveaux du systĂšme international, les relations
socioéconomiques qui résultent des structures de production, la nature politique du
pouvoir de lâEtat, et surtout la nature de lâordre mondial. DâaprĂšs Cox par exemple, les
pays en voie de dĂ©veloppement qui prennent des initiatives pour changer lâĂ©conomie et la
sociĂ©tĂ© ont deux caractĂ©ristiques : ils sont nĂ©omercantilistes car lâEtat essaie de contrĂŽler les
instruments qui sont essentiels pour changer lâĂ©conomie nationale, et deuxiĂšmement, lâEtat
essaie dâutiliser ces instruments pour atteindre une croissance continue
6
. Mais le
développement de ces Etats « développementalistes néomercantilistes » demeure
dĂ©pendant de lâaccĂšs Ă la technologie et au capital. De lâautre cote de lâAtlantique, du
Royaume-Uni, lâapproche de Susan Strange
7
, sur les relations monétaires internationales
est de cette tradition
8
. Comme nous le développons sur un plan méthodologique,
1 Gilpin, Robert,
The Political Economy of International Relations
, Princeton University Press,
Princeton, 1987.
2 Gilpin Robert,
US Power and the Multinational Corporation: Te Political Economy of Foreign Direct
Investment.
Basic Books, NY 1975.
3
Krasner, Stephen D.,
Structural Conflict: The Third World Against Global Liberalism
. University of
California Press, Berkeley, 1985.
4
Krasner, Stephen,
State Power and the Structure of Foreign Trade, World Politics
, vol. 28, pp. 317-343.
5
Strange, Susan,
States and Markets
, p. 21.
6
Cox, Robert, W.,
Production, Power, and World Order: Social Forces in the Making of History.
Columbia
University Press. NY 1987. P. 231.
7
Voire States and Markets.
8
Strange, Susan,
Casino Capitalism
. Blackwell, Oxford, 1986.
20
lâapproche utilisĂ©e dans cette Ă©tude est largement inspirĂ©e du travail de Strange, surtout
State and Markets
.
Certains chercheurs attribuent aussi un rÎle important aux idées et à la culture, non
seulement au niveau national, mais aussi au niveau international et transnational
1
. Avec le
processus de décolonisation depuis la Seconde Guerre mondiale, les nouveaux Etats issus
de ce processus, ainsi que lâAmĂ©rique Latine
2
, ont formé le « Tiers-monde ». La discipline
de la socioĂ©conomie du dĂ©veloppement est nĂ©e ainsi de lâintĂ©rĂȘt quâont portĂ© les
universitaires, aux études de ces pays « moins développés ».
Dâautres thĂ©oriciens, surtout originaires dâAmĂ©rique du Sud, analysent la position de ces
pays « moins dĂ©veloppĂ©s » en utilisant une perspective globale de lâĂ©conomie politique, la
théorie de dépendance ou « dependencia ». Dans les années 70, ils ont posé des questions
sur lâeffet de lâaugmentation des dĂ©penses militaires dans le Tiers Monde. La question
centrale pour ce groupe de chercheurs est : qui profite de ces politiques et pourquoi ? Lâun
des thÚmes dans la littérature de la dépendance est que les pays moins développés sont
fortement contraints par les forces internationales. Ce thÚme a été repris aussi dans
lâanalyse des relations entre pays avancĂ©s, notamment dans le concept libĂ©ral
dâinterdĂ©pendance Ă©conomique. Les spĂ©cificitĂ©s des rĂ©clamations tiers-mondistes des
théoriciens la dépendance sont ainsi mises en doute. La réponse du camp opposé est que
mĂȘme sâil y a interdĂ©pendance, ce phĂ©nomĂšne nâest pas symĂ©trique dans les relations entre
nations. Il y a donc une interdépendance asymétrique, pour reprendre le terme forgé par
Robert Keohane et Joseph Nye
3
.
LâĂ©conomie politique internationale est associĂ©e, par certains universitaires
4
, aux
concepts de la dĂ©pendance et lâimpĂ©rialisme. Mais cette vision exclut les perspectives
libĂ©rales de lâĂ©conomie politique. Dâautres considĂšrent lâĂ©conomie politique internationale
comme une branche des relations internationales ou vice versa
5
. Les théoriciens libéraux de
1
Voir Rosenau, James N.,
Turbulence in World Politics: A Theory of Change and Continuity
. Princeton
University Press, Princeton, 1990.
2
Et dâautres pays plus rĂ©cents issus de la fin de la guerre froide et la chute de lâUnion soviĂ©tique.
3
Keohane, Robert O., Nye, Joseph S.
Power and Interdependence
. Little Brown, Boston, 1977.
4
Voir Whynes, David, ed.
What is Political Economy? : Eight Perspectives
. Basil Blackwell, Oxford,
1984.
5
Non seulement pour faire preuve de neutralitĂ© totale dans la sĂ©lection et lâutilisation des
thĂ©ories, mais aussi par ce que cela a Ă©tĂ© plus riche et surtout nĂ©cessaire, dans lâanalyse de
21
lâĂ©conomie politique internationale distinguent leur tradition rĂ©cente des approches
normatives ou historiques de lâĂ©conomie politique. Lâapproche normative, selon eux, porte
un jugement de valeur sur la distribution de la richesse et le pouvoir ainsi que sur les
standards dâĂ©valuations utilisĂ©es dans lâanalyse de rĂ©sultats optimaux. Lâapproche
historique, se focaliserait de maniÚre « athéorique » sur des descriptions historiques riches.
« Lâapproche positive ou libĂ©rale de lâĂ©conomie politique, au contraire, cherche des
principes et propositions contre lesquels lâexpĂ©rience rĂ©elle peut ĂȘtre testĂ©e ou comparĂ©e
afin de comprendre et expliquer, et non pas juger, cette expérience
1
. » Câest une approche
thĂ©orique qui a ses racines dans la mĂ©thodologie de lâacteur rationnel de la microĂ©conomie.
Lâapproche positiviste de lâĂ©conomie politique prend en considĂ©ration Ă la fois le
comportement Ă©conomique dans les processus politiques, ainsi que le comportement
politique dans la place du marché. Ce sont les contraintes des institutions économiques et
politiques sur le comportement individuel qui expliquent dans cette approche les résultats
(
outcomes
) sociaux, tels que la production, lâallocation des ressources, et la politique
publique. En rĂ©sumĂ©, dâaprĂšs Alt et Shepsle, il sâagit de « lâĂ©tude des dĂ©cisions rationnelles
dans le contexte des institutions politiques et Ă©conomiques
2
. » Comment les différences
entre institutions affectent-elles les résultats politiques et économiques dans les systÚmes
sociaux, Ă©conomiques et politiques variĂ©s, et comment ces institutions sont elles-mĂȘmes
affectées par les croyances collectives des individus, préférences et stratégies ? Au contraire
de lâapproche nĂ©oclassique, qui avait pour postulat la possibilitĂ© des Ă©changes sans friction,
lâapproche positiviste introduit la notion de « coĂ»t de la transaction ». Ici le contrat parfait
nâexiste pas, dans un monde oĂč les mesures dâexĂ©cution et dâĂ©valuation sont coĂ»teuses, les
capacitĂ©s cognitives des acteurs limitĂ©es, et le comportement rusĂ© et opportuniste nâest pas
sans risque. Cette dĂ©marche, dans laquelle lâĂ©conomie est prĂ©pondĂ©rante, fait usage de la
formulation mathématique et de modélisations issues de la théorie des jeux, pour expliquer
les faits historiques. Selon cette approche, le paradigme du choix rationnel (
rational choice
paradigm
), basĂ© sur lâindividualisme mĂ©thodologique et le postulat selon lequel les
lâindustrie nuclĂ©aire mondiale, je fais aussi appel aux thĂ©ories de la stratĂ©gie, qui seront
développées plus bas.
1
Alt, James E. Shepsle, Kenneth A., ed.
Perspectives on Positive Political Economy
. Cambridge
University Press, New York, 1990. P. 1.
2
Ibid., p. 2.
22
individus sont motivĂ©s par lâintĂ©rĂȘt individuel, est le fil unificateur entre lâĂ©conomie et la
science politique. Nous verrons plus loin lâapport de cette branche de lâĂ©conomie politique
dans notre recherche.
Lâapproche adoptĂ©e dans cette Ă©tude a Ă©tĂ© en grande partie influencĂ©e par des travaux
de Susan Strange, notamment
States and Markets
. Celle ci adopte une approche structurelle
de lâĂ©conomie politique internationale. La dĂ©finition de Strange de la discipline de
lâĂ©conomie politique internationale est celle dâune Ă©tude qui «
concerne les arrangements
sociaux, politiques, et Ă©conomiques qui affectent les systĂšmes globaux de production, dâĂ©change et
de distribution et la combinaison des valeurs que ceux-ci reflĂštent
1
. » Elle distingue le pouvoir
relationnel du pouvoir structurel, et conclut que «
dans les jeux compétitifs qui se déroulent
actuellement dans le systĂšme mondial entre Etats et entre entreprises Ă©conomiques, câest de plus
en plus le pouvoir structurel qui lâemporte sur le pouvoir relationnel
2
. » Ce «
pouvoir structurel
ne se trouve pas dans une seule structure mais dans quatre structures distinctes mais inter liées.
Cette vision diffĂšre de celle des Marxistes ou nĂ©o-Marxistes qui mettent lâaccent sur seulement une
des quatre structures â la structure de production
3
.» Pour Strange, la puissance structurelle
façonne le cadre de l'économie mondiale dans lequel les Etats, les entreprises et les
opérateurs économiques doivent mener leurs actions. Ces structures définissent les
ressources et les contraintes dans lesquelles les acteurs puisent pour atteindre leurs
objectifs.
Lâapproche structurelle de Strange analyse lâeffet dâinteraction entre autoritĂ©s Ă©tatiques
et les marchĂ©s. Le pouvoir structurel, qui est Ă lâopposĂ© de pouvoir relationnel crĂ©Ă© par la
force, est basé sur quatre structures : celle de la sécurité (au sens large), celle de la finance,
celle des idées/croyances/savoir/technologies et enfin celle de la production. Il existe aussi,
dans le cadre analytique de Strange, des structures « secondaires » du pouvoir. LĂ il sâagit
du transport, du commerce, de lâĂ©nergie et de lâĂ©quivalent de « lâEtat-providence ».
La notion de coĂ»t et de bĂ©nĂ©fice existe chez Strange : la dĂ©cision du type de pouvoir Ă
utiliser est basĂ©e sur ce calcul. LâunitĂ© dâanalyse est pour elle lâEtat nation, bien quâelle
1
States and Markets,
p. 18.
2
Ibid., p. 24.
3
Ibid., p. 26.
23
prenne en considération aussi, dans les négociations clés entre Etats par exemple, le soutien
domestique, les acteurs non étatiques tels que les multinationales, les ONG, OIG⊠La
mĂ©thode prĂ©conisĂ©e par Strange est celle dâune analyse structurelle par secteur, en prenant
en considĂ©ration tous les acteurs citĂ©s. Il faut considĂ©rer lâeffet de changement structurel Ă
travers le filtre dâĂ©quilibre Etat-marchĂ©. Pour maintenir lâĂ©quilibre dans ce couple, y a-il
besoin de gestion politique, de manipulation ou dâintervention ? Quelle est la consĂ©quence
de du changement dâĂ©quilibre entre Etats et marchĂ©s sur les groupes sociaux, quâils soient
internes ou Ă lâextĂ©rieur des frontiĂšres ?
« Régimes internationaux »
Câest John Ruggie qui a introduit le concept des rĂ©gimes internationaux dans la
littérature de politique internationale en 1975. Tel que défini par lui, un régime est «
une
sĂ©rie dâattentes mutuelles, de rĂšgles et rĂ©glementations, de plans, dâĂ©nergies organisationnelles et
dâengagements financiers, qui ont Ă©tĂ© acceptĂ©s par un groupe dâEtats
1
». Une définition plus
récente définit les régimes internationaux comme «
une série de principes implicites ou
explicites, de normes, rÚgles et procédures de prise de décision autour desquels les attentes des
acteurs convergent dans le domaine donné des relations internationales. Les principes sont les
croyances de fait, de la causalité et la rectitude. Les normes sont des standards de comportement
définis en termes de droits et obligations. Les rÚgles sont des prescriptions ou proscriptions
spĂ©cifiques pour lâaction. Les procĂ©dures de prise de dĂ©cision sont les pratiques prĂ©valant de faire
et dâimplĂ©menter les choix collectifs
2
».
Des préoccupations majeures de la théorie des régimes sont le processus de création, la
motivation des acteurs à se joindre à des tels régimes, ainsi que la compréhension du
fonctionnement des régimes. Les deux théoriciens les plus prolifiques sur le caractÚre
économique des régimes internationaux sont Robert Gilpin et Robert Keohane. Les deux
admettent la prĂ©pondĂ©rance des intĂ©rĂȘts Ă©conomiques dans la crĂ©ation et le
fonctionnement des régimes internationaux et emploient des théories économiques pour
1
Ruggie, John Gerard, âInternational response to technology: concepts and trendsâ.
International
Organization
, été 1975. Vol. 29. No. 3. P. 570.
2
Keohane, Robert O.,
After Hegemony: Cooperation and Discord in the World Political Economy
. Princeton
University Press, Princeton, 1984. P. 57.
24
lâanalyse des rĂ©gimes. Pour Gilpin le «
contrĂŽle sur la gouvernance du systĂšme international
»
est fonction de trois facteurs : la distribution du pouvoir entre coalitions politiques, puis la
caractéristique hiérarchique du pouvoir et le prestige entre Etats, enfin les rÚgles et les
droits qui organisent ou influencent les relations entre Etats.
Gilpin note que le contrĂŽle par le biais de la distribution de pouvoir a, durant lâhistoire
des relations internationales, Ă©tĂ© caractĂ©risĂ© par : 1- lâhĂ©gĂ©monie ou lâimpĂ©rialisme, «
oĂč un
seul Etat puissant domine les Etats plus faibles dans le systĂšme
» ; 2- la bipolarité, une
condition dans laquelle deux Etats puissants contrÎlent et régulent les interactions dans et
entre leurs sphĂšres respectives dâinfluence ; et 3- lâĂ©quilibre de pouvoirs dans lequel trois
Etats ou plus contrĂŽlent les actions des autres par des manĆuvres diplomatiques, des
changements dâalliances, et le conflit ouvert
1
.
Keohane, par contre, a tendance à atténuer le caractÚre hégémonique et la volonté
dâexercer une telle capacitĂ© que Gilpin dĂ©veloppait a propos du contrĂŽle du systĂšme
international :
« ⊠Les prétentions pour une validité générale de la théorie de stabilité
hĂ©gĂ©monique sont souvent exagĂ©rĂ©es. La domination dâun seul pouvoir peut contribuer
Ă lâordre dans la politique mondiale, dans les circonstances particuliĂšres, mais ceci nâest
pas une condition suffisante, et il y a peu de raison pour croire que ceci est nécessaire
2
. »
Pour Keohane «
lâhĂ©gĂ©monie et la coopĂ©ration ne sont pas des alternatives ; Au contraire,
elles existent souvent dans des relations symbiotiques lâune avec lâautre
3
». Néanmoins, Keohane
pense que la coopĂ©ration pourrait ĂȘtre facilitĂ©e par lâhĂ©gĂ©monie.
Gilpin reconnaĂźt un pouvoir plus grand pour lâEtat hĂ©gĂ©monique. En ce qui concerne la
hiérarchie de prestige et de pouvoir entre Etats, il dit
in fine
que celle-ci :
« ⊠dépend du pouvoir économique et militaire. Le prestige est la réputation du
pouvoir, et le pouvoir militaire en particulier, tandis que le pouvoir renvoie à la capacité
économique, militaire, ⊠des Etats. Le prestige renvoie principalement à la perception
1
Gilpin, Robert,
War and Change in World Politics
. Cambridge University Press, Cambridge, 1981. P.
28
2
After Hegemony
, p. 46.
3
Ibid.
25
des autres Etats des capacitĂ©s et des habilitations de lâEtat en question et de sa volontĂ©
dâexercer ce pouvoir sur la scĂšne internationale
1
. »
Au contraire, Keohane prétend que le pouvoir est essentiel pour la formation et
lâentretien des rĂ©gimes, et il donne un rĂŽle primordial au pouvoir Ă©conomique dans ce
contexte. Ils reconnaissent tous les deux lâimportance du pouvoir Ă©conomique dans la
création et la maintenance des régimes internationaux : simplement pour Keohane, celui ci
a un rĂŽle plus central.
En ce qui concerne les rĂšgles qui gouvernent les interactions entre Etats, Gilpin maintient
quâelles sâappliquent : 1- Ă la diplomatie et aux relations politiques, 2- Ă la conduite de la
guerre, et 3- aux relations Ă©conomiques
2
. Les sources de ces rĂšgles de conduite
internationale sont de «
coutume et négociées dans les traités internationaux
3
». Keohane, au
contraire, définit une partie de ce que Gilpin appelle rÚgles, comme des normes de
comportement qui ne sont pas aussi spécifiques que des rÚgles ou des principes
4
. En mĂȘme
temps, Keohane argumente sur le fait que les normes sont moins sujettes aux changements
que les rĂšgles. Pour lui les rĂšgles, si tant est quâelles aient une quelconque efficacitĂ©, doivent
ĂȘtre dĂ©rivĂ©es dâ «
accords spĂ©cifiques entre Etats qui affectent lâexercice des contrĂŽles
nationaux
5
».
En ce qui concerne la crĂ©ation des rĂ©gimes, Keohane met lâaccent sur la signification de
lâapplication du modĂšle de « choix rationnel » (
rational choice
) de la théorie économique
6
.
Bien quâil reconnaisse le rĂŽle de pouvoir relatif entre Etats dans la crĂ©ation des rĂ©gimes, il
maintient quand mĂȘme que, par lâexercice de choix rationnels, lâaffiliation avec les rĂ©gimes
internationaux est une dĂ©cision optionnelle de la part dâun Etat. LâĂ©valuation de Keohane
est basĂ©e sur la comparaison par un Etat, des coĂ»ts et des bĂ©nĂ©fices associĂ©s Ă lâaffiliation Ă
un rĂ©gime international. Gilpin emploie le concept de coĂ»t-bĂ©nĂ©fice dans lâĂ©valuation des
raisons de changement des régimes internationaux
7
. En ce qui concerne la création des
1
War and Change in World Politics
,
pp. 30-31.
2
Ibid, p. 35.
3
Ibid.
4
After Hegemony,
p. 59.
5
Ibid., p. 61
.
6
Ibid., p. 72
.
7
War and Change in World Politics
, p. 156-158.
26
rĂ©gimes, en revanche, Gilpin utilise le concept dâanalyse dâindiffĂ©rence issue de la thĂ©orie
économique, pour expliquer les actions des leaders des régimes ainsi que de leurs
membres
1
. Cette analyse maintient que les Etats individuels tentent de maximiser
lâobtention de leurs objectifs nationaux par lâacceptation dâun « package » de bĂ©nĂ©fices qui
offre la meilleure possibilitĂ© dâobtenir cet objectif. Lâapplication de courbes dâindiffĂ©rence
est difficile car beaucoup de facteurs diffĂ©rents doivent ĂȘtre pris en considĂ©ration, ce qui
implique que des points multiples dâindiffĂ©rence doivent ĂȘtre dĂ©terminĂ©s et coordonnĂ©s. Le
couple coĂ»t-bĂ©nĂ©fice employĂ© par Keohane est appliquĂ© dâune maniĂšre diffĂ©rente de
lâanalyse dâindiffĂ©rence. Mais, les rĂ©sultats en termes de dĂ©cisions dans les deux approches
sont similaires.
Globalement, Keohane maintient que les «
incitations à former des régimes internationaux
dĂ©pendent fondamentalement de lâexistence dâintĂ©rĂȘts partagĂ©s
2
». Pour Gilpin les Etats «
créent
des arrangements sociaux, politiques et économiques pour avancer une série particuliÚre de leurs
intĂ©rĂȘts
3
» et bien que le comportement international des Etats soit «
basé, plus ou moins sur
le consensus et lâintĂ©rĂȘt mutuel, la fondation primaire des rĂšgles et des droits est dans le pouvoir
et les intĂ©rĂȘts des groupes ou Etats dominants dans un systĂšme social
4
. » Ainsi, pour Keohane,
la crĂ©ation du rĂ©gime « Atomes pour la Paix » pourrait ĂȘtre expliquĂ©e comme lâintĂ©rĂȘt
commun de ses Etats membres. Tandis que dâaprĂšs les postulats de Gilpin, celle-ci peut
ĂȘtre expliquĂ©e par le fait quâelle correspondait avec les intĂ©rĂȘts du leader du rĂ©gime
politique international, les Etats-Unis. Les changements survenus dans ce régime sont aussi
mieux explicables par les postulats de Gilpin. Pour lui, lâinitiation de la formation
dâ « Atomes pour la Paix » par les Etats-Unis pourrait trouver sa raison dans le fait que le
gouvernement américain ne considérait pas la création de ce régime comme une menace
directe sur les intĂ©rĂȘts de sĂ©curitĂ© des Etats-Unis, mais dans son intĂ©rĂȘt Ă long terme. Bien
que nous soyons nous-mĂȘmes en phase avec lâanalyse finale de Gilpin qui maintient que
dans un ordre international bipolaire, un régime économique international défavorable aux
1
Ibid., p. 19-23.
2
After Hegemony
, p. 79.
3
War and Change in World Politics
, p. 25.
4
Ibid., p. 35.
27
intĂ©rĂȘts de lâune des superpuissances a pu ĂȘtre crĂ©Ă© grĂące Ă la marge de manĆuvre permise
par le systĂšme bipolaire.
Pour Gilpin le systÚme international sera maintenu tant que les bénéfices du statu quo
seront plus importants que le changement. Le changement du systĂšme international se
produit par lâexpansion Ă©conomique et politique. Quand le coĂ»t de lâexpansion dĂ©passe les
bĂ©nĂ©fices qui peuvent en ĂȘtre tirĂ©s, alors le systĂšme international est en Ă©quilibre. La survie
de lâempire dĂ©pend donc de ce que les bĂ©nĂ©fices de guerre en dĂ©passent le coĂ»t
1
.
Pour Keohane, lâabsence dâun gouvernement mondial augmente lâutilisation de la
rĂ©ciprocitĂ© par des nations. Lâanarchie rend la coopĂ©ration internationale plus difficile, mais
lâexistence de rĂ©gimes rĂ©duit le coĂ»t de transaction, fournit des informations essentielles
pour faciliter la coopération internationale
2
.
Les comportements des Etats sont-ils affectés par les régimes internationaux, et si oui,
comment ? La plupart des néoréalistes prétendent que les régimes ou institutions
internationales nâont quâune influence minimale sur le comportement des Etats. Ceci
principalement parce que les rĂ©gimes ne seraient quâune maniĂšre dâobscurcir les politiques
de pouvoir dans les relations internationales. Les néoréalistes institutionnalistes et les
théoriciens de régimes arguent que les régimes jouent un rÎle important dans la
formulation du comportement des Etats et promotion de la coopération internationale. Les
régimes promeuvent la coopération en réduisant le coût de transaction et en fournissant
des informations sur le comportement des autres Etats, augmentant ainsi la confiance des
autres sur le fait quâils suivent les rĂšgles Ă©tablies
3
. Le fait que la coopération nucléaire entre
lâIran et la Russie puisse continuer pourrait ĂȘtre traduit superficiellement comme une
indication de la validité de ces théories, car celle ci ne viole pas les prescriptions du TNP.
Mais comme nous allons le voir dans une analyse plus approfondie, la pertinence du
régime est assez limitée.
Les résultats de notre recherche sont plutÎt en faveur des postulats de Gilpin qui
maintient que le leader du régime peut imposer sa volonté, comme les Etats-Unis
1
Ibid., chapitre 3.
2
Keohane, Robert, Ostrom, Elinor,
Local commons and global interdependence: heterogeneity and cooperation
in two domains
, Sage, London, 1994. Voir lâIntroduction.
3
After Hegemony
, pp. 89-96.
28
changeant les pratiques réelles sous le TNP, quand leur position de force le leur permet,
comme la création du Club de Londres et du Comité de Zangger.
« Dependencia »
Les théories de la dépendance attribuent une grande importance à la façon dont
lâĂ©conomie politique internationale forme le dĂ©veloppement politique des pays en voie de
dĂ©veloppement. Ces thĂ©ories, qui sont aussi appelĂ©es de lâimpĂ©rialisme et du centre-
périphérie, attribuent moins de poids aux facteurs nationaux et internes, tels que la
tradition historique, les institutions, les réformes économiques et politiques. Dans ces
derniÚres, la matrice mise en place par les pays capitalistes avancés est un systÚme de
pression qui contraint fortement les pays en voie de développement et détermine les
options disponibles pour ces pays. Le capital, lâorganisation, la technologie et la
prépondérance militaire sont en la possession du centre. Ce sont eux qui ont la capacité de
définir les termes sous lesquels le savoir, le capital et les marchés seront fournis à la
périphérie.
Le centre force les acteurs variés de la périphérie en position de servilité : les fournisseurs
de matiĂšres premiĂšres, les acheteurs de produits finis, les fabricants de ce que le cĆur
voudrait bien leur laisser produire. Les pays en voie de développement sont dans
lâincapacitĂ© dâallouer les ressources en fonction de leurs besoins internes, correspondant Ă
des visions alternatives de dĂ©veloppement. Le rĂ©sultat est quâils sont enfermĂ©s dans une
structure oĂč les bĂ©nĂ©fices de la croissance se multiplient de maniĂšre disproportionnĂ©e pour
le centre. La conséquence étant que les pays en voie de développement possÚdent une
économie duale : un secteur avancé croissant, lié aux besoins du centre, et un secteur
misérable et stagnant sans aucun lien avec les besoins du systÚme capitaliste international,
ignorĂ© et abandonnĂ© par celui-ci. Lâissue en Ă©tant le colonialisme pur et dur
1
. Dans ce
systĂšme chaque pays en voie de dĂ©veloppement a Ă©tĂ© obligĂ© dâĂ©pouser la forme que sa
place dans le systĂšme lui imposaitâŠ
1
Voir Lenin & Hobson, qui dĂ©crivent lâĂ©poque ou la pĂ©riphĂ©rie Ă©tait gouvernĂ©e par le centre; NĂ©o-
colonialisme de GĂŒnter Frank (capitalisme et sous-dĂ©veloppement en AmĂ©rique du Sud) oĂč la
pĂ©riphĂ©rie a une souverainetĂ© formelle, mais reste prisonniĂšre dâune structure quâelle ne peut pas
affecter ; Ainsi que Gourevitch expliquant le développement du capitalisme au quinziÚme siÚcle
et la notion de formation de centre et semi périphérie.
29
Pour Bertrand Badie, aucune entitĂ© nâest complĂštement isolĂ©e, et les interactions dans les
relations internationales sont régulées par les structures de pouvoir qui organisent la scÚne
internationale et limitent les innovations dans ce systĂšme. Pour lui, mĂȘme les Ă©meutes dans
les pays de pĂ©riphĂ©rie peuvent ĂȘtre expliquĂ©es par lâinfluence du centre : «
âŠun
relùchement de la coercition, aprÚs des longues périodes autoritaires, pourrait paraßtre la
situation la plus favorable Ă une montĂ©e de la contestation et Ă son glissement vers lâĂ©meute
1
. »
James A. Caporaso postule que lâun des problĂšmes pour la crĂ©ation dâun cadre
conceptuel pour lâĂ©tude de la dĂ©pendance est la possibilitĂ© de diffĂ©rencier la notion de la
dépendance de celle de
dependencia
(
dependency
). La dĂ©pendance doit ĂȘtre comprise
comme «
lâabsence de lâautonomie de lâacteur
» et la
dependencia
comme «
une forme
dâinterdĂ©pendance hautement asymĂ©trique
2
». Dans lâinterdĂ©pendance il y a une notion de
contrÎle mutuel. Quasiment tout pays dépend des autres, pour, par exemple le commerce,
le transfert de technologie ou bien les échanges culturels⊠Ces échanges sont plus ou
moins systĂ©matiques. Il sâagit alors de lâinterdĂ©pendance. La
dependencia
suggĂšre une
subordination aux autres, avec trois conditions qui qualifient cette position pour Caporaso :
1- Quelle est la taille ou lâimportance de cette relation dĂ©pendante ou bien la signification
du produit pour le pays dépendant ? 2- Quel est le degré de rareté du produit en question ?
3- Quel est le coût des remplacements alternatifs ?
3
La dĂ©pendance indique donc un manque dâindĂ©pendance rĂ©elle vis Ă vis des acteurs
Ă©trangers ou des influences transnationales, ou bien lâinterconnexion interne et externe
dâune sĂ©rie de phĂ©nomĂšnes. LâĂ©conomie du pays en question est ainsi « structurĂ©e » pour
satisfaire les exigences des économies étrangÚres desquelles elle est dépendante
4
. Une des
conséquences pour Caporaso est la marginalisation du statut de certains groupes
domestiques et un Ă©cart croissant entre lâĂ©lite et le peuple.
Une des critiques formulĂ©es Ă lâencontre de la
dependencia
, est la focalisation excessive
sur les déterminants internationaux et structurels des politiques formulées dans les pays en
1
Badie, Bertrand,
Les Deux Etats
. Fayard, Paris, 1986. P. 253.
2
Caporaso, James A., âDependence, dependency, and power in the global system: a structural and
behavioural analysisâ
International Organization
, vol. 32, no. 1, hiver 1978. P. 18.
3
Ibid, p. 22.
4
Ibid, p. 18.
30
voie de dĂ©veloppement. On reproche Ă cette approche dâignorer les raisons des diffĂ©rences
entre deux politiques (
responses
) formulĂ©es par deux pays soumis aux mĂȘme pressions
externes ou bien par le mĂȘme pays sous deux rĂ©gimes ou facteurs politiques internes,
comme lâIran dâavant et aprĂšs la rĂ©volution. Les thĂ©ories de
dependencia
traitent bien la
question dâaccĂšs Ă la technologie, du rĂŽle et des consĂ©quences de lâopĂ©ration de
multinationales dans les pays en voie de dĂ©veloppement, ainsi que dâautres questions de
lâordre du dĂ©veloppement Ă©conomique
1
, mais elles ignorent quasiment lâinfluence des
relations militaires et politiques. Lâapport significatif des thĂ©oriciens de
dependencia
est de
mettre la lumiĂšre sur la marginalisation Ă©conomique et politique des gouvernements des
pays en voie de développement comme une cause de la répression interne qui conduit à la
rĂ©volte. Nos Ă©tudes de cas montreront que cette explication est insuffisante, et que mĂȘme
pour des variables internes conduisant à la révolte il y avait des stimuli externes.
Les travaux sur le nucléaire
Lâessentiel de la littĂ©rature existante sur la question nuclĂ©aire traite des aspects
nationaux, y compris technologiques et industriels ou militaires, de ce secteur. La majorité
des ouvrages universitaires qui traitent des aspects internationaux, se focalisent sur les
relations amĂ©ricano-soviĂ©tiques pendant la guerre froide, mĂȘme si les armes et la
technologie nucléaire ont toujours eu un impact global et régional important et dépassaient
la dimension des relations entre superpuissances.
Une des exceptions est Leonard Spector
2
qui fournit des détails sur les programmes
dâIsraĂ«l et dâautre pays du Moyen-Orient, de lâInde, du Pakistan, de la CorĂ©e du Nord, de
lâAfrique du Sud, de lâArgentine et du BrĂ©sil. En plus Spector prend en considĂ©ration des
aspects multiples de cette question, que ce soient les raisons historiques de lâintroduction,
les objectifs politiques, les aspects techniques et le transfert international des matériels et
1
Newfarmer, Richard, ed. « International Industrial Organization and Development: A Survey »,
Profits, Poverty and Progress
. MIT Press, Cambridge, 1978.
2
Spector, Leonard S.,
Nuclear Ambitions: The Spread of Nuclear Weapons 1989-1990.
Westview Press,
Boulder, 1990.
31
des technologies. Au milieu des annĂ©es 90, Spector Ă©tend sa couverture Ă lâUkraine, au
Kazakhstan et a la Biélorussie, mais sans une analyse trÚs poussée
1
.
Le cas de la France, lâun des plus intrigants et informatifs a Ă©tĂ© visitĂ© de maniĂšre
majestueuse par Marcel Duval et Yves Le Baut
2
. Câest lâun des rares ouvrages qui examine
de maniÚre systématique le programme nucléaire français depuis la Seconde Guerre
mondiale jusqu'Ă la guerre froide. Des les prĂ©misses des efforts nuclĂ©aires français, lâAmiral
Duval a été un acteur important et a écrit de maniÚre prolifique sur la question nucléaire
internationale
3
. Il a Ă©tĂ©, entre autres, lâĂ©diteur de
DĂ©fense Nationale
et membre du « Groupe
dâĂ©tudes français dâhistoire de lâarmement nuclĂ©aire » et le Directeur de lâEcole de Guerre
Navale. Lâouvrage de Duval et Le Baut est basĂ© surtout sur les entretiens avec des
personnalités importantes y compris des Premiers ministres, ministres des Affaires
Ă©trangĂšres, des stratĂšges comme Pierre Gallois, des scientifiques comme Bertrand
Goldschmidt, ainsi que des acteurs internationaux comme Paul Nitze qui a été un acteur
important dans le développement de la politique nucléaire des Etats-Unis depuis
lâadministration Truman jusqu'Ă Reagan.
Il existe aussi une sĂ©rie de publications sur les programmes nuclĂ©aires de lâInde et du
Pakistan depuis le premier essai nuclĂ©aire de lâInde en 18 mai 1974, et depuis la deuxiĂšme
moitiĂ© des annĂ©es 1990 quand lâInde est devenue lâopposant principal de lâextension
définitive et inconditionnelle du Traité de la Non-prolifération (TNP)
4
.
1
Spector Leonard S., McDonough, M.,
Tracking Nuclear Proliferation: A Guide in Maps and Charts
.
Carnegie Endowment, Washington, D.C. 1995.
2
Duval, Marcel et Le Baut, Yves,
LâArme NuclĂ©aire française : Pourquoi et comment ?
Kronos, Paris, 1992.
3
« A la recherche d'un secret : lâarme nuclĂ©aire israĂ©lienne », 1998 ; « A la recherche de la âpensĂ©e
navaleâ », 1993; « L'arme nuclĂ©aire dans le monde : Ă©tat des lieux » 1998 ;
L'arme nucléaire française,
pourquoi et comment ?,
1992 ; « Le bouclier antimissile américain », 2001; « Les crises du Golfe vues
de la mer », 1991; « La dénucléarisation de l'Afrique du Sud : épiphénomÚne ou modÚle ? », 1994 ;
« EnquĂȘte sur une Ă©nigme : lâarme nuclĂ©aire chinoise », 1994 ; « Les essais nuclĂ©aires de l'Inde et
du Pakistan : hier, aujourd'hui, demain », 1998 ; « Les Etats-Unis et la prolifération nucléaire : le
cas français », 1995; « LâEurope est-elle menacĂ©e par la prolifĂ©ration ? », 1999; « Faut-il avoir peur
de lâIran ? », 2002 ; « Les fondements de la sĂ©curitĂ© en Europe Ă l'horizon 2000 », 1991 ; « Forces
navales et contrÎle des crises », 1992 ; « Histoire des forces nucléaires françaises depuis 1945 »,
Que Sais-je ?,
1993; « Perspectives d'avenir de la dissuasion française », 1996 ; « La prolifération
des armes de destruction massive : fantasme ou réalité ? », 2001 ; « Quel avenir pour la
dissuasion nucléaire française ? », 1991 ; « Quel avenir pour le nucléaire ? » 2000; « Quel avenir
pour le traité de non-prolifération des armes nucléaires ? », 1994 ; « Risques et options pour la
défense », 1992 ; « Sécurité collective et crises internationales : actes des journées d'études de
Toulon », 1994 ; « La stratégie américaine en Méditerranée : perception par un Français », 1997.
4
Chellaney, B., « South Asiaâs Passage to Nuclear Power »,
International Security
16, no. 1. Eté 1991.
32
Il existe toute une floraison récente de littérature sur le nucléaire iranien, parfois publiée
sur lâInternet. Ceci est surtout la production de «
think-tanks
» amĂ©ricains et dâautres
organismes privés. Mais la totalité de cette littérature part du principe que le programme
iranien est de nature militaire et finalement traite des différentes « réponses » éventuelles
amĂ©ricaines aux dĂ©veloppements nuclĂ©aires en Iran. Lâaspect de la production dâĂ©nergie
nuclĂ©aire est quasiment ignorĂ©. Le cas de lâIran a Ă©tĂ© aussi visitĂ© par Shahram Chubin, un
spĂ©cialiste mondialement reconnu des questions dâarmement et du nuclĂ©aire iranien
1
. Mais
il nây a pas dâanalyse sur les dĂ©veloppements historiques, le contexte gĂ©opolitique, et les
motivations iraniennes pour lâobtention dâune capacitĂ© nuclĂ©aire civile. Lâapport
additionnel de notre travail est peut ĂȘtre lâanalyse des raisons initiales de lâintroduction de
lâindustrie nuclĂ©aire en Iran et les contraintes internationales qui ont empĂȘchĂ© cette
industrie de devenir opérationnelle à ce jour. Le travail de Chubin, trÚs détaillé et complet,
est un inventaire descriptif. Nous proposons ici une analyse de lâĂ©conomie politique du
dĂ©veloppement de lâindustrie nuclĂ©aire en Iran en prenant dâautres aspects et variables en
considĂ©rations, comme lâimportance des rĂ©gimes, des relations bilatĂ©rales, la stratĂ©gie
commerciale et le jeu entre autorités et les marchés. Les ouvrages existants qui traitent les
aspects culturels et géopolitiques avec une vision plus long terme ne se sont pas focalisés
sur la question nucléaire
2
.
La géopolitique
Patrick OâSullivan a Ă©crit, au milieu des annĂ©es 80, que «
la force de lâinfluence
internationale
» continuait Ă reflĂ©ter ce quâil a appelĂ© «
la tyrannie de la distance
3
». La
gĂ©ographie, dâaprĂšs son raisonnement, «
continue à fournir un certain degré de défense contre
les ambitions des rivaux. La distance, et caractéristiques géographiques⊠continuent à fournir
des barriĂšres contre lâinvasion armĂ©e. âŠMais les Etats continuent Ă ĂȘtre aspirĂ©s dans les
controverses géopolitiques par conséquence de la vulnérabilité de leurs Etats clients au troubles
1
Chubin, Shahram,
Iranâs National Security Policy: Intentions, Capabilities and Impact
. Carnegie
Endowment, Washington D.C. 1994.
2
Voir Fuller, Graham, E.,
Centre of the Universe: The Geopolitics of Iran
. Westview, Colorado, 1991.
Sicker, Martin.
The Bear and the Lion: Soviet Imperialism and Iran
. Praeger, NY, 1988. Bill, James A.
The
Eagle and the Lion: The Tragedy of American-Iranian Relations
. Yale University Press, New Haven, 1988.
3
OâSullivan, Patrick,
Geopolitis
. St. Martinâs Press, N.Y. 1986. P. 5.
33
indirects (indirect disruption). Dans de telles situations, les Etats patrons sont aspirés dans les
conflits géopolitiques en dépit de leurs avantages géopolitiques associés avec la distance⊠le coût
des activités militaires augmente avec la distance et difficultés logistiques ⊠qui rendent les
opérations plus difficiles
.
1
» La rentabilité des coûts et bénéfices associés rentre dans les
calculs Ă©conomiques de lâEtat patron, dans les analyses de type de lâĂ©conomie politique
internationale et la thĂ©orie des jeux. Mais dâaprĂšs OâSullivan, lâessence de la domination et
de lâhĂ©gĂ©monie est dans la capacitĂ© de lâEtat Ă exercer son pouvoir sur le territoire, et dans
le fait que ses dirigeants puissent imposer leur volonté par la supériorité de la force et du
prestige
2
. En ce sens la force militaire, dâaprĂšs OâSullivan, est la mesure de pouvoir.
LâhĂ©gĂ©monie par contre, ne nĂ©cessite pas une intĂ©gration complĂšte de la sphĂšre
dâinfluence. Elle nĂ©cessite plutĂŽt une capacitĂ© Ă empĂȘcher les adversaires de contrĂŽler ces
territoires, aussi bien que la capacité à influencer les événements dans des tels territoires.
Concernant la distance, si lâhĂ©gĂ©monie a une capacitĂ© limitĂ©e pour dĂ©ployer ses forces
militaires, alors ces forces doivent ĂȘtre dispersĂ©es et perdre leur puissance
3
.
La chute de lâUnion soviĂ©tique en 1990 Ă©tait le symbole le plus fort de la fin de la guerre
froide et la transformation formelle du systĂšme politique international dâune configuration
bipolaire Ă une configuration unipolaire et Ă©ventuellement multipolaire. Les Etats-Unis sont
devenus, pendant un temps, le seul pouvoir dominant dans le monde. Depuis lâordre
international a été en phase de changement et en 2003, aprÚs les évÚnements de 11
septembre 2001, aprĂšs la division internationale au sujet dâinvasion dâIrak en 2002, le
monde se trouve dans une phase instable entre unipolarité et des tentatives de
multipolaritĂ©. Les Etats-Unis tentent dâassumer le rĂŽle hĂ©gĂ©monique, et il est peut ĂȘtre trop
tĂŽt pour pouvoir dĂ©terminer, avec une certitude quelconque, quels vont ĂȘtre les acteurs
majeurs dans lâenvironnement futur, quâil soit multipolaire ou unipolaire. Ce qui est
certain câest que dans lâordre actuel, les relations entre les Etats-Unis, la Russie, la Chine,
sont suffisamment complexes pour que lâassistance Ă la rĂ©alisation de lâindustrie nuclĂ©aire
iranienne puisse y trouver une place secondaire, échappant au veto américain, y compris
pour des raisons dâĂ©changes Ă©conomiques et politiques. Le projet nuclĂ©aire iranien
1
Ibid., pp. 9-10.
2
Ibid., p. 10.
3
Ibid.
34
pourrait, comme nous le verrons dans les chapitres qui vont suivre, assumer le rĂŽle de
«monnaie dâĂ©change» (
bargaining chip
), dans les négociations entre ces Etats.
Lâanalyse stratĂ©gique
Dans Competitive Advantage1, Michael Porter introduit la notion de chaĂźne de valeur2
et une maniĂšre systĂ©matique dâanalyser les activitĂ©s des firmes et lâinteraction entre elles.
Cette notion est utile pour lâanalyse et la comprĂ©hension des changements survenus dans
lâindustrie nuclĂ©aire internationale. Lâanalyse de Porter relĂšve du sens commun, mais câest
une bonne maniĂšre dâĂ©claircir les diffĂ©rents aspects de lâindustrie nuclĂ©aire qui peuvent en
surface paraĂźtre complexes. Porter explique que pour le fonctionnement dâune industrie, il
y a besoin, entre autre, des inputs. Pour lâindustrie nuclĂ©aire, ceux-ci consistent
principalement en lâuranium et des rĂ©acteurs. Ensuite, il y a lâĂ©tape de « transformation »,
ou lâuranium lĂ©gĂšrement enrichi (lightly enriched uranium, LEU) doit ĂȘtre irradiĂ©, dans le
rĂ©acteur, pour produire de lâĂ©lectricitĂ© et des « dĂ©chets ». Ce sont ces « dĂ©chets » qui sont
dâutilitĂ© militaire car ils contiennent de lâuranium-235 et du plutonium, toutes deux des
matiĂšres fissiles qui peuvent ĂȘtre utilisĂ©es pour crĂ©er une explosion. Mais lâutilisation de
lâuranium-235 ou du plutonium Ă cette fin nĂ©cessite une opĂ©ration de purification ou
sĂ©paration des Ă©lĂ©ments quâon appelle « retraitement ». Pour une « industrie » nuclĂ©aire
militaire, le « retraitement » constitue donc un autre « input » indispensable.
Une autre notion dâintĂ©rĂȘt introduite par Porter est celle dâapprentissage et de bĂ©nĂ©fices
secondaires (spillovers)3. Lâapprentissage de manipulation de la technologie nuclĂ©aire dans
le secteur civil, pourrait, dans un certain nombre dâannĂ©es, fournir au pays en
considération le savoir-faire nécessaire pour introduire des usages militaires. Ceci tout
de mĂȘme avec le besoin dâĂ©quipements et de procĂ©dĂ©s. Dans StratĂ©gie compĂ©titive, Porter
développe la notion de menace de nouveaux entrants4. Dans notre cas par exemple, il est
possible de considérer les fabricants de réacteurs français et allemands en concurrence
directe avec les fabricants américains. Aussi, de nouveaux pays nucléaires, comme la Chine
1
Porter, Michael E.,
Competitive Advantage: Creating and Sustaining Superior Performance
. Free Press, NY,
1985.
2
Ibid., p. 36-52.
3
Ibid., pp. 195-196.
4
Ibid., pp. 220-221.
35
peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme des concurrents pour le maintien rĂ©gional de la sĂ©curitĂ©,
faisant en sorte que le coĂ»t dâintervention Ă©ventuelle pour les Etats-Unis serait plus Ă©levĂ©
dans la région.
Les fournisseurs, dans le modÚle de Porter ont un pouvoir de négociation important
quand ils nây a pas de sources alternatives dâapprovisionnement pour leurs services ou
produits1. Comme nous allons le voir, pour le service, indispensable, de lâenrichissement
dâuranium (pour le rendre utilisable dans les rĂ©acteurs du type de celui que lâIran a fini par
choisir), il nây avait que des fournisseurs amĂ©ricains dans les annĂ©es 1970. La crĂ©ation
dâEURODIF a Ă©tĂ© un challenge direct europĂ©en aux fournisseurs amĂ©ricains.
Porter utilise aussi dans son modÚle la notion de la « menace de produits ou services de
substitution1.» Comme nous le verrons, il y a une équivalence entre armes traditionnelles
et armes nuclĂ©aires. Il est possible dâobtenir une sĂ©curitĂ© ou bien une dissuasion importante
avec des armes nucléaires avec un coût qui est une fraction des armes conventionnelles. En
ce sens lâaccĂšs Ă lâarme nuclĂ©aire est une menace de produit de substitution pour les
fabricants des armes conventionnelles, lobbies forts dans les Etats patrons. Ils auraient,
dâaprĂšs Porter, tout intĂ©rĂȘt Ă mettre tous les moyens possibles en Ćuvre pour Ă©viter lâaccĂšs
des utilisateurs de leurs produits Ă ce produit de substitution.
Enfin Porter met lâaccent sur la rivalitĂ© entre acteurs existants : tous les fabricants de
réacteurs par exemple, ont voulu bénéficier des marchés dans les pays moins développés ;
Dans le cas ou les acteurs nationaux voudront avoir accĂšs Ă lâarme nuclĂ©aire, celui qui lâa
possĂ©dĂ©e en premier a tout intĂ©rĂȘt Ă barrer la voie dâaccĂšs Ă cette technologie aux autres.
Câest ainsi quâil pourrait obtenir des avantages des autres acteurs nationaux pour ces
services, entre autre les services de maintien de la sécurité ; ou dans le cas de négociations
en situation de conflit, il pourrait persuader lâacteur faible Ă accepter une solution non
optimale pour lui (comme dans le cas de négociations entre les Etats-Unis et la Chine pour
arrĂȘter le conflit de CorĂ©e).
Dans les industries Ă©mergeantes, Porter note le fait quâil nây a pas de rĂšgle, le coĂ»t initial
de développement est élevé, mais ce coût baisse de maniÚre considérable avec le volume. Il
1
Porter, Michael E.,
Competitive Strategy: Techniques for Analyzing Industries and Competitors
. Free Press,
NY, 1980. Pp. 27-28.
36
est important dâaprĂšs Porter de former la structure de lâindustrie, y compris le rĂŽle des
fournisseurs. La position stratégique des concurrents dans les marchés globaux est affectée
par leur positionnement global. Porter suggĂšre quâen matiĂšre de concurrence, les rĂŽles du
gouvernement et de lâentreprise doivent ĂȘtre considĂ©rĂ©s ensemble2.
1
Ibid., p. 166.
2
Ibid.
37
2.
Offrir le nuclĂ©aire Ă lâIran
pour maßtriser le nucléaire
dans le monde
L'introduction de la technologie nucléaire en Iran, comme dans la plupart des pays, a
commencé à la fin des années 50 avec le programme américain « Atomes pour la Paix ».
Câest lors de lâouverture de lâexposition « Atomes pour la Paix » Ă TĂ©hĂ©ran en 1957, que le
Shah annonce la signature dâun accord de coopĂ©ration, proposĂ© par les Ătats-Unis, pour la
recherche sur les utilisations pacifiques de la technologie nucléaire
1
.
La coopération initiale
se limitait Ă lâassistance technique et au « bail » de quelques kilos dâuranium enrichi. Un an
plus tard, le centre de formation nucléaire qui opérait à Bagdad sous les auspices du
Central
Treaty Organization
(CENTO
2
)
fut transféré à Téhéran. Le Shah, qui était enthousiaste sur
les questions de hautes technologies, commence Ă sâintĂ©resser personnellement Ă lâĂ©nergie
atomique. Depuis le dĂ©clin de lâEmpire ottoman, la technologie en gĂ©nĂ©ral Ă©tait considĂ©rĂ©e
par les dirigeants du Moyen-Orient, surtout les Iraniens et les Turcs, comme un élément
essentiel pour la prospĂ©ritĂ©, la survie nationale et un symbole dâavancement.
En 1959, le Shah donne lâordre de crĂ©er un centre de recherche nuclĂ©aire Ă lâuniversitĂ©
de TĂ©hĂ©ran. Ceci fut suivi par « lâachat » auprĂšs des amĂ©ricains dâun rĂ©acteur de recherche
de 5 MW. Ce nâĂ©tait dâailleurs pas un vĂ©ritable achat mais plutĂŽt un « don ». Ă cette
1
US Department of State, « Atom for Peace Agreement with Iran »,
Department of State Bulletin
,
vol. 36, 15 avril 1957, p. 629.
2
LâIran avait rejoint la Pacte de Bagdad en 1955. Câest ce Pacte qui deviendra le CENTO en 1958,
aprĂšs la rĂ©volution dramatique dâIrak, et le retrait de lâIrak de ce systĂšme dâalliance pro-
américain.
38
Ă©poque, les Ătats-Unis accordaient une subvention de 350 000 dollars Ă tous les pays qui
voulaient se procurer un tel type de réacteur, pour les inciter à participer à leur programme
« Atomes pour la Paix »
1
. Ce réacteur de recherche, acquis en 1960, ne sera mis en fonction
quâen 1967, avec cinq ans de retard sur le planning initial. Il y avait Ă cela plusieurs raisons :
lâabsence de personnel qualifiĂ© capable de faire fonctionner le rĂ©acteur ; pas de personnel
non plus pour bénéficier des recherches et expérimentations que celui-ci aurait pu générer.
Il nây avait pas non plus de besoin urgent de maĂźtriser le fonctionnement des rĂ©acteurs. La
capacitĂ© Ă©lectrique installĂ©e dans le pays, mĂȘme pour un petit rĂ©acteur de 360 MW, nâĂ©tait
pas suffisante ! Notons aussi lâabsence de rĂ©seau de distribution Ă©lectrique avec une
couverture nationale. Au début des années 60, un quart de la population seulement avait
accĂšs Ă lâĂ©lectricitĂ©
2
. Avant 1964, la plupart des centrales Ă©lectriques en Iran Ă©taient de
petites unitĂ©s diesel, qui fonctionnaient pour le compte dâentreprises privĂ©es locales. Dans
les années 50, le gouvernement central avait initié un programme de développement
hydroĂ©lectrique. En 1963, « lâautoritĂ© Ă©lectrique » sera crĂ©Ă©e pour devenir, un an plus tard,
le ministĂšre des Eaux et de lâĂlectricitĂ©. Une dizaine dâentreprises rĂ©gionales dâĂ©lectricitĂ©
seront constituées pour coordonner le réseau existant des petites stations privées dispersées
dans le pays ; la plupart de ces stations seront nationalisées.
Le Shah avait Ă©tĂ© rĂ©tabli dans ses fonctions Ă peine quatre ans auparavant grĂące Ă
lâassistance amĂ©ricano-britannique. Il sâagissait dâun coup dâĂtat organisĂ© par la CIA. Il avait
suffisamment de problĂšmes politiques et sociaux Ă rĂ©gler en dehors de lâĂ©nergie nuclĂ©aire.
Ce nâĂ©tait pas sa prioritĂ©. Dâautant plus que la production pĂ©troliĂšre nationale pouvait
suffire largement Ă ses besoins de production dâĂ©nergie. On comprendra donc dâautant
mieux que lâacquisition de ce rĂ©acteur nâavait pas Ă©tĂ© une initiative iranienne mais une
proposition amĂ©ricaine. Et quâil nây avait pas dâurgence pour les Iraniens Ă faire fonctionner
le rĂ©acteur en question. En fait, avant 1974, il nây avait mĂȘme pas de programme clair et
prĂ©cis en Iran pour la recherche atomique. La « Commission de lâĂ©nergie Atomique »,
installĂ©e en 1960, manquait singuliĂšrement dâactivitĂ©. LâuniversitĂ© de TĂ©hĂ©ran Ă©tait le seul
lieu oĂč un minimum de recherches et dâĂ©tudes nuclĂ©aires se dĂ©roulait. LâIran Ă©tait un pays
1
Poneman, Daniel,
Nuclear Power in the Developing World,
George Allen & Unwin, Londres, 1982,
p. 84.
2
Ibid., p. 85.
39
en voie de dĂ©veloppement, de pĂ©riphĂ©rie, et la technologie nuclĂ©aire proposĂ©e par lâ« Ătat
patron » Ă©tait loin dâĂȘtre lâĂ©lĂ©ment le plus essentiel pour son dĂ©veloppement Ă cette Ă©poque.
Pourquoi « Atomes pour la Paix » en Iran en 1957 ?
Le « don » de ce rĂ©acteur Ă lâIran, et lâincitation par les Ătats-Unis Ă participer Ă leur
programme « Atomes pour la Paix », nâĂ©taient pas fondĂ©s sur lâaltruisme, ou sur un souci
de transfert de technologies avancées vers les pays en voie de développement. Ce
programme Ă©tait un cheval de Troie, qui Ă©tait pensĂ© pour permettre aux Ătats-Unis de
contrĂŽler le secteur nuclĂ©aire international, qui, Ă lâĂ©poque, Ă©chappait Ă tout contrĂŽle. En
effet, les Soviétiques avaient fait exploser leur premier engin nucléaire en 1949. DÚs 1953,
les AmĂ©ricains craignaient quâils nâaient dĂ©jĂ pris de lâavance sur eux dans le domaine
nuclĂ©aire. Le rapport dâun comitĂ© de consultants sur le dĂ©sarmement, initiĂ© par Dean
Acheson, secrĂ©taire dâĂtat amĂ©ricain, avait mis en Ă©vidence que trop de matĂ©riaux fissiles se
trouvaient dĂ©jĂ dispersĂ©s dans le monde pour que les Ătats-Unis puissent les contrĂŽler. Le
risque Ă©tait notamment quâune partie de ces matĂ©riaux pouvaient ĂȘtre exploitĂ©s Ă des fins
militaires. Pour bùtir un systÚme de contrÎle, ces consultants avaient proposé à Eisenhower
dâintroduire une sorte de « banque nuclĂ©aire », dont la fonction eĂ»t Ă©tĂ© dâentreposer des
substances fissiles et de redistribuer celles-ci conformĂ©ment à « lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral»
1
. Câest
ainsi que la pĂ©riode de coopĂ©ration internationale dans le domaine nuclĂ©aire, de 1953 Ă
1973, avait démarré.
Eisenhower a exposĂ© son projet « Atomes pour la Paix » devant lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale
des Nations unies le 2 décembre 1953, la premiÚre année de sa présidence, et à peine trois
mois aprÚs le rétablissement du régime Pahlavi par la CIA. Cette proposition rompait avec
la logique de lâisolationnisme et du monopole nuclĂ©aire qui prĂ©valait jusquâalors. Comme
cela a été indiqué précédemment, ce monopole était de moins en moins tenable et
Ă©chappait au contrĂŽle des Ătats-Unis. Un « rĂ©gime » qui dĂ©finissait les rĂšgles du jeu dans ce
nouveau domaine sâavĂ©rait nĂ©cessaire. PrĂ©sentĂ© comme une action de coopĂ©ration
technique pour le transfert de technologie, « Atomes pour la Paix » était par conséquent
40
une action unilatérale américaine, en vue de maßtriser le contrÎle des développements du
nucléaire dans le monde. Le contrÎle des pays qui avaient antérieurement pris une certaine
avance dans le domaine nuclĂ©aire nâĂ©tait plus possible. La fondation dâun rĂ©gime
international, qui comprenait la quasi-totalité des pays, pouvait justifier et légitimer un
contrĂŽle international de tous les pays. Pour convaincre les autres nations de participer Ă ce
programme, les Ătats-Unis leur proposaient donc une assistance technique et Ă©conomique
gĂ©nĂ©reuse. La seule contrepartie Ă©tait lâengagement des pays participants Ă ne pas utiliser
cette technologie Ă des fins militaires. Ainsi les bases dâun accord international pour le
contrĂŽle de la technologie nuclĂ©aire Ă©taient posĂ©es. Ce programme dâ« aide » amĂ©ricaine
nâĂ©tait quâune stratĂ©gie, Ă long terme, de contrĂŽle. Le plan dâEisenhower Ă©tait une forme de
compromis acceptable de la part des SoviĂ©tiques, alors quâils avaient, auparavant, refusĂ© la
notion dâun contrĂŽle international du secteur nuclĂ©aire
2
.
« Atomes pour la Paix » comportait une dimension psychologique importante : dâune
part ce programme pouvait démontrer les usages constructifs possibles de la technologie
nuclĂ©aire ; dâautre part, câĂ©tait un dĂ©fi lancĂ© au monopole de propagande de Union
soviétique sur le thÚme de la « paix »
3
. La philosophie de ce projet Ă©tait basĂ©e sur lâidĂ©e que
la prolifération nucléaire dépendait principalement de décisions politiques conscientes ; elle
Ă©tait aussi fondĂ©e sur lâidĂ©e que la restriction des applications de lâĂ©nergie nuclĂ©aire, non
seulement ne diminuait pas le danger de prolifĂ©ration, mais risquait de lâaccroĂźtre en
encourageant les efforts clandestins et indĂ©pendants. La dĂ©claration dâEisenhower fut suivie
dâune campagne dâinformation importante, ainsi que par des expositions montĂ©es par
lâAtomic Energy Commission dans les annĂ©es qui suivirent : ce fut le cas Ă Karachi, Tokyo,
Le Caire, SĂŁo Paulo, et plusieurs capitales. Lâexposition de TĂ©hĂ©ran faisait partie de cette
campagne dâinformation. Elle Ă©tait aussi censĂ©e dĂ©montrer le soutien continu des Ătats-
Unis pour le Shah.
1
Sénat, commission des Affaires étrangÚres, de la défense et des forces armées,
Rapport sur le projet de
loi autorisant lâadhĂ©sion au TraitĂ© sur la non-prolifĂ©ration des armes nuclĂ©aires
, deuxiĂšme session ordinaire
de 1991-1992, p. 17.
2
Smart, Ian,
World Nuclear Energy: Towards a Bargain of Confidence
, Baltimore, Johns Hopkins
University Press, 1982, p. 24.
3
Weart, Spencer, R.,
Nuclear Fear: A History of Images,
Cambridge, Harvard University Press, 1988,
p. 162.
41
Le rapport Acheson-Lilienthal
1
avait dĂ©jĂ rejetĂ© la possibilitĂ© dâun contrĂŽle international
fondé seulement sur la promesse des participants à ne pas développer une capacité
nucléaire militaire et sur une inspection internationale. Ce rapport avait préconisé des
mesures plus extrĂȘmes, relatives Ă la propriĂ©tĂ© et Ă la gestion internationale de toutes les
activitĂ©s nuclĂ©aires. Cette idĂ©e avait Ă©chouĂ©, en grande partie parce quâelle avait butĂ© sur
lâopposition de lâUnion soviĂ©tique Ă la notion dâune « gestion internationale. » La pierre
angulaire du concept dâ« Atomes pour la Paix » Ă©tait la politique dâassistance pour
lâutilisation civile de lâĂ©nergie nuclĂ©aire, en Ă©change de vĂ©rifications pour se garantir des
dĂ©tournements potentiels Ă des fins militaires. Ce concept devait ĂȘtre mis en Ćuvre par le
biais dâun systĂšme de garanties, comprenant lâinspection des sites des pays dâaccueil. Les
garanties ou sauvegardes en question sâappliquaient donc seulement aux installations qui
Ă©taient liĂ©es Ă cette assistance. Autrement dit, un pays qui recevait lâassistance du
programme « Atomes pour la Paix » était obligé de mettre les installations acquises par ce
biais sous sauvegarde internationale. Mais ce mĂȘme pays pouvait poursuivre un plan de
développement nucléaire indépendant, ou bien acquérir les services de fournisseurs
Ă©trangers pour son programme nuclĂ©aire. Ces actions ne nĂ©cessitaient pas lâapplication de
telles garanties. Les pays pouvaient bien sûr mettre toutes leurs activités sous sauvegarde
volontairement, ce qui fut le cas, par exemple, du Mexique au milieu des années 60.
Le point central de cette coopĂ©ration consistait dâune part en la fourniture, par les Ătats-
Unis au départ, des matériaux nucléaires dans des termes et conditions politiques
favorables ; et dâautre part en un transfert des rĂ©acteurs et autres Ă©quipements nuclĂ©aires
par plusieurs fournisseurs
2
. Un « marché » nucléaire fut ainsi créé par la volonté politique
des Ătats-Unis. Pendant les annĂ©es 50 et 60, le gouvernement amĂ©ricain offrira des
réacteurs de recherche et la formation nécessaire à une vingtaine de pays dans le monde.
Il est important dâajouter quâ« Atomes pour la Paix », non seulement ne prohibait pas le
dĂ©veloppement indĂ©pendant de la technologie nuclĂ©aire, mais nâempĂȘchait pas non plus
lâassistance aux nations qui avaient un programme militaire indĂ©pendant en cours. Ă titre
1
David, E., Lilienthal fut le premier directeur de « Atomic Energy Commission », nommé par
Truman.
2
Goldschmidt, Bertrand, Kratzer, Myron, « Peaceful Nuclear Relations: A Study of the Creation
and Erosion of Confidence » dans Smart, Ian,
World Nuclear Energy: Towards a Bargain of Confidence,
Baltimore
, Johns Hopkins University Press, 1982.
42
dâexemple, la France, qui avait un grand programme civil ainsi quâun programme militaire
dans les annĂ©es 50, recevait lâassistance des Ătats-Unis pour ses activitĂ©s civiles. Mais cette
assistance qui comprenait principalement la fourniture dâuranium enrichi et de plutonium
pour les rĂ©acteurs de recherche français, nâĂ©tait pas censĂ©e contribuer aux dĂ©veloppements
militaires indépendants de la France, qui lui ont permis d'accéder au rang des puissances
nucléaires en février 1960
1
.
LâIran, dans le programme « Atomes pour la Paix », nâĂ©tait donc quâun des morceaux
du « puzzle » que les Ătats-Unis avaient commencĂ© Ă mettre en place, pour limiter lâaccĂšs
aux armes nuclĂ©aires par dâautres nations pĂ©riphĂ©riques de leur sphĂšre dâinfluence.
LâAIEA : lâorgane de contrĂŽle dâ« Atomes pour la Paix »
Le marché de la technologie nucléaire étant créé, il fallait désormais un organe de
contrĂŽle. C'Ă©tait la mission de lâAIEA (Agence Internationale de lâĂnergie Atomique), mise
en place en 1957 dans le cadre du programme « Atomes pour la Paix » comme une entité
de lâONU. Sa fonction formelle initiale Ă©tait double : dâune part, encourager les
programmes nuclĂ©aires pacifiques, dâautre part, empĂȘcher les gouvernements de
poursuivre des programmes nucléaires militaires. Ceci impliquait un systÚme de garanties,
ou sauvegardes, permettant Ă lâAgence de travailler conformĂ©ment Ă cet objectif. Elle devait
pouvoir examiner les plans des installations, pour bien sâassurer quâelles serviraient Ă des
fins pacifiques, faire appliquer les mesures de sécurité, obtenir une comptabilité des
matiÚres fissiles, et enfin vérifier que le traitement chimique des matiÚres irradiées ne
permette pas leur détournement à des fins militaires
1
.
La coopĂ©ration internationale pour lâutilisation civile de la technologie nuclĂ©aire, comme
celle initiĂ©e dans les annĂ©es cinquante entre le Canada et lâInde en vue dâun soutien
technique et financier, était basée sur des accords bilatéraux entre les pays fournisseurs et
les pays acquĂ©reurs. En rĂ©alitĂ©, il sâagit lĂ dâun euphĂ©misme pour signifier une inspection
unilatérale par le fournisseur. Mais « Atomes pour la Paix » avait aussi introduit un systÚme
1
Pour une explication élégante et plus complÚte du programme français, voir Duval, Marcel, Le
Baut, Yves,
Lâarme nuclĂ©aire française : Pourquoi et comment ?
,
Kronos, Paris, 1992, surtout, p. 139.
43
pour contrĂŽler les activitĂ©s de façon multilatĂ©rale. La crĂ©ation de lâAIEA a fourni une voie
diplomatique, et facile, aux Ătats-Unis pour contrĂŽler les activitĂ©s sous la houlette des
Nations unies.
Accommoder les pays forts et contrĂŽler les pays faibles
L'historique du développement du secteur nucléaire international est fait de rivalités
entre les nations pour le développement de la technologie nucléaire et de la volonté du
maintien par certains de leur position avantageuse. Lâutilisation des armes nuclĂ©aires Ă
lâissue de la Seconde Guerre mondiale avait dĂ©montrĂ© la supĂ©rioritĂ© de celles-ci sur les
armes conventionnelles dans des conflits militaires. LâUnion soviĂ©tique a vite rattrapĂ© la
maĂźtrise amĂ©ricaine dans ce domaine, amenant les Ătats-Unis Ă introduire le programme
« Atomes pour la Paix » comme une premiÚre tentative de contrÎle multilatéral de ce
secteur. « Atomes pour la Paix » avait été présenté comme le noyau central de la politique
de non-prolifĂ©ration des Ătats-Unis, car le contrĂŽle direct des pays dĂ©jĂ avancĂ©s nâĂ©tait plus
possible. On a vu que la crĂ©ation dâun rĂ©gime international comprenant la quasi-totalitĂ© des
pays du monde pouvait justifier et légitimer un contrÎle de tous les pays.
Il faut bien comprendre que le contrĂŽle de lâutilisation militaire de la technologie
nuclĂ©aire avait Ă©tĂ© un souci majeur pour les Ătats-Unis Ă lâaube de lâĂšre nuclĂ©aire. Le
gĂ©nĂ©ral Groves, commandant en chef de lâarmĂ©e amĂ©ricaine, qui dirigeait le projet
Manhattan, avait proposé aux Nations unies en juin 1946 une vision claire pour le futur du
secteur international nucléaire : un monopole américain basé sur la prohibition des armes
nucléaires dans le monde
2
. Mais les AmĂ©ricains Ă©taient bien conscients quâempĂȘcher les
autres pays de développer cette technologie serait une tùche difficile, nécessitant une
rĂ©flexion approfondie et une approche innovatrice. Leur rivalitĂ© avec la France avait dĂ©jĂ
commencĂ©e en 1939, un an aprĂšs la dĂ©couverte de la fission de lâuranium Ă Berlin. La
France, craignant, Ă juste titre, une invasion de lâAllemagne nazie, avait commencĂ© Ă
obtenir des matiĂšres fissiles, Ă lâĂ©poque trĂšs rares.
1
Rapport sur le projet de loi autorisant lâadhĂ©sion au TraitĂ© sur la non-prolifĂ©ration des armes
nucléaires, deuxiÚme session ordinaire de 1991-1992, p. 18-19.
2
Congressional Research Service, Library of Congress,
Nuclear Proliferation Factbook, 5th,
ed.,
Government Printing Office, Washington, DC, 1995.
44
La possibilitĂ© de crĂ©ation dâune rĂ©action en chaĂźne a en effet Ă©tĂ© dĂ©couverte Ă Paris, en
janvier 1939, par Frédéric Curie. En mai 1939, ce sont les scientifiques français qui ont,
sous la direction de Curie, brevetĂ© lâusage de la rĂ©action en chaĂźne pour les rĂ©acteurs et
armes nucléaires
1
. En mars 1940, les agents secrets français ont obtenu de la NorvÚge les
stocks dâeau lourde uniques au monde
2
. La France a obtenu, dans les mois qui ont suivi,
lâuranium du Congo belge, seule source industrielle dâuranium connue Ă lâĂ©poque
3
. Ceci
constituait donc la premiĂšre concurrence directe dans le domaine nuclĂ©aire avec les Ătats-
Unis. Ces derniers ont immédiatement réagi en coopérant avec le Royaume-Uni pour
contrĂŽler lâaccĂšs Ă ce facteur indispensable quâest la maĂźtrise des matiĂšres premiĂšres. Ils
lâont fait en incitant les anglais Ă monopoliser les importations des mines congolaises
1
.
Les efforts français se sont arrĂȘtĂ©s Ă lâĂ©poque du rĂ©gime de Vichy et de lâoccupation du
pays par les forces allemandes. Les scientifiques français ont fui le pays et se sont joints aux
équipes britannique et américaine. La France fit don de son eau lourde avant la chute de la
TroisiĂšme RĂ©publique. Câest Ă la fin de la Seconde Guerre mondiale, en octobre 1945, que
le GĂ©nĂ©ral de Gaulle crĂ©a le Commissariat Ă lâĂnergie Atomique (CEA), presque un an
avant la crĂ©ation de lâAtomic Energy Commission aux Ătats-Unis. La mission du CEA avait
été définie comme devant développer et utiliser ces technologies dans les domaines des
sciences, de lâindustrie et de la dĂ©fense nationale. Le programme français souciait les
Américains, qui étaient par ailleurs au courant des travaux soviétiques dans ce domaine.
AprĂšs lâUnion soviĂ©tique, la France allait constituer la deuxiĂšme concurrence inĂ©vitable au
monopole nuclĂ©aire amĂ©ricain. Le poids de la France, dans un camp ou lâautre, pouvait
faire basculer lâĂ©quilibre fragile du pouvoir de lâĂ©poque.
LâinquiĂ©tude amĂ©ricaine se renforcera avec la reprise britannique dâun programme
nuclĂ©aire, qui fut rendue publique en 1948. Le programme britannique nâĂ©tait sans doute
pas aussi inquiĂ©tant pour les Ătats-Unis que celui de lâUnion soviĂ©tique. Les AmĂ©ricains
considĂ©raient lâAngleterre comme un alliĂ©, mĂȘme si ce statut nâavait pas donnĂ© lieu Ă un
transfert de technologie nucléaire américaine vers ce pays. Tandis que les soviétiques, eux,
1
Décrite en détail dans Duval, Marcel et Le Baut, Yves,
LâArme nuclĂ©aire française : pourquoi et
comment ?
,
Kronos, Paris, 1992.
2
ComposĂ© de deutĂ©rium indispensable pour le fonctionnement dâun rĂ©acteur nuclĂ©aire.
3
Lâautre source dâuranium connue Ă lâĂ©poque se trouvait en BohĂšme sous le contrĂŽle des nazis.
45
Ă©taient dans une position dâadversaires vis-Ă -vis des Etats-Unis qui Ă©taient jusqu'alors le
pouvoir nucléaire unique et donc en position de supériorité stratégique.
Lâexplosion nuclĂ©aire soviĂ©tique un an aprĂšs, en 1949, brise le monopole nuclĂ©aire
amĂ©ricain. Le monde multipolaire Ă©tait devenu, plus quâune possibilitĂ©, une certitude. Les
Américains craignaient que la France ne soit la prochaine candidate à accéder au rang des
puissances nucléaires. En 1951, le gouvernement français fit une déclaration publique
indiquant que la technologie nucléaire était « un élément-clé pour le développement
économique du pays et que la France avait besoin de plutonium pour la génération de
lâĂ©lectricitĂ© »
2
. Quatre ans plus tard, en 1955, le premier réacteur nucléaire français sera mis
en opération sur le RhÎne. DÚs 1956, le programme nucléaire militaire français reçoit un
soutien public croissant, malgrĂ© les pressions et protestations Ă©trangĂšres. LâAssemblĂ©e
nationale française rejette la proposition de statut de lâAgence EuropĂ©en dâĂnergie
Atomique de la CommunautĂ© europĂ©enne (EURATOM), qui prĂ©voyait dâinterdire aux
nations membres de fabriquer des armes nucléaires. Ce traité sera signé un an plus tard,
aprĂšs une renĂ©gociation pour sĂ©parer la question nuclĂ©aire de celle de lâunion politique et
économique des nations concernées. En 1957, les Britanniques font exploser leur bombe H,
utilisant du plutonium. Le programme britannique Ă©tait
ab initio
de nature militaire. Les
Américains étaient au courant des développements britanniques, mais ne pouvaient rien
faire pour les arrĂȘter. Nous Ă©voquerons plus loin la stratĂ©gie des Ătats-Unis pour
« amputer » le Royaume-Uni de son indépendance nucléaire.
Les efforts nuclĂ©aires français sâintensifiĂšrent aprĂšs lâĂ©chec de lâinvasion franco-
britannique du canal de Suez en 1956 : lâUnion soviĂ©tique, qui soutenait Ă lâĂ©poque
lâĂgypte, avait en effet menacĂ© de tirer des missiles nuclĂ©aires balistiques sur Londres et
Paris. MĂȘme si Ă lâĂ©poque lâUnion soviĂ©tique avait Ă©tĂ© menacĂ©e par les Ătats-Unis de
reprĂ©sailles en cas dâattaque
3
, les deux puissances européennes sentaient la nécessité de
disposer de leur propre moyen de dissuasion. En février 1960, la France conduit son
1
Cette source a permis aux Ătats-Unis de fabriquer la bombe utilisĂ©e Ă Hiroshima et de produire le
plutonium utilisé dans la bombe de Nagasaki. Le monopole a duré jusqu'à la fin des années 1950.
2
Ă ce jour, la France est le pays au monde avec la part la plus importante dâĂ©nergie nuclĂ©aire dans
la gĂ©nĂ©ration de lâĂ©lectricitĂ©.
3
Costigliola, Frank,
France and the United States: the Cold Alliance since World War II
, Twayne, NY, 1992.
46
premier essai nucléaire en Algérie française et rejoint le rang des pays nucléaires
1
. VoilĂ la
premiĂšre expĂ©rience dâune « voie civile » pour accĂ©der au club nuclĂ©aire, au contraire des
stratégies américaine, soviétique, et britannique. Cette situation inédite présente en ce sens
un intĂ©rĂȘt particulier pour la comprĂ©hension de la situation iranienne au centre de notre
analyse.
Les confĂ©rences internationales sur lâutilisation pacifique de lâĂ©nergie nuclĂ©aire Ă GenĂšve,
en 1955 et 1958, avaient fortement facilitĂ© la dissĂ©mination dâune documentation pointue
comprenant des renseignements techniques sur lâutilisation pacifique de lâĂ©nergie nuclĂ©aire
par les pays dĂ©tenteurs, y compris lâUnion soviĂ©tique. Des dizaines de pays ont lancĂ© des
programmes nucléaires et les premiÚres ventes internationales de réacteurs ont eu lieu.
Ceux-ci, quâils soient Ă usage commercial ou de recherche, nâĂ©taient pas des unitĂ©s
amĂ©ricaines utilisant lâuranium enrichi
2
, mais des unités de constructeurs britannique,
français, et canadien utilisant de lâuranium naturel
3
.
Grzegorz Kostrzewa-Zorba
4
, dans sa thÚse de doctorat sur les réponses américaines à la
prolifération des armes atomiques, fournit un grand nombre de documents du plus haut
intĂ©rĂȘt, rĂ©cemment dĂ©classifiĂ©s aux Ătats-Unis. Lâun de ceux-ci apporte une lumiĂšre
intĂ©ressante sur le changement de position des Ătats-Unis au sujet du dĂ©veloppement de la
situation nuclĂ©aire française. Les Ătats-Unis nâont pas aidĂ© le Royaume-Uni et la France
dans leur programmes nucléaires militaires, mais ils ne pouvaient pas faire grand-chose
pour empĂȘcher leur dĂ©veloppements indĂ©pendants. Leur stratĂ©gie vis-Ă -vis de ces deux
Ătats alliĂ©s consistait donc Ă essayer de les ralentir, autant que possible ; mais une fois quâils
avaient eu accÚs à des armes nucléaires par leur propres moyens, ils avaient acquiescé, et
s'étaient assurés que ces pays restaient bien dans leur camp, et non pas dans celui de
lâUnion soviĂ©tique. Ă titre dâexemple, en 1959, Eisenhower dĂ©clarait :
1
Un engin similaire à celui utilisé par les Américains quinze ans plus tÎt à Nagasaki (utilisant du
plutonium), mais avec un rendement supérieur (60-70 k tonnes de TNT).
2
Nous verrons plus loin que lâune des raisons du dĂ©veloppement de rĂ©acteurs Ă lâeau lĂ©gĂšre,
comme les réacteurs de Boushehr, était le contrÎle de combustible, car ces réacteurs ne peuvent
pas utiliser lâuranium naturel comme combustible et ont besoin de fourniture de services
dâenrichissement.
3
Smart, Ian,
World Nuclear Energy: Towards a Bargain of Confidence,
Johns Hopkins University Press,
Baltimore, 1982, p. 22.
4
Dans sa thĂšse de doctorat, Kostrzewa-Zorbas, Grzegorz,
American Response to the Proliferation of
Actual, Virtual, and Potential Nuclear Weapons: Lessons for the Multipolar Future
, Johns Hopkins
University, MD, 1998, p. 103.
47
« Les Ătats-Unis doivent dĂ©courager : (1) Le dĂ©veloppement de capacitĂ© militaire
nuclĂ©aire par dâautres nations. (2) Lâacquisition dâun contrĂŽle national sur les
composants des armes nuclĂ©aires par les nations qui nâen disposent pas Ă lâheure
actuelle. »
« Ă chaque occasion quand les prĂ©sidents des Ătats-Unis estiment que câest dans
lâintĂ©rĂȘt de la sĂ©curitĂ© des Ătats-Unis, les Ătats-Unis doivent amĂ©liorer la capacitĂ©
nucléaire militaire des alliés choisis, par, selon ce qui est approprié, des échanges, ou en
leur fournissant (1) de lâinformation, (2) du matĂ©riel ; ou bien (3) des armes nuclĂ©aires,
avec des conditions de contrÎle des armes à déterminer. »
1
Un an aprĂšs, et une semaine avant lâexplosion nuclĂ©aire française, il tenait le
raisonnement suivant :
« Si nous sommes alliĂ©s avec dâautres nations et que nous essayons de nous armer
dâune maniĂšre sĂ»re pour notre dĂ©fense, nous devons les armer dâune maniĂšre qui
renforcera cette défense :
MĂȘme si la loi le permettait, je ne transfĂ©rerais aucun renseignement nuclĂ©aire que les
SoviĂ©tiques ne dĂ©tiennent pas. Mais, quand les SoviĂ©tiques possĂšdent lâinformation et le
savoir-faire, alors je ne comprends pas pourquoi nous ne devons pas faire quelque chose
avec nos alliĂ©s, tant quâils restent de notre cotĂ© pour la dĂ©fense dâune intention agressive
probable du communisme. »
2
LâexpĂ©rience des annĂ©es 50 avait montrĂ© aux AmĂ©ricains que, mĂȘme sâils le souhaitaient
vraiment, ils ne pouvaient pas empĂȘcher des pays comme la France et le Royaume-Uni de
dĂ©velopper une capacitĂ© nuclĂ©aire militaire indĂ©pendante. Le statut dâalliĂ© de ces pays, et le
souci de contenir lâexpansion du communisme en Europe de lâOuest, mettaient les Ătats-
Unis dans une position difficile pour lancer toute action qui empĂȘcherait le dĂ©veloppement
des armes nuclĂ©aires par des pays forts comme la France et le Royaume-Uni. Les Ătats-Unis
1
National Security Council 5906/1, « Basic National Security Policy », 5 août 1959; déclassifiée de
statut « top secret » en 1996 (White House Office, Office of the Special Assistant for National
Security Affairs: Records, 1952-1961, NSC series, Policy Papers subseries, box 27, Dwight D
Eisenhower Library, Abilene, Kans.), p. 9. Cité dans la thÚse de Kostrzewa-Zorbas, Grzegorz,
American Response to the Proliferation of Actual, Virtual, and Potential Nuclear Weapons: Lessons for the
Multipolar Future
, Johns Hopkins University, MD, 1998.
2
Eisenhower, « Public Papers 1960 », dâaprĂšs le New York Times, 4 fĂ©vrier 1960 (citĂ© dans Kohl,
Wilfried, L.,
French Nuclear Diplomacy
, Princeton University Press, NJ, 1971, p. 106).
48
auraient naturellement prĂ©fĂ©rĂ© jouir dâune position de monopole dans le nuclĂ©aire militaire,
mais ils ne pouvaient pas préserver cette position indéfiniment. Le développement de la
situation de lâadversaire soviĂ©tique, et des alliĂ©s français et britannique, a eu pour
conséquence un monde
de facto
multipolaire. Ce qui devenait désormais indispensable
pour les Ătats-Unis Ă©tait dâabord de sâassurer que le potentiel nuclĂ©aire des alliĂ©s se trouvait
dans une position favorable dans lâĂ©quation amĂ©ricano-soviĂ©tique de la guerre froide. Et
surtout dâempĂȘcher le transfert de cette technologie Ă dâautres pays tiers.
Avec lâarrivĂ©e de John F. Kennedy (1960-1963) au pouvoir, une nouvelle volontĂ© de
contenir les avancées des alliés nucléaires concurrents se fait jour. Au Royaume-Uni, par
exemple, Acheson avait conseillé à Kennedy :
« Pour le long terme, la politique américaine doit chercher à convaincre les
Britanniques dâabandonner leur force de dissuasion nuclĂ©aire de maniĂšre aussi peu
pĂ©nible que possible [âŠ] MĂȘme si les forces nuclĂ©aires stratĂ©giques britanniques
pouvaient ĂȘtre totalement dĂ©vouĂ©es Ă lâOTAN, leur simple existence serait une
provocation constante pour la France, la forçant à faire avancer son propre effort
nucléaire.
Il nây a pas grande chose que les Ătats-Unis [âŠ] puissent faire pour dissuader de
Gaulle dâun programme nuclĂ©aire national ; si nous ne lâaidons pas, mais lui fournissons
une voix sur les affaires nuclĂ©aires, ce quâil cherche, et que nous ne traitons pas les
Britanniques de maniÚre privilégiée, en terme de futurs véhicules stratégiques de
livraison dâarmes [des missiles], il [de Gaulle] pourrait poursuivre un programme
minimal [âŠ] et laisser la dĂ©cision embarrassante dâabandon du programme Ă son
successeur. »
1
1
Acheson, Dean, « A Review of North Atlantic Problems for the Future », mars 1961. Déclassifié
en 1997.
Papers of John F. Kennedy
, Presidential Papers, Presidentâs Office Files: Subjects, box 103,
John F. Kennedy Library, Boston, MA, USA, p. 45 et 61, tel que cité dans la thÚse de Kostrzewa-
Zorbas, Grzegorz,
American Response to the Proliferation of Actual, Virtual, and Potential Nuclear Weapons:
Lessons for the Multipolar Future
, Johns Hopkins University, MD, 1998. Un développement plus
important de ces détails historiques dépasse le cadre du présent ouvrage. Notre intention est de
fournir suffisamment dâĂ©lĂ©ments historiques pour expliquer comment les Ătats-Unis ont pu
renverser certaines évolutions du nucléaire dans le monde et ainsi décrire les évolutions du
secteur international nuclĂ©aire. Nous pensons ainsi faire comprendre le modĂšle dâanalyse
construit et défendu en conclusion. Les lecteurs intéressés par plus de détails historiques autour
de la coopération militaire américano-britannique sont invités à consulter la thÚse de
Kostrzewa-Zorbas qui est trÚs bien documentée sur ces points, mais qui explique les
dĂ©veloppements de la politique nuclĂ©aire amĂ©ricaine en fonction des positions dâadministrations
49
La tactique dâAcheson vis-Ă -vis du Royaume-Uni a Ă©tĂ© de lui vendre des missiles
balistiques utilisables depuis les sous-marins Polaris (Polaris submarine launched ballistic
missiles, SLBMs). Ce qui fut validĂ© par lâaccord de Nassau
1
. Le programme nucléaire
britannique sera ainsi lié aux procédures et standards américains.
De facto
, le programme
de dissuasion nucléaire britannique est devenu dépendant de la politique unilatérale
américaine. Cela continuera jusqu'aux années 90 avec le programme de missiles Trident,
qui avait commencé à la fin des années 70
2
. La France, en revanche, a gardé son
indĂ©pendance en matiĂšre de missiles avec le dĂ©veloppement dâun modĂšle propre, dĂ©ployĂ©
dĂšs 1968
3
.
Le cas de la Chine
Si les Ătats-Unis avaient fait un pas en avant vis-Ă -vis de lâautonomie nuclĂ©aire du
Royaume-Uni, une situation beaucoup plus inquiétante échappait à son contrÎle : celle de
la RĂ©publique populaire de Chine. On savait que la Chine pourrait ĂȘtre en position de
tester son premier engin vers la fin de 1963. Les membres du club nuclĂ©aire, jusquâĂ cette
date, avaient été des pays dits « avancés ». La Chine allait devenir le premier pays du tiers-
monde Ă accĂ©der Ă ce rang : elle pouvait fort bien ĂȘtre une source dâinspiration pour
beaucoup dâautres pays en Asie et ailleurs. Les Ătats-Unis ont Ă lâĂ©poque envisagĂ© une
gamme de rĂ©ponses possibles Ă cette Ă©ventualitĂ©. Cela allait de sanctions Ă©conomiques, Ă
une attaque nuclĂ©aire. Ils ont mĂȘme proposĂ© aux SoviĂ©tiques de les aider Ă contenir les
efforts chinois, en Ă©change dâune Ă©limination de la force de frappe française
4
, de la création
et du maintien dâun duopole nuclĂ©aire mondial. Mais, pendant cette pĂ©riode de
concurrence vigoureuse entre les deux superpuissances pour créer des alliances dans le
tiers-monde, aucune de ces options nâa pu ĂȘtre rĂ©alisĂ©e. Et la Chine testera son premier
engin nucléaire en octobre 1964. Cette explosion relativement simple, mais novatrice (les
démocrates et républicaines, sans analyser les facteurs qui ont rendu ces prises de positions
possibles.
1
Conférence bilatérale américano-britannique aux Bahamas les 18-21 décembre 1962.
2
Norris, Robert, Burrows, Andrew, Fieldhouse, Richard,
British, French and Chinese Nuclear Weapons
,
Nuclear Weapons Databook,
vol. 5, Westview, Col., 1994, p. 100-121.
3
« Pour le nucléaire nous ne devons rien aux Américains, sauf des crocs-en-jambe ! », déclaration
du GĂ©nĂ©ral de Gaulle, citĂ© dans Duval, Marcel, Melandri, Pierre, « Les Ătats-Unis et la
prolifération nucléaire : le cas français »,
Revue dâHistoire Diplomatique,
no. 3, Paris, 1995, p. 220.
4
Ibid.
50
Chinois ont utilisĂ© de lâuranium au lieu du plutonium dans la conception de lâimplosion), a
Ă©tĂ© suivie trois ans plus tard, en 1967, par la conception dâune arme « multi-Ă©tape » de type
fusion adaptée pour le déploiement aérien
1
.
Les dĂ©marches bilatĂ©rales amĂ©ricaines sâĂ©taient avĂ©rĂ©es inefficaces pour empĂȘcher
dâautres pays dâaccĂ©der au rang de puissance nuclĂ©aire. Le programme « Atomes pour la
Paix » Ă©tait aussi jusquâalors dâune efficacitĂ© douteuse. Avec lâaccession de la Chine, pays
du tiers-monde, au rang de puissance nucléaire, une nouvelle urgence apparaissait pour les
Ătats-Unis : il fallait penser Ă renforcer le rĂ©gime de non-prolifĂ©ration et crĂ©er un
systĂšme
apte Ă freiner la dynamique en marche, dâautant plus que les Ătats-Unis Ă©taient conscients
du dĂ©sir dâautres pays, notamment dâIsraĂ«l depuis son indĂ©pendance, de se doter de la
capacité nucléaire. Comme nous verrons plus loin, ce sera le Traité de Non-Prolifération
(TNP) qui constituera la prochaine étape majeure du renforcement de ce « régime ». Ce
Traité
2
sera adoptĂ© le 12 juin 1968 par lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies, bĂ©nĂ©ficiant
de l'appui de lâURSS et du Royaume-Uni
3
. Mais avant de considérer le TNP, il est
intĂ©ressant dâexaminer le cas dâIsraĂ«l.
Le cas dâIsraĂ«l
Ce cas est intéressant à plusieurs niveaux : à la fois pour mettre en lumiÚre les
incohĂ©rences de ce rĂ©gime de non-prolifĂ©ration, et surtout, pour lâanalyse du cas iranien. Le
programme israélien, comme les programmes britanniques et chinois, a été, depuis sa
conception, de nature militaire. Lâexploitation miniĂšre pour trouver de lâuranium en IsraĂ«l
avait commencĂ© dans le dĂ©sert du NĂ©guev juste aprĂšs lâindĂ©pendance. DĂšs 1950, le
ministĂšre de la DĂ©fense dâIsraĂ«l crĂ©a une division de recherche et dĂ©veloppement nuclĂ©aire
au sein de lâInstitut scientifique Weizman. En 1954, le gouvernement israĂ©lien rĂ©vĂšle que la
Commission de lâĂnergie Atomique dâIsraĂ«l (IAEC) avait Ă©tĂ© crĂ©Ă©e depuis deux ans en tant
quâentitĂ© secrĂšte sous la supervision et le contrĂŽle du ministĂšre de la DĂ©fense
4
.
1
Norris, Robert, Burrows, Andrew, Fieldhouse, Richard,
British, French and Chinese Nuclear Weapons,
Nuclear Weapons Databook, vol. 5, Westview, Col., 1994, p. 350-352.
2
Dont le texte se trouve en annexe.
3
Rapport sur le projet de loi autorisant lâadhĂ©sion au TraitĂ© sur la non-prolifĂ©ration des armes nuclĂ©aires, deuxiĂšme
session ordinaire de 1991-1992,
p. 20.
4
Pry, Peter,
Israelâs Nuclear Arsenal
,
Westview, Colorado, 1984, p. 5-6.
51
Le premier rĂ©acteur de recherche israĂ©lien sera fourni par les Ătats-Unis, comme dans le
cas de lâIran, dans le cadre du programme « Atomes pour la Paix », en 1955. La
construction de celui-ci se terminera en 1960. Comme tous les matériels de recherche
fournis dans le cadre de ce programme, ce réacteur sera soumis au systÚme de
« sauvegarde » amĂ©ricain, puis Ă celui de lâAIEA. Pendant la mĂȘme pĂ©riode une soixantaine
de scientifiques israĂ©liens seront formĂ©s aux Ătats-Unis dans les laboratoires de lâUnited
States Atomic Energy Commission
1
.
DÚs 1955, Israël entreprendra en parallÚle un programme clandestin militaire,
programme qui durera jusquâen 1963. C'est surtout grĂące Ă cette initiative clandestine,
quâIsraĂ«l va pouvoir, avec une assistance comprĂ©hensive et secrĂšte de la part de la France,
dĂ©velopper la phase dĂ©terminante de son programme nuclĂ©aire militaire. Lâassistance de la
France avait Ă©tĂ© obtenue en contrepartie du soutien dâIsraĂ«l contre Nasser et en prĂ©paration
de lâinvasion du SinaĂŻ
2
.
La nuclĂ©arisation dâIsraĂ«l avait Ă©tĂ© anticipĂ©e par lâadministration Eisenhower : en
mai 1957, lâadministration lâavait prĂ©vu, en se fondant sur la dĂ©cision de la France de
développer un arsenal nucléaire :
« [âŠ] Il y aurait une haute probabilitĂ© quâIsraĂ«l obtienne [âŠ] les armes nuclĂ©aires soit
par fabrication interne soit par la France [âŠ] »
3
Tel était le phénomÚne que les Américains craignaient le plus. Les développements
militaires des pays forts, lâUnion soviĂ©tique, le Royaume-Uni, et la France, ne pouvaient
ĂȘtre empĂȘchĂ©s par les Ătats-Unis. Ils avaient acceptĂ© dâapprouver ces entrĂ©es, et futures
entrĂ©es, dans le club nuclĂ©aire. Ce quâils pouvaient, et voulaient contrĂŽler Ă tout prix, câĂ©tait
le transfert de savoir-faire militaire par ces pays Ă dâautres pays tiers, les pays moins
développés. Ils craignaient un phénomÚne de dominos. Cette inquiétude est manifeste
dans la continuité du communiqué supra au Secrétaire du Défense américain en 1957 :
« [âŠ] lâĂgypte les obtiendra de lâUnion soviĂ©tique comme contre balancier [âŠ] »
1
1
Ibid., p. 6-9.
2
Entretien avec lâAmiral Marcel Duval Ă Paris, novembre 2003.
3
Lettre de lâassistant spĂ©cial de prĂ©sident Eisenhower (Stassen) au SecrĂ©taire de la DĂ©fense
américain, Charles, E. Wilson, mai 1957 ; déclassifiée secret (
FRUS 1955-1957
, vol. 20, p. 527), cité
dans la thĂšse de Kostrzewa-Zorbas, Grzegorz
, American Response to the Proliferation of Actual, Virtual,
52
En 1957, Israël signe des contrats formels avec les sous-traitants nucléaires français. DÚs
le début de 1958, les techniciens français commencent à fabriquer à Néguev un complexe
nuclĂ©aire secret, y compris un rĂ©acteur dâuranium naturel. Comme nous lâavons dĂ©jĂ
mentionnĂ©, ce modĂšle de rĂ©acteur nâa pas besoin dâuranium enrichi, donc pas besoin de
capacitĂ© dâenrichissement. Et il peut produire du plutonium contenu dans ses « dĂ©chets »
2
.
Le contrat avec la France incluait aussi la construction dâune station souterraine de
sĂ©paration de plutonium. Lâensemble des deux installations est suffisant pour une capacitĂ©
complÚte et autonome de fabrication des armes nucléaires
3
. Il nây a pas eu, ni Ă ce moment-
lĂ , ni pendant les annĂ©es Ă venir, dâobjection quelconque de la part des Ătats-Unis au sujet
de ce projet. La Présidence de Kennedy a été favorable au titre des relations israélo-
amĂ©ricaines, qui se sont renforcĂ©es sous la forme dâune alliance forte. En 1962, Kennedy
sâest engagĂ© sur une garantie unilatĂ©rale de la sĂ©curitĂ© dâIsraĂ«l par les Ătats-Unis, et ceci de
maniĂšre secrĂšte et non Ă©crite
4
. Cet engagement sera suivi de la vente des missiles sol-air
Hawk
Ă IsraĂ«l, ce qui changera lâĂ©quilibre du pouvoir au Moyen-Orient. Câest seulement en
1963 et avec la crainte de lâentrĂ©e de la Chine dans le « club nuclĂ©aire », que Kennedy
augmentera la pression sur le gouvernement israĂ©lien pour quâil rĂ©vĂšle la nature de son
programme nuclĂ©aire, afin de le mettre sous contrĂŽle international. AprĂšs lâassassinat du
prĂ©sident Kennedy en novembre 1963, son successeur le prĂ©sident Johnson offrira mĂȘme
de construire et de financer une usine nucléaire de désalinisation sur le sol israélien
5
Ă
condition que les activitĂ©s de Dimona soient soumises Ă la sauvegarde de lâAIEA, ce qui nâa
and Potential Nuclear Weapons : Lessons for the Multipolar Future
, Johns Hopkins University, MD, 1998,
p. 221.
1
Ibid.
2
Voir la section « Potentiel militaire dâune industrie nuclĂ©aire civile » pour plus de dĂ©tails sur les
différents types de réacteurs et leur utilité pour la production des déchets utilisables pour
lâusage militaire.
3
Spector, Leonard S.,
Nuclear Ambitions: The Spread of Nuclear Weapons 1989-1990
, Westview Press,
Boulder, 1990, p. 151.
4
Voir la thĂšse de Kostrzewa-Zorbas, Grzegorz
, American Response to the Proliferation of Actual, Virtual,
and Potential Nuclear Weapons : Lessons for the Multipolar Future
, Johns Hopkins University, MD, 1998,
qui est riche en documents amĂ©ricains de lâĂ©poque qui ont Ă©tĂ© rĂ©cemment dĂ©classifiĂ©s, surtout
p. 224 Ă 228.
5
Lâexcuse dâIsraĂ«l avait Ă©tĂ© de prĂ©tendre que cette installation devrait ĂȘtre utilisĂ©e pour la
dĂ©salinisation de lâeau de mer.
53
pas été accepté par Israël
1
. Malgré ceci, il garantira, et cette fois publiquement, la sécurité
militaire dâIsraĂ«l par les Ătats-Unis.
Grzegorz Kostrzewa-Zorbas, dans le travail précédemment cité, fait part de son
Ă©tonnement face au fait que mĂȘme si le programme dâIsraĂ«l avait Ă©tĂ© placĂ© sous la garantie
des Ătats-Unis et ensuite de lâAIEA, aucune « inspection » nâavait eu lieu sauf « une visite
dâune journĂ©e organisĂ©e mi-mai 1960 par deux experts en conception de rĂ©acteur
amĂ©ricains, qui ont [âŠ] conclu que rien nâaurait Ă©tĂ© cachĂ© par les IsraĂ©liens et quâil nây avait
aucune manifestation Ă©vidente dâune intention de production des armes nuclĂ©aires par les
Israéliens »
2
. Kostrzewa-Zorbas demande :
« [âŠ] Pourquoi dans les visites suivantes, un an aprĂšs et ensuite tous les six mois, les
procĂ©dures de vĂ©rifications standard amĂ©ricains ou de lâAIEA nâont pas Ă©tĂ© utilisĂ©es en
Israël ?
[âŠ] Pourquoi aucune inspection amĂ©ricaine nâavait eu lieu, mĂȘme si les
renseignements et photographies obtenus par les avions espion américains U-2 avaient
confirmĂ©, dĂ©jĂ dans les annĂ©es 1950, la construction de lâusine de sĂ©paration de
plutonium à Dimona dans le Néguev ? »
3
Lâusine de retraitement de Dimona passera ses premiers essais avec succĂšs en 1965. Elle
produira du plutonium de qualité militaire utilisable pour construire des bombes
nucléaires dÚs 1966-1967
4
. Leonard Spector soutient quâau moment de la nĂ©gociation finale
des termes du TNP, en 1966, Israël aurait été la sixiÚme puissance nucléaire ou un cas
borderline
(limite) avec lâInde (qui ne disposait pas de lâarme Ă lâĂ©poque)
1
.
IsraĂ«l a reçu des visites de scientifiques amĂ©ricains pour contrĂŽler lâutilisation de son
rĂ©acteur de recherche, mais sâarrangeait pour que ces visites restent sommaires et surtout
pour garder secrĂšte lâexistence des installations clandestines. Avec lâarrivĂ©e de Nixon et
1
Et retirĂ©e ensuite par lâadministration Nixon, qui considĂ©rait la nuclĂ©arisation dâIsraĂ«l dans
lâintĂ©rĂȘt des Ătats-Unis, et qui arrĂȘte la pression sur les Ă©tats non-membres pour rejoindre le
TNP.
2
Ibid., p. 228, reproduisant le mĂ©morandum du SecrĂ©taire ExĂ©cutif du DĂ©partement dâĂtat
amĂ©ricain, Ă lâassistant spĂ©cial du prĂ©sident des Ătats-Unis pour les Affaires de sĂ©curitĂ© nationale
sur la visite des scientifiques américains du réacteur de Dimona en 26 mai 1961. Déclassifié
secret.
3
Ibid., p. 228.
4
Spector, Leonard, S.,
Nuclear Ambitions: The Spread of Nuclear Weapons 1989-1990
, Westview Press,
Boulder, 1990, p. 153.
54
Kissinger au pouvoir en 1969, mĂȘme ces visites de formalitĂ©s sâarrĂȘtĂšrent
2
. IsraĂ«l nâĂ©tait
bien sûr pas le seul pays à bénéficier de ce « relùchement » dans la posture bilatérale
amĂ©ricaine. LâAllemagne de Ouest, le Japon, lâAfrique du Sud, lâInde, et dâautres pays ont
bĂ©nĂ©ficiĂ© de cette attitude nouvelle des Ătats-Unis Ă ce sujet sous la prĂ©sidence de Nixon.
Grzegorz Kostrzewa-Zorbas, fait la remarque suivante qui mérite réflexion, surtout
quand il sera question plus loin de la situation actuelle de lâIran :
« Depuis 1968 les Ătats-Unis ont supportĂ© le poids de protĂ©ger IsraĂ«l des pressions du
régime de non-prolifération basé sur le TNP, et de protéger le régime de non
prolifĂ©ration lui-mĂȘme de lâimpact du cas israĂ©lien, qui a failli le dĂ©sintĂ©grer. Vingt-cinq
ans aprĂšs la signature du traitĂ©, lâexemption dâIsraĂ«l est devenue la source principale de
controverse internationale avant et pendant la confĂ©rence pour lâextension du traitĂ© Ă
New York [âŠ] Lors de cette confĂ©rence, les deux tiers des nations de la Ligue Arabe, y
compris lâĂgypte et dâautre pays vitaux pour les intĂ©rĂȘts amĂ©ricains au Moyen-Orient,
ont introduit une ârĂ©solution appelant IsraĂ«l Ă [âŠ] accĂ©der sans tarder au TNP, comme
un pays non nuclĂ©aire [âŠ]â Le prix payĂ© par ce refus a Ă©tĂ© [âŠ] la prolongation du traitĂ©
indĂ©finiment et de maniĂšre inconditionnelle sans amĂ©lioration, sans pression sur lâInde,
le Pakistan, le BrĂ©sil, et lâArgentine Ă joindre le TNP. »
1
Le Traité de non-prolifération : une collusion
des concurrents contre les nouveaux entrants
Comme cela a Ă©tĂ© indiquĂ© plus haut, la perception dâune menace amĂ©ricaine, et ensuite
soviĂ©tique, par la Chine, lâavait conduite Ă dĂ©velopper des armes nuclĂ©aires au dĂ©but des
annĂ©es 60. Lâessai nuclĂ©aire de la Chine en 1964 avait Ă©tĂ© la preuve quâun pays pauvre
pouvait atteindre le rang des pays nuclĂ©aires, et quâune industrie nuclĂ©aire civile nâĂ©tait pas
le point de passage obligĂ© pour acquĂ©rir lâarme nuclĂ©aire. Le coĂ»t de cette Ă©volution pour
les Ătats-Unis a Ă©tĂ© Ă©levĂ© : se rĂ©signer au droit de veto de tous les membres nuclĂ©aires du
Conseil de sĂ©curitĂ© Ă lâONU.
1
Ibid., p. 83-88.
2
Lâacceptation du programme nuclĂ©aire militaire dâIsraĂ«l par les Ătats-Unis continue Ă ce jour.
55
Lâexplosion chinoise a fourni une occasion pour les Ătats-Unis dâavancer dâun pas vers le
contrĂŽle total du secteur nuclĂ©aire. Le TNP dâinitiative amĂ©ricaine a pu ĂȘtre ainsi adoptĂ© le
12 juin 1968 par lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies, bĂ©nĂ©ficiant de l'appui de lâURSS
et du Royaume-Uni
2
. Par ce traitĂ©, les Ătats non nuclĂ©aires se sont engagĂ©s Ă renoncer Ă
tout programme non contrĂŽlĂ©. Une condition centrale de ce traitĂ© a Ă©tĂ© lâapplication de
garanties de lâAIEA Ă toutes les activitĂ©s civiles des pays-membres
3
. Jusqu'alors, seules les
installations dépendant du programme « Atomes pour la Paix » étaient soumises au
contrĂŽle de lâAIEA. DĂ©sormais, toutes les activitĂ©s civiles des signataires du TNP devraient
ĂȘtre soumises Ă ce contrĂŽle, mĂȘme si la capacitĂ© nuclĂ©aire chinoise nâĂ©tait pas construite sur
la base dâune industrie civile.
LâIran signera le traitĂ© immĂ©diatement. Ce qui nâest pas le cas dâIsraĂ«l qui Ă lâĂ©poque
avait dĂ©veloppĂ© sa capacitĂ© nuclĂ©aire militaire, preuve de fait que le Shah nâenvisageait
mĂȘme pas lâoption nuclĂ©aire dans sa stratĂ©gie militaire. Pour lui, lâĂ©quilibre nuclĂ©aire Ă©tait
un problÚme entre les superpuissances, et désormais la Chine. En termes de stratégie
rĂ©gionale, il croyait quâune force conventionnelle lui permettrait dâatteindre son but de
devenir la puissance hĂ©gĂ©monique de la rĂ©gion, Ă condition que les quantitĂ©s dâarmement
nécessaires et les derniÚres technologies lui soient fournies. Comme il faisait tout pour que
ce soit le cas, notamment en ce qui concerne les sources dâapprovisionnement amĂ©ricaines,
mais quâil avait aussi diversifiĂ© celles-ci en faisant appel Ă des EuropĂ©ens, et depuis peu Ă
des SoviĂ©tiques, il ne croyait pas quâil y aurait de problĂšmes.
Les acteurs nuclĂ©aires, comme le Royaume-Uni et lâUnion soviĂ©tique, nâavaient pas
intĂ©rĂȘt Ă ce que dâautres pays accĂšdent aux armes nuclĂ©aires. Chaque accession, comme
dans le cas de la Chine pour lâUnion soviĂ©tique, augmentait les enjeux dans le cas dâun
conflit militaire, et rendait les acteurs de leur camp moins dépendants de leur protection
nucléaire dans la logique de la guerre froide.
1
Kostrzewa-Zorbas, Grzegorz,
American Response to the Proliferation of Actual, Virtual, and Potential
Nuclear Weapons: Lessons for the Multipolar Future
, Johns Hopkins University, MD, 1998, p. 236-237.
2
Rapport sur le projet de loi autorisant lâadhĂ©sion au TraitĂ© sur la non-prolifĂ©ration des armes
nucléaires, deuxiÚme session ordinaire de 1991-1992, p. 20.
3
LâIran a signĂ© le TNP au premier juillet 1968, le premier jour de son ouverture, le ratifiant le 2
février 1970.
56
Au moment des derniÚres négociations autour du contenu du TNP, Israël était soit
de
facto
la sixiĂšme puissance nuclĂ©aire ou bien avec lâInde lâun des deux cas
borderline
(limite),
et mĂȘme sâils nâavaient pas encore lâarme, pour le devenir
1
. Malgré ceci, malgré
lâinquiĂ©tude que la position israĂ©lienne suscitait auprĂšs de ses voisins arabes, et malgrĂ© leurs
pressions, au travers de la Ligue Arabe, IsraĂ«l nâa pas signĂ© le TNP.
1
Spector, Leonard, S.,
Nuclear Ambitions: The Spread of Nuclear Weapons 1989-1990
, Westview Press,
Boulder, 1990, p. 64-87.
57
3.
La trilogie de lâintĂ©rĂȘt des
Ătats-Unis pour lâIran (1954-1974) : pĂ©trole,
communisme, armement
AprÚs avoir présenté les bases du programme « Atomes pour la Paix », et la rivalité
nucléaire entre les deux blocs et entre les alliés du camp américain, il est à présent
indispensable de répondre à la question fondamentale : quelles ont été les fondations de la
relation Iran/Ătats-Unis depuis le rĂ©tablissement du rĂ©gime Pahlavi par la CIA en 1953 ?
RĂ©pondre Ă cette question nous Ă©claire sur les vicissitudes de la construction de
lâindustrie nuclĂ©aire iranienne.
Au dĂ©part, la nationalisation de lâindustrie pĂ©troliĂšre iranienne par le Premier ministre
Mossadegh en mars 1951 nous offre la dĂ©monstration par excellence dâun pays de la
« périphérie » qui cherche à obtenir le contrÎle de ses ressources nationales. En partie, le
calcul de Mossadegh a sans doute Ă©tĂ© basĂ© sur lâaffaissement du pouvoir britannique au
Moyen-Orient aprÚs la Seconde Guerre mondiale. La nationalisation effectuée annulait les
termes du contrat de lâ
Anglo-Iranian Oil Company
(AIOC) de 1933. Si Mossadegh avait été
conscient du degrĂ© de la dĂ©pendance de la pĂ©riphĂ©rie vers le centre, il aurait peut-ĂȘtre
acceptĂ© un compromis avec les Britanniques et mĂȘme les AmĂ©ricains. Car, dâaprĂšs
Ramazani
1
, le gouvernement britannique aurait donné le signal de sa volonté de conclure
un autre contrat sur une base de « partage égal des profits » aprÚs la nationalisation
2
. Les
1
Ramazani, Rouhollah,
Iranâs Foreign Policy 1941-1974: A Study of Foreign Policy in Modernizing Nations,
University Press of Virginia, Charlottesville, 1975.
2
Ibid., p. 200.
58
Britanniques et Américains ont essayé de trouver une issue diplomatique à cette affaire de
nationalisation. Mais ni les actions du gouvernement anglais auprĂšs de la Cour
Internationale de Justice et du Conseil de sécurité, ni les missions de Harriman, émissaire
du président Truman en juillet 1951, et ni celle de la Banque Mondiale en décembre de la
mĂȘme annĂ©e nâont produit de rĂ©sultat
1
.
Cette affaire Ă©tait prĂ©occupante pour les Ătats-Unis, notamment car cette nouvelle
donne pouvait bien sĂ»r affecter la circulation de pĂ©trole vers lâOccident. Mais surtout parce
que lâaction iranienne pouvait servir dâexemple Ă dâautres nations pĂ©riphĂ©riques,
productrices de pétrole en golfe Persique. Le départ des forces britanniques du sud de
lâIran ne devait donc en aucun ĂȘtre interprĂ©tĂ© comme un signal dâune diminution
dâinfluence occidentale. Lâautre source dâinquiĂ©tude importante pour les Ătats-Unis rĂ©sidait
dans le risque dâune prise Ă©ventuelle de pouvoir par le parti
Toudeh
Ă la suite dâun coup
dâĂ©tat communiste
2
. George McGhee, le sous-secrĂ©taire dâĂtat amĂ©ricain pour les affaires
du Proche-Orient, dâAsie du Sud et dâAfrique, Ă©crit en juillet 1951 :
« Les enjeux en Iran vont bien au-delà de la question du pétrole
3
[âŠ] on peut ĂȘtre sĂ»r
que le Kremlin prendra lâopportunitĂ© de pĂ©cher dans le âpĂ©trole troubleâ de lâIran car ce
dernier serait, mis Ă part son pĂ©trole, un superbe enjeu stratĂ©gique. Le contrĂŽle de lâIran,
une superficie aussi large que les Ătats-Unis Ă lâEst du Mississippi, mettra lâUnion
soviĂ©tique sur la route de communication entre les nations libres de lâAsie et lâEurope. »
4
AprĂšs avoir pris le contrĂŽle du
Foreign Office
britannique, le conservateur Anthony
Eden, avait estimĂ© que « les Britanniques avaient perdu Abadan, [âŠ] et [que] leur autoritĂ©
en Moyen-Orient avait été violemment secouée »
5
. Il prenait sur lui dâaligner les positions
américaines et britanniques sur cette question et estimait que si Mossadegh tombait, sa
position pourrait ĂȘtre adoptĂ©e par un gouvernement plus « raisonnable ». Ce sera pendant
lâadministration dâEisenhower que cette position trouvera un Ă©cho aux Ătats-Unis :
1
Ibid., chapitre 10.
2
Ibid., p. 242.
3
US State Department,
Bulletin 25,
no. 630, 23 juillet 1951, cité dans Ibid., p. 243.
4
Ibid.
5
Eden, Anthony,
Full Circle,
Hougton Mifflin Co., Boston, 1960, p. 217, cité dans Ramazani, p. 244.
59
« On aura intĂ©rĂȘt Ă chercher une alternative Ă Mossadegh plutĂŽt quâessayer de
lâacheter. »
1
Lâor noir
En 1953, le retour du Shah au pouvoir
2
marque une Ă©tape importante dans lâhistoire de
lâindustrie pĂ©troliĂšre : la participation des Ătats-Unis Ă la production et aux bĂ©nĂ©fices du
pétrole iranien. Quelques jours aprÚs le retour du Shah, son nouveau Premier ministre, le
GĂ©nĂ©ral ZahĂ©di, Ă©crit au prĂ©sident Eisenhower le 26 aoĂ»t 1953, indiquant lâintention de son
gouvernement dâamĂ©liorer la position internationale de lâIran
3
. Il indique alors que « les
caisses de lâĂtat Ă©taient vides, les ressources de devises Ă©trangĂšres Ă©puisĂ©es, et lâĂ©conomie
nationale en état de détérioration »
4
.
Il faut bien dire que le pétrole iranien avait eu du mal à trouver des acheteurs
internationaux pendant la courte pĂ©riode de nationalisation. Les « Ătats du centre »
sâĂ©taient assurĂ©s que cette source unique de revenu descende quasiment Ă zĂ©ro, prĂ©parant
ainsi « lâopinion publique » iranienne pour un changement de rĂ©gime.
Le 3 septembre 1953, les Ătats-Unis acceptent de reprendre lâassistance technique avec
lâIran Ă hauteur de 23 millions de dollars ; deux jours plus tard le prĂ©sident amĂ©ricain
attribue 45 millions de dollars Ă lâIran, car les Ătats-Unis « Ă©taient satisfaits que le nouveau
gouvernement ne fut pas contre une âattitude comprĂ©hensiveâ avec les Britanniques sur la
question de la nationalisation de lâindustrie pĂ©troliĂšre⊠»
5
.
1
Ibid., p. 236.
2
Avec lâassistance, dâaprĂšs certains, des gouvernements britannique et amĂ©ricain, et dâaprĂšs
certains autres, de la CIA et du gouvernement américain.
3
Ibid., p. 260.
4
US State Dept,
Bulletin 29,
no. 742.
5
New York Times,
6 septembre 1953.
Exportations iraniennes (1948-1966)
Source : International Financial Statistics, FMI 2003
0
200
400
600
800
1000
1200
1946
1948
1950
1952
1954
1956
1958
Millions de Dollars
Exportations iraniennes (1948-1956)
Source : International Financial Statistics, FMI 2003
Exportations pétroliÚres iraniennes (1948-1956)
Source : International Financial Statistics, FMI 2003
0
10
20
30
40
50
60
1948 1949 1950 1951 1952 1953 1954 1955 1956
Index
Exportations pétroliÚres iraniennes (1948-1956)
Source : International Financial Statistics, FMI 2003
60
Les négociations sur le partage des bénéfices de la nouvelle coopération pétroliÚre entre
lâIran, les Ătats-Unis et le Royaume-Uni eurent lieu en dĂ©cembre 1953. Le britannique
AIOC nâaura plus que 40 % de bĂ©nĂ©fices au profit du nouvel acteur, les Ătats-Unis, qui
récupérera 40 % de ceux-ci, divisés entre
Gulf Oil, Socony-Vaccum Oil
(
Mobil
),
Standard Oil
of New Jersey
, et
Texaco
. La
Royal Dutch
et la Compagnie Française des Pétroles auront droit
à 14 et 6 % respectivement. Un accord de principe sera rédigé le 5 août 1954 et présenté au
Parlement iranien le 10 aoĂ»t de la mĂȘme annĂ©e, avec le conseil du Shah de « ne pas perdre
une minute » pour ratifier cet accord « honorable et Ă©quitable [âŠ] dans les conditions
mondiales actuelles »
1
. Lâaccord sera ratifiĂ© par le MajlĂ©s en octobre. Beaucoup dâiraniens
ont vu dans cet accord un « paiement pour la défaite de Mossadegh »
2
.
Le Shah considĂ©rait celui-ci comme un accomplissement positif pour lâIran, car non
seulement il augmentait la part de son pays dans les bénéfices, mais « le résultat le plus
important Ă©tait la fin, une fois pour toutes, de la prise monopolistique du Royaume-Uni sur
lâindustrie pĂ©troliĂšre iranienne. Plus jamais une entreprise gĂ©ante privĂ©e, ou le
gouvernement qui la soutient, ne pourrait dominer un secteur large de notre économie »
3
.
Cet accord basé sur un partage 50-50 des bénéfices avait une durée prévue de 25 ans. Il
devait arriver à son terme précisément en 1979.
Dans les annĂ©es qui vont suivre, la politique du Shah sera similaire Ă celle dâautres pays
producteurs, face Ă lâobsolescence croissante du pouvoir de nĂ©gociation des
multinationales : c'est-Ă -dire, essayer dâaugmenter la production et sa part des bĂ©nĂ©fices
quand et comme il le pouvait. Avec le renforcement du positionnement stratégique du
pays vis-à -vis des compagnies pétroliÚres, bien documenté et analysé par Daniel Yergin
4
, le
Shah a mĂȘme pu signer dâautres accords, sur les zones non couvertes par lâaccord de 1954,
avec dâautres compagnies pĂ©troliĂšres suivant un partage de 75-25 %
5
. Il a ainsi pu
augmenter les rentes du pays. Le but du Shah était de diminuer la dissymétrie de la
dĂ©pendance qui caractĂ©risait la relation entre lâIran et les Ătats-Unis. Son but ultime Ă©tait au
1
New York Times
, 11 août 1954.
2
Bill, James, A.,
The Eagle and the Lion: The Tragedy of American-Iranian Relations,
Yale University Press,
New Haven, 1988, p. 115.
3
Pahlavi, Mohammad Reza,
Mission for My Country
, Londres, Hutchinson, 1961, p. 112.
4
Yergin, Daniel,
The Prize: The Epic Quest for Oil, Money and Power,
Simon & Schuster, NY, 1992.
5
Tel que lâaccord avec la
Standard Oil of Indiana
en 1958 (voir Yergin, p. 507-508).
61
final de marquer lâindĂ©pendance du pays vis-Ă -vis des compagnies Ă©trangĂšres et dâinstaurer
un contrÎle national sur les ressources pétroliÚres, comme Mossadegh, mais
progressivement. Comme nous le verrons, la réponse à sa stratégie sera aussi comme celle
de Mossadegh, mais progressive.
De « contenir le communisme »
à « assumer le rÎle de superpuissance régionale »
Comme lâavait bien formulĂ© le sous-secrĂ©taire dâĂtat amĂ©ricain George McGee en 1951,
lâenjeu de lâIran pour les Ătats-Unis dĂ©passe le pĂ©trole : barrer « la route de communication
entre lâUnion soviĂ©tique et les nations libres de lâAsie et lâEurope »
1
Ă©tait lâautre, et peut ĂȘtre
le plus essentiel facteur dâintĂ©rĂȘt de lâIran pour les Ătats-Unis. Le maintien de cette position
nâĂ©tait pas basĂ© sur une capacitĂ© indĂ©pendante iranienne de se « dĂ©fendre » vis-Ă -vis de
lâUnion soviĂ©tique. LâIran Ă©tait bien trop faible vis-Ă -vis de cette superpuissance au nord. Et
puis, de telles considérations entraient, dans la logique de la guerre froide, dans les
Ă©quations entre lâUnion soviĂ©tique et les Ătats-Unis. Ce qui Ă©tait important en revanche
Ă©tait de sâassurer quâil nây ait pas de mouvements, ou rĂ©gimes potentiels, sympathisants vis-
Ă -vis de lâUnion soviĂ©tique. En clair, il fallait Ă©viter par nâimporte quel moyen toute
tendance socialo-communiste.
Depuis la Doctrine Truman de 1947, la politique américaine avait cherché à développer
un « cordon nord » assez solide pour contenir le communisme soviétique et contrÎler le
golfe Persique. LâIran occupait, de par sa gĂ©ographie, une position privilĂ©giĂ©e dans cette
stratĂ©gie. Un autre Ă©lĂ©ment de cette derniĂšre avait Ă©tĂ© lâĂ©tablissement de liens Ă©conomiques
et sĂ©curitaires avec les pays de la rĂ©gion, mĂȘme les rĂ©gimes arabes conservateurs, « les
rendant dĂ©pendants des Ătats-Unis au point de faire abstraction de leur rĂ©pugnance pour
lâappui amĂ©ricain Ă IsraĂ«l »
2
.
En octobre 1955, deux ans avant lâexposition « Atomes pour la Paix », lâIran dĂ©clare son
intention de prendre partie dans le Pacte de coopĂ©ration mutuelle entre lâIrak, le Pakistan
1
George McGhee, le sous-secrĂ©taire dâĂtat amĂ©ricain pour les affaires du Proche-Orient, d'Asie de
Sud et d'Afrique, 1951.
2
Mens, Yann,
Les Ătats-Unis et le Moyen-Orient
, Documentation Française, Paris, 1992.
62
et la Turquie, dit pacte de Bagdad du 24 février 1955, qui deviendra le CENTO aprÚs la
rĂ©volution Irakienne de juillet 1958. LâadhĂ©sion Ă ce pacte nâĂ©tait pas le fait de lâinitiative
iranienne. Au contraire, les nationalistes iraniens, la classe moyenne occidentalisée
moderne, et la classe populaire religieuse Ă©taient tous contre cette alliance, quâils voyaient
comme lâexemple le plus rĂ©cent dâun contrĂŽle amĂ©ricain
1
. Le Shah lui-mĂȘme ne voyait pas
lâintĂ©rĂȘt de ce pacte, Ă©tant donnĂ© que les Ătats-Unis nâen Ă©taient eux-mĂȘmes pas membres
et quâils nâavaient pas fait grand-chose pour empĂȘcher la rĂ©volution en Irak. Mais avec
lâadhĂ©sion de la Turquie Ă lâOTAN, lâIran devient
de facto
lié au systÚme de défense
occidental.
La rĂ©volution irakienne eut une influence importante sur la politique Ă©trangĂšre de lâIran.
La destruction de la monarchie, et lâĂ©mergence dâun rĂ©gime militaire, furent considĂ©rĂ©es
comme des menaces pour la sĂ©curitĂ© nationale de lâIran. Le Shah avait observĂ© les
développements politiques révolutionnaires des pays arabes du Moyen-Orient avec
quelque inquiĂ©tude, car ils augmentaient lâinfluence soviĂ©tique dans la rĂ©gion. Mais
contrairement Ă lâĂgypte et de la Syrie, lâIrak Ă©tait un voisin : lâexemple de sa rĂ©volution
antimonarchique Ă©tait trop proche pour ĂȘtre ignorĂ© des Ă©lĂ©ments anti-royalistes Ă lâintĂ©rieur
et en dehors de lâIran. Au dĂ©part, il semblait que lâIran pourrait ĂȘtre tenaillĂ© entre la
menace soviétique du nord et la menace antimonarchique du sud. Mais avec la révolution
dâAbdel Karim Qasim flirtant avec les soviĂ©tiques, il semblait Ă TĂ©hĂ©ran que le pays
pourrait ĂȘtre cernĂ© par les SoviĂ©tiques des deux cotĂ©s
2
.
Ceci amĂšne alors lâIran Ă rĂ©viser ses relations avec un certain nombre de pays, ce qui est
Ă©vident de par les nĂ©gociations quâil entreprend alors avec lâUnion soviĂ©tique pour un pacte
de non-agression. Il admet que désormais il y avait, ainsi que pour la Turquie et le Pakistan,
des intĂ©rĂȘts communs avec IsraĂ«l
1
. Cela fut suivi de la reconnaissance par lâIran de lâĂtat
dâIsraĂ«l, ce qui aura pour consĂ©quence la rupture des relations diplomatiques entre lâIran et
lâĂgypte en 1960. Aussi, lâIran ressentait-il le besoin, et peut ĂȘtre une occasion, de sâoccuper
de la totalité du golfe Persique. Le pays annonce son enthousiasme pour la Doctrine
Eisenhower en 1957, qui avait Ă©tĂ© conçue pour protĂ©ger lâintĂ©gritĂ© territoriale et
1
Bill, James, A.,
The Eagle and the Lion: The Tragedy of American-Iranian Relations,
Yale University Press,
New Haven, 1988, p. 117.
2
Ibid., p. 281.
63
lâindĂ©pendance des nations qui demandaient de lâaide quand elles Ă©taient menacĂ©es, soit
par une invasion de lâarmĂ©e soviĂ©tique, soit par une subversion de lâintĂ©rieur
2
. Le 5 mars
1959 lâIran signe un accord exĂ©cutif avec les Ătats-Unis. Selon les termes de cet accord, les
Ătats-Unis acceptent de considĂ©rer lâindĂ©pendance de lâIran comme « vitale pour leur
intĂ©rĂȘt national », et sâengagent Ă lui fournir lâassistance Ă©conomique et militaire et Ă venir Ă
son aide en cas dâagression
3
. La Turquie et le Pakistan signent des accords similaires avec
les Ătats-Unis
4
.
Ă lâoccasion de sa visite de dĂ©cembre 1959 en Iran, Eisenhower insiste fortement sur le
« besoin pour la paix, la justice et la libertĂ©, dâun dĂ©veloppement Ă©conomique et social
authentique [âŠ] La force militaire seule ne crĂ©era pas la paix et la justice »
5
. Les intĂ©rĂȘts
des Ătats-Unis Ă©taient animĂ©s par le fait que lâinjustice ou le manque de dĂ©veloppement
dans une sociĂ©tĂ© pourraient gĂ©nĂ©rer une rĂ©volution populaire, susceptible dâĂȘtre rĂ©cupĂ©rĂ©e
par lâUnion soviĂ©tique. Cette inquiĂ©tude se manifestera aussi dans les initiatives de
lâadministration Kennedy. J. Bill Ă©crit :
« MĂȘme sâil y avait un Ă©lĂ©ment dâaltruisme dans le programme de Kennedy, la raison
principale de son soutien aux réformes politiques, et au développement économique
dans le tiers-monde, Ă©tait dâaugmenter lâinfluence amĂ©ricaine et de neutraliser lâattrait
du communisme soviĂ©tique. Lâadministration Kennedy cherchait particuliĂšrement Ă
rĂ©duire lâaide militaire et Ă la remplacer par des fonds de dĂ©veloppement Ă©conomique
[âŠ] une politique Ă©trangĂšre conçue pour encourager la rĂ©forme par le haut pour Ă©viter
la révolution par le bas. »
6
LâinquiĂ©tude des Ătats-Unis Ă©tait telle, quâun analyste du DĂ©partement dâĂtat amĂ©ricain,
W. Bowling, considĂ©ra mĂȘme, en 1961, parmi les options potentielles pour traiter les
problĂšmes sociaux iraniens, un « coup dâĂ©tat nationaliste plus populiste et Mossadeghiste. »
Mais il lâa Ă©cartĂ©, car trop coĂ»teux et susceptible de dĂ©stabiliser le CENTO, et dâamener le
retrait des militaires amĂ©ricains de lâIran, la perte du vote iranien en faveur des Ătats-Unis
1
New York Times
, 28 Juillet 1958, citée dans Ramazani, p. 281.
2
The Eagle and the Lion, p. 118.
3
Nations unies, Secrétariat,
Treaty Series 327,
no. 4725,
1959. Cité dans Ramazani, p. 283.
4
Ibid., p. 284.
5
The Eagle and the Lion
, p. 120.
6
Ibid., p. 131.
64
aux Nations unies, un affaiblissement du prestige américain dans le monde, ainsi que la
probabilité pour le consortium pétrolier de céder une part de son profit plus importante
1
.
Le mĂȘme analyste avait aussi suggĂ©rĂ© des actions pour peaufiner lâimage du Shah Ă
lâintĂ©rieur de son propre pays. Dans une liste de quatorze actions on peut trouver :
« 1. Canaliser le mĂ©contentement vers ses ministres plutĂŽt que lui-mĂȘme, [âŠ]
4. RĂ©duire sa force militaire graduellement Ă une petite force dâinfanterie et artillerie
capable de maintenir la sĂ©curitĂ© interne et activitĂ©s guĂ©rilla. [âŠ]
6. Censurer avec sévérité la classe dirigeante traditionnelle pour son manque de
responsabilitĂ© sociale. [âŠ]
7. Changer la posture pro-occidentale ouverte avec le moins de dommages possibles
pour le monde libre et son propre prestige. [âŠ]
9. Procéder, de maniÚre visible et bruyante, à un programme de la reforme agraire
symbolique contre les grands propriétaires terriens.
10. Faire des gestes menaçants contre le consortium pĂ©trolier et lui âextraireâ des
concessions de façon que ceci apparaisse comme si le consortium sâĂ©tait, Ă contrecĆur,
pliĂ© Ă son pouvoir et Ă sa dĂ©termination [âŠ] »
2
Ces quatorze points deviennent partie intégrante du programme de réforme du Shah
dans les deux ans Ă venir, mĂȘme sâil nâĂ©tait pas content dâaccepter ces
recommandations : en 1969, le Shah dĂ©clarera lors dâune entrevue amĂ©ricaine :
« La pire de vos pĂ©riodes Ă©tait celle entre 1961 et 1962. Mais mĂȘme avant cette
période il y avait vos magnifiques libéraux américains voulant imposer leur version de la
âdĂ©mocratieâ aux autres, pensant que leur maniĂšre Ă©tait merveilleuse. »
1
En termes dâapaisement des mĂ©contentements intĂ©rieurs, il nây aura pas de progrĂšs
rapide. Ă titre dâexemple, en janvier 1962, lâarmĂ©e intervient Ă lâuniversitĂ© de TĂ©hĂ©ran pour
briser une grĂšve Ă©tudiante. Le Chancelier de lâuniversitĂ© a Ă©crit Ă ce sujet :
« Je nâai jamais vu ou entendu de tels actes de cruautĂ©, sadisme, atrocitĂ© et
vandalisme de la part des forces gouvernementales. Certaines filles dans les salles de
1
Ibid., p. 133.
2
Bowling, J. W., US Department of State, NEA/Greece, Turkey, Iran, «
The Current Situation in Iran
»,
p. 8-9. Citée dans Bill, p. 133-134. (Seuls les articles directement intéressants pour cette étude
sont cités ici.)
65
cours avaient été criminellement attaquées par les soldats. Quand nous avons inspecté
les bĂątiments de lâuniversitĂ©, nous Ă©tions face Ă une situation comme si une armĂ©e de
barbares avait envahi le territoire ennemi. »
2
En ce qui concerne lâobjectif de contenir lâUnion soviĂ©tique, le Shah, en 1962, estime
opportun de normaliser ses relations avec celle-ci, comme une composante de sa
« politique nationale indépendante » (
syasateh mostaghelleh melli
). Un élément important
de cette normalisation fut lâengagement par lâIran de ne pas dĂ©ployer des missiles Ă©trangers
sur son sol
3
. Par ailleurs, en janvier 1963 le Shah annonce le programme intitulé la
« RĂ©volution Blanche » dont lâobjectif est de contenir lâexpansion du communisme par le
développement économique et redistribution des richesses. Malgré un grand effort de
communication sur celui-ci, la rĂ©forme, sans lâengagement de la majoritĂ© des techniciens et
professionnels, resta plutĂŽt un projet sur le papier. J. Bill note quâen 1970, les deux tiers des
Iraniens nâavaient toujours pas accĂšs aux installations mĂ©dicales, et que le dĂ©veloppement
Ă©tait ralenti Ă cause du manque dâingĂ©nieurs et de main-d'Ćuvre qualifiĂ©e ; la distribution
inégale de revenus laissait des millions de villageois plus pauvres que jamais, et le chÎmage
grimpait. Comme indice dâefficacitĂ© de ce programme, il rappelle quâen 1968 lâIran a
importé, pour la premiÚre fois, du blé en quantités importantes pour nourrir la population.
Lâune des composantes importantes de la « RĂ©volution Blanche » Ă©tait la rĂ©forme
agraire. Celle-ci transformait de maniÚre abrupte la structure féodale de la société en un
pays prĂ©industriel. Lâorganisation pyramidale, Ă la tĂȘte de laquelle se trouvaient les grands
propriĂ©taires terriens, et dont la base Ă©tait les paysans, se fit dĂ©capiter. DâaprĂšs le rĂ©gime
traditionnel, le paysan, ainsi que ses héritiers, avaient le « droit » de rester sur les terres
quâils ne possĂ©daient pas et dây travailler. Ils ne pouvaient pas ĂȘtre dĂ©logĂ©s de ces terres
(
Sahebeh Nassab
) et la récolte était partagée sur une base de 3/5 pour le propriétaire, 2/5
pour le paysan. Les
pillehvar
, les marchands ambulants, fournissaient aux paysans leurs
besoins de consommation et les outils de travail nécessaires, et une population de
travailleurs temporaires, les
khoshnesheenan
, procuraient la main-d'Ćuvre saisonniĂšre en
1
The Eagle and the Lion
, p. 137.
2
Ibid., p. 146-147.
3
Ramazani, Rohollah,
Iranâs Foreign Policy 1941-1974: A Study of Foreign Policy in Modernizing Nations,
University Press of Virginia, Charlottesville, p. 316.
66
fonction des besoins. Avec la modernisation agraire, ces populations ont émigré vers les
villes pour y trouver du travail. La désertification des campagnes, la surpopulation des
villes et lâapparition des bas quartiers autour de la capitale, en sont les consĂ©quences les
plus directes. Toutes ces transformations sociales et leurs consĂ©quences nâĂ©taient du moins
pas au centre des préoccupations du Shah et de ses gouvernements. Leur attention était
portĂ©e vers lâĂ©conomie, la force militaire de lâIran dans la rĂ©gion, et vers la croissance du
PNB.
Hossein Mahdavy, un ancien haut fonctionnaire du ministĂšre du Plan fut un des
nombreux critiques des rĂ©formes agraires qui finira par opter pour lâexil. Dans un article de
Foreign Affairs
en date de 1966, il Ă©crit :
« [âŠ] La âRĂ©volution Blancheâ, dont lâobjectif sera de moderniser lâIran et rendre une
rĂ©volution par le bas inutile, [âŠ] contient parmi les Ă©lĂ©ments les plus importants les
rĂ©formes terriennes [âŠ] La signification rĂ©elle de celles-ci en Iran doit ĂȘtre envisagĂ©e
comme une mesure politique de la part du gouvernement pour obtenir lâallĂ©geance de
la
paysannerie afin de compenser lâopposition croissante dans les zones urbaines. Au
moment des rĂ©formes, lâIran nâĂ©tait face Ă aucune difficultĂ© agraire [âŠ] en fait le
troisiĂšme plan quinquennal du gouvernement, qui commençait en 1962, nâavait pas
prĂ©vu de programme de rĂ©forme agraire mĂȘme dans un futur lointain [âŠ] »
1
Mahdavy dresse ensuite la liste complÚte de toutes les catégories de terres comprises
dans la rĂ©forme. Un des Ă©lĂ©ments dâintĂ©rĂȘt particulier est :
« Le vaghf, les terres des fondations religieuses, doivent ĂȘtre louĂ©es aux paysans sur
une base de 99 ans. Les loyers seront revus tous les cinq ans
2
[âŠ] le point le plus faible
de la rĂ©forme est peut-ĂȘtre son Ă©chec pour changer les aspects organisationnels et
technologiques de la production agricole [âŠ] sur le plan politique, le slogan de
âRĂ©forme Terrienne Oui, Dictature Nonâ inventĂ© par les Ă©lĂšves de lâuniversitĂ© de
TĂ©hĂ©ran au moment du ârĂ©fĂ©rendumâ du Shah a Ă©tĂ© largement adoptĂ©. [âŠ] lâassassinat
du Premier ministre MansĂ»r dĂ©but 1965, suivi dâun attentat sâen prenant Ă la vie du
Shah lui-mĂȘme par lâun des membres de sa Garde ImpĂ©riale, peut indiquer une forme
1
Mahdavy, Hossein, « The Coming Crisis in Iran »,
Foreign Affairs
, mars/avril 1966.
2
Ibid., p. 139.
67
de rĂ©sistance au rĂ©gime qui se forme. [âŠ] il est probable que la position amĂ©ricaine en
Iran continuera Ă se dĂ©grader avec la montĂ©e de lâimpopularitĂ© du rĂ©gime du Shah, et
que les Ătats-Unis remplaceront le Royaume-Uni comme cible principale dâattaques
nationalistes. »
1
Lâopposition principale de lâAyatollah Khomeiny, Ă cette Ă©poque, Ă©tait aussi en grande
partie liĂ©e Ă cette reforme agraire. Ă ceci sâajoutaient les dolĂ©ances contre lâinjustice du
rĂ©gime, son allĂ©geance aux Ătats-Unis et particuliĂšrement le statut privilĂ©giĂ© que le Shah
accordait au personnel militaire américain. Ceci est devenu une loi en octobre 1964, quand
le
Majlés
a approuvĂ© lâextension Ă tous les personnels militaires amĂ©ricains et Ă leurs
dĂ©pendants stationnĂ©s en Iran, de lâimmunitĂ© diplomatique complĂšte
2
. En juin 1963, les
dĂ©monstrations et Ă©meutes contre le rĂšgne du Shah sâĂ©tendirent Ă tout le pays. Des classes
et mouvements idéologiques variés ont participé à ces émeutes et des milliers de personnes
ont Ă©tĂ© tuĂ©es dans les rues de TĂ©hĂ©ran. LâAyatollah Khomeiny avait Ă©tĂ© identifiĂ© par un
spĂ©cialiste amĂ©ricain de lâIran comme lâun des organisateurs des Ă©meutes
3
. Khomeiny sera
envoyĂ© en exil en Irak, oĂč il restera pratiquement jusqu'Ă la rĂ©volution de 1979.
Nous avons ici une idĂ©e de la façon dont la situation de dĂ©pendance de lâIran vis-Ă -vis
des Ătats-Unis le conduisait Ă non seulement participer Ă des compromis Ă lâextĂ©rieur,
comme le CENTO, dans lesquels il ne croyait pas, mais aussi Ă mettre en Ćuvre des
mesures « politiques et sociales » en interne, qui était censées éliminer la possibilité de
rĂ©volution. Tout ceci Ă©tait rĂ©alisĂ© dans le seul but de freiner lâavancement du communisme
de lâUnion soviĂ©tique : câĂ©tait la fonction principale de lâIran pour les Ătats-Unis. Le Shah
essayera de sortir de cette situation de dépendance en renforçant son contrÎle sur le pétrole
et en essayant dâassumer un rĂŽle de maintien de la sĂ©curitĂ© rĂ©gionale plus important
comme nous le verrons plus loin.
La question sociale restera le talon dâAchille de sa
stratégie.
LâIran commencera Ă rĂ©viser sa situation de sĂ©curitĂ© aprĂšs la guerre indo-pakistanaise de
1965 et le retrait des forces britanniques dâAden en 1967, un an avant la dĂ©claration
1
Ibid., p. 140-146.
2
Câest-Ă -dire quâils ne pouvaient ĂȘtre poursuivis pour aucun crime par le systĂšme judiciaire
iranien.
3
The Eagle and the Lion
, p. 148.
68
formelle de Londres de se retirer de « lâEst de Suez. » Pendant la guerre indo-pakistanaise
de 1965, les Ătats-Unis nâavaient pas fait grande chose pour venir en aide au Pakistan qui
Ă©tait membre du CENTO. Il semblait alors que les Ătats-Unis ne viendraient en aide Ă leurs
alliĂ©s du CENTO, quâen cas de menace soviĂ©tique les concernant directement, et pas
autrement. Il fallait donc sâassurer de la sĂ©curitĂ© nationale. Puis, avec les signes de faiblesse
des britanniques et le dĂ©part de leurs forces de la rĂ©gion, sâouvrait aussi une occasion
dâassumer un rĂŽle sĂ©curitaire plus important et dâobtenir une rente pour le maintien de
cette sĂ©curitĂ©. Il sâagit donc de survivre et de devenir assez fort pour assumer le rĂŽle de
superpuissance régionale.
Le Shah nâĂ©tait pas le seul à « faire le point » sur les nouvelles possibilitĂ©s et menaces :
lâusine secrĂšte israĂ©lienne de retraitement de Dimona entrait en opĂ©ration pendant cette
mĂȘme annĂ©e et produira du plutonium de qualitĂ© militaire dĂšs 1966
1
. LâIran commença
des nĂ©gociations pour lâachat dâavions F-4, les avions les plus sophistiquĂ©s du monde Ă
lâĂ©poque, avec lâadministration Johnson. Jusquâalors, aucun autre pays, mis Ă part le
Royaume-Uni, ne possédait ces avions. Un accord fut signé avec beaucoup de difficultés et
rĂ©sistance de la part des amĂ©ricains en 1967, et la livraison sâest faite seulement fin 1968,
avant lâarrivĂ©e au pouvoir de Nixon. Câest en raison de cette rĂ©ticence des Ătats-Unis Ă
fournir les matériels les plus avancés et à des prix raisonnables, que le Shah menaçait
parfois les Ătats-Unis de se procurer des armes auprĂšs de lâUnion soviĂ©tique. En 1966,
quand il eut du mal Ă se procurer des F-4 des Ătats-Unis, il menaça dâacheter du matĂ©riel
soviĂ©tique. AprĂšs leur obtention, il sâest plaint de leur coĂ»t Ă©levĂ©, 3 millions de dollars
lâunitĂ©, en comparaison des Mig soviĂ©tiques Ă 650 000 dollars
2
.
Le dĂ©sĂ©quilibre du pouvoir en faveur de lâInde dans le sous-continent dâAsie du Sud
demeurera un sujet dâinquiĂ©tude pour le Shah. Pendant la guerre indo-pakistanaise de
1965, les Ătats-Unis nâavaient non seulement pas aidĂ© le Pakistan, mais ils avaient aussi
empĂȘchĂ© lâIran de mettre Ă la disposition du Pakistan des matĂ©riels fournis par le CENTO
et le traitĂ© bilatĂ©ral militaire irano-amĂ©ricain. Cette situation de dĂ©sĂ©quilibre sâaggravera
aprÚs la guerre du Bangladesh de 1971, ce qui aura pour résultat le démembrement du
1
Spector, Leonard, S.,
Nuclear Ambitions: The Spread of Nuclear Weapons 1989-1990
, Westview Press,
Boulder, 1990, p. 153.
2
The Eagle and the Lion
, p. 171.
69
Pakistan et une supĂ©rioritĂ© militaire de lâInde de lâordre de un Ă sept dans toutes les
catĂ©gories dâarmement.
à la fin des années 60, la Turquie souffrait des interventions militaires dans son systÚme
politique et le Pakistan Ă©tait sur le point de sâeffondrer. Les Arabes se repliaient Ă la suite de
leur dĂ©faite contre IsraĂ«l en 1967. Les Ătats-Unis Ă©taient enlisĂ©s dans une guerre difficile au
ViĂȘt-nam et lâUnion soviĂ©tique consolidait des liens de rapprochement avec les Ătats arabes
du Moyen-Orient. Pour les Ătats-Unis, contenir lâUnion soviĂ©tique par le biais dâune sĂ©rie
dâalliances rĂ©gionales et dâune accumulation militaire lâemportait sur la nature autoritaire
des gouvernements de ces pays
1
.
Avec la déclaration britannique de 1968 annonçant la décision de ceux-ci de retirer leurs
forces du golfe Persique avant la fin de 1971, de nouvelles occasions se prĂ©sentĂšrent Ă
lâIran. Le Shah pouvait finalement assumer un rĂŽle sĂ©curitaire plus important dans le golfe
Persique et renforcer ainsi sa position de force vis-Ă -vis des Ătats-Unis. Mais dâun autre
cotĂ©, la situation en Irak Ă©tait inquiĂ©tante. Les Ătats-Unis rĂ©Ă©valuĂšrent leur soutien militaire
Ă lâIran en partie Ă cause de la dĂ©cision britannique, et en partie en raison de leurs besoins
croissants de pĂ©trole iranien. Ce qui intensifia lâalignement de lâIran avec les Ătats-Unis.
SimultanĂ©ment, le rapprochement croissant entre lâUnion soviĂ©tique et lâIrak,
lâintensification de la prĂ©sence navale soviĂ©tique en ocĂ©an Indien, les « visites » de vaisseaux
soviétiques dans le golfe Persique, ainsi que le soutien soviétique au mouvement de
« libĂ©ration nationale » en Oman, ont contribuĂ© Ă la montĂ© de la tension entre lâIran et
lâUnion soviĂ©tique. Au calme de lâĂšre 1962-67, suivra une pĂ©riode avec des signes de
tension à la fin des années 60 et au début des années 70.
LâarrivĂ©e de Johnson au pouvoir avait amĂ©liorĂ© lâattitude des Ătats-Unis vis-Ă -vis lâIran.
Le Shah le soutenait, surtout dans le contexte difficile de la guerre du ViĂȘt-nam. Il Ă©tait lâun
des rares dirigeants des pays du tiers-monde à le faire. Son soutien à Israël, un pays pour
lequel lâappui amĂ©ricain nâa fait que sâintensifier depuis sa crĂ©ation, et la condamnation du
rĂ©gime de Nasser, Ă©taient aussi apprĂ©ciĂ©s par Johnson. Dans lâanalyse amĂ©ricaine, tant que
les Britanniques Ă©taient prĂ©sents dans la rĂ©gion et quâil nây avait pas de menace de la part
des voisins, lâIran nâavait besoin dâarmes que pour maintenir lâordre intĂ©rieur, autrement
1
Voir
The Shah and I
, p. 29.
70
dit, pour Ă©craser tout mouvement procommuniste interne. Une agression Ă©ventuelle de
lâUnion soviĂ©tique nâentrait mĂȘme pas dans lâĂ©quation, car elle entrait dans la logique
dâĂ©quilibre nuclĂ©aire de la guerre froide. Mais avec le dĂ©part imminent des Britanniques et
un Irak révolutionnaire, le besoin iranien de renforcer sa position militaire en vue de
contrer lâIrak rĂ©volutionnaire Ă©mergeait, notamment pour assumer un rĂŽle de sĂ©curitĂ©
régionale, surtout pour assurer le libre passage du pétrole dans le golfe Persique. Les
ressources militaires amĂ©ricaines Ă©taient lourdement utilisĂ©es au ViĂȘt-nam. Il Ă©tait difficile
pour les Ătats-Unis de combler avec leurs propres forces le vide crĂ©Ă© par le dĂ©part des
Britanniques.
En outre, les revenus pĂ©troliers de lâIran avaient augmentĂ© Ă un point tel, que le pays
était devenu une cible intéressante pour les fabricants de matériels militaires américains,
comme on le sait, un lobby puissant aux Ătats-Unis. Dâautant plus que lâIran payait des
prix Ă©levĂ©s, que le Shah lui-mĂȘme considĂ©rait souvent comme « exorbitants ». Avec le coĂ»t
trĂšs important de la guerre au ViĂȘt-nam pour les Ătats-Unis, les achats dâarmes par lâIran
Ă©taient un remĂšde partiel pour Ă©quilibrer les comptes nationaux
1
. Mais obtenir les
derniĂšres technologies, et Ă des prix raisonnables, nâĂ©tait pas toujours facile dans une
situation de monopole américain.
La premiĂšre manifestation de lâintention de lâIran dâacheter des armes Ă lâUnion
soviétique fut annoncée au Parlement par le Premier ministre Hoveyda en février 1967
2
.
Cette dĂ©cision suscita lâinquiĂ©tude de Washington. Les AmĂ©ricains, dâaprĂšs le
New York
Times
, interprĂ©tĂšrent la vente dâarmes par les soviĂ©tiques Ă lâIran comme « la campagne
dĂ©terminĂ©e et patiente de lâUnion soviĂ©tique pour miner les liens des pays de leur frontiĂšre
Sud avec le systÚme de défense occidentale »
3
. CâĂ©tait la premiĂšre fois quâun « membre de
lâalliance occidentale avait acceptĂ© dâacheter des armes soviĂ©tiques
4
. » Mais en réalité, le
1
Les dépenses militaires américaines dans la période 1965-1968 ont augmenté de 40 % en termes
rĂ©els. La plupart Ă©taient dues Ă la guerre du ViĂȘt-nam.
2
En 1966, lâIran et lâUnion soviĂ©tique avaient conclu un accord commercial pour la fourniture
dâune aciĂ©rie et dâun
pipeline
de gaz. LâIran avait aussi acceptĂ© dâacheter 110 millions de dollars
dâarmes soviĂ©tiques. Le
pipeline
fut construit avec les fonds iraniens et il Ă©tait convenu que le
paiement de lâaciĂ©rie se fasse par le biais de la consommation du gaz de lâUnion soviĂ©tique. Ă
lâĂ©poque, cette derniĂšre avait insistĂ© pour que le prix du gaz (18,7 cents/1 000ft
3
) fût indexé sur le
prix du pétrole, étant persuadée que la baisse des prix en termes réels continuerait.
3
New York Times,
8 février 1967.
4
Ibid.
71
Shah poursuivait son objectif de devenir la seule superpuissance régionale valable qui
puisse remplacer les Britanniques. En février 1967 il avait aussi commandé quatre
destroyers au Royaume-Uni
1
.
Dans un mémorandum au président Johnson en février 1967, Robert McNamara a
Ă©crit :
« Nos ventes dâarmes [Ă lâIran] ont crĂ©Ă© 1,4 millions annĂ©e-hommes de travail aux
Ătats-Unis et plus de 1 milliard de dollars de profit pour lâindustrie amĂ©ricaine sur les
cinq derniĂšres annĂ©es [âŠ] »
2
Câest en 1968 que le TraitĂ© de Non-ProlifĂ©ration des armes nuclĂ©aires sera introduit par
les Ătats-Unis. Comme nous lâavons vu, lâIran le signera sans tarder. Le 2 fĂ©vrier 1970,
lâIran ratifie le traitĂ©, ce qui indique bien quâun dĂ©veloppement nuclĂ©aire militaire ne faisait
pas partie de la stratégie militaire du Shah.
Le départ des forces britanniques fut annoncé le 16 janvier 1968 et sera achevé en 1971.
Le Shah sâĂ©tait prĂ©parĂ© Ă combler le vide laissĂ© par ce dĂ©part. Dans un entretien avec un
membre du Parlement britannique en septembre 1969, le Shah avait fait part de son
opposition Ă la prolongation de la prĂ©sence britannique, ainsi quâĂ une substitution
américaine ou soviétique à cette présence ; il avait aussi indiqué sa conviction quant à la
capacitĂ© de lâIran Ă pouvoir assumer ce rĂŽle
3
. Dans sa quĂȘte pour devenir une puissance
militaire importante dans le Golfe, lâIran Ă©tait assistĂ© par le Royaume-Uni qui lui vendit un
nombre important dâhovercrafts et quatre destroyers
Voper MK-5
, avec des missiles
Seacat.
Le Royaume-Uni vendit aussi Ă lâIran 400 missiles
Tiger Cat
et 800 chars
Chieftain
. Le Shah
déclarera opportunément à la presse anglaise « nous contribuerons bien à vos balances de
paiement dans les années à venir. »
1
Durant cette pĂ©riode de renforcement stratĂ©gique, lâIran entreprend des nĂ©gociations
avec les Britanniques sur les Ăźles de Tumb et Abu Moussa, stratĂ©giquement situĂ©es au cĆur
du dĂ©troit dâOrmuz. Le Royaume-Uni considĂ©rait ces Ăźles sous la souverainetĂ© des Ămirats
de Ras al-Khyamh et Sharjah. AprĂšs lâĂ©chec de plusieurs sĂ©ries de nĂ©gociations et offres
1
The Times,
16 février 1967.
2
Memorandum,
Robert, S. McNamara to President Johnson
,
9 février 1967, LBJ Library,
Confidential Files,
FO 3-2 (January-March 1966) Box 48. Cité dans J. Bill, p. 173.
3
Iranâs Foreign Relations
, p. 250.
72
amicales dâaide financiĂšre iranienne Ă des cheiks, conduites en vue de revenir Ă la
souverainetĂ© historique iranienne, lâIran, le dernier jour du protectorat britannique, en
novembre 1971, occupait les deux Ăźles par la force
2
.
Les calculs du Shah Ă©taient raisonnables : attĂ©nuer la dĂ©pendance vis-Ă -vis des Ătats-
Unis, assumer le vide sécuritaire laissé derriÚre les Britanniques rassurant ainsi les
AmĂ©ricains qui Ă©taient fort sollicitĂ©s par leur conflit au ViĂȘt-nam, avec une opinion
publique de plus en plus hostile aux interventions militaires Ă lâĂ©tranger ; les EuropĂ©ens
Ă©taient occupĂ©s avec leurs propres crises sociales « post-1968 » [âŠ] Les Iraniens attendaient
un retour économique. Les accords de Téhéran du 14 février 1971 furent le début de la
contrepartie Ă©conomique attendue. DĂ©sormais, pour la premiĂšre fois dans lâhistoire, les
pays producteurs dĂ©finissaient les prix mondiaux. La stratĂ©gie de Shah sâappuyait sur le
raisonnement suivant : maintien de la sĂ©curitĂ© rĂ©gionale, en Ă©change dâun prix honorable
pour le pétrole. Jusque là , les prix du pétrole en termes réels avaient continuellement baissé
depuis les années 1950, tandis que les prix mondiaux des produits manufacturiers avaient
augmenté.
La mise en Ćuvre de cette stratĂ©gie reposait sur les Ă©lĂ©ments suivants : en termes de
sĂ©curitĂ© rĂ©gionale, il fallait ĂȘtre lâacteur le plus puissant. Ceci Ă©tait possible grĂące Ă
lâacquisition dâarmes modernes en quantitĂ©s suffisantes, Ă©tant donnĂ© que les marges de
manĆuvre de lâacteur majeur de la rĂ©gion, lâUnion soviĂ©tique, Ă©taient maĂźtrisĂ©es par les
considérations de la guerre froide. Pour ajuster les prix du pétrole à un niveau convenable,
lâobtention de la coopĂ©ration des producteurs concurrents sâavĂ©rait nĂ©cessaire : lâOPEP
servait de mĂ©canisme pour mettre en Ćuvre cette collusion. Enfin pour la bonne marche
de cette stratégie, le pays devait pouvoir continuer à fonctionner : une paix sociale était
donc nĂ©cessaire. La SAVAK et le systĂšme dâascension sociale et de cooptation des Ă©lites
devaient pouvoir assurer la pérennité de ce projet.
Mais en termes dâanalyse stratĂ©gique, chacune des composantes prĂ©cĂ©demment
évoquées recélait des faiblesses potentielles importantes. PremiÚrement en termes de
sĂ©curitĂ© rĂ©gionale, rester durablement lâacteur le plus fort nĂ©cessitait comme condition un
1
Ibid.
,
p. 253.
2
Chubin, Shahram, Zabih, Sepehr,
The Foreign Relations of Iran: A Developing State in a Zone of Great-
Power Conflict,
UC Press, Berkley, 1974, p. 227.
73
approvisionnement au moyen des technologies militaires les plus récentes à des prix
acceptables. DeuxiĂšmement il fallait quâaucun autre acteur de la rĂ©gion ne possĂšde des
armes « non conventionnelles ». TroisiÚmement, il fallait pouvoir absorber et faire
fonctionner les armes de maniÚre efficace. Tout ceci reposait sur la volonté des fournisseurs
amĂ©ricains, europĂ©ens, et soviĂ©tiques dâaccorder Ă lâIran les matĂ©riels et formations
nĂ©cessaires. Tout ceci devait en principe se rĂ©aliser dans la mesure et tant quâil y avait un
« retour économique » suffisamment important pour tous ces acteurs majeurs.
En ce qui concerne le maintien des prix pétroliers, il y avait deux risques potentiels
dâaffaiblissement. Dâabord il fallait sâassurer que la collusion entre les membres de lâOPEP
continuerait dâune maniĂšre efficace et durable. Ceci Ă©tait, Ă la limite, dans le rayon
dâinfluence du Shah. Mais un facteur moins contrĂŽlable Ă©tait lâĂ©ventualitĂ© de produits de
substitution pour le pĂ©trole ou des sources alternatives de production pĂ©troliĂšre. Ni lâun ni
lâautre nâĂ©taient de maniĂšre quelconque maĂźtrisable par le Shah.
La paix sociale dans le pays nâĂ©tait pas sans points faibles elle non plus. La « RĂ©volution
Blanche » nâavait pas livrĂ© toutes ses promesses. La structure traditionnelle de production
agricole sâĂ©tait irrĂ©mĂ©diablement dĂ©formĂ©e, aliĂ©nant les paysans et les propriĂ©taires terriens.
Le clergé chiite, les étudiants et intellectuels étaient aussi insatisfaits des injustices sociales et
réguliÚrement oppressés. Un malaise latent régnait au sujet de la présence, de plus en plus
visible, dâĂ©trangers, avec des avantages supĂ©rieurs, on lâa vu, allant jusqu'Ă lâimmunitĂ©
diplomatique. Aucun mécanisme ne canalisait ni ne traduisait les insatisfactions sociales
comme dans les pays dĂ©mocratiques. Les insatisfactions inexprimĂ©es revĂȘtaient des
dimensions psychologiques importantes et comme il nây avait pas dâautres cibles, le Shah,
personnellement, devint le responsable du malaise dans les cĆurs et esprits des
mĂ©contents. Des mouvements sâarmĂšrent au dĂ©but des annĂ©es 70 et le terrorisme urbain fit
son apparition. Quelques 80 guérilleros seront exécutés en 1972-73, manifestation du
terrorisme urbain
1
. Le point le plus faible de cette stratĂ©gie rĂ©sidait peut-ĂȘtre dans le fait
que le systĂšme ne tenait quâĂ une seule personne, le Shah. Toute dĂ©cision Ă©conomique,
politique et sociale Ă©tait la sienne.
1
Iranian Foreign Relations,
p. 12.
74
La majoritĂ© des ouvrages sur lâIran dĂ©peint une image du Shah comme un fin stratĂšge.
Pourtant, chacune des faiblesses de sa stratĂ©gie sera exploitĂ©e pour lâempĂȘcher dâatteindre
lâapogĂ©e quâil souhaitait pour lâIran.
En 1971, se produisit Ă
Siahkal
un incident sanglant avec un groupe de guérilleros, dont
la rĂ©pression marquera trĂšs fortement lâopinion publique dans le pays. Carte blanche a Ă©tĂ©
donnĂ©e Ă la SAVAK afin que les festivitĂ©s des 2 500 ans de lâEmpire Perse se dĂ©roulent sans
problĂšme : lâorganisation, dĂ©jĂ contestĂ©e, prend alors plus de pouvoir.
La mĂȘme annĂ©e, signe supplĂ©mentaire dâune volontĂ© dâautonomie vis-Ă -vis des Ătats-
Unis, le Shah Ă©tablit des relations diplomatiques avec la RĂ©publique populaire de Chine, la
derniÚre puissance nucléaire en date. La troisiÚme guerre indo-pakistanaise eut pour
résultat le démembrement du Pakistan, la création du Bangladesh, et la montée en force
dâun mouvement sĂ©paratiste en Baloutchistan en Iran. De son cotĂ©, lâIrak signa un traitĂ©
dâamitiĂ© et coopĂ©ration avec lâUnion soviĂ©tique pour une durĂ©e de quinze ans en avril
1972, dont les articles 8 et 9 concernent lâassistance et la coopĂ©ration mutuelle en matiĂšre
de dĂ©fense. Lâun des objectifs pour lâIrak Ă©tait de sâassurer contre toute intervention dans le
cas oĂč lâ
Irak Petroleum Company
serait nationalisĂ©e. Lâaccord fut suivi de la visite dâune
escadrille navale soviĂ©tique dans les ports irakiens dâUmm Ghasr et Bassorah. La prĂ©sence
de ces vaisseaux était alarmante pour Téhéran. Fin mai 1972, le président Nixon et
Kissinger rendirent visite au Shah de retour du sommet de Moscou. Le Shah passa un
accord sans prĂ©cĂ©dent avec lâadministration Nixon qui lui permit dâobtenir toutes les armes
quâil voulait de lâinventaire amĂ©ricain, y compris les F-14 et F-15.
« Le prĂ©sident rĂ©itĂšre quâen gĂ©nĂ©ral, les dĂ©cisions dâacquisition des matĂ©riels
militaires doivent ĂȘtre laissĂ©es principalement au gouvernement dâIran. Si le
gouvernement dâIran a dĂ©cidĂ© dâacheter certains Ă©quipements, lâachat de matĂ©riel
amĂ©ricain doit ĂȘtre encouragĂ© avec tact quand ce sera appropriĂ©, et le conseil technique
sur les capacitĂ©s des Ă©quipements en question doit ĂȘtre fourni. »
1
Les forces britanniques Ă©taient parties, laissant la sĂ©curitĂ© de la rĂ©gion Ă lâacteur le plus
fort ; dĂ©sormais la dĂ©cision dâacquisition dâarmes ne dĂ©pendait que du Shah qui en avait
1
MĂ©morandum de Kissinger au secrĂ©taire dâĂtat et au secrĂ©taire de la DĂ©fense amĂ©ricain, «
Follow-
up on the Presidentâs Talk with the Shah of Iran
», 25 juillet 1972. Cité par Bill, p. 201.
75
aussi les moyens
1
, dans la mesure oĂč il pouvait intervenir sur lâĂ©volution des prix
mondiaux de pétrole.
Les Ătats-Unis perdent le pĂ©trole, le monopole du marchĂ© dâarmement mais
nâabandonnent pas lâIran Ă lâURSS
Avec la perte des bĂ©nĂ©fices de lâindustrie pĂ©troliĂšre iranienne, et lâindĂ©pendance
croissante du Shah pour le choix et les sources dâapprovisionnement de ses armes, les deux
fonctions principales de lâIran pour les Ătats-Unis nâexistaient plus. La troisiĂšme fonction de
lâIran, barrer la route Ă lâavancement de lâUnion soviĂ©tique vers les eaux chaudes du Golfe,
nâĂ©tait elle pas nĂ©gociable. Celle-ci, durant la pĂ©riode de la guerre froide, Ă©tait mĂȘme
indispensable pour la victoire des Ătats-Unis dans cette guerre et sa survie en dĂ©pendait. Le
maintien, voire le succÚs, du Shah non seulement présentait une menace en ce qui
concerne le contrÎle du passage du pétrole dans le golfe Persique, mais risquait aussi de
devenir un exemple pour dâautres pays en voie de dĂ©veloppement, dâautant plus que, face
Ă une pression amĂ©ricaine, le Shah pouvait toujours faire alliance avec lâUnion soviĂ©tique.
Le Shah avait jouĂ© les deux superpuissances lâune contre lâautre ; ses achats militaires et
industriels en Union soviĂ©tique avaient dĂ©jĂ Ă©tĂ© un sujet dâinquiĂ©tude pour les Ătats-Unis.
Un autre risque prenait une place de plus en plus importante : le poids croissant des
factions de gauche en Iran, factions, qui, elles aussi, pouvaient infléchir la politique dans
une direction prosoviétique.
Le Shah, vingt ans aprĂšs avoir Ă©tĂ© rĂ©tabli, ne rĂ©pondait plus aux attentes des Ătats-Unis.
Un « changement de rĂ©gime » pouvait se produire, voire mĂȘme ĂȘtre considĂ©rĂ© comme
acceptable pour les Ătats-Unis, mĂȘme si aux yeux des Ătats-Unis ce nouveau rĂ©gime devrait
au moins conserver un trait fondamental, Ă savoir : lâanticommunisme.
1
Entre 1972 et 1977, les AmĂ©ricains vendront 16,2 milliards de dollars dâarmes Ă lâIran (Bill,
p. 202).
77
4.
Pourquoi un programme
aussi accĂ©lĂ©rĂ© dâindustrie nuclĂ©aire
pour un pays riche en pétrole et gaz ?
Pourquoi une industrie nucléaire pour un pays possédant autant de ressources de
pétrole et de gaz ? La question se posait déjà au début des années 70 ; elle se pose toujours
aujourdâhui. De plus, pourquoi un programme tellement accĂ©lĂ©rĂ© ? Quelle Ă©tait lâurgence
ressentie et analysĂ©e par le Shah pour accorder autant dâattention et de ressources Ă ce
programme ? Est-ce vraiment lui-mĂȘme, qui, comme pour la majoritĂ© des questions
importantes pour le pays, a pris toutes les dĂ©cisions ? Il est important Ă ce stade dâanalyser
les raisons du lancement de cette industrie.
Akbar Ătemad, prĂ©sident fondateur de lâorganisation de lâĂ©nergie atomique iranienne
(OEAI), reconnaĂźt lui-mĂȘme que « si lâIran qui entrait dans le XXI
e
siÚcle était resté dans la
mĂȘme posture que celle des annĂ©es 70, il nây aurait pas eu de raison valable pour le choix
de la technologie nuclĂ©aire [âŠ] mais la vision de lâIran du futur Ă©tait diffĂ©rente dans la
pensĂ©e des dirigeants dâalors [âŠ] Seulement ce qui sâest produit est bien diffĂ©rent. Selon la
vision de lâĂ©poque, lâIran du XXI
e
siĂšcle devait avoir la mĂȘme politique dâenvergure
dâĂ©conomie Ă©nergĂ©tique, mais en terme politique, beaucoup plus importante
quâaujourdâhui [âŠ] »
1
Dans les années 70 la vision des nations sur la question nucléaire était bien différente de
celle dâaujourdâhui. La plupart des pays cherchaient Ă accĂ©der Ă lâĂ©nergie nuclĂ©aire. « Si un
78
pays ne prenait pas cette voie câĂ©tait Ă cause dâune incapacitĂ© financiĂšre ou bien
technologique »
2
. Daniel Poneman, dans son ouvrage sur lâĂ©nergie nuclĂ©aire dans les pays
en voie de développement, donne quelques raisons de principe pour ce choix :
« [âŠ] ces pays ont voulu utiliser les rĂ©acteurs nuclĂ©aires pour augmenter leur
capacitĂ© de gĂ©nĂ©ration dâĂ©lectricitĂ©, dĂ©velopper leur capacitĂ© pour la construction des
armes nuclĂ©aires, ou simplement crĂ©er lâoption de poursuivre des voies militaires ou
Ă©nergĂ©tiques dans le futur, en fonction des exigences de lâĂšre »
3
.
Le programme de lâIran Ă©tait un mĂ©lange des deux : utiliser la technologie nuclĂ©aire au
lieu du pĂ©trole, pour la production de lâĂ©lectricitĂ©, et « se laisser le choix de poursuivre une
option militaire, sâil y avait besoin, dans les quinze ou vingt ans Ă venir ».
4
Comme nous lâavons vu, aprĂšs lâUnion soviĂ©tique (1949), le Royaume-Uni (1952) et la
France (1960), câĂ©tait la Chine (1964), et puis IsraĂ«l
5
(1967) qui ont fait concurrence au
monopole amĂ©ricain des armes nuclĂ©aires. Lâexplosion indienne du 18 mai 1974, qualifiĂ©e
de « pacifique » par le gouvernement indien, avait Ă©tĂ© le signal pour les Ătats-Unis quâil
fallait mettre fin Ă cette dynamique dâabord parce que le plutonium utilisĂ© pour cette
explosion avait Ă©tĂ© produit dans un programme civil : ce fut le premier cas dans lâhistoire.
Tous les autres membres du club nuclĂ©aire avaient jusquâalors utilisĂ© des voies militaires
pour crĂ©er leurs capacitĂ©s nuclĂ©aires. Ensuite parce que lâInde Ă©tait un pays en voie de
développement et avait accédé à la technologie nucléaire militaire par ses propres moyens.
Tandis que la Chine, le premier pays en voie de développement à accéder à l⫠arme des
Ă©lites », avait Ă©tĂ© largement aidĂ©e par lâUnion soviĂ©tique, y compris par le don dâune usine
dâenrichissement
6
. Lâexplosion indienne avait aussi Ă©tĂ© considĂ©rĂ©e par beaucoup comme un
signal dâĂ©galitĂ©, ou encore comme un moyen de dissuasion vis-Ă -vis du voisin chinois. Cet
1
Afkhami, Gholamreza, ed.,
Barnameyeh Energieh Atomieh Iran : Talash Ha va Tanesh Ha
, Foundation
for Iranian Studies, MD, 1997, p. XV.
2
Ibid.
3
Poneman, Daniel, Nuclear Power in the Developing World, George Allen & Unwin, Londres, 1982, p. 3.
4
Le Shah paraphrasĂ© par A. Ătemad, en janvier 2004.
5
Le programme dâIsraĂ«l est secret. Il est estimĂ© quâIsraĂ«l a pu sĂ©parer du plutonium dans ses
installations secrĂštes de Dimona en 1967-1968. IsraĂ«l nâa apparemment montĂ© ses ogives quâen
1973. Puisquâil nâa jamais « testĂ© » ses armes on ne le considĂšre pas comme un pays nuclĂ©aire
comme les autres, mais comme un pays avec la capacité nucléaire.
6
Les développements chinois existaient, au moins au départ, en grande partie grùce au transfert
des technologies soviĂ©tiques. Les SoviĂ©tiques ont mĂȘme fourni Ă la Chine une usine
dâenrichissement dâuranium. Mais avant lâinstallation de cette usine les relations entre les deux
pays se dégradÚrent.
79
effet « domino » impliquait que les autres pays de la région, à commencer par les voisins
de lâInde, se sentiraient obligĂ©s dâaccĂ©der aux armes nuclĂ©aires pour la mĂȘme raison.
Lâexplosion indienne a fourni un bon prĂ©texte aux Ătats-Unis pour renforcer leur
positionnement mondial. Le pays venait de supporter une dĂ©faite amĂšre au ViĂȘt-nam. Cet
Ă©chec militaire et stratĂ©gique Ă©tait accompagnĂ© dâune dĂ©faite Ă©conomique importante ;
celle-ci se manifesta par les nationalisations des ressources pétroliÚres mondiales et la
hausse des prix de lâOPEP de 1974. Renforcer la logique de la « non-prolifĂ©ration » offrait
ainsi un double avantage pour amĂ©liorer le positionnement stratĂ©gique des Ătats-Unis.
Jusquâici cette logique visait Ă empĂȘcher le transfert de la technologie nuclĂ©aire pour les
usages militaires vers les pays en voie de dĂ©veloppement. DĂ©sormais lâambition amĂ©ricaine
Ă©tait dâarrĂȘter toute coopĂ©ration, tout transfert de technologies nuclĂ©aires entre pays
avancés et en voie de développement. Les raisons de cette accentuation étaient doubles :
dâune part, le contrĂŽle des ressources pĂ©troliĂšres des pays producteurs, quasiment tous des
pays en voie de dĂ©veloppement, qui avait Ă©tĂ© maĂźtrisĂ© par les Ătats-Unis depuis la fin de la
Seconde Guerre mondiale, lui avait Ă©chappĂ© depuis 1973 ; dâautre part lâaction de lâOPEP,
elle-mĂȘme en grande partie due Ă la guerre israĂ©lo-arabe de 1973, avait placĂ© les pays en
voie de développement, producteurs pétroliers, en position de maßtriser
lâapprovisionnement Ă©nergĂ©tique des pays de lâOCDE.
Lâacquisition de la technologie nuclĂ©aire par ces pays risquait de renforcer leur position :
ils pouvaient eux-mĂȘmes devenir indĂ©pendants du pĂ©trole pour leurs besoins Ă©nergĂ©tiques.
Lâordre mondial Ă©tait sur le point de sâinverser. Lâautre menace Ă©tait effectivement que
certains pays, surtout ceux qui nâĂ©taient pas membre du TNP, comme lâInde, pouvaient
mĂȘme accĂ©der Ă lâarme nuclĂ©aire par des voies civiles. Or certains de ces pays nâĂ©taient pas
dans le camp amĂ©ricain. Les Ătats-Unis Ă©tant lâune des deux puissances hĂ©gĂ©moniques de
lâĂ©poque, le coĂ»t de maintien de la sĂ©curitĂ© internationale leur incombait en grande partie â
un ordre qui convenait bien sĂ»r aux intĂ©rĂȘts amĂ©ricains. Lâintroduction des armes
nuclĂ©aires aurait pu augmenter considĂ©rablement ce coĂ»t et mĂȘme fournir aux pays
nuclĂ©aires une certaine indĂ©pendance, dâautant plus que lâapparition des armes nuclĂ©aires
aurait pu dans une certaine mesure diminuer lâefficacitĂ©, et donc le besoin en armes
traditionnelles, un grand vecteur dâexportation pour les Ătats-Unis. Ă lâĂ©poque, la vente des
armes conventionnelles constituait une bonne partie des exportations américaines : à titre
80
dâexemple, lâIran Ă lui seul a achetĂ© entre 1972 et 1978 16,2 milliards de dollars dâarmes
conventionnelles aux Ătats-Unis
1
.
Les enjeux Ă©taient trĂšs importants pour ces derniers : que ce soit la diminution
considĂ©rable des exportations dâarmes conventionnelles, lâaugmentation du coĂ»t
dâintervention dans le cas dâun conflit international, le potentiel de dissuasion par les pays
faibles diminuant lâimportance de lâarsenal nuclĂ©aire amĂ©ricain, la banalisation Ă©ventuelle
de la position de force dâIsraĂ«l, dont la protection est le premier axe dâimportance de la
politique étrangÚre américaine
2
, et qui jusqu'alors était la seule puissance nucléaire au
Moyen-Orient
3
. CâĂ©tait lâheure de vĂ©ritĂ© du programme « Atomes pour la Paix ».
LâefficacitĂ© du rĂ©gime de la « non-prolifĂ©ration » Ă©tait mise Ă lâĂ©preuve. Ce « rĂ©gime » Ă©tait
en place, les pays y avaient adhĂ©rĂ©, son institution, lâAIEA fonctionnait, et son cadre lĂ©gal, le
TNP restait en vigueur. Les pays signataires, dont lâIran, sâĂ©taient engagĂ©s Ă ne pas utiliser
cette technologie à des fins militaires. Les pays non signataires du TNP, comme Israël et
lâInde avaient, comme ils en avaient bien le droit, utilisĂ© cette technologie pour des fins
militaires. La rĂ©ponse des Ătats-Unis sera de punir les signataires, car en tout Ă©tat de cause,
ils ne pouvaient rien contre les non signataires ! La hĂąte dans la mise en place de lâindustrie
nucléaire en Iran était en partie due à cette dynamique qui émergeait, mais il y avait
dâautres raisons quâil faut examiner.
La hausse des prix pétroliers en 1973 : le nucléaire pour économiser le pétrole
La guerre du Kippour de 1973, mis Ă part le fait quâelle ait fourni lâoccasion Ă IsraĂ«l de
monter ses premiÚres armes nucléaires, a eu aussi pour conséquence le premier choc
pĂ©trolier. Beaucoup ont alors pensĂ© que ce serait le dĂ©but de lâĂšre de lâexploitation complĂšte
du potentiel de lâĂ©nergie atomique. Car lâOPEP fournissait alors 50 % du pĂ©trole mondial,
qui gĂ©nĂ©rait, entre autre, le quart de lâĂ©lectricitĂ© de lâOCDE. Lâaugmentation des prix offrait
1
Senate committee on Foreign Relations, US Military Sales, 20 janvier 1978
, cité par Bill, p. 202.
2
Hudson, Michael, « AprĂšs lâIrangate : les Ătats-Unis peuvent-ils avoir une politique moyen-
orientale cohérente ? »
Maghreb-Machrek,
la Documentation Française, Paris, juillet-septembre
1987, p. 18-19.
3
Le statut dâIsraĂ«l est sujet Ă controverse car il nâa jamais conduit une explosion nuclĂ©aire. Mais il
est reconnu quâIsraĂ«l a montĂ© 13 ogives nuclĂ©aires en 1973 et le nombre des ses arsenaux
dĂ©passent 200 aujourdâhui.
81
lâoccasion, tant attendue par le Shah, de rĂ©aliser ses projets industriels
1
. Sans rentrer dans
les dĂ©tails historiques de lâindustrie pĂ©troliĂšre iranienne, rappelons aussi que le 15 janvier
1973, le Shah avait mĂȘme dĂ©clarĂ© : je vais « terminer
les présents accords
2
en 1979. Ensuite
je serai libre de faire ce que je choisirai »
3
.
Le Shah voulait, comme lâanalyse Daniel Yergin
4
, que lâIran devienne une puissance
Ă©conomique importante. Pour cela il avait besoin dâaugmenter les revenus pĂ©troliers. Il
visait une politique plus indĂ©pendante pour lâindustrie pĂ©troliĂšre iranienne, mais dans une
position de double contrainte qui nĂ©cessitait « la rĂ©duction [âŠ] du pouvoir du consortium
et des compagnies [âŠ] quoique ne pouvant pas, ce faisant, remettre, les relations
Ă©trangĂšres et la sĂ©curitĂ© de lâIran en cause »
5
.
Quelques mois plus tard, en mai 1973, le Shah, ayant dĂ©cidĂ© de ne pas attendre jusquâen
1979, renĂ©gocia les termes de lâaccord de 1954 avec le consortium. Ă peine vingt ans aprĂšs
son retour sur le trĂŽne Ă la suite au coup dâĂ©tat orchestrĂ© par la CIA pour annuler la
nationalisation pĂ©troliĂšre de Mossadegh, le Shah lui-mĂȘme adopta une position qui nâest
guĂšre autre quâune nationalisation
de facto
de lâindustrie pĂ©troliĂšre iranienne
6
.
Il est vrai
que le contexte stratégique était différent. La décision contre Mossadegh avait été prise
dans une pĂ©riode dâaffaiblissement de lâhĂ©gĂ©monie britannique aprĂšs la Seconde Guerre
mondiale. Les Ătats-Unis avaient alors vite assumĂ© le rĂŽle du Royaume-Uni dans la rĂ©gion
et leur « prix » avait Ă©tĂ© 40 % de la moitiĂ© des bĂ©nĂ©fices de lâindustrie pĂ©troliĂšre iranienne.
En 1973, les Ătats-Unis Ă leur tour donnent lâimpression dâune perte de puissance
hĂ©gĂ©monique. La superpuissance est en train de perdre une guerre difficile au ViĂȘt-nam. Sa
1
Les pays producteurs et les grandes firmes pĂ©troliĂšres sâĂ©taient accordĂ©s pour le maintien du
partage égal des profits (50-50) lors de la Conférence de Téhéran de 1971, basée sur la promesse
des pays producteurs de ne pas augmenter les prix au-delà de 2,5 % par an. Mais la dévaluation
du dollar par Nixon en 1972 a
de facto
annulĂ© la valeur rĂ©elle de lâaugmentation des profits pour
les pays producteurs et lâaccord de TĂ©hĂ©ran nâa pas pu durer longtemps. Les grandes firmes, les
« sept sĆurs », contrĂŽlaient Ă lâĂ©poque 90% de la production du Moyen-Orient. La guerre israĂ©lo-
arabe de 1973 et l'incertitude qu'elle a déclenchée sur le marché pétrolier avaient fourni
lâoccasion aux pays-membres de lâOPEP dâaugmenter les prix.
2
Faisant allusion aux accords de partage 50-50 passés avec le consortium pétrolier en 1954. Ces
accords qui avaient une durée de 25 ans devaient arriver à leurs fins légales en 1979.
3
Alam, Asdollah,
The Shah and I: The Confidential Diary of Iranâs Royal Court
, St. Martinâs Press, NY,
1992, p. 276.
4
Yergin, Daniel,
The Prize: The Epic Quest for Oil, Money and Power
, Simon & Schuster, NY, 1992.
5
Ibid., p. 501.
6
Mis Ă part certains aspects de commercialisation internationale et dâassistance technique, quâil a
laissés pour le consortium.
82
position vis-Ă -vis de lâUnion soviĂ©tique semble compromise. Les mouvements socialistes
ont le vent en poupe dans la plupart des pays occidentaux. Une bonne majorité des pays en
voie de dĂ©veloppement tisse des liens forts avec lâUnion soviĂ©tique. Par ailleurs, la sociĂ©tĂ©
civile amĂ©ricaine devient trĂšs critique vis-Ă -vis des actions de son gouvernement Ă
lâĂ©tranger et les mouvements pacifistes sont en action. Le gouvernement amĂ©ricain est
obligé de réduire son engagement militaire direct à travers le monde, y compris au Moyen-
Orient. Ainsi il donne carte blanche Ă lâIran pour acquĂ©rir autant dâarmes sophistiquĂ©es
quâil souhaite auprĂšs des Ătats-Unis pour lui sous-traiter le rĂŽle de puissance hĂ©gĂ©monique
rĂ©gionale. Câest un rĂŽle que le Shah dĂ©sirait depuis longtemps, un rĂŽle pour lequel il voulait
aussi une contrepartie économique : la maßtrise de ses propres ressources pétroliÚres.
Selon les nouveaux termes imposĂ©s unilatĂ©ralement par le Shah en mai 1973, lâIran
contrÎlait toutes ses infrastructures et installations pétroliÚres ainsi que les réserves de
pétrole et de gaz
1
. Les firmes internationales nâavaient plus quâune position de fournisseur
dâassistance technique et administrative, et la commercialisation de 2,5 millions de barils
par jour de production
2
. Dans leur position de faiblesse relative, les Ătats-Unis acceptĂšrent
pour leurs multinationales la perte des profits du pĂ©trole iranien, dâautant plus que leur
contrat de vingt-cinq ans allait arriver Ă terme en 1978-79. Mais une augmentation des prix
par lâOPEP, telle quâon lâattendait, allait ĂȘtre impossible Ă absorber par leur Ă©conomie
comme celle de beaucoup dâautres pays industrialisĂ©s. Ainsi, la seule demande de Kissinger
et Nixon au Shah en juillet 1973 Ă©tait « dâadopter une position au sein de lâOPEP contre
lâaugmentation des prix »
3
. Si on se rĂ©fĂšre aux deux graphiques ci-dessous, lâenjeu de cette
décision devient évident. Le Shah décidera de jouer le tout pour tout.
La guerre israĂ©lo-arabe dâoctobre 1973 et la victoire Ă©crasante dâIsraĂ«l laisseront les
diffĂ©rents membres de lâOPEP indiffĂ©rents aux demandes de Nixon et Kissinger et
fourniront lâimpulsion nĂ©cessaire pour lâaction collective des pays-membres. Le Shah ainsi
que les autres producteurs de lâOPEP opteront pour la guerre Ă©conomique avec lâOccident.
Deux mois plus tard, lâaugmentation des prix de brut sera dĂ©cidĂ©e dans le cadre de lâaccord
1
Amouzegar, Jahangir,
Iranâs Economy under the Islamic Republic,
I. B. Tauris & Co., Londres, 1993,
p. 61.
2
Entretien en 1993 avec un ancien haut fonctionnaire de DĂ©partement dâĂtat amĂ©ricain,
actuellement consultant dans lâindustrie pĂ©troliĂšre aux Ătats-Unis.
3
The Eagle and the Lion,
p. 204.
83
de TĂ©hĂ©ran de dĂ©cembre 1973. Mais cette « augmentation » apparente nâest en vĂ©ritĂ©
quâune correction dâune longue baisse des prix rĂ©els. En effet, depuis son retour au pouvoir
en 1953, le Shah avait accepté des prix qui, en termes courants, semblaient stables,
approximativement 1,8 dollar par baril. Mais en termes constants (1973 = 100) lâIran, ainsi
que tous les pays exportateurs de pétrole, avait accusé une baisse de revenu et de pouvoir
dâachat importante :
Une des conséquences immédiates de cette correction fut le surcroßt des revenus
dâexportations pĂ©troliĂšres pour le gouvernement iranien : une augmentation de
4,6 milliards de dollars entre 1973 et 1974, ce qui représentait une hausse de 65 % par
rapport aux revenus de lâannĂ©e prĂ©cĂ©dente. LâIran, libre de ses engagements avec les
multinationales pétroliÚres, put prendre, finalement le contrÎle de son industrie et de ses
revenus pĂ©troliers. En coalition avec dâautres producteurs pĂ©troliers de lâOPEP, il put
quadrupler les prix mondiaux de pĂ©trole. Il sâagit dâun cas de pays pĂ©riphĂ©rique qui ne
satisfaisait plus les postulats de la
dependencia
dans ses relations avec le centre, une situation
qui ne durera, comme lâhistoire nous le montrera, pas trĂšs longtemps.
Les revenus pĂ©troliers de lâIran ont augmentĂ© de nouveau de 17,8 milliards de dollars en
1974-75, ce qui représente une hausse de 300 % sur deux ans. Cet accroissement rapide a
permis une forte augmentation du budget du gouvernement et des dépenses, ainsi que des
crédits massifs au secteur public
1
. La nĂ©cessitĂ© de trouver des moyens dâabsorber le
surcroĂźt des revenus pĂ©troliers sâavĂ©rait indispensable. LâĂ©conomie du pays nâĂ©tait pas Ă un
niveau de dĂ©veloppement suffisant pour sâajuster immĂ©diatement Ă cette augmentation de
revenus. DĂ©sireux de moderniser le pays et de renforcer son prestige et son influence Ă
1
Amouzegar, Jahangir,
Iranâs Economy under the Islamic Republic,
I. B. Tauris & Co., Londres, 1993, p. 7.
Prix de brute en termes courants (1953-1970)
0
0.5
1
1.5
2
2.5
3
1952
1955
1958
1961
1964
1967
1970
$ par baril
Prix du brut en termes courants (1953-1970)
Prix de brute en termes constants (1973=100)
1942-1973
70
80
90
100
110
120
130
140
150
160
170
1938
1943
1948
1953
1958
1963
1968
1973
Index
Prix du brut en termes constants : 1942-1973
(1973=100)
Source
:
American Petroleum Institute,
Basic Petroleum Data Book
, Volume XXI, no. 2, août 2001.
84
lâextĂ©rieur, mais aussi pour Ă©viter, autant que possible lâinflation, le Shah augmenta en
conséquence le budget du développement
1
.
Aussi, à de tels niveaux de prix, le pétrole était-il considéré comme une ressource
beaucoup trop prĂ©cieuse pour ĂȘtre brĂ»lĂ©e en vue de la production dâĂ©lectricitĂ© Ă usage
intĂ©rieur. Garder cette ressource limitĂ©e pour lâexportation et pour la transformation en
produits pétrochimiques était donc nécessaire. Une suite logique pour un pays
pĂ©riphĂ©rique dans une position de dĂ©pendance Ă©tait dâessayer de diversifier ses sources de
revenu, pour sortir le pays de la position dangereuse de dĂ©pendance dâune source unique
dâexportation. Les marges des produits transformĂ©s Ă©tant beaucoup plus importantes, le
Shah, désormais maßtre de ses ressources pétroliÚres, cherchait non seulement à maximiser
la crĂ©ation de valeur par celles-ci, mais aussi Ă garder les bĂ©nĂ©fices Ă lâintĂ©rieur du pays
pour financer le dĂ©veloppement dâautres segments de lâĂ©conomie. Dans un dĂ©cret impĂ©rial
en août 1974 le Shah déclarait :
« Le pĂ©trole que nous appelons âle produit nobleâ sera Ă©puisĂ© un jour. Câest
dommage dâutiliser ce produit noble pour la production dâĂ©nergie, pour faire
fonctionner les usines, Ă©clairer les maisons. Presque 7 000 produits peuvent ĂȘtre dĂ©rivĂ©s
du pĂ©trole. Nous planifions de produire, dĂšs que possible, 23 000 MW de lâĂ©lectricitĂ© en
utilisant des centrales nucléaires. En conjonction avec notre énergie hydroélectrique, ceci
nous donnera un stock par habitant parmi les plus élevés du monde. »
2
Comme le dĂ©crivent Ătemad et Manzoor
3
, il y avait trois autres justifications en faveur
dâune utilisation Ă grande Ă©chelle de lâĂ©nergie nuclĂ©aire : premiĂšrement, lâĂ©nergie nuclĂ©aire
Ă©tait considĂ©rĂ©e comme la meilleure alternative Ă long terme, car les sources dâeau Ă©taient
dâune capacitĂ© trop faible pour un programme hydroĂ©lectrique significatif et les techno-
logies de fusion et dâĂ©nergie solaire nâĂ©taient pas utilisables avant la fin du siĂšcle.
DeuxiĂšmement, lâĂ©nergie nuclĂ©aire nĂ©cessitait des investissements importants que lâIran
pouvait maintenant se permettre. TroisiÚmement, les prévisions à long terme avaient
montré un coût de fonctionnement des centrales électriques en augmentation constante, ce
1
Desprairies, Pierre, « Pour un compromis historique OPEP-Occident »,
Arabies,
février 1989, p. 39-
41.
2
Keyhan International
, 3 août 1974, p. 4.
3
Ătemad, A. et Manzoor, C., « Le programme Ă©lectronuclĂ©aire de lâIran »,
Annales des Mines
, mai-
juin 1978.
85
qui mettait lâĂ©nergie nuclĂ©aire dans une position Ă©conomique favorable
1
. De plus, la
maĂźtrise de la technologie nuclĂ©aire Ă lâĂ©chelle industrielle pouvait gĂ©nĂ©rer des retombĂ©es
(
spillovers
) positives pour dâautres secteurs de lâindustrie, tels que la mĂ©tallurgie, lâindustrie
chimique, mĂ©dicale, et dâautres.
Avec les taux de croissance rĂ©cents de lâĂ©conomie iranienne les besoins Ă©nergĂ©tiques
augmentaient proportionnellement. Les prĂ©visions de lâĂ©poque prĂ©voyaient un doublement
de la population en vingt à trente ans. Celles-ci annonçaient aussi un épuisement des
ressources pĂ©troliĂšres ne permettant pas la mĂȘme intensitĂ© dâexportation au vers la fin du
siÚcle. Les investissements énergétiques sont de nature lourde : ils nécessitent des
engagements Ă long terme. Le gouvernement avait donc prĂ©vu que lâĂ©nergie nuclĂ©aire
fournirait 25 % des besoins du pays, le reste étant apporté par le gaz naturel et les
ressources hydrauliques.
Avant le lancement de lâOEAI en 1974, le Shah avait dĂ©fini pour objectif une puissance
de 23 000 MW alimentĂ©s par lâĂ©nergie nuclĂ©aire pour le milieu des annĂ©es 90, lâĂ©quivalent
de 25 % des besoins du pays
2
, ceci dans un contexte oĂč une bonne majoritĂ© des villages ne
disposait toujours pas dâĂ©lectricitĂ©, et oĂč il y avait mĂȘme des pĂ©nuries pour la
consommation dâĂ©lectricitĂ© des grandes villes. Les coupures dâĂ©lectricitĂ© Ă©taient frĂ©quentes
Ă TĂ©hĂ©ran. Ă lâĂ©tranger, dans dâautres pays en voie de dĂ©veloppement comme lâInde et les
Philippines, les Ă©tudes avaient montrĂ© que la pĂ©nurie de lâĂ©lectricitĂ© coĂ»tait 2 Ă 3 milliards
de dollars par an au pays
3
. Cette comparaison, ce
benchmark
,
donne une idée de ce que
lâenjeu Ă©nergĂ©tique reprĂ©sentait pour lâIran de lâĂ©poque. Pour un pays riche en pĂ©trole et
gaz, ce type de pĂ©nurie dâĂ©lectricitĂ© Ă©tait le symptĂŽme dâune mauvaise prĂ©vision,
dâinvestissements inadaptĂ©s et dâune gestion Ă©nergĂ©tique mĂ©diocre.
Dans un autre ordre de comparaison, dans les pays industriels avancés, la capacité de
gĂ©nĂ©ration dâĂ©lectricitĂ© est dâenviron 2 MW par tĂȘte dâhabitant. Au milieu des annĂ©es 1970
elle Ă©tait de 0,2 MW par tĂȘte en Iran. Une nation qui avait des ambitions industrielles
importantes devait prendre des mesures pour rattraper ce retard. Sur un horizon de vingt
1
Ibid., p. 213-214.
2
Afkhami, Gholamreza, ed.,
Barnameyeh Energieh Atomieh Iran : Talaash Ha va Tanesh Ha
(
Iranâs atomic
energy program : mission, structure politics
),
Foundation for Iranian Studies, MD, 1997, p. 87.
3
Ibid., p. 91.
86
ans, ceci se traduit par une augmentation de la capacitĂ© de production dâĂ©lectricitĂ©
dâenviron 50 000 MW. Si les centrales nuclĂ©aires avaient pu entrer en service comme prĂ©vu
en 1981, elles nâauraient pu fournir que 12 000 MW de ce besoin. Et si la contribution du
gaz et de lâĂ©nergie hydraulique Ă la production Ă©nergĂ©tique globale avait progressĂ© Ă la
mĂȘme Ă©chelle, le pays aurait toujours manquĂ© de lâĂ©lectricitĂ© nĂ©cessaire pour son
développement industriel. Les recettes de cette industrie, chiffrées avec le prix de vente du
KWh de lâĂ©poque, auraient Ă©tĂ© de 400 millions de dollars par an, avec une prĂ©vision de
5 milliards de dollars en 1990
1
. Si les pertes de croissance Ă©conomique de quelques
milliards de dollars dues aux pĂ©nuries dâĂ©lectricitĂ© sâajoutaient Ă ces chiffres, ces
investissements auraient pu ĂȘtre vite rentabilisĂ©s.
Symboliquement et politiquement, mĂȘme si lâIran avait formellement choisi de ne pas
suivre la voie de lâutilisation militaire de la technologie nuclĂ©aire, une industrie et le savoir-
faire nucléaire auraient pu lui fournir une image de force symbolique, qui
de facto
aurait
amélioré la perception de son positionnement stratégique et réduit les dépenses militaires
pour les armes conventionnelles
2
. Il sâagit lĂ dâun autre trait de pays pĂ©riphĂ©rique tel que
dĂ©fini par lâĂ©cole de
dependencia
, la dépendance vis-à -vis des armements étrangers pour
maintenir la position dâĂ©quilibre fragile dans la rĂ©gion et vis-Ă -vis des voisins.
Aussi, pour rappeler la suite des évolutions pétroliÚres jusqu'à la Révolution, indiquons
que la position de force des pays producteurs ne durera pas longtemps. La manipulation
dâune des structures de pouvoir, telle que dĂ©finie par S. Strange
3
, la structure
internationale de la finance, par les Ătats-Unis, par le biais de la dĂ©valuation du dollar entre
1974 et 1978, et lâinflation, vont quasiment annuler lâeffet de lâaugmentation des prix
4
avec
des consĂ©quences dĂ©sastreuses pour lâĂ©conomie iranienne.
1
Barnameyeh Energieh Atomieh Iran
, p. 99-100.
2
Ces éléments seront développés plus en détail dans la section suivante.
3
Voir
States and Markets
.
4
States and Markets
, p. 198.
87
Evolution des Prix réels et nominaux (1973-1979)
$US par baril (base 1973=100)
(Source: OPEP)
0
2
4
6
8
10
12
14
16
18
20
1972
1973
1974
1975
1976
1977
1978
1979
1980
Nominal
En 1973, lâUnion soviĂ©tique fut aussi obligĂ©e dâaccepter lâaugmentation du prix du gaz
fourni par lâIran Ă travers le
pipeline
. LâUnion soviĂ©tique avait elle-mĂȘme demandĂ©, dans les
annĂ©es 60, quand lâaccord sur le troc dâaciĂ©rie contre gaz fut signĂ©, dâindexer le prix du gaz
sur celui du pétrole, étant persuadée que la baisse de prix du pétrole en termes réels conti-
nuerait. Les accords de Téhéran de 1971 avaient augmenté le prix du pétrole de 30 % ; ainsi
lâUnion soviĂ©tique fut-elle obligĂ©e dâaccepter en aoĂ»t 1973 une augmentation de 35 % pour
le prix du gaz
1
. Avec les augmentations des prix pĂ©troliers de la fin 1973, lâIran pensait quâil
serait nĂ©cessaire dâaugmenter les prix du gaz pour lâUnion soviĂ©tique, particuliĂšrement car
ce dernier vendait son propre gaz au nouveau des prix mondiaux Ă des pays de lâEurope de
lâEst et Ă lâAutriche
2
. La réponse soviétique positive a été longue à venir et prendra la forme
dâune critique vive en 1974, Ă laquelle lâIran rĂ©pondra que « lâĂ©poque de lâexploitation de
lâIran par lâOuest et lâEst Ă©tait terminĂ©e. » Les nĂ©gociations Ă Moscou en juin ne donnent
aucun rĂ©sultat, mais en juillet, lâIran affiche un prix conciliatoire de 61,93 cents par
1 000 pieds cubiques.
Aussi, mĂȘme si la suite des Ă©vĂ©nements nous Ă©loignera des raisons de base de
lâintroduction de lâindustrie de lâĂ©nergie nuclĂ©aire en Iran, rappelons que les compagnies
pétroliÚres vont violer les termes des accords de 1973 dÚs que leur position de force le leur
permettra. En 1975 et 1976 les compagnies vont commercialiser seulement 1,5 millions de
barils par jour de pĂ©trole iranien : moins que prĂ©vu par lâaccord de 1973. Ceci diminuera
les revenus annuels de lâIran de 2,5 milliards de dollars. LâIran essayera de rattraper la
baisse de 12,7 % des ventes en exportant du pĂ©trole directement Ă lâĂ©tranger, mais ceci
nâaugmentera les ventes directes que de 4,3 % en 1975-76.
1
Iranâs Foreign Relations
, p. 13.
2
$1,04 par 1000ft
3
dâaprĂšs le
London Times
cité dans Ibid.
88
La nucléarisation du Moyen-Orient :
lâindustrie nuclĂ©aire comme symbole
Comme nous lâavons vu, lâintĂ©rĂȘt des Ătats-Unis pour lâIran se rĂ©duisait Ă trois fonctions
importantes : freiner lâexpansion de lâUnion soviĂ©tique, absorber suffisamment dâarmes
pour jouer le rĂŽle de client pour lâindustrie dâarmement amĂ©ricaine et celle de son agent
dans la région, et enfin, maintenir une production et des prix stables de pétrole, ce qui
fournissait un
input
bon marchĂ© pour Ă la fois garantir la stabilitĂ© de lâĂ©conomie occidentale
et les bĂ©nĂ©fices des multinationales pĂ©troliĂšres. Nous avons aussi dĂ©montrĂ© quâavec
lâamĂ©lioration de son positionnement stratĂ©gique vis-Ă -vis des Ătats-Unis, le Shah avait
essayĂ© dâobtenir les termes dâun Ă©change plus favorables dans cette Ă©quation. Ceci avait
suscitĂ© une certaine pression sur les relations entre les deux pays. Avec lâannulation
unilatĂ©rale prĂ©maturĂ©e des contrats pĂ©troliers, cette tension sâest renforcĂ©e. La participation
de lâIran dans la dĂ©cision dâaugmentation des prix pĂ©troliers de 1974 a dĂ» ĂȘtre le signal
pour les Ătats-Unis que son client « alliĂ© » dâantan nâest plus un « alliĂ© » inconditionnel. Les
rĂ©ponses des Ătats-Unis ont Ă©tĂ© dâabord dâordre financier, manipulation du dollar pour
faciliter lâabsorption de coĂ»t supplĂ©mentaire de pĂ©trole, puis dâordre stratĂ©gique en
favorisant la baisse de consommation, en mĂȘme temps que les dĂ©veloppements des sources
alternatives de production pĂ©troliĂšre et des conditions dâun marchĂ© international qui soient
de nouveau favorable aux multinationales.
Au vu des développements précédents, il nous apparaßt aussi que le contrÎle du secteur
nuclĂ©aire avait aussi Ă©chappĂ© aux Ătats-Unis en 1974 en raison de lâentrĂ©e des pays
europĂ©ens sur le marchĂ© du rĂ©acteur, et celle de lâUnion soviĂ©tique sur le marchĂ©
international de lâenrichissement commercial. En outre, si lâaccĂšs aux armes nuclĂ©aires
dâIsraĂ«l en 1973 nâavait pas Ă©tĂ© une source dâinquiĂ©tude pour les Ătats-Unis, cela avait Ă©tĂ© le
cas de celui de lâInde en 1974. La rĂ©ponse des Ătats-Unis dans ce secteur sera de mettre fin
Ă tout nouvel Ă©change international dans ce domaine. LâIran prĂ©voyait ce changement et
ressentait la nĂ©cessitĂ© de rĂ©aliser son industrie rapidement. Aussi la nuclĂ©arisation de lâInde
et dâIsraĂ«l diminuait lâ
aura
symbolique de la puissance militaire de lâIran. Avec lâincertitude
du futur, il fallait au moins posséder une industrie civile, à la fois pour les nécessités
89
commerciales et pour des raisons symboliques, et Ă©galement pour se doter de savoirs et
dâexpĂ©riences dans ce domaine afin dâopter pour les orientations convenables dans le futur.
LâIran de 1974 Ă©tait alors affectĂ© par une sĂ©rie de changements des politiques
amĂ©ricaines. Certaines de ces politiques, telle lâarrĂȘt de la coopĂ©ration internationale dans le
domaine nuclĂ©aire, ne visaient pas lâIran spĂ©cifiquement mais lâaffectaient tout de mĂȘme.
Dâautres, comme lier la vente dâarmes aux droits de lâhomme en Iran, Ă©taient ciblĂ©es et
visaient Ă mettre la pression sur un ancien client docile qui avait pris les ailes de
lâindĂ©pendance. Dans lâattente de son propre dĂ©veloppement nuclĂ©aire, lâune des options
disponibles pour lâIran, pour sortir de sa posture de faiblesse nuclĂ©aire dans la rĂ©gion, Ă©tait
dâutiliser les voix diplomatiques bi- et multilatĂ©rales pour « dĂ©nuclĂ©ariser » la rĂ©gion. Une
région dépourvue des armes nucléaires garantissait sa position de force.
LâĂ©chec de lâONU pour dĂ©nuclĂ©ariser la rĂ©gion
Un des facteurs dâexplication de la hĂąte du Shah pour la rĂ©alisation dâune industrie
dâĂ©nergie nuclĂ©aire Ă©tait donc la « nuclĂ©arisation » du Moyen-Orient. Il voulait Ă©tablir lâIran
comme superpuissance rĂ©gionale et avait fait acquisition de suffisamment dâarmes
conventionnelles pour mettre en pratique cette stratégie. Le départ des forces britanniques
du golfe Persique en 1971 lui avait fourni lâoccasion attendue. Le contexte semblait
dâautant plus propice que la Doctrine Nixon-Kissinger prĂ©voyait une diminution des
engagements globaux des Ătats-Unis. Cette doctrine prĂ©conisait un engagement direct plus
sĂ©lectif des forces amĂ©ricaines Ă lâĂ©tranger et une dĂ©lĂ©gation croissante du maintien de la
sécurité par les « centres régionaux du pouvoir » qui pouvaient assurer la stabilité
internationale.
DâaprĂšs les thĂ©oriciens gĂ©opolitiques
1
, le coût des activités militaires augmente avec la
distance et les difficultĂ©s logistiques. Les forces militaires des Ătats-Unis Ă©taient Ă lâĂ©poque
dans une position trop Ă©tirĂ©e, surtout Ă cause de la position de faiblesse et de lâusure dans la
guerre du ViĂȘt-nam. Au dĂ©but des annĂ©es 1970, les Ătats-Unis avaient 500 000 soldats au
ViĂȘt-nam et rien quâen 1969, ils en avaient perdu 19 000
1
. OâSullivan maintient que « les
Ătats âpatronsâ peuvent ĂȘtre entrainĂ©s dans les controverses gĂ©opolitiques du fait de la
1
Voir OâSullivan, Patrick,
Geopolitics
, St. Martinâs Press, NY, 1986.
90
vulnĂ©rabilitĂ© de leurs Ătats clients. Dans de telles situations, les Ătats patrons sont aspirĂ©s
dans les conflits géopolitiques en dépit de leurs avantages géopolitiques dus à la distance »
2
.
Dans une position de faiblesse vis-Ă -vis de lâUnion soviĂ©tique au ViĂȘt-nam, les Ătats-Unis ne
pouvaient pas non plus se permettre dâintervenir pour protĂ©ger lâIran contre une Ă©ventuelle
invasion soviétique. La Doctrine Nixon-Kissinger comprenait aussi un transfert croissant
dâarmes conventionnelles vers ces « centres rĂ©gionaux du pouvoir », pour les empĂȘcher de
recourir aux armes nucléaires.
Or, les armes nucléaires avaient déjà fait leur apparition dans la région : Israël avait
montĂ© treize armes nuclĂ©aires pendant la guerre dâOctobre 1973
3
; la CIA a estimé en 1976
quâIsraĂ«l possĂ©dait entre dix et vingt armes nuclĂ©aires prĂȘtes Ă ĂȘtre utilisĂ©es
4
, et dâautres
sources estiment le nombre dâogives nuclĂ©aires israĂ©liennes Ă plus de 200 aujourdâhui
1
;
lâInde venait de signaler sa capacitĂ© nuclĂ©aire militaire avec son explosion de 1974. La
crĂ©ation de lâOrganisation de lâĂnergie Atomique dâIran (OEAI) a eu lieu seulement deux
mois aprĂšs lâessai nuclĂ©aire indien du 18 mai 1974. Ceci laisserait penser que les deux
Ă©vĂ©nements pouvaient ĂȘtre liĂ©s. LâInde avait poursuivi la voie civile pour arriver Ă son arme
nuclĂ©aire, ce qui nâĂ©tait pas lâintention de lâIran, mais les dĂ©veloppements israĂ©liens et
indiens Ă©taient tout de mĂȘme des sujets dâinquiĂ©tude. LâIran, conscient de la signification
de lâarsenal nuclĂ©aire dâIsraĂ«l depuis la guerre israĂ©lo-arabe dâoctobre 1973, Ă©tait le premier
Ătat au Moyen-Orient Ă plaider pour la dĂ©nuclĂ©arisation de la rĂ©gion. Cette position a Ă©tĂ©
réitérée par la République islamique. La dénucléarisation nécessitait le désarmement
nuclĂ©aire dâIsraĂ«l, et lâengagement dâautres pays de ne pas rĂ©introduire les armes nuclĂ©aires
dans la région. Le raisonnement du Shah était que, comme ses forces armées étaient
suffisamment fortes pour imposer une retenue Ă ses voisins, le pays nâavait pas besoin de
lancer un programme de dĂ©veloppement dâarmes nuclĂ©aires.
« Ceci serait non seulement immature et coûteux, mais pourrait aussi avoir un effet
indésirable sur notre programme nucléaire civil. Car cela compliquera le transfert de
technologie nuclĂ©aire dont nous avons besoin [âŠ] Le seul facteur qui pourrait changer
1
SIPRI, informations disponibles sur le site web, 2004.
2
Ibid., p. 5.
3
Karem, Mahmoud,
A Nuclear Weapon-Free Zone in the Middle East: Problems and Prospects
,
Greenwood
Press, NY, 1988, p. 93.
4
New York Times,
16 mars 1976.
91
notre position dramatiquement serait lâacquisition des armes nuclĂ©aires par lâun des
pays de la rĂ©gion. Si cela Ă©tait le cas, nous serions obligĂ©s dâĂ©laborer une nouvelle
politique de dĂ©fense en consĂ©quence [âŠ] Nous ne ferons pas de compromis sur notre
sĂ©curitĂ© qui peut ĂȘtre garantie seulement par la suprĂ©matie militaire dans la rĂ©gion. »
2
Ce qui est Ă©tonnant, câest quâĂ cette date, non prĂ©cisĂ©e dans le compte rendu
dâA. Ătemad, mais qui est nĂ©cessairement aprĂšs 1974, le Shah ne considĂ©rait pas les
dĂ©veloppements israĂ©liens et indiens comme « lâacquisition dâarmes nuclĂ©aires par lâun des
acteurs de la région ». En tout cas, le Shah opte clairement pour le développement de
lâindustrie nuclĂ©aire civile et essaie en mĂȘme temps dâutiliser les voies diplomatiques pour
essayer de faire marche arriÚre sur la nucléarisation de la région.
DĂšs juillet 1974, en mĂȘme temps que la crĂ©ation de lâOEAI, lâIran commence Ă
activement soutenir Ă lâONU lâoption dâune zone dĂ©nuclĂ©arisĂ©e au Moyen-Orient. Ce sujet,
au titre de « lâĂtablissement dâune Zone Non NuclĂ©aire dans la RĂ©gion du Moyen-
Orient »
3
, a fait partie de lâagenda de lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale de lâONU Ă la vingt-neuviĂšme
session. LâIran a dispatchĂ© un mĂ©morandum explicatif, le 15 juillet 1974, dans lequel trois
points ont été présentés :
« 1. LâĂ©tablissement dâune telle zone au Moyen-Orient Ă©tait devenu une nĂ©cessitĂ©
urgente, Ă cause de lâaccĂšs des Ătats Ă la technologie nuclĂ©aire.
2. LâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale Ă©tait lâorgane adaptĂ© pour la discussion dâune telle
proposition.
3. Ă cause de lâambiguĂŻtĂ© gĂ©ographique dans la dĂ©signation de cette rĂ©gion, la
dĂ©signation de la zone doit ĂȘtre laissĂ©e Ă lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale. »
4
Huit jours plus tard, aprĂšs des nĂ©gociations intenses, lâIran convainc lâĂgypte de co-
sponsoriser son initiative Ă lâONU. Ces nĂ©gociations ont donnĂ© lieu Ă un accord bilatĂ©ral
entre les deux pays, et lâintitulĂ© prĂ©cĂ©dent se transforme de « Ătablissement dâune Zone
1
Voir les nombreuses publications de Marcel Duval citées en bibliographie.
2
Le Shah, citĂ© par A. Ătemad, minutes dâun entretien accordĂ© en aoĂ»t 2001 Ă M. Johnsen. Il est
difficile de « tester » ces hypothĂšses avec les dĂ©cideurs militaires iraniens de lâĂ©poque. La quasi-
totalité des acteurs importants ont été exécutés pendant la révolution de 1979. Puis, dans la
plupart des dĂ©cisions importantes telles que celle-ci, le Shah semble ĂȘtre le seul qui les prenait.
3
Establishment of a Nuclear Free Zone in the Region of the Middle East.
4
Karem, Mahmoud,
A Nuclear Weapon-Free Zone in the Middle East: Problems and Prospects
, Greenwood
Press, NY, 1988, p. 92.
92
DĂ©nuclĂ©arisĂ©e » en « Ătablissement dâune Zone Libre des Armes NuclĂ©aires
1
. » Les deux
pays Ă©taient dâaccord sur le principe que leur initiative devait se limiter au danger des
armes nuclĂ©aires sans pour autant les empĂȘcher de bĂ©nĂ©ficier de lâĂ©nergie nuclĂ©aire pour
les utilisations pacifiques. Ils avaient tous les deux lancé des programmes ambitieux
dâĂ©nergie nuclĂ©aire, avec la diffĂ©rence que lâĂgypte nâavait pas encore Ă cette Ă©poque ratifiĂ©e
le TNP. Le texte de lâaccord prĂ©voyait « pour les parties concernĂ©es de proclamer leur
intention de s'abstenir, sur une base de réciprocité, de produire, obtenir, acquérir, ou
possĂ©der des armes nuclĂ©aires [âŠ] et dâaccĂ©der au TNP [âŠ] »
2
.
Le Shah envoie un mĂ©morandum au SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de lâONU, le 17 septembre
1974, pour clarifier sa position :
« LâĂ©nergie atomique reprĂ©sente Ă la fois les meilleures espĂ©rances de lâhomme pour
sa survie et ses plus fortes craintes dâannihilation. Si les gĂ©nĂ©rations Ă venir viennent Ă
bénéficier des fruits de cette technologie, sans subir ses fardeaux, si nous voulons ouvrir
les voies de la paix, nous devons ĂȘtre aussi courageux et imaginatifs pour freiner la
dissĂ©mination des armes nuclĂ©aires, que nous lâavons Ă©tĂ© dans leur crĂ©ation [âŠ] Dans le
contexte politique de notre rĂ©gion ceci pourrait sâentendre plus que comme le simple
engagement dâadversaires dans une course absurde Ă lâarmement. »
Dans cette mĂȘme lettre il aborde les conditions gouvernant la prolifĂ©ration de la
technologie nuclĂ©aire et appelle Ă plus dâattention pour empĂȘcher le retraitement des
matériaux fissiles et une dissémination plus large du savoir-faire nucléaire qui faciliterait
lâacquisition des armes nuclĂ©aires.
LâĂ©mergence dâun climat de comprĂ©hension entre lâIran et lâĂgypte Ă lâissue de la guerre
israĂ©lo-arabe de 1973 avait influencĂ© la position Ă©gyptienne, lâincitant Ă soutenir cette
option. LâhostilitĂ© entre les deux pays sous le rĂ©gime de Nasser sâĂ©tait traduite en
comprĂ©hension mutuelle sous Sadate, dâautant plus que les Ăgyptiens Ă©taient dĂ©sormais
conscients de la force dâIsraĂ«l, surtout de sa force nuclĂ©aire. Pendant la guerre israĂ©lo-arabe
de 1973, la rĂ©gion a Ă©tĂ© au bord dâun Ă©change nuclĂ©aire. IsraĂ«l avait gardĂ© lâalternative
nucléaire comme une option de dernier ressort. Le
Time
a pu alors Ă©crire que treize armes
1
Epstein, William,
The Last Chance: Nuclear Proliferation and Arms Control
,
Free Press, NY, 1976, p. 214.
2
Ibid., p. 214.
93
nuclĂ©aires avaient Ă©tĂ© montĂ©es par IsraĂ«l pendant la guerre dâOctobre 1973 et quâelles y
restaient toujours assemblées
1
. Les Ătats-Unis et lâURSS avaient Ă©tĂ© engagĂ©s dans ce
conflit : une des douzaines de rares occasions dans lâhistoire oĂč les deux superpuissances
ont dĂ©clenchĂ© lâalerte nuclĂ©aire et risquĂ© lâholocauste nuclĂ©aire.
Cette guerre, entre deux parties tierces, sâinsĂ©rait globalement dans le contexte de la
confrontation Est-Ouest. Henry Kissinger aurait assuré Anouar El Sadate, en novembre
1973, que les Ătats Unis ne tolĂ©reraient jamais la victoire des armes soviĂ©tiques sur des
équipements américains
2
. Les Ătats-Unis avaient mobilisĂ© lâensemble de leurs forces
militaires dans le monde. Richard Nixon nâa pas hĂ©sitĂ© Ă faire savoir sa position :
« Notre fourniture aĂ©rienne Ă IsraĂ«l et lâalerte de nos forces, que jâavais commandĂ©e
en 1973, en sachant que ceci pourrait entraßner un embargo pétrolier arabe, démontre
notre engagement Ă la survie dâIsraĂ«l. »
3
Il avait envoyĂ© un tĂ©lĂ©gramme Ă Sadate lâinvitant à « considĂ©rer les consĂ©quences pour
votre pays, si deux superpuissances nucléaires devaient se battre sur votre sol »
4
. Le désir
de lâĂgypte dâacquĂ©rir la technologie nuclĂ©aire est expliquĂ© par la capacitĂ© nuclĂ©aire dâIsraĂ«l
dans la plupart des documents nuclĂ©aires. Pour lâIran de lâĂ©poque, IsraĂ«l nâaurait pas Ă©tĂ©
une menace aussi importante que pour lâĂgypte et que pour lui-mĂȘme sous la RĂ©publique
islamique. MalgrĂ© la critique gĂ©nĂ©rale quâil formulait concernant IsraĂ«l pour favoriser la
cause arabe, le Shah maintenait des relations normales et amicales avec Israël. Dans le
passĂ©, il avait considĂ©rĂ© lâĂgypte de Nasser comme une menace pour la stabilitĂ© rĂ©gionale,
en raison de son soutien aux forces opposées au
statu quo
dans la région. Ses relations avec
lâĂgypte sâĂ©taient beaucoup amĂ©liorĂ©es depuis lâarrivĂ© de Sadate. Mais TĂ©hĂ©ran craignait
quâun retour des Ă©lĂ©ments radicaux en Ăgypte puisse amener ce pays Ă obtenir la capacitĂ©
nuclĂ©aire militaire. Ceci nâĂ©tait pas une menace immĂ©diate pour lâIran mais plutĂŽt pour la
stabilité du Moyen-Orient. Une action des militaires égyptiens contre Israël aurait pu
mobiliser les mouvements révolutionnaires arabes dans la région.
1
Nuclear Weapon-Free Zone in the Middle East
, p. 93.
2
Ibid., « Sadat, In Search of Identity ».
3
Ibid., « Nixon 1980 », p. 93.
4
Ibid.
94
Pendant la trentiĂšme session de lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale en 1975, le BahreĂŻn, la Jordanie, le
KoweĂŻt et la Tunisie ont soutenu lâinitiative irano-Ă©gyptienne pour la crĂ©ation dâune zone
libre dâarmes nuclĂ©aires au Moyen-Orient. Lors de la trente-et-uniĂšme session en 1976, la
mĂȘme rĂ©solution a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e par lâĂgypte, lâIran, et le KoweĂŻt, co-sponsorisĂ©e plus tard
par le BahreĂŻn, la Jordanie, la Mauritanie, le Soudan et les Ămirats arabes unis. La rĂ©solution
a été adoptée en 1976, sous la référence 31/71 avec un vote de 130 pour, zéro contre, et une
seule abstention : IsraĂ«l. La mĂȘme rĂ©solution, en substance, fut prĂ©sentĂ©e en 1977 lors de la
trente-deuxiĂšme session de lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale, par lâĂgypte, lâIran, le BahreĂŻn, le KoweĂŻt,
le Qatar, et le YĂ©men. LâĂgypte a dĂ©clarĂ© lors de cette session que « si IsraĂ«l obtenait des
armes nuclĂ©aires, on ne pourrait pas attendre de lâĂgypte quâelle ne fasse rien, face Ă un tel
développement »
1
. Ă cette Ă©poque la capacitĂ© nuclĂ©aire militaire dâIsraĂ«l Ă©tait bien connue,
mais de par son refus de lâadmettre, et de par le fait quâIsraĂ«l nâavait jamais testĂ© ses armes
nucléaires, son statut était ambigu. Cette résolution fut de nouveau adoptée (résolution
32/82) avec 131 votes contre zĂ©ro et lâabstention dâIsraĂ«l. Avec la visite historique de Sadate
à Jérusalem en 19 novembre 1977, ce qui représentait une reconnaissance
de facto
dâIsraĂ«l,
les relations entre les deux pays sont entrées dans une nouvelle phase.
En 1978, les Nations unies ont convenu de leur premiÚre réunion spéciale sur le
dĂ©sarmement2. La question dâune zone non nuclĂ©aire au Moyen-Orient a Ă©tĂ© traitĂ©e avec
un document final qui proposait :
« Dans lâattente de lâĂ©tablissement dâune telle zone dans la rĂ©gion, les Ătats de la
rĂ©gion doivent dĂ©clarer quâils vont se restreindre Ă fabriquer [âŠ] les engins explosifs
nucléaires ou à permettre le stationnement des armes nucléaires sur leurs territoires par
une partie tierce, et accepter de mettre toutes leurs activités nucléaires sous le contrÎle
de lâAIEA. ConsidĂ©ration doit ĂȘtre donnĂ©e Ă un rĂŽle pour le Conseil de sĂ©curitĂ© dans
lâavancement dâĂ©tablissement dâune zone non nuclĂ©aire au Moyen-Orient. »
3
La référence au TNP avait été évitée pour permettre un compromis avec les pays non
signataires à ce traité. Aussi un rÎle plus important pour le Conseil de sécurité dans la
1
Karem, Mahmoud,
A Nuclear Weapon-Free Zone in the Middle East: Problems and Prospects
,
Greenwood
Press, NY, 1988, p. 100.
2
First Special Session on Disarmament.
3
A Nuclear Weapon-Free Zone in the Middle East,
p. 101.
95
crĂ©ation dâune telle zone Ă©tait-il suggĂ©rĂ©, ce qui a crĂ©e une consternation qui dĂ©montrait
que les deux superpuissances étaient réticentes à une telle association. Les efforts
dâattribution dâun rĂŽle plus actif pour le Conseil de sĂ©curitĂ© Ă©chouent. Rien ne se rĂ©alise Ă
ce sujet jusquâen 1979, au moment oĂč la rĂ©volution iranienne arrĂȘte les efforts de lâIran
pour le soutien dâune zone non nuclĂ©aire aux Nations unies. Le co-sponsor de cette
initiative, lâĂgypte, signe, le 26 mars 1979 un traitĂ© de paix avec IsraĂ«l. LâĂgypte, seule,
optera pour la prĂ©sentation dâune rĂ©solution Ă nouveau en 1980. MalgrĂ© la rhĂ©torique crĂ©Ă©e
par son traité de paix avec Israël, la résolution sera adoptée encore avec 136 votes contre
zĂ©ro et lâabstention dâIsraĂ«l1. Mais comme dans le cas de la plupart des rĂ©solutions de
lâONU aucune action concrĂšte nâa suivi.
Lâindustrie de lâĂ©nergie nuclĂ©aire : quelle utilitĂ© militaire ?
« Si en lançant le programme dâĂ©nergie nuclĂ©aire, le Shah avait des motivations
militaires, il aurait optĂ© pour un programme beaucoup plus petit et moins Ă©laborĂ©. » Câest
le raisonnement principal du prĂ©sident Fondateur de lâOrganisation Iranienne de lâĂ©nergie
Atomique. « Puis, le choix de la technologie dâeau lĂ©gĂšre, plutĂŽt que lâeau lourde, pour
notre programme Ă©tait aussi une indication en soi et la preuve que nous ne voulions pas
profiter des technologies dans notre programme pour maintenir un programme dâarmes
nuclĂ©aires. Un nombre de projets sans ĂȘtre dirigĂ©s vers les applications militaires [âŠ]
tombait nĂ©anmoins dans la catĂ©gorie de ce que lâon appelle âtechnologies sensiblesâ. Je dois
dire que je donnais mon soutien entier Ă ces recherches dâune maniĂšre trĂšs discrĂšte. »
2
LâIran sâĂ©tait prĂ©cipitĂ© pour signer le TNP en juin 1968. Ce traitĂ© interdit le
dĂ©veloppement ou lâacquisition des armes nuclĂ©aires par les pays signataires qui nâen
possĂšdent pas. Signal fort, en tout cas Ă lâĂ©poque, que lâIran nâavait en aucune maniĂšre
lâintention de dĂ©velopper une capacitĂ© nuclĂ©aire militaire. Si les choses ont changĂ© en 1974,
il faut analyser les facteurs responsables de ce changement, sur le plan interne et externe.
DâaprĂšs Akbar Ătemad, le programme iranien en 1974 Ă©tait de nature purement civil. Mais
il devait aussi servir de symbole et fournir au pays lâoption dâacquĂ©rir la capacitĂ© militaire
dans un horizon de dix à vingt ans, si sa survie en dépendait. Cette capacité ne dépendait
1
Résolution 34/77 de 11 décembre 1979.
2
A. Ătemad, compte rendu dâentretien accordĂ© le 16 aoĂ»t 2001 Ă M. Johnsen, p. 130.
96
pas des installations civiles du programme de gĂ©nĂ©ration dâĂ©lectricitĂ©, mais plutĂŽt de la
recherche nuclĂ©aire. Le Dr. Ătemad souligne le fait que
« conduire la recherche, mĂȘme dans le domaine dâexplosifs nuclĂ©aires, ne viole pas
les termes du TNP [âŠ] Bien que les Ătats-Unis et les pays fournisseurs fussent
consternĂ©s au sujet des âintentions rĂ©ellesâ de lâIran, nous nâavions aucun plan pour
fabriquer
des armes nuclĂ©aires [âŠ] Je nâĂ©tais pas intimidĂ© par lâatmosphĂšre de doute et
de suspicion induite par la presse aux Ătats-Unis et ailleurs sur notre programme
nuclĂ©aire [âŠ] ».
1
Le discours dâĂtemad et celui du Shah sur le sujet sont clairs : lâIran ne voulait pas
obtenir dâarmes nuclĂ©aires, mais voulait avoir la capacitĂ© technique et intellectuelle de le
faire si câĂ©tait nĂ©cessaire pour sa survie. LâIran respectait ses engagements internationaux
tels que dĂ©finis par le TraitĂ© de la Non-ProlifĂ©ration â de ne pas dĂ©velopper des armes
nuclĂ©aires â mais tenait bien aussi Ă exercer ses droits autorisĂ©s par ce traitĂ© : dĂ©velopper
une industrie nuclĂ©aire civile Ă lâĂ©chelle et avec les Ă©conomies qui lui convenaient.
Pour faire la part des choses dans ce domaine il suffit de décortiquer le cycle de
combustion nuclĂ©aire, c'est-Ă -dire le processus commençant par le minage de lâuranium
jusqu'Ă la gĂ©nĂ©ration de lâĂ©lectricitĂ©.
1
Ibid., p. 129.
Source
: CEA 2004
97
Ce processus se décline en sept étapes :
1. Exploitation miniĂšre et broyage du minerai dâuranium.
2. Conversion de concentrĂ© chimique de lâuranium en forme gazeuse dâhexafluorure
dâuranium, qui est nĂ©cessaire pour lâĂ©tape suivante :
3. Enrichissement isotopique, qui augmente la proportion de lâuranium-235, le
constituant essentiel du combustible nucléaire1. Il existe trois types
dâenrichissement : diffusion gazeuse, dĂ©veloppĂ©e par lâUrenco, processus de
centrifugeuse, dĂ©veloppĂ©e par lâex-Union soviĂ©tique, et le procĂ©dĂ© AVLIS,
sĂ©paration par laser de vapeur atomique2. Lâenrichissement est lâune des Ă©tapes
sensibles de la non-prolifĂ©ration, car câest ici quâon pourra enrichir lâuranium Ă des
niveaux suffisants pour lâusage militaire â lâutiliser dans une explosion nuclĂ©aire
3
.
4. Fabrication des « Ă©lĂ©ments » de combustible, des bĂątons qui sâinsĂšrent au cĆur du
réacteur un peu comme des piles dans un appareil électrique.
5. Radiation dans le rĂ©acteur, pour la production de lâĂ©nergie.
6. Retraitement des « déchets », aprÚs une période de stockage, pour récupérer
lâuranium rĂ©siduel des Ă©lĂ©ments, ainsi que le plutonium â qui est crĂ©Ă© dans le
rĂ©acteur quand lâisotope U-238 interagit avec des neutrons. Les deux Ă©lĂ©ments sont
encore des sources utiles pour la crĂ©ation dâĂ©nergie â ou bien, Ă lâĂ©tat hautement
concentrĂ©, pour lâutilisation dans des bombes nuclĂ©aires.
1
Il nâexiste quâune seule matiĂšre fissile dans la nature : lâuranium-235. Mais cet isotope de
lâuranium ne reprĂ©sente que 0,7% de lâuranium naturel, le reste Ă©tant des isotopes 238. La
fabrication dâune arme nuclĂ©aire nĂ©cessite soit de lâuranium qui est « enrichi » Ă 80-90%
dâuranium-235 â comme celle dâHiroshima â ou du plutonium-239 â comme celle de Nagasaki.
2
Price, Terence,
Political Electricity: What Future for Nuclear Energy?
, Oxford University Press, Oxford,
1990, p. 41.
3
Pour plus de dĂ©tails voir Duval, Marcel â dans « La prolifĂ©ration des armes de destruction massive :
fantasme ou rĂ©alitĂ© ? », DĂ©fense Nationale, no. 8/9, Paris, 2001. Pour enrichir lâuranium, il existe trois
procĂ©dĂ©s principaux : un traitement « Ă©lectromagnĂ©tique » â discret, mais qui nĂ©cessite une centaine
de trĂšs gros aimants, dits « calutrons » ; la « diffusion gazeuse » â qui nĂ©cessite la construction dâune
usine « dâenrichissement » type de Pierrelatte en France, trĂšs visible par satellite et grosse
consommatrice dâĂ©lectricitĂ©; et enfin par « centrifugation » qui nĂ©cessite des milliers de petites
centrifugeuses, mais assez faciles Ă dissimuler en souterrains et peu consommatrices dâĂ©lectricitĂ©.
98
7. Stockage, pour diminuer la radioactivité au bout de cinquante ans au moins. En
fonction de la mĂ©thode de stockage et de leur disposition, les dĂ©chets peuvent ĂȘtre
rĂ©cupĂ©rĂ©s, sâil y a besoin, et sinon y rester
1
.
Comme le schéma ci-dessus le met en lumiÚre, il y a deux étapes qui sont « sensibles »
dans ce processus : lâenrichissement et le retraitement, parce que lors de chacune de ces
1
Political Electricity
, p. 24.
Exploitation MiniĂšre
Broyage (pour fabriquer le « yellow cake »)
Conversion (pour produire de hexafluorure dâuranium
Enrichissement
Lâuranium Ă©puisĂ©
(U-238)
Lâuranium hautement enrichi
(>50% U-235)
Métal de haute densité
(utilisée pour fabriquer des
munition qui pénÚtrent
lâacier, des charsâŠ)
Uranium utilisable pour lâusage
militaire (explosions atomiques)
Uranium légÚrement enrichi
(3-5% U-235)
utilisable comme fuel de réacteurs
1- diffusion gazeuse
2- centrifuge
3- séparation par laser
Retraitement
(U-238)
utilisable comme
fuel de réacteurs
Mais aussi pour
Lâusage militaire
(U-235)
Plutonium
Irradiation dans réacteur
Pour produire de lâĂ©nergie
Exploitation MiniĂšre
Broyage (pour fabriquer le « yellow cake »)
Conversion (pour produire de hexafluorure dâuranium
Enrichissement
Lâuranium Ă©puisĂ©
(U-238)
Lâuranium hautement enrichi
(>50% U-235)
Métal de haute densité
(utilisée pour fabriquer des
munition qui pénÚtrent
lâacier, des charsâŠ)
Uranium utilisable pour lâusage
militaire (explosions atomiques)
Uranium légÚrement enrichi
(3-5% U-235)
utilisable comme fuel de réacteurs
1- diffusion gazeuse
2- centrifuge
3- séparation par laser
Retraitement
(U-238)
utilisable comme
fuel de réacteurs
Mais aussi pour
Lâusage militaire
(U-235)
Plutonium
Irradiation dans réacteur
Pour produire de lâĂ©nergie
99
Ă©tapes, il est possible dâaccĂ©der Ă des qualitĂ©s dâuranium ou de plutonium qui peuvent ĂȘtre
utilisĂ©es dans des bombes atomiques. Mais ces deux Ă©tapes sont Ă©galement dâune
importance primordiale pour les Ă©conomies dâopĂ©rations des rĂ©acteurs nuclĂ©aires : si le fuel
enrichi utilisé dans les réacteurs est fabriqué et contrÎlé par une partie tierce, ce dernier a
toujours la possibilité de ne pas le fournir, ou imposer le prix qui lui convient. La nation
opĂ©ratrice aura alors perdu sa souverainetĂ© sur la gestion mĂȘme de son industrie. En ce qui
concerne le retraitement, le parallĂšle avec les piles Ă©lectriques peut Ă©clairer lâenjeu : un
utilisateur peut opter pour lâachat des piles jetables, sâil estime que câest Ă©conomiquement
justifiĂ©, ou opter pour les piles rechargeables quâil peut recharger, sâil estime que cette
option est plus Ă©conomique :
« Pendant plus de quatre ans de négociations, je refusais, avec le soutien total du
Shah, de céder la souveraineté de gestion de notre cycle de combustion aux Américains.
Par conséquent nous ne sommes jamais arrivés à une compréhension mutuelle, bien
quâĂ la fin les AmĂ©ricains se soient efforcĂ©s dâaccommoder nos points de vue et souhaits
[âŠ] Quelques mois avant la rĂ©volution le premier projet dâaccord [âŠ] Ă©tait signĂ© au
niveau expert [âŠ] »
1
Jusquâen 1975 lâenrichissement sur un plan commercial Ă©tait conduit par des procĂ©dĂ©s
de diffusion gazeuse. Une usine typique dâenrichissement par diffusion gazeuse couvre une
surface de 30 hectares et utilise environ 2 milliards de litres dâeau en circulation par jour
pour le refroidissement, ainsi que 1 300 MW dâĂ©nergie, nĂ©cessitant souvent son propre
rĂ©acteur atomique pour fournir cette Ă©nergie. Jusque lĂ , les Ătats-Unis et lâUnion soviĂ©tique
Ă©taient les deux fournisseurs dominants de services commerciaux dâenrichissement et la
totalitĂ© de la capacitĂ© amĂ©ricaine Ă©tait vendue Ă lâavance. La technologie dâenrichissement
par centrifuge gazeuse, nĂ©cessitant un dixiĂšme dâĂ©nergie Ă©lectrique par rapport Ă la
technique de diffusion, était encore en cours de développement à cette époque. Les deux
autres technologies aĂ©rodynamiques dâenrichissement, telle que le jet de Becker et le laser,
Ă©taient aussi en cours de dĂ©veloppement dans des pays tels quâIsraĂ«l, lâAfrique du Sud et
les Ătats-Unis
2
.
1
A. Ătemad, entretien accordĂ© en 16 aoĂ»t 2001 Ă M. Johnsen, p. 129.
2
Marwah, Onkar, Sculz, Ann, ed., Nuclear Proliferation and Near-Nuclear Countries, Ballinger,
MA, 1975, p. 187.
100
Un pays, comme lâIran, qui utilise la technologie de rĂ©acteurs Ă eau lĂ©gĂšre (
Light Water
Reactors
, LWR) sera toujours dĂ©pendant du processus dâenrichissement et de fabrication
des éléments de combustible, qui est en soi, un procédé compliqué. En 1975, mis à part les
six puissances nuclĂ©aires, seuls la Belgique, le BrĂ©sil, le Canada, lâAllemagne de lâOuest,
lâItalie, le Japon, les Pays-Bas, et la SuĂšde possĂ©daient des usines commerciales de
fabrication dâĂ©lĂ©ments de combustible, en ajoutant lâArgentine qui possĂ©dait une usine
pilote.
Ces Ă©lĂ©ments doivent ĂȘtre remplacĂ©s avec une frĂ©quence annuelle. Puisque les rĂ©acteurs
opĂšrent sous haute pression (200 psi), il est nĂ©cessaire de les arrĂȘter pour effectuer cette
opération. Interrompre le fonctionnement du réacteur et enlever le couvercle de pression
est une procédure trÚs lourde et facilement vérifiable par les inspecteurs. Ceci est un des
deux autres avantages des réacteurs à eau légÚre : le fait que les matiÚres fissiles à usage
militaire puissent ĂȘtre rĂ©cupĂ©rĂ©es seulement pendant lâarrĂȘt facilement vĂ©rifiable du
rĂ©acteur. Lâautre Ă©tant que, grĂące Ă la durĂ©e longue pendant laquelle les Ă©lĂ©ments de
combustible sont irradiés dans les réacteurs, la majorité du plutonium produit est du Pu-
240 et non pas Pu-239 qui est adaptĂ© pour lâusage militaire
1
.
Lâoption militaire
La capacitĂ© dâune nation Ă poursuivre un programme nuclĂ©aire militaire, mis Ă part
lâaccĂšs aux matiĂšres fissiles (uranium-235 ou plutonium), dĂ©pend aussi de la maĂźtrise des
technologies dâexplosion nuclĂ©aire. Ce nâest pas suffisant dâavoir du plutonium si un pays
nâa pas accĂšs Ă des technologies, assez avancĂ©es, dâusinage et de crĂ©ation dâune explosion
primaire traditionnelle. Le plutonium, ou lâuranium, nĂ©cessaire pour une explosion
pourrait effectivement ĂȘtre obtenu durant les Ă©tapes dâenrichissement et retraitement du
cycle du combustible nuclĂ©aire. Mais si lâopĂ©rateur en question ne dispose pas dâun
programme militaire pour faire le reste (usiner, monter des ogives [âŠ]) ces matiĂšres sont
quasi inutiles, sauf pour la fabrication des bombes sales (
dirty bombs
) que nous verrons
plus loin.
1
Ibid., p. 188.
101
Puis, toujours pour fabriquer une arme de premiĂšre gĂ©nĂ©ration, il faut ĂȘtre capable
dâamorcer la rĂ©action en chaĂźne de cette matiĂšre fissile, et cela de façon instantanĂ©e et non
prématurée, ce qui suppose un certain savoir-faire technologique
1
. Avec les techniques
conventionnelles d'usinage et de production, environ 15-25 kg dâuranium-235 ou 5-10 kg
de plutonium-239 sont nécessaires pour fabriquer une arme nucléaire
2
.
Des réacteurs avec un modérateur de type à « eau lourde » ou de type graphite peuvent
utiliser lâuranium naturel comme combustible, produisant du plutonium dans leurs
« déchets »
3
. Des réacteurs à eau légÚre, comme ceux en cours de construction à Boushehr
(sud de lâIran), utilisent lâuranium lĂ©gĂšrement enrichi comme combustible, ce qui nĂ©cessite
une usine dâenrichissement dâuranium
4
, et met lâIran dans une position de dĂ©pendance
totale vis-Ă -vis dâun fournisseur dâuranium enrichi si le pays nâa pas le droit dâutiliser ses
installations nationales
5
. Une industrie dâĂ©nergie nuclĂ©aire nâest donc pas le point de
passage obligé et la meilleure voie pour obtenir la capacité nucléaire militaire. Il suffit
dâenrichir lâuranium naturel dans une usine dâenrichissement pour convertir lâuranium
naturel Ă plus de 80 % d'uranium-235
6
. Un programme nuclĂ©aire civil nâest donc pas un
préalable obligé pour obtenir la capacité nucléaire militaire. La Chine a obtenu son arme
nuclĂ©aire en 1964, vingt ans avant de sâintĂ©resser sĂ©rieusement Ă la production de lâĂ©nergie
1
Ibid.
2
« De nos jours il est vrai quâon aurait besoin de moins de plutonium pour fabriquer une bombe.
Pour crĂ©er la rĂ©action en chaĂźne nĂ©cessaire, le plutonium doit ĂȘtre trĂšs compressĂ©, notamment
par le biais dâune explosion⊠pour cela les tolĂ©rances de fabrication nĂ©cessaire doivent ĂȘtre assez
exactes (une bulle parfaitement symĂ©trique). Sinon sous la pression extrĂȘme de lâexplosion sa
surface pourrait se déformer, et la pression nécessaire pour une réaction en chaßne (donc une
explosion nuclĂ©aire) ne pourrait pas ĂȘtre atteinte⊠Dans le cas oĂč vous avez accĂšs Ă des
techniques de fabrication pour usiner le plutonium dans la forme dâune sphĂšre parfaite, un kilo
de plutonium pourrait ĂȘtre suffisant pour obtenir le rĂ©sultat souhaitĂ©. Sans cette capacitĂ© de
production des quantitĂ©s plus importantes de plutonium doivent ĂȘtre utilisĂ©es. Dans ce cas
mĂȘme avec une dĂ©formation de la surface et la matiĂšre qui sâĂ©chapperait des cotĂ©s vous pourriez
toujours créer une réaction en chaßne, mais il vous faudra environs 8 kg de plutonium. »
Entretien en 1995 avec un inspecteur nuclĂ©aire amĂ©ricain Ă lâAIEA, Vienne.
3
Câest la NorvĂšge, qui Ă©tait un des rares producteurs dâeau lourde dans le monde, qui avait fourni
la France en 1939, lui permettant de réaliser son programme nucléaire. Elle a aussi vendu, en
1959, vingt tonnes d'eau lourde Ă IsraĂ«l. Une partie aurait Ă©galement Ă©tĂ© dĂ©tournĂ©e vers lâInde,
mais elle nâa interdit lâexportation de lâeau lourde quâen mars 1989. Voir Price, Terence.
Political
Electricity : What Future for Nuclear Energy ?
Oxford University Press, Oxford, 1990, p. 177.
4
Ce qui explique, comme nous allons le voir plus loin, la participation financiĂšre de lâIran Ă lâusine
dâenrichissement dâEurodif en France, pour pouvoir bĂ©nĂ©ficier des services dâenrichissement.
5
Ce point est important, notamment pour la section traitant du contrĂŽle politique du secteur
nuclĂ©aire par les Ătats-Unis.
6
Pour une arme nuclĂ©aire il faut de lâuranium trĂšs enrichi (Ă 93%). Voir Duval, Marcel, « La
prolifération des armes de destruction massive : fantasme ou réalité ? »,
DĂ©fense Nationale
, no. 8/9,
Paris, 2001.
102
nuclĂ©aire en 1984. IsraĂ«l ne possĂšde mĂȘme pas de programme nuclĂ©aire civil pour la
production de lâĂ©lectricitĂ© mais a pu dĂ©velopper un programme nuclĂ©aire militaire
important. Si le Pakistan est devenu une puissance nuclĂ©aire militaire, ce nâest pas grĂące Ă
son rĂ©acteur, mais grĂące Ă son usine d'enrichissement dâuranium quâil a pu fabriquer au
début des années 80
1
. LâInde non plus nâaurait pas pu accĂ©der Ă la bombe atomique sans la
technologie et les installations de retraitement.
Une fois le plutonium ou lâuranium trĂšs enrichi (Ă 93 %) obtenu, et cela dans les
quantitĂ©s appropriĂ©es, il faut usiner ces matiĂšres fissiles, et construire lâ« implosoir ». Ce
« cĆur » et le systĂšme Ă©lectronique de mise Ă feu doivent ĂȘtre englobĂ©s dans une « ogive »
(
warhead
) de façon Ă constituer la « tĂȘte nuclĂ©aire » de lâarme elle-mĂȘme. Enfin, cette ogive
doit ĂȘtre « dĂ©livrĂ©e » par le moyen dâun avion, un missile, voire une torpille ou une mine
terrestre.
Il y a une correspondance entre les armes nucléaires et les armes conventionnelles. Pour
citer quelques exemples de lâutilitĂ© des armes nuclĂ©aires, rappelons que les dĂ©cideurs
américains ont souvent utilisé les menaces nucléaires comme un moyen de promouvoir la
politique amĂ©ricaine. LâAdministration Eisenhower avait mis fin Ă la guerre de CorĂ©e en
menaçant la Chine dâutiliser lâarme nuclĂ©aire au cas oĂč les nĂ©gociations nâauraient pas
avancĂ© assez rapidement. Au dĂ©but des annĂ©es 80, quand la crĂ©dibilitĂ© de lâengagement du
président Carter à défendre le golfe Persique avait été mise en doute, et quand il y avait des
raisons de croire que lâUnion soviĂ©tique prĂ©parait lâinvasion de lâIran, le gouvernement
amĂ©ricain a menacĂ© lâUnion soviĂ©tique dâutiliser des armes nuclĂ©aires en cas dâune invasion
soviétique en Iran
2
.
Aussi les armes traditionnelles deviennent-elles obsolÚtes aprÚs quelques années, ce qui
nâest pas le cas pour les armes nuclĂ©aires. Le coĂ»t de fabrication et la maintenance des
armes nucléaires sont sensiblement moins élevés que ceux des armes conventionnelles.
DâaprĂšs une estimation, mĂȘme si celle-ci date des annĂ©es 90 et que lâon peut imaginer que
les avancées technologiques entre 1970 et 1990 ont baissé le coût de la fabrication, les
1
Price, Terence,
Political Electricity: What Future for Nuclear Energy?,
Oxford University Press, Oxford,
1990, p. 175-176.
2
Blechman, Barry, M, & Hart, Douglas, M., « Dangerous Shortcuts »,
The New Republic,
26 juillet
1980, p. 13-15.
103
installations nécessaires pour un programme nucléaire militaire simple auraient un coût
entre 120 et 300 millions de dollars, ceci depuis le lancement de la recherche jusqu'Ă la
fabrication de la premiĂšre arme de type fission de plutonium dâun rendement dâune
kilotonne. Le coût unitaire des armes suivantes baissera bien sûr de maniÚre significative
1
.
Armes nucléaires
Une bombe nuclĂ©aire est un appareil avec de lâĂ©nergie explosive, laquelle est gĂ©nĂ©rĂ©e par
fission ou par une combinaison de processus de fission et fusion. Les explosions avec de tels
appareils produisent un choc terrestre initial trĂšs destructeur, ainsi que de hautes
températures et une radiation résiduelle qui peut durer longtemps. La production
dâĂ©nergie dans les armes nuclĂ©aires de type fission se fait par la division du
nucleus
(noyau)
dâun atome dâuranium enrichi ou plutonium en deux ou plusieurs parties, en le
bombardant avec des neutrons. Chaque
nucleus
divisĂ© relĂąche de lâĂ©nergie, ainsi que des
neutrons additionnels qui bombardent les
nucleus
voisins, ce qui soutient une réaction en
chaĂźne.
Les bombes de type fission, comme celles utilisées à Hiroshima et Nagasaki, sont les plus
simples Ă fabriquer. Elles peuvent fournir le catalyseur pour des explosions
thermonucléaires plus complexes. Dans de telles armes une explosion de type fission crée
la haute tempĂ©rature nĂ©cessaire pour joindre les isotopes lĂ©gers dâhydrogĂšne, normalement
deutĂ©rium et tritium qui libĂšrent aussi de lâĂ©nergie et des neutrons. La plupart des armes
modernes utilisent le survoltage (
boosting
) pour maintenir un haut rendement dans les
bombes plus petites.
Les armes nuclĂ©aires ne sont pas utiles militairement. Elles peuvent dissuader dâautres
armes nuclĂ©aires et probablement une utilisation massive de force contre les intĂ©rĂȘts vitaux
dâun pays. Elles ne peuvent se substituer aux armes conventionnelles. Elles ne sont pas
crĂ©dibles contre des menaces mineures. Le seul intĂ©rĂȘt militaire des armes nuclĂ©aires est la
dissuasion. Elles nâont aucune utilitĂ© politique. Lâincertitude sur la rĂ©action des autres Ătats,
surtout ceux avec la capacité nucléaire, peuvent seulement limiter des utilisations
potentielles des armes nucléaires. Les armes nucléaires peuvent donc amoindrir les
1
Office of Technology Assessment, US Congress,
Technologies Underlying Weapons of Mass
Destruction
, Government Printing Office, Washington, DC, 1993, p. 155-158.
104
capacitĂ©s conventionnelles qui sont nĂ©cessaires Ă lâIran pour traiter des contingences
actuelles.
Armes radiologiques
Des armes radiologiques utilisent des explosifs conventionnels comme la dynamite pour
disperser les matériaux radioactifs sur des zones assez larges. La conception le plus
commune consiste à mettre du matériel radioactif, en forme de poudre ou gaz autour des
explosifs. La zone couverte dĂ©pend bien sĂ»r de la taille et de la force de lâexplosion. Dans ce
cas, les victimes qui ne sont pas blessĂ©es dans lâexplosion seront exposĂ©es Ă des niveaux
mortels de radiation. La zone demeurera radioactive pendant les années à venir.
Pour lâun ou lâautre type de bombe il y a besoin dâuranium enrichi ou de plutonium qui
peut ĂȘtre obtenu seulement par les procĂ©dĂ©s dâenrichissement ou de retraitement des
dĂ©chets de rĂ©acteurs. LâIran sous la RĂ©publique islamique a fini par renoncer Ă la fois Ă
lâenrichissement et au retraitement dans son cycle combustible civil
1
.
La dimension politique de la capacité nucléaire
Il est difficile dâavoir une certitude totale quant au poids respectif des considĂ©rations de
nature militaire ou politique qui incitent une nation à acquérir la capacité nucléaire : la
sécurité nationale, une position de
leadership
rĂ©gional ou mondial et les conquĂȘtes ou
coercitions militaires Ă©ventuelles. Il existe aussi des raisons de prestige, que ce soit sur le
plan domestique ou international, qui sont plus difficiles Ă qualifier
2
. La force de frappe
nucléaire peut aider un gouvernement à surmonter ses difficultés internes, à posséder un
prestige symbolique, et permettrait d'entretenir une hégémonie politique et une
domination Ă©conomique vis-Ă -vis des voisins plus faibles.
LâIran a eu depuis les annĂ©es 50 une superpuissance nuclĂ©aire Ă sa frontiĂšre nord. Mais
dans le contexte de la guerre froide, la stratĂ©gie nuclĂ©aire de lâUnion soviĂ©tique a Ă©tĂ©
contrainte par la logique de rivalitĂ© avec les Ătats-Unis, ce qui assurait la non-intervention
nuclĂ©aire de lâex-Union soviĂ©tique dans la rĂ©gion. La nuclĂ©arisation des pays pĂ©riphĂ©riques
dans la région a commencé au milieu des années 70, avec le montage des ogives nucléaires
1
Source: Site Web de la Federation of American Scientists.
Nuclear and Biological Weapons
, 2003.
2
Sagan, Scott, D., « Why Do States Build Nuclear Weapons? Three Models in Search of a Bomb »,
International Security 21
, no. 3, hiver 1996-97.
105
par IsraĂ«l en 1973 et lâexplosion nuclĂ©aire de lâInde en 1974. La nuclĂ©arisation de lâInde est
souvent expliquée comme une réaction au développement de cette capacité par la Chine et
sa supĂ©rioritĂ© militaire vis-Ă -vis de lâInde. Avec « lâeffet domino », le Pakistan sâest trouvĂ© Ă
son tour dans une position d'infĂ©rioritĂ© militaire vis-Ă -vis de lâennemi indien, situation dont
la seule issue pouvait ĂȘtre le dĂ©veloppement dâune capacitĂ© nuclĂ©aire propre. Son
expĂ©rience des conflits avec lâInde lui avait montrĂ© quâil ne pouvait pas compter sur ses
liens dâalliance, ni avec les Ătats-Unis ni avec la Chine, pour une protection nuclĂ©aire contre
lâInde
1
.
Ce nâest pas lâutilisation des armes nuclĂ©aires qui peut doter une nation dâavantages
dans un conflit, mais la menace de leur utilisation. Celle-ci peut dissuader lâennemi
dâutiliser des armes non conventionnelles ou bien dâaugmenter lâintensitĂ© dâun conflit. Ă
titre dâexemple, quand en 1984, se propageaient des rumeurs dâune attaque indienne sur
les facilitĂ©s dâenrichissement de Kahuta, le Pakistan a annoncĂ© sa capacitĂ© Ă enrichir
lâuranium Ă un degrĂ© qui le rende utilisable dans les armes nuclĂ©aires. La crise en question
a pu ĂȘtre ainsi rĂ©solue. La crise du Kashmir en 1990 nous offre un autre exemple. Avec
lâinquiĂ©tude que la guerre conventionnelle pouvait dĂ©gĂ©nĂ©rer Ă un niveau nuclĂ©aire, Robert
Gates (conseiller adjoint de la sécurité nationale américaine à cette époque et ancien
directeur de la CIA) avait été envoyé dans la région par le gouvernement américain pour
aider à trouver une solution pour ce conflit. Un conflit régional peut ainsi prendre une
importance internationale et ĂȘtre rĂ©solu. Une autre utilitĂ© politique de cette dĂ©claration du
Pakistan a pu ĂȘtre dâĂ©tablir un lien entre les armes nuclĂ©aires et dâautres types dâarmes non
conventionnelles. Il existe des preuves qui confirment cette hypothĂšse, car dĂšs 1989, aprĂšs
la conférence de Paris sur les armes chimiques, et suite à la proposition de M. Moubarak
pour la crĂ©ation dâune zone libre des armes non conventionnelles, les Ătats arabes ont
essayĂ© de lier lâinterdiction des armes chimiques et biologiques Ă celle des armes
nucléaires
2
.
1
LâIran fournissait des aides financiĂšres Ă lâAfghanistan, au Pakistan et Ă lâInde pour Ă©viter des
difficultĂ©s Ă©conomiques qui auraient pu crĂ©er des instabilitĂ©s dans ces pays dont lâintensification
risquait de nuire Ă lâIran, (voir Cottrell p. 35).
2
LâĂgypte, comme lâIran, a essayĂ© depuis le dĂ©but des annĂ©es 1970 de saisir toute opportunitĂ©
pour avancer lâidĂ©e dâune zone dĂ©nuclĂ©arisĂ©e au Moyen-Orient, pour forcer IsraĂ«l Ă dĂ©monter ses
armes.
106
LâutilitĂ© dâune « couverture » civile
Si un programme civil nâest pas le point de passage obligĂ© pour arriver Ă une capacitĂ©
militaire, comme le cas de la France, de la Chine, et dâIsraĂ«l lâont dĂ©montrĂ©, et si lâIran a
acceptĂ© dâabandonner les deux maillons de la chaĂźne du cycle du combustible nuclĂ©aire oĂč
on peut avoir accÚs a des matiÚres fissiles de qualité militaire, alors pourquoi le programme
civil iranien pose-t-il toujours problĂšme ? Roger Pajak,
National Security Advisor
pour les
affaires soviĂ©tiques et du Moyen-Orient et conseiller de lâ
US Arms Control and Disarmament
Agency
de 1970 Ă 1980, ancien officier dâintelligence militaire, fournit une explication dans
son livre,
Nuclear Prolifération in the Middle East : Implications for the Superpowers
1
:
« IsraĂ«l sert dâexemple dramatique. Son aveu dâun programme militaire amĂšnerait
des Arabes Ă entreprendre des efforts comparables, et ajouterait des problĂšmes
politiques avec les Ătats-Unis [âŠ] du cotĂ© arabe, lâacquisition de cette capacitĂ©
nĂ©cessitera un grand nombre dâexperts et un programme de formation longue [âŠ] »
2
Concernant les dĂ©veloppements de la situation iranienne, Pajak est aussi dâavis que le
programme iranien de lâĂ©poque du Shah ne pouvait servir que de symbole de prestige.
Mais, aprĂšs avoir Ă©cartĂ© la capacitĂ© dâun dĂ©veloppement quelconque par un rĂ©gime
révolutionnaire sans allié, il conclut que « les caprices de la politique du golfe Persique et
les dĂ©veloppements futurs rendent le cours de la politique iranienne vis-Ă -vis de lâoption
nucléaire incertaine »
3
. Programme qui aurait alors besoin dâune couverture civile pour
continuer. Il constate aussi que ce programme aurait besoin de montrer des avancements
pour ne pas perdre de sa légitimité et donner une impression de stagnation et de manque
de sérieux.
1
Pajak, Roger, F.,
Nuclear Proliferation in the Middle East: Implications for the Superpowers
, National
Defense University, Washington DC, 1982.
2
Ibid., p. 27.
3
Ibid., p. 63.
107
Lâessai nuclĂ©aire indien :
prémisse de la fin de la coopération nucléaire
LâInde fut le premier pays Ă utiliser ses rĂ©acteurs civils pour son programme nuclĂ©aire.
LâInde nâavait jamais signĂ© le TNP et avait le droit de dĂ©velopper un programme nuclĂ©aire
militaire. La technologie de retraitement lui avait permis dâisoler du plutonium dans ses
dĂ©chets civils et de procĂ©der Ă un essai nuclĂ©aire le 18 mai 1974. Ă la suite de lâexplosion
indienne, les Ătats-Unis ont radicalement changĂ© les modalitĂ©s des accords bilatĂ©raux pour
les rendre plus restrictifs et y introduire de nouvelles conditions.
« Notre malchance est que nous sommes entrés en négociation bilatérale avec les
Ătats-Unis au moment oĂč ils ont commencĂ© Ă serrer les boulons. MĂȘme si nous avons
eu, pendant ces quatre années, des réunions quasi mensuelles soit à Téhéran, soit chez
eux, aux Ătats-Unis, nous ne sommes pas arrivĂ©s Ă un accord car ils voulaient imposer
des conditions qui nâĂ©taient pas acceptable pour nous. »
1
Lâexplosion indienne a fourni le prĂ©texte pour les Ătats-Unis dâarrĂȘter toute coopĂ©ration
internationale dans le domaine nucléaire. Les recettes de cette coopération échappaient de
plus en plus, comme nous lâavons vu, aux Ătats-Unis. Avec lâentrĂ©e de lâUrenco et de
lâEurodif sur le marchĂ© international de lâenrichissement commercial, les Ătats-Unis avaient
perdu leur position de monopole dans ce marché. Une bonne partie du marché de
rĂ©acteurs leur avait dĂ©jĂ Ă©chappĂ© au profit de la France et lâAllemagne. Le marchĂ© nuclĂ©aire
ne prĂ©sentait plus dâavantage pour les Ătats-Unis. Ils dĂ©cident alors dâutiliser leur position
de force sur les gouvernements des pays fournisseurs pour faire cesser le commerce
international dans ce domaine. Ceci, conjugué aux manipulations financiÚres, création de
sources alternatives, et à la réduction de la consommation énergétique mondiale, permettra
aux Ătats-Unis de reprendre le contrĂŽle du secteur international de lâĂ©nergie, le facteur le
plus important de développement économique.
1
Barnameyeh Energieh Atomieh Iran,
p. 153.
109
5.
LâĂ©nergie nuclĂ©aire en Iran :
une réalisation ardue (1974-1979)
Aujourdâhui lâindustrie internationale de lâĂ©nergie nuclĂ©aire est fortement contrĂŽlĂ©e par
les Ătats-Unis, la plus grande puissance nuclĂ©aire militaire au monde depuis la fin de la
guerre froide. Ă lâĂ©poque du lancement de cette industrie en Iran, ceci nâĂ©tait pas encore le
cas. En rĂ©alitĂ©, en 1974, le lancement de lâindustrie nuclĂ©aire en Iran correspondait aussi
aux prĂ©misses de la fin de lâĂšre de coopĂ©ration internationale dans ce domaine. Pour cette
raison, mais aussi étant donné les difficultés sociopolitiques internes qui ont engendré la
rĂ©volution de 1979, la mise en place de cette industrie sâest avĂ©rĂ©e particuliĂšrement difficile.
Lâabsence de prĂ©paration, de direction et de coordination
Le programme de lâindustrie dâĂ©nergie nuclĂ©aire en Iran a vĂ©ritablement commencĂ©
avec la crĂ©ation de la nouvelle Organisation de lâĂnergie Atomique dâIran (OEAI) grĂące Ă
lâinitiative du Dr. Akbar Ătemad, son prĂ©sident fondateur. AprĂšs l'Ă©chec dâune premiĂšre
tentative de crĂ©ation dâun programme nuclĂ©aire sous la houlette du ministĂšre de l'Ănergie
et de lâEau (MEE) en 1972, le Shah crĂ©ait en mars 1974 lâOrganisation de lâĂnergie
Atomique dâIran (OEAI), une entitĂ© autonome destinĂ©e Ă doter lâIran dâune capacitĂ©
nuclĂ©aire. Jusque-lĂ , les activitĂ©s nuclĂ©aires en Iran se limitaient Ă lâusage dâun petit rĂ©acteur
de recherche Ă lâuniversitĂ© de TĂ©hĂ©ran. Celui-ci avait Ă©tĂ© fourni par les Ătats-Unis dans le
cadre du programme « Atomes pour la Paix ». à cette époque, seules quelques personnes
110
qualifiĂ©es pouvaient faire fonctionner un rĂ©acteur nuclĂ©aire et il nâexistait pas de
programme formel pour une recherche systématique dans ce domaine.
Lâhistoire de la formation supĂ©rieure dâĂtemad illustre bien en soi la difficultĂ© de
contrÎler le transfert de technologies avancées. Ce jeune iranien partit en Suisse pour
poursuivre des Ă©tudes dâingĂ©nieur Ă©lectrique quâil termina Ă lâĂcole Polytechnique de
Lausanne en 1956. AprÚs une courte expérience chez Brown Boveri, il décide de se
spĂ©cialiser dans le domaine nuclĂ©aire Ă lâInstitut des Sciences et Technologies NuclĂ©aires Ă
Paris. En 1958, sa spécialisation terminée, Joliot-Curie, prix Nobel de chimie pour la
synthĂšse de nouveaux Ă©lĂ©ments radioactifs, accepte la direction de sa thĂšse de doctorat quâil
terminera â aprĂšs la mort de Curie â Ă lâUniversitĂ© de Lausanne en 1963. Ce parcours est
pour le moins exceptionnel. Il montre comment, en lâespace dâune dizaine dâannĂ©es, un
jeune iranien, originaire dâune petite ville de province, Hamedaan, devient un expert
mondial dans le domaine nuclĂ©aire. Et il rĂ©alisera lâun des plus importants programmes
nucléaires du tiers-monde pour son pays. Mais représenter la Suisse dans les colloques
internationaux, et non pas son propre pays, Ă©tait pour lui une source de malaise qui
heurtait son patriotisme. Voulant servir sa patrie, il décide donc en 1965, de retourner en
Iran, soit quinze ans aprÚs avoir quitté son pays pour se former en Occident. Les hommes
de la gĂ©nĂ©ration dâĂtemad voyaient dans la modernitĂ© technologique un moyen pour
sortir lâIran de sa position dâinfĂ©rioritĂ© vis-Ă -vis de lâOuest. Ils attribuaient la chute de
lâEmpire ottoman Ă la supĂ©rioritĂ© technologique de lâOccident. Les institutions Ă©tatiques et
lâappareil dâĂtat iranien Ă©taient construits sur le modĂšle europĂ©en, surtout français. La
petite minoritĂ© qui, comme Ătemad, avait la possibilitĂ© de poursuivre des Ă©tudes
supĂ©rieures en Europe â et plus tard aux Ătats-Unis â avait souvent accĂšs Ă des positions
prestigieuses de responsabilité à leur retour dans le pays.
Ătemad revint en Iran au moment oĂč le Shah sâimpatientait de la lenteur avec laquelle
évoluait le projet-phare de l'allié américain, « Atomes pour la Paix ». En effet, le réacteur de
recherche de 5 MW fourni par les Ătats-Unis dans le cadre de ce projet en 1960 nâĂ©tait
toujours pas opĂ©rationnel et il nây avait que quelques personnes qualifiĂ©es pour faire
avancer le projet. Il existait Ă lâĂ©poque une « Commission dâĂnergie Atomique » au sein du
ministĂšre de lâĂconomie, mais le projet nâavançait pas. Ătemad, qui avait Ă©tĂ© engagĂ© au sein
du ministĂšre du Plan Ă son retour, crĂ©a alors un bureau dâĂ©nergie atomique au sein de ce
111
ministĂšre. Câest ainsi que la Commission dâĂnergie Atomique sera dissoute et que le
nouveau Bureau sâengagera dans la recherche et la formation des experts en matiĂšre
nuclĂ©aire. Lâobjectif de ce bureau Ă©tait non seulement de mener la recherche, mais de
former des spĂ©cialistes, dâutiliser la radio isotopie et la radiation dans la recherche nuclĂ©aire,
agroalimentaire et industrielle
1
. Ceci sâinsĂ©rait dans le quatriĂšme plan quinquennal de
dĂ©veloppement du pays. Ă lâĂ©poque il nâĂ©tait pas question dâutiliser la technologie nuclĂ©aire
pour gĂ©nĂ©rer de lâĂ©lectricitĂ©.
En 1967, avec la création du ministÚre des Sciences et de la Formation Supérieure, le
Bureau dâĂnergie Atomique est rattachĂ© Ă ce ministĂšre. Ătemad y est nommĂ© directeur
adjoint scientifique et directeur de recherche. Ătemad assumera en mĂȘme temps la
responsabilitĂ© de prĂ©sident-recteur de lâuniversitĂ© de Bou Ali Sina Ă Hamedaan
2
. Jusquâen
1974, les activitĂ©s nuclĂ©aires en Iran ne connaĂźtront pas dâautres dĂ©veloppements.
En 1974, alors que le Shah vient de dĂ©cider le lancement dâun programme dâĂ©nergie
nuclĂ©aire, Ătemad sera contactĂ© pour prendre la direction de ce projet. Jusquâalors il nâavait
mĂȘme pas rencontrĂ© le Shah. Il demande un dĂ©lai de 48 heures pour donner sa rĂ©ponse. Ă
ce moment lĂ , lâArgentine et lâInde, les deux pays en voie de dĂ©veloppement les plus
avancés dans le domaine nucléaire, avaient eux, déjà développé leurs infrastructures
scientifiques et techniques depuis longtemps. Leurs expériences faites avec des réacteurs de
recherche leur avaient permis une introduction progressive dans la génération de puissance
électronucléaire. Ces deux pays avaient mis plus de vingt ans avant de pouvoir exploiter
leurs premiers réacteurs commerciaux
1
. Pour lâIran, il y avait urgence et le pays ne pouvait
pas se permettre ce rythme de développement progressif. Cette urgence était dictée par
lâaccĂšs dâIsraĂ«l et de lâInde Ă la capacitĂ© nuclĂ©aire militaire, et aussi par la menace
imminente dâune dĂ©cision amĂ©ricaine pour mettre fin au dĂ©veloppement du secteur
nuclĂ©aire dans le tiers-monde. Les Ătats-Unis ne voulaient plus de « nouveaux entrants »
dans une industrie qui ne leur offrait plus aucun bénéfice commercial, mais qui imposait
un coĂ»t considĂ©rable en termes de perte dâune position oligopolistique de la maĂźtrise de la
technologie nucléaire militaire.
1
Ibid., p. 9.
2
Barnameyeh Energieh Atomieh Iran,
p. 6-9.
112
Les mĂ©canismes internationaux pour lâacquisition de la technologie et des matĂ©riels
nuclĂ©aires Ă©taient ainsi sur le point de subir une Ă©volution importante. LâannĂ©e 1974 Ă©tait le
dĂ©but de lâachĂšvement de la pĂ©riode de coopĂ©ration internationale dans le domaine
nucléaire. Comme nous le verrons par la suite, dans les quatre années qui vont suivre,
aucun pays en voie de dĂ©veloppement ne pourra plus faire son entrĂ©e dans ce secteur, et Ă
ce jour, aucun nouveau pays nâa pu lancer une industrie nuclĂ©aire.
LâannĂ©e 1974 sera aussi la premiĂšre annĂ©e oĂč lâIran a pu profiter de la hausse â de
courte durĂ©e â des prix pĂ©troliers et disposer de moyens financiers suffisants pour des
projets de cette envergure. Une industrie nucléaire civile pouvait, en effet, dans une
certaine mesure renouveler le prestige que lâIran, superpuissance rĂ©gionale, avait perdu
Ă©tant donnĂ© lâaccĂšs de lâInde et d'IsraĂ«l â acteurs moins puissants de la rĂ©gion â Ă la
capacitĂ© nuclĂ©aire militaire. Contrairement Ă IsraĂ«l â qui avait dĂ©veloppĂ© son programme
de maniĂšre clandestine â et Ă lâInde, lâIran tenait Ă faire les choses dans la lĂ©galitĂ© et avait
mĂȘme signĂ© le TNP. Le pays sâĂ©tait engagĂ©, ce faisant, Ă ne pas dĂ©velopper dâarmes
nucléaires. Le Shah croyait que ses forces conventionnelles étaient suffisantes pour faire
face aux menaces qui pesaient sur son pays, mais restait toujours la question du prestige.
Câest la raison pour laquelle il estimait, dans son calcul de coĂ»t-bĂ©nĂ©fice, que sa nation
pourrait davantage profiter dâune industrie dâĂ©nergie nuclĂ©aire que des armes nuclĂ©aires. Il
ne voyait donc aucune urgence à développer un programme nucléaire militaire. Cela étant,
il nâĂ©cartait pas la possibilitĂ© de le faire si la survie de son pays en dĂ©pendait.
Si le cas dâĂtemad montre bien que contrĂŽler le transfert de savoir-faire Ă travers des
« individus savants » est quasi impossible, cela donne une idée de la difficulté de cette
tĂąche aprĂšs la chute de lâEmpire soviĂ©tique et la disponibilitĂ© de centaines de scientifiques
sans travail et moyens de subsistance. Ă lâĂ©poque du lancement de cette industrie, lâAIEA
organisait ce type de fourniture dâexperts. Câest Ă ce titre que Quihillalt
1
, un ancien amiral
argentin, devenu « expert » pour lâAIEA, se rend en Iran au moment de la crĂ©ation de
lâOEAI et propose son expertise pour le dĂ©veloppement de lâindustrie nuclĂ©aire iranienne.
Nâoublions pas que le mandat principal de lâAIEA Ă©tait de fournir ce genre de soutien et
1
Poneman, Daniel,
Nuclear Power in the Developing World,
George Allen & Unwin, Londres, 1982,
p. 86.
113
d'aide technique Ă des pays en voie de dĂ©veloppement. Actuellement, lâAgence sâoccupe
principalement du contrÎle de la non-prolifération. Comme Quihillalt connaissait bien
dâautres spĂ©cialistes nuclĂ©aires argentins exilĂ©s, il a pu rĂ©unir une dizaine dâautres
spĂ©cialistes pour aider lâOEAI Ă rĂ©aliser son programme. Câest lĂ un bon exemple de
ressortissants dâun pays en voie de dĂ©veloppement aidant un autre pays en voie de
développement à acquérir des compétences nouvelles en matiÚre de technologie nucléaire.
Et voilĂ prĂ©cisĂ©ment le type de coopĂ©ration que les Ătats-Unis voulaient Ă tout prix arrĂȘter.
Cette expertise Ă©tait un Ă©lĂ©ment dĂ©terminant pour lâavancement rapide du programme
iranien. Câest ainsi notamment que la courbe dâexpĂ©rience des autres pays a pu ĂȘtre divisĂ©e
par cinq dans le cas du développement iranien. Entre ressortissants des pays en voie de
dĂ©veloppement, les liens personnels et affectifs Ă©taient aussi plus forts. Soumis aux mĂȘmes
types de difficultĂ©s et obstacles dans leurs vie â exil, changement de rĂ©gime, pression
internationale, contraintes imposĂ©es par des pays forts [âŠ] â ils se sentaient plus proches.
Ils sâimpliquaient par conviction, et pas seulement par obligation commerciale, ce qui
décuplait leur efficacité.
Mais il faut aussi dire que le phénomÚne des « individus savants » et la difficulté de
déterminer leurs allégeances réelles dans leurs interventions peut avoir des conséquences
dans les deux sens. Un cas trĂšs intĂ©ressant est celui du journaliste Ă©conomique de lâĂ©poque,
devenu patron dâentreprise pĂ©trolier aux Ătats-Unis aujourdâhui, M. Mossavar Rahmani,
qui, comme nous le verrons à la fin de ce chapitre, a joué un rÎle déterminant dans la
remise en cause du nucléaire en Iran.
Dans les quatre annĂ©es de sa gloire, lâOEAI a aussi pu attirer un nombre important de
chercheurs trÚs qualifiés qui retournaient en Iran aprÚs avoir terminé leurs études dans
différents pays étrangers. Ces chercheurs avaient toute qualification nécessaire pour
continuer leurs recherches sur des sujets civils et militaires. Les moyens ne manquaient pas
et ils bĂ©nĂ©ficiaient dâune grande libertĂ© dans leurs recherches. Le but, selon les acteurs de
lâĂ©poque, Ă©tait de faire en sorte que la capacitĂ© intellectuelle interne pour lâutilisation
militaire éventuelle de la technologie nucléaire puisse exister, si besoin était, dans le futur.
1
Ancien chef de la Commission dâĂnergie Atomique dâArgentine, qui avec la prise de pouvoir de
Peron, avait été obligé de quitter son pays.
114
Le manque de direction, dâinfrastructure, de coordination et dâexpĂ©rience
Ainsi, moins de dix ans aprĂšs son retour au pays, Ătemad, jeune fonctionnaire, fera face
Ă une responsabilitĂ© lourde : assumer la direction de lâun des plus ambitieux programmes
nuclĂ©aires au monde. Un dĂ©fi Ă©norme qui nâĂ©tait pas exceptionnel pour les hommes de sa
génération : construire à partir de rien, sans institutions existantes, sans aucune
infrastructure, sans spĂ©cialistes bien formĂ©s ! La rĂ©ponse dâĂtemad sera positive, malgrĂ©
lâabsence totale de direction et dâobjectifs clairs. Ni le Shah ni le Premier ministre Hoveyda
ne lui donneront des objectifs clairs pour le programme. On voulait un programme
dâĂ©nergie nuclĂ©aire, et trĂšs vite ! Le programme nuclĂ©aire de lâIran sera donc esquissĂ© par
Ătemad en urgence. Il sâagissait de rĂ©pondre aux besoins Ă©nergiques du pays, et de
conduire la recherche nuclĂ©aire, appliquĂ©e Ă lâagriculture, la mĂ©decine, la biologie et
lâindustrie. La consommation dâĂ©lectricitĂ© Ă lâĂ©poque nâĂ©tait pas trĂšs importante et il y avait
beaucoup de perte dans le transport de lâĂ©lectricitĂ©. Mais les besoins futurs dâune nation en
cours dâindustrialisation rapide Ă©taient considĂ©rables. Ayant validĂ© ces grandes lignes,
Ătemad demande un dĂ©lai dâun mois pour dĂ©velopper un programme dĂ©taillĂ© pour la
nation.
Lâabsence de rĂ©flexion stratĂ©gique et dâapproche politique Ă ce sujet peut paraĂźtre
Ă©tonnante. Ătemad admet lui-mĂȘme que personne ne lui aura fourni de directives ou
dâobjectifs Ă long terme pour le programme nuclĂ©aire de lâIran. Sâagissait-il dâun
programme purement commercial pour la production dâĂ©lectricitĂ© ? Le Shah et le
gouvernement auraient-ils dâautres objectifs de type militaire ? Il interpellera le Premier
ministre Hoveyda qui sembla, dâaprĂšs Ătemad, ne pas avoir plus de rĂ©ponses Ă ce sujet que
lui-mĂȘme et qui invita Ătemad Ă consulter le Shah directement. Mais il faudra six mois
dâaudiences informelles et de « sensibilisation technique » du Shah avant quâĂtemad puisse
finalement se permettre de lui poser la question du véritable objectif, alors que le
programme était déjà bien lancé. La réponse du Shah sera catégorique :
« [âŠ] aucune des nations qui nous entourent, que ce soit lâAfghanistan, le Pakistan,
les Ămirats du Sud, lâArabie Saoudite, lâIrak, la Turquie, nâatteignent notre puissance
militaire [âŠ] Nous nâavons donc pas besoin dâarmes nuclĂ©aires [âŠ] En ce qui concerne
lâUnion soviĂ©tique, mĂȘme si nous avions deux, trois ou une dizaine de bombes
115
nucléaires, nous ne pourrions pas nous défendre contre elle. Des armes nucléaires
nâauraient aucun avantage pour nous et pourraient au contraire perturber notre
programme commercial [âŠ] mais cet Ă©quilibre pourrait changer dans dix ou quinze
ans. »
1
Face Ă lâurgence il nâĂ©tait pas question non plus de faire des Ă©tudes de marchĂ© ou de
faisabilitĂ© : Ătemad utilise donc les donnĂ©es existantes du ministĂšre du Plan et du bureau
du Premier ministre ainsi que dâautres ressources gouvernementales pour Ă©laborer ses
plans et scĂ©narios. DâaprĂšs lui, le Premier ministre et lâensemble du gouvernement nâont eu
aucun rÎle dans la définition du programme nucléaire. Dans les discussions de départ sur
les objectifs et enjeux de cette industrie, Hoveyda semble avoir été dépassé ou avoir voulu
se dĂ©sengager de ce programme. « Il me semblait trĂšs bizarre », souligne Ătemad, « que le
chef du gouvernement nâait aucune influence sur un programme si important [âŠ] pendant
le mois ou jâĂ©laborais le programme nuclĂ©aire du pays, Hoveyda aurait pu organiser un
dĂ©bat au sein du gouvernement [âŠ] mais il ne sây est mĂȘme pas intĂ©ressĂ©, comme si ce
programme appartenait Ă un autre pays et que son dĂ©veloppement dĂ©pendait dâun autre
Ătat »
1
. Le gouvernement aurait aussi ignoré la directive du Shah pour faire le point sur ce
programme et les besoins de coordination. Seul le ministĂšre de lâĂnergie aurait pris contact
avec une firme américaine pour faire une étude autour de ce sujet, ce qui ne se réalisera
jamais. Câest Hoveyda lui-mĂȘme qui suggĂ©ra au Shah quâĂtemad soit nommĂ© Adjoint au
Premier ministre, en le convaincant que cette nomination donnerait un coup de pouce au
programme nucléaire. Pour un chercheur scientifique de 44 ans, sans aucune formation
politique et administrative, le parcours et lâascension Ă©taient exceptionnels ! Avec
seulement neuf ans dâexpĂ©rience dans lâappareil administratif dâĂtat, il devenait non
seulement Adjoint au Premier ministre, mais responsable du programme nucléaire de
lâIran.
Aucun ministĂšre, ou pouvoir public, ni le Premier ministre ne sâoccupaient du
fonctionnement de lâOEAI, pas mĂȘme pour coordonner les activitĂ©s de celui-ci avec
dâautres organes gouvernementaux. Seul le Shah semble avoir portĂ© un intĂ©rĂȘt rĂ©el au sort
de cette organisation, ses activitĂ©s et ses dirigeants. Ce manque dâintĂ©rĂȘt manifeste semblait
1
Barnameyeh Energieh Atomieh Iran,
p. 62.
116
Ă©trange, mĂȘme Ă Ătemad lui-mĂȘme qui se plaint du fait quâaucun ministre ne lui ait jamais
demandĂ© quoi que ce soit sur les activitĂ©s de son organisation. Il nây avait quasiment aucun
contrÎle : « je me sentais dans un vide total, sans gravité, fallait-il que je sois mon propre
contrĂŽleur, juge, et parti ? [âŠ] pour Ă©valuer les consĂ©quences sociales et Ă©conomiques de
nos activités? »
2
La signification des propos dâĂtemad est importante : il nây avait pas de mĂ©canisme de
consultation ni de coordination. Le Shah avait un poids trop important et un style trop
autocratique, ce qui avait pour consĂ©quence lâabsence de mĂ©canisme de participation et de
contre-pouvoir dans les affaires dâĂtat. Il semble quâautour de lui il nây ait eu personnes
avec qui il ait pu confronter ses opinions et examiner la conséquence de ses décisions. Pas
de relais pour prendre le pouls de lâopinion, pas de mĂ©canisme pour intĂ©grer les sentiments
du public dans sa politique. CâĂ©tait un vĂ©ritable style autocratique avec ses avantages et ses
faiblesses. Le dĂ©savantage majeur Ă©tait lâisolement total de lâOEAI, ce qui affectera la
rĂ©alisation du programme tant Ă lâintĂ©rieur quâĂ lâĂ©tranger. Deux exemples â que nous
verrons en dĂ©tail plus tard â illustreront ceci : dâune part les lignes dâĂ©lectricitĂ© censĂ©es
transporter lâĂ©nergie des centrales vers les rĂ©seaux nationaux ne seront pas prĂȘtes, dâautre
part, dans les nĂ©gociations diplomatiques importantes Ă lâĂ©tranger lâOEAI ne sera pas
épaulée par les diplomates du ministÚre des Affaires étrangÚres.
Pendant le mandat du Premier ministre Hoveyda, le gouvernement se concertera Ă
seulement trois reprises avec Ătemad, lâAdjoint au Premier ministre. La premiĂšre fois, lors
dâune rĂ©union avec toutes les grandes institutions Ă©tatiques, pour leurs demander dâutiliser
le personnel iranien dans la mesure du possible. La deuxiĂšme, Ă lâĂ©poque oĂč le
gouvernement commençait Ă ressentir lâeffet de la baisse de recettes pĂ©troliĂšres, concernera
lâengagement de lâOEAI de ralentir le rythme des dĂ©veloppements pour dĂ©gager des
Ă©conomies Ă court terme. Mais dâaprĂšs Ătemad, le Shah imposera son veto et dĂ©cidera que
les projets nucléaires devront se compléter sans tarder
3
. La troisiĂšme concertation aura lieu
lors dâun dĂ©jeuner avec le ministre du budget Houchang Ansary et le ministre du Plan
Abdol-Majid Majidi, Ă propos des barĂšmes des salaires â selon lui trop Ă©levĂ©s â de
1
Ibid., p. 17.
2
Ibid., p. 104-105.
3
Ibid., p. 113.
117
lâorganisation. Ătemad ne trouve pas cette attitude du gouvernement trĂšs constructive et
lâattribue au fait que la conception de tout responsable Ă©tait que « le Shah savait ce quâil
faisait »
1
, et quâil nâĂ©tait pas question de remettre ses dĂ©cisions en cause, ou dâen dĂ©battre.
Par ce fait, lâOEAI avait aussi une indĂ©pendance totale dans ces nĂ©gociations et nâĂ©tait
pas Ă©paulĂ©e par dâautres ministĂšres tels que celui des Affaires Ă©trangĂšres dans les
nĂ©gociations bilatĂ©rales avec des pays comme les Ătats-Unis :
« Nous Ă©tions complĂštement autonomes dans les nĂ©gociations [âŠ] de maniĂšre
générale aprÚs avoir conclu des accords en forme finale, nous les transmettions au
ministre des Affaires Ă©trangĂšres pour quâil les signe et si nĂ©cessaire, nous les passions au
Majlés
. Mais il nây avait pas de reprĂ©sentants des Affaires Ă©trangĂšres dans les
réunions. »
2
Dans le cas de négociations avec la France par exemple, des représentants des ministres
français des Affaires Ă©trangĂšres, de lâIndustrie et Technologie, et du Commissariat de
lâĂnergie Atomique, collaboraient ensemble au nom de la France, tandis que du cotĂ©
iranien lâOEAI marchait seule.
Le Shah semble mĂȘme ne pas avoir eu une vĂ©ritable confiance dans son gouvernement
pour penser que lâapport des autres entitĂ©s pourrait ĂȘtre un avantage dans les affaires
nuclĂ©aires. DâaprĂšs Ătemad, « lâinquiĂ©tude principale du Shah Ă©tait que le gouvernement
trouve le moyen de perturber les activitĂ©s de lâOEAI »
3
. Une coordination minimale ne
semble mĂȘme pas avoir eu lieu grĂące aux deux organes de contrĂŽle de lâOEAI. Ces organes
comprenaient le ComitĂ© dâĂnergie Atomique, constituĂ© du prĂ©sident de lâOEAI, du
ministre des Finances, du ministre du Plan et Budget, et du ministre de lâĂnergie, et le
Comité Exécutif (
Shoraye Ali)
dâĂnergie Atomique prĂ©sidĂ© par le Premier ministre qui
comprenait « certains ministres et des personnes dâinfluence sur les affaires dâĂtat [âŠ] »
4
.
Bien que lâOEAI ait eu un budget important (de 30,8 millions de dollars en 1975 Ă plus
de $1 milliard en 1976
5
), lâIran nâavait pas l'infrastructure nĂ©cessaire pour lâexploitation de
1
Ibid., p. 117.
2
Ibid., p. 155.
3
Ibid., p. 18.
4
Ibid.
5
United States Energy Research and Development Administration, «
Iran: atomic energy program
»,
octobre 1976, p. 3.
118
l'Ă©nergie nuclĂ©aire, pas mĂȘme un rĂ©seau national dâĂ©lectricitĂ©. Pas plus tard quâen 1970, la
Banque Mondiale avait fait un prĂȘt de 60 millions de dollars Ă lâIran pour lâexpansion de
réseaux électriques pour les alentours de Téhéran
1
. Une autre implication de ce manque de
coordination Ă©tait que lâoffre de lâindustrie nationale Ă©tait infĂ©rieure Ă la demande pour des
matériaux et piÚces utilisés pour la construction des centrales. Toutes ces incohérences
seront utilisées par la suite par le mouvement contestataire pour discréditer le programme
de lâĂ©nergie nuclĂ©aire de lâIran.
La signature de contrats dans des conditions de faiblesse croissante
Quelques mois aprĂšs sa crĂ©ation, lâOEAI contacte tous les « grands fabricants »
dâuranium dans le monde. Aucun de ces fournisseurs nâa voulu vendre dâuranium Ă lâIran.
Toute la production mondiale Ă©tait Ă lâĂ©poque prĂ©-vendue pour les annĂ©es Ă venir. En effet,
la pratique de lâĂ©poque consistait Ă conclure des accords de longue durĂ©e avec les
fournisseurs et Ă passer des commandes pour lâuranium quelques annĂ©es Ă lâavance. Avec
lâadoption de lâĂ©nergie nuclĂ©aire par tant de pays dans le monde, la demande mondiale
Ă©tait trĂšs importante et il en rĂ©sultait une vĂ©ritable pĂ©nurie de lâuranium.
Le premier fournisseur de lâIran sera la Namibie â Ă lâĂ©poque sous le protectorat de
lâAfrique du Sud. La compagnie miniĂšre Rio Tinto Zinc (RTZ) dĂ©tenait la majoritĂ© des parts
dans cette exploitation miniĂšre. LâOEAI obtient des actions de RTZ lui donnant droit Ă une
part de cette exploitation. Lâorganisation prendra Ă©galement une participation dans la
sociĂ©tĂ© allemande Uran Gesellschaft, qui explorait les nouvelles mines dâuranium dans le
monde. Les nĂ©gociations avec le Niger et le Gabon, elles, Ă©taient infructueuses, dâaprĂšs
Ătemad, en raison du rĂŽle « nĂ©gatif » jouĂ©e par la France qui, dâaprĂšs lui, voulait avoir le
contrĂŽle exclusif de ces ressources pour les revendre elle-mĂȘme Ă des parties tierces comme
lâIran. Ă lâĂ©poque ceci Ă©tait inacceptable pour lâOEAI qui ne voulait pas perdre son
indĂ©pendance dans le cycle de combustion. La solution idĂ©ale pour lâOEAI Ă©tait dâexplorer
de lâuranium dans le pays mĂȘme. La moitiĂ© du pays Ă©tait ainsi survolĂ© par des avions
Ă©quipĂ©s avec des appareils de radiomĂ©trie et de gravimĂ©trie et câest ainsi que les ressources
1
Marwah, Onkar, Sculz, Ann, ed.,
Nuclear Proliferation and Near-Nuclear Countries,
Ballinger, MA, 1975,
p. 186.
119
dâuranium ont Ă©tĂ© identifiĂ©es. Mais lâOEAI nâaura pas suffisamment de temps pour
exploiter les ressources miniÚres internes avant la révolution de 1979.
Dans les pratiques courantes de lâenrichissement de cette Ă©poque, lâutilisateur de
lâuranium enrichi fournissait le minerai dâuranium Ă son fournisseur dâenrichissement et
rĂ©cupĂ©rait lâuranium enrichi. Ă lâĂ©poque, seuls les Ătats-Unis, lâUnion soviĂ©tique et la
France possĂ©daient des usines dâenrichissement dâuranium et seuls les Ătats-Unis â et dans
une moindre mesure lâUnion soviĂ©tique â commercialisaient ces services. Avec la
demande importante des services dâenrichissement de lâĂ©poque et son investissement fort
dans lâĂ©nergie nuclĂ©aire, la France forme Ă ce mĂȘme moment le consortium international
Eurodif avec la participation minoritaire de lâItalie, de lâEspagne et de la Belgique, pour
fabriquer la plus grande usine dâenrichissement dâuranium au monde
1
. Câest une
installation immense qui nécessite pour sa propre consommation quatre réacteurs de
900 MW â deux fois plus que la capacitĂ© nuclĂ©aire prĂ©vue Ă lâĂ©poque pour la
consommation nationale en Iran.
En mai 1974, lâIran a ratifiĂ© un accord prĂ©liminaire avec la France pour lâachat de cinq
rĂ©acteurs de 1 000 MW, pendant une visite du Shah et dâĂtemad Ă Paris. Cet accord de
5 milliards de dollars comprenait lâapprovisionnement de lâuranium, des Ă©quipements
industriels,
pipelines
de gaz et un centre de recherche nucléaire
2
. En mĂȘme temps un
accord bilatĂ©ral de coopĂ©ration pour les usages civils de lâĂ©nergie atomique Ă©tait signĂ© par
les ministres des Affaires Ă©trangĂšres, Abbas Ali Khalatbari et Jean Sauvagnargues.
Avec les complications internationales liĂ©es Ă lâacquisition des services dâenrichissement
â ce que nous verrons plus loin en dĂ©tail â lâIran ne pourra pas acheter des services
dâenrichissement aux Ătats-Unis, car les deux pays ne parviendront jamais Ă conclure les
accords bilatĂ©raux nĂ©cessaires Ă cette coopĂ©ration. Lâusine française Eurodif, elle, Ă©tait
encore en construction et â comme nous le verrons plus bas â le fournisseur allemand
des rĂ©acteurs vendra ceux-ci Ă lâIran accompagnĂ©s des services dâenrichissement nĂ©cessaires
pour une durĂ©e de dix ans â ce quâelle-mĂȘme allait sous-traiter Ă lâUnion soviĂ©tique. Pour
Ă©chapper Ă cette dĂ©pendance et aux risques quâelle reprĂ©sentait, lâOEAI dĂ©cide de participer
1
Cette usine sera opérationnelle dÚs 1980, fournissant les pays du monde y compris le Japon avec
des services dâenrichissement.
2
Keyhan Internationale
, 29 juin 1974, p. 1.
120
elle-mĂȘme au capital dâEurodif. Lors du voyage de Jacques Chirac en Iran en 1975, le Shah
sâengage Ă fournir Ă la France un « prĂȘt » dâun milliard de dollars pour participer au capital
dâEurodif. Les dĂ©tails de cet accord seront dĂ©finis par Ătemad, ainsi que par Ansary, le
ministre de lâĂconomie et des Finances, et approuvĂ©s par le Premier ministre Hoveyda et
Jacques Chirac.
Ces accords donneront lieu à la création de deux sociétés de droit français, la Sofidif et la
Coredif. LâIran avait une participation de 40 % dans le capital de la premiĂšre et 20 % dans
le capital de la seconde, la France détenant le reste. La société Sofidif détenait 25 % du
capital dâEurodif, et par la mĂȘme, lâIran dĂ©tenait indirectement (40 % x 25 %), 10 % du
capital dâEurodif ce qui lui donnait droit Ă 10 % de la capacitĂ© dâenrichissement annuelle
dâEurodif. La raison de ce montage compliquĂ© Ă©tait pour la France de garder sa position
dâactionnaire majoritaire au sein dâEurodif. Cela donnait le droit Ă Ătemad de siĂ©ger au sein
des conseils de Sofidif et dâEurodif
1
, et lâIran acquĂ©rait un droit dâutiliser 10 % de la
capacitĂ© annuelle dâenrichissement de lâuranium de lâEurodif
2
. Eurodif sera la premiĂšre
usine commerciale dâenrichissement dâuranium dans le monde en dehors des Ătats-Unis et
de lâUnion soviĂ©tique. LâIran a aussi signĂ© un accord avec les Ătats-Unis, en novembre
1974, exprimant son intĂ©rĂȘt pour participer aussi au capital dâune usine commerciale
dâenrichissement dâuranium qui devait ĂȘtre fabriquĂ©e aux Ătats-Unis.
Ce premier investissement en capacitĂ© dâenrichissement nâest pas neutre. Comme le
schéma du cycle du combustible nucléaire dans le chapitre précédent le démontre, les
Ă©tapes dâenrichissement et de retraitement sont les deux maillons de la chaĂźne pouvant
1
Barnameyeh Energieh Atomieh Iran
, p. 49-51.
2
TIAS 7967,
Iran-Cooperation
- 2 novembre 1974.
CEA
TotalFinaElf
ERAP Caisses des d Ă©pĂŽts
et consignations
| 74.7% | 14.5% | 7.6% | 3.2%
| | | |
COGEMA
OEAI
ENUSA
Synatom
Enea
(France) (Iran) (Espagne) (Belgique) (Italie)
44.653% | 60%
| 40% 11.11% 11.11% 8.12%
| | |
| | |
|
| | |
| | | | |
| SOFIDIF | |
|
| | 25% | | |
| | | | |
EURODIF SA
Source: CEA, 22 mai 2001.
|
CEA
TotalFinaElf
ERAP Caisses des d Ă©pĂŽts
et consignations
| 74.7% | 14.5% | 7.6% | 3.2%
| | | |
COGEMA
OEAI
ENUSA
Synatom
Enea
(France) (Iran) (Espagne) (Belgique) (Italie)
44.653% | 60%
| 40% 11.11% 11.11% 8.12%
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| SOFIDIF | |
|
| | 25% | | |
| | | | |
EURODIF SA
Source: CEA, 22 mai 2001.
|
121
produire du plutonium et de lâuranium de qualitĂ© militaire. Les Ătats-Unis ont mis, dĂšs
1974, des mesures puissantes en place pour barrer lâaccĂšs des pays en voie de
dĂ©veloppement Ă des technologies dâenrichissement et de retraitement
1
, ceci non
seulement par crainte â ou sous le prĂ©texte â que ces technologies soient utilisĂ©es Ă des
fins militaires, mais aussi parce que jusque-lĂ les Ătats-Unis avaient le monopole
commercial de ces services dans le monde, ce qui nâallait plus ĂȘtre le cas avec lâentrĂ©e de
lâEurope et de lâUnion soviĂ©tique sur le marchĂ© international
2
. La participation de lâIran
dans Eurodif Ă©tait censĂ©e contourner le risque que les Ătats-Unis bloquent lâaccĂšs aux
services dâenrichissement.
« [âŠ] Il y avait seulement trois pays sĂ©rieux avec qui on pouvait travailler »
souligne
Ătemad
« : la France, l'Allemagne, les Ătats-Unis, c'est tout â nous nâavions jamais
considĂ©rĂ© lâUnion soviĂ©tique comme un partenaire technologique viable, en tout cas pas
pour construire des centrales nucléaires, mais nous pouvions y acheter des matériels et
des piĂšces. LâAngleterre non plus dâailleurs car leur technologie ne nous intĂ©ressait pas,
et le monde sâaccorde maintenant Ă considĂ©rer que c'est une technologie obsolĂšte. Par
contre nous avions passĂ© un accord avec lâUnited Kingdom Nuclear Energy Authority
pour la formation des cadres et la sûreté. Il y avait donc quatre entreprises avec qui on
pouvait traiter : Framatome (France), Siemens/Kraftwerk Union (Allemagne),
Westinghouse et General Electric (USA). Comme le gouvernement américain faisait
traßner les accords nécessaires pour travailler avec les entreprises américaines, nos seuls
choix Ă©taient la France et lâAllemagne. Nous avons dĂ©cidĂ© de travailler avec les deux,
pour ne pas ĂȘtre dĂ©pendants dâun seul fournisseur. »
3
En juillet 1974, Ă peine quatre mois aprĂšs la crĂ©ation de lâOEAI, lâIran avait fait dâabord
un prĂȘt dâun milliard de dollars au gouvernement français
4
â suivi dâun second prĂȘt de
1
LâIran avait aussi signĂ© un accord avec les Ătats-Unis, en novembre 1974, exprimant son intĂ©rĂȘt
dans la participation Ă une usine commerciale dâenrichissement dâuranium qui devait ĂȘtre
fabriquĂ©e aux Ătats-Unis. (TIAS 7967, Iran-Cooperation - 2 novembre 1974). Mais ces accords
formels doivent ĂȘtre examinĂ©s avec attention car câest en rĂ©alitĂ© lâOEAI qui dĂ©cidait des
partenariats dans ce domaine. La commission économique mixte irano-américaine a pris un
certain nombre de bonnes rĂ©solutions dans ce domaine qui nâont jamais Ă©tĂ© appliquĂ©es.
2
Ces points seront développés en détail dans les sections suivantes.
3
Entretien avec Dr. Akbar Ătemad, Paris, 1992.
4
DâaprĂšs
Le Monde Diplomatique
dâavril 1992, au CEA, pour participer au capital de lâusine
dâenrichissement dâuranium, Eurodif (un consortium entre la France, la Belgique et lâItalie) en
France. Mais le
Keyhan International
du 30 juillet 1974 présente une version différente de cette
122
350 millions de francs â ceux-ci Ă©tant « censĂ©s faciliter la coopĂ©ration entre les deux pays
dans le domaine nucléaire »
1
. Le gouvernement britannique avait lui aussi reçu un prĂȘt
dâun milliard de dollars du gouvernement iranien. Du cotĂ© français, ce prĂȘt Ă©tait consacrĂ© Ă
la coopĂ©ration nuclĂ©aire. Il faut dire que lâaugmentation des prix pĂ©troliers par lâOPEP en
1974 avait mis une pression considérable sur les économies des pays industrialisés et fait
peser une tension sur les relations irano-amĂ©ricaines. Le Shah, qui avait optĂ© pour lâalliance
avec lâEurope, voulait faciliter lâabsorption de ce choc pour ces alliĂ©s EuropĂ©ens, surtout les
deux
leaders
politiques, la France et le Royaume-Uni.
LâOEAI avait aussi nĂ©gociĂ© un contrat de 10 milliards de francs avec Framatome pour
construire deux réacteurs de 900 MW à Ahvaz. Ces réacteurs devaient entrer en fonction
en 1982-1983 â dans lâaccord de 1974 le coĂ»t des cinq rĂ©acteurs de 1 000 MW Ă©tait
annoncé à 1,2 milliards de dollars dans la presse, mais le prix des deux réacteurs de
900 MW, dâaprĂšs la presse, Ă©tait montĂ© Ă 1,2 milliards de dollars en 1976
2
. Les contrats des
centrales françaises â par opposition aux centrales allemandes â allaient prendre
beaucoup de temps pour se finaliser.
M. Majid Majidi, ministre iranien du Plan en 1974, raconte :
« Le gouvernement du Shah avait dĂ©cidĂ© en 74 dâaider les gouvernements français et
anglais pour amortir les répercussions du choc pétrolier. Donc 1 milliard de dollars avait
Ă©tĂ© versĂ© Ă la Banque dâAngleterre (environ 500 millions de dollars pour le
Water
Authority
et 500 millions de dollars pour
lâElectricity Authority
et 1 milliard de dollars Ă
la Banque de France, sommes qui étaient consacrés à l'Eurodif. Le prix du baril avait
augmenté une premiÚre fois au début de 1973 et une deuxiÚme fois vers la fin de 73.
Nous avions seulement touchĂ© les bĂ©nĂ©fices en 74, et ces deux prĂȘts avaient Ă©tĂ© accordĂ©s
Ă la France et Ă lâAngleterre Ă la fin de 74 pour la collaboration Ă©conomique. Les
gouvernements français et anglais étaient tellement inquiets de la répercussion de ces
augmentations sur leur monnaie et leur balance des paiements, qu'ils nous ont demandé
une aide afin de pouvoir les payer. Ceci avait pour but d'une part d'aider la Banque de
histoire, prĂ©tendant que ce prĂȘt Ă©tait fait Ă la Banque de France, comme paiement pour des
réacteurs, sur trois ans au taux commercial en vigueur.
1
TIAS 7967,
Iran-Cooperation
- 2 novembre 1974.
2
Washington Post
, 26 mai 1976.
123
France, pour ses sorties de devises fortes en vue de l'achat du pĂ©trole, et dâautre part de
participer Ă la construction d'Eurodif. Ă long terme, lâIran ayant une part dans ce
marchĂ© dâenrichissement, dans le but de devenir un client de ce produit, sâĂ©tait pris au
jeu dans ce marchĂ© trĂšs sensible [âŠ] »
1
En juin 1975, des lettres dâintention de 7,8 milliards de DM pour deux centrales
nucléaires, ont été signées avec Kraftwerk Union de la RFA pour la construction de deux
rĂ©acteurs de 1 240 MW Ă Boushehr. Ăpousant la mĂȘme dĂ©marche que dans le cas de la
France et du Royaume-Uni, ces centrales ont Ă©tĂ© payĂ©es Ă lâavance pour assurer le
commencement immédiat des travaux. Les deux réacteurs de Boushehr devaient respec-
tivement entrer en fonction en 1980 et 1981. Les travaux des réacteurs allemands démarrés
dĂšs aoĂ»t 1975 sur une simple lettre dâintention et avant mĂȘme la signature des contrats
dĂ©finitifs ont Ă©tĂ© signĂ©s seulement lâĂ©tĂ© suivant
2
. Les Allemands, qui avaient pu conclure
leurs contrats avant le début des difficultés fiscales en Iran, obtinrent des termes de
financement en espĂšces
3
. Câest seulement au cours de cette annĂ©e que le gouvernement
allemand cĂ©dera finalement aux pressions des Ătats-Unis et signera le TNP. La RFA
participait aussi, avec la France, le Royaume-Uni et les autres pays fournisseurs nucléaires,
au « Club de Londres » â un club secret qui venait dâĂȘtre Ă©tabli par les AmĂ©ricains pour
contrÎler les explorateurs nucléaires et mettre fin à leurs ventes aux pays en voie de
développement.
Les contrats pour les centrales françaises ne seront signĂ©s quâen octobre 1976.
Contrairement aux projets allemands rapidement réalisés, les projets français ne
dĂ©marrĂšrent quâen juillet 1977
4
. Ă cette Ă©poque, lâĂ©nergie nuclĂ©aire Ă©tait dĂ©jĂ sujette aux
critiques de la sociĂ©tĂ© civile iranienne. Une des raisons de ce retard semble ĂȘtre lâisolement
de lâOEAI. Ătemad maintint que les Français exerçaient des « pressions » pour conclure les
contrats de vente des rĂ©acteurs aussi rapidement que possible. DâaprĂšs lui, « câĂ©tait
prĂ©maturĂ© et lâOEAI ne cĂ©dait pas Ă ces pressions »
5
. Il précise :
1
Entretien avec M. Majid Majidi, ministre iranien du Plan en 1974, Paris, 1992.
2
Nucleonics Week,
8 juillet 1976, p. 4-5.
3
Poneman, Daniel,
Nuclear Power in the Developing World,
George Allen & Unwin, Londres, 1982,
p. 91.
4
Un contrat pour un laboratoire de cycle du combustible nucléaire à Ispahan avait été signé avec
le CEA en mai 1975.
5
Barnameyeh Energieh Atomieh Iran
, p. 159.
124
« Lors de la visite de Giscard dâEstaing Ă TĂ©hĂ©ran en 1976, ils [la diplomatie française]
avaient fait comprendre au Shah quâil fallait, pour des raisons politiques, que lors de
cette visite la signature des contrats des rĂ©acteurs entre les deux pays soient annoncĂ©e Ă
la presse
1
[âŠ] Hoveyda sâadressait Ă moi en français â en prĂ©sence de Giscard
dâEstaing, et des ministres français des Finances, des Affaires Ă©trangĂšres et de lâIndustrie
de lâĂ©poque, ainsi que dâAnsary, le ministre iranien de lâĂconomie et Finance, de Majidi,
le ministre du Plan, et de trois autres ministres â disant que le Shah et Giscard avaient
eu une discussion privĂ©e aujourdâhui et que lâune de leurs dĂ©cisions avait Ă©tĂ© de
résoudre les problÚmes concernant la question de la vente des centrales françaises et
dâannoncer cette nouvelle officiellement Ă la fin de la visite [âŠ] »
2
Mais Ătemad sâopposa Ă cet engagement, avec de bons arguments techniques. Il prit
rendez-vous avec le Shah et le convint de « ne pas céder à la pression de Giscard »
3
Ă©voquant des raisons dâordre financier, juridique et technique. Cela Ă©conomisa, dâaprĂšs lui,
2 Ă 3 milliards de francs pour lâIran Ă lâĂ©poque
1
. Mais, vu de lâextĂ©rieur, on peut dire que
lâannonce Ă la presse de la vente des rĂ©acteurs nâaurait sans doute pas eu de consĂ©quence
juridique, mais aurait pu renforcer la position française vis-Ă -vis des Ătats-Unis dans le
cadre des nĂ©gociations entre ces pays. La France avait rĂ©sistĂ© jusquâen 1976 Ă la pression
américaine pour participer au Club de Londres.
Le manque de dynamique de coopération au sein du gouvernement iranien à cette
Ă©poque faisait que lâOEAI menait en solitaire et seulement avec ses ressources internes
toute négociation, tant sur le plan politique, juridique et financier, avec les entreprises et les
Ătats Ă©trangers. Ces ressources nâavaient Ă©tĂ© mises en place que depuis deux ou trois ans,
sans connaissance approfondie du contexte international, des processus diplomatiques et
des jeux politiques. Les Ătats-Unis ne se sont jamais opposĂ©s directement Ă lâIran au sujet
de son programme nucléaire. Au contraire, les négociations formelles entre les deux pays
â plutĂŽt de lâordre du rituel que de vĂ©ritables nĂ©gociations â ont continuĂ© tout au long de
cette période dans le cadre de la commission mixte de coopération entre les deux pays,
mais aussi entre lâOEAI et diffĂ©rents acteurs amĂ©ricains.
1
Ibid.
2
Ibid.
3
Ibid.
125
Un certain nombre dâaccords et traitĂ©s ont Ă©tĂ© signĂ©s entre lâIran et les Ătats-Unis pour la
coopĂ©ration dans le domaine de lâĂ©nergie nuclĂ©aire. En mai 1974, le prĂ©sident de la
commission amĂ©ricaine pour lâĂ©nergie nuclĂ©aire (US Atomic Energy Commission), le
Dr. Dixie Lee Ray, sâĂ©tait rendu Ă TĂ©hĂ©ran. Le mois suivant, un accord de principe avec les
Ătats-Unis pour la vente de deux rĂ©acteurs, ainsi que de lâuranium enrichi nĂ©cessaire pour
leur fonctionnement, est signĂ©. Mais ces accords nâont jamais Ă©tĂ© finalisĂ©s par manque
dâaccords bilatĂ©raux entre les deux pays. Le sujet qui posait problĂšme dans les accords
bilatĂ©raux Ă©tait la maĂźtrise iranienne du cycle du combustible nuclĂ©aire, lâenrichissement et
le retraitement. Les Ătats-Unis ne voulaient pas donner cette capacitĂ© Ă lâIran et ce dernier
ne voyait pas comment assurer la viabilité commerciale du programme sans maßtrise de
fuel. Chacun faisait une estimation de sa position de force. Le Shah avait assumé beaucoup
plus dâindĂ©pendance vis-Ă -vis des Ătats-Unis. La â
de facto
â nationalisation de son
industrie pĂ©troliĂšre et son rĂŽle dans lâaugmentation des prix OPEP Ă©taient mal passĂ©s avec
les Ătats-Unis. Si les deux pays avaient gardĂ© des relations en apparence cordiale jusqu'Ă la
fin du rĂšgne du Shah, les AmĂ©ricains, eux, nâĂ©taient plus satisfaits des positions de leur alliĂ©
dâantan. Lâestimation de la position de force de lâIran Ă lâĂ©poque fit que lâOEAI ne lĂącha pas
la maßtrise de cette capacité. Par voie de conséquence, les réacteurs, qui devaient entrer en
service en 1981, aujourdâhui, 23 ans plus tard, ne sont toujours pas opĂ©rationnels !
En 1976, lâaggravation de la situation fiscale amena le gouvernement iranien Ă proposer
un troc, pour les centrales nuclĂ©aires françaises contre du pĂ©trole, ce qui, Ă lâĂ©poque, nâavait
pas suscitĂ© lâintĂ©rĂȘt de Paris. Par ailleurs, les firmes françaises voulaient attendre des
contrats dĂ©finitifs avant de commencer leurs travaux. Câest pourquoi, avec de surcroit des
dĂ©saccords sur le prix et les termes dâassurance, les nĂ©gociations avec la France stagnaient.
Lâaccord principal prĂ©voyait le paiement de 40 % du montant en espĂšces par lâIran et un
crĂ©dit de sept ans par la France par le biais dâun consortium de la SociĂ©tĂ© GĂ©nĂ©rale, la
Banque de lâUnion EuropĂ©enne, et la Banque Française du Commerce ExtĂ©rieur. En plus sa
finalisation aurait été compliquée par le désaccord sur la prime de la Compagnie Française
dâAssurance au Commerce ExtĂ©rieur (Coface) ; sans lâassurance de la Coface, les entreprises
1
Ibid., p. 165.
126
françaises nâauraient pas Ă©tĂ© capables dâobtenir un crĂ©dit bancaire raisonnable pour le
financement de leurs projets.
En juin 1977, pendant que les contrats finaux pour les deux centrales françaises étaient
encore en attente, de nouvelles négociations furent ouvertes avec KWU pour une deuxiÚme
tranche de rĂ©acteurs allemands. Une lettre dâintention fut rĂ©digĂ©e avant novembre pour
quatre autres centrales de 1 200 MW avec KWU. Elle concernait la fourniture de tous les
Ă©quipements pour les centrales, mais nâabordait pas la question des travaux ni des termes
de financement. Le cabinet fédéral ouvrait une ligne de crédit de 10,8 milliards de DM
pour lâIran qui couvrait plus de la moitiĂ© du prix de contrat
1
.
Cela amena le prĂ©sident Giscard dâEstaing Ă intervenir personnellement pour conclure
les contrats français. Michel Poniatowski fut chargé de faire le nécessaire pour débloquer la
situation. Il finalisa les contrats en octobre 1977 par un arrangement de plusieurs sous-
contrats qui couvraient séparément les termes de financement, les centrales nucléaires et la
fourniture de combustible
2
. Un quatriÚme contrat couvrait le contrÎle des déchets
nucléaires
3
. Ainsi, les travaux français purent finalement démarrer aprÚs trois ans de retard
sur la rive est du fleuve Karoun prĂšs dâAhvaz.
Une fois ce premier contrat de centrale finalisé, les Français pouvaient aborder le sujet
des six autres centrales qui avaient fait lâobjet dâun accord entre les deux chefs dâĂtat en
1976. La France finit par modifier sa politique en 1978 pour intégrer plus de pétrole iranien
dans ses importations, une sorte de troc couvrant le prix des quatre premiĂšres centrales
4
.
Au printemps de la mĂȘme annĂ©e, lors de la visite du prĂ©sident Scheel Ă TĂ©hĂ©ran, KWU
entamait des négociations préliminaires pour les septiÚme et huitiÚme réacteurs
5
.
Deux facteurs principaux montrent lâintention positive de lâIran envers la technologie
nuclĂ©aire : dâabord le choix dâun lancement industriel, dĂ©diĂ© Ă la gĂ©nĂ©ration dâĂ©lectricitĂ© (au
contraire de la Chine et d'Israël), ensuite le choix du type de réacteur (qui ne nécessite pas
dâuranium hautement enrichi, utilisable pour les armes). Cela dit, durant ses quatre annĂ©es
1
Financial Times
, 1 décembre, 1977 ; International Herald Tribune, 2 décembre 1977.
2
Les entreprises majeures impliquées étaient Framatome, Spie-Batignolles, et Alsthom.
3
Nucleonics Week,
20 octobre 1977, p. 13-14.
4
Nucleonics Week,
29 juillet 1978, p. 4.
5
Poneman, Daniel,
Nuclear Power in the Developing World,
George Allen & Unwin, Londres, 1982,
p. 92.
127
de gloire, lâOEAI a pu attirer un nombre important de chercheurs iraniens trĂšs qualifiĂ©s qui
retournaient en Iran. Ces chercheurs avaient toute qualification nécessaire pour continuer
leurs recherches sur des sujets militaires. Les moyens ne manquaient pas. Et la capacité
intellectuelle et technologique dâune utilisation future de la technologie nuclĂ©aire Ă des fins
militaires pourrait ainsi se développer en Iran.
LâIran nâa rĂ©alisĂ© aucun projet avec les Ătats-Unis dans le domaine nuclĂ©aire. MalgrĂ© une
multitude de promesses, les accords bilatĂ©raux nĂ©cessaires nâont jamais pu ĂȘtre signĂ©s.
Dâune part, entre les deux anciens alliĂ©s la confiance avait disparu, et dâautre part, les Ătats-
Unis commençaient Ă restreindre la vente des rĂ©acteurs de ses entreprises Ă lâĂ©tranger. La
section 123 de
lâUS Atomic Energy Act
stipulait que la coopération avec des pays étrangers
dans le domaine nuclĂ©aire devait ĂȘtre basĂ©e sur des accords de coopĂ©ration qui dĂ©finissaient
les limites et les frontiÚres des relations nucléaires bilatérales
1
. Lâaccord bilatĂ©ral de 1957
entre lâIran et les Ătats-Unis â qui arriva Ă son terme en 1979 â ne couvrait que la
coopĂ©ration pour la recherche nuclĂ©aire et ne pouvait pas ĂȘtre Ă©tendu Ă la coopĂ©ration pour
la génération de puissance électronucléaire. Les négociations pour les nouvelles recherches
et installations nuclĂ©aires commerciales furent bloquĂ©es en raison de la demande par lâIran
du droit de retraiter les dĂ©chets de ses centrales nuclĂ©aires ; câest par la mĂȘme procĂ©dure
que lâInde avait extrait du plutonium pour lâutilisation de sa bombe atomique.
En mars 1975, dans un communiquĂ© commun Iran-Ătats-Unis, lâIran sâengagea Ă
dĂ©penser 15 milliards de dollars pour lâachat des produits amĂ©ricains dans les cinq annĂ©es Ă
venir. Dans ce communiquĂ©, qui fut transmis Ă la presse Ă lâissue de la derniĂšre rĂ©union de
la Commission conjointe Ătats-Unis-Iran, il y avait un accord de principe concernant
lâacquisition de huit rĂ©acteurs nuclĂ©aires dans la prochaine dĂ©cennie
2
. Mais en réalité, les
dĂ©penses du client iranien non seulement ne montaient pas pour faciliter lâabsorption du
choc pĂ©trolier par lâancien patron amĂ©ricain, mais parfois elles baissaient mĂȘme. Un
exemple : en 1975, lâannulation par lâIran de son contrat dâachat de quatre des six
destroyers
Spurance
avec les Ătats-Unis, sous prĂ©texte dâune chute de 4 milliards de dollars dans ses
revenus pétroliers.
1
United States Atomic Energy Act of 1954
, sec. 123.
2
New York Times,
5 mars 1975.
128
Lâabsence de coordination dans les nĂ©gociations avec les Ătats-Unis
Nous avons vu dans le chapitre 3 que les relations irano-américaines, dans les vingt
annĂ©es qui suivirent la rĂ©installation du Shah par les Ătats-Unis, sâĂ©taient plutĂŽt dĂ©gradĂ©es.
Plusieurs facteurs furent responsables de cette « dĂ©gradation ». Tout dâabord le
comportement du Shah montrait bien lâamĂ©lioration de son positionnement stratĂ©gique
vis-Ă -vis des Ătats-Unis. Le Shah avait assumĂ© avec succĂšs le rĂŽle sĂ©curitaire que les
AmĂ©ricains souhaitaient lui sous-traiter dans la rĂ©gion. Par ailleurs, il avait freinĂ© lâavan-
cement du communisme soviĂ©tique et absorbĂ© plus dâarmes amĂ©ricaines que tous leurs
autres clients. Ayant consolidé sa position dans les vingt années qui suivirent son retour au
trÎne, il avait décidé de prendre la totalité des bénéfices de son industrie pétroliÚre
nationale pour compenser une partie de la baisse rĂ©elle des prix durant la mĂȘme pĂ©riode.
Jusquâici, les manĆuvres du Shah Ă©taient encore acceptables pour les Ătats-Unis, ou, en
tout cas, ils se pliaient à ces conditions étant donné leur position de faiblesse internationale
â Ă la fin de la guerre du ViĂȘt-nam â et, Ă lâintĂ©rieur du pays, une opinion publique
critique. Lâaugmentation des prix pĂ©troliers par lâOPEP â en rĂ©alitĂ© la correction de la
baisse continue des prix â dĂ©passait la limite dâacceptabilitĂ© pour les Ătats-Unis.
Concernant le pĂ©trole, la rĂ©ponse des Ătats-Unis dans un premier temps Ă©tait de baisser la
consommation mondiale par le biais de la coopération avec les pays consommateurs
industrialisĂ©s. En mĂȘme temps, ils promurent lâutilisation des ressources nationales
dâĂ©nergie des pays industrialisĂ©s â pĂ©trole, charbon, gaz naturel, hydro-Ă©lectricitĂ©, et
Ă©nergie nuclĂ©aire â tout en favorisant la crĂ©ation des sources alternatives de production
pĂ©troliĂšre â comme en Russie, au Mexique, en NorvĂšge, en Angleterre et en Colombie
1
.
Finalement, ils affaiblirent lâOPEP, notamment par le biais des conflits entre ses membres,
comme par exemple la guerre Iran-Irak
1
. Avec la position récente du Shah, le seul rÎle
essentiel que lâIran pouvait jouer pour les Ătats-Unis Ă©tait de freiner lâavancement de
lâUnion soviĂ©tique vers les mers chaudes. LâIran revĂȘtait une autre importance â dâordre
symbolique â pour les Ătats-Unis : lâIran avait un rĂŽle de
leader
ou de modĂšle aux yeux
1
Le Mexique a pu dĂ©passer lâArabie Saoudite en 1997 pour devenir le deuxiĂšme exportateur de
pĂ©trole des Ătats-Unis aprĂšs le Venezuela. Les pays dâAmĂ©rique Latine, tels que la Colombie et le
BrĂ©sil, essaient dâaugmenter leur production Ă lâheure actuelle.
129
des autres pays en voie de dĂ©veloppement. Si les Ătats-Unis laissaient faire lâIran, dâautres
pays pourraient sâinspirer de son exemple et suivre le mĂȘme cheminement. Il y avait lĂ un
enjeu de taille pour les Ătats-Unis, qui dĂ©passait lâenjeu iranien et avait des implications
dâordre mondial.
En novembre 1974, quelques mois avant la création du Club de Londres, Henry
Kissinger, le secrĂ©taire dâĂtat amĂ©ricain, se rendit Ă TĂ©hĂ©ran. Pendant son sĂ©jour, il
rencontra le Shah, le ministre des Affaires Ă©trangĂšres, Abbas Ali Khalatbari, et le ministre
iranien des Affaires économiques et des Finances, Houchang Ansary. Ils décidÚrent de créer
une commission conjointe irano-américaine pour « augmenter et intensifier les liens de
coopĂ©ration existant entre les deux pays. [âŠ] [Surtout] dans le domaine de lâĂ©nergie
nuclĂ©aire, particuliĂšrement pour la gĂ©nĂ©ration de lâĂ©lectricitĂ© [âŠ] »
1
. En mĂȘme temps, des
contrats furent signĂ©s, selon lesquels les Ătats-Unis Ă©taient censĂ©s approvisionner lâIran avec
de lâuranium enrichi pour deux rĂ©acteurs nuclĂ©aires, et on prĂ©voyait dans un futur proche
la signature dâun contrat pour lâalimentation de six rĂ©acteurs. Les deux pays exprimĂšrent
leur accord sur les efforts qui devaient ĂȘtre faits pour dĂ©courager les dĂ©veloppements
nationaux dâarmes nuclĂ©aires. Les raisons de ces accords semblent difficiles Ă expliquer.
LâIran avait dĂ©jĂ participĂ© au capital dâEurodif. Le paiement dâune avance dâun milliard de
dollars au gouvernement français était un signe fort de la solidité de cet engagement.
Pourquoi signer un autre accord de mĂȘme type avec les Ătats-Unis, et sans aucun
engagement financier ? En rĂ©alitĂ©, il nây avait aucun lien entre les activitĂ©s de cette
commission conjointe et les dĂ©cisions de lâOEAI. Akbar Ătemad mettait son veto : tant que
la question de cycle du combustible nuclĂ©aire nâĂ©tait pas rĂ©glĂ©e, pas de contrat avec les
Ătats-Unis :
« Cette commission avait décidé que dans le cadre de coopération entre les deux
pays, lâIran achĂšterait huit centrales nuclĂ©aires aux Ătats-Unis, bien que nous nâayons
pas de tel programme [âŠ] et je â en tant que membre de cette commission â nâavais
pas donnĂ© mon accord pour ceci [âŠ] Houchang Ansary Ă©tait Ă la tĂȘte de cette
commission du cotĂ© iranien et Henry Kissinger du cotĂ© amĂ©ricain [âŠ] diffĂ©rents
1
La part de lâOPEP a baissĂ© de 55% dâexportations mondiales pĂ©troliĂšres dans les annĂ©es 1970 Ă
41% en 1992, avec une descente Ă 30% en 1985. Durant cette annĂ©e lâArabie Saoudite a baissĂ© ses
prix pour augmenter sa part de marché.
130
SĂ©nateurs amĂ©ricains venaient mĂȘme ouvertement voir le Shah pour faire pression sur
lui [âŠ] ainsi que des reprĂ©sentants du prĂ©sident [
américain
]
2
. Ils croyaient que nous
Ă©tions obligĂ©s de les suivre [âŠ] leur pression sâexerçait de maniĂšre vulgaire [âŠ] je suis
sĂ»r que mĂȘme le Shah considĂ©rait ceci comme un jeu politique et nây attachait pas trop
dâimportance. »
3
Ătemad avait suffisamment lâoreille du Shah pour tenir son cap, malgrĂ© les dĂ©cisions des
ministĂšres des Affaires Ă©trangĂšres et de lâĂconomie et des Finances.
« Ă titre dâexemple, Gerald Ford, le prĂ©sident de lâĂ©poque, avait envoyĂ© une
délégation du CongrÚs pour voir le Shah et le convaincre de conclure les accords
bilatĂ©raux dĂšs que possible et [âŠ] dâacheter des rĂ©acteurs nuclĂ©aires des Ătats-Unis [âŠ]
le Shah mâa montrĂ© la lettre de Ford [âŠ] et je lui ai dit que tant que nos diffĂ©rends ne
seraient pas rĂ©solus avec les Ătats-Unis (concernant le cycle du combustible nuclĂ©aire), la
rĂ©ponse serait non [âŠ] Je prĂ©parais une rĂ©ponse que le Shah signa telle quelle. »
4
Les enjeux de lâenrichissement et du retraitement pour la rentabilitĂ© des centrales
nuclĂ©aires sont simples. Si lâopĂ©rateur ne possĂšde pas la possibilitĂ© dâenrichir son
combustible, il sera toujours dĂ©pendant dâun fournisseur Ă©tranger et Ă des prix dĂ©finis par
lui. Si lâopĂ©rateur nâa pas la possibilitĂ© de retraiter, et donc de rĂ©utiliser son combustible, il
est doublement dĂ©pendant des fournisseurs. Il sera obligĂ© dâaccepter le prix de combustible
enrichi et il ne pourra pas obtenir un prix Ă©levĂ© pour son combustible « usĂ© », car il nâaura
pas la possibilité de le retraiter. Ceci affectera les économies des centrales nucléaires de
maniĂšre importante. Les Ătats-Unis imposaient leur contrĂŽle sur les combustibles usĂ©s et
insistaient pour ne pas laisser les pays retraiter leur propre combustible usé, car il y avait
dans celui-ci une quantitĂ© de plutonium qui pouvait ĂȘtre utilisĂ©e pour la fabrication des
bombes atomiques.
La réfutation du gouvernement iranien, des accusations selon lesquelles il aurait
lâintention dâacquĂ©rir des armes nuclĂ©aires nâĂ©tait pas suffisante. DĂšs 1961, le Shah avait
déjà écrit :
1
US Treaties and Other International Agreements,
TIAS 7967, «
Iran-USA, Cooperation
», 2 novembre 1974.
2
Barnameyeh Energieh Atomieh Iran
, p. 171.
3
Ibid., p. 172.
4
Ibid.
131
« Notre philosophie est bien exprimĂ©e par lâInstitut de Science NuclĂ©aire du CENTO,
qui est entiĂšrement dĂ©vouĂ© aux applications civiles de lâĂ©nergie nuclĂ©aire. »
1
LâIran dâailleurs sâĂ©tait prĂ©cipitĂ© pour signer et ratifier le traitĂ© pour la limitation des tests
nucléaires (
Limited Test Ban Treaty
) de 1963 et le Traité de non-prolifération de 1968.
Toutes les installations nucléaires iraniennes étaient soumises aux mesures de sauvegarde
de lâAgence Internationale de lâĂnergie Atomique (AIEA). Quant au Shah, il soutenait
toutes les initiatives des Nations unies pour bloquer lâutilisation et la possession des armes
nucléaires au Moyen-Orient
2
. Il considĂ©rait que lâidĂ©e des armes nuclĂ©aires pour lâIran Ă©tait
absurde, Ă©tant donnĂ© le nombre dâarsenaux nuclĂ©aires soviĂ©tiques et amĂ©ricains
3
. Sa
doctrine militaire nĂ©cessitait lâaccumulation suffisante dâarmes conventionnelles pour
pouvoir repousser les attaques non nucléaires.
Henry Kissinger et Houshang Ansary, signÚrent un autre traité
4
en 1976, pour la
coopĂ©ration entre les Ătats-Unis et lâIran. Ce traitĂ© concernait « lâĂ©valuation des sites pour la
construction des centrales atomiques en Iran, lâexploration en Iran des ressources de
lâuranium, la formation des ingĂ©nieurs et scientifiques Iraniens et la fabrication de
lâuranium lĂ©gĂšrement enrichi pour alimenter les rĂ©acteurs dâĂ©nergie nuclĂ©aire »
5
. Le
montant de cette coopĂ©ration Ă©tait estimĂ© Ă 230 millions de dollars. LâOEAI et lâ
United
States Nuclear Regulatory Commission
signÚrent aussi un autre accord en avril 1977, « pour
lâĂ©change de renseignements techniques et la coopĂ©ration dans le domaine de la sĂ©curitĂ©
nucléaire »
6
.
Les Ătats-Unis demandĂšrent Ă lâIran de renoncer formellement au retraitement
chimique de ses déchets
1
, mais lâOEAI refusa de lâaccepter, car « on ne pouvait pas
sâengager sur un sujet qui allait seulement se poser dans quinze ou vingt ans [âŠ] ne
sachant pas quel serait le paysage énergétique et les conditions économiques mondiales à ce
1
Pahlavi,
Mission for my country,
p. 308.
2
Keyhan International
, 8 juillet 1974, p. 1.
3
Lefevre, Ernest W.,
Nuclear Armes in the Third World,
Washington, DC, Brookings Institute, 1979, p.
52.
4
US Treaties and Other International Agreements
, TIAS 8455, « IRAN, Economic Cooperation », 7 août
1976. Section consacrĂ©e Ă lâĂ©nergie (p. 4336-4337).
5
US Treaties and Other International Agreements, TIAS 8867, « Accord between the United States
Nuclear Regulatory Commission and the Atomic Energy Organization of Iran for the Exchange of
Technical Information and Cooperation in Technical Matters », 11 avril 1977, p. 1053-1070.
6
Ibid.
132
moment-là »
2
. LâambiguĂŻtĂ© de la rĂ©ponse du gouvernement iranien renforça lâinquiĂ©tude
des Ătats-Unis. Sullivan
3
, lâAmbassadeur amĂ©ricain en Iran, lors dâun entretien, fit part de
cette inquiĂ©tude Ă Ătemad : « Ce nâest pas votre programme qui nous inquiĂšte directement
mais le symbole que le programme de votre pays reprĂ©sentera pour dâautre pays de
dĂ©veloppement. Nous sommes bien obligĂ©s de contrĂŽler ces pays et vous ĂȘtes devenu un
modĂšle pour eux [âŠ] »
4
Ătemad rappela que ceci Ă©tait « le problĂšme des Ătats-Unis et non
pas le sien », une réponse qui sera mal prise et qui mettra fin à des discussions entre
lâAmbassadeur amĂ©ricain et le prĂ©sident de lâOEAI Ă ce sujet.
Une rupture similaire se produisit aussi avec Henry Kissinger, ministre américain des
Affaires Ă©trangĂšres, qui reprĂ©sentait les Ătats-Unis dans les commissions de coopĂ©ration
économiques mixtes irano-américaines. Il avait proposé un compromis, basé sur
lâargument suivant : puisque des pays comme lâIran et le Pakistan ne disposaient pas
dâĂ©conomies dâĂ©chelles suffisantes pour des cycles de combustion nuclĂ©aires nationaux, on
pourrait alors penser à des centres régionaux de cycle de combustion nucléaire pour
fournir les Ătats membres avec des services adĂ©quats. Il pensait que la participation de
lâIran, comme pays fort de la rĂ©gion, pourrait entraĂźner les autres pays Ă y participer. Mais
cette proposition nâeut pas dâĂ©cho du cotĂ© iranien. Le Shah avait dĂ©jĂ acceptĂ© de mettre les
activités de retraitement sous contrÎle international
5
, ce qui nâĂ©tait pas le cas de lâInde â
qui a pu ainsi accĂ©der au plutonium non-contrĂŽlĂ© et lâutiliser Ă des fins militaires. Ătemad
alla plus loin en dĂ©clarant que lâIran nâavait mĂȘme pas de plan immĂ©diat pour retraiter ses
dĂ©chets nuclĂ©aires, essayant ainsi dâĂ©carter lâhypothĂšse dâune utilisation militaire. Mais Ă
cette Ă©poque, Jimmy Carter Ă©tait dĂ©jĂ Ă©lu prĂ©sident des Ătats-Unis ce qui entraĂźna des
retards supplémentaires.
Dans sa campagne Ă©lectorale, Carter avait en effet mis lâaccent sur la nĂ©cessitĂ© de
contrÎler la prolifération des armes nucléaires
6
, ce qui avait eu pour rĂ©sultat dâentraĂźner
1
Barnameyeh Energieh Atomieh Iran
, p. 57.
2
Ibid., p. 57.
3
Ambassadeur américain en Iran, de juin 1977 à avril 1979.
4
Barnameyeh Energieh Atomieh Iran,
p. 58.
5
International Herald Tribune
, 16 août 1976.
6
Ce qui Ă©tait en cohĂ©rence avec la politique dâengagement directe des Ătats-Unis â qui deviendra
la « doctrine Carter » : la doctrine Nixon selon laquelle les Ătats-Unis prĂ©serveraient leurs
intĂ©rĂȘts en s'appuyant sur des puissances locales, afin d'Ă©viter un nouveau ViĂȘt-nam sera rendu
caduque par l'invasion de l'Afghanistan par les Soviétiques et l'effondrement du régime du Shah.
133
une politique encore plus restrictive des Ătats-Unis en matiĂšre dâexportations nuclĂ©aires.
Ătemad prĂ©cise :
« [âŠ] Nous ressentions la pression des AmĂ©ricains, mais nous ne nous sommes pas
laissés faire. Ils semaient la pagaille tant qu'ils le pouvaient, ils mettaient beaucoup de
pression sur les Allemands et sur les Français [âŠ] Ils ont crĂ©Ă© le Club de Londres [âŠ]
qui a établi ses propres rÚgles et que chacun des pays-membres était censé observer
quand il faisait du commerce nucléaire avec d'autres pays. Nous étions sur le plan
politique en contact avec le Club de Londres, mais leurs dossiers nâĂ©taient pas publics.
Nous avions organisé une conférence internationale trÚs importante en Iran sur le
transfert de technologie nucléaire en 1977, conférence qui eut beaucoup de succÚs parce
que les Américains étaient pratiquement mis au banc des accusés par le monde entier.
Nous n'avons jamais accepté ni le
diktat
ni l'esprit du Club de Londres. Mais toujours
est-il que le club existe [âŠ] »
1
En janvier 1978, au cours des négociations à Téhéran entre le Shah et le président
Carter, les derniers problÚmes semblÚrent finalement se résoudre
2
: pas un droit de
retraitement pour lâIran, mais pas non plus un droit de veto sur ce sujet pour les Ătats-
Unis. Les Ătats-Unis sâengagĂšrent Ă accorder la clause « dâĂtat le plus favorisĂ© » (
most
favored state
) Ă lâIran pour le retraitement. Ce qui voulait dire que les Ătats-Unis ne feraient
pas de discrimination contre lâIran, par comparaison avec dâautres pays, pour ce qui est du
droit de retraitement de ses dĂ©chets nuclĂ©aires. Le gouvernement iranien sâengageait mĂȘme
à appliquer des contrÎles supplémentaires exigés par Washington, et dépassant ceux de
lâAIEA. Cela donna lieu Ă un autre traitĂ© entre lâIran et les Ătats-Unis
1
, prévoyant la
participation des Ătats-Unis au programme nuclĂ©aire de lâIran (les Ătats-Unis avaient
Le prĂ©sident Carter dĂ©finira alors le Golfe comme une rĂ©gion vitale pour les intĂ©rĂȘts amĂ©ricains
et envisagera l'emploi direct de la force militaire contre toute puissance qui tenterait de s'en
approprier le contrĂŽle. Pour jouer ce rĂŽle de « gendarme du Golfe », les Ătats-Unis constitueront
la « Rapid Deployment Joint Task Force » (RDJTF) basée en Floride mais disposant de nombreux
points d'appuis dans le Golfe, au Maroc et Ă Oman (Ăźle de Masirah), et de l'usage de la base
militaire Ă©gyptienne de Ras Banas, de la base d'Incirlik et des ports de Yumurtalik et
d'Iskenderun en Turquie. Des accords de défense ont été conclus avec le Qatar (mars 1995), les
Ămirats arabes unis (1991 et 1994) et le BahreĂŻn (1991 et 1994) oĂč se trouve le quartier gĂ©nĂ©ral de
la 5
e
flotte. Bien que les Ătats-Unis ne soient pas liĂ©s par des accords spĂ©cifiques avec l'Arabie
Saoudite, des forces américaines sont stationnées sur son territoire.
1
Entretien avec Dr. Akbar Ătemad, Paris, 1992.
2
Nucleonics Week,
12 janvier 1978, p. 2-3.
134
toujours le monopole de la production de lâuranium enrichi dans le monde Ă cette Ă©poque).
Mais en dĂ©pit de ces accords les nĂ©gociations avec les Ătats-Unis durĂšrent jusquâĂ la chute
du Shah et il nây eut aucune coopĂ©ration concrĂšte.
« Avec les AmĂ©ricains on nâa jamais pu faire quelque chose de plus que de la
formation [âŠ] En mai 1974, l'Inde avait fait un essai nuclĂ©aire. Alors tout d'un coup le
gouvernement américain avait imposé des nouvelles conditions à la signature des
accords bilatéraux. Alors ils avaient changé la formule, imposé les restrictions qui à mon
sens allaient au-delĂ de l'inspection technologique, câĂ©tait des conditions qui
restreignaient la bonne marche économique de la centrale nucléaire. C'est pour ça que
j'ai négocié avec les Américains pendant plus de quatre ans continuellement tous les
mois â avec le âState Departmentâ et avec la Commission de l'Ănergie Atomique (qui a
changĂ© de nom plusieurs fois, devenant lâERDA, âEnergy Research and Development
Agencyâ, [âŠ] mais c'est l'entitĂ© gouvernementale qui s'occupait du nuclĂ©aire). Nous
discutions avec un organisme gouvernemental qui s'occupait de la non-prolifération des
armes [âŠ] Le ministĂšre de lâĂnergie aussi [âŠ] les discussions Ă©taient assez difficiles,
laborieuses, avec les Américains. Elles n'ont jamais abouti parce que nous partions du
principe que l'énergie nucléaire en Iran pour la production de l'électricité devait se faire
selon des rĂšgles Ă©conomiques, et que toutes les conditions qui allaient Ă lâencontre de ces
rÚgles n'étaient pas acceptées. Les Américains se plaçaient, eux, du point de vue de la
non-prolifĂ©ration, alors ils imposaient des rĂšgles qui n'Ă©taient pas acceptables [âŠ] donc il
ne sâest rien passĂ©
2
. Mon objectif final [âŠ] Ă©tait de mettre en lumiĂšre la nature
unilatérale du régime de la non-prolifération des armes atomiques et démontrer
comment ceci perturbait les relations internationales et endommageait des relations
justes et équitables dans le domaine nucléaire. »
1
Les Ătats-Unis furent ainsi Ă©cartĂ©s par lâOEAI comme fournisseur potentiel de rĂ©acteur
et cela en raison de lâĂ©chec des nĂ©gociations pour conclure les indispensables accords
bilatĂ©raux prĂ©alables. Ces accords nâaboutissaient pas, principalement Ă cause de la vision
divergente des deux pays sur les droits de retraitement. On peut sans doute considérer que
1
US Treaties and Other International Agreements,
TIAS 9238, «
Iran-Economic Cooperation
», 28 février 1978,
p. 1040-1042.
2
Entretien avec M. Akbar Ătemad, prĂ©sident de lâOEAI Ă cette Ă©poque, Ă Paris en 1992.
135
les positions dâĂtemad et du Shah Ă©taient a priori justifiĂ©es. Pourquoi abandonner la
souverainetĂ© du pays en matiĂšre du cycle de combustion, tant quâils Ă©taient en parfait
accord avec le droit international en vigueur ?
Mais on peut aussi faire le raisonnement suivant : alors que les pays concernés
disposaient de moyens diffĂ©rents et de pouvoirs de nĂ©gociation inĂ©gal, nâaurait-il pas Ă©tĂ©
plus judicieux dâabandonner le retraitement et de garder lâindustrie ? Ceci nâĂ©tait-il pas en
partie dĂ» Ă la capacitĂ© de mesurer les positions de force de chaque partie et de sây adapter
en temps réel ? Une meilleure coordination entre les différentes entités du gouvernement
aurait-elle pu améliorer la prise de position et le succÚs des négociations ? Une consultation
plus large de son gouvernement nâaurait-elle pas permis au Shah de mieux mesurer son
positionnement stratĂ©gique et dâadapter ses ambitions et ses demandes ?
Les cas du Pakistan et de lâIrak, les deux voisins de lâIran, avec des programmes
nucléaires qui ont connu un sort opposé, peuvent répondre à certaines de ces questions et
sont en soi dâun grand intĂ©rĂȘt pour notre Ă©tude.
Des contraintes internationales croissantes
« Pour avoir accÚs à la technologie nucléaire, il faut apprendre la technologie du cycle
du combustible nucléaire. Beaucoup de choses sont écrites sur ce sujet, mais ce n'est pas
dans les livres qu'on apprend, il faut essayer, il faut former les gens [âŠ] Un laboratoire
du cycle combustible est une nécessité absolue pour tout pays qui veut se lancer dans le
nucléaire. Sans cela, un pays ne peut pas gérer son combustible parce que le cycle de
combustible est tellement long et compliquĂ© quâĂ tout moment vous devez pouvoir
intervenir [âŠ] C'est le processus le plus long et le plus compliquĂ© qui existe dans la
technologie nucléaire. Les opérations de cycle du combustible nucléaire peuvent
s'échelonner sur plusieurs décennies. Cela inclut le processus de l'obtention de
l'uranium [âŠ] Donc, c'est un processus tellement long que si vous voulez fonctionner
selon les rÚgles en vigueur sur le marché, il faut s'y prendre au moins vingt ans en
1
Barnameyeh Energieh Atomieh Iran
, p. 169.
136
avance, si ce n'est pas trente ou quarante ans. C'est pour cela que nous avions donné la
priorité absolue au cycle du combustible. »
1
Câest prĂ©cisĂ©ment ce cycle du combustible nuclĂ©aire que les Ătats-Unis ne voulaient pas
laisser lâIran dĂ©velopper. Il y a cela une raison officielle : les Ă©tapes dâenrichissement et de
retraitement dans ce cycle peuvent fournir Ă lâopĂ©rateur de lâuranium et du plutonium de
qualitĂ©s militaire. La raison officieuse, câest que la maĂźtrise de ce cycle peut aussi fournir Ă
une nation des Ă©conomies dâopĂ©rations supĂ©rieures. Pour les Ătats-Unis, laisser un pays qui
vient de faire quadrupler son coĂ»t dâĂ©nergie avoir accĂšs Ă un
input
dâĂ©nergie bon marchĂ©
nâa aucun sens commercial. Dâautant plus que le pĂ©trole ainsi Ă©conomisĂ© peut se
transformer en produits pĂ©trochimiques qui peuvent ĂȘtre des concurrents des produits
transformĂ©s importĂ©s ; câest un dĂ©but de processus de dĂ©veloppement par substitution des
importations. Ă cela sâajoute le fait que le pays en question, un ancien alliĂ©, ne veut mĂȘme
plus faire des achats aux Ătats-Unis, que ce soit de centrales nuclĂ©aires, dâusines
pĂ©trochimiques ou dâaciĂ©ries.
Lâexplosion indienne comme prĂ©texte au contrĂŽle politique des fournisseurs : la perte du
monopole amĂ©ricain dâenrichissement
Dix ans ont sĂ©parĂ© lâexplosion chinoise dâoctobre 1964 de lâessai indien de mai 1974.
Lâexplosion indienne a Ă©tĂ© l'Ă©vĂ©nement qui a permis aux Ătats-Unis dâaller plus loin dans
leur quĂȘte de contrĂŽle du secteur nuclĂ©aire international. Cette nouvelle Ă©tape a mis fin Ă
toute coopération entre pays industrialisés et pays en voie de développement dans ce
domaine.
Jusquâen 1974 en effet, les Ătats-Unis avaient pu contrĂŽler le secteur international de
lâĂ©nergie nuclĂ©aire par le biais de la maĂźtrise de la technologie dâenrichissement. Or, cette
maĂźtrise Ă©tait dâabord possible du fait que les Ătats-Unis avaient rĂ©ussi Ă imposer les
réacteurs de type « eau légÚre » comme standard international. Le fonctionnement de ce
type de rĂ©acteur commercial nĂ©cessite lâutilisation de lâuranium lĂ©gĂšrement enrichi comme
combustible, Ă lâinverse dâautres modĂšles qui, eux, peuvent utiliser lâuranium naturel. Les
pays qui adoptaient ce standard ne pouvaient pas utiliser de lâuranium naturel et Ă©taient
1
Entretien avec Dr. Akbar Ătemad, prĂ©sident fondateur de lâOEAI, Paris 1992.
137
dĂ©pendants des services dâenrichissement amĂ©ricains. Lâautre avantage, dâautant plus
important pour les Américains, consistait dans le fait que cet uranium légÚrement enrichi
nâest pas utilisable Ă des fins militaires. Jusqu'alors les Ătats-Unis avaient Ă©tĂ© le seul pays, en
dehors du bloc communiste, Ă proposer des services commerciaux dâenrichissement. Ainsi,
mĂȘme si un pays pouvait acheter son rĂ©acteur Ă un autre fournisseur, telles la France ou
lâAllemagne, il dĂ©pendait toujours de lâapprovisionnement amĂ©ricain de combustible pour
son fonctionnement
1
. Or, en 1974, les Ătats-Unis ont perdu leur monopole de services
commerciaux dâenrichissement du monde capitaliste pour deux raisons : dâune part,
lâUnion soviĂ©tique, qui possĂ©dait aussi cette capacitĂ©, Ă©tait entrĂ©e sur ce marchĂ©, et dâautre
part lâEurope
2
était en voie de développer une capacité industrielle importante
dâenrichissement.
Sur le plan Ă©conomique, avec la croissance de lâindustrie europĂ©enne de fabrication de
réacteurs, les bénéfices de ce marché avaient déjà échappé aux Américains. Avec la perte
du monopole commercial des services dâenrichissement, une autre source de bĂ©nĂ©fice du
marché nucléaire leur échappait aussi, ainsi que le moyen de contrÎle du secteur.
DĂ©sormais, non seulement le commerce nuclĂ©aire international nâoffrait que peu de
bénéfices pour les Américains, mais il imposait aussi un coût important : le potentiel de la
prolifération des armes nucléaires. Ces armes étaient non seulement dans une certaine
mesure des substituts pour les armes conventionnelles â une source importante
dâexportation pour les Ătats-Unis â mais en plus, elles pouvaient ĂȘtre fabriquĂ©es par les
pays eux-mĂȘmes, rĂ©duisant ainsi la dĂ©pendance des pays en voie de dĂ©veloppement du
camp amĂ©ricain vis-Ă -vis des exportations dâarmes et â dans une certaine mesure â de la
protection nuclĂ©aire des Ătats-Unis. Cela augmentait aussi le coĂ»t dâintervention pour les
Ătats-Unis en cas de conflit. En supposant que lâIrak ait pu possĂ©der des armes nuclĂ©aires
pendant la guerre du Golfe, il nâaurait pas pu ĂȘtre envahi aussi facilement en 2003. De plus,
1
La fourniture de lâuranium enrichi amĂ©ricain se faisait par le biais des « accords de coopĂ©ration »
et des contrats de fourniture Ă long terme. Lâassurance de lâoffre de lâuranium enrichi et le
transfert de technologie américaine par le biais de brevets avaient fait des réacteurs à eau légÚre
le modĂšle dominant sur le marchĂ© international. DĂšs 1964, les Ătats-Unis ont changĂ© de position :
au lieu de fournir leur clients-partenaires avec lâuranium enrichi, ils ont fourni seulement des
services dâenrichissement, ce qui obligeait les clients Ă se procurer leur propre uranium sur le
marchĂ© international et Ă lâenrichir aux Ătats-Unis avant de pouvoir lâutiliser dans leurs
réacteurs.
2
Par le biais du consortium Eurodif en 1974, dans lequel lâIran aussi participait et que nous
examinerons plus en détail par la suite.
138
les Ătats-Unis Ă©tant lâune des deux superpuissances de lâĂ©poque, pour eux le coĂ»t du
maintien de la stabilité internationale aurait augmenté, car les conflits régionaux risquaient
de dégénérer en conflit nucléaire.
En rĂ©sumĂ©, la pĂ©riode de coopĂ©ration internationale en matiĂšre dâĂ©nergie nuclĂ©aire, qui
avait commencĂ© en 1953 sous lâimpulsion amĂ©ricaine se terminait en 1974 par lâinitiative
amĂ©ricaine, Ă une Ă©poque oĂč le monopole amĂ©ricain dâenrichissement Ă©tait brisĂ© par
lâentrĂ©e des concurrents soviĂ©tique et europĂ©en (Urenco
1
, Eurodif) sur le marché
international dâenrichissement
2
. Avec l'impossibilitĂ© dâassurer le contrĂŽle du secteur par le
biais du cycle du combustible nucléaire, se renforçait un mécanisme alternatif de contrÎle :
les mesures multilatérales qui avaient été développées en parallÚle depuis 1953. Le but final
maintenant Ă©tait dâarrĂȘter le transfert international de toute technologie dans ce secteur afin
dâĂ©viter lâentrĂ©e de nouvelles nations sur le marchĂ© nuclĂ©aire. Le secteur international de
lâĂ©nergie nuclĂ©aire ne reprĂ©sentait plus aucun avantage pour les Ătats-Unis : ni vente de
rĂ©acteur, ni contrĂŽle par le biais des services dâenrichissement. Le potentiel militaire de
cette technologie aurait pu permettre aux pays moins avancés de se doter d'armes
nucléaires, réduisant leurs besoins en armes conventionnelles et de leur dépendance au
parapluie nucléaire américain. Le maintien de la stabilité internationale en aurait été
d'autant plus coĂ»teux et difficile en raison de la possibilitĂ© dâescalade des conflits sur le plan
nucléaire. Le potentiel énergétique de la technologie nucléaire aurait pu libérer des nations
de leurs importations dâhydrocarbures. En 1973 les Ătats-Unis avaient perdu le contrĂŽle du
secteur pĂ©trolier, avec la hausse de prix de l'OPEP. Mais, comme nous lâavons vu
prĂ©cĂ©demment, les multinationales pĂ©troliĂšres â dont la plupart sont amĂ©ricaines â sont Ă
nouveau des forces dominantes du marché transnational depuis la deuxiÚme moitié des
années 1980. Le développement nucléaire international ne représentait donc plus aucune
opportunitĂ© pour les Ătats-Unis, mais engendrait au contraire une sĂ©rie de menaces.
1
L'Urenco a Ă©tĂ© Ă©tabli en 1971 avec le traitĂ© dâAlmelo entre les gouvernements allemand,
hollandais et britannique. Cette création était basée sur le désir de ces gouvernements de faire
concurrence au futur Eurodif. StratĂ©gie rĂ©ussie, car lâentreprise fournit 13% des services
dâenrichissement du monde aujourdâhui. Câest aussi lâUrenco qui a Ă©tĂ© Ă lâorigine de diffusion de
centrifugeuses Ă travers le monde. Les sites dâenrichissement aujourdâhui sont Ă Capenhurst au
Royaume-Uni, Gronau en Allemagne, Almelo aux Pays-Bas. La recherche et le développement
sont faits Ă JĂŒlich en Allemagne.
2
Smart, Ian,
World Nuclear Energy: Towards a Bargain of Confidence,
Johns Hopkins University Press,
Baltimore, 1982, p. 39.
139
LâIran, qui avait lancĂ© son industrie nuclĂ©aire en 1974, Ă©tait pleinement concernĂ© par
tous ces changements. LâOEAI Ă©tait contrainte de rĂ©aliser son programme pendant ces
années de « transition » (1974-1978), à la fin de la période de coopération internationale
dans le domaine nucléaire. Il est difficile de qualifier la période de 1953 à 1973 de
« coopĂ©ration internationale » comme dâune pĂ©riode de la suprĂ©matie du marchĂ©. Ce
« marchĂ© » avait Ă©tĂ© politiquement crĂ©Ă© par les Ătats-Unis en 1953 avec lâintroduction du
programme « Atomes pour la Paix » comme moyen de contrÎle pour limiter la
dissémination anarchique de la technologie nucléaire vers les pays moins avancés. Ce
marchĂ© a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© progressivement entre 1974 et 1978 par lâaction politique des Ătats-
Unis.
Les annĂ©es 1974-1979 ont Ă©tĂ© ainsi des annĂ©es de transition vers un arrĂȘt total du
commerce international des réacteurs, sauf entre les pays qui en possédaient déjà . Le choc
pĂ©trolier de 1974 avait contribuĂ© Ă rendre lâoption nuclĂ©aire plus attrayante. Le nombre des
unités commerciales en construction, commandées ou planifiées, en 1976 était : 9 pour le
BrĂ©sil, 5 pour lâĂgypte, 5 pour lâInde, 3 pour lâIndonĂ©sie, 5 pour lâIran, 10 pour la CorĂ©e du
Sud, 9 pour le Mexique, 3 pour la ThaĂŻlande, 8 pour Cuba, et 2 pour la Yougoslavie, le
KoweĂŻt et la Libye
1
. Mais cette tendance s'est inversée, en apparence en raison de
lâaugmentation du coĂ»t des rĂ©acteurs, de la rĂ©cession Ă©conomique en liaison avec lâinflation
qui diminue le pouvoir dâachat des pays importateurs de pĂ©trole. Mais la cause rĂ©elle, a Ă©tĂ©
la pression politique américaine sur les fournisseurs internationaux qui sont devenus
soumis à des contraintes de plus en plus importantes au nom de la prolifération nucléaire.
Saisissant le prĂ©texte de lâexplosion indienne â mĂȘme si lâInde nâĂ©tait pas signataire du
TNP et avait donc tout droit pour dĂ©velopper des armes nuclĂ©aires â les Ătats-Unis sont
allĂ©s au bout de leur dĂ©termination dâarrĂȘter le transfert international de technologie
nuclĂ©aire. Le contrĂŽle des nations acheteuses Ă©tant acquis â par le biais du TNP et de la
sauvegarde des installations des pays receveurs par lâAIEA â il fallait maintenant un
systĂšme de contrĂŽle des fournisseurs. Câest ainsi que le « Club de Londres », a Ă©tĂ© crĂ©Ă© en
1975 à l'initiative américaine. Comme suite à la création du Club de Londres, le ministre
des Affaires Ă©trangĂšres amĂ©ricain, Cyrus Vance, se rend Ă TĂ©hĂ©ran. Il demande Ă
140
lâAmbassadeur dâorganiser un dĂ©jeuner avec Ătemad avant de rencontrer le Shah. Ătemad
le rencontre en huis clos et lui demande de le mettre au courant des développements du
Club de Londres, ce que Vance refuse, rappelant que les discussions de ce Club sont
confidentielles. « Mais lâobjectif de ces discussions Ă©tait de renforcer les moyens
dâempĂȘcher la prolifĂ©ration des armes nuclĂ©aires, ce qui ne devait pas inquiĂ©ter lâIran »
2
.
Ătemad lui rĂ©pond que « lâIran nâaccepterait jamais un rĂ©gime sans avoir Ă©tĂ© concertĂ© pour
sa création, et poserait son veto à toute entente confidentielle entre pays industrialisés »
3
. Il
tient le Shah au courant de sa conversation avec Vance, qui lui demande de faire attention
à ce que le joug de la pression des pays industrialisés ne se resserre pas davantage.
Le Club de Londres, 1975 : le contrĂŽle des concurrents
Les Ătats-Unis ont crĂ©Ă©, en 1975, le Club de Londres avec lâAngleterre, le Canada,
lâAllemagne et le Japon sous le prĂ©texte de lâexplosion indienne. La France et lâUnion
soviĂ©tique finirent par y participer. Lâobjectif de ce « Club » Ă©tait dâĂ©tablir des rĂšgles
générales de conduite entre les principaux exportateurs de la technologie et les
équipements nucléaires, pour éviter la prolifération
4
. Les réunions de ce « Club » étaient
secrÚtes. En 1976, le Club de Londres révéla ses rÚglements de principe dans des termes
gĂ©nĂ©raux, mais les termes prĂ©cis ne furent rendus publics quâau dĂ©but de 1978. Lâune des
raisons de cette discrĂ©tion totale Ă©tait lâimplication de fournisseurs de certains de ces pays
dans les ventes Ă l'Ă©tranger â comme c'Ă©tait le cas des entreprises françaises et allemandes
en Iran â ventes qui pouvaient ĂȘtre annulĂ©es par les dĂ©cisions politiques du Club. Une
autre tentative de contrĂŽle multilatĂ©ral de ce secteur Ă la mĂȘme Ă©poque fut la crĂ©ation du
Comité de Zangger, destiné à établir une liste de matériels nucléaires avec leur potentiel
dâapplication militaire, et Ă lier toutes exportations nuclĂ©aires aux mesures de sauvegarde
de lâAIEA.
Pour donner une idée de la réussite de la technologie nucléaire dans les pays en voie de
dĂ©veloppement, et pour noter que le cas de lâIran nâest pas unique, rappelons simplement
1
Poneman, Daniel,
Nuclear Power in the Developing World,
George Allen & Unwin, Londres, 1982, p.
27.
2
Barnameyeh Energieh Atomieh Iran
, p. 211.
3
Ibid.
4
MĂŒller, Hararld,
A European Non-Proliferation Policy: Prospects and Problems
, Clarendon Press, Oxford,
1987.
141
quâen 1990, il y avait seulement 25 centrales nuclĂ©aires dans les pays en voie de
dĂ©veloppement avec une capacitĂ© totale de gĂ©nĂ©ration de puissance dâenviron 15 000 MW,
ce qui représente moins de 5 % de la somme totale de la capacité nucléaire installée dans le
monde
1
. Câest ce qui a Ă©tĂ© nommĂ© « colonisation technologique ». Il sâagissait du transfert
des ressources minérales et énergiques des pays en voie de développement vers les pays
industrialisés, sans une compensation économique juste, ou bien du partage de la science et
de la technologie occidentales indispensables pour leur développement. Sans le
programme « Atomes pour la Paix » il aurait Ă©tĂ© plus difficile pour les Ătats-Unis de
contrĂŽler le marchĂ©. En ce sens, le rĂ©gime de la non-prolifĂ©ration peut ĂȘtre qualifiĂ© de
réussite de la politique étrangÚre américaine.
DĂšs 1975, les Ătats-Unis essayĂšrent de renforcer leur contrĂŽle du secteur nuclĂ©aire en
introduisant un mécanisme secret de coordination entre fournisseurs de la technologie
nuclĂ©aire. Le but des Ătats-Unis Ă©tait dâobtenir lâaccord des six autres exportateurs de
rĂ©acteurs nuclĂ©aires (le Canada, la France, la RFA, lâUnion soviĂ©tique, lâAngleterre et le
Japon), et de ne plus vendre dâusines dâenrichissement ou de retraitement Ă dâautres pays.
Si lâexplosion indienne de 1974 avait pu se faire grĂące Ă une usine de retraitement ayant
permis Ă lâInde dâextraire le plutonium des dĂ©chets obtenus dans ses installations civiles, il
faut aussi rappeler que cette usine de retraitement Ă©tait construite avec la technologie
américaine.
Avec le dĂ©veloppement de lâindustrie de fabrication de rĂ©acteurs en Europe, le profit des
ventes de centrales dans les pays du tiers-monde était de plus en plus capté par les
fournisseurs européens. En 1974, la concurrence européenne avait commencé à représenter
une menace supplĂ©mentaire pour les Ătats-Unis qui dĂ©tenaient jusquâalors le monopole
commercial de lâenrichissement de lâuranium. Ainsi que nous lâavons prĂ©cisĂ© dans les
sections prĂ©cĂ©dentes, lâIran avait versĂ© un milliard de dollars Ă la France en 1974 pour
entrer dans le capital dâEurodif, la premiĂšre usine dâenrichissement europĂ©enne.
Les années 1974-79, comme nous l'avons vu, furent les années de transition vers un
arrĂȘt total de ce commerce. La base philosophique de cette nouvelle Ă©poque introduisait
1
Pilat, Joseph, F., Pendley, Robert, E.,
Beyond 1995: the Future of the NPT Regime,
Plenum Press, New
York, 1990.
142
lâĂ©lĂ©ment de « tentation », prĂ©tendant que lâaccĂšs aux matĂ©riels et installations sensibles
encourageait les pays sans un plan préalable de développement des armes nucléaires à en
adopter un.
Quand le TNP avait été signé à Londres, à Moscou et à Washington en juin 1968, la
France avait refusé de le signer. Commençait déjà à cette époque la divergence entre
lâapproche française et celle de ces trois pays. Ce nâest quâĂ la suite de lâexplosion indienne
et de la réunion au sommet Ford-Giscard en décembre 1974 que le gouvernement français
envisagea de se plier à des rÚgles internationales définies, en ce qui concerne ses
exportations nuclĂ©aires. Mais ce changement de politique ne se concrĂ©tisa quâĂ la fin des
années 1970. Bien que la France se fût décidée à abandonner son rÎle
freelance
du passĂ© et Ă
participer au Club de Londres au dĂ©but de lâannĂ©e 1976, elle continua sa coopĂ©ration
internationale dans le domaine nucléaire.
Mais cette participation au Club de Londres marquait pour la premiĂšre fois une
négation du transfert de technologie de la part de la France
1
. Un certain nombre
dâexportations nuclĂ©aires du pays furent annulĂ©es pendant cette pĂ©riode, mais lâinitiative
nâĂ©tait pas française. Câest Ă peine neuf mois aprĂšs la signature du contrat dâune usine de
retraitement avec le Pakistan que la France annonça en dĂ©cembre 1976 quâelle ne formerait
plus de coopérations bilatérales nouvelles pour le transfert de la technologie de retraitement
industriel. Mais elle nâannula pas pour autant son contrat avec le Pakistan. Câest le Pakistan
qui annula unilatĂ©ralement son contrat sous la pression des Ătats-Unis et en raison des
sanctions imposĂ©es par eux (annulation de lâaide Ă©conomique et militaire
2
). Les pressions
diplomatiques américaines sur la France, et la participation de celle-ci au Club de Londres
ne purent renverser sa position pour les projets en cours. Le projet iranien, lui aussi, fut
annulĂ© unilatĂ©ralement par le gouvernement rĂ©volutionnaire en 1979 â Framatome
suspendit son contrat par dĂ©faut de paiement en mars 1979, et il lâannula en juin 1979. Un
1
Smart, Ian,
World Nuclear Energy: Towards a Barg ain of Confidence
, Johns Hopkins University Press,
Baltimore, 1982, p. 42.
2
Lâamendement Syminston au projet de loi dâaide Ă lâĂ©tranger (3 juin 1976) prĂ©voyait la
suspension de lâaide Ă©conomique et militaire amĂ©ricaine aux pays qui importeraient ou
exporteraient des Ă©quipements dâenrichissement ou de retraitement sans les soumettre aux
garanties de lâAIEA (sauf si la suspension de cette aide pouvait nuire aux intĂ©rĂȘts vitaux des
Ătats-Unis). Il convient Ă©galement de rappeler que le CongrĂšs amĂ©ricain a, dĂšs novembre 1976,
votĂ© une loi lâautorisant Ă examiner toutes transactions relatives Ă une installation ou Ă des
matiÚres nucléaires.
143
autre projet français dans la région, le réacteur de recherche Osirak en Irak fonctionnait
encore lorsquâil fut bombardĂ© par IsraĂ«l en juin 1981.
Les directives politiques des fournisseurs français étaient les suivantes : l'interdiction de
la vente de lâuranium hautement enrichi et du plutonium adaptĂ© Ă lâusage militaire, ainsi
que lâinterdiction de lâexportation de la technologie dâenrichissement et de retraitement aux
pays qui ne sont pas politiquement stables ou qui nâen ont pas besoin pour leurs
programmes de production dâĂ©lectricitĂ©. Le gouvernement français, sous le prĂ©sident
Giscard dâEstaing, avait dĂ©cidĂ© que les usines de retraitement seraient seulement vendues Ă
lâAllemagne et au Japon. Seul lâun de ces deux projets se matĂ©rialisa au Japon
1
.
Au printemps 1976 le Directeur de l'
US Arms Control and Disarmament Agency
et le
secrĂ©taire dâĂtat amĂ©ricain annonçaient au comitĂ© du SĂ©nat que les sept pays Ă©taient
parvenus à un accord définissant l'avenir des exportations nucléaires. Ces principes étaient
les suivants :
1. Les pays receveurs de la technologie, des matériels, et équipements nucléaires, des
sept pays signataires, devaient accepter dâappliquer les mesures de sauvegarde de lâAIEA.
2. Les receveurs devaient donner leurs accords pour ne pas utiliser leurs importations
dans le but de faire des explosions nuclĂ©aires, mĂȘme « pacifiques ».
3. Les importateurs devaient se plier aux conditions spĂ©ciales gouvernant lâutilisation ou
le transfert des matériaux sensibles, des équipements et technologies.
4. Les exportateurs et importateurs devaient coopérer pour assurer la sécurité des
matériaux nucléaires contre le vol ou le sabotage.
5. Les exportateurs devaient se restreindre dans le transfert des technologies sensibles
telles que lâenrichissement de lâuranium ou le retraitement du plutonium.
6. Des facilités multinationales régionales de retraitement et d'enrichissement seraient
encouragĂ©es pour amĂ©liorer le contrĂŽle international dans un environnement oĂč il y aurait
1
Felten, Paul, « France and the International Nuclear Scene », West, Dalton, A., ed.,
The International
Nuclear Scene: Views From France,
United States Global Energy Council, Washington, DC, 1993.
144
de plus en plus de rĂ©acteurs pour lâutilisation civile dans les pays en voie de
développement
1
.
Les Ătats-Unis et le Canada jouĂšrent un rĂŽle moteur dans l'Ă©tablissement de conditions
plus restrictives pour les exportations nucléaires
2
. Mais la France et lâAllemagne nâĂ©taient
pas dâaccord avec de telles restrictions imposĂ©es Ă la libre concurrence. LâIran, quant Ă lui,
ne comprenait pas non plus le manque de confiance des Ătats-Unis, dâautant plus quâil
sâĂ©tait engagĂ© Ă utiliser la technologie Ă des fins civiles et Ă mettre toutes ses opĂ©rations sous
contrÎle international. Le pays avait donné sa parole de ne pas acquérir des usines
dâenrichissement ou de retraitement Ă la condition que les Ătats-Unis garantissent la
livraison de combustible pour ses réacteurs et de pouvoir utiliser une facilité multinationale
régionale de retraitement à terme.
Les rĂšglements des pays fournisseurs exigeaient quâavant toute livraison, qu'il s'agisse de
réacteurs, d'équipements ou de combustibles, le pays importateur s'engage à les utiliser
uniquement Ă des fins pacifiques, et Ă les placer sous le contrĂŽle de l'AIEA. Pour les
techniques sensibles (enrichissement, retraitement, production d'eau lourde), l'exportation
ne devait ĂȘtre autorisĂ©e que dans des cas exceptionnels. Des mesures strictes seraient
appliquées pour que les équipements fournis soient utilisés à des fins civiles. Les
installations qui pourraient ĂȘtre construites ultĂ©rieurement sur le mĂȘme modĂšle obĂ©iraient
aux mĂȘmes restrictions.
Le contrÎle international du cycle du combustible nucléaire
Lâuranium naturel
Les Ătats-Unis avaient dĂ©fini les dynamiques du marchĂ© de lâuranium naturel depuis les
années 1950. Avec la baisse de leurs besoins militaires en uranium à la fin des années 1950,
ils avaient dĂ©cidĂ© de ne pas renouveler leurs contrats avec le Canada et lâAfrique du Sud, ce
qui crĂ©ait une saturation du marchĂ© de lâuranium et la baisse des prix qui dura jusquâau
dĂ©but des annĂ©es 1970. Pendant cette pĂ©riode, lâoffre de lâuranium semblait sĂ»re et il nây
1
Kissinger, Henry, discours devant le
Senate Committee on Government Operations
, 9 mars 1976,
Department of State Press Release
,
no
. 119, p. 3.
2
Nâoublions pas que lâexplosion indienne de 1974 sâĂ©tait rĂ©alisĂ©e grĂące la technologie fournie par
les Ătats-Unis et le Canada.
145
avait pas dâinquiĂ©tude quant Ă la disponibilitĂ© Ă long terme
1
. Lâassurance de lâoffre de
lâuranium enrichi et le transfert de technologie amĂ©ricaine par le biais de brevets, firent des
rĂ©acteurs Ă lâeau lĂ©gĂšre le modĂšle dominant sur le marchĂ© international, ce qui eut pour
consĂ©quence lâaugmentation de la demande dâuranium enrichi
1
.
DĂšs 1964 les Ătats-Unis changent de stratĂ©gie : au lieu de fournir de lâuranium enrichi,
ils fournissent dĂ©sormais seulement des services dâenrichissement, ce qui oblige leurs
clients Ă se procurer leur propre uranium et Ă le faire enrichir aux Ătats-Unis avant de
pouvoir lâutiliser dans leurs rĂ©acteurs. SimultanĂ©ment, le CongrĂšs amĂ©ricain a introduit des
lois pour limiter le marchĂ© dâenrichissement amĂ©ricain au seul uranium naturel amĂ©ricain,
pour assurer la croissance de leur industrie nationale dâuranium. Cet embargo sur
lâuranium non-amĂ©ricain contribuait Ă la dĂ©pression des prix de lâuranium en dehors des
Ătats-Unis, environ 5 dollars par livre, ce qui ne pouvait mĂȘme pas couvrir le coĂ»t de la
production. Au début des années 1970, les fabricants les plus importants de réacteurs
amĂ©ricains offraient lâuranium pour servir les rĂ©acteurs vendus pendant les trente annĂ©es
de leur durĂ©e dâopĂ©ration. Cela contribua Ă la stagnation de la demande dâuranium â Ă©tant
donnĂ© que les firmes en question nâachetaient pas dâavance le stock de lâuranium vendu.
En 1974, la crise pĂ©troliĂšre amena certaines compagnies dâĂ©lectricitĂ© Ă accumuler des
stocks dâuranium pour assurer leur production Ă long terme. LâAustralie nâentra pas sur le
marchĂ© de lâuranium comme prĂ©vu, Ă©tant donnĂ©e lâhostilitĂ© de ses syndicats Ă lâĂ©nergie
nuclĂ©aire. Lâexplosion indienne aura pour rĂ©sultat la baisse et ensuite lâarrĂȘt total des
exportations canadiennes. Ainsi, certains fournisseurs seront dans la difficulté de livrer de
lâuranium Ă leurs clients, comme prĂ©vu par contrats. Cela amĂšnera les Ătats-Unis Ă rentrer
sur le marchĂ© international de lâuranium avec la levĂ©e progressive de lâembargo
dâenrichissement. CâĂ©tait ce type dâincertitude que lâIran voulait Ă©viter en maĂźtrisant son
propre cycle de combustible. LâOEAI prendra lâoption de l'indĂ©pendance pour la
fourniture de lâuranium nĂ©cessaire pour ses futurs rĂ©acteurs. Comme nous avons vu, son
accĂšs aux services dâenrichissement avait Ă©tĂ© dĂ©jĂ garanti avec sa participation dans le
capital dâEurodif.
1
Smart, Ian,
World Nuclear Energy: Towards a Bargain of Confidence,
Johns Hopkins University Press,
Baltimore, 1982, p. 27.
146
« [âŠ] JâĂ©tais persuadĂ© qu'il y avait de l'uranium en Iran. Nous avions lancĂ© un
programme extrĂȘmement ambitieux de balayage du territoire iranien par avion et par
hĂ©licoptĂšre et nous avons balayĂ© pratiquement la moitiĂ© du pays â l'autre moitiĂ© Ă©tait
montagneuse â par intervalles de 500 mĂštres avec des appareils de radiomĂ©trie et de
gravimétrie, nous avons produit une carte extraordinaire de ressources naturelles ; on
avait dépensé énormément de temps et d'argent mais on savait exactement quelles
ressources miniÚres l'Iran possédait. Ceci a été fait dÚs 1974, et je peux vous dire que
l'Iran possÚde beaucoup d'uranium. Si on nous avait laissé continuer on aurait eu de
l'uranium pour 20-30 ans. [âŠ] »
2
En 1990, avec le dĂ©mantĂšlement de lâUnion soviĂ©tique, une source additionnelle
dâuranium apparut sur le marchĂ© : lâuranium de qualitĂ© militaire (enrichi Ă 90 % dâU-235)
diluĂ© dâenviron 1/30 avec lâuranium Ă©puisĂ© des rĂ©acteurs
(contenant dâenviron 0,3 % dâU-
235). Ainsi les stocks de lâuranium de qualitĂ© militaire de lâancienne Union soviĂ©tique
seront utilisĂ©s comme fuel pour la gĂ©nĂ©ration de lâĂ©lectricitĂ©. Le plutonium de qualitĂ©
militaire, en provenance de la mĂȘme source, peut aussi ĂȘtre diluĂ© et utilisĂ© comme fuel Ă
oxyde mixte (MOX) dans les réacteurs spéciaux qui sont conçus pour utiliser ce fuel pour la
gĂ©nĂ©ration de lâĂ©lectricitĂ©.
Enrichissement
En 1973, les Ătats-Unis ont introduit des changements dans leurs contrats
dâenrichissement qui obligeaient les clients non seulement Ă sâengager par avance pour des
longues périodes, mais à payer à des prix en vigueur au moment de la livraison, prix qui
Ă©taient sous le contrĂŽle unilatĂ©ral amĂ©ricain. Les Ătats-Unis Ă©taient encore Ă cette Ă©poque le
fournisseur unique sur le marchĂ© commercial. LâUnion soviĂ©tique rĂ©agit en entrant sur le
marchĂ© et conclut des contrats avec la France, lâAllemagne de lâOuest et la SuĂšde. Les
EuropĂ©ens optĂšrent pour une capacitĂ© dâenrichissement indĂ©pendante, et lancĂšrent en
1974 le consortium Eurodif auquel lâIran participa en dĂ©cembre de la mĂȘme annĂ©e. Cela
mettait fin au monopole amĂ©ricain de lâenrichissement.
1
RĂ©acteur thermique dans lequel lâeau ordinaire (lĂ©gĂšre) est le modĂ©rateur et le refroidisseur. Ces
rĂ©acteurs utilisent gĂ©nĂ©ralement de lâuranium peu enrichi.
2
A. Etemad.
147
Le monopole amĂ©ricain de lâenrichissement de lâuranium inquiĂ©tait naturellement les
autres nations qui craignaient la dépendance vis-à -vis d'une source unique de fourniture et
qui cherchaient des sources alternatives, dâautant plus quâil y avait des « plafonds » dans les
quantitĂ©s fournies par les Ătats-Unis et le besoin dâextension des accords qui impliquait une
vĂ©rification par le CongrĂšs et lâexĂ©cutif.
Les pays clients avaient besoin de permissions
spĂ©ciales pour lâachat dâuranium trĂšs enrichi nĂ©cessaire pour certains types de rĂ©acteurs â
comme celui Ă haute tempĂ©rature â et ils ne pouvaient pas transfĂ©rer lâuranium achetĂ©
des Ătats-Unis Ă dâautres pays sauf Ă ceux qui avaient passĂ© des accords nuclĂ©aires avec les
Ătats-Unis et qui devaient leur demander la permission dans chaque cas.
Par consĂ©quent il y avait un consensus en Europe sur le besoin dâune capacitĂ©
dâenrichissement indĂ©pendante. En 1968, le Royaume-Uni, lâAllemagne et le Pays-Bas
avaient crĂ©Ă© le consortium dâenrichissement Urenco. Et en 1973, la suite des changements
majeurs annoncĂ©s par les Ătats-Unis dans ses futurs contrats dâenrichissement, un autre
consortium, Eurodif â dans lequel lâIran avait pris une participation de 10 % â avait Ă©tĂ©
crĂ©Ă© en Europe. Mais en 1974, Eurodif Ă©tait encore en projet et avant quâil ne soit
opĂ©rationnel, il fallait trouver de lâuranium enrichi ailleurs.
LâOEAI lance alors des programmes pour acheter de l'uranium. Ă l'Ă©poque il Ă©tait trĂšs
difficile de trouver de l'uranium sur le marchĂ© ; aujourdâhui ceci est plus facile car l'intĂ©rĂȘt
pour le nucléaire disparaßt dans le monde. Mais à l'époque, il y avait beaucoup d'acheteurs
et pas de vendeurs. LâOEAI dĂ©cide donc dâacheter Ă lâUnion soviĂ©tique : les premiers
contrats d'achat d'uranium et d'enrichissement furent passĂ©s avec lâUnion soviĂ©tique. Elle
fournit l'uranium des deux premiers réacteurs.
« [âŠ] la France d'abord nâen voulait pas, c'Ă©tait quelque chose d'extraordinaire
d'avoir une usine dâenrichissement en Europe, Tricastin Ă©tait la premiĂšre. Les Français
eux mĂȘmes achetaient aux Ătats-Unis. Les Anglais et les Hollandais avaient de petites
unités d'enrichissement par centrifugeuse mais elles étaient presque de la taille de
laboratoire. Les Français comptaient beaucoup dessus. L'Iran insistait pour en faire
partie, c'était la condition que nous avions imposée aux Français pour notre coopération
148
qui Ă©tait trĂšs vaste [âŠ] c'est-Ă -dire les laboratoires, des rĂ©acteurs nuclĂ©aires, des cycles
combustibles [âŠ] »
1
RĂ©acteurs
Les premiers réacteurs, ainsi que des grands réacteurs de recherche vendus dans le
monde, utilisaient lâuranium naturel comme combustible. Le transfert dâun tel rĂ©acteur de
recherche â canadien, utilisant lâeau lourde
2
amĂ©ricaine â Ă lâInde dans les annĂ©es 1950,
sans aucune sauvegarde, avait permis lâexplosion indienne de 1974. Lâautre composant
indispensable pour cette explosion â qui avait utilisĂ© du plutonium â Ă©tait lâusine de
retraitement, elle aussi, construite avec la technologie américaine. Les premiers réacteurs
nuclĂ©aires vendus par lâAngleterre Ă la fin des annĂ©es 1950 Ă lâItalie et au Japon Ă©taient de
type Magnox
3
. Mais lâAngleterre nâĂ©tait pas capable de maintenir son avance technologique
et abandonnait le modĂšle mĂȘme de Magnox.
La controverse entre les partisans de rĂ©acteurs utilisant lâuranium naturel et lâuranium
enrichi avait dominé le marché naissant des réacteurs. La France a vendu un de ces
réacteurs de type gaz graphite
4
à Vandellos, une société mixte franco-espagnole en
Espagne. Le Canada Ă©tait le pays qui vendait la plupart des unitĂ©s dâuranium naturel/eau
lourde : il vendait par exemple, Ă lâArgentine, Ă lâInde, au Pakistan, Ă la CorĂ©e du Sud et un
large rĂ©acteur de recherche Ă TaĂŻwan. LâAllemagne avait aussi vendu Ă lâArgentine. Mais,
mis à part ces exceptions, le marché international des réacteurs était dominé par les
rĂ©acteurs Ă eau lĂ©gĂšre. Ceux-ci, utilisaient lâuranium enrichi comme combustible et
lâenrichissement de lâuranium Ă©tait sous le monopole amĂ©ricain jusquâĂ la fin des annĂ©es
1970.
Ă lâintĂ©rieur des Ătats-Unis, la concurrence se jouait aussi entre deux types de
fournisseurs : les américains (réacteurs à eau légÚre) et les britanniques, français et
canadiens (rĂ©acteurs utilisant lâuranium naturel). GrĂące Ă cette concurrence, les termes
1
PrĂ©sident fondateur de lâOEAI.
2
RĂ©acteur thermique dans lequel lâoxyde de deutĂ©rium (D
2
O
2
) est le modérateur. Ces réacteurs
utilisent souvent, mais pas nĂ©cessairement, lâuranium naturel.
3
Version britannique de rĂ©acteur, refroidi Ă gaz, utilisant lâuranium naturel contenu dans
Magnox (oxyde de manganĂšse).
4
RĂ©acteur thermique refroidi par gaz et utilisant lâuranium naturel et le graphite comme
modérateur.
149
Ă©taient plutĂŽt favorables pour les acheteurs
1
. Un autre élément important était le
financement des exportations, particuliÚrement aux pays en voie de développement. Des
prĂȘts Ă taux rĂ©duits Ă©taient lâĂ©lĂ©ment dĂ©cisif dans la vente amĂ©ricaine Ă lâInde ainsi que la
vente canadienne au Pakistan.
Câest le programme de coopĂ©ration US-Euratom pour construire 1 000 000 MW de
capacitĂ© nuclĂ©aire dans la CommunautĂ© europĂ©enne, qui a permis aux Ătats-Unis
dâaugmenter ses exportations et de crĂ©er une industrie de rĂ©acteur Ă eau lĂ©gĂšre en Europe.
La volonté des fabricants américains de vendre leur technologie sous brevet permit la
création de la capacité de fabrication de réacteurs à eau légÚre en France, en Allemagne de
lâOuest, en Italie et au Japon. Pendant la pĂ©riode de coopĂ©ration internationale les
EuropĂ©ens investirent lourdement dans lâindustrie nuclĂ©aire, mais lâutilitĂ© de ces
investissements, restait, dans les meilleurs des cas, limitée aux marchés nationaux. Depuis
1979 il nây a plus eu de vente de rĂ©acteur Ă lâĂ©tranger.
Pendant la pĂ©riode 1974-75, il y eut 20 Ă 25 commandes dâusines nuclĂ©aires seules aux
Ătats-Unis. En 1979, la capacitĂ© mondiale (en dehors des Ă©conomies planifiĂ©es) pouvait
fournir entre 60 Ă 70 rĂ©acteurs par an. Beaucoup de pays industrialisĂ©s craignaient quâavec
cette baisse dâactivitĂ©, les fabricants nationaux ne puissent pas survivre. Il y avait donc des
enjeux considérables pour une concurrence agressive dans le marché limité de
lâexportation, pour Ă©quilibrer la diminution des commandes intĂ©rieures
2
. Le choc pétrolier
de 1974 avait beaucoup contribuĂ© Ă lâattractivitĂ© de lâoption nuclĂ©aire. Lâaugmentation du
coĂ»t des rĂ©acteurs les rendait moins rentables, et la rĂ©cession en conjonction avec lâinflation
attĂ©nuait le pouvoir dâachat des pays importateurs. De 1979 Ă 1982, une cinquantaine de
commandes de réacteurs ont été annulées
3
. En revanche le régime de contrÎle a été une
rĂ©ussite : fin 1990, environ 350 tonnes de plutonium, 10 tonnes dâuranium trĂšs enrichi et
35 000 tonnes dâuranium faiblement enrichi se seraient trouvĂ©es sous le contrĂŽle de
lâAIEA
4
.
1
Smart, Ian,
World Nuclear Energy: Towards a Bargain of Confidence
, Johns Hopkins University Press,
Baltimore, 1982, p. 29.
2
Rochlin, Gene I.,
Plutonium, Power, and Politics: International Arrangements for Disposition of Spent Nuclear
Fuel
, Berkley, University of California Press, 1979, p. 66.
3
Political Electricity, p. 34.
4
Rapport sur le projet de loi autorisant lâadhĂ©sion au TraitĂ© sur la non-prolifĂ©ration des armes
nucléaires, deuxiÚme session ordinaire de 1991-1992, p. 22.
150
Retraitement
Le retraitement est lâĂ©tape dans le cycle du combustible nuclĂ©aire qui permet lâisolation
du plutonium qui se trouve dans les « déchets » des réacteurs nucléaires et qui peut servir
Ă des fins militaires. Les conceptions initiales de lâexploitation de lâĂ©nergie nuclĂ©aire,
utilisant les réacteurs à eau légÚre, prévoyaient le recyclage de plutonium qui y était
produit. Ce plutonium, ainsi que lâuranium rĂ©cupĂ©rĂ© dans les dĂ©chets rĂ©duisaient le coĂ»t
du cycle du combustible nucléaire et ceci malgré les frais supplémentaires de retraitement,
car le plutonium peut ĂȘtre rĂ©utilisĂ© comme combustible. La technologie de retraitement ne
faisait pas partie des documents dĂ©classifiĂ©s par les Ătats-Unis et lâAngleterre pour la
premiÚre conférence de GenÚve en 1955. Mais les documents sur le retraitement par
extraction chimique avaient Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©s par la France. Les Ătats-Unis et lâAngleterre ont
ainsi suivi la France au cours de la confĂ©rence suivante, en 1958. LâUnion soviĂ©tique, en
revanche, nâa pas partagĂ© sa technologie de retraitement et a toujours insistĂ© pour que les
dĂ©chets de ses partenaires des pays de lâest soient retournĂ©s en URSS pour retraitement
1
.
Dans les annĂ©es 1960, lâindustrie française, qui avait dĂ©jĂ une expĂ©rience importante
dans ce domaine grĂące son programme nuclĂ©aire national, prenait lâinitiative de former un
consortium de treize pays de lâEurope de lâOuest pour introduire une activitĂ© de
retraitement en Europe sous les auspices de lâOCDE. Cette premiĂšre usine de retraitement
europĂ©enne fut construite Ă Mol, en Belgique, par lâAgence EuropĂ©enne de lâĂnergie
NuclĂ©aire. Lâintention initiale Ă©tait de construire une usine entiĂšrement commerciale et
multinationale, avec une capacité maximale de mille tonnes par an ce qui était suffisant
pour servir plus dâune trentaine de rĂ©acteurs civils. Mais comme la croissance anticipĂ©e de
lâĂ©nergie nuclĂ©aire ne sâest pas rĂ©alisĂ©e, le projet a Ă©tĂ© rĂ©duit Ă une usine pilote de
production dâune capacitĂ© de 70-100 tonnes par an, ce qui ne pouvait pas lui permettre un
succĂšs commercial
2
.
Dâautres installations de retraitement furent fabriquĂ©es ailleurs, et souvent avec peu
dâassistance Ă©trangĂšre car la technologie de retraitement est assez conventionnelle. CâĂ©tait
par exemple le cas dâune usine en Inde avec une capacitĂ© importante de retraitement de
1
Smart, Ian,
World Nuclear Energy: Towards a Bargain of Confidence
, Johns Hopkins University Press,
Baltimore, 1982, p. 34.
2
A European Non-Proliferation Policy.
151
plutonium, basée sur la technologie américaine, qui est entrée en fonction en 1966.
Dâautres installations plus modestes furent fabriquĂ©es en Espagne, en Argentine et en Italie.
Lâusine israĂ©lienne de retraitement de Dimona passera ses premiers essais avec succĂšs en
1965 et produira du plutonium dĂšs 1966-1967
1
. Une usine pilote de retraitement, fondée
sur lâexpĂ©rience europĂ©enne, a Ă©tĂ© construite en Allemagne de lâOuest en 1970. Câest
seulement Ă la fin des annĂ©es 1960 que lâattitude amĂ©ricaine vis-Ă -vis de lâassistance pour la
fabrication des usines de retraitement change. Avec le rapprochement de lâintroduction du
TNP, et le fait quâil y avait des sources importantes de rĂ©acteurs et combustibles sans
sauvegarde, le gouvernement américain a commencé à prendre des initiatives informelles
pour restreindre lâassistance de lâindustrie amĂ©ricaine dans le domaine de retraitement.
Ceci sâest formalisĂ© en 1973 avec un amendement aux rĂ©gulations amĂ©ricaines, qui
imposait le contrĂŽle et lâapprobation du gouvernement dans chaque cas dâassistance. Ce
rĂšglement ne prohibait pas lâassistance en gĂ©nĂ©ral, mais permettait au gouvernement
amĂ©ricain de traiter les demandes dâassistance au cas par cas.
Pour les pays utilisateurs de lâĂ©nergie atomique, lâenjeu du retraitement est commercial :
si le coût du retraitement des déchets et de leur réutilisation comme combustible dans les
rĂ©acteurs est infĂ©rieur au coĂ»t dâachat de lâuranium enrichi, ils ont tout intĂ©rĂȘt Ă opter pour
le retraitement. Pour les Ătats-Unis qui veulent Ă©viter lâaccĂšs dâautres nations Ă lâarme
nucléaire, cela représente un enjeu politique et commercial : non seulement le retraitement
peut réduire le coût unitaire énergétique des pays concurrents, mais il peut aussi leur
fournir des moyens de dissuasion et de défense qui diminuent la supériorité militaire des
Ătats-Unis. Il est aussi plus facile dâutiliser du plutonium dans une arme nuclĂ©aire que de
lâuranium enrichi.
à la fin de la période de coopération internationale (1953-1973), il est devenu évident
que le retraitement Ă©tait la premiĂšre activitĂ© dans le cycle du combustible nuclĂ©aire Ă
connaĂźtre une offre insuffisante. Une usine commerciale de retraitement aux Ătats-Unis,
construite en 1966, a été fermée sans explication en 1972. Une autre usine terminée en
1973 nâest mĂȘme pas entrĂ©e en exploitation. En France et au Royaume-Uni, la reconversion
des installations militaires a fourni une capacité limitée. Ailleurs, au Japon et en Allemagne,
1
Spector, Leonard S.,
Nuclear Ambitions: The Spread of Nuclear Weapons 1989-1990,
Westview Press,
152
les usines de retraitement en construction ont pris des retards importants, principalement Ă
cause dâune opposition publique croissante. Lâopposition la plus forte sâest faite sentir aux
Ătats-Unis provenant des intĂ©rĂȘts Ă©cologistes, en 1973. En avril 1977, lâadministration
Carter a dĂ©clarĂ© son intention dâarrĂȘter le dĂ©veloppement de plutonium comme combus-
tible. Les Ătats-Unis pensaient avoir une capacitĂ© suffisante pour pouvoir fournir aux pays
qui ne possĂ©daient pas leurs propres facilitĂ©s dâenrichissement de lâuranium enrichi
1
comme substitut. Pour lâIran, la question du retraitement ne se posait pas Ă lâĂ©poque. Car le
Shah voulait de lâĂ©nergie nuclĂ©aire. Mais avec le retard considĂ©rable quâil avait pris dans le
lancement de cette industrie, les changements importants survenus dans la structure
internationale de ce secteur, ainsi que sa dépendance quasi totale vis-à -vis des partenaires
Ă©trangers pour tous les maillons de la chaĂźne du cycle du combustible nuclĂ©aire, il Ă©tait prĂȘt
Ă tous les compromis pour avoir « du nuclĂ©aire ». Mais dâaprĂšs Ătemad, la question de
retraitement ne se posait mĂȘme pas, car « câĂ©tait le dĂ©but de notre programme et ce sujet
allait se poser à nous dans plus de quarante ans »
2
.
La politique de la non-prolifĂ©ration est un des sujets que lâadministration Carter a en
priorité passé en revue. Les consultations sur ce point avaient commencé avant la
nomination de Jimmy Carter. Dans deux dĂ©clarations datant dâavril 1977, le prĂ©sident
Carter dĂ©crit sa politique : lâajournement de toutes les activitĂ©s de retraitement et
dâenrichissement commercial, le ralentissement et la rĂ©orientation des dĂ©veloppements de
réacteurs de type
fast breeder
, pour ne pas utiliser le cycle combustible plutonium. Pour
faire preuve de non-discrimination, Carter annonçait quâil nâencourageait pas lâopĂ©ration
de lâusine commerciale de retraitement de Barnwelle (USA), et que le gouvernement
arrĂȘterait le dĂ©veloppement dâun projet de rĂ©acteur
fast breeder
Ă Clinch River (USA). Pour
aller Ă lâencontre des critiques Ă©trangĂšres, il offrit lâassurance que les Ătats-Unis resteraient
un fournisseur sérieux de combustible nucléaire
1
. Cette nouvelle politique Ă©tait trĂšs
critiquĂ©e au Japon et en Europe oĂč il y avait des programmes de retraitement, de recyclage
de plutonium et des réacteurs de type
fast breeder
en cours. En 1978, Carter fait passer son
Boulder, 1990, p. 153.
1
Cottrell, Alvin J., Dougherty, James E.,
Iranâs Quest for Security: US arms Transfers and the Nuclear
Option
, Institute for Foreign Policy Analysis, Inc. Cambridge (MA), mai 1977, p. 28.
2
Barnameyeh Energieh Atomieh Iran
, p. 54.
153
Nuclear non-prolifération Act
qui, entre autres, donne aux Ătats-Unis le droit de dĂ©cision et
dâapprobation sur les services de retraitement rendus sur le plan international
2
.
Les Ătats-Unis avaient rĂ©ussi Ă Ă©tablir la norme de rĂ©acteurs Ă eau lĂ©gĂšre (nĂ©cessitant
lâuranium enrichi comme combustible, et donc des services dâenrichissement) comme
norme internationale. Mais le contrÎle de la source de combustible pour ces réacteurs lui
avait échappé
3
.
Quand les pressions de lâalliĂ© dâantan,
les Ătats-Unis, surviennent
Les difficultĂ©s dâachat dâarmes amĂ©ricaines
DĂšs 1973 â lâannĂ©e de lâaugmentation des prix pĂ©troliers par lâOPEP â les Ătats-Unis
revoient leur politique de vente dâarmes au Moyen-Orient. Cette politique a Ă©tĂ© mise en
dĂ©bat dans le cadre de la formulation de la politique Ă©trangĂšre des Ătats-Unis. Lâune des
justifications de ce débat était que les administrations Nixon et Ford avaient utilisé la vente
dâarmes pour amĂ©liorer la balance des paiements des Ătats-Unis. Mais ce qui dĂ©montrent
les intentions rĂ©elles de cette controverse, câest que les deux acteurs majeurs de lâOPEP,
lâIran et Ă un moindre degrĂ© lâArabie Saoudite, Ă©taient au centre du dĂ©bat. Les critiques de
cette politique prĂ©tendaient quâun pays comme lâIran nâavait pas besoin dâune force
conventionnelle dâune telle qualitĂ© et importance. Ils maintenaient que la vente des armes
Ă©tait en soi dĂ©stabilisante et que le programme dâapprovisionnement militaire de lâIran
nâavait de sens que si le Shah avait lâintention de lâutiliser Ă des fins expansionnistes
agressives
4
. En plus, lâutilisation Ă©ventuelle de ces armes, dâaprĂšs cette commission du
Sénat pour les affaires étrangÚres, aurait nécessité une implication directe des personnels
amĂ©ricains, ce que les Ătats-Unis ne voulaient pas :
1
Smart, Ian,
World Nuclear Energy: Towards a Bargain of Confidence
, Johns Hopkins University Press,
Baltimore, 1982, p. 44.
2
Ibid.
,
p. 47.
3
Ibid.
,
p. 39.
4
Voir la référence à ce débat initial dans
US Congress, Senate, Committee on Foreign Relations, US
Military Sales to Iran, Staff Report to the Subcommittee on Foreign Assistance, 94th Congress, 2nd Session
,
Government Printing Office, Washington DC, 1976, p. 12.
154
« Les observateurs les mieux informĂ©s croyaient que lâIran ne serait pas capable
dâabsorber et dâopĂ©rer, dans les cinq Ă dix ans Ă venir, une grande partie des
Ă©quipements sophistiquĂ©s quâil achetait aux Ătats-Unis, sauf si un nombre croissant
dâexperts amĂ©ricains venaient en Iran pour lâaider. »
1
La question maintenant était : pourquoi aider un ancien client/allié sur le chemin de
l'indépendance à devenir plus fort, car non seulement il ne partageait plus les bénéfices de
ses recettes pĂ©troliĂšres, mais aussi il avait Ă©tĂ© Ă lâorigine dâun des plus grands chocs
Ă©conomiques dans lâHistoire ? Le Shah qui avait Ă©tĂ© client des Ătats-Unis depuis 1954 avait,
de facto
, nationalisĂ© lâindustrie pĂ©troliĂšre en 1973 : 40 % de la moitiĂ© des revenus
dâexportations pĂ©troliĂšres de lâIran avaient alors Ă©chappĂ© aux compagnies amĂ©ricaines â
lâun des lobbies les plus puissants aux Ătats-Unis. LâIran Ă©tait aussi un acteur essentiel dans
lâOPEP qui avait quadruplĂ© le coĂ»t du facteur de production le plus important des pays
industrialisés.
Dans la relation clientĂ©liste entre lâIran et les Ătats-Unis, lâĂ©conomie et la sĂ©curitĂ© Ă©taient
les deux facteurs essentiels. Du cotĂ© de lâĂ©conomie, le pĂ©trole, le composant le plus
important de lâĂ©conomie iranienne, rapportait des bĂ©nĂ©fices directs aux compagnies
américaines. La partie des bénéfices captée par le pays (50 % des profits) aidait à financer,
entre autres, lâachat dâarmes, qui convenait aussi aux fabricants dâarmes amĂ©ricains, et qui
faisaient de lâIran un partenaire rĂ©pondant aux prĂ©occupations de sĂ©curitĂ©. Avec la
nuclĂ©arisation de la rĂ©gion, le rĂŽle sĂ©curitaire de lâIran sâen trouvait diminuĂ© : non
seulement la superpuissance rĂ©gionale nâavait pas de paritĂ© nuclĂ©aire avec IsraĂ«l et lâInde,
1
Ibid., p. VIII.
0
3000
6000
9000
1972
1973
1974
1975
1976
1977
1978
Exportations pétroliÚres iraniennes : 1973-1978 ($m)
Source : International Financial Statistics, FMI 2003
155
mais on lâaccusait dĂ©sormais de ne mĂȘme pas pouvoir « absorber » des armes
conventionnelles
1
.
Avec le changement de position de lâIran, les Ătats-Unis estimĂšrent quâil fallait mieux
orienter les ventes dâarmes, qui, mĂȘme comme source de revenu, nâĂ©taient plus « dans
lâintĂ©rĂȘt global de la politique amĂ©ricaine »
2
. Avec la nouvelle posture de lâIran, non
seulement on pensait maintenant quâun pays comme lui nâavait pas besoin de lâimportante
force militaire quâil avait constituĂ©e, mais dĂ©sormais on croyait aussi que cette force pouvait
mĂȘme « dĂ©stabiliser la rĂ©gion ». Et en plus, il y avait un problĂšme « dâabsorption de ces
armes ». Ainsi, si le pays se trouvait dans un conflit militaire important, les Ătats-Unis
auraient pu ĂȘtre amenĂ©s Ă y participer, en raison des liens logistiques et de lâimportant
personnel militaire américain stationné en Iran, en relation avec les programmes de
construction, maintenance et formation pour les systÚmes de défense
1
.
Les six administrations américaines, de Truman (1945-1953) à Ford (1974-1977), avaient
considĂ©rĂ© la sauvegarde de la sĂ©curitĂ© de lâIran dans lâintĂ©rĂȘt national des Ătats-Unis.
Depuis la Seconde Guerre, les AmĂ©ricains avaient considĂ©rĂ© lâIran comme un pays
dâimportance stratĂ©gique, pour sa position gĂ©ographique et ses rĂ©serves de pĂ©trole. LâIran
et la Turquie jouaient un rÎle important pour la politique de «
containment
» américaine
dans la rĂ©gion, en barrant la route dâaccĂšs de lâUnion soviĂ©tique au golfe Persique et Ă la
MĂ©diterranĂ©e. Pour cette raison les AmĂ©ricains avaient soutenu lâIran pendant la crise
dâAzerbaĂŻdjan en 1946. La CIA avait rĂ©tabli le Shah en 1953, et le gouvernement amĂ©ricain
lui accordait une assistance militaire depuis sa participation au CENTO en 1955. Et, comme
nous lâavons vu prĂ©cĂ©demment, la vente dâarmes Ă lâIran Ă©tait une source importante de
revenus pour les Ătats-Unis, mais il y eut une Ă©poque oĂč lâIran voulut diminuer ces achats.
Cette politique fut mĂȘme renforcĂ©e aprĂšs le coup anti-occidental de 1958 en Irak,
lâadministration Kennedy (dĂ©mocrate 1961-63), ayant Ă©tĂ© la seule Ă considĂ©rer que lâIran
nâavait pas besoin dâune force militaire pour faire face aux besoins de dĂ©fense extĂ©rieure.
1
DâaprĂšs les analystes amĂ©ricains Ă lâĂ©poque, la formation des troupes iraniennes, et en particulier les
officiers ne suivait pas le rythme des évolutions technologiques des armes conventionnelles achetées
aux Ătats-Unis.
2
US Congress, Senate, Committee on Foreign Relations, US Military Sales to Iran, Staff Report to the
Subcommittee on Foreign Assistance, 94th Congress
, p. 14.
156
Lâadministration Kennedy prenait la mĂȘme position vis-Ă -vis des autres alliĂ©s des Ătats-Unis
qui recevaient une assistance militaire américaine. Un conseiller de Kennedy écrit :
« Le Shah insistait pour que nous lâaidions Ă dĂ©velopper une armĂ©e qui coĂ»tait trop
cher et qui était trop grande pour des incidents de frontiÚre et la sécurité intérieure, et
totalement inutile dans une vraie guerre de grande échelle⊠»
2
Mais lâadministration de Johnson avait de nouveau changĂ© la politique des Ătats-Unis
envers lâIran. Deux ans aprĂšs lâarrivĂ©e au pouvoir de Lyndon Johnson (1963-69), les Ătats-
Unis avait recommencĂ© Ă fournir des crĂ©dits dâassistance militaire Ă lâIran. Les relations
irano-amĂ©ricaines sâamĂ©lioreront pendant lâadministration Johnson, sauf pour lâincident de
la guerre indo-pakistanaise de 1965, et la critique du Shah sur la position américaine.
Cottrell et Dougherty â deux conseillers militaires amĂ©ricains qui avaient Ă©tĂ© chargĂ©s de
faire le point sur les « besoins militaires » de lâIran en 1976 â fournissent une analyse sur la
position sĂ©curitaire iranienne de 1976 : lâIran commençait Ă revoir sa sĂ©curitĂ© aprĂšs la
guerre indo-pakistanaise de 1965 et le retrait des forces britanniques dâAden en 1967 (un
an avant la dĂ©claration formelle le Londres de se retirer de « lâest de Suez »). Les
nĂ©gociations pour lâachat des F-4s, les avions les plus sophistiquĂ©s du monde Ă lâĂ©poque, se
tenaient en 1965 entre lâIran et lâadministration de Johnson. Un accord avait Ă©tĂ© signĂ© en
1967 et la livraison sâĂ©tait faite Ă la fin de 1968, avant lâarrivĂ©e au pouvoir de Nixon. LâIran
avait Ă©tĂ© le seul pays, hors de lâEurope, Ă recevoir les F-4s, avant mĂȘme IsraĂ«l envers qui les
Ătats-Unis avaient un engagement dâassistance pour assurer sa dĂ©fense
3
. Dâautres F-4
furent livrĂ©s pendant lâadministration Nixon, sans quâil nây eut jamais de critique du
CongrÚs américain.
Cottrell et Dougherty estimaient quâil y avait une possibilitĂ© pour le Shah dâĂȘtre amenĂ© Ă
aider le Pakistan Ă se dĂ©fendre vis-Ă -vis de lâInde nuclĂ©aire, dans le cas dâun conflit
1
Le nombre des civils et officiels amĂ©ricains en Iran Ă©tait estimĂ© Ă 24 000 en 1976. DâaprĂšs la source
ci-dessus,
p. 1.
2
Theodore Sorenson, 1965, cité dans Cottrell, Alvin J., Dougherty, James E,
Iranâs Quest for Security:
US Arms Transfers and the Nuclear Option
,
Institute for Foreign Policy Analysis, Inc. Cambridge (MA),
mai 1977, p. 42.
3
La vente de F-4s Ă IsraĂ«l avait dâailleurs Ă©tĂ© sujette Ă un court embargo des Ătats-Unis pour
mettre la pression sur IsraĂ«l afin quâil dĂ©clare quâil nâavait pas dâintention de produire des armes
nuclĂ©aires. Mais ce blocage se lĂšve sans quâIsraĂ«l ne cĂšde Ă cette pression avec lâintervention
directe de Johnson pour détourner la bureaucratie américaine et il annonce la livraison de 50
appareils F-4s à Israël. Voir Quandt, William B.,
Decade of Decisions,
University of California Press,
1977, p. 67.
157
Ă©ventuel
1
. Il est vrai que le Shah avait dĂ©clarĂ© quâil ne tolĂ©rerait plus de dĂ©membrement
territorial du Pakistan, et quâil voulait soutenir son gouvernement contre la menace crĂ©Ă©e
par le mouvement séparatiste du Pushtunistùn (nord-est du Pakistan, soutenu par
lâAfghanistan avec ferveur depuis la chute du Roi Mohammed Zahir en 1973) et en
BalĂ»chistĂąn (sud est de lâIran, Sud Ouest du Pakistan, soutenu par lâIrak). Selon lui, un Ătat
indĂ©pendant en BalĂ»chistĂąn, en conjonction avec la chute du Sultan dâOman, pourrait
mettre deux gouvernements hostiles de chaque cotĂ© de lâentrĂ©e du golfe Persique. Un tel
développement pourrait mettre en cause le libre passage du pétrole iranien.
La sĂ©curitĂ© du golfe Persique Ă©tait dâune importance primordiale pour lâIran, car le
transport du pĂ©trole â la premiĂšre source de revenu du pays â dĂ©pendait de la libertĂ© de
circulation dans le Golfe. Cette question du transport maritime liait la sécurité du golfe
Persique Ă celle de lâocĂ©an Indien, ce qui explique lâinsistance du Shah pour une prĂ©sence
navale amĂ©ricaine dans lâocĂ©an Indien, y compris les bases amĂ©ricaines Ă Diego Garcia. Il
Ă©tait donc trĂšs sensible Ă tous les signes dâune volontĂ© amĂ©ricaine de cĂ©der sa position
hĂ©gĂ©monique stratĂ©gique dans lâocĂ©an Indien face Ă lâUnion soviĂ©tique. La seule voie
dâaccĂšs du pĂ©trole iranien au marchĂ©, Ă lâĂ©poque, Ă©tait le dĂ©troit dâOrmuz, ce que le Shah
appelait lâartĂšre de lâOccident. Ainsi il avait fourni Ă lâOman des troupes iraniennes et
commençait Ă construire la base navale de Shah Bandar dans le golfe dâOman
2
â pour la
surveillance aĂ©rienne du nord-ouest de lâocĂ©an Indien.
1
Cottrell, Alvin J., Dougherty, James E.,
Iranâs Quest for Security: US Arms Transfers and the Nuclear
Option
, Institute for Foreign Policy Analysis, Inc. Cambridge, MA, mai 1977, p. 8.
2
Ibid., p. 9. La présence des forces iraniennes en Oman sera admise par le Premier ministre
Hoveyda lors dâune visite Ă Londres en 1973.
Moyen Orient
Amérique du Nord
A mérique Latine
Afrique
Europe de lâOuest
Ex Union Soviétique
Asie Pacifique
Iran
Venezuela
Ecuador
Gabon
Nigeria
Algérie
Libye
Pays OPEP
Ancien Membre OPEP
Moyen Orient
Amérique du Nord
A mérique Latine
Afrique
Europe de lâOuest
Ex Union Soviétique
Asie Pacifique
Iran
Venezuela
Ecuador
Gabon
Nigeria
Algérie
Libye
Pays OPEP
Ancien Membre OPEP
158
Le Shah considérait les gouvernements conservateurs comme le seul moyen de résister
aux mouvements nationalistes, ethniques, au marxisme et Ă lâanarchie dans le monde arabe
et autres pays de la région. Quand les troupes irakiennes traversÚrent la frontiÚre du Koweït
en 1973 â pour prendre le contrĂŽle des Ăźles Bubyane et Warba â il proposa une aide
militaire au KoweĂŻt, ce qui fut le cas de la Jordanie et de lâArabie Saoudite aussi. Le KoweĂŻt,
Ă lâĂ©poque, Ă©tait dĂ©cidĂ© Ă accepter lâoffre saoudienne. Mais le Shah avait dĂ©clarĂ©
publiquement quâil nâaccepterait pas lâannexion du KoweĂŻt par lâIrak. LâIrak continuera
dâimportuner lâIran par son soutien des mouvements nationalistes et sĂ©cessionnistes, au
moins jusquâau traitĂ© dâAlger de 1975 â et ensuite aprĂšs la rĂ©volution iranienne. Le rĂŽle de
sécurité régionale pour lequel le Shah était depuis longtemps préparé, semblait devenir
plus difficile Ă assumer que prĂ©vu. Certains voyaient mĂȘme lâIran encerclĂ© par lâUnion
soviétique et ses sympathisants.
Le 12 mars 1972, le Shah, dans un entretien avec le journal indien
Blitz,
avait dit que
« lâIrak avait Ă la fois plus de chars et dâavions que lâIran et que certaines de ses armes
étaient plus sophistiquées que celles des forces iraniennes. Des MIG-21 et les bombardiers
supersoniques TU-22 ont Ă©tĂ© fournis Ă lâIrak et il y aurait mĂȘme eu des avions â
supersoniques mach2 â SU-20s dans le pays [âŠ] Nous nâaurons pas dâavions aussi
sophistiqués avant que les F-16s soient livrés en 1976 »
1
. Des incidents de frontiĂšre avaient
Ă©tĂ© plus frĂ©quents depuis la livraison de ces armes Ă lâIrak. En 1973 et 1974, il y eut plus
dâune dizaine dâĂ©changes de feu importants avec lâIrak. LâIrak utilisera aussi du gaz sur les
populations kurdes alors que personnes à ce moment là ne parle des « Armes de
Destruction Massive » (
Weapons of Mass Destruction
). LâIrak soutiendra aussi un grand
nombre de mouvements subversifs dans la rĂ©gion â KhuzestĂąn
2
, Kurdistan, Balûchistùn,
Oman, ĂrythrĂ©e, Tchad, Somalie, [âŠ].
1
Iranâs foreign relations
, p. 5.
2
Qui contient la majoritĂ© des ressources pĂ©troliĂšres dâIran et dont la population est de souche
majoritairement arabe.
159
Quoiquâil en soit, lâIran considĂ©rait le Pakistan comme une zone tampon sur son cĂŽtĂ©
est, et celui-ci nâavait plus les moyens de se dĂ©fendre
1
. Le Shah avait déclaré en 1972 que
lâIran nâaccepterait pas le dĂ©membrement du Pakistan et considĂ©rait une future attaque
contre le Pakistan comme une attaque contre lui-mĂȘme
2
. Amir Taheri, un spécialiste de la
politique de défense iranienne écrit en 1975 :
« Tant quâil nây aura pas dâarmes nuclĂ©aires dans cette rĂ©gion, lâIran restera la
puissance militaire la plus forte, non seulement du golfe Persique, mais du Moyen-
Orient et de lâocĂ©an indien [âŠ] Les armes nuclĂ©aires auront un effet dâĂ©quilibre qui
diminuera la supĂ©rioritĂ© quantitative et qualitative de lâIran. »
3
Un autre analyste, Walter Hahn, Ă©crivit la mĂȘme annĂ©e, que la direction potentielle de la
prolifĂ©ration nuclĂ©aire Ă©tait difficilement prĂ©visible, mais quâil pensait que lâacquisition de
lâarme nuclĂ©aire par lâInde mettait une pression Ă©norme sur le Pakistan pour acquĂ©rir sa
propre capacitĂ© nuclĂ©aire. Le Pakistan considĂ©rait lâindisponibilitĂ© dâune protection
nucléaire des superpuissances comme une raison de prolifération. Son expérience du passé
lui avait montrĂ© quâil ne pouvait pas compter sur ses liens dâalliance ni avec les Ătats-Unis,
ni avec la Chine, pour le protĂ©ger contre lâattaque et dĂ©membrement par lâInde. Pour
Hahn, le Pakistan semblait ĂȘtre dans lâ
obligation
dâobtenir la capacitĂ© nuclĂ©aire. Il a estimĂ©
que lâIran aussi Ă©tait sujet Ă des pressions indirectes
4
.
En 1974, lâIran se trouvait donc en face des dĂ©veloppements trĂšs importants qui
affectaient sa sécurité :
1. Le changement de la politique des Ătats-Unis, rĂ©duisant son engagement direct dans
le maintien de la sécurité de la région,
2. La vente des armes américaines à l'Iran qui sont devenues sujettes à des critiques
sĂ©vĂšres Ă lâintĂ©rieur des Ătats-Unis,
1
LâIran fournissait des aides financiĂšres Ă lâAfghanistan, au Pakistan et Ă lâInde pour Ă©viter des
difficultés économiques qui auraient pu créer des instabilités dans ces pays et dont
lâintensification risquait de nuire Ă lâIran.
2
Taheri, Amir, « Policies of Iran in the Persian Gulf Region » dans Amiri, Abbas, ed.,
The Persian
Gulf and Indian Ocean in International Politics,
Institute for International Politics and Economic
Studies, Téhéran, 1975, p. 265.
3
Hessing Cahn, Anne, « Determinants of the Nuclear Option: The Case of Iran » dans Marwah,
Omar et Schultz, Ann, ed.,
Nuclear Proliferation and Near Nuclear Countries
, Cambridge (MA),
Ballinger, 1975, p. 195.
4
Hahn, Walter F., «
Nuclear Proliferation
»,
Strategic Review,
hiver 1975, p. 18.
160
3. Le vide crĂ©Ă© par le dĂ©part des forces britanniques de lâest de Suez et le manque de
volontĂ© ou de capacitĂ© des Ătats-Unis dâengagement direct pour assurer la sĂ©curitĂ© de la
région
1
.
Ă ces facteurs sâajoutait lâĂ©lĂ©ment nuclĂ©aire : Ă lâouest, IsraĂ«l avait assemblĂ© des armes
nuclĂ©aires pendant la guerre dâoctobre 1973, et Ă lâest, lâInde possĂ©dait dĂ©sormais lâarme
nuclĂ©aire. Une invasion soviĂ©tique de lâIran Ă des fins politiques et Ă©conomiques, Ă©tait
toujours une possibilité
2
. La probabilité de cette éventualité augmentait avec la baisse de
lâinfluence amĂ©ricaine au Moyen-Orient, en dessous du seuil dâĂ©quilibre des
superpuissances. Une telle Ă©ventualitĂ© aurait aussi pu justifier la quĂȘte de lâIran pour des
moyens supplémentaires de dissuasion.
LâĂ©tude de Cottrell et Dougherty
3
, aprÚs une analyse détaillée des forces
conventionnelles iraniennes avait conclu :
« [âŠ] LâĂ©tablissement militaire de lâIran peut garantir dans la plupart des cas, sa
sĂ©curitĂ© nationale contre les attaques Ă©trangĂšres ; assurer lâouverture du golfe Persique
pour le passage de pétrole, et aider à sauvegarder la région contre les radicaux
rĂ©volutionnaires et terroristes [âŠ] Ă la condition que : 1. Les Ătats-Unis continuent
dâassurer une dissuasion contre les efforts cherchant Ă perturber la stabilitĂ© de la rĂ©gion ;
2. LâIran puisse maintenir sa capacitĂ© politique et Ă©conomique pour pouvoir amĂ©liorer
ses forces militaires, en achetant des Ă©quipements modernes et sophistiquĂ©s ; 3. Il nây ait
pas de menace pour sa sĂ©curitĂ© par lâUnion soviĂ©tique directement ou par des pays
soutenus par elle ou bien par lâInde nuclĂ©arisĂ© qui peut mettre une pression sur le
Pakistan ou sur lâIran lui-mĂȘme. »
1
Les armes conventionnelles sont ainsi devenues
problématiques
dâautant plus quâelles
coûtaient trop cher. Cottrell et Dougherty prévoyaient aussi que :
« LâIran garderait probablement son engagement Ă maintenir une force militaire
conventionnelle moderne, technologiquement sophistiquée et trÚs mobile. Mais le coût
dâune telle force continuerait Ă monter en flĂšche. Les gĂ©nĂ©rations suivantes des chars,
1
Ibid.
2
Cottrell, Alvin J., Dougherty, James E.,
Iranâs Quest for Security: US Arms Transfers and the Nuclear
Option,
Institute for Foreign Policy Analysis, Inc. Cambridge, MA, mai 1977, p. 5.
3
Ibid.
161
avions, bateaux, missiles, Ă©quipements de communication, et dâautres systĂšmes
conventionnels, coûteraient trois fois plus cher à la fin des années 80 et au début des
années 90. Sans développement inattendu dans le paysage mondial du pétrole, le prix
de pĂ©trole nâaugmenterait pas aussi rapidement que le coĂ»t de la technologie
occidentale. En plus, avec la montée du standard de vie du peuple iranien, le coût pour
maintenir le personnel qualifiĂ© pour une telle armĂ©e deviendrait exorbitant [âŠ] il y
aurait un point ou lâIran considĂ©rerait le raisonnement militaro-politique suivant :
1. Il est moins cher dâamĂ©liorer lâĂ©tablissement militaire en diminuant la taille des
forces conventionnelles pour lesquelles des nouveaux systĂšmes coĂ»teux dâarmes doivent
ĂȘtre procurĂ©s, et en se dotant de la puissance de feu supĂ©rieure dans le package
nucléaire.
2. La possession dâune industrie nuclĂ©aire rendra cette option faisable, facilitant la
poursuite avec un coût tolérable. »
2
Ils ont conclu que, dans lâanalyse finale, la dĂ©cision de lâIran dĂ©pendait des changements
dans lâenvironnement militaire de la rĂ©gion. MĂȘme si lâIran ne prenait pas lâinitiative de la
prolifération dans la région, il serait obligé de réagir si les autres pays introduisaient les
armes nuclĂ©aires dans lâĂ©quation rĂ©gionale. Cela Ă©tait le cas.
Le Shah lui-mĂȘme avait prĂ©vu ce scĂ©nario en 1975 :
« Nous ne voudrions pas acquĂ©rir les armes nuclĂ©aires pour lâIran, juste pour les
avoir. Mais je vous dis trĂšs franchement que si nâimporte quel nouveau riche dans la
rĂ©gion les obtient, lâIran sera obligĂ© de sâen doter aussi. »
1
LâIran nâĂ©tait pas le seul pays dans cette situation. Dâautres nations avaient Ă©tĂ©
considĂ©rĂ©es par les Ătats-Unis comme des candidats potentiels pour devenir des forces
nuclĂ©aires. Le Pakistan, le Japon, la CorĂ©e du Sud et TaĂŻwan Ă©taient sur la mĂȘme liste au
milieu des années 1970. à cette époque il y avait un débat, dans chacun de ces pays, sur les
moyens et la nĂ©cessitĂ© de devenir « nuclĂ©aire ». Ces pays Ă©taient tous dĂ©pendants des Ătats-
Unis pour leur sĂ©curitĂ©, soit par lâengagement direct amĂ©ricain pour les dĂ©fendre (Japon,
1
Ibid., p. 20.
2
« Iran and the Nuclear Weapons Option » dans Cottrell, Alvin J., Dougherty, James E.,
Iranâs Quest
for Security: US arms Transfers and the Nuclear Option,
Institute for Foreign Policy Analysis, Inc.
Cambridge, MA, mai 1977, p. 36.
162
Corée du Sud, Taïwan) par soit par son assistance et un soutien militaire (Iran et Pakistan).
Mais les dĂ©veloppements des annĂ©es 1970, notamment la dĂ©faite des Ătats-Unis au ViĂȘt-
nam, le changement de sa position vis-Ă -vis de la Chine, sa dĂ©tente avec lâUnion soviĂ©tique,
avaient contribuĂ© Ă la perception dâun dĂ©clin de la capacitĂ© des Ătats-Unis pour un
engagement Ă lâĂ©chelle mondiale et prĂ©sentait des menaces et des opportunitĂ©s nouvelles
aux décideurs de ces pays.
Jusquâen 1976, lâIran Ă©tait encore le client le plus important des Ă©quipements militaires
amĂ©ricains. De 1972 Ă 1976, les Ătats-Unis avaient vendu plus de 10 milliards de dollars
dâarmes Ă lâIran
2
. Le budget de la défense iranien augmentait de 1,4 milliards de dollar en
1972 Ă 9,4 milliards de dollar en 1977, une augmentation de 680 %. En 1977, lâarmĂ©e et la
sécurité en Iran absorbait 40 % du budget national
3
.
Mais dâautres limitations dans lâacquisition des armes conventionnelles semblent avoir
Ă©tĂ© imposĂ©es. En 1975, aprĂšs avoir annulĂ© lâachat de 4 des 6 destroyers
Spurance
des Ătats-
Unis, le Shah remet les travaux de la base navale des eaux profondes de Shahbandar en
cause. Il avait dit Ă Cottrell :
« Je ne peux plus me permettre dâacheter les six destroyers planifiĂ©s [âŠ] et je ne
gĂącherai plus dâargent sur le port de Shahbandar, tant que lâachat des bateaux dâeau
profonde nâest pas sĂ»r [âŠ] »
4
LâIran avait justifiĂ© ceci par la baisse de 4 milliards de dollars dans ses revenus pĂ©troliers.
Mais, au cours de lâannĂ©e prĂ©cĂ©dente, il avait payĂ© pour les centrales allemandes Ă lâavance
et avait mĂȘme fait un prĂȘt de 2 milliards de dollars Ă la France
5
et Ă lâAngleterre : une
réallocation de ressources, favorisant le symbole nucléaire sur les armes conventionnelles,
et les nouveaux partenaires europĂ©ens sur lâalliĂ© historique, les Ătats-Unis.
Pendant lâannĂ©e 1976, la vente des armes amĂ©ricaines Ă lâIran sâest encore plus
compliquĂ©e. Aux Ătats-Unis, les milieux universitaires, religieux et journalistiques ne
1
Keyhan International,
entretien avec Hassanein Haykal, 20 septembre 1975, p. 4.
2
US Congress, Senate,
Committee on Foreign Relations, US Military Sales to Iran, Staff Report to the
Subcommittee on Foreign Assistance, 94th Congress, 2nd Session,
Government Printing Office,
Washington DC, 1976, p. vii.
3
Sources variĂ©es citĂ©es par Bill â qui estime la vente des armes amĂ©ricaines entre 1972 et 1977 Ă
lâIran de 16,2 milliards de dollars, p. 202.
4
Cottrell, p. 24. Basé sur son entretien avec le Shah au palais de Niavaran le 13 janvier 1976.
5
Pour participer au capital dâEurodif.
163
cessaient de critiquer le concept de vente des armes. Certains Américains supportaient mal
lâidĂ©e dâamĂ©liorer la balance des paiements par ces ventes. Il y avait une prĂ©fĂ©rence morale
faisaient Ă©tat dâune prĂ©fĂ©rence idĂ©aliste des instruments Ă©conomiques sur les instruments
militaires
1
.
Les droits de lâhomme liĂ©s Ă la vente dâarmes
En 1976, le CongrĂšs amĂ©ricain sâest efforcĂ© de rĂ©duire les ventes dâarmes Ă lâĂ©tranger. Au
cours de cette année leurs exportations ont été soumises à de nouveaux contrÎles. Le Sénat
américain encourageait des arrangements pour réduire le commerce international des
outils de la guerre, le danger dâĂ©clatement des conflits rĂ©gionaux et le poids imposĂ© par
lâarmement
2
:
« Le président doit mener une étude compréhensive sur les politiques de vente des
armes et les pratiques du gouvernement amĂ©ricain [âŠ] concernant les ventes
commerciales dâarmes, afin de dĂ©terminer si ces politiques et pratiques doivent changer.
Une telle Ă©tude doit examiner la logique de la vente des armes aux pays Ă©trangers, les
bĂ©nĂ©fices de ces ventes pour les Ătats-Unis, les risques que ce genre de vente pose Ă la
paix mondiale [âŠ] »
3
DĂ©sormais, la situation des droits de lâhomme dans le pays receveur dâarmes
amĂ©ricaines Ă©tait aussi associĂ©e aux ventes dâarmes. Lâamendement le plus polĂ©mique,
attachĂ© en 1976 Ă lâActe dâAssistance ĂtrangĂšre de 1961 par le SĂ©nat, stipule :
« Câest la politique des Ătats-Unis en accord avec les obligations dĂ©crites dans la
Charte des Nations unies et en continuation de lâhĂ©ritage constitutionnel et des
traditions des Ătats-Unis, de promouvoir et dâencourager un respect croissant pour les
droits de lâhomme [âŠ] et de promouvoir une observation croissante des droits de
lâhomme par tous les pays [âŠ] Câest la politique des Ătats-Unis de ne pas fournir, sauf
dans les circonstances décrites dans cette section, une assistance de sécurité à tout pays
1
Hessing Cahn, Anne, « Determinants of the Nuclear Option: The Case of Iran » dans Marwah,
Omar et Schultz, Ann, ed.,
Nuclear Proliferation and Near Nuclear Countries
, Ballinger, Cambridge
1975.
2
US Congress, Senate, H. R. 13680, An
Act to Amend the Foreign Assistance Act of 1961 and the Foreign
Military Sales Act, 94th
Congress, second session
, 14 juin 1976, Government Printing Office,
Washington DC, 1976, p. 100-101.
3
Ibid.
164
ou gouvernement qui sâengage dans des pratiques consistant Ă violer les droits de
lâhomme reconnus au niveau international. »
1
Par la loi, le secrĂ©taire dâĂtat Ă©tait maintenant obligĂ© de prĂ©parer, avec lâassistance dâun
« Coordinateur pour les droits de lâhomme », un rapport sur la situation des droits de
lâhomme dans chaque pays proposĂ© comme receveur de lâaide militaire amĂ©ricaine
2
. LâActe
ne prĂ©voyait pas un arrĂȘt systĂ©matique et obligatoire de « lâaide » militaire dans chaque cas
oĂč les droits de lâhomme Ă©taient violĂ©s. Le CongrĂšs Ă©tait bien conscient que lâintĂ©rĂȘt
national des Ătats-Unis pourrait nĂ©cessiter la continuation de « lâaide » militaire amĂ©ricaine
Ă certains pays, mĂȘme sâil y avait une violation aberrante des droits de lâhomme
3
.
La situation des droits civils et politiques en Iran fut donc examinée par le CongrÚs
américain (
Subcommittee on International Organizations of the House International Relations
Committee
) Ă la fin de lâĂ©tĂ© 1976. Lâun des rapports de ce comitĂ© conclut que lâIran avait
introduit des limitations sĂ©vĂšres Ă la libertĂ© dâassociation et dâexpression, par le biais dâun
systĂšme de parti unique. Ce rapport prĂ©cisait que les procĂ©dures et les pratiques dâarrĂȘt et
de détention des suspects politiques par la SAVAK
4
violaient les droits de ces personnes. Il
y aurait eu, selon ce rapport, « une utilisation systématique des méthodes inacceptables de
torture physique et psychique des suspects politiques pendant leurs interrogatoires »
5
.
Lâauteur de ce rapport admettait quâil avait beaucoup de problĂšmes pour obtenir des
renseignements de sources directes sur le fonctionnement des tribunaux militaires et les
activitĂ©s de la police secrĂšte. Il nâavait visitĂ© aucune prison, et nâavait interviewĂ© aucun
prisonnier â ses sources dâinformation venaient principalement des anciens prisonniers et
de leurs familles. Lâun des points principaux de son rapport Ă©tait quâil nây avait pas
dâinvestigations indĂ©pendantes concernant les allĂ©gations de torture par la SAVAK lorsque
1
Ibid., p. 136-137.
2
La notion d'
aide
est utilisĂ©e dâune maniĂšre ambiguĂ« et porte en elle lâaide de gratuitĂ©. LâIran
payait,
et trĂšs cher, pour ses acquisitions dâarmement des Ătats-Unis. Il Ă©tait un
client
de lâindustrie de
lâarmement amĂ©ricaine et non pas le receveur de
lâaide
militaire du gouvernement américain.
3
US Congress, Senate, H. R. 13680, p. 137-140. Il faut aussi mentionner que par conséquent le
CongrĂšs a bloquĂ© une aide militaire de $3 milliards Ă lâUruguay qui Ă©tait jugĂ© pour violation des
droits de lâhomme.
4
Sazmaneh Aminiat Va Atellaateh Keshvar
â le service secret iranien.
5
Butler, William J., « Report on Human Rights in Iran »,
Human Rights and the Legal System in Iran,
GenĂšve, International Commission of Jurists, mars 1976, p. 22-23.
165
les prisonniers portaient plainte en justice et que ses plaintes étaient ignorées par les
tribunaux militaires
1
.
Le DĂ©partement dâĂtat amĂ©ricain adoptait une position diffĂ©rente. Un de ses secrĂ©taires
adjoints (
Assistant Secretary
), Atherton, expliqua au CongrĂšs, en septembre 1976, que
lâobservation des droits de lâhomme dans les pays Ă©trangers Ă©tait un objectif important de
la politique Ă©trangĂšre des Ătats-Unis, non seulement pour le bien inhĂ©rent Ă un tel objectif,
et pour sa conformité avec les traditions et valeurs du peuple américain, mais aussi parce
que la volontĂ© et la capacitĂ© des gouvernements Ă©trangers Ă respecter les droits de lâhomme
pouvaient avoir un effet sur la stabilitĂ© internationale. Les Ătats-Unis, dit-il, doivent
mesurer leurs politiques en considĂ©rant la totalitĂ© de leurs intĂ©rĂȘts dans leurs relations avec
un pays donnĂ©. La question des droits de lâhomme doit ĂȘtre abordĂ©e tout en « Ă©tant
conscient quâil y a une large panoplie de vĂ©ritĂ©s sociales et de systĂšmes lĂ©gaux dans le
monde, des cultures extraordinairement diverses et des expériences historiques qui sont
toutes différentes les unes des autres
2
[âŠ] Le peuple iranien, ayant souffert des
indignations qui lui ont Ă©tĂ© infligĂ©es par la main de lâOccident pendant le dix-neuviĂšme et
le dĂ©but du vingtiĂšme siĂšcle, [âŠ] est aujourdâhui extraordinairement nationaliste et trĂšs
sensible à ses droits souverains »
3
.
Atherton nâalla pas jusquâĂ rappeler au CongrĂšs quâil y a seulement quelques vingt ans,
le gouvernement américain était intervenu par le biais de la CIA pour renverser le
gouvernement de Mossadegh afin de restaurer le Shah, et que câĂ©tait le gouvernement
amĂ©ricain mĂȘme, qui avait aidĂ© le Shah pour la crĂ©ation et le fonctionnement de la
SAVAK. Mais il citait les adaptations mises en Ćuvre en faveur du peuple iranien sous le
Shah et en particulier, grĂące Ă la « RĂ©volution Blanche » : lâalphabĂ©tisation, la santĂ©, le statut
des femmes, le systĂšme de la sĂ©curitĂ© sociale, [âŠ]. Cottrell et Dougherty ont Ă©crit, quelques
mois plus tard :
« [âŠ] Quand les Ătats-Unis essaient dâobliger un Ătat Ă©tranger Ă changer son
comportement Ă lâintĂ©rieur en menaçant de bloquer le transfert de son armement vers
1
Ibid., p. 21.
2
« Iran: Reform and Human Rights »,
Statement by Alfred L. Atherton, Jr., Assistant Secretary of State for
Near Eastern and South Asian Affairs, before the Subcommittee on International Organizations of the House
International Relations Committee
, 16 septembre 1976,
Department of State News Release
, p. 1.
3
Ibid., p. 1.
166
ce pays, il est probable que ce genre dâaction aura peu dâimpact sur la situation des
droits de lâhomme du pays en question, mais des risques rĂ©els pour la politique de
dĂ©fense et les intĂ©rĂȘts de sĂ©curitĂ© internationale de Ătats-Unis. »
1
Henry Kissinger, secrĂ©taire dâĂtat, voyait aussi une incohĂ©rence dans la politique
américaine :
« Si nous insistons pour que les autres acceptent nos préférences morales, sommes-
nous prĂȘts aussi Ă utiliser la force militaire pour les protĂ©ger ? Et si nous abandonnons
ceux qui ne suivent pas nos recommandations, que ferons-nous quand leur isolement
amĂšnera dâautres pays, plus rĂ©pressifs, Ă les mettre sous pression ou bien Ă les attaquer ?
Aurons-nous servi nos objectifs moraux, si en ce faisant nous mettons notre propre
sécurité en cause ? »
2
Ă cela, il faut ajouter que depuis Kennedy, les Ătats-Unis avaient augmentĂ© leurs forces
conventionnelles et poussĂ© leurs alliĂ©s EuropĂ©ens Ă faire de mĂȘme. Ă lâexception dâune
période courte à la fin des années 60, les années 60 à 90 ont été marquées par un effort
important des Ătats-Unis pour augmenter leurs forces militaires conventionnelles afin de
compenser leur perte de supĂ©rioritĂ© nuclĂ©aire stratĂ©gique â avec un contrainte liĂ© au fait
que les forces conventionnelles sont beaucoup plus chĂšres que leurs Ă©quivalents
nucléaires
3
.
La question des droits de lâhomme avait Ă©tĂ© intĂ©grĂ©e dans des dĂ©bats sur les politiques
Ă©trangĂšres, tant aux Ătats-Unis qu'en Europe, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Pourquoi cette soudaine rĂ©surgence de la prise en compte des droits de lâhomme aux Ătats-
Unis dans la deuxiÚme moitié des années 1970 ? La réponse proposée par Kathryn Sikkink
est quâen Europe, les idĂ©es ont eu un impact direct dans la politique, ce qui explique
lâĂ©mergence de rĂ©gimes europĂ©ens des droits de lâhomme dans la pĂ©riode dâaprĂšs guerre.
Mais aux Ătats-Unis, lâimpact des idĂ©es des droits de lâhomme a Ă©tĂ© retardĂ© par la guerre
froide. Câest seulement avec la conjoncture de la dĂ©tente, de la dĂ©sillusion publique du
ViĂȘt-nam, et le succĂšs initial du mouvement des droits civils que les droits de lâhomme ont
1
Cottrell, Alvin J., Dougherty, James E.,
Iranâs Quest for Security: US Arms Transfers and the Nuclear
Option
, Institute for Foreign Policy Analysis, Inc. Cambridge, MA, mai 1977, p. 55.
2
New York Times
, 20 octobre 1976.
3
Friedberg, Aaron L., « The Political Economy of American Strategy »,
World Politics
, avril 1989,
p. 383.
167
entrainĂ© des changements dans la politique Ă©trangĂšre des Ătats-Unis au dĂ©but des annĂ©es
1970
1
.
Comme la vente dâarmes Ă lâĂ©tranger Ă©tait soudain devenue sujette Ă critique aux Ătats-
Unis en 1973, les droits de lâhomme ont ressurgi aussi comme un des facteurs principaux
de politique Ă©trangĂšre des Ătats-Unis en 1973. Ce sujet avait Ă©tĂ© totalement absent dans le
programme de la politique Ă©trangĂšre des Ătats-Unis pendant les vingt ans correspondant Ă
la pĂ©riode 1953-1973. Mais entre 1973 et 1980, les Ătats-Unis ont fondamentalement
changĂ© leur politique Ă©trangĂšre en incorporant la notion des droits de lâhomme. Cette
politique, qui est souvent associĂ©e Ă lâadministration Carter, avait en rĂ©alitĂ© commencĂ© au
CongrĂšs, et bien avant la prĂ©sidence de Carter. En effet, lâessentiel de la lĂ©gislation
concernant les droits de lâhomme avait dĂ©jĂ Ă©tĂ© adoptĂ©e lorsquâil prit ses fonctions en 1977.
Mais son administration soutenait fortement lâinitiative du CongrĂšs et câest ainsi que les
droits de lâhomme sont devenus le composant central de la politique Ă©trangĂšre des Ătats-
Unis pendant la période 1973-1980.
Dâautres pays sont devenus des « cibles » de cette politique. Câest le cas de lâArgentine,
du Chili, de lâUruguay, du Paraguay et dans une moindre mesure du Guatemala et du
Nicaragua
2
. Ces rĂ©gimes, qui avaient bĂ©nĂ©ficiĂ© dâune relation Ă©troite et cordiale avec les
Ătats-Unis, Ă©taient maintenant mis au banc des accusĂ©s au DĂ©partement dâĂtat pour leurs
violations des droits de lâhomme, et les aides quâils recevaient Ă©taient sujettes Ă annulation.
LâIran nâĂ©tait donc pas le seul pays Ă ĂȘtre affectĂ© par lâadoption soudaine des droits de
lâhomme comme axe principal de la politique Ă©trangĂšre amĂ©ricaine. Mais comment
expliquer lâadoption de cette politique par les Ătats-Unis ? Les thĂ©ories rĂ©aliste et nĂ©orĂ©aliste
peuvent expliquer ceci comme un moyen pour les Ătats-Unis de lĂ©gitimer leurs intĂ©rĂȘts
Ă©conomiques et sĂ©curitaires. Dans ce cas, on peut sâattendre Ă lâapplication de cette
politique, contre les adversaires et non pas les alliés, car ceci aurait risqué de les déstabiliser
et de mettre en cause les accords de sécurité, à moins que les alliances en question ne soient
plus primordiales pour les Ătats-Unis, ou dĂ©nuĂ©es dâefficacitĂ©.
1
Sikkins, Kathryn, « The Power of Principled Ideas: Human Rights Policies in the United States
and Western Europe », Goldstein, Judith, Keohane, Robert,
Ideas and Foreign Policy: Beliefs,
Institutions and Political Change
, Cornell University Press, Ithaca, 1993, p. 140-144.
2
Ibid., p. 152-154.
168
« Les Ătats-Unis avaient fait des grands investissements Ă©conomique et militaire dans
ces pays et avaient employé des efforts diplomatiques, et parfois des interventions
clandestines, pour promouvoir ces types de rĂ©gime anticommuniste quâils cherchaient Ă
isoler et déstabiliser maintenant. »
1
La politique des droits de lâhomme ne prĂ©sentait pas un coĂ»t Ă©levĂ©. Mais elle impliquait
une rupture de relations avec ces rĂ©gimes, que ce soit ceux dâAmĂ©rique du Sud citĂ©s
auparavant ou lâIran. Les Ătats-Unis eux-mĂȘmes avaient cultivĂ© et mis ces relations en place
pendant les vingt annĂ©es prĂ©cĂ©dentes. LâIran, ainsi que ces pays dâAmĂ©rique du Sud,
voyaient les Ătats-Unis comme un alliĂ© sur lequel ils ne pouvaient plus compter. Cela peut
expliquer le choix fait par lâIran de sâallier avec les EuropĂ©ens pour le dĂ©veloppement de
son industrie nucléaire.
Il faut aussi noter que la politique des droits de lâhomme amĂ©ricaine Ă©tait surtout
appliquĂ©e dâune maniĂšre bilatĂ©rale pendant cette pĂ©riode. Cette politique privilĂ©giait les
droits politiques et civils de lâhomme et non pas la liste plus large des droits de lâhomme,
telle que dĂ©finie dans la DĂ©claration Universelle des droits de lâhomme des Nations unies.
Les droits Ă©conomiques, sociaux et culturels notamment, nây figuraient pas. Pendant la
guerre froide, lâanticommunisme lâemportait sur les droits de lâhomme dans la politique
Ă©trangĂšre des Ătats-Unis. LâintĂ©rĂȘt pour les droits de lâhomme a ressurgi avec la dĂ©tente en
1973. La dĂ©tente a permis aux superpuissances de sâĂ©loigner de la sĂ©curitĂ© et de privilĂ©gier
une concurrence dans des domaines plutÎt idéologiques.
Les changements liĂ©s Ă la dĂ©tente favorisaient une atmosphĂšre dans laquelle dâautres
valeurs que lâanticommunisme pouvaient jouer un rĂŽle. La politique des droits de lâhomme
Ă©tait souvent justifiĂ©e comme une arme essentielle dans le conflit idĂ©ologique avec lâURSS
dans les pays du tiers-monde et lâEurope de lâEst. La focalisation sur une dĂ©finition Ă©troite
des droits de lâhomme, notamment la violation des droits civils et politiques, lĂ©gitimait et
privilégiait ces droits sur les droits économiques et sociaux qui font aussi partie de la
DĂ©claration Universelle. Ceci permettait la promotion des valeurs capitalistes, en mettant
lâaccent sur la libertĂ© politique plutĂŽt quâĂ©conomique. En se focalisant sur la rĂ©pression, la
politique des droits de lâhomme amĂ©ricaine a minimisĂ© lâimportance de lâoppression. Au
1
Ibid., p. 158.
169
lieu dâun soutien direct de leurs intĂ©rĂȘts Ă©conomiques et sĂ©curitaires, les Ătats-Unis ont
indirectement crĂ©Ă© un climat idĂ©ologique dans lequel les valeurs et les intĂ©rĂȘts
Ă©conomiques et sĂ©curitaires de lâOccident pouvaient fleurir.
Lâanalyse structurelle, telle que dĂ©finit par Strange
1
, suggĂšre que ce ne sont pas les
changements technologiques qui changent les structures du pouvoir, mais plutĂŽt les
changements dans le systĂšme des croyances (
belief systems
) qui déterminent ou soutiennent
les arrangements politiques et économiques acceptables pour la société. Les changements
structurels dans le monde, qui ont résulté de la détente, permettent de mieux comprendre
le
timing
de la rĂ©surgence de la politique des droits de lâhomme dans la politique Ă©trangĂšre
des Ătats-Unis. Mais avec la convergence de la rĂ©volution au Nicaragua, lâinvasion
soviĂ©tique de lâAfghanistan, et la prise des otages en Iran en 1979, le soutien pour les droits
de lâhomme et la dĂ©tente aux Ătats-Unis a disparu
2
.
Comme nous lâavons dit, le changement de politique amĂ©ricaine nâa pas Ă©tĂ© une
initiative de la PrĂ©sidence. Lâinitiative Ă©tait celle du CongrĂšs. Mais ceci ne reposait pas sur la
demande ou lâappui du public. Les sondages au dĂ©but des annĂ©es 1970 indiquaient
dâailleurs que les droits de lâhomme Ă©taient une prioritĂ© faible pour les AmĂ©ricains par
rapport aux autres questions de politique étrangÚre. 63 % des personnes interrogées
pensaient que le « gouvernement américain ne devait pas soutenir des gouvernements
autoritaires qui avaient renversĂ© des rĂ©gimes populaires » et 73 % sâopposaient au soutien
des Ătats-Unis pour des dictatures militaires, mĂȘme si celui-ci devait permettre aux Ătats-
Unis dâinstaller des bases militaires dans ces pays. Par contre, en 1985, les sondages
trouvaient un soutien plus actif de lâopinion publique pour les droits de lâhomme
proprement dits
1
.
Les Ă©vĂ©nements de la dĂ©cennie prĂ©cĂ©dant ce changement de politique, tels ceux du ViĂȘt-
nam, ou de Watergate, le mouvement des droits civils, lâinvasion amĂ©ricaine de la
République Dominicaine, le soutien américain des régimes autoritaires pro-occidentaux ou
le coup dâĂ©tat militaire en GrĂšce, avaient augmentĂ© la sensibilitĂ© des AmĂ©ricains au sujet
des droits de lâhomme. La
realpolitik
de Kissinger avait fait preuve dâune moralitĂ©
1
States and Markets,
p. 123-124
2
The Power of Principled Ideas,
p. 159-160.
170
douteuse. On avait pris conscience des vraies raisons des abus des droits de lâhomme dans
le monde et de la responsabilitĂ© des Ătats-Unis sur le sujet. Les abus des droits de lâhomme
dans des pays dĂ©veloppĂ©s comme la GrĂšce, lâArgentine et la CorĂ©e du Sud et dans des pays
avec une longue tradition dĂ©mocratique, comme lâUruguay et le Chili, avaient brisĂ© le
cliché qui associait les causes de ces abus à la pauvreté, la culture politique et le despotisme.
Les concepts des droits de lâhomme Ă©taient dĂ©jĂ promus par des organisations non-
gouvernementales et transnationales comme
Amnesty International.
Les politiciens
amĂ©ricains avaient besoin dâune nouvelle politique Ă©trangĂšre qui donne Ă la fois une bonne
image Ă lâintĂ©rieur du pays, et qui puisse faire avancer ses intĂ©rĂȘts Ă lâextĂ©rieur. La
lĂ©gislation sur les droits de lâhomme prĂ©sentait la double opportunitĂ© de changer les
pratiques de rĂ©pression dans les pays en question, mais surtout dâĂ©loigner les Ătats-Unis de
telles pratiques
2
.
Pour Sikkink, ceci est un bon exemple de lâutilisation dâune des structures de pouvoir,
telle quâelle est dĂ©finie par S. Strange
3
: la structure des idées, par un pays fort, pour faire
avancer ses intĂ©rĂȘts sur la scĂšne internationale. Un saut qualitatif a Ă©tĂ© crĂ©Ă©, en partie par les
medias et les organisations non gouvernementales, dans la comprĂ©hension et lâapprobation
par les citoyens des pratiques de leur gouvernement. Une opportunitĂ© sâest prĂ©sentĂ©e grĂące
aux changements de la structure de sécurité internationale, pour adopter une nouvelle
politique Ă©trangĂšre avec un coĂ»t infĂ©rieur, qui prĂ©servait les intĂ©rĂȘts Ă©conomiques et
sĂ©curitaires des Ătats-Unis Ă long terme. Le label « droits de lâhomme » a permis de mettre
en Ćuvre cette nouvelle politique sous une forme acceptable pour les citoyens.
Les oppositions nucléaires, la mise en cause économique,
la rĂ©volution et lâarrĂȘt des travaux
Vers la moitié des années 1970, des oppositions croissantes de la société civile
sâexprimĂšrent contre lâĂ©nergie nuclĂ©aire dans diffĂ©rents pays du monde. Ces mouvements,
relayés par la puissance des médias, étaient trÚs virulents, surtout en Allemagne et aux
1
Ibid., p. 161.
2
The Power of Principled Ideas
, p. 164-7.
3
States and Markets
, voir surtout chapitre 6, p. 116-136.
171
Etats-Unis, et leurs actions contribuaient Ă la dĂ©tĂ©rioration de lâimage de lâĂ©nergie nuclĂ©aire
dans le monde entier.
Lâeffondrement de la centrale Enrico Fermi prĂšs de Detroit avait fourni un prĂ©texte
légitime pour la contestation de ces groupes. Enricho Fermi, la premiÚre centrale de
démonstration de type
breeder
, avait Ă©tĂ© fermĂ©e en 1971 pour raison dâĂ©chauffement et
d'effondrement de deux éléments de combustible, ce
qui avait donné lieu à des fuites
radioactives. Mais cet effondrement nâĂ©tait pas le premier dans lâhistoire : en novembre
1955, une centrale expĂ©rimentale de mĂȘme type avait Ă©tĂ© fermĂ©e Ă Buffalo aprĂšs un
effondrement similaire. Mais Ă cette Ă©poque, les Ătats-Unis Ă©taient eux-mĂȘmes trĂšs
dĂ©pendants des dĂ©veloppements nuclĂ©aires et cet Ă©vĂ©nement nâa suscitĂ© aucune rĂ©action
dans la sociĂ©tĂ© civile. Lâapparition de ces groupes transnationaux non gouvernementaux est
un phĂ©nomĂšne des annĂ©es 1970 qui soutenait la nouvelle politique amĂ©ricaine visant Ă
mettre fin au transfert de technologie nucléaire vers les pays en voie de développement.
Un autre phĂ©nomĂšne des annĂ©es 1970 fut la remise en cause Ă©conomique de lâĂ©nergie
nuclĂ©aire en particulier par certains spĂ©cialistes de lâĂ©nergie notamment Ă cause du coĂ»t de
retraitement du plutonium quâils estimaient dĂ©sormais exorbitant. Lâaugmentation du coĂ»t
du capital pour les réacteurs était un autre argument « économique » de ces savants. Ces
facteurs â les mouvements civils et les remises en cause dâĂ©conomistes
freelance
â avaient
forcĂ© les compagnies dâĂ©lectricitĂ© (
utilities
) Ă annuler leurs commandes de centrales.
Lâopposition allemande Ă lâĂ©nergie nuclĂ©aire, probablement la plus forte au monde, a brisĂ©
le consensus allemand en matiĂšre dâĂ©nergie. De fait, depuis 1978, il nây a eu aucune
commande nouvelle de rĂ©acteur en Allemagne, mĂȘme pour lâusage national.
Les mĂȘmes symptĂŽmes sont apparus en Iran Ă la fin des annĂ©es 1970. Ă ce moment lĂ ,
le pays ressentait dâautres pressions prĂ©rĂ©volutionnaires et les mouvements antinuclĂ©aires
renforçaient largement ces pressions. Les critiques de lâĂ©nergie nuclĂ©aire proposaient une
meilleure utilisation des ressources nationales de gaz naturel. LâIran possĂ©dait la deuxiĂšme
réserve la plus importante de gaz (1 700 km
3
) dans le monde
1
. Mais les
pipelines
pour le gaz
étaient aussi coûteux et le problÚme de transmission de la puissance des centrales était le
172
mĂȘme que pour les centrales nuclĂ©aires. En revanche, les centrales Ă gaz coĂ»taient
sensiblement moins cher que les centrales nuclĂ©aires. Ă titre dâexemple, le coĂ»t des deux
centrales à gaz en construction à Rey et à Neka était estimé entre 300 et 500 dollars/KW,
environ le tiers de lâhypothĂšse basse de la centrale de Boushehr
2
. Des centrales Ă gaz plus
modestes avaient aussi pour autre avantage de pouvoir sâimplanter plus facilement auprĂšs
des consommateurs, ce qui pouvait générer certaines économies sur le coût de
transmission et de distribution. Elles diminuaient aussi le besoin en devises car
lâinvestissement nĂ©cessaire Ă©tait plus faible et il nây avait pas de nĂ©cessitĂ© dâimporter le
combustible. Toutefois, ces centrales Ă gaz ne suscitaient pas le prestige inestimable que les
centrales nuclĂ©aires pouvaient donner Ă lâIran et au Shah.
La dĂ©gradation de lâopinion publique au sujet de l'Ă©nergie nuclĂ©aire Ă©tait un phĂ©nomĂšne
transnational. Les mĂȘme discours critiques ont Ă©tĂ© tenus dans dâautres pays du monde, y
compris dans les pays fournisseurs. Cette opinion publique défavorable a mis une pression
supplĂ©mentaire sur les gouvernements des pays dĂ©mocratiques pour les conduire Ă
renoncer à leurs projets et exportations nucléaires. Bien que la preuve de l'hypothÚse qui va
suivre nécessiterait une recherche spécifique, nous considérerons ce phénomÚne comme le
résultat d'une capacité de manipulation de la structure des idées
1
â par les Ătats-Unis â
par le biais des medias et des diverses ONG, ce qui a facilité la participation des
gouvernements allemand et français dans les engagements multilatĂ©raux visant Ă empĂȘcher
leurs industries dâexporter Ă l'Ă©tranger. La manipulation de la structure des idĂ©es a
lâavantage de crĂ©er des mouvements, en apparence autochtones, qui peuvent contraindre
un gouvernement par des demandes légitimes.
Câest lâopinion publique qui fut Ă lâorigine de la remise en cause de lâĂ©nergie nuclĂ©aire en
Iran. Ătemad prendra finalement lâinitiative de crĂ©er au sein de lâOEAI un groupe de travail
pour expliquer les activitĂ©s et les objectifs de lâOEAI en les rendant accessibles Ă tous les
citoyens. Mais cette ambition de former lâopinion publique alors que la baisse des recettes
pétroliÚres avait engendré une situation de crise, était plutÎt une réaction tardive et non
1
Fox, J. B., Stobbs, J.,
International Data Collection and Analysis
, Nuclear Assurance Corporation,
Atlanta, avril 1979, p. Iran 1. Son volume a été estimé à 800 trillions de mÚtres cubes en 2004 par
le
Oil and Gas Journal
& le
BP Statistical Review of World Energy
en 1999.
2
Mossavar Rahmani, Bijan,
Energy Policy in Iran: Domestic Choices and International Implications
,
Pergamon, New York, 1981, p. 199.
173
une action proactive. Il proposa aux opposants publics et mĂ©diatiques de lâĂ©nergie
atomique de participer à ces groupes de travail pour exprimer leur mécontentement et
débattre des solutions/modifications possibles. Mais les opposants publics ne participÚrent
jamais à ces réunions.
Lâun des opposants les plus influents Ă lâĂ©nergie atomique Ă©tait Bijan Mossavar Rahmani,
correspondant de lâĂ©nergie pour
Keyhan Internationale
. Il avançait trois arguments contre le
programme de lâOEAI : premiĂšrement, la disponibilitĂ© de lâuranium dans le monde, puis
les restrictions politiques qui étaient imposées à sa vente et enfin les incertitudes du
« marché hautement politique, trÚs instable et contrÎlé par un cartel » des services
dâenrichissement, devaient pousser lâIran Ă dĂ©pendre dâun « petit groupe de fournisseurs
politisĂ©s et commercialement agressifs. » Ă lâĂ©poque lâOEAI Ă©tait Ă la recherche active
dâuranium Ă lâintĂ©rieur du pays. Sa participation dans Eurodif lui garantissait un accĂšs aux
services dâenrichissement. Dâautant plus que si on considĂšre les conditions de marchĂ©
dâaujourdâhui, il existait une offre excessive dâuranium dans le monde.
DeuxiĂšmement M. Mossavar Rahmani soutenait que lâinfrastructure Ă©lectrique de lâIran
nâĂ©tait pas en Ă©tat dâintĂ©grer les rĂ©acteurs planifiĂ©s dâune maniĂšre sĂ»re et certaine. Les
réseaux électriques étaient trop petits pour les réacteurs de plusieurs milliers de mégawatts.
Le rĂ©seau national iranien nâavait pas de capacitĂ© de rĂ©serve non plus. Ce manque de
capacitĂ© de rĂ©serve Ă©tait particuliĂšrement grave en Iran, oĂč les coupures de courant de 1976
et 1977 avaient des effets politiques négatifs pour le Shah
2
.
Lâisolement de lâOEAI de lâappareil bureaucratique du gouvernement avait des
avantages mais aussi des inconvĂ©nients. Lâavantage Ă©tait que sous la supervision directe du
Shah, et sans les contraintes et lâinertie habituelle de lâadministration, l'OEAI avait pu
rĂ©aliser ses projets rapidement. Il y avait en lâespace de quatre ans, quatre centrales
nuclĂ©aires en cours de construction en Iran. Mais lâinconvĂ©nient Ă©tait que les autres
administrations, responsables pour dâautres aspects des projets, ne suivaient pas Ă la vitesse
de lâOEAI. En tout cas, il nây avait presque aucune coordination pour assurer que tout ceci
avance au mĂȘme rythme.
Tavanir,
lâentitĂ© de MEE, chargĂ© de la construction de rĂ©seaux
1
Tel que décrit par Susan Strange dans
States and Markets.
2
Halliday, F.,
Iran: Dictatorship and Development,
Penguin, Harmondsworth, Middlesex, 1979, p. 285.
174
permettant le transport de lâĂ©lectricitĂ© des centrales nuclĂ©aires jusquâaux consommateurs,
nâavait, ni installĂ© la ligne de 230 000 volt qui devait alimenter le site de Boushehr, ni la
ligne de 400 000 volt qui devait conduire lâĂ©lectricitĂ© produite dans cette centrale
1
.
Le troisiĂšme argument de Mossavar Rahmani portait sur le coĂ»t de lâĂ©nergie atomique
en Iran : 3 000 dollars par kilowatt, le triple du coĂ»t de lâĂ©nergie atomique dans les pays
développés et largement supérieur à celui des centrales à gaz en Iran. Ce chiffre était aussi
trois fois supĂ©rieur Ă celui estimĂ© par lâOEAI pour les centrales de Boushehr et Ahvaz. Ceci
sâexpliquait par le fait que les centrales ne pouvaient pas opĂ©rer Ă leur capacitĂ© maximale,
car les prĂ©visions pour la demande de lâĂ©lectricitĂ© avant 1980 nâĂ©taient pas suffisantes pour
absorber les 2 480 MW des centrales de Boushehr.
En tout cas, l'essentiel est que ces considĂ©rations auraient dĂ» ĂȘtre prises en compte avant
le lancement dâun projet aussi important que le projet nuclĂ©aire de lâIran. LâintĂ©rĂȘt des
critiques des Ă©conomistes antinuclĂ©aires ne rĂ©side pas dans lâintĂ©gritĂ© et la validitĂ© de leurs
arguments, mais dans le fait quâen tant quâindividus, ils ont pu Ă©branler les fondations
dâune industrie nationale dans laquelle des milliards de dollars avaient Ă©tĂ© investis. Ces
économistes ne prenaient pas en considération les prévisions de croissance économique et
le fait que le prestige, et dans une certaine mesure la sécurité du pays, pouvaient en
dĂ©pendre. Cela est un exemple dâintervention des acteurs au niveau micro tel quâil est
décrit par Rosenau
2
. DâaprĂšs lui, ceux-ci
peuvent avoir un impact considérable sur les
résultats (
outcomes
), mĂȘme dans un domaine, comme câest le cas ici, censĂ© ĂȘtre sous le
contrĂŽle de lâĂtat et primordial pour la survie et la sĂ©curitĂ© de la nation â critĂšres fonda-
mentaux pour lâĂ©cole rĂ©aliste.
Lâune des initiatives de lâIran de lâOEAI pour la crĂ©ation dâun soutien international
contre les mouvements de plus en plus virulents de remise en cause de lâĂ©nergie nuclĂ©aire
fut dâorganiser la « ConfĂ©rence sur le Transfert de la Technologie NuclĂ©aire » en 1977 Ă
PersĂ©polis. Lâ
American Nuclear Society
,
European Nuclear Society
, et la
Japan Atomic Society
ont co-sponsorisĂ© la confĂ©rence. Quelques 500 responsables dâĂ©nergie nuclĂ©aire,
universitaires, et diplomates de 41 pays ont participé à cette conférence, y compris le
1
Nucleonics Week,
2 février 1978, p. 10.
2
Rosenau, James N.,
Turbulence in World Politics: A Theory of Change and Continuity,
Princeton
University Press, Princeton, 1990.
175
Premier ministre Hoveyda. Dix jours avant la date de la conférence, Jimmy Carter a rendu
publique la nouvelle politique des Ătats-Unis dans le domaine nuclĂ©aire. Il sâagissait alors
dâempĂȘcher le transfert de toute technologie nuclĂ©aire â et pas seulement des technologies
militaires â ce qui a Ă©tĂ© naturellement largement dĂ©battu pendant la confĂ©rence. Carter a
aussi envoyĂ© un message Ă lâattention du Shah faisant allusion Ă lâimportance de cette
conférence et lui souhaitant bonne chance pour son déroulement. La politique nouvelle des
Ătats-Unis sera naturellement critiquĂ©e par les pays receveurs de technologie. Le Shah,
dâaprĂšs Ătemad, Ă©tait satisfait de son rĂŽle de
leadership
dans ces affaires pour représenter
lâopinion des pays qui Ă©taient contre la politique amĂ©ricaine. Ătemad estime que cette
conférence a contribué au renforcement de la politique du Shah pour la diminution de
lâinfluence des superpuissances dans lâocĂ©an Indien
1
. Ă la fin de cette confĂ©rence Ătemad
dira Ă lâun des journalistes Ă©trangers : « Nâoubliez pas que la politique de lâĂ©nergie nuclĂ©aire
de lâIran est dĂ©finie Ă TĂ©hĂ©ran »
2
.
Avec les agitations croissantes
3
en Iran, le Shah fut amené, en août 1977, à remplacer
Amir Abbas Hoveyda qui Ă©tait son Premier ministre depuis douze ans. DâaprĂšs Richard
Cottam, la raison de ceci Ă©tait « lâincapacitĂ© de Hoveyda Ă fonctionner dans la situation de
crise qui régnait en Iran »
1
. Hoveyda Ă©tait un dĂ©fenseur de lâĂ©nergie nuclĂ©aire et soutenait
lâOEAI au sein de son cabinet. Son remplaçant, Jamshid Amouzegar, avait Ă©tĂ© ministre du
pĂ©trole et ne partageait pas lâenthousiasme de Hoveyda pour lâĂ©nergie atomique. De plus,
Amouzegar Ă©tait un technocrate mis en place pour traiter la crise Ă©conomique. Il voulait
réduire les dépenses et avait préconisé le contrÎle des prix et des revenus. Des centrales
nuclĂ©aires, surtout avec une rentabilitĂ© devenue maintenant douteuse, nâĂ©taient pas trĂšs
prioritaires pour Amouzegar, mĂȘme si lâOEAI maintenait que, sans le coĂ»t des routes, des
hÎpitaux, des maisons, des écoles et des abris qui doivent exister à cÎté des centrales, le
1
Barnameyeh Energieh Atomieh Iran,
p. 218.
2
Ibid., p. 216.
3
Les inĂ©galitĂ©s croissantes de revenus dans les rĂ©gions urbaines, ainsi quâentre TĂ©hĂ©ran et la
province, la baisse des revenus pétroliers dans la deuxiÚme moitié des années 70, sans autres
sources de devises Ă©trangĂšres, une machine bureaucratique inefficace, sans planification correcte
et avec la corruption, lâincapacitĂ© de mettre en Ćuvre des reformes sociales, et le besoin de
continuer les dépenses militaires pour maintenir les forces militaires existantes pour assurer la
politique Ă©trangĂšre de lâIran sont parmi les facteurs qui ont contribuĂ© au mĂ©contentement
général. Ces facteurs sont bien étudiés, entre autres dans Halliday, Fred,
Iran : Dictatorship and
Development.
Pelican Books, NY, 1979.
176
coĂ»t par KW Ă©tait infĂ©rieur Ă 1 000 dollars et quâĂ long terme ces rĂ©acteurs de haute
capacitĂ© pourraient compenser leur inefficacitĂ© Ă court terme. Pour lâOEAI lâachat du
modĂšle standard de 1 240 MW permettait Ă lâIran de bĂ©nĂ©ficier des amĂ©liorations futures
apportées à ce modÚle par le fournisseur.
Avec le remplacement du Premier ministre Amir Abbas Hoveyda, lâOEAI perdit un
défenseur de l'énergie nucléaire
2
. Des centrales nucléaires, surtout avec une rentabilité
dĂ©sormais douteuse, nâĂ©taient pas prioritaires pour Amouzegar. Ă la fin de lâannĂ©e 1977
Amouzegar soutiendra les mouvements civils anti-nucléaires. Ce petit groupe
dâĂ©conomistes et spĂ©cialistes de lâĂ©nergie accusaient lâOEAI de « manque de transparence
dans lâĂ©valuation des coĂ»ts et de risques croissants de lâĂ©nergie atomique »
3
.
Ă son arrivĂ©e au pouvoir, Amouzegar avait invitĂ© Ătemad Ă prendre la responsabilitĂ© du
ministĂšre de lâĂnergie. Ce ministĂšre aurait eu des responsabilitĂ©s Ă©tendues sur la
compagnie du pétrole (
Sherkateh Naft
), la société du gaz (
Sherkateh Gaz
) et lâOEAI, ce qui
permettait de formuler une politique énergétique cohérente pour la nation
4
. Ătemad
refusera Ă cause de lâĂ©tat dĂ©plorable de lâĂ©lectricitĂ© et de la distribution du gaz dans le pays.
Pendant le gouvernement dâAmouzegar, lâOEAI sera rattachĂ©e au ministĂšre de lâĂnergie
sous le directorat dâAhmad Sotoudehnia, vice-prĂ©sident et directeur des programmes de
lâOEAI, qui deviendra adjoint au ministre de lâĂnergie, Ali Tavvakkoli. La responsabilitĂ© du
planning, de la construction et du fonctionnement des centrales sera mise sous la
responsabilitĂ© du ministĂšre de lâĂnergie
5
. La sĂ»retĂ© des centrales et lâapprovisionnement en
combustibles Ă©taient les seules responsabilitĂ©s qui incomberont Ă lâOEAI. Peu de temps
aprĂšs la chute du gouvernement Amouzegar et sous le gouvernement de Sharif-Emami,
Ătemad dĂ©missionnera de la prĂ©sidence de lâOEAI.
1
Cottam, Richard, W.,
Iran and the United States: A Cold War Case Study
,
University of Pittsburgh
Press, Pittsburgh, 1988, p. 170.
2
Ibid.
3
Mossavar Rahmani, Bijan, « Iranâs nuclear power program revisited »,
Energy Policy,
vol. 8, no. 3,
septembre 1980, p. 195.
4
Barnameyeh Energieh Atomieh Iran
, p. 120.
5
Keyhan International
, 29 juin 1978, p. 1.
177
Fin de lâOAEI
En octobre 1978, il y eut une discussion sur le sort de lâĂ©nergie nuclĂ©aire entre
M. Sotoudehnia et la Commission de lâĂnergie Atomique (comprenant les ministres de
lâĂnergie, et des Finances, et le Directeur de lâOrganisation du Plan et Budget), et dâautres
membres du gouvernement. Les nĂ©gociations avec la France pour dâautres rĂ©acteurs furent
suspendues. à ce moment là , le Shah était de plus en plus critiqué pour ses dépenses mili-
taires et nuclĂ©aires. Ces facteurs eurent pour consĂ©quence de retarder lâachat des quatre
centrales de KWU
1
, mais les travaux sur les quatre autres centrales en cours de
construction continuĂšrent
2
.
Framatome a arrĂȘtĂ© ses opĂ©rations en Iran en mars 1979, rapatriant ses 450 derniers
employĂ©s en Iran. LâIran nâĂ©tait pas le seul client que la France perdait. Dans la premiĂšre
partie des annĂ©es 1980 presque tous les projets français de ventes de centrales â Ă IsraĂ«l, Ă
lâIrak (pour remplacer Osirak), Ă lâAfrique du Sud
1
, Ă lâInde au Pakistan â ont Ă©tĂ© annulĂ©s.
KWU fit revenir la plupart de ses 2 100 employés expatriés en Iran et mit au chÎmage
6 400 des 7 000 employĂ©s iraniens. Lâentreprise utilisa lâinstabilitĂ© du pays Ă cette Ă©poque
comme prétexte, prétendant que le retard de livraison des matériaux de construction par
les firmes nationales lâempĂȘchait de mener Ă bien ses travaux. Ces travaux nâont jamais
repris Ă ce jour malgrĂ© lâintĂ©rĂȘt renouvelĂ© de TĂ©hĂ©ran et de KWU. 36 bateaux contenant des
matĂ©riels pour les centrales de Boushehr attendaient dâĂȘtre dĂ©chargĂ©s dans le golfe
Persique. Mais avec lâinstabilitĂ© croissante du pays ces navires retournĂšrent en Allemagne.
Ă ce jour, leur contenu, des matĂ©riels qui appartiennent lĂ©galement Ă lâIran, reste toujours
stocké en Allemagne. En novembre et décembre 1978, les grÚves interrompirent également
les travaux des centrales dâAhvaz.
En janvier 1979, Shahpur Bakhtiar, le dernier Premier ministre du Shah, annonça
lâannulation unilatĂ©rale des deux centrales françaises, qui Ă©taient en cours de construction.
Il justifiait sa décision en mettant en avant les réserves de gaz en Iran, le coût exorbitant des
centrales, le manque de ressources financiĂšres, et la probabilitĂ© que les rĂ©acteurs soient dĂ©jĂ
1
Energy Daily,
13 octobre 1978, p. 1.
2
Nucleonics Week,
26 octobre 1978, p. 13-14.
178
obsolĂštes dans une douzaine dâannĂ©es
2
. Les bureaux de lâOEAI en RFA, en France, en
Angleterre et aux Ătats-Unis ont Ă©tĂ© alors fermĂ©s. Bakhtiar rompit Ă©galement les
engagements pris Ă l'Ă©gard d'Eurodif, ainsi que les contrats conclus avec les entreprises
françaises pour les travaux autour des centrales. L'Ătat français rompit le paiement des
Ă©chĂ©ances du prĂȘt de 1 milliard de dollars que l'Iran lui avait consenti
3
.
1
Le Conseil de la CEE avait pris la dĂ©cision de ne pas permettre Ă ses membres dâentrer dans des
nouveaux contrats avec lâĂtat dâapartheid.
2
Le Monde,
30 janvier 1979.
3
Il y aurait eu deux paiements de 630 millions de dollars en 1986-87 Ă l'Iran.
179
6.
La RĂ©publique islamique sâintĂ©resse
Ă lâĂ©nergie nuclĂ©aire quâelle avait vigoureusement
dénoncée (1984-2005)
Nous avons vu dans le chapitre prĂ©cĂ©dent lâhĂ©ritage nuclĂ©aire laissĂ© Ă la RĂ©publique
islamique en 1979 : deux réacteurs allemands quasi complets, le droit à 10 % de capacité
dâenrichissement dâEurodif, une Ă©quipe avec des laboratoires de recherche de classe
mondiale ; en mĂȘme temps, une opinion publique extrĂȘmement critique Ă lâĂ©gard des
grands projets, et des experts étrangers présents sur le sol iranien pour apporter leur
assistance à la réalisation de ces projets.
Un ancien fonctionnaire de lâOEAI nous a expliquĂ© lors dâun entretien que « tout ce qui
avait été entrepris sous le Shah était considéré au moment de la révolution comme
mauvais, corrompu, devant changer ou finir. Que ce soient les projets de barrage, les
projets de centrales, etc. On ne voulait rien des arrangements « pourris » de lâancien
régime
1
[âŠ] »
Lâautonomie, lâisolation et la rupture avec le passĂ© Ă©taient les principaux
objectifs du nouveau gouvernement révolutionnaire. Le nouveau responsable de l'énergie
atomique en Iran critiqua aussi lâaugmentation du coĂ»t des centrales de Boushehr Ă
7 milliards de dollars et demanda une compensation financiĂšre au titre de ces contrats
« illĂ©gitimes ». Câest ainsi quâen aoĂ»t 1979, KWU termina « formellement » les travaux des
centrales de Boushehr, avec les deux réacteurs achevés à environ 85 % et 70 %. En
revanche, la recherche nuclĂ©aire moins visible, et ne nĂ©cessitant pas lâintervention des
1
Entretien avec un fonctionnaire iranien de lâAIEA Ă Vienne en 1995.
180
Ă©trangers, survĂ©cut aux dĂ©cisions du nouveau gouvernement. Elle fut mĂȘme renforcĂ©e dans
les années suivantes.
Le nouveau gouvernement issu de la révolution appuyait ses décisions sur des critÚres
idĂ©ologiques trĂšs rigides : lâautosuffisance, lâindĂ©pendance et lâisolationnisme. Ces critĂšres
déterminaient les décisions du gouvernement pour gérer les affaires impliquant des firmes
étrangÚres. Pour ce qui était des projets nucléaires, M. Fereydoun Sahabi, le nouveau
prĂ©sident de lâOEAI avait dĂ©clarĂ© :
« Nous serons obligĂ©s de dĂ©pendre de lâaide Ă©trangĂšre [pour terminer les travaux des
centrales nucléaires], ce qui nous forcera à entretenir des liens économiques et
industriels avec ces pays. »
1
En juin 1979, KWU dĂ©nonça ses contrats avec lâIran. Câest une annĂ©e charniĂšre dans
lâhistoire du pays car en novembre, Ă peine quelques mois aprĂšs la rĂ©volution, lâambassade
des Ătats-Unis avait Ă©tĂ© occupĂ©e par des militants et une soixantaine de diplomates
amĂ©ricains furent pris en otage â une crise qui allait durer quatorze mois et ĂȘtre rĂ©glĂ©e par
lâaccord dâAlger, qui, entre autres, interdirait aux Ătats-Unis toute intervention dans les
affaires intĂ©rieures de lâIran. Le mois suivant, les forces soviĂ©tiques envahirent
lâAfghanistan. Cette opĂ©ration fut suivie, en septembre 1980, par lâinvasion irakienne de
lâIran, qui engendrera une guerre de huit ans qui fera plus d'un million de victimes.
Les leçons de la guerre dâIrak
AprĂšs la rĂ©volution, suivie de la prise en otage de lâambassade des Ătats-Unis et de
lâinvasion soviĂ©tique de lâAfghanistan, le nouveau gouvernement inexpĂ©rimentĂ© dut faire
face à de nouveaux défis. Le plus important défi survint à peine deux mois aprÚs la prise
dâotages de lâambassade des Ătats-Unis : en effet, le 22 septembre 1980, lâIrak, profitant du
chaos rĂ©volutionnaire qui rĂ©gnait en Iran, dĂ©cida dâenvahir le pays.
Pendant les premiÚres années de la révolution, la ferveur révolutionnaire et une certaine
irrationalité caractérisÚrent les décisions du gouvernement iranien aussi bien en matiÚre de
politique Ă©trangĂšre que de politique intĂ©rieure. CâĂ©tait un gouvernement jeune et novice
1
Nuclear News
, juillet 1979, p. 72.
181
qui nâavait pas les ressources et lâexpĂ©rience nĂ©cessaires pour gĂ©rer les affaires Ă©conomiques
ou politiques du pays. Lâeuphorie rĂ©volutionnaire amenait le gouvernement â constituĂ©
pour une grand part, mais aussi contrĂŽlĂ©, par des Ă©lĂ©ments religieux â Ă vouloir exporter la
révolution vers les autres pays pour gagner en influence. Ces efforts avaient suscité la
crainte des gouvernements conservateurs de la rĂ©gion et leur hostilitĂ© envers lâIran
rĂ©volutionnaire. Cela amena les pays pĂ©troliers riches, notamment lâArabie Saoudite, Ă
fournir Ă lâIrak des aides Ă©conomiques indispensables pour combattre lâIran qui menaçait
de les dĂ©stabiliser. Ainsi lâIran se trouva-t-il isolĂ© sur la scĂšne internationale. Seules la Syrie,
la Libye et lâAlgĂ©rie lui manifestĂšrent Ă des degrĂ©s divers leur soutien.
Nous avons vu combien les relations irano-amĂ©ricaines sâĂ©taient progressivement
dĂ©gradĂ©es Ă la fin du rĂšgne Pahlavi, notamment aprĂšs lâaugmentation des prix pĂ©troliers de
1974. Toutefois elles demeuraient en apparence cordiales. Le Shah était un client égaré,
mais il nâavait pas ouvertement dĂ©fiĂ© les Ătats-Unis. Ce qui n'a pas Ă©tĂ© le cas du
gouvernement de la République islamique qui, dans son discours et ses actes, défiait les
Ătats-Unis. Depuis dix mois, en effet, ce gouvernement dĂ©tenait lâambassade des Ătats-Unis
et 66 de ses diplomates en otage. La couverture mĂ©diatique de cette prise dâotage eut un
impact sur lâopinion publique amĂ©ricaine, comparable aux images du ViĂȘt-nam. La prise
dâotages changea complĂštement la nature des relations irano-amĂ©ricaines. Lâopinion
publique et la politique américaine furent profondément affectées par cette crise. Aucun
autre pays de la pĂ©riphĂ©rie nâavait jamais osĂ© dans lâhistoire dĂ©fier les Ătats-Unis de la sorte.
Aucun autre Ă©vĂ©nement, Ă l'exception du 11 septembre 2001, nâa probablement pu ternir Ă
ce point lâimage de la puissance amĂ©ricaine ! Câest entre autres pour cela â mais aussi pour
affaiblir lâOPEP â que lâinvasion irakienne de lâIran en septembre 1980 fut un Ă©vĂ©nement
favorable pour les Ătats-Unis, comme lâexplique Geoffrey Kemp
1
:
« MalgrĂ© lâagression de Saddam, les Ătats-Unis Ă©taient discrĂštement contents de voir
le rĂ©gime [iranien] faire face Ă un nouveau dĂ©fi majeur, et alors que les Ătats-Unis
1
Directeur de
Regional Strategic Programs
au Nixon Center, qui a servi Ă la Maison Blanche durant la
premiĂšre administration Ronald Reagan, en tant que
Special Assistant to the President for National
Security Affairs
et
Senior Director for Near East and South Asian Affairs of the National Security Council
.
182
professaient la neutralité, on supposait et espérait que les forces de Saddam puissent
faire tomber le nouveau gouvernement de lâAyatollah. »
1
Mais à la grande surprise des stratÚges américains, et malgré leurs évaluations pour
lâannĂ©e 1976 (ils avaient estimĂ© lâarmĂ©e iranienne incapable dâabsorber les armements
modernes amĂ©ricains et de maĂźtriser les nouvelles technologies), mĂȘme avec lâĂ©limination
des officiers de haut rang et les désertions massives des officiers de métier durant la
rĂ©volution, les forces iraniennes rĂ©ussirent Ă sâimposer Ă lâarmĂ©e de Saddam Hussein. Non
seulement en 1982 lâarmĂ©e iranienne avait rĂ©ussi Ă expulser les forces de Saddam, mais elle
avait mĂȘme dĂ©cidĂ© dâĂ©tendre la guerre Ă la pĂ©ninsule Arabique, menaçant dĂ©sormais les
monarchies arabes riches. Lâobjectif de propagation de la rĂ©volution vers dâautres pays Ă©tait
ouvertement « publicisé » par le gouvernement iranien et ceci devenait un sujet
dâinquiĂ©tude croissant Ă Washington :
« Les Ătats-Unis en conclurent quâune offensive rĂ©ussie contre les forces irakiennes
pourrait faire peser une menace stratégique majeure sur la région, et ils commencÚrent
ainsi Ă ouvertement soutenir lâIrak [âŠ] lâIran devint assujetti Ă un embargo global
orchestrĂ© par les Ătats-Unis, dĂ©nommĂ© lâopĂ©ration STAUNCH [âŠ] pendant que lâIrak
fut ouvertement soutenu par la majoritĂ© des Ătats arabes, lâEurope, lâUnion soviĂ©tique et
prudemment par les Ătats-Unis. »
2
LâIran commença ainsi Ă manquer de piĂšces de rechange indispensables pour continuer
la guerre. La majoritĂ© des Ă©quipements militaires iraniens, surtout lâindispensable force
aĂ©rienne, Ă©taient de fabrication amĂ©ricaine. DâaprĂšs Kemp, ce fut cette impressionnante
contrainte imposée aux avions et aux missiles iraniens qui les força à faire un marché avec
le « Grand et le Petit Satan », les Ătats-Unis et IsraĂ«l
3
. Le nouveau gouvernement faisait
ainsi son apprentissage : accepter et gérer les contraintes du systÚme international. En effet,
Ă peine deux ans aprĂšs avoir dĂ©noncĂ© lâancien fournisseur, lâIran Ă©tait forcĂ©, pour sa survie,
de conclure un marchĂ© avec lui et cela par lâintermĂ©diaire dâIsraĂ«l.
1
Kemp, Geoffrey, « US-Iranian Strategic Cooperation Since 1979 », dans Sokolski, Henry, et
Clawson, Patrick,
Checking Iranâs Nuclear Ambitions
, Strategic Studies Institute, janvier 2004, p. 101.
2
Ibid., p. 102.
3
Ibid.
183
La guerre contre lâIrak a ainsi brisĂ© lâillusion que seule la volontĂ© et les sacrifices humains
pouvaient prendre lâavantage et se substituer Ă la technologie et aux matĂ©riels de dĂ©fense.
ConsidĂ©rĂ©e comme un ermite dangereux par lâOccident et ses voisins arabes, du fait de ses
efforts agressifs pour exporter la révolution et pour son soutien au terrorisme international,
la RĂ©publique islamique sâest battue quasiment seule contre lâIrak. Pendant la mĂȘme
pĂ©riode lâIrak a reçu plus de 80 milliards de dollars de prĂȘts, de la part de ses voisins arabes,
et lâassistance des Ătats-Unis
1
. En mĂȘme temps lâembargo mondial imposĂ© Ă lâIran par les
Ătats-Unis Ă©tait efficace au point de lâempĂȘcher de vaincre son ennemi lâIrak, devenu
de
facto
alliĂ© des Ătats-Unis.
Un an seulement avant la guerre, lâIran Ă©tait encore la puissance incontestĂ©e du Golfe, et
une puissance hĂ©gĂ©monique rĂ©gionale, un rĂŽle que le Shah avait rĂ©ussi Ă rĂ©server Ă lâIran, le
nĂ©gociant avec les Ătats-Unis depuis le dĂ©part des forces britanniques de la rĂ©gion. Il avait
rĂ©ussi Ă avoir de bonnes relations avec la plupart des Ătats de la rĂ©gion, et Ă©tait considĂ©rĂ©
par beaucoup comme un protecteur, alors que lâIran rĂ©volutionnaire percevait des menaces
de tous cĂŽtĂ©s : au nord, avec une Union soviĂ©tique nuclĂ©aire qui venait dâenvahir son voisin
lâAfghanistan ; au sud, avec les forces amĂ©ricaines et les pays protĂ©gĂ©s par ces derniers ; Ă
lâouest, avec la guerre contre lâIrak, et Ă lâest, avec un pays envahi et un autre qui lui-mĂȘme
cherchait dĂ©sespĂ©rĂ©ment Ă Ă©viter lâinvasion soviĂ©tique. Il faut se mettre Ă la place des
dirigeants iraniens de cette Ă©poque pour comprendre lâimportance que lâatome et le
dĂ©veloppement interne dâun pouvoir de dissuasion reprĂ©sentaient. Ce besoin vital sera
renforcĂ© par lâhumiliation de devoir traiter avec ses deux ennemis idĂ©ologiques pour
obtenir des armes qui nâallaient pas assurer sa survie ou la victoire, mais seulement la
possibilitĂ© de continuer Ă sâentretuer plus longtemps.
Lâhumiliation : lâobtention dâarmes aux Ătats-Unis et en IsraĂ«l
Dans son livre,
What Uncle Sam Really Wants
, Noam Chomsky constate:
« Lâenvoi des armes [amĂ©ricaines] Ă lâIran par le biais d'IsraĂ«l nâa pas seulement
commencé en 1985, lorsque le CongrÚs en a parlé. Cela a commencé presque
immédiatement à la suite de la chute du Shah en 1979. Le public savait avant 1982
1
Schake, Kori N., Yaphe, Judith S.,
The Strategic Implication of a Nuclear Armed Iran,
Institute for
184
quâIsraĂ«l fournissait une grande partie des armes Ă lâIran â on pouvait mĂȘme le lire
dans le New York Times
.
En octobre 1982 lâambassadeur d'IsraĂ«l aux Ătats-Unis a rendu
public lâenvoi des armes au rĂ©gime de Khomeiny par IsraĂ«l avec la coopĂ©ration des
Ătats-Unis [âŠ] au plus haut niveau. [âŠ] La raison ? Ătablir des liens avec des Ă©lĂ©ments
militaires en Iran qui pourraient faire un coup dâĂtat et rĂ©tablir les mĂȘmes arrangements
que sous le Shah. »
1
La guerre avec lâIrak fournit son premier rĂ©sultat positif aux Ătats-Unis lorsquâun an
aprĂšs le dĂ©but de celle-ci, les besoins de survie contraignirent la RĂ©publique islamique Ă
négocier avec eux pour obtenir des armes. Les otages américains en Iran furent libérés en
janvier 1981 : derniĂšre monnaie dâĂ©change de la RĂ©publique « novice ». Mais les situations
désespérées requiÚrent des actes désespérés. Des groupes sympathisants du gouvernement
islamique au Liban prirent dâautres otages amĂ©ricains, otages qui allaient encore servir plus
tard de monnaie dâĂ©change pour l'obtention de missiles et de piĂšces de rechange pour
l'aviation. Ce que la jeune RĂ©publique ne savait pas, câest quâil nâĂ©tait pas nĂ©cessaire de
prendre des otages pour assurer la livraison des armes indispensables par les Ătats-Unis.
Ces derniers avaient intĂ©rĂȘt Ă maintenir leur client Ă©garĂ© Ă un niveau de puissance suffisant
pour empĂȘcher une victoire trop rapide de lâIrak, ou lâemprise de lâUnion soviĂ©tique.
LâintĂ©rĂȘt dâun gouvernement islamique pour les Ătats-Unis Ă©tait dâabord, et avant tout,
dâempĂȘcher la propagation du socialisme soviĂ©tique en Iran. Faire face Ă lâexpansion de
lâUnion soviĂ©tique Ă©tait lâun des derniers rĂŽles que lâIran pouvait jouer pour les Ătats-Unis
â mis Ă part celui de ne pas gĂȘner la libre circulation du pĂ©trole dans le golfe Persique.
Juste aprĂšs la rĂ©volution en Iran, les forces soviĂ©tiques avaient en effet envahi lâAfghanistan.
Mais ce pays enclavé ne pouvait pas leur donner accÚs aux eaux chaudes du golfe Persique.
Le Pakistan faisait barrage Ă l'accĂšs au golfe Persique. Il fallait donc que la RĂ©publique
islamique demeure suffisamment forte pour assumer ce rĂŽle.
Le marché du Pakistan
Tout au long de cette thÚse nous avons proposé des études de cas sur les
dĂ©veloppements nuclĂ©aires dans dâautres pays que lâIran. Cela permet de mieux
National Strategic Studies, National Defence University, Washington DC, 2001, p. 2.
1
Chomsky, Noam,
What Uncle Sam Really Wants
, Odonian Press, Berkeley, 1992, p. 68-69.
185
comprendre les spĂ©cificitĂ©s du cas iranien et les motifs et marges de manĆuvre de lâIran.
Mais cela permet surtout de mieux saisir la nature des interactions dans le secteur nucléaire
international. Le Pakistan, qui avait plus de capacité diplomatique à cette époque, a mieux
rĂ©ussi Ă jouer sa carte face aux Ătats-Unis. Conscient de son importance stratĂ©gique pour
les Ătats-Unis depuis lâinvasion soviĂ©tique en Afghanistan, le pays rĂ©ussit Ă obtenir le prix
tant désiré. En 1981, le Pakistan obtint une exemption de six ans de la part du CongrÚs des
Ătats-Unis pour dĂ©velopper sa capacitĂ© nuclĂ©aire militaire. Dans un climat international oĂč
les Ătats-Unis ne permettaient mĂȘme plus lâintroduction de nouveaux programmes civils,
ceci reprĂ©sentait une concession Ă©norme. Les Ătats-Unis Ă©taient contraints dâaccorder cette
faveur bilatĂ©rale au Pakistan â affaiblissant ainsi le rĂ©gime de la non-prolifĂ©ration â en
contrepartie du soutien du Pakistan aux combattants afghans contre les forces soviétiques.
Câest grĂące Ă cette dĂ©rogation que lâusine pakistanaise dâenrichissement dâuranium a pu
devenir opĂ©rationnelle en 1984, permettant au Pakistan dâatteindre la capacitĂ© nuclĂ©aire
militaire en 1986
1
. Le Pakistan avait mis sur pied dĂšs 1975 un programme clandestin
dâacquisition de matĂ©riels et technologies en provenance des diffĂ©rents pays industrialisĂ©s,
pour construire une usine dâenrichissement et aurait commencĂ© Ă enrichir de lâuranium
dĂšs 1976. Lâautorisation des Ătats-Unis lui donnait quartier libre pour rĂ©aliser ceci
ouvertement et à une échelle industrielle. Une contribution indispensable pour réaliser ce
programme avait Ă©tĂ© lâobtention des conceptions de centrifugeuses volĂ©es par Munir
Ahmad Khan Ă lâUrenco
2
.
En dĂ©pit de sa faible expĂ©rience, la jeune RĂ©publique islamique sâest vite aperçue que ses
fournisseurs (Ătats-Unis et IsraĂ«l) limitaient leurs approvisionnements en piĂšces dĂ©tachĂ©es
et missiles de façon Ă faire durer le conflit Iran-Irak. Dans le contexte dâun embargo
international, elle éprouvait le besoin de renforcer sa défense par d'autres moyens internes.
Les enfants envoyĂ©s au front dans les missions suicides ne pouvaient ĂȘtre quâun remĂšde
temporaire face Ă lâarmĂ©e de Saddam soutenue par les Ătats-Unis, lâUnion soviĂ©tique, et les
milliards de dollars de financement des pays de la région. Le zÚle révolutionnaire et les
sacrifices humains nâallaient pas continuer indĂ©finiment. Le discours et lâidĂ©ologie de « Ni
1
Spector, Leonard S.,
Going Nuclear
, Ballinger Publishing Company, Cambridge, 1987
,
p. 132.
2
US State Department,
The Pakistani Nuclear Program
, National Security Archives, Washington,
23 juin 1983.
186
lâOuest ni lâEst, RĂ©publique islamique »
,
avaient atteint leur limite dĂšs lors que le
gouvernement rĂ©volutionnaire avait dĂ» conclure un marchĂ© avec les Ătats-Unis et IsraĂ«l
pour obtenir des armes, armes qui aprĂšs tout nâĂ©taient suffisantes que pour faire durer un
conflit sanglant sans quâil puisse y avoir de gagnant. Lâinvasion soviĂ©tique de lâAfghanistan
était trop proche et présente pour que le gouvernement puisse ignorer la possibilité que
lâUnion soviĂ©tique dĂ©cide un jour de faire pareil en Iran. Ă lâĂ©poque du Shah, lâĂ©quilibre
nuclĂ©aire entre les Ătats-Unis et lâUnion soviĂ©tique aurait dissuadĂ© ce dernier d'envisager
une telle option. Mais dans le cadre des nouvelles relations entre la RĂ©publique islamique et
les Ătats-Unis, ce dernier allait-t-il toujours sâopposer Ă une telle invasion ? LâIran
rĂ©volutionnaire avait fort besoin dâun moyen de dissuasion. Câest Ă cette Ă©poque que la
recherche nucléaire de classe mondiale créée durant le rÚgne du Shah se tournera vers
lâusage militaire. Encore une preuve que ce sont les facteurs internationaux qui incitent les
gouvernements Ă opter ou non pour lâutilisation militaire de lâatome.
Câest dans ces conditions quâen 1981, lâIran a commissionnĂ© la construction au Centre
des Technologies NuclĂ©aires dâIspahan, dâun laboratoire de chimie dâuranium â
formellement dĂ©clarĂ© Ă lâAIEA en 1998
1
. Mais ce laboratoire ne pouvait pas ĂȘtre
immĂ©diatement opĂ©rationnel pour maintenir lâĂ©quilibre nuclĂ©aire. Aussi, en juin de la
mĂȘme annĂ©e, IsraĂ«l, profitant du fait que lâIrak Ă©tait concentrĂ© sur la guerre contre lâIran,
bombarda le rĂ©acteur de recherche irakien, lâOstiak
2
. Le gouvernement de la RĂ©publique
islamique qui avait lui-mĂȘme essayĂ© de bombarder Ostiak Ă deux reprises, mais sans
succĂšs
3
, fut sans doute soulagé par ce développement
4
.
1
IAEA,
Implementation of the NPT Safeguards Agreement in the Islamic Republic of Iran
, Vienne,
10 novembre 2003.
2
Des bombardiers spéciaux F-16 à longue portée et des renseignements de reconnaissance ainsi
que des photos de satellite américaines avaient été utilisés pour le raid.
3
D'aprĂšs les sources du CEA, je nâai pas trouvĂ© de documentation publiĂ©e Ă ce sujet.
4
LâIrak avait achetĂ© ce rĂ©acteur de recherche â extraordinairement large pour un rĂ©acteur de
recherche (20-70 MW) â en 1976, Ă la France. Ce rĂ©acteur trĂšs perfectionnĂ© Ă©tait capable
dâirradier lâuranium pour produire des quantitĂ©s importantes de plutonium, mais cet uranium
Ă©tait quasiment inutilisable en lâĂ©tat, et impossible Ă faire sortir du cĆur du rĂ©acteur. Câest
lâachat de trois unitĂ©s dâextraction de plutonium dâItalie (
radiological shielded hot cells
) qui avait
alarmĂ© les IsraĂ©liens. La France avait aussi fournit lâIrak avec 12,5 kg dâuranium trĂšs enrichi avec
ce rĂ©acteur, ce qui pourrait ĂȘtre Ă priori Ă peine suffisant pour la fabrication dâune bombe
nuclĂ©aire, mais quasiment impossible de retirer dâun tel rĂ©acteur dâaprĂšs diffĂ©rents spĂ©cialistes
interviewés.
187
Durant lâannĂ©e 1982, lâIran a aussi importĂ© 531 tonnes de concentrĂ© dâU
3
O
8
naturel
1
.
Les conditions difficiles de la guerre, lâembargo international et lâisolement total du pays
forcÚrent alors le gouvernement à orienter les activités de recherche nucléaire vers des
utilisations désormais militaires. Les contraintes du systÚme international et la politique
bilatĂ©rale des Ătats-Unis â y compris fournir des donnĂ©es de renseignements en temps rĂ©el
Ă lâIrak durant la guerre â forcĂšrent lâIran Ă considĂ©rer lâatome comme un moyen de
dissuasion et de survie. Non seulement lâIran nâavait plus de fournisseur dâarmes
conventionnelles Ă©tant donnĂ© lâembargo qui lui Ă©tait imposĂ©, mais le pays nâavait plus de
moyens financiers pour maintenir les mĂȘmes forces militaires quâĂ lâĂ©poque du Shah. Câest
à ce moment-là que la production et les exportations pétroliÚres connurent le creux le plus
bas de son histoire depuis lâĂ©poque Mossadegh. Le chĂątiment imposĂ© Ă lâIran pour la
nationalisation des sociĂ©tĂ©s pĂ©troliĂšres par le Shah Ă©tait mĂȘme plus sĂ©vĂšre que celui imposĂ©
Ă Mossadegh : cette fois, le changement de rĂ©gime sâaccompagnait aussi dâune guerre. Mais
le crime du Shah était certainement plus répréhensible : non seulement il avait nationalisé
le pĂ©trole, mais il avait aussi amenĂ© lâOPEP Ă corriger les prix internationaux.
Le gouvernement de la RĂ©publique islamique fut contraint d'augmenter ses revenus
pétroliers pour financer les efforts de guerre. Mais la vente de pétrole est devenue de plus
en plus difficile lors des années 80. Non seulement en raison de la guerre et de la
destruction des installations, mais aussi en raison de la baisse de la demande du pétrole et
de lâaugmentation de lâoffre non-OPEP â rĂ©sultat des initiatives amĂ©ricaines du cĂŽtĂ© de
lâoffre pour promouvoir des offres alternatives, et du cĂŽtĂ© de la demande, pour baisser la
1
DĂ©clarĂ© Ă lâAIEA en 1990. Voir IAEA,
Implementation of the NPT Safeguards Agreement in the Islamic
Republic of Iran,
Vienne, 10 novembre 2003.
0
50
100
150
200
250
1948
1953
1958
1963
1968
1973
1978
1983
1988
1993
Index
Exportations pétroliÚres iraniennes : 1948-1996
Source: International Financial Statistics, FMI 2003
188
consommation des pays industrialisés. Les bombardements irakiens du Kharg, le terminal
principal des exportations pĂ©troliĂšres iraniennes, rĂ©duisirent les exportations du pays Ă
150 000 barils par jour. Ă la veille de la guerre avec lâIrak, la production iranienne Ă©tait dĂ©jĂ
tombée à 800 000 barils
1
. La part de lâIran dans la production de lâOPEP est passĂ©e entre
1978 et 1981 de 17 Ă 6 %
2
. LâIran et lâIrak â deux des membres les plus importants de
lâOPEP â sâaffaiblissaient en sâentretuant et lâOPEP sâaffaiblissait avec eux : le conflit Iran-
Irak avait dĂ©jĂ atteint lâun de ses objectifs principaux !
Ramazani constate que bien que la communautĂ© internationale ait condamnĂ© lâagression
de lâIrak contre le KoweĂŻt en 1991, « il y a eu manifestement une absence dâattention
juridique en ce qui concerne lâusage flagrant de force militaire par lâIrak contre lâIran le
22 septembre 1980 »
3
. Et cela, selon lui, en raison de « considérations politiques,
distorsions médiatiques, et prédispositions personnelles ».
Cette injustice internationale,
durant ce que lâIran appelait la
« guerre imposĂ©e », a poussĂ© davantage le pays Ă
lâautosuffisance en matiĂšre de dĂ©fense nationale. LâIrak, mis Ă part lâutilisation des armes
chimiques, avait aussi accÚs à plus de missiles et avec des portées plus longues. Il pouvait
les utiliser contre les villes iraniennes ; un avantage qui était amplifié par la supériorité en
nombre de l'aviation irakienne
4
.
LâIran utilisera 85 kg dâU
3
O
8
naturelle importée entre 1982 et 1993 dans les laboratoires
chimiques dâIspahan pour diffĂ©rentes expĂ©rimentations. Entre 1982 et 1987, 12,2 kg dâUO
2
ont pu ĂȘtre produits en utilisant de lâU
3
O
8
. DâaprĂšs lâAIEA, entre 1989 et 1993, 10 kg dâUF
4
ont été produits au centre de recherche nucléaire de Téhéran
1
.
LâIran essaya de contraindre le KoweĂŻt et les autres Ătats de la rĂ©gion Ă arrĂȘter leur
soutien Ă lâIrak en attaquant des navires qui transportaient leur pĂ©trole vers les marchĂ©s
internationaux. En 1987-1988, lâIran visa Ă©galement le transport maritime dans le golfe
Persique et les territoires de certains alliĂ©s des Ătats-Unis pour les punir pour leur soutien Ă
1
OPEC,
Annual Statistical Bulletin
, 1994.
2
Ibid.
3
Ramazani, R. K., « Who Started the Iran-Irak War? A Commentary »,
Virginia Journal of
International Law
, automne 1992.
4
Chubin, Shahram, « Iranâs Strategic Aims and Constraints », dans Clawson, Patrick, ed.,
Iranâs
Strategic Intentions and Capabilities,
McNair Paper 29, National Defense University, DC, 1994, p. 65-
70.
189
lâIrak dans sa guerre contre lâIran. En plus de la pression militaire, lâIran a aussi soutenu les
radicaux Chiites contre les régimes du Golfe
2
. Pour Chubin aussi, câest bien la guerre avec
lâIrak et la position de faiblesse de lâĂ©poque de la RĂ©publique islamique qui auraient poussĂ©
lâIran Ă envisager des moyens de dissuasion autochtone.
« Ătant donnĂ© le coĂ»t et la difficultĂ© pour trouver une paritĂ© dans les armes
conventionnelles, ça pourrait ĂȘtre une bonne idĂ©e de considĂ©rer dâautres moyens pour
dissuader les Ătats plus avancĂ©s. En ce qui concerne lâIrak, il est clair que lâIran ne
pouvait pas se permettre dâautres surprises dans le futur. LâIran aurait besoin des armes
chimiques ne serait-ce que pour la dissuasion ; des missiles pour soutenir une armée de
lâair qui mettra des annĂ©es pour ĂȘtre capable de dissuader les missiles ennemis [âŠ] »
3
Lâutilisation dâarmes de destruction massive par lâIrak et lâembargo imposĂ© Ă lâIran : la
nécessité de la dissuasion par moyens internes
Lors de la prise du pouvoir en 1979, la République islamique avait dénoncé le
programme nuclĂ©aire, comme symbole de dĂ©pendance vis-Ă -vis de lâĂ©tranger et comme
moyen illégitime de dépenser les richesses du pays. Nous avons vu que pendant les
premiĂšres annĂ©es, elle apprĂ©ciait de pouvoir utiliser lâinfrastructure de recherche nuclĂ©aire
qui existait Ă lâĂ©poque du Shah pour commencer Ă chercher un moyen de dissuasion. Mais
en 1984, la RĂ©publique islamique fit un retour impressionnant sur sa position publique
concernant lâĂ©nergie nuclĂ©aire en prenant la dĂ©cision de relancer les travaux des centrales
de Boushehr ; un projet beaucoup plus visible et coûteux que les activités de recherche. Les
critÚres idéologiques avaient déjà changé étant données les leçons du passé récent. Il y avait
aussi une considĂ©ration dâordre intĂ©rieur pour justifier cette dĂ©cision. En effet, le nouveau
pouvoir sâĂ©tait aperçu quâil nâavait aucun projet public de grande envergure. Le zĂšle
rĂ©volutionnaire sâeffritait, et la RĂ©publique islamique n'avait que la guerre et la baisse de
niveau de vie, Ă offrir aux citoyens. « Câest lĂ oĂč le gouvernement commença Ă sortir un
par un les programmes de lâĂ©poque du Shah et Ă les remettre dâactualitĂ© [âŠ] nous nâavions
1
IAEA,
Implementation of NPT Safeguards Agreement in the Islamic Republic of Iran
, Vienne, 24 février 2004
et 1 juin 2004.
2
Ibid., p. 12.
3
Chubin, Shahram, « Iranâs Strategic Aims and Constraints », dans Clawson, Patrick, ed.,
Iranâs
Strategic Intentions and Capabilities,
McNair Paper 29, National Defense University, DC, 1994, p. 71.
190
rien de nouveau ou de différent à montrer, et il y avait urgence à faire quelque chose
quand mĂȘme »
1
, prĂ©cise un haut fonctionnaire du ministĂšre du Plan de lâĂ©poque. Lâautre
raison de ce développement était que, sans un programme civil, le gouvernement pouvait
difficilement justifier ses activitĂ©s de recherche. Câest Ă ce moment-lĂ que le programme
civil de lâIran assumera un deuxiĂšme rĂŽle : fournir une justification pour les programmes
de recherche.
Mais Ă cette occasion lâAllemagne de lâOuest refusa de reprendre les travaux de
Boushehr, sous prĂ©texte que lâIran Ă©tait en guerre avec lâIrak. Ceci nâĂ©tait quâun prĂ©texte,
car lâIran nâĂ©tait pas le seul pays Ă qui les Allemands refusaient, Ă cette Ă©poque, de vendre
leur technologie : depuis 1978, lâAllemagne nâavait voulu accepter aucune commande de
rĂ©acteur. Pendant cette mĂȘme pĂ©riode le gouvernement allemand nâavait pas pu donner
son autorisation Ă KWU pour nĂ©gocier avec le Pakistan non plus. Les Ătats-Unis, eux
avaient réussi, en partie grùce au Club de Londres, à mettre fin à la quasi-totalité des
exportations européennes de centrales nucléaires à la fin des années 1970
2
. LâIrak
commença à bombarder Boushehr identifié désormais comme une cible stratégique dÚs
1984. Ces bombardements seront rĂ©pĂ©tĂ©s en fĂ©vrier et avril 1985 â puis en juillet et
novembre 1987, et juillet 1988
3
. DĂšs 1984, lâIrak avait dominĂ© la guerre aĂ©rienne et en
profitait pour bombarder TĂ©hĂ©ran. LâIran rĂ©pondait en utilisant les missiles Ă courte
portĂ©e : Bagdad nâĂ©tant pas trop loin de la frontiĂšre Iran-Irak
4
. Ce fut aussi lâoccasion pour
la RĂ©publique islamique de faire lâapprentissage de lâutilitĂ© des missiles Ă courte et
moyenne portée qui coûtent beaucoup moins cher que les avions et qui ne nécessitent pas
de piĂšces de rechange.
La RĂ©publique islamique rĂ©ussira en revanche Ă obtenir lâassistance de la Chine pour la
crĂ©ation dâun nouveau centre de recherche nuclĂ©aire Ă Ispahan pendant la mĂȘme annĂ©e
1
et
Ă commander la construction, au Centre de Technologies NuclĂ©aires dâIspahan, dâun
1
Entretien avec un ancien haut fonctionnaire du ministÚre du Plan durant les premiÚres années de
la révolution, à Washington en 2003.
2
MĂŒller, Harald & Schlupp, Christian, « Nuclear Decision-making in the Federal Republic of
Germany »,
How Western Nuclear Policy is Made: Deciding on the Atom
, McMillan, Basingstoke, 1991,
p. 74.
3
LâAIEA avait ignorĂ© Ă cette Ă©poque la demande de soutien de la RĂ©publique islamique (source:
CEA, Paris).
4
Chubin, Shahram,
Iranâs National Security Policy: Intentions, Capabilities and Impact
, Carnegie
Endowment, Washington DC, 1994, p. 21.
191
laboratoire de fabrication de combustible
2
. La Chine nâĂ©tait tenue, ni par le TNP ni par les
arrangements du Club de Londres, Ă limiter ses coopĂ©rations nuclĂ©aires. Câest au cours de
cette mĂȘme annĂ©e que lâusine dâenrichissement pakistanaise entra en activitĂ©.
Un accord bilatĂ©ral a aussi Ă©tĂ© signĂ© en 1985 entre lâIran et la Chine pour la formation
dâune quinzaine dâingĂ©nieurs nuclĂ©aires iraniens en Chine en vue de la conception de
réacteurs
3
. CâĂ©tait encore la difficultĂ© de traiter avec les Ă©trangers â les mĂȘmes que la
RĂ©publique islamique avait dĂ©noncĂ©s Ă peine cinq ans avant â qui poussait lâIran Ă
dĂ©velopper des compĂ©tences intĂ©rieures. IsraĂ«l et les Ătats-Unis continuaient Ă fournir les
armes indispensables pour faire durer la guerre entre lâIran et lâIrak. En aoĂ»t et septembre
1985, IsraĂ«l envoya 504 missiles TOW Ă lâIran. En novembre de la mĂȘme annĂ©e 18 missiles
anti-avion HAWK furent livrĂ©s directement par la CIA Ă lâIran, mais ils auraient Ă©tĂ© rejetĂ©s
pour des raisons techniques. Le 17 fĂ©vrier 1986, les Ătats-Unis envoyĂšrent 500 autres
missiles TOW Ă lâIran en passant encore par IsraĂ«l, puis 500 de plus en 27 fĂ©vrier, 508 en
mai, et encore 500 en octobre
4
. Les Ătats-Unis armaient comme nous lâavons dit les deux
cĂŽtĂ©s, mais fournissaient aussi des donnĂ©es de renseignements Ă lâIrak, leur but Ă©tant de
maintenir un Ă©quilibre dans le conflit, sans vainqueur, mais avec le plus de destructions et
dâaffaiblissement possibles. Avec la baisse de production des deux grands de lâOPEP,
compensĂ©e par le dĂ©veloppement rapide des sources non-OPEP durant les mĂȘmes annĂ©es,
lâordre pĂ©trolier inconvenant imposĂ© par lâOPEP en 1974 allait changer : un dĂ©veloppement
indispensable pour la survie de lâordre capitaliste mondial qui repose sur la fourniture dâun
pétrole bon marché.
DÚs 1985, il devint évident que la révolution iranienne perdait suffisamment de force
pour ne plus pouvoir déstabiliser les gouvernements riches traditionnels de la région.
LâArabie Saoudite prit alors des mesures discrĂštes pour se rapprocher de lâIran. Son
ministre des Affaires Ă©trangĂšres, Saoud Bin Faysal, se rendit en Iran en 25 mai 1985
5
. Ce
rapprochement Ă©tait partie intĂ©grante dâune forme de rapprochement avec les Ătats-Unis.
1
MEDNEWS,
8 juin 1992.
2
Ceci a Ă©tĂ© formellement dĂ©clarĂ© Ă lâAIEA en 1998. Voir IAEA,
Implementation of the NPT Safeguards
Agreement in the Islamic Republic of Iran
, Vienne, 10 novembre 2003.
3
Nucleonics Week
, 5 février 1991.
4
Inouye, Daniel K. & Hamilton, Lee. H.,
Report of the Congressional Committees Investigating the Iran-
Contra Affair,
Times Books, New York, 1988, p xix.
5
American Hegemony and World Oil
, p. 227.
192
Le gouvernement révolutionnaire avait toujours besoin de piÚces de rechange pour ses
Ă©quipements militaires dans sa position dâinfĂ©rioritĂ© face Ă lâIrak qui utilisait des armes de
destruction massive contre la population iranienne. Les otages américains au Liban
servirent une fois encore de monnaie dâĂ©change : armements et piĂšces de rechange contre
la libération des otages
1
.
De 1984 Ă 1986, lâIrak utilisa des armes chimiques de destruction massive contre les
populations civiles en Iran pendant que les Ătats-Unis lui fournissaient des renseignements
en temps réel et que la communauté internationale se désintéressait de la situation. Dans
ces conditions de faiblesse, le gouvernement iranien prit la décision en 1985 de poursuivre
un programme dâenrichissement dâuranium. Son voisin pakistanais Ă©tait sur le point
dâatteindre le seuil nuclĂ©aire grĂące Ă un programme similaire, et son voisin irakien, soutenu
par les Ătats-Unis, continuait Ă gazer ses populations. Les motifs du gouvernement pour
poursuivre des recherches nuclĂ©aires sur les technologies de double utilisation â bien que
lĂ©gales et dans le cadre du TNP â Ă©taient basĂ©s sur ces deux facteurs. DĂšs 1986, certains
mĂ©dias Ă©voquaient une coopĂ©ration nuclĂ©aire secrĂšte entre lâIran et le Pakistan.
En 1987, lâIrak bombarda de nouveau le site de Boushehr sous prĂ©texte de la reprise par
lâIran de son programme nuclĂ©aire. LâIran chercha lâaide dâun consortium de sociĂ©tĂ©s
allemande, espagnole et argentine pour la reconstruction du site de Boushehr mais en
1
Tel que décrit dans Bill, James A.,
The Eagle and the Lion: the Tragedy of American-Iranian Relations
,
Yale
University Press, New Haven, 1988, p. 306-315, et Tower, John, Muskie, Edmond, et Scowcroft,
Brent,
The Tower Commission Report
, Bantam Books,
New
York, 1987. Ceci avait été orchestré par le
Conseil National de Sécurité (
National Security Council, NSC)
avec la coopération de la CIA et
lâapprobation du prĂ©sident Reagan. Le but Ă©tait de vendre Ă lâIran les piĂšces de rechanges qui lui
manquaient cruellement afin d'obtenir sa coopération dans la libération des otages américains
au Liban. Ce plan avait été initié sous la direction de Robert McFarlane, mais il fut poursuivi par
son remplaçant Ă la tĂȘte du NSC, le vice-amiral John M. Poindexter assistĂ© du Lt. Colonel Oliver
North. Le 25 mai 1986, McFarlane, North, Howard Teicher, le conseiller du Moyen-Orient au
NSC, Amir Nir, un IsraĂ©lien, et George Cave, le spĂ©cialiste de lâIran Ă la CIA se sont rendus Ă
TĂ©hĂ©ran pour lâĂ©change des armes contre les otages.
La libération des otages contre les armes, alliait avantages géopolitiques et raisons de politique
intérieure pour le président Reagan qui semblait impuissant à résoudre cette crise d'une autre
maniĂšre. La premiĂšre raison stratĂ©gique de lâouverture vers lâIran Ă©tait la prĂ©occupation de la
Maison Blanche face au pouvoir soviétique dans la région. Le rapport du NSC en juin 1985 avait
soulignĂ© la menace de lâUnion soviĂ©tique pour lâIran et les intĂ©rĂȘts amĂ©ricains dans la rĂ©gion. Ce
point de vue était renforcé par les conseillers du Président, en particulier Donald Regan, et les
Israéliens en faveur d'un rapprochement. La deuxiÚme raison stratégique était le danger de
lâexportation de la rĂ©volution iranienne Ă des pays conservateurs voisins. Les Ătats-Unis Ă©taient
particuliĂšrement prĂ©occupĂ©s par la stabilitĂ© de lâArabie Saoudite, le pays qui Ă lâĂ©poque dĂ©tenait
un quart des réserves mondiales et qui était le plus grand producteur du pétrole.
193
vain
1
. LâIrak bombarda Ă trois autres reprises en 1987 le site de Boushehr prĂ©textant le
transfert par l'Iran de certains matĂ©riels sous contrĂŽle. LâIran essaya en vain de faire
condamner lâIrak par lâAIEA, prĂ©tendant que ces rĂ©acteurs nâĂ©taient pas terminĂ©s et ne
contenaient pas de combustible nuclĂ©aire ; lâAIEA ne mit aucune mesure de sauvegarde en
application, maintenant quâelle nâavait pas de juridiction pour ce cas. Devenu sensible aux
aspects discriminatoires du rĂ©gime de non-prolifĂ©ration, lâIran refusa de signer la
Convention sur la Protection Physique des Matériaux Nucléaires, étant donné le privilÚge
que cette convention accordait aux Ătats nuclĂ©aires.
En 1987, lâIran signa aussi un accord avec lâArgentine pour la fourniture dâuranium
enrichi à 20 % destiné au réacteur de recherche de Téhéran
2
. Mais lâArgentine renonça Ă
cette vente sous la pression bilatĂ©rale des Ătats-Unis. Câest aussi au cours de cette mĂȘme
annĂ©e, et en position de faiblesse dans une guerre, qui verra trĂšs bientĂŽt lâimplication
directe des Ătats-Unis, que lâIran a pu obtenir des conceptions de centrifugeuses pour
enrichir de lâuranium. LâannĂ©e prĂ©cĂ©dente, le Pakistan, avec lâaccord tacite des Ătats-Unis,
avait pu enrichir de lâuranium et en accumuler suffisamment, dâaprĂšs les services de
renseignements amĂ©ricains, pour fabriquer quelques bombes. Lors de la mĂȘme annĂ©e,
lâIran acheta aussi un calutron
3
Ă la Chine
4
quâun responsable qualifiait de miniature
(desk-
top sized)
et « [âŠ] qui faisait partie de lâaccord, quand la Chine fournissait Ă lâIran le
réacteur de 27 MW pour Ispahan. Ce calutron servait à produire des isotopes stables qui
pourraient ĂȘtre irradiĂ©s dans le rĂ©acteur en question et convertis en matiĂšre radioactive
utilisée pour la recherche et la médecine »
5
. La RĂ©publique islamique continua ses efforts
pour ressusciter ses activités nucléaires dans un environnement international à la fois
hostile Ă toute coopĂ©ration dans ce domaine et Ă lâidĂ©e dâun Iran nuclĂ©aire.
Au printemps 1988, le conflit Iran-Irak entra dans sa phase de « guerre des villes ». Les
deux adversaires tirĂšrent des missiles sur les capitales ennemies. LâIrak avait la supĂ©rioritĂ©
1
Il y avait des rumeurs disant que KWU voulait utiliser ses parts minoritaires dans une
entreprise nuclĂ©aire argentine pour aider lâIran Ă complĂ©ter les centrales de Boushehr, Ă©chappant
ainsi au contrĂŽle du gouvernement allemand.
2
Spector, Leonard, « Nuclear Proliferation in the Middle East »,
Orbis,
printemps 1992, p. 186-87.
3
SĂ©parateur Ă©lectromagnĂ©tique dâisotope, tel quâutilisĂ© massivement par lâIrak dans son
programme dâenrichissement Ă Tarmiya (voir Rhodes,
Making of the Atomic Bomb)
p. 486-492.
4
Nuclear Fuel,
12 septembre 1991.
5
Bulletin of the Atomic Scientists
, mars 1992, p. 10.
194
dans le nombre et lâusage de missiles (190 missiles Scud tirĂ©es contre 75 par lâIran
1
).
Durant cette phase, les Ătats-Unis sâengagĂšrent directement dans la guerre contre lâIran
surtout pour protéger le libre passage des pétroliers dans le golfe Persique. En juillet 1988,
le navire de guerre américain
Vincennes
tira sur un avion civil iranien, tuant les
290 passagers
2
. Ce signal a marquĂ© la fin de la guerre Iran-Irak. Avec lâengagement direct
des Ătats-Unis, le dĂ©fi est devenu dâune taille ingĂ©rable pour lâIran. Pendant la guerre, le
rĂŽle des forces maritimes Ă©tait dâattaquer les pĂ©troliers transportant du pĂ©trole arabe, en
reprĂ©sailles contre les attaques irakiennes sur les navires et lâinfrastructure des pĂ©troliers
iraniens. Autrement dit, les iraniens ont cherchĂ© Ă dĂ©stabiliser lâune des structures
secondaires du pouvoir, selon Strange â la structure de transport â pour Ă©largir lâimpact
de la guerre en affectant la provision pĂ©troliĂšre de lâOccident. Mais câĂ©tait un acte de
désespoir. Quand les forces américaines commencÚrent à activement défendre le transport
maritime de pétrole dans le golfe Persique, les iraniens commencÚrent également à les
combattre, avec les moyens quâils possĂ©daient. Mais ils furent totalement inefficaces contre
les forces navales impressionnantes des Ătats-Unis. Eric Arnett
3
maintient que ce fut le
facteur dĂ©cisif qui mit fin Ă la guerre Iran-Irak. LâIran finit par accepter la rĂ©solution des
Nations unies pour le cessez-le-feu.
LâIrak accrut en 1988 l'utilisation de cyanure et gaz de moutarde contre la population
iranienne. LĂ encore, il nây a eu aucune dĂ©nonciation au niveau international de lâutilisation
des armes de destruction massive. Câest aussi dans ces conditions que Rafsandjani, qui Ă©tait
alors Ă la tĂȘte du parlement iranien dĂ©clara, en octobre1988 :
« Concernant les armes chimiques, bactériologiques et radiologiques, il est devenu
clair pendant la guerre, que ces armes Ă©taient dĂ©cisives. Câest clair aussi, que les
enseignements moraux du monde ne sont pas trĂšs efficaces, quand la guerre atteint un
certain degré, que le monde ne respecte plus ses propres résolutions et ferme les yeux
sur les violations et agressions qui se font dans les batailles [âŠ] Nous devrons nous
Ă©quiper, Ă la fois pour lâusage offensif et dĂ©fensif, des armes chimiques, bactĂ©riologiques
1
Iranâs National Security Policy
, p. 21.
2
Iranâs Nuclear Weapons Options
, p. 103.
3
Arnett, Eric,
Iran, Threat Perception and Military Confidence-Building Measures
, SIPRI, 1997.
195
et radiologiques. Prenez dĂ©sormais lâopportunitĂ© prĂ©sente et accomplissez cette
tùche ! »
1
Câest le premier discours public de la RĂ©publique islamique Ă propos de la nĂ©cessitĂ©
dâacquĂ©rir des armes nuclĂ©aires. Il ne faut pas oublier que Rafsandjani Ă©tait Ă l'Ă©poque
candidat Ă la prĂ©sidence et que ce type de discours, de la part dâun gouvernement battu, a
pu largement servir pour son Ă©lection. Quelques mois plus tard, en fĂ©vrier 1989, lâamiral
Thomas E. Brooks, directeur du bureau de renseignements navals des Ătats-Unis, a dĂ©clarĂ©
au CongrĂšs que lâIran « poursuivait activement » un programme nuclĂ©aire, sans donner de
détails
2
. Spector soutient que lors d'entretiens avec des autorités américaines, on lui avait
affirmĂ© que lâIran avait crĂ©Ă© un rĂ©seau clandestin d'acquisition des matĂ©riels et de
technologie nuclĂ©aire en provenance de lâEurope. Ces autoritĂ©s affirmaient Ă©galement que
lâIran avait un programme de recherche sur la production des matĂ©riaux fissiles Ă lâusage
militaire. DâaprĂšs les sources de M. Spector, cette recherche se faisait, Ă Ghazvine, sous le
contrĂŽle des gardes rĂ©volutionnaires et non pas de lâOEAI
3
.
La fin de la guerre avec lâIrak fut suivie par la mort de lâAyatollah Khomeiny lâannĂ©e
suivante. D'oĂč une amĂ©lioration des relations irano-amĂ©ricaines marquĂ©e par le fait que le
prĂ©sident Bush indiqua la possibilitĂ© dâune ouverture vers lâIran si ce dernier aidait Ă la
libération des otages au Liban
4
. Les iraniens saisirent cette occasion anticipant un
rapprochement avec les Ătats-Unis des et une rĂ©compense de leur part. La plupart des
otages furent relĂąchĂ©s, mais il nây a eu aucune contrepartie.
Entre 1984 et 1991, lâIran a acquis deux fois moins dâarmes (16,1 milliards de dollars)
que lâIrak (35 milliards de dollars) et trois fois moins que lâArabie Saoudite (63,6 milliards
de dollars
5
), ce qui le laissa en position de faiblesse dans la région. Les dépenses militaires
de lâIran nâĂ©taient plus de mĂȘme ampleur quâĂ lâĂ©poque Pahlavi : 16,6 % de PNB en 1978
contre Ă 2,2 % en 1990
6
.
1
Orbis,
printemps 1992, p. 187. (FBIS Daily Report, 7 octobre 1988).
2
Ibid., et
Testimony of Rear Admiral Thomas E. Brooks, before the Subcommittee on Seapower, Strategic, and
Critical Materials of the Committee on Armed Services, US House of Representatives
, 22 février 1989.
3
Ibid., p. 188.
4
En 20 Janvier 1989, « goodwill begets goodwill », voir Kemp,
Iranâs Nuclear Weapons Options
, p. 103.
5
Chubin, «
Iranâs Strategic Aims and Constraints
», p. 73.
6
Ibid., p. 88.
196
Depuis la fin de la guerre avec lâIrak, lâIran a cherchĂ© Ă ressusciter son programme
nuclĂ©aire civil. En raison des pressions exercĂ©es par les Ătats-Unis sur lâAllemagne, la
France, lâInde et lâArgentine, il s'est tournĂ©e vers la Russie et la Chine et ressent l'action des
Ătats-Unis pour lâempĂȘcher dâavoir accĂšs Ă la technologie nuclĂ©aire civile, comme
discriminatoire et contraire aux promesses du TNP, notamment de son article 4. Il
percevait la politique amĂ©ricaine comme arbitraire, lâisolant en tant que membre du TNP,
alors que ceux-ci ignorent la non-adhĂ©sion dâIsraĂ«l au TNP et ses stocks de bombes
nuclĂ©aires. Depuis le dĂ©but des annĂ©es 1990, lâIran a mis lâaccent sur son droit Ă la
technologie nuclĂ©aire pour lâusage civil. Depuis, le pays prĂ©voit toujours la fourniture de 10
Ă 20 % de son Ă©lectricitĂ© par lâĂ©nergie nuclĂ©aire.
La fin de la guerre froide et le début des nouvelles alliances
La fin de la guerre froide nâa pas amĂ©liorĂ© la sĂ©curitĂ© de lâIran. Les Ătats-Unis, le pays
que la République islamique avait dénoncé depuis sa prise de pouvoir en 1979, sont
devenus désormais le pouvoir hégémonique unique dans le monde, sans le contre-pouvoir
soviĂ©tique, et sont mieux Ă mĂȘme de rĂ©gler leur longue confrontation avec la RĂ©publique
islamique
1
. MĂȘme si avec la chute de lâUnion soviĂ©tique, une menace importante pesant
sur la sĂ©curitĂ© de lâIran a disparu, la diminution de la force soviĂ©tique au nord a Ă©tĂ©
compensĂ©e par une prĂ©sence plus forte des Ătats-Unis au sud. Pendant la guerre froide, la
menace potentielle que reprĂ©sentait lâUnion soviĂ©tique pour lâIran Ă©tait contrĂ©e par les
Ătats-Unis pour des raisons liĂ©es Ă lâĂ©quilibre des pouvoirs entre superpuissances. Avec
lâĂ©clatement de lâex-Union soviĂ©tique, lâIran s'est retrouvĂ© au nord, au moins pendant une
pĂ©riode de transition, avec des Ătats, politiquement instables. La RĂ©publique islamique
privilĂ©gia ses relations avec la Russie â qui pouvait lui fournir armes et technologie â au
dĂ©triment dâune relation potentielle avec les 50 millions de musulmans de lâex-Union
soviétique.
Avec lâĂ©mergence des Ătats-Unis comme pouvoir hĂ©gĂ©monique unique, la dissuasion
dâune intervention Ă©ventuelle de ceux-ci incombait Ă lâIran seul. Si, Ă la fin de rĂ©gime du
1
Hannah, John, p. « Evolving Russian Attitudes Towards Iran », dans Clawson, Patrick, ed.,
Iranâs
Strategic Intentions and Capabilities,
McNair Paper 29, National Defense University, DC, 1994, p. 57.
197
Shah, les relations avec les Ătats-Unis avaient commencĂ© Ă se dĂ©grader, la RĂ©publique
Islamique sâĂ©tait positionnĂ©e dâemblĂ©e et de maniĂšre trĂšs visible contre l'hĂ©gĂ©monie
amĂ©ricaine. La fin de la guerre froide et la disparition de lâordre bipolaire amenĂšrent la
nĂ©cessitĂ© de crĂ©er un contre-pouvoir Ă la prĂ©sence des Ătats-Unis dans la rĂ©gion en gĂ©nĂ©ral
et dans le golfe Persique en particulier, de mĂȘme que de dissuader la Russie et de faire
alliance avec elle. LâIran a mis huit ans Ă combattre lâIrak, sans succĂšs flagrant. Deux ans et
demi plus tard, les forces alliĂ©es ont pu dĂ©stabiliser lâarmĂ©e de Saddam Hussein en
quelques semaines. Pour lâIran, cela aurait dĂ» ĂȘtre la preuve de lâinutilitĂ© de ses forces
affaiblies face à une menace extérieure similaire
1
.
Lâinvasion du KoweĂŻt par lâIrak avait dĂ©montrĂ© que lâutilisation de la force demeurait
une stratĂ©gie rĂ©aliste pour certains pays de la rĂ©gion. Le dĂ©mantĂšlement de lâUnion
soviĂ©tique mit fin au soutien politique de celle-ci de mĂȘme quâĂ sa fourniture dâarmement
aux pays de la rĂ©gion. LâindisponibilitĂ© des armes conventionnelles, leur coĂ»t exorbitant, et
leur inefficacité relative démontrée lors de la guerre du Golfe, fournirent une meilleure
raison à la République islamique pour obtenir des armes nucléaires en vue de dissuader les
Ătats-Unis ou IsraĂ«l
2
.
Les premiers contrats avec de nouveaux partenaires
Les nouveaux partenaires nuclĂ©aires et de dĂ©fense de lâIran sous la RĂ©publique islamique
sont des pays de lâancien bloc communiste, notamment la Chine et la Russie. Lâembargo
des Ătats-Unis Ă©tait une des raisons pour laquelle lâIran sâĂ©tait tournĂ© vers le bloc de lâest.
Lâautre raison Ă©tait que les Ătats-Unis ne pouvaient pas exercer la mĂȘme pression sur la
Chine et lâInde que sur les autres pays. La Russie, quant Ă elle, avait adoptĂ© une politique
de bon voisinage avec les Ătats de la rĂ©gion comme suite Ă la chute de lâUnion soviĂ©tique.
Cela impliquait une coopération économique avec ces pays, coopération qui, étant donné
lâĂ©tat financier de la Russie, lui Ă©tait indispensable. La coopĂ©ration nuclĂ©aire avec lâIran sera
aussi source de doubles revenus pour la Russie. CÎté iranien, les recettes venaient des
1
Chubin, Shahram,
Iranâs National Security Policy: Intentions, Capabilities and Impact
, Carnegie
Endowment, Washington DC, 1994, p. IX.
2
Chubin, Shahram,
The
Middle East and Proliferation
(manuscrit non-publié), 1994.
198
ventes du réacteur et de technologies nucléaires, et du cÎté américain, des aides financiÚres
pour inciter la Russie Ă remettre constamment Ă plus tard lâachĂšvement des travaux.
Le contrat initial entre lâIran et la Russie pour la reconstruction des deux rĂ©acteurs de
Boushehr â et la construction de deux autres rĂ©acteurs â date de 1990
1
. En mars 1990, la
RĂ©publique islamique signe un accord de principe avec lâUnion soviĂ©tique pour lâachat de
deux centrales de 440 MW. Mais cet accord ne fut pas finalisé avant septembre 1992
2
. Le
retard pour la réalisation de ce contrat a été expliqué par des problÚmes « techniques et
financiers ». Durant la mĂȘme annĂ©e, lâIran et la Chine signĂšrent un accord de coopĂ©ration
de dix ans pour le transfert de technologie nucléaire
3
et la vente dâun rĂ©acteur de 30 MW
4
.
La Chine avait Ă©tĂ© l'un des fournisseurs dâarmes de lâIran pendant la guerre de 1980-88
5
.
Elle devait originellement vendre deux rĂ©acteurs Ă lâIran, mais la rĂ©duction Ă un seul avait
pour but de réduire la résistance américaine à cette vente.
Dans les annĂ©es 90, la Chine entretint des relations militaires avec lâIran, plus
importantes qu'avec le Pakistan et la CorĂ©e du Nord. La Chine a vendu Ă lâIran des milliers
de chars, piĂšces dâartillerie, plus de cent avions et des douzaines de navires militaires, aussi
bien que des systĂšmes et technologies de missiles, y compris balistiques
6
, ceci jusquâen
1997, annĂ©e oĂč la Chine sembla cĂ©der Ă la pression amĂ©ricaine, du moins en ce qui
concerne la technologie des missiles et lâassistance nuclĂ©aire.
En janvier 1991, lâIran lançait un programme de fabrication de missiles Ă longue portĂ©e.
En juin, le gouvernement allemand qui désormais exigeait des sauvegardes complÚtes pour
tous ses rĂ©acteurs vendus, dĂ©clara quâil ne permettra pas au KWU de complĂ©ter les
réacteurs de Boushehr
7
. En octobre, la France versa 1 milliard de dollars Ă la RĂ©publique
islamique pour le remboursement du prĂȘt consenti en 1974 par le Shah Ă la France pour
participer au capital dâEurodif. Le remboursement de ce prĂȘt nâa pas Ă©tĂ© sans problĂšme, Ă
cause du refus de la France de reconnaĂźtre la RĂ©publique islamique comme un
1
Koch, Andrew, Wolf, Jeanette, « Iranâs Nuclear Procurement Programme: How Close to the
Bomb? »,
Nonproliferation Review
, no. 5, automne 1997, p. 126-127.
2
Clawson, Patrick, « Iranâs Challenge to the West: How, When, and Why »,
Policy Papers,
no. 33,
The Washington Institute for Near East Policy, Washington, DC, 1993, p. 62.
3
New York Times,
11 septembre 1992.
4
MEED,
6 juillet 1990.
5
New York Times,
16 décembre 1991.
6
Iranâs National Security Policy
, p. 62.
7
Nucleonics Week
, 4 juillet 1991.
199
interlocuteur juridiquement acceptable pour percevoir le remboursement dâun prĂȘt du
gouvernement Pahlavi. Elle finira par céder, à la suite des actes terroristes orchestrés par la
RĂ©publique islamique Ă Paris.
Pendant la guerre du Golfe, lâIran sert de refuge aux avions irakiens qui sâĂ©chappaient
des batailles quâils nâauraient jamais pu gagner, avions que lâIran nâa jamais retournĂ©s Ă
lâIrak. Les iraniens espĂ©raient aussi que leur posture
de facto
« pro-coalition » serait vue
comme un acte de rapprochement et rĂ©compensĂ©e par les Ătats-Unis
1
. Dans son fameux
discours à la fin du conflit, George Bush présenta quatre défis au « nouveau » Moyen-
Orient dans « le nouvel ordre mondial » : mise en place dâaccords de sĂ©curitĂ© partagĂ©s,
contrĂŽle des armes de destruction massive, promotion dâune paix globale arabo-israĂ©lienne,
et du développement économique de la région. Ces objectifs sont devenus partie intégrante
de la pierre angulaire de la Conférence de Paix de Madrid de novembre 1991. Mais malgré
ses prises de position pendant la guerre et ses efforts depuis pour effacer lâimage nĂ©gative
de la pĂ©riode postrĂ©volutionnaire, lâIran nâa pas Ă©tĂ© invitĂ© Ă cette confĂ©rence. La nation nâa
pas été consultée et est restée en dehors des négociations. Le choix qui lui restait a été
dâorganiser une rĂ©union des Ătats radicaux opposĂ©s Ă la ConfĂ©rence de Madrid
2
. Les
signaux des deux cÎtés sont restés assez mitigés pendant cette période. Le président
Rafsandjani Ă©tait considĂ©rĂ© plus pragmatique que lâAyatollah Khomeiny, mais le passĂ©
rĂ©cent de lâIran discrĂ©ditait les efforts de son gouvernement pour ouvrir les voies d'une
négociation en vue d'une intégration dans le systÚme international.
Ă la suite de la guerre du Golfe, les Ătats-Unis et dâautres puissances occidentales ont
vendu des Ă©quipements sophistiquĂ©s Ă un nombre important dâĂtats du Golfe, ce qui a
donnĂ© Ă lâIran â la superpuissance de la rĂ©gion Ă lâĂ©poque du Shah â une gĂ©nĂ©ration de
retard, mĂȘme par rapport Ă lâArabie Saoudite qui Ă cette Ă©poque nâavait quâune fraction de
la puissance aĂ©rienne du Shah. AprĂšs la guerre du Golfe, lâengagement direct des Ătats-
Unis dans la région a considérablement augmenté, et ses forces se sont intensifiées, en
1990, 1992, 1994, 1998, 2002 et 2003
1
. Depuis la fin de la guerre du Golfe, quelques
20 000 soldats amĂ©ricains sont prĂ©sents Ă la frontiĂšre maritime sud de lâIran. Lâanalyse de
1
Iranâs Nuclear Weapons Options,
p. 104.
2
Ibid., p. 104.
200
Chubin Ă lâĂ©poque concluait que « pour des Ătats comme la Syrie et lâIran, la fin de la
guerre froide pouvait ĂȘtre le dĂ©but dâune nouvelle Ă©poque d'insĂ©curitĂ©, avec les Ătats-Unis
comme seul pouvoir non équilibré, interventionniste et discriminatoire dans ces
politiques. » Chubin voyait Ă lâĂ©poque les alliĂ©s rĂ©gionaux de la Syrie â l'Ăgypte et les Ătats
du Golfe â faire des efforts diplomatiques, pour contrer cette menace, tandis que, disait-il :
« lâIran prĂ©voit des dĂ©ceptions et examine lâoption militaire. LâIran est conscient des
dangers de la prĂ©sence amĂ©ricaine dans le Golfe, du processus de paix conçu par les Ătats-
Unis qui laisse les demandes arabes insatisfaites, et de sa propre position comme champion
des causes musulmanes si elle joue bien ses cartes et se renforce militairement »
2
.
Mais les
Ătats-Unis augmentĂšrent le nombre de leurs troupes dans le golfe Persique ainsi quâen
Arabie Saoudite et en renforçant parallĂšlement leurs relations avec les Ătats Arabes, ils
rĂ©duisirent lâinfluence de lâIran sur ces nations.
Sous le label de « double maßtrise » (
dual containment
), et avec la crainte que les pays du
CCG
3
ne puissent pas assurer leur propre sĂ©curitĂ©, les Ătats-Unis optĂšrent pour une
présence encore plus forte dans le Golfe. Ceci entendait une large accumulation des forces
amĂ©ricaines dans le Golfe, accompagnĂ©e de ventes dâarmes importantes aux Ătats du CCG
âsans se poser la question, comme cela avait Ă©tĂ© le cas dans la deuxiĂšme moitiĂ© des annĂ©es
1970, si ces pays Ă©taient capables dâabsorber et dâutiliser ces armes
4
â dans le but de
fournir des forces militaires endogĂšnes pour renforcer les forces amĂ©ricaines. LâIran se
voyait, comme le note Chubin, « sujet dâune double maĂźtrise par les Ătats-Unis qui
cherchaient Ă lâexclure de la politique rĂ©gionale tant dans le nord que dans le golfe
Persique. De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, lâIran Ă©tait mĂ©fiant vis-Ă -vis des Ătats-Unis dans un monde
unipolaire, tant Ă cause de leur utilisation sĂ©lective des Nations unies, quâĂ cause des
nĂ©gociations dans le Moyen-Orient, et de leurs efforts pour affaiblir lâIran Ă©conomiquement
en empĂȘchant son accĂšs Ă la technologie »
5
.
1
Rathmell, Andrew, Karasik, Theodore, Gompert, David,
A New Persian Gulf Security System
,
RAND,
Washington, 2003, p. 4.
2
Chubin, Shahram,
The Middle East and Proliferation
(manuscrit non publié), 1994.
3
Le Conseil de coopĂ©ration du Golfe : lâArabie Saoudite, le KoweĂŻt, lâOman, les Ămirats arabes unis,
le Qatar, le BahreĂŻn.
4
Rathmell, Andrew, Karasik, Theodore, Gompert, David,
A New Persian Gulf Security System
,
RAND,
Washington, 2003, p. 3.
5
Hannah, John, P. « Evolving Russian Attitudes Towards Iran », dans Clawson, Patrick, ed.,
Iranâs
Strategic Intentions and Capabilities,
McNair Paper 29, National Defense University, DC, 1994, p. 67.
201
Lâinfrastructure nuclĂ©aire de lâIrak fut dĂ©truite sous les auspices de lâONU, avec la chute
de lâUnion soviĂ©tique. Lâadministration Bush redoubla alors ses efforts pour contenir la
prolifération nucléaire au Moyen-Orient
1
. Lâobjectif Ă©tait dâempĂȘcher tous les pays â sauf
IsraĂ«l â de possĂ©der la capacitĂ© nuclĂ©aire dans la rĂ©gion. Des efforts similaires furent
entrepris dans dâautres rĂ©gions du monde : avec succĂšs en Afrique du Sud, au BrĂ©sil et en
Argentine. Les Ătats-Unis ont essayĂ© de persuader lâInde et le Pakistan d'abandonner leur
capacité nucléaire militaire mais Israël demeurait toujours le seul pays au monde qui
échappait aux efforts de désarmement nucléaire américain
2
. Une autre déclaration au sujet
de la nĂ©cessitĂ© dâacquĂ©rir des armes nuclĂ©aires pour lâIran vient en octobre 1991, du vice-
président iranien, Attollah Mohajerani :
« Si Israël a le droit de posséder les armes nucléaires, alors les pays islamiques doivent
aussi avoir le mĂȘme droit. »
3
Le manque dâinvestissements militaires
Au dĂ©but des annĂ©es 1990, avec des difficultĂ©s financiĂšres importantes lâIran avait
besoin du FMI et aussi dâun certain rapprochement avec les Ătats-Unis. Le pays Ă©tait encore
assez isolé sur la scÚne internationale. La dette extérieure aprÚs des années de guerre et la
baisse des revenus pétroliers imposait une contrainte importante sur le gouvernement qui
était confronté à une perte croissante de sa légitimité politico-religieuse. La République
islamique était alors concernée par la survie du gouvernement national
4
. DĂ©sormais, le
nationalisme lâemportait sur lâislamisme du dĂ©but de la rĂ©volution. DĂšs le dĂ©but de 1992, le
mĂ©contentement gĂ©nĂ©ral sâexprima lors des Ă©meutes de Mashad, Arak et Shiraz. Le taux
dâabstentionnisme fut assez Ă©levĂ© aux Ă©lections prĂ©sidentielles de 1993. Cette mĂȘme annĂ©e,
le pays ne put faire face à ses dettes à court terme de 30 milliards de dollars, malgré les
renégociations bilatérales avec les banques japonaises, allemandes et françaises.
1
Albright, David & Hibbs, Mark, « Pakistanâs Bomb out of the Closet »,
The Bulletin of Atomic
Scientists
, janvier-février 1993.
2
Pakistanâs Bomb out of the Closet.
3
Clawson, Patrick,
Iranâs Challenge to the West: How, When, and Why
,
Policy Papers, no. 33, The
Washington Institute for Near East Policy, Washington, DC. 1993, p. 59 (originellement dans
Mideast Mirror,
9
juin 1992).
4
Lamote, Larent, « Domestic Politics and Strategic Intentions », dans Clawson, Patrick, ed.,
Iranâs
Strategic Intentions and Capabilities,
McNair Paper 29, National Defense University, DC, 1994.
202
Pendant les années 90, il y eut une diminution des dépenses militaires due à des baisses
des revenus pétroliers et le pays dut faire des investissements militaires bien au-dessous de
ses besoins. Les Ă©quipements anciens nâont pu ĂȘtre remplacĂ©s. Eisenstadt estime que lâIran
a acquis Ă cette Ă©poque, moins dâun cinquiĂšme des chars et moins de la moitiĂ© des avions
et lâartillerie dont il avait besoin pour assurer sa sĂ©curitĂ©
1
. Au lieu de reconstruire ses forces
militaires en accord avec les orientations du passĂ©, lâIran, Ă©tant donnĂ© ses difficultĂ©s
financiĂšres, focalisa ses efforts sur lâamĂ©lioration de ses capacitĂ©s de dissuasion contre les
forces amĂ©ricaines et en particulier des systĂšmes lui permettant dâamĂ©liorer sa capacitĂ© de
sâopposer aux forces navales amĂ©ricaines et de perturber le transport maritime du pĂ©trole
dans le Golfe. Les missiles de croisiÚres anti-navires et les sous-marins Kilo seront utilisés
dans ce but.
Des considérations économiques toujours valables
En octobre 1991, lors de la trente-cinquiĂšme session rĂ©guliĂšre de lâAIEA, Reza Amrollahi
prĂ©sentait la vision de la RĂ©publique islamique dâIran sur les Ă©volutions mondiales :
« Une certaine utilisation de lâĂ©nergie nuclĂ©aire est justifiable et mĂȘme importante,
comme moyen de prĂ©server le pĂ©trole pour les exportations [âŠ] Ă©tant donnĂ© que les
rĂ©serves de pĂ©trole dâIran (estimĂ©es Ă 57,5 milliards de baril en 1980) sont Ă©quivalentes Ă
30 ans de production [âŠ] Ces chiffres caractĂ©risent le calcul rĂ©serves-production qui
justifiait le lancement du programme nuclĂ©aire de lâIran. Mais prenant en considĂ©ration
les grandes rĂ©serves du gaz naturel dâIran (500 000 milliards de mĂštres cube), il est
difficile de justifier les besoins de lâIran pour lâĂ©nergie nuclĂ©aire. »
2
Il y a eu des dizaines dâarticles et ouvrages, depuis la finalisation des contrats des
centrales Boushehr avec la Russie, sur lâinutilitĂ© pour lâIran des investissements nuclĂ©aires,
car le pays possÚde du pétrole et du gaz (la deuxiÚme réserve mondiale). Le raisonnement
économique était simpliste et visait seulement à réduire la légitimité du programme
nuclĂ©aire de lâIran. En dĂ©montrant lâabsurditĂ© Ă©conomique prĂ©supposĂ©e dâun tel
programme, ces auteurs cherchaient Ă fournir des preuves que le programme de lâIran
1
Eisenstadt, « The Armed Forces of the Islamic Republic of Iran », p. 35, Cordesman,
Iranâs Military
Forces in Transition,
p. 42.
2
Donnelly, Warren H. & Davis, Zachary S.,
Iranâs Nuclear Activities and the Congressional Response
,
Congressional Research Services, Washington, DC, 20 mai 1992, p. 3.
203
avait aussi une utilité militaire, pour pouvoir ensuite le dénoncer. Sans entrer dans les
dĂ©tails Ă©conomiques, on peut simplement rappeler que dans les annĂ©es 1970, quand lâIran
a lancé son programme, tous les pays du monde qui en avaient les moyens, avaient eux
aussi lancé le leur. Les réacteurs de Boushehr, malgré des multiples bombardements
irakiens, nâont pas Ă©tĂ© dĂ©truits. La reconstruction de la premiĂšre centrale nuclĂ©aire de
Boushehr ne coĂ»tera plus que 800 millions de dollars Ă lâIran quand elle sera
opérationnelle. Prenant ces facteurs en considération, les arguments économiques et le
raisonnement de rentabilité deviennent moins convaincants. Patrick Clawson, analyste du
programme nuclĂ©aire iranien, auquel il sâoppose depuis longtemps, reconnaĂźt lui-mĂȘme :
« La centrale partiellement terminée de Boushehr est une exception possible. En tout
cas il y a besoin dâune nouvelle centrale Ă©lectrique dans cette rĂ©gion, et le coĂ»t de
lâachĂšvement de la centrale de Boushehr pourrait ĂȘtre lĂ©gĂšrement supĂ©rieur Ă celui
dâune nouvelle centrale Ă gaz. »
1
LâachĂšvement de la centrale de Boushehr aurait mĂȘme pu coĂ»ter moins cher. Toutes les
piÚces et tous les matériels qui lui étaient nécessaires avaient été payés par le gouvernement
du Shah et sont Ă ce jour toujours stockĂ©s en Allemagne. Lâannulation unilatĂ©rale des
contrats avec KWU par la RĂ©publique islamique fut lâerreur qui força Ă dĂ©penser ces
800 millions de dollars pour la terminer. Sans cette erreur, lâachĂšvement de Boushehr
aurait coûté beaucoup moins cher.
Le nouveau partenariat nuclĂ©aire de lâIran nâest pas restĂ© limitĂ© Ă lâUnion soviĂ©tique et Ă
la Chine. En novembre 1991, lâIran a signĂ© un accord avec lâInde pour un rĂ©acteur de
recherche de 10 MW
2
. Mais cet accord ne rĂ©sistera mĂȘme pas un mois Ă la pression
amĂ©ricaine et sera annulĂ© par lâInde en dĂ©cembre 1991, Ă la suite de la visite des autoritĂ©s
amĂ©ricaines. Les Ătats-Unis ont aussi envoyĂ© leurs diplomates en Chine pour faire pression
sur les contrats chinois, mais la Russie et la Chine, comme nous le verrons, résisteront
mieux aux pressions américaines.
1
Ibid., p. 63.
2
The Washington Post
, 15 novembre 1991.
204
Tandis que lâInde a annulĂ© sa vente sous la pression amĂ©ricaine
1
, la Chine, elle,
augmenta lâintensitĂ© de sa coopĂ©ration avec lâIran. Pendant que le rĂ©acteur de recherche
chinois était en construction à Ispahan, le gouvernement chinois annonçait, en septembre
1992, la conclusion dâun autre accord pour la vente de deux autres rĂ©acteurs de 300 MW Ă
lâIran
2
. Le mĂȘme mois, lâaccord de principe pour la vente de deux centrales soviĂ©tiques de
440 MW, (signĂ© en mars 1990), sâest finalisĂ©
3
. Ceci a dĂ» ĂȘtre une dĂ©ception importante
pour KWU qui Ă©tait toujours tenu par son gouvernement et ne pouvait pas atteindre ses
objectifs. Peu de temps avant lâannonce des contrats chinois et russe, le directeur de
Siemens (le groupe industriel allemand dont KWU fait partie), M. Von Pierrer, déclara :
« La question de la centrale de Boushehr est une histoire triste, qui a non seulement
exaspĂ©rĂ© les autoritĂ©s iraniennes, mais aussi les employĂ©s de Siemens [âŠ] Le
gouvernement allemand doit donner lâaccord pour la terminaison de la centrale de
Boushehr [âŠ] »
4
De 1980 Ă 1990, lâIran refusa de payer pour lâuranium enrichi auquel son contrat avec
Eurodif lui donnait accĂšs : 250-300 tonnes dâuranium enrichi Ă 3 %. Ă cette Ă©poque, le pays
nâavait pas de rĂ©acteur dans lequel il aurait pu utiliser cet uranium et une telle acquisition
aurait sans doute donnĂ© lieu Ă des accusations internationales. Dâailleurs, quand en 1991
lâIran a essayĂ© dâobtenir de lâuranium enrichi dâEurodif, ce dernier a refusĂ©, arguant que les
contrats de fourniture dâuranium Ă©taient terminĂ©s en 1990
5
.
En 1992, il y eut des comptes-rendus dans les mĂ©dias sur un programme dâenri-
chissement par centrifugeuse dans des endroits secrets en Iran, y compris Moallem
Kalayeh dans les montagnes dâAlborz et Ă Karaj, au nord de TĂ©hĂ©ran. Mais Ă lâĂ©poque, les
services de renseignements américains ne semblaient avoir aucune information à ce sujet et
on pensait que ces rumeurs étaient véhiculées par les émigrés dont les informations
dataient de lâĂ©poque du Shah. LâIran possĂ©dait aussi depuis lâĂ©poque du Shah beaucoup de
1
MĂŒller, Harald,
The nuclear non-proliferation regime beyond the Persian Gulf War and the dissolution of the
Soviet Union
, SIPRI Yearbook, 1992.
2
MEED,
5 mars 1993. Ainsi que
New York Times
, 11 septembre 1992. Il y avait un seul réacteur en
septembre 92, mais en mars 93 deux réacteurs avaient été annoncés.
3
Clawson, Patrick,
Iranâs Challenge to the West: How, When, and Why
, Policy Papers, no. 33, The
Washington Institute for Near East Policy, Washington, DC, 1993, p. 62.
4
Akhbar,
3 août, 1992.
5
Albright, David, Hibbs, Mark, « Nuclear Proliferation: Spotlight Shifts to Iran »,
Bulletin of Nuclear
Scientist
, mars 1992.
205
« cellules chaudes » (
hot cells
) â utilisables pour la sĂ©paration du plutonium dans les
dĂ©chets nuclĂ©aires â qui avaient Ă©tĂ© fournies par les Ătats-Unis dans les annĂ©es 1960, avec
le réacteur de recherche de 5 MW
1
.
Le
Middle East News
a aussi Ă©crit que des scientifiques d'Ukraine, de Russie, du
Turkménistan et du Kazakhstan auraient travaillé en Iran « avec des salaires qui
atteignaient 200 000 dollars par mois ».
Al Ahram,
le journal du Caire, le 13 octobre 1991,
avait aussi écrit que « cinq missiles tactiques nucléaires avaient été transférés du complexe
nuclĂ©aire de Semipalatinsk au Kazakhstan Ă lâIran par voie terrestre en passant par le
Turkménistan. » Certains journaux ont cité aussi
The European
du 30 avril 1992 qui
confirmait cette rumeur en affirmant que deux des trois armes nucléaires qui avaient
disparu de Kazakhstan avaient Ă©tĂ© livrĂ©es Ă lâIran (avec une puissance de moins de 25 % de
lâarme utilisĂ©e Ă Hiroshima).
Dans son compte-rendu, ce journal estimait que la seule utilité éventuelle de ces armes
serait la dissuasion :
« Lâacquisition de quelques armes nuclĂ©aires tactiques ne transforme pas lâIran en
une puissance nuclĂ©aire dâun coup. LâIran nâa pas de force de frappe nuclĂ©aire et surtout
pas de capacité de deuxiÚme frappe. Au mieux, ces armes pourront servir à dissuader
lâIrak et servent probablement pour lâopinion publique Ă lâintĂ©rieur plus que toute autre
chose. [âŠ] LâactivitĂ© Ă long terme de dĂ©veloppement nuclĂ©aire endogĂšne de lâIran est
beaucoup plus menaçante, et lĂ , lâAIEA est quasiment incapable de dĂ©tecter les activitĂ©s
clandestines de lâIran avec ses moyens actuels. [âŠ] LâOccident peut ralentir les
dĂ©veloppements nuclĂ©aires de lâIran, en renforçant les contrĂŽles des exportations et en
mettant de la pression sur les fournisseurs de lâIran, la Chine et la CorĂ©e du Nord. [âŠ]
MalgrĂ© tout, Ă©tant donnĂ© l'Ă©tat d'avancement technologique de lâIran, que ce soit dans
cinq dix ou quinze ans, il rejoindra les rangs des pays nucléaires. »
2
Les spĂ©cialistes des armes nuclĂ©aires interviewĂ©s ont affirmĂ© que mĂȘme si la RĂ©publique
islamique a pu obtenir ces missiles tactiques par des moyens clandestins, leur utilisation
serait quasiment impossible. Il y aurait suffisamment de mesures de sécurité intégrées dans
1
Ibid.
2
Middle East News,
8 juin 1992, p. 5-7.
206
ce type de missiles pour empĂȘcher une utilisation non autorisĂ©e. La technologie et les matĂ©-
riaux fissiles utilisĂ©s dans ces missiles pouvaient en revanche ĂȘtre utilisĂ©s ultĂ©rieurement. Le
service de recherche du CongrÚs américain confirme cette hypothÚse :
« [âŠ] Les rapports de la presse concernant lâacquisition des tĂȘtes nuclĂ©aires du
Kazakhstan nâont pas Ă©tĂ© confirmĂ©s. MĂȘme si lâIran obtenait des armes dâune
RĂ©publique de la CSI, il ne pourrait probablement pas les faire exploser dans le court
terme. Mais il pourrait utiliser les matiĂšres fissiles et le tritium qui sây trouvent pour ses
propres engins au cas oĂč il possĂ©derait lâexpĂ©rience et le savoir nĂ©cessaires pour la
conception, la construction et lâopĂ©ration des armes nuclĂ©aires. [âŠ] Les intĂ©rĂȘts
nationaux des Ătats-Unis sont en jeu [âŠ] car lâambition nuclĂ©aire de lâIran pourrait
dĂ©stabiliser les alliĂ©s des Ătats-Unis dans la rĂ©gion, et mettre en danger les efforts des
USA et dâautres pays de la rĂ©gion pour empĂȘcher la prolifĂ©ration des armes
nucléaires. »
1
Le prĂ©sident de lâOEAI, Ă lâĂ©poque, vice-prĂ©sident de la RĂ©publique islamique dâIran,
M. Amrollahi, a dĂ©clarĂ© Ă la trente-sixiĂšme session de la ConfĂ©rence GĂ©nĂ©rale de lâAgence
Internationale de lâĂnergie Atomique, le 22 septembre 1992 :
« [âŠ] La croisade contre la prolifĂ©ration des armes de destruction massives et leurs
moyens de déploiement est une cause noble à laquelle nous souscrivons pleinement.
Nous soutenons ceci sur des bases humanitaires, mais aussi parce que, dans le passé
rĂ©cent, lâIran a Ă©tĂ© le seul Ătat qui ait souffert du dĂ©ploiement des armes chimiques
contre sa population. [âŠ] les initiatives actuelles de la non-prolifĂ©ration sont immenses
[âŠ] mais nous croyons que deux critĂšres majeurs pourraient amĂ©liorer leurs succĂšs :
dâabord les mĂ©canismes de vĂ©rification et les traitĂ©s qui les renforcent doivent ĂȘtre
appliquĂ©s sans discrimination ; DeuxiĂšmement, ils ne doivent pas empĂȘcher le
dĂ©veloppement lĂ©gitime des programmes pacifiques. [âŠ] IsraĂ«l a dĂ©veloppĂ© ses armes
nuclĂ©aires avec la connaissance et lâapprobation complĂšte de certains, sinon de tous les
Ătats nuclĂ©aires. Bien quâil nâait pas ratifiĂ© le TNP, IsraĂ«l est membre de lâAIEA et a
bĂ©nĂ©ficiĂ© de ses aides techniques. Ce qui a empĂȘchĂ© le dĂ©veloppement dâune rĂ©gion
dĂ©nuclĂ©arisĂ©e. [âŠ] Nous nous trouvons actuellement dans une situation injuste. Ă titre
207
dâexemple le gouvernement allemand a refusĂ© sa permission pour l'achĂšvement du site
nucléaire de Boushehr dans laquelle des milliards de dollars ont été investis et dont le
coĂ»t de maintenance demeure un poids financier considĂ©rable [âŠ] »
2
La politique américaine de double maßtrise
LâarrivĂ©e de lâadministration Clinton en 1993 fut lâoccasion de rĂ©Ă©valuer la politique des
Ătats-Unis dans le golfe Persique qui aboutit Ă la critique de la politique Reagan-Bush. Le
rapport critiquait les efforts jusquâen 1990 dâĂ©quilibrer lâIrak contre lâIran et maintenait que
« lâinclinaison des Ătats-Unis vers lâIrak pendant la guerre Iran-Irak Ă©tait basĂ©e sur des
considérations défectueuses »
3
. LâĂ©quipe de Clinton ne croyait pas quâun Ă©quilibre des
forces dans la rĂ©gion soit soutenable. Les Ătats-Unis devaient traiter lâIrak, comme lâIran, en
tant qu'Ătats « voyous » (
rogue states
), les isoler et les contenir. La stratégie de « double
maßtrise » (
dual containment
) a vu le jour Ă cette occasion. Lâobjectif Ă©tait de maintenir lâIran
comme lâIrak en Ă©tat dâimpuissance : les Ătats-Unis allaient devenir le garant de la sĂ©curitĂ©
dans le Golfe, en déployant suffisamment de forces militaires pour dissuader, ou si
nĂ©cessaire combattre Ă la fois lâIran et lâIrak dans une confrontation future.
Lâobjectif des Ătats-Unis, dâaprĂšs Kemp, Ă©tait dâĂ©ventuellement faire basculer Saddam
Hussein. Dans le cas de lâIran, il sâagissait de « changer certains Ă©lĂ©ments clĂ©s de la politique
iranienne : soutien de lâIran au terrorisme international, refus du processus de paix israĂ©lo-
arabe (y compris le droit dâIsraĂ«l Ă exister), dĂ©veloppement dâarmes de destruction massive,
violation des droits de lâhomme et du droit international ; objectifs qui sont demeurĂ©s de
maniÚre constante depuis 1993 »
1
. Mais ceci ne prenait pas du tout en considération les
menaces qui pesaient sur la sécurité iranienne, notamment les 200 armes nucléaires
dâIsraĂ«l. La crĂ©ation dâune zone non nuclĂ©aire est revenue Ă lâordre du jour de lâAssemblĂ©e
gĂ©nĂ©rale des Nations unies, encore une fois sans aucune implication quelconque. LâIran
avait présenté sa proposition de transformer le Moyen-Orient en une zone dénucléarisée
1
Donnelly, Warren H. & Davis, Zachary S.,
Iranâs Nuclear Activities and the Congressional Response
,
Congressional Research Services, Washington, DC, 20 mai 1992, p. 1.
2
Amrollahi, R., vice-prĂ©sident de la RĂ©publique islamique dâIran et prĂ©sident de lâOrganisation de
lâĂnergie Atomique dâIran. DĂ©claration Ă la trente-sixiĂšme session de la ConfĂ©rence GĂ©nĂ©rale de
lâAgence Internationale de lâĂnergie Atomique, 22 septembre 1992.
3
Kemp, Geoffrey, ed.,
Iranâs Nuclear Weapons Options: Issues and Analysis,
The Nixon Center, DC, 2001,
p. 104.
208
lors de la rĂ©union de 2 dĂ©cembre 1993 de lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale de lâONU
2
. Lâun des
adjoints du ministre des Affaires étrangÚres, chargé des affaires internationales,
M. Mohammad Javad Zarif, proposa lâĂ©tablissement dâune zone dĂ©nuclĂ©arisĂ©e au Moyen-
Orient, ainsi que la mise en point dâaccords pour la sĂ©curitĂ© et la coopĂ©ration, et la
réduction des dépenses militaires, y compris un plafond international pour le transfert et la
vente dâarmes aux pays de la rĂ©gion.
« Lâerreur la plus fondamentale dans le rĂ©gime international de la non-prolifĂ©ration est
probablement lâapplication de doubles standards qui ont amenĂ© une prolifĂ©ration
sĂ©lective des armes nuclĂ©aires. Ceci a non seulement diminuĂ© lâautoritĂ© et lâapplicabilitĂ©
du TNP, mais a eu aussi des répercussions sur la paix et la sécurité internationale et
rĂ©gionale en retardant les initiatives rĂ©gionales. Dans notre rĂ©gion, lâacquisition des
armes nuclĂ©aires par IsraĂ«l a arrĂȘtĂ© tous les efforts pour lâĂ©tablissement dâune zone non
nuclĂ©aire dans le Moyen-Orient, en dĂ©pit de lâaval continu de lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale sur
les vingt derniĂšres annĂ©es, depuis que cette idĂ©e a Ă©tĂ© avancĂ©e par lâIran [âŠ] mais pire
encore, la menace posĂ©e par le refus dâIsraĂ«l Ă rejoindre un rĂ©gime nuclĂ©aire
international quelconque, Ă accepter le TNP ou les rĂšgles du contrĂŽle de lâAIEA, couplĂ©
avec la poursuite dâune politique sĂ©lective de prolifĂ©ration, au lieu de la non-
prolifĂ©ration, par les Ătats nuclĂ©aires ont augmentĂ© le potentiel de prolifĂ©ration des
armes de destruction massives en Moyen-Orient. »
3
1
Ibid., p. 105.
2
Entretien dâAli Shirzadian, porte parole de lâOEAI, 16 fĂ©vrier 1994. Dans FBIS- NES- 94-033, 17
février 1994.
3
Zarif, Javad, (vice-ministre des affaires internationales de la RĂ©publique islamique dâIran),
Statement Before the United Nations Disarmament Commission,
New York, 19 avril 1994.
0
500
1000
1500
Israël
Royaume Uni
France
Russie
Corée du Nord
Iran
Chine
Pakistan
Inde
Budgets militaires ($/habitant)
Source: Carnegie Institute 2003
0.1
0.1
0.3
0.3
3.1
5.9
31.3
0
10
20
30
40
Inde
Corée du Nord
Chine
Pakistan
Royaume Uni
France
Israël
Armes nucléaires par millions d'habitants
Source: Carnegie Institute 2003
209
MalgrĂ© la politique de « double maĂźtrise » de lâadministration Clinton, Rafsandjani a
cherchĂ© Ă amĂ©liorer les relations avec les Ătats-Unis. Le gouvernement rebelle a eu bien des
occasions dâapprentissage dans la dĂ©cennie qui a suivi la rĂ©volution. DĂšs lors, il poursuivait
une politique dâouverture vers le monde extĂ©rieur ; le pays avait besoin des capitaux
étrangers pour la reconstruction aprÚs une décennie de destruction et de guerre sanglante,
dâabsence dâinvestissements, dâisolement et de repli. Il croyait quâune meilleure attitude
vis-Ă -vis des Ătats-Unis pourrait faciliter le dĂ©veloppement Ă©conomique de lâIran,
notamment dans le secteur de lâĂ©nergie. La plupart des Ă©quipements de forage de
lâindustrie pĂ©troliĂšre dataient des annĂ©es 1970 et nĂ©cessitaient une modernisation urgente.
Rafsandjani a Ă©galement libĂ©ralisĂ© une partie de lâĂ©conomie et lâa ouverte au monde
extĂ©rieur. Il essayait aussi de minimiser des annĂ©es dâanimositĂ© envers les Ătats-Unis et de
mettre en avant la volontĂ© de changement et dâouverture du nouvel Iran. Il amĂ©liora aussi
les relations de lâIran avec lâArabie Saoudite et lâUnion europĂ©enne. MalgrĂ© la politique de
double maĂźtrise, les Ătats-Unis firent du commerce avec lâIran et les compagnies pĂ©troliĂšres
américaines, ont continué à acheter du pétrole iranien et à le commercialiser
mondialement
1
.
MalgrĂ© ces petites amĂ©liorations, la politique de « double maĂźtrise » et lâembargo
militaire mettaient lâIran dans une position difficile. Le pays ne pouvait pas investir
suffisamment en matĂ©riels militaires par manque de revenus, et nâavait accĂšs qu'Ă des
matĂ©riels chinois et russe, largement inutiles contre les Ătats-Unis ou IsraĂ«l.
DâaprĂšs Albright, câest entre 1993 et 1995 que lâIran aurait rĂ©ussi Ă se procurer
suffisamment de piÚces sur le marché international pour la fabrication de
500 centrifugeuses pour lâenrichissement de lâuranium
2
. Comment se fait-il que des
services de renseignements de différents pays aient fermé les yeux sur ces acquisitions ?
Une rĂ©ponse peut ĂȘtre que ce programme ne prĂ©sentait pas de menace tant quâil nâĂ©tait pas
suffisamment avancĂ©. Quoi quâil en soit, il nây aura dâaction internationale Ă ce sujet quâen
2002. De 1995 Ă 2002, lâIran a eu une libertĂ© quasi totale pour dĂ©velopper une industrie
endogÚne de centrifugeuses nucléaires. Une industrie qui désormais le libÚre des
1
Iranâs Nuclear Weapons Options
, p. 106.
2
Albright, David & Hinderstein, Corey, « The centrifuge connection »,
Bulletin of Atomic Scientists
,
mars/avril 2004, vol. 60, no. 2, p. 61-66.
210
contraintes de provision de fuel pour ses réacteurs, et lui donne aussi la possibilité de
« signaler » sa capacitĂ© dâenrichir lâuranium mĂȘme pour lâusage militaire, mais sans lâavoir
fait.
Iran-Russie : un partenariat stratĂ©gique et des intĂ©rĂȘts financiers
CĂŽtĂ© russe, dĂšs lâautomne 1993, le ministre libĂ©ral proamĂ©ricain des affaires Ă©trangĂšres,
Andrei Kozyrev, demandait quâon reconnaisse le droit de la Russie Ă utiliser sa puissance
politique, économique et militaire, pour « maintenir une zone de bon voisinage » tout au
long des pĂ©rimĂštres gĂ©ographiques de lâancienne Union soviĂ©tique. La volontĂ© de lâIran de
sâincliner devant cette politique, surtout dans le Caucase et lâAsie centrale a facilitĂ© lâattitude
positive de la Russie envers lâIran et ceci Ă une Ă©poque oĂč le fondamentalisme islamique
inspirĂ© par lâIran Ă©tait parmi les menaces sĂ©curitaires les plus importantes pour la Russie de
la post guerre froide
1
.
Il y avait aussi un calcul des gains dans les jeux multiples quâil pourrait y avoir entre les
deux nations. Par exemple, on peut penser que la possibilité de démantÚlement des armes
nuclĂ©aires russes, lâachat et le contrĂŽle de lâuranium hautement enrichi Ă©taient un enjeu
beaucoup plus important pour les Ătats-Unis que de mettre un veto sur les travaux russes
sur le rĂ©acteur de Boushehr. Les Ătats-Unis Ă©taient conscients Ă lâĂ©poque de la nĂ©cessitĂ© de
faire planer une image forte et nationaliste sur Eltsine pour le soutenir lors des Ă©lections.
Câest pour cela, qu'en 1995 et 1996, lorsque le CongrĂšs amĂ©ricain voulut mettre la pression
sur lâadministration Clinton pour imposer des sanctions Ă la Russie et arrĂȘter lâaide Ă ce
pays Ă cause du contrat nuclĂ©aire avec lâIran, lâadministration nâavait pas suivi, arguant du
fait que ceci pourrait ralentir les réformes et la décentralisation en Russie : « ça serait
comme couper le nez pour sauver le visage »
2
.
LâIran a coopĂ©rĂ© avec la Russie contre lâinfluence des Talibans et pour la stabilitĂ© de la
zone du Tadjikistan. Cela permettait aussi dâĂ©tablir un contre-pouvoir Ă lâinfluence turque
1
Hannah, John, P., « Evolving Russian Attitudes Towards Iran », dans Clawson, Patrick, ed.,
Iranâs
Strategic Intentions and Capabilities,
McNair Paper 29, National Defense University, DC, 1994. p. 55-
56.
2
Temoignage de lâAmbassadeur amĂ©ricain Simons dans
House Committee on International Relations,
US Assistance Programs for Economic and Political Reform and Dismantling of Weapons of Mass Destruction
in the NIS: Hearing before the Committee on International Relations, 104th Congress, 1st session
, 3 mars
1995.
211
en Asie centrale et dans le Caucase. LâIran soutint aussi la position de la Russie sur le statut
du pétrole en Caspienne. Une coopération entre les deux pays pourrait aussi dissuader
lâIran dâinfluencer les dĂ©veloppements des Ătats ex-soviĂ©tiques dâAsie centrale, si les
considérations financiÚres et économiques ne suffisaient pas en soi.
En tout cas, les Ătats-Unis ne pouvaient pas produire d'argument lĂ©gal contre le contrat
irano-russe. La vente de rĂ©acteurs russes Ă lâIran ne violait aucun des principes de non-
prolifĂ©ration du Groupe de Fournisseurs NuclĂ©aires, car eux-mĂȘmes avaient passĂ© un
accord avec la CorĂ©e du Nord pour construire des rĂ©acteurs Ă lâeau lĂ©gĂšre â comme ceux
que la Russie construit en Iran â pour justement ne pas permettre Ă cet Ătat qui avait
dĂ©sertĂ© le TNP de faire fonctionner des rĂ©acteurs qui pourraient leur permettre dâavoir
accÚs aux matiÚres fissiles de qualité militaire
1
.
En janvier 1995, lâIran signe un contrat avec le ministĂšre de lâĂnergie Atomique russe.
Dans ce contrat, la Russie sâengage Ă terminer les travaux du rĂ©acteur du Boushehr. Les
deux pays Ă©taient en nĂ©gociation autour de la fourniture par la Russie dâune centrifugeuse Ă
gaz (utilisĂ©e pour enrichir lâuranium) Ă lâIran. Ceci Ă©tait considĂ©rĂ© comme un problĂšme
majeur par les Américains qui estimaient que cette vente pourrait perturber le processus de
paix au Moyen-Orient, en permettant Ă lâIran de se confronter Ă IsraĂ«l et en gĂȘnant la
distribution du pétrole dans le golfe Persique
2
. La vente de la centrifugeuse a été
immédiatement annulée par le ministÚre russe des Affaires étrangÚres. On peut imaginer
que ce sujet aurait Ă©tĂ© dâintĂ©rĂȘt dans le sommet Eltsine-Clinton, pendant la visite du
président Clinton à Moscou en mai 1995.
Au cours de la mĂȘme annĂ©e, la Russie accepte de ne pas passer dâautres accords avec
lâIran pour la vente d'armes conventionnelles
3
, devenant ainsi membre de l'« Arrangement
Wassenaar », une institution multilatĂ©rale pour empĂȘcher les exportations de technologies
sensibles et les armes qui pourraient déstabiliser une région.
Les Ătats-Unis ont essayĂ©, sans succĂšs, dâarrĂȘter la coopĂ©ration de la Russie au
programme nuclĂ©aire de lâIran. Mais ils ont obtenu de la Russie de ne pas vendre dâusines
1
Entretien avec lâAmiral Marcel Duval, en 2003.
2
Goldman, Stuart D., Katzman, Kenneth, Davis, Zachary, « Russian Nuclear Reactor and
Conventional Arms Transfer to Iran »,
CRS Report for Congress
, 23 mai 1995, p. 1.
3
The Guardian
, 15 juin 1996.
212
dâenrichissement ou dâautres installations sensibles Ă lâIran
1
. La Russie a pu rationaliser sa
politique car le TNP prĂ©voit lâaccĂšs, pour les pays signataires, Ă la technologie pour le
dĂ©veloppement des applications passives dâĂ©nergie nuclĂ©aire. Les actions de la Russie sont
aussi en accord avec les standards du comitĂ© Zangger puisque lâIran a acceptĂ© le contrĂŽle
de lâAIEA sur ses activitĂ©s nuclĂ©aires. Les difficultĂ©s financiĂšres du complexe nuclĂ©aire
russe, et lâimportance que ces exportations ont pu prĂ©senter pour la Russie dans ce
contexte, sont sans doute des facteurs importants dans le développement de cette
coopĂ©ration. En 1995, lâadministration Clinton a demandĂ© Ă la Russie de refuser dâaccepter
de signer un contrat pour une usine de retraitement et dâĂ©viter que ses experts nuclĂ©aires
soient employĂ©s par lâIran
2
.
Le 11 septembre 2001 et lâoccupation de lâAfghanistan et de lâIrak : la
dissuasion virtuelle contre les « Croisés du Mal »
Avant le 11 septembre 2001, lâIrak Ă©tait lâune des menaces les plus importantes pour le
régime islamique à cause des ambitions territoriales de Saddam Hussein sur le Shatt al-
Arab et de son attitude rĂ©visionniste Ă l'Ă©gard des partis arabes de lâIran. Une autre menace,
de moindre importance, Ă©tait le rĂ©gime des Talibans. Lâessai nuclĂ©aire pakistanais, au
Baloutchistan en août 1998, à seulement 30 kms de la frontiÚre iranienne, avait aussi donné
lieu à un débat parlementaire sur la nécessité de développer des armes nucléaires, débat au
terme duquel, dâaprĂšs Farhi, « lâIran ne pouvait pas rester derriĂšre le Pakistan »
3
.
Les événements du 11 septembre 2001 ont fourni une occasion sans précédent de
rapprochement entre lâIran et les Ătats-Unis. Pour les Etats-Unis, il Ă©tait inĂ©vitable
dâintervenir en Afghanistan, et lâIran qui nâapprĂ©ciait pas le rĂ©gime des Talibans a coopĂ©rĂ©
avec les Ătats-Unis. Mais du fait de la dĂ©couverte des armes iraniennes Ă destination de la
Palestine, les espoirs de rapprochement se sont refroidis. DâaprĂšs Kemp, câest Ă partir de cet
incident que lâIran a Ă©tĂ© mis sur la liste « dâAxe du Mal»
4
. Lors des prĂ©paratifs de lâinvasion
1
Albright, David, « An Iranian Bomb? »,
Bulletin of Atomic Scientist
, juillet-août 1995.
2
New York Times
, 6 avril 1995.
3
Farhi, Farideh, « To Have or not to Have? Iranâs Domestic Debate on Nuclear Options », dans
Kemp, Geoffrey, ed.,
Iranâs Nuclear Weapons Options: Issues and Analysis,
The Nixon Center, DC, 2001,
p. 39.
4
Iranâs Nuclear Weapons Options
, p. 108.
213
américaine en Irak, il y eut des rencontres secrÚtes, en été et automne 2002, entre des
officiels amĂ©ricains et leurs homologues iraniens, les assurant que lâIran jouerait le mĂȘme
rĂŽle que pendant la guerre du Golfe. LâIran a adoptĂ© une attitude de neutralitĂ©, offrant
mĂȘme son aide diplomatique. Mais cette ouverture au dialogue, Ă un rapprochement plus
officiel et à un partage des responsabilités s'est avérée infructueuse. Sans ce partage des
responsabilitĂ©s et des bĂ©nĂ©fices, lâoccupation de lâIrak ne fait que complĂ©ter lâencerclement
de lâIran
1
.
On peut constater deux phénomÚnes importants depuis les événements du
11 septembre 2001. Avec la chute de lâex-Union soviĂ©tique et la disparition de lâordre
bipolaire, la notion de guerre contre « lâEmpire du Mal » a disparu. Avec les Ă©vĂ©nements
du 11 septembre, cela a été remplacé par la guerre contre le « Mal », le mal incarné
désormais par le terrorisme
2
. Les comportements passés de la République islamique sur le
plan du terrorisme ont pu justifier aux yeux de George W. Bush, son inclusion, avec lâIrak
et la CorĂ©e de Nord, sur la liste de « lâAxe de Mal ». Mais le fait demeure, sur le plan
stratĂ©gique et sĂ©curitaire, que les Ătats-Unis maintiennent Ă lâheure actuelle une prĂ©sence
militaire autour de lâIran, tant au nord et au sud, quâĂ lâest et Ă lâouest ! LâIran est
« encerclé » par une puissance nucléaire qui prÎne son changement de régime. Face à cette
menace, la RĂ©publique islamique, sans lâinfluence dâune « idĂ©ologie » quelconque, a fait le
choix de ce que Chubin qualifie de « dissuasion minimale basĂ©e sur lâaugmentation du
coĂ»t dâune intervention pour lâadversaire »
3
. Câest le mĂȘme choix que le Shah avait
envisagé il y trente ans : avoir la capacité de développer des armes si un jour la survie de la
nation en dĂ©pendait. La rĂ©vĂ©lation des activitĂ©s dâenrichissement sera examinĂ©e Ă la lumiĂšre
de ces événements dans le prochain chapitre.
1
Ibid., p. 109.
2
Voir Montbrial, de, Thierry,
Quinze ans qui bouleversĂšrent le monde : de Berlin Ă Bagdad
, Dunod, Paris,
2003, surtout p. 409-462.
3
Chubin, Shahram,
Whither Iran? Reform, Domestic Politics and National Security
, Oxford University
Press, Oxford, 2002, p. 49.
215
7.
Démontrer sa compétence militaire
pour faire fonctionner le nucléaire civil aprÚs
30 ans dâobstacles
En fĂ©vrier 2003, lâIran fait connaĂźtre Ă lâAIEA lâexistence de deux installations dĂ©diĂ©es Ă
lâenrichissement d'uranium Ă Natanz. Le consensus gĂ©nĂ©ral est que lâexistence de ces
activités aurait été révélée à la presse par les
Mojahediné Khalgh
au cours de lâannĂ©e 2002.
Nous allons présenter un raisonnement différent ci-aprÚs. Notre hypothÚse est que
lâexistence dâactivitĂ©s dâenrichissement est connue depuis longtemps par les services secrets
des différents pays et que la divulgation de celle-ci convient à la République islamique. Un
de ces deux sites est une usine pilote et lâautre un site commercial en cours de construction.
Comme nous lâavons dĂ©jĂ dit â et les descriptions dĂ©taillĂ©es dans lâannexe le
dĂ©montrent â lâenrichissement, ainsi que la plupart des activitĂ©s du cycle de combustion,
sont dâune double utilitĂ©. Dâune part lâuranium enrichi est une fourniture indispensable
pour les rĂ©acteurs de type Boushehr (Ă lâeau lĂ©gĂšre qui utilisent lâuranium peu enrichi) et
dâautre part, la mĂȘme technologie peut enrichir lâuranium Ă des degrĂ©s suffisamment
Ă©levĂ©s pour lâusage militaire.
LâutilitĂ© de la divulgation des activitĂ©s dâenrichissement
Le calendrier et les raisons de la divulgation des ces activitĂ©s sont dâune importance
extrĂȘme pour nos conclusions. DiffĂ©rents mĂ©dias ont accusĂ© lâIran depuis plus dâune
dĂ©cennie dâavoir ce type de capacitĂ© ; pourquoi alors en fĂ©vrier 2003 ceci a-t-il Ă©tĂ© rendu
216
public ? MĂȘme si, comme on le croit gĂ©nĂ©ralement, lâIran sâest fait prendre en flagrant dĂ©lit
dans ces activitĂ©s, il faut croire que la RĂ©publique islamique a beaucoup de chance car câest
une découverte qui lui convient parfaitement. Notre hypothÚse est que le moment a été
trĂšs opportun pour lâIran de rendre ces activitĂ©s publiques â activitĂ©s qui sont par ailleurs
complĂštement lĂ©gales et dans le cadre du TNP, mĂȘme si jusquâen 2003 lâIran avait choisi de
garder lâexistence de celles-ci secrĂštes.
Un rappel du cas de la Corée du Nord est intéressant : elle aussi a révélé, en octobre
2002, sa possession dâun programme secret dâenrichissement dâuranium, ainsi que son
intention de se retirer du TNP â câest le premier pays dans lâhistoire Ă avoir fait un tel
choix. La CorĂ©e sâest effectivement retirĂ©e du TNP trois mois plus tard le 10 janvier 2003.
Le délai de trois mois est une obligation légale du TNP. Celui-ci stipule dans le
paragraphe 1 de lâarticle 10 que :
« Chaque Partie, dans l'exercice de sa souveraineté nationale, aura le droit de se
retirer du Traité si elle décide que des événements extraordinaires, en rapport avec
l'objet du prĂ©sent TraitĂ©, ont compromis les intĂ©rĂȘts suprĂȘmes de son pays. Elle devra
notifier ce retrait à toutes les autres Parties du Traité ainsi qu'au Conseil de sécurité de
l'Organisation des Nations unies avec un préavis de trois mois. Ladite notification devra
contenir un exposĂ© des Ă©vĂ©nements extraordinaires que l'Ătat en question considĂšre
comme ayant compromis ses intĂ©rĂȘts suprĂȘmes. »
La Corée du Nord a justifié ceci comme une réaction aux déclarations de George Bush,
lâayant mise, comme lâIran, dans « lâAxe du Mal ». Elle craignait une invasion des Ătats-
Unis pour opérer un changement de régime, comme en Irak. Mais ni la divulgation de la
capacité d'enrichissement de la Corée, ni son retrait du TNP, ni sa déclaration en février
2005 de possĂ©der l'arme nuclĂ©aire, n'ont suscitĂ©, et de loin de la part des Ătats-Unis, une
réaction comparable à celle qu'ils ont exprimée vis-à -vis de l'Iran.
Le soutien multilatĂ©ral de lâIran : le monde multipolaire contre lâunilatĂ©ralisme amĂ©ricain
Le calendrier des rĂ©vĂ©lations sur le programme nuclĂ©aire iranien ne pouvait ĂȘtre mieux
choisi. Les Ătats-Unis qui accusent l'Iran de se servir de son programme nuclĂ©aire civil
comme « couverture » pour la mise au point des bombes se trouvaient en posture
217
diplomatique difficile face à la France, la Russie et la Chine en raison de leur désaccord au
sujet de la nĂ©cessitĂ© dâenvahir lâIrak. Tous ces pays sont des fournisseurs anciens, actuels, et
futurs du programme nucléaire iranien ainsi que des partenaires économiques importants
du pays. Tous ces pays sont aussi membres du Conseil de sĂ©curitĂ© de lâONU, instance qui
doit ĂȘtre saisie, au cas oĂč les Ătats-Unis voudraient faire examiner le cas de lâIran comme
une infraction au TNP.
Ce sont la France, lâAllemagne et le Royaume-Uni, qui, en octobre 2003 ont nĂ©gociĂ© le
compromis dâarrĂȘt du programme dâenrichissement avec lâIran, compromis qui a empĂȘchĂ©
les Ătats-Unis de faire pression sur lâAIEA pour dĂ©noncer les activitĂ©s de lâIran.
LâAllemagne et la France, partenaires Ă©conomiques importants de lâIran, sâĂ©taient opposĂ©es
aux Ătats-Unis au sujet de lâintervention unilatĂ©rale de ces derniers en Irak, prĂ©textant la
menace de ses « armes de destruction massive », dont aucune nâa Ă©tĂ© trouvĂ©e. Les deux
grandes nations de lâEurope, la France et lâAllemagne, avaient mĂȘme fait part
publiquement de leur mĂ©contentement devant lâattitude condescendante des Ătats-Unis
dans les mois qui ont prĂ©cĂ©dĂ© lâinvasion de lâIrak. Il est clair quâils nâallaient pas faire
Ă©quipe avec les Ătats-Unis pour diaboliser le programme de cycle de combustion de lâIran.
Le cycle de combustion nuclĂ©aire, comme nous lâavons vu Ă plusieurs reprises, est par
nature Ă double utilitĂ©. Dans le cas de lâIran, que ce soit Ă lâĂ©poque du Shah ou de la
RĂ©publique islamique, les Ătats-Unis se sont toujours focalisĂ©s sur son utilitĂ© militaire.
Jamais ils nâauraient permis Ă lâIran de dĂ©velopper un cycle de combustion complet. La
seule maniĂšre de le faire, câĂ©tait secrĂštement. Sâil y avait un moment pour rendre publique
lâexistence des capacitĂ©s dâenrichissement, câĂ©tait sans aucun doute le meilleur : une
pĂ©riode de tension diplomatique et de dĂ©saccord entre les Ătats-Unis et le reste des
membres du Conseil de sĂ©curitĂ©, et une pĂ©riode de difficultĂ© croissante pour les Ătats-Unis
et le Royaume-Uni en Irak qui pouvait les amener à la négociation sur ce sujet.
Notre hypothĂšse est que la rĂ©vĂ©lation de ces activitĂ©s convenait bien Ă lâIran qui se
trouvait en position de force croissante vis-Ă -vis des Ătats-Unis depuis lâinvasion de lâIrak.
PremiÚre raison à la révélation de ces activités : un environnement diplomatique
international favorable et une posture difficile pour les Ătats-Unis en Irak qui les amĂšne Ă
admettre les développements iraniens. DeuxiÚme raison : la « dissuasion virtuelle » des
capacités iraniennes.
218
La « dissuasion virtuelle » de la menace américaine
« Désormais, nous sommes encerclés », soulignait un diplomate iranien en 2003
.
« Lâoccupation de lâIrak par les forces amĂ©ricaines achĂšve lâencerclement de lâIran ;
amorcĂ© par le dispositif militaire que les Ătats-Unis ont mis en place au Caucase, en Asie
centrale, en Afghanistan, au Pakistan et dans le Golfe. Lâun des buts non avĂ©rĂ© de
lâinvasion amĂ©ricaine dâIrak a Ă©tĂ© aussi dâachever cet encerclement. »
1
Il est vrai que, comme nous lâavons vu dans le chapitre prĂ©cĂ©dent, avec lâinvasion de
lâIrak, les Ătats-Unis entourent lâIran. Le discours amĂ©ricain est plutĂŽt agressif. Lâun des
trois pays de « lâAxe du Mal », lâIrak, est dĂ©sormais envahi. Avec cette invasion, les
menaces amĂ©ricaines semblent de plus en plus rĂ©elles. Câest lĂ oĂč, dans la situation dâun
pays qui se sent assiĂ©gĂ©, un moyen de dissuasion contre lâinvasion est utile. Câest dâailleurs
lâune des plus importantes fonctions de la dissuasion : barrer lâennemi, le dissuader
dâenvahir. La rĂ©ponse de la CorĂ©e du Nord, mĂȘme si cette derniĂšre est moins encerclĂ©e que
lâIran, a Ă©tĂ© de fabriquer des bombes nuclĂ©aires, sans doute parce quâelle nâa pas autant de
moyens que lâIran, surtout sur le plan diplomatique. La rĂ©ponse iranienne a Ă©tĂ© plus
subtile : faire connaĂźtre ses capacitĂ©s â dissuader â sans aller jusquâĂ la fabrication des
armes â donc rester dans la lĂ©galitĂ©, respecter les termes du TNP, et montrer sa bonne
citoyenneté internationale.
La dĂ©cision des Iraniens de ne pas dĂ©velopper dâarmes nuclĂ©aires, montre aussi que non
seulement ils disposent dâautres atouts â soutien diplomatique au niveau international,
soutien des Chiites dans la rĂ©gion entre autres â mais aussi quâils tiennent Ă garder la
confiance quâils ont difficilement dĂ©veloppĂ©e dans les vingt-quatre annĂ©es qui ont suivi la
rĂ©volution. Lâisolement et lâautarcie ont coĂ»tĂ© trĂšs cher Ă lâIran rĂ©volutionnaire. Câest une
expĂ©rience qui lâempĂȘche de rĂ©pĂ©ter les mĂȘmes erreurs. Mais lâIran, en ne dĂ©veloppant pas
lâarme nuclĂ©aire, montre aussi, aujourdâhui comme au premier jour de lancement du
programme dâĂ©nergie atomique, sa dĂ©termination Ă bien profiter dâune industrie nuclĂ©aire
civile, industrie dont lâIran a seul le droit de juger des avantages. Jusqu'Ă maintenant, et
depuis le lancement de cette industrie en 1974, lâIran a toujours Ă©tĂ© accusĂ© de vouloir
1
Citation dâun diplomate iranien dans de la Gorce, Paul-Marie, « La RĂ©publique islamique dâIran
sous pression »,
Le Monde Diplomatique
, juillet 2003, p. 8-9.
219
utiliser son industrie civile comme « une couverture » pour développer des armes
nuclĂ©aires. En dĂ©veloppant les activitĂ©s lĂ©gales dâenrichissement â sans aller jusquâaux
taux militaires â lâIran a signalĂ© sa capacitĂ© Ă dĂ©velopper des armes nuclĂ©aires. En
abandonnant les activitĂ©s dâenrichissement, le pays a fait preuve de bonne volontĂ© pour
respecter ses engagements du TNP. En retour, depuis trente ans, lâIran nâa pas reçu la
contrepartie que le TNP prĂ©voit pour la bonne conduite, notamment lâaccĂšs Ă la
technologie et la possibilitĂ© de dĂ©velopper une industrie nuclĂ©aire rentable. Câest lĂ oĂč, en
Ă©change de la dĂ©monstration de son respect des droits internationaux, lâIran attend les
bénéfices de la deuxiÚme partie du contrat. Il a obtenu le 18 décembre 2003, en signant
encore un protocole supplĂ©mentaire pour lâinspection internationale plus poussĂ©e de ses
sites nucléaires
1
, lâengagement des EuropĂ©ens Ă lui fournir des technologies avancĂ©es pour
son programme civil
2
.
Un autre avantage pour lâIran de simplement rĂ©vĂ©ler sa capacitĂ© de dĂ©velopper les armes
nuclĂ©aires, mais sans le faire â ce que nous avons intitulĂ© « dissuasion virtuelle » â a Ă©tĂ©
de prĂ©server la stabilitĂ© du Moyen-Orient. Lâintroduction dâune puissance nuclĂ©aire de plus
dans la rĂ©gion aurait nĂ©cessairement perturbĂ© lâĂ©quilibre existant
3
. Différents pays de la
région auraient réagi différemment à ce développement : certains auraient cherché la
couverture de la protection iranienne, dâautres, celle des Ătats-Unis. Un dĂ©sĂ©quilibre dans
la rĂ©gion, surtout dans le Golfe, nâest souhaitable ni pour lâIran, ni pour les Ătats-Unis. Les
deux acteurs dépendent du passage libre et régulier du pétrole dans le Golfe. Voyons
maintenant comment la capacitĂ© de « dissuasion virtuelle » de lâIran sert Ă dissuader les
Ătats-Unis et IsraĂ«l â ainsi que dâautres voisins nuclĂ©aires menaçants â mais sans
perturber lâĂ©quilibre rĂ©gional. Voyons aussi comment le passage libre du pĂ©trole nâest pas
la seule question qui rapproche les Ătats-Unis et lâIran. Câest en partie lâĂ©valuation de ces
facteurs qui nous permettra de faire des pronostics sur le fonctionnement futur de
lâindustrie nuclĂ©aire en Iran.
1
Permettant des « inspections surprises » par lâAIEA de toutes les installations nuclĂ©aires du
pays.
2
IAEA,
Implementation of NPT Safeguards Agreement in the Islamic Republic of Iran,
Vienne, 24 février
2004, et des différents articles de presse internationale,
The Guardian
,
BBC, Yale Global, World
Nuclear Energy
.
3
Rathmell, Andrew, Karasik, Theodore, Gompert, David,
A New Persian Gulf Security System,
RAND,
Washington, 2003, p. 3-4.
220
Lâavenir du nuclĂ©aire iranien :
trois options pour les Ătats-Unis
LâĂ©volution de lâindustrie nuclĂ©aire iranienne dĂ©pend des Ătats-Unis et de ses dĂ©cisions
dans les mois Ă venir. MĂȘme si dâautres acteurs, la Russie, lâEurope, la Chine, lâONU, ou
des Ă©vĂ©nements, comme ceux dâIrak, peuvent influencer la dĂ©cision des Ătats-Unis, le pays
hégémonique mondial a suffisamment de moyens pour imposer la décision qui lui semble
convenable. Toutes les options lui sont ouvertes : du bombardement des installations
iraniennes Ă la tentative de changement de rĂ©gime, jusquâĂ lâacceptation de la souverainetĂ©
de lâIran sur son cycle de combustion.
Réputation et antécédent
Sur le plan de la conjoncture iranienne, plusieurs paramĂštres sont importants pour les
Ătats-Unis, notamment celui de la « rĂ©putation » ou de la crĂ©ation dâun antĂ©cĂ©dent. Ils
craignent, en effet, quâaprĂšs avoir crĂ©Ă© une grande animation autour du nuclĂ©aire iranien
depuis les derniÚres trente années, céder à son fonctionnement serait donner une
impression de clémence aux autres pays, les incitant à poursuivre des industries nucléaires.
Mais câest une fausse inquiĂ©tude : peu de nouveaux pays seront en position de lancer une
industrie nucléaire dans les conditions actuelles de ce marché. Les interdictions multiples
de développement des cycles de combustion et les mesures de contrÎle des fournisseurs
sont suffisantes pour empĂȘcher de nouveaux entrants ou les contrĂŽler efficacement. Le cas
de lâIran est dâune certaine façon « ancien ». Sans lâinfrastructure et le savoir-faire
introduits Ă lâĂ©poque du Shah, la RĂ©publique islamique nâaurait pas Ă©tĂ© capable de
développer une telle industrie et une telle compétence.
Efficacité du régime de non-prolifération
La deuxiĂšme crainte des Ătats-Unis est celle de la santĂ© du rĂ©gime de la non-
prolifĂ©ration. Le dĂ©veloppement des armes par lâIran aurait Ă©tĂ© signe de lâinefficacitĂ© du
rĂ©gime du TNP. Câest aussi pour cela que la dĂ©cision iranienne de rĂ©vĂ©ler une capacitĂ© sans
dĂ©velopper des armes renforce le rĂ©gime crĂ©Ă© et maintenu par les Ătats-Unis. Ainsi, lâIran
221
sera un cas similaire au Japon ou Ă lâAllemagne. Ce rĂ©gime, pour empĂȘcher une autre
CorĂ©e du Nord, devra faciliter lâopĂ©ration rentable de lâindustrie nuclĂ©aire civile de lâIran.
Le cas du Pakistan a été plus nuisible pour la logique du régime de la non-prolifération.
LĂ , les Ătats-Unis, pour des raisons bilatĂ©rales, ont Ă©tĂ© obligĂ©s de donner une dĂ©rogation au
Pakistan, ce qui lui a permis de développer une capacité nucléaire militaire. Ceci a affaibli
le rĂ©gime de non-prolifĂ©ration, mais Ă lâĂ©poque, les intĂ©rĂȘts nationaux du gardien du
rĂ©gime lâemportaient sur la survie de ce rĂ©gime. Cependant, le Pakistan, Ă lâinverse de
lâIran, nâĂ©tait pas signataire du TNP. Dans le cas de lâIran, ce serait dans lâintĂ©rĂȘt du
maintien du rĂ©gime de non-prolifĂ©ration, que les Ătats-Unis ne poussent pas lâIran en
dehors de ce régime pour des raisons bilatérales. Là aussi, la stratégie de « dissuasion
virtuelle » de lâIran facilite la tĂąche des Ătats-Unis.
Les Ătats-Unis sont ainsi face Ă trois options possibles pour traiter du cas iranien.
Examinons chaque option ainsi que leurs avantages et inconvénients.
Le veto au nucléaire iranien
Les Ătats-Unis pourraient maintenir leur objection Ă lâindustrie nuclĂ©aire iranienne et
intervenir pour lâarrĂȘter. Trois options sont possibles pour atteindre ce but : attaquer les
installations iraniennes, tenter de changer le régime actuel pour en privilégier un autre plus
proche des souhaits amĂ©ricains, ou intervenir sur le fournisseur unique de lâIran, la Russie,
qui a rĂ©sistĂ© jusquâĂ maintenant aux pressions amĂ©ricaines visant Ă arrĂȘter le projet.
Lâoption dâune attaque militaire et opĂ©ration couverte
Shahram Chubin, bien que critique vis-à -vis du programme nucléaire iranien, dÚs juillet
2003, a mis les Ătats-Unis en garde contre une intervention militaire Ă©ventuelle. Pour
Chubin, « dans le meilleur des cas, l'utilisation de la force militaire peut seulement différer
le programme d'acquisition nucléaire » et ceci ne sera pas sans risque. Chubin propose
lâexemple de la CorĂ©e du Nord en 1994 comme pouvant se produire en Iran
1
. Un des
inconvĂ©nients dâune intervention militaire serait lâadmission par les Ătats-Unis que le
programme iranien est de nature militaire, et ce, contre lâavis de lâAIEA et le reste du
monde â sauf IsraĂ«l.
222
Il est vrai quâIsraĂ«l a pu, en 1981, par une seule attaque dĂ©cisive, Ă©liminer lâOsirak, le
seul rĂ©acteur de recherche de lâIrak. Mais le programme nuclĂ©aire iranien nâest pas
comparable au petit rĂ©acteur de recherche qui constituait le cĆur du programme irakien.
Dâabord Osirak Ă©tait extrĂȘmement visible et Ă cette Ă©poque, lâIrak, prĂ©occupĂ© par la guerre
contre lâIran nâa pas pu prendre des mesures de reprĂ©sailles jusquâen 1991, au moment de
la guerre du Golfe. Les installations-clĂ©s iraniennes ne sont pas au mĂȘme endroit. Elles sont
dispersĂ©es et pas aussi visibles. Il sera impossible dâendommager le programme iranien en
une seule attaque. Avec une telle option, plusieurs attaques simultanées seront nécessaires
et ceci augmentera considĂ©rablement le risque dâune intervention militaire.
Une telle intervention nâest voulue que par les Ătats-Unis et IsraĂ«l. Ce dernier nâa pas la
capacitĂ© dâentreprendre une mission dâune telle envergure et en ce qui concerne les Ătats-
Unis, mĂȘme si les relations entre les deux pays semblent parfois tendues, il y a un dĂ©sir de
rapprochement des deux cotés, et, depuis les difficultés américaines en Irak, une
opportunité réelle de coopération. Toute intervention militaire minerait cette possibilité.
LâIran possĂšde aussi plus dâatouts pour des reprĂ©sailles, que ce soit sur les intĂ©rĂȘts
américains en Irak, ou ailleurs.
Lâoption la plus probable se ramĂšnerait Ă la destruction ciblĂ©e des centres industriels et
nucléaires supposés capables de fournir une capacité militaire. Mais la réaction iranienne
dĂ©jĂ annoncĂ©e ne se limiterait sans doute pas Ă une rupture avec lâAIEA et Ă son pouvoir de
nuisance en Irak ; elle pourrait se traduire par exemple par des initiatives déstabilisant le
dispositif politique et militaire amĂ©ricain en Afghanistan â et indirectement au Pakistan.
Chubin souligne :
« En fait, les craintes principales de l'Iran sont les Ătats-Unis, soupçonnĂ©s par les
partisans de la ligne dure d'avoir cherché le changement de régime bien avant d'en
ériger la doctrine. Rien de tout cela n'est officiellement déclaré, puisque les Iraniens
nient vouloir l'arme nucléaire. Mais le sujet est caché au fond du débat sur l'énergie
nucléaire. Les durs ont brillamment réussi à le monopoliser en l'entourant de
mystÚre. »
2
1
Chubin, Shahram,
Modifier la politique nucléaire de l'Iran plutÎt que provoquer un «changement de régime»,
Centre de politique de sécurité de GenÚve, 18 juin 2003.
2
Ibid.
223
Que peuvent donc faire les Ătats-Unis sâils sâengagent vers une confrontation ? Lâoption
la moins vraisemblable serait le dĂ©clenchement dâune guerre analogue Ă celle menĂ©e contre
lâIrak. LâIran est un pays dâune toute autre envergure par sa dimension, sa population, ses
ressources et sa position gĂ©ostratĂ©gique. Lâoccuper nĂ©cessiterait lâengagement de forces
considérables. Les forces iraniennes, divisées entre une armée classique et le corps des
gardiens de la révolution, ne disposent, en réalité, que de crédits restreints et ne
reprĂ©sentent quâune puissance limitĂ©e. Toutefois, en dehors peut-ĂȘtre des rĂ©gions kurde au
nord-ouest et baloutche au sud-est, la rĂ©sistance pourrait ĂȘtre indĂ©finiment prolongĂ©e dans
toute la partie centrale du pays. La « dissuasion virtuelle » de lâIran doit dans la majoritĂ©
des cas Ă©viter une telle intervention. Lâintervention immĂ©diate des Ătats-Unis non
seulement nâest pas possible, mais en rĂ©alitĂ© nâest mĂȘme pas urgente.
En ce qui concerne les possibilitĂ©s dâune action couverte par les Ătats-Unis, ce qui serait,
en fonction des difficultĂ©s dâune action ouverte, un choix plus raisonnable pour les Ătats-
Unis, ceci pourrait prendre, dâaprĂšs Eisenstadt, la forme dâun « harcĂšlement ou assassinat
des scientifiques et techniciens-clĂ©s iraniens [âŠ] sabotage par lâintroduction des dĂ©fauts
dans le processus [âŠ] pour crĂ©er des accidents catastrophiques ; sabotage des installations,
directement ou bien par des citoyens des pays tiers ; sabotage des systĂšmes dâinformation
par le biais des virus informatiques destructeurs [âŠ] »
1
.
Mais Eisenstadt reconnaĂźt lui-mĂȘme que ces actions nâauront quâun effet modeste et
temporaire sur le programme iranien et risquent de provoquer des représailles et des
rĂ©actions politiques dĂ©favorables Ă lâIran et Ă la communautĂ© internationale â trĂšs
susceptible depuis quelque temps aux actions bilatĂ©rales des Ătats-Unis. Que ce soit dans le
cadre dâune action « couverte ou ouverte » des Ătats-Unis, lâIran aurait de multiples
possibilités de représailles. La perturbation du passage du pétrole en golfe Persique est la
solution la plus simple et la plus probable, mais dâaprĂšs Eisenstadt, des actions terroristes
en Oman, KoweĂŻt, BahreĂŻn, Qatar et dans les EAU ne seraient pas hors de question. Tous
ces pays sont des bases dâinstallations militaires importantes des Ătats-Unis. Bien que
jusqu'Ă prĂ©sent lâIran ait cherchĂ© activement Ă aider les Ătats-Unis dans sa lutte contre
Al-
1
Eisenstadt, Michael, « The Challenges of US Preventive Military Action », dans Sokolski, Henry,
et Clawson, Patrick,
Checking Iranâs Nuclear Ambitions
, Strategic Studies Institute, janvier 2004,
p. 121-122.
224
QaĂŻda
, la dĂ©gradation des relations pourrait lâamener Ă faire moins attention Ă certaines
circulations clandestines à travers ses frontiÚres. Une action « couverte ou ouverte » des
Ătats-Unis pousserait aussi les populations iraniennes qui lui sont favorables dans le camp
des opposants et rĂ©duirait ainsi les efforts actuels de rĂ©forme et dâouverture en Iran.
LâIran a dĂ©jĂ dĂ©montrĂ© sa capacitĂ© Ă enrichir lâuranium et lâa temporairement mise en
arrĂȘt. Il possĂšde des mines dâuranium et la capacitĂ© nationale de fabrication des
centrifugeuses. Une attaque le pousserait seulement vers un programme militaire
clandestin utilisant tous ces atouts, cette fois en dehors du TNP et Ă des fins militaires. Le
fonctionnement du réacteur civil iranien ne représente aucun danger immédiat pour les
Ătats-Unis. Le plutonium qui sera accumulĂ© dans les dĂ©chets de Boushehr â mĂȘme aprĂšs
un an de fonctionnement â nâest pas vĂ©ritablement adaptĂ© Ă lâusage militaire. Sa
composition isotopique et la chaleur et radioactivitĂ© le rendent difficile et dangereux Ă
manipuler.
Dans les conditions actuelles de lâĂ©conomie mondiale, la moindre perturbation du flux
du pĂ©trole du Golfe, mĂȘme temporaire, aurait des consĂ©quences dramatiques sur
lâĂ©conomie mondiale. LâIran pourrait aussi saisir des Ăźles ou bien des plateformes
offshore
dâalliĂ©s des Ătats-Unis dans le Golfe. LâIran pourrait utiliser ses rĂ©seaux dans les Ătats du
Golfe pour renverser ou déstabiliser les pouvoirs en place.
La pression sur la Russie
La Russie est le fournisseur unique du réacteur de Boushehr. Si elle refusait d'achever les
travaux des rĂ©acteurs, le programme de lâĂ©nergie nuclĂ©aire de lâIran prendrait un retard
considĂ©rable. Les AmĂ©ricains et les IsraĂ©liens ont souvent tentĂ© dâintervenir sur la Russie
pour lui faire arrĂȘter les travaux de Boushehr
1
. La Russie a souvent bĂ©nĂ©ficiĂ© dâaides
financiĂšres des Ătats-Unis pour ralentir lâachĂšvement des travaux. Les prĂȘts du FMI,
lâĂ©largissement de lâOTAN, la facilitation de la position russe en Asie centrale et mĂȘme
lâacceptation du passage des
pipelines
Ă travers la Russie plutĂŽt que la Turquie, ont Ă©tĂ© liĂ©s Ă
la coopĂ©ration nuclĂ©aire de la Russie avec lâIran. Mais, mis Ă part des retards successifs, ces
efforts nâont pas changĂ© la volontĂ© de la Russie de mener Ă bien son engagement. Les
1
Schake, Kori N., Yaphe, Judith S.,
The Strategic Implication of a Nuclear Armed Iran
, Institute for
National Strategic Studies, National Defence University, Washington DC, 2001, p. 18-19.
225
AmĂ©ricains ont pourtant remportĂ© des succĂšs dans les annĂ©es 1990 en poussant la Russie Ă
annuler certains composants de son programme de coopĂ©ration nuclĂ©aire avec lâIran. En
1995, le prĂ©sident Eltsine a cĂ©dĂ© Ă la pression amĂ©ricaine, en annulant la vente dâune usine
dâenrichissement â par centrifugeuses â Ă lâIran.
La Russie a un programme pour fournir au moins quatre rĂ©acteurs nuclĂ©aires Ă lâIran â
dont deux pour Boushehr. Elle â comme quasiment tous les autres pays sauf IsraĂ«l â ne
partage pas les prĂ©visions alarmistes des Ătats-Unis sur lâindustrie nuclĂ©aire iranienne. En
outre, de bonnes relations avec lâIran sont indispensables pour les intĂ©rĂȘts russes dans les
rĂ©publiques musulmanes de lâex-Union soviĂ©tique, en TchĂ©tchĂ©nie, et dans les rĂ©publiques
dâAsie centrale â OuzbĂ©kistan, Kazakhstan, Tadjikistan, TurkmĂ©nistan, et Kirghizstan. La
Russie a des siÚcles de domination politique et économique sur ces républiques et les forces
russes sont prĂ©sentes chez certaines dâentre elles. De plus, la Russie partage lâinquiĂ©tude de
lâIran en ce qui concerne lâexpansion des relations amĂ©ricaines avec les rĂ©publiques dâAsie
Centrale, particuliĂšrement les coopĂ©rations militaires. Les liens amicaux avec lâIran
fournissent Ă la Russie un contrepoids important pour compenser sa faiblesse Ă©conomique
et militaire par rapport aux Ătats-Unis. La Russie voit en lâIran un partenaire pour la
stabilitĂ© de la rĂ©gion et ne risquera pas de ternir ses relations avec lui sur une question oĂč,
pour une fois, ce sont les Ătats-Unis et IsraĂ«l qui voient le Mal lĂ oĂč il nâexiste pas. Et cela
surtout aprĂšs lâinvasion de lâIrak par des amĂ©ricains et leur incapacitĂ© Ă y trouver des armes
de destruction massive !
Manipulations internes et changement de régime
Lâopposition des Ătats-Unis Ă la souverainetĂ© iranienne sur le cycle de combustion ne
date pas dâaujourdâhui, ni de lâavĂšnement de la RĂ©publique islamique. Les Ătats-Unis ont
Ă©tĂ©, depuis lâessai nuclĂ©aire de lâInde en 1974 et depuis le lancement du programme
nuclĂ©aire industriel de lâIran, opposĂ©s Ă la maĂźtrise nationale par lâIran sur son cycle de
combustion nuclĂ©aire. Câest la raison pour laquelle les accords bilatĂ©raux de coopĂ©ration
nuclĂ©aire entre les deux pays nâont jamais pu ĂȘtre finalisĂ©s. Câest aussi en partie la raison
qui explique lâabsence de participation des firmes amĂ©ricaines dans la construction du
programme nuclĂ©aire impressionnant de lâIran Ă lâĂ©poque du Shah. Le veto amĂ©ricain sur
cette question Ă cette Ă©poque sâest traduit par un changement de rĂ©gime. Mais il y avait,
226
comme nous lâavons vu dans les chapitres prĂ©cĂ©dents, beaucoup dâautres facteurs qui ont
favorisé cette option. Les effets liés à des changements de régime sont, par nature,
incertains. Les dĂ©veloppements, en ce qui concerne la politique nuclĂ©aire, mĂȘme favorable
aux Ătats-Unis, risquent dâĂȘtre temporaires.
Chubin, quand Ă lui, prĂ©conise une Ă©volution soutenue plutĂŽt quâun changement :
« L'Iran n'est pas, comme la CorĂ©e du Nord, un Ătat en faillite qui jouerait les ermites
en souhaitant quitter le TNP, ni un agresseur, ni un paria international comme l'Ă©tait
l'Irak de Saddam. C'est un Ătat presque dĂ©mocratique, avec un certain degrĂ© de libertĂ©
lors des Ă©lections, une presse âlibreâ bien que cible d'intimidations et, surtout, un dĂ©bat
politique animé parmi une population rétive dont l'opinion compte. C'est sur elle que
pourrait s'appuyer une bonne politique de non-prolifération Iran-US. »
1
Mais pour Chubin, il faut que cette Ă©volution soit fortement soutenue. Il fait allusion Ă
« lâexaspĂ©ration dâune grande partie de la population du pouvoir conservateur et au
discrédit grandissant du camp des réformateurs »
2
qui ont été mis en lumiÚre par les
rĂ©centes Ă©lections municipales, oĂč seulement 12 % des Ă©lecteurs ont votĂ© Ă TĂ©hĂ©ran, et Ă
peine davantage dans lâensemble des zones urbaines. Chubin traduit ceci par lâincapacitĂ©
des électeurs à changer le régime et préconise le renforcement de cette voie de réforme.
Son option est celle de la « démocratie contre le nucléaire civil ».
Accepter le nucléaire civil
La deuxiĂšme option des Ătats-Unis, optimale pour les deux parties dâaprĂšs notre analyse,
est lâacceptation et la facilitation de lâindustrie nuclĂ©aire iranienne â c'est-Ă -dire
lâachĂšvement immĂ©diat du rĂ©acteur de Boushehr. Mais pour que cette option fonctionne
correctement, il faut que lâabandon par lâIran de son cycle de combustion soit compensĂ©
par la fourniture fiable et Ă©conomique de fuel. Câest aussi lâoption qui permettrait dâexiger
des rĂ©formes dĂ©mocratiques plus poussĂ©es en Iran. Câest la voie de la nĂ©gociation, la seule
option véritablement crédible ! Dans ce scénario, on doit aussi prendre en considération les
demandes lĂ©gitimes de lâIran : fin des sanctions, garanties de sĂ©curitĂ© par les AmĂ©ricains,
accÚs aux technologies avancées, et à terme, le retrait des forces américaines du golfe
1
Modifier la politique nucléaire de l'Iran plutÎt que provoquer un « changement de régime ».
2
Ibid.
227
Persique. LâinconvĂ©nient de cette option pour les AmĂ©ricains est que certains composants
de ce « marchĂ© » ne peuvent pas ĂȘtre Ă©changĂ©s immĂ©diatement. Mais dans la derniĂšre
section de ce chapitre nous proposerons des solutions qui pourraient faciliter la mise en
place de cette option. Lâautre inquiĂ©tude des AmĂ©ricains est le fait que, tout en mettant en
Ćuvre cette option, lâIran aura dĂ©jĂ accĂ©dĂ© Ă sa premiĂšre bombe nuclĂ©aire
1
. Nos arguments
jusquâici ont montrĂ© que cela nâest pas dans lâintĂ©rĂȘt de lâIran, si notre hypothĂšse de
« dissuasion virtuelle » est valable.
Lâintervention, dĂšs dĂ©cembre 2004, des gouvernements britannique, français et
allemand va dans ce sens et renforce notre hypothĂšse. Ces Ătats sont conscients que, pour
que lâimpact de leurs interventions soit durable, il faut quâils honorent leurs promesses de
fourniture de technologie. La déclaration de Kamal Kharrazi du 7 avril 2004 rappelant que
lâabandon des activitĂ©s dâenrichissement nâĂ©tait que temporaire, visait aussi Ă rappeler la
nĂ©cessitĂ© de remplir lâautre partie de ce marchĂ©.
Lâabandon de souverainetĂ© du cycle de combustion : les garanties de fourniture du fuel
« Nous devons essayer dâinverser la direction des dĂ©veloppements iraniens en
fournissant de meilleures options, moins chĂšres, en combustible pour la centrale de
Boushehr, et en apaisant les inquiétudes sécuritaires des Iraniens réformistes aussi bien que
conservateurs, qui sont intéressés par la bombe »
2
, écrivait un rédacteur du
Los Angeles
Times
en août 2003.
Lâabandon des activitĂ©s dâenrichissement, pour ĂȘtre durable, doit recevoir en
contrepartie la garantie dâune fourniture Ă©conomique et fiable de lâuranium. Pour le
moment, cette fourniture est comprise dans le contrat de vente du réacteur par la Russie.
Mais les contrats bilatĂ©raux ont le dĂ©faut de pouvoir ĂȘtre remis en cause unilatĂ©ralement.
Avec des pressions ou des incitations venant des Etats-Unis, ou pour dâautres raisons
politiques, la Russie pourrait toujours arrĂȘter de fournir de lâuranium Ă lâIran. Câest lĂ oĂč les
solutions multilatĂ©rales, par lâintermĂ©diaire de lâUnion europĂ©enne ou de lâAIEA, peuvent
intervenir. LâIran est toujours membre dâEurodif. Il suffit de reconsidĂ©rer les droits de 10 %
1
Sokolski, Henry, et Clawson, Patrick,
Checking Iranâs Nuclear Ambitions
, Strategic Studies Institute,
janvier 2004.
2
Perkovich, cité dans Franz, Douglas, « Iran Closes in on Ability to Build a Nuclear Bomb »
, Los
Angeles Times
, 4 août 2003.
228
de capacitĂ© dâenrichissement dâEurodif sur une durĂ©e garantie de dix ou vingt ans. LâAIEA
pourrait aussi se constituer un nouveau rĂŽle de crĂ©ation dâune gestion de fourniture de fuel
pour diffĂ©rents pays, y compris lâIran ; une sorte de marchĂ© interne avec des prix fixes et
garantis sur plusieurs années.
Cette fourniture, quâelle soit contrĂŽlĂ©e par lâAIEA ou par lâUnion europĂ©enne, pourrait
ĂȘtre liĂ©e Ă la bonne mise en Ćuvre des rĂ©formes dĂ©mocratiques, donnant ainsi le coup de
pouce prĂ©conisĂ© par Chubin pour dĂ©mocratiser lâIran. Ce concept pourrait paraĂźtre trop
thĂ©orique, une sorte dâ« Ănergie pour la DĂ©mocratie » qui serait peut-ĂȘtre et finalement le
véritable « Atomes pour la Paix » en Iran.
Le renforcement des réformes naturelles conduites par le pays
LâIran dĂ©tient dĂ©jĂ un potentiel nuclĂ©aire militaire. Cette capacitĂ© de « dissuasion
virtuelle » remplit ses besoins de dissuasion immédiate. En attendant que la politique
étrangÚre américaine soit plus rationnelle, respectueuse de ses alliés internationaux, moins
favorable Ă IsraĂ«l, et plus humaine, lâacceptation du nuclĂ©aire civil pourrait renforcer le
processus interne de démocratisation en Iran. La brusque révolte étudiante entamée dans la
soirĂ©e du 10 juin 2003 sur le campus de lâuniversitĂ© de TĂ©hĂ©ran, qui a culminĂ© le
vendredi 13 avec le renfort de cortĂšges venant des quartiers avoisinants, est lâexemple dâun
soutien intérieur fort pour engager les réformes nécessaires. En Iran, le patriotisme, le
nationalisme mĂȘme, sont dâessentielles donnĂ©es de la sociĂ©tĂ© et de lâesprit public. Il est
important de bien gĂ©rer les processus de rĂ©forme pour y inclure lâensemble de la
population iranienne et lui garantir une reprĂ©sentation. Lâessentiel ici serait dâĂ©viter les
piĂšges de la rĂ©volution de 1979. Câest lâĂ©volution qui convient Ă lâIran dâaujourdâhui, et non
pas la rĂ©volution â ou le « changement de rĂ©gime. »
Accepter la souveraineté iranienne sur son cycle de combustion
En juin 2003, le président George W. Bush a déclaré, pour la premiÚre fois, que « les
Ătats-Unis ne tolĂ©reraient pas la possession par lâIran dâune bombe atomique »
1
. Cela
renforce notre thĂšse sur lâinutilitĂ© de la bombe pour lâIran et lâhypothĂšse de lâutilitĂ© de la
« dissuasion virtuelle ». Si lâIran possĂšde dĂ©jĂ cette capacitĂ© de dissuasion, ce qui signifie
1
The Guardian,
20 juin 2003.
229
quâil nây a plus dâintĂ©rĂȘt Ă fabriquer des bombes, et si la confiance entre les deux pays
augmente suffisamment, cette troisiĂšme option â fortement improbable dans le court
terme â pour les Ătats-Unis dâaccepter le dĂ©veloppement dâun cycle de combustion
complet par lâIran, restera toujours ouverte.
Les Ă©lĂ©ments les plus inquiĂ©tants du cycle de combustion iranien pour les Ătats-Unis
sont les suivants :
Lâenrichissement
Une contamination dâuranium enrichi â seulement Ă 36 % â dans lâenvironnement
des centrifugeuses iraniennes explique lâinquiĂ©tude des Ătats-Unis au sujet du cycle de
combustion. Le taux nĂ©cessaire pour les rĂ©acteurs Ă lâeau lĂ©gĂšre est de 3 %. Les installations
dâenrichissement peuvent effectivement enrichir lâuranium Ă des taux Ă©levĂ©s utiles pour
lâusage militaire. Pour ce faire, le taux dâenrichissement doit dĂ©passer les 90 %. Ă 36 % on
en est loin. Mais ceci peut servir de signal de capacité. Le Pakistan avait signalé en 1994 sa
capacitĂ© Ă enrichir lâuranium Ă des taux Ă©levĂ©s quand il craignait la possibilitĂ© dâune
invasion armĂ©e par lâInde. Le signal a pu rĂ©sorber le conflit.
La République islamique a justifié ce taux par le fait que les centrifugeuses utilisées sont
dâoccasion et que la contamination dĂ©tectĂ©e est due Ă leur utilisation passĂ©e dans leur pays
de provenance â probablement le Pakistan
1
.
Le retraitement
Comme lâenrichissement, le retraitement offre Ă©galement une possibilitĂ© pour un
opĂ©rateur de rĂ©acteurs civils dâisoler du plutonium et de lâuranium enrichi qui pourront
ensuite ĂȘtre utilisĂ©s pour la fabrication des bombes nuclĂ©aires. Cette voie est mĂȘme
beaucoup plus simple et moins coĂ»teuse que celle de lâenrichissement. Les usines de
retraitement sont assez simples et petites â 10 m x 15 m x 45 m â les rendant difficiles Ă
identifier par satellite, et nĂ©cessitant peu dâinvestissement et de temps Ă construire. LâIran
possÚde déjà cette technologie.
Lâun des arguments quâon avance contre lâIran est que le plutonium dans les dĂ©chets nâa
pas de valeur Ă©conomique, et quâil vaut mieux le retourner en Russie pour le retraitement.
230
Ce que lâIran a acceptĂ© pour son rĂ©acteur russe
2
. Mais des considérations « financiÚres »
bloquent toujours la signature des accords entre lâIran et la Russie Ă ce sujet.
Iran-USA : dolĂ©ances, avantages comparĂ©s et intĂ©rĂȘts communs
Avec lâarrivĂ©e au pouvoir du prĂ©sident Khatami en mai 1997, il y a eu une tentative
publique dâouverture vers les Ătats-Unis. Khatami proposa sur CNN un « dialogue de
civilisations » entre les Ătats-Unis et lâIran. Clinton a donnĂ© suite Ă cette proposition en
disant lors dâun match de football entre lâIran et les Ătats-Unis : « En applaudissant le
match dâaujourdâhui entre athlĂštes iraniens et amĂ©ricains, jâespĂšre que ce sera un autre pas
vers la fin des tensions entre nos deux pays. » Il y eut un autre geste stratĂ©gique lorsquâen
octobre 1999 les Ătats-Unis mirent les
Mojahedines
sur leur liste dâorganisations terroristes
3
.
Les quatre premiĂšres annĂ©es de la prĂ©sidence de Khatami ont Ă©tĂ© remplies dâespoirs de
rapprochement entre les deux pays. Bien quâil y ait eu une amĂ©lioration certaine dans les
relations entre lâIran et les Ătats-Unis dans les derniĂšres annĂ©es, surtout depuis la
prĂ©conisation par le prĂ©sident Khatami dâun « dialogue de civilisations », trois questions
divisent encore les deux pays. La premiÚre est la question du « terrorisme » pour les
AmĂ©ricains, qui sont persuadĂ©s que lâIran lâutilise, mais qui reconnaissent que cela a
beaucoup diminuĂ©. Lâautre question, pour lâIran comme pour le reste du monde, est le
soutien inconditionnel des Ătats-Unis Ă lâIsraĂ«l. La derniĂšre question est celle des armes de
destruction massive
1
.
Les doléances
Les Ătats-Unis ne peuvent pas oublier quâils ont Ă©tĂ© forcĂ©s de quitter Beyrouth en 1983
aprĂšs lâattaque par des milices pro-iraniennes qui a tuĂ© 241 marines. Une premiĂšre
humiliation a Ă©tĂ© la prise dâotages Ă lâambassade des Ătats-Unis Ă TĂ©hĂ©ran, et la seconde le
1
Des fuites rĂ©centes de lâIAEA laissent croire quâil y aurait eu quatre pays fournisseurs pour le
programme dâenrichissement de lâIran.
2
Ce réacteur produira environ 250 kg de plutonium par an dans ses déchets.
3
Les Ătats-Unis ont maintenu des relations proches avec les Mojahedines depuis la rĂ©volution,
dâaprĂšs ce que lâ
Iran desk officer
au DĂ©partement dâĂtat amĂ©ricain nous a confirmĂ© en 1994. Câest ce
mĂȘme groupe, que la presse prĂ©sente comme responsable de la divulgation des activitĂ©s
dâenrichissement en Iran.
231
Hezbollah qui avait forcĂ© les IsraĂ©liens Ă quitter le Liban. LâIran, quant Ă lui, se souvient
toujours des développements démocratiques tronqués par le coup anglo-américain de 1953
et par les interventions amĂ©ricaines dans ses affaires internes durant lâĂ©poque du Shah. En
ce qui concerne les armes de destruction massive, lâIran, qui est toujours accusĂ© de vouloir
en dĂ©velopper, ne peut pas oublier comment les Ătats-Unis ont armĂ© et financĂ© lâIrak pour
les utiliser contre les populations iraniennes
2
.
Si durant les premiĂšres annĂ©es de la rĂ©volution, lâIran Ă©tait isolĂ© et constituait une source
dâinquiĂ©tude pour les pays de la rĂ©gion, ceci a changĂ© de maniĂšre significative dans les
annĂ©es qui ont suivi lâĂ©lection du prĂ©sident Khatami. LâIran a Ă©tĂ© le pays hĂŽte de
lâOrganisation de la ConfĂ©rence Islamique en 1997 Ă laquelle plus de cinquante pays ont
participé. Depuis, il y eut des contacts récents entre dirigeants iraniens et saoudiens et les
relations avec le KoweĂŻt, BahreĂŻn, et Oman se sont aussi amĂ©liorĂ©es. Bien quâĂ une Ă©poque,
la politique Ă©trangĂšre de lâIran ait Ă©tĂ© un mĂ©lange dâobjectifs nationalistes et islamiques,
celle de la période récente est fondée sur des considérations géopolitiques et économiques.
Le dĂ©sir de stabilitĂ© rĂ©gionale et dâamĂ©lioration de lâĂ©conomie a pris la place des principes
rĂ©volutionnaires dâantan. La politique Ă©trangĂšre de lâIran est marquĂ©e par la prudence. Les
forces armées révolutionnaires se comportent de plus en plus de maniÚre professionnelle et
comme des forces armĂ©es traditionnelles. LâIran sâest Ă©loignĂ© du Hezbollah depuis que ce
dernier a refusĂ© de reconnaĂźtre lâAyatollah Khamenei comme sa source dâĂ©mulation
3
.
Depuis lâĂ©lection du prĂ©sident Khatami, lâIran signale que son soutien au Hezbollah se
limite Ă la libĂ©ration du Liban et quâune paix acceptable pour lâAutoritĂ© Palestinienne sera
acceptable pour lui aussi. LâutilitĂ© du soutien Ă la Palestine a Ă©tĂ© dĂ©battue au Parlement et
lâAyatollah Khamenei lui-mĂȘme dĂ©clarait que le DjihĂąd de Palestine nâĂ©tait pas celui de
lâIran.
En 1999, le président Khatami a visité de nombreuses capitales européennes et déclaré
que lâIran ne commettait plus dâactes de terrorisme Ă lâĂ©tranger et coopĂ©rait sur la question
des armes de destruction massive
4
. LâIran a arrĂȘtĂ© son soutien au terrorisme dans le Golfe
1
Green, Jerrold, D.,
Iran: Limits to Rapprochement, Statement before the Committee on Foreign Relations
Subcommittee on Near Eastern and South Asian Affairs
, 1999.
2
Financial Times
, 17 mars 2004.
3
Iranâs Security Policy in the Post-Revolutionary Era,
RAND, Washington, 2001.
4
Ibid., p. 86.
232
et son implication dans les incidents sâest rĂ©duite depuis lâĂ©lection de Khatami. Si IsraĂ«l et
les Ătats-Unis sont prĂ©occupĂ©s par le dĂ©veloppement des missiles iraniens, lâIran, quant Ă
lui, a la mĂȘme inquiĂ©tude pour ceux dâIsraĂ«l, qui peuvent en plus porter quelques 200 tĂȘtes
nuclĂ©aires. LâIran craint aussi la puissance nuclĂ©aire dâIsraĂ«l et la considĂšre comme une
menace contre sa sĂ©curitĂ©. Le rapprochement croissant dâIsraĂ«l avec la Turquie est aussi
une source de prĂ©occupation pour lâIran. Bien que lâappareil de dĂ©fense iranien compte sur
les missiles et les avions comme moyen de dissuasion contre Israël, il craint aussi que les
forces iraniennes ne puissent pas dĂ©fendre lâIran contre une attaque israĂ©lienne
1
.
DâaprĂšs Daniel Byman et Jerold Green de RAND, Shahram Chubin du
Geneva Centre for
Security Policy
, Anoush Ehteshami de lâuniversitĂ© de Durham, bien que capables de
« relever les défis du vingt et uniÚme siÚcle : forces américaines en Irak et en Afghanistan,
axe Turquie-IsraĂ«l fort, terrorisme et troubles en Arabie Saoudite, et dans les autres Ătats
du Golfe », les forces armées ainsi que les services secrets iraniens fonctionnent seulement
avec un budget de moins de cinq milliards de dollars par an
2
. Rafsandjani, dĂšs 1989, a
rationalisĂ© les forces armĂ©es, lâ
Artesh,
et professionnalisé les
Pasdaran
(le Corps des
Gardiens Révolutionnaires Islamiques qui a été créé aprÚs la révolution).
En raison de la crise Ă©conomique, et du dĂ©sir dâavoir une plus large reprĂ©sentation
politique, un plus grand nombre dâIraniens demandent des rĂ©formes Ă©conomiques et
sociales. Bien que le prĂ©sident Khatami ait amĂ©liorĂ© les relations avec lâEurope et le monde
arabe, le « dialogue critique » avec lâEurope est lent au goĂ»t des AmĂ©ricains
3
. Les Iraniens
dâaujourdâhui, dâaprĂšs Chubin, ne peuvent plus ĂȘtre mobilisĂ©s par le rĂ©gime pour faire des
sacrifices de guerre. LâIran, dâaprĂšs Chubin, « fonctionne comme un Ătat normal », en
partie Ă cause de sa dĂ©sillusion concernant lâusage de la force et parce que les forces
militaires et sĂ©curitaires iraniennes ont pris des mesures pour Ă©viter que lâIran ne sâengage
dans une confrontation. LâIran a Ă©vitĂ© le conflit en reculant devant une confrontation avec
les Talibans en 1998
4
et avec la Turquie en juillet 1999
5
.
1
Ibid.
2
Ibid., p. 31.
3
International Crisis Group,
Iran: the Struggle for the Revolutionâs Soul
, Bruxelles, 5 août 2002.
4
Suite Ă la mort de plusieurs Iraniens durant lâinvasion de Mazaereh Sharif.
5
Les troupes turques avaient attaqué en juillet 1999 des sites en Iran durant leur campagne anti-
PKK (parti travailliste kurde).
233
LâIran dâaujourdâhui nâest pas celui de la dĂ©cennie qui a suivi la rĂ©volution. Comme
nous le montrerons plus loin, si les Ătats-Unis en tiennent compte, cela pourra faciliter la
coopĂ©ration entre les deux pays. Le discours sur lâ« Axe du Mal » et sur les armes de
destruction massive a perdu de sa lĂ©gitimitĂ©, depuis quâaucune arme nâa Ă©tĂ© trouvĂ©e en
Irak. Avec le non respect par les amĂ©ricains des droits de lâhomme en Irak, la dĂ©signation
des autres par le « Mal » est aussi devenue beaucoup moins pertinente.
Les avantages comparés
LâIrak et lâAfghanistan
La situation en Irak est probablement lâatout le plus important que possĂšde lâIran Ă
lâheure actuelle face aux Ătats-Unis : lâissue de lâinvasion amĂ©ricano-britannique de lâIrak
est trĂšs incertaine et lâaide de lâIran pourrait ĂȘtre un avantage considĂ©rable pour les Ătats-
Unis. Les Ătats-Unis exercent actuellement une domination militaire sur le golfe Persique.
LâIran, comme nous lâavons vu au chapitre prĂ©cĂ©dent, a fait des investissements en dessous
de ses besoins de sĂ©curitĂ© et nâest pas un dĂ©fi militaire pour les Ătats-Unis. Cependant, le
maintien des forces américaines dans la région non seulement coûte cher, mais commence
Ă avoir un effet nĂ©gatif, y compris sur les alliĂ©s amĂ©ricains dans la rĂ©gion. DâaprĂšs de la
Gorce, un accord « secret » entre Washington et TĂ©hĂ©ran a permis, en 2003, lâouverture
dâun corridor entre le territoire iranien et les rĂ©gions dĂ©jĂ occupĂ©es par lâarmĂ©e amĂ©ricaine
oĂč la communautĂ© chiite est implantĂ©e
1
. Ainsi, la République islamique aurait montré une
grande rĂ©serve devant le dĂ©roulement des opĂ©rations. LâarmĂ©e iranienne a refoulĂ© le groupe
wahhabite qui menait dans le nord de lâIrak une violente activitĂ© politique et religieuse. Il
Ă©tait soupçonnĂ© par les services amĂ©ricains dâĂȘtre en relation avec
Al-QaĂŻda
et, devant la
prise en main de la région par les milices kurdes, de tenter de franchir la frontiÚre.
Donald Rumsfeld a essayĂ© de dissuader lâIran â ainsi que la Syrie â dâapporter une
aide Ă la rĂ©sistance irakienne. Si le cours des Ă©vĂ©nements ne sâamĂ©liore pas, lâinfluence
iranienne sur les Chiites dâIrak pourrait constituer un appui trĂšs important pour les Ătats-
Unis. Certains de ces groupes ont leurs bases arriĂšre en Iran, y compris le plus important,
1
De la Gorce, Paul-Marie, « La République islamique d'Iran sous pression »,
Le Monde diplomatique
,
juillet 2003, pp. 8-9.
234
le Conseil SuprĂȘme de la RĂ©volution Islamique en Irak (CSRII) prĂ©sidĂ© par M. Baqer Al-
Hakim. Dans dâautres groupes encore, on trouve des religieux trĂšs influents, comme par
exemple lâayatollah Ali Sistani. Tous revendiquent lâĂ©tablissement dâun pouvoir national, le
dĂ©part des forces amĂ©ricaines dâoccupation et la prĂ©sence des Chiites Ă la tĂȘte du pays, en
conformité avec leur prépondérance numérique.
Que ce soit en bordure dâIrak ou dâAfghanistan, les frontiĂšres avec lâIran sont assez
longues. Sans aller jusquâĂ la complicitĂ©, sâil est forcĂ© Ă le faire, lâIran pourrait au moins
surveiller les mouvements Ă travers ses frontiĂšres.
LâimpopularitĂ© croissante de la prĂ©sence amĂ©ricaine dans le Golfe
LâimpopularitĂ© croissante des Ătats-Unis dans le monde, et surtout dans la rĂ©gion du
Golfe, est un avantage temporaire pour lâIran. La perception des populations de ces pays est
que leurs gouvernements dépensent des sommes importantes pour maintenir des forces
amĂ©ricaines dans la rĂ©gion. Elles croient â Ă juste titre â que leurs gouvernements
dĂ©pensent encore plus pour lâachat des systĂšmes de dĂ©fense amĂ©ricains. Depuis lâinvasion
de lâIrak en 2003, mĂȘme certaines nations europĂ©ennes partagent lâavis de lâIran et se font
des Ătats-Unis lâimage dâun pays arrogant, intimidant les Ătats plus faibles, et incapable de
nouer des relations de respect mutuel avec dâautres nations.
LâIran perçoit la forte prĂ©sence amĂ©ricaine dans le golfe Persique comme un signe
dâintimidation et veut que cette prĂ©sence diminue. La stratĂ©gie de lâarmĂ©e iranienne a Ă©tĂ©
dâaugmenter le coĂ»t pour les Ătats-Unis dâune intervention contre les forces iraniennes.
Cela confirme aussi notre hypothĂšse de divulgation des activitĂ©s dâenrichissement comme
une « dissuasion virtuelle. »
En 1997, lâIran voyait les Ătats-Unis comme seule source de menace dans le Golfe :
« Aujourdâhui les Ătats-Unis sont le seul ennemi que nous considĂ©rons comme une menace
majeure dans notre stratĂ©gie. Aucun des pays de la rĂ©gion nâest une menace pour la
sĂ©curitĂ© de lâIran. Nous avons organisĂ© nos forces et Ă©quipements contre la menace des
Ătats-Unis et nos manĆuvres et exercices sont basĂ©s sur ces menaces »
1
. Lâ
Artesh
essaie de
1
Kayhan
, 10 décembre, 1996.
235
restreindre les activités des
Pasdaran
dans le Golfe et de les empĂȘcher dâengager les Ătats-
Unis.
Les missiles iraniens
Un autre atout de lâIran est son programme de missiles. Ce programme avait Ă©tĂ©
dĂ©veloppĂ© Ă la suite de, et en raison de lâexpĂ©rience de, la guerre contre lâIrak. Bagdad Ă©tait
la cible visĂ©e au dĂ©part, mais aujourdâhui câest Tel-Aviv. Le programme de missiles de lâIran
ne peut servir que pour la dissuasion, Ă©tant donnĂ© la supĂ©rioritĂ© dâIsraĂ«l qui possĂšde aussi
des sous-marins dans le golfe Persique capables de lancer des missiles nucléaires.
La distance la plus courte entre la frontiĂšre de lâIran et Bagdad est de 130 km. Pendant la
guerre Iran-Irak, et plus particuliĂšrement durant la « guerre des villes » de 1988, lâIran a
tiré des missiles Scud sur Bagdad, avec une portée de 300 km et une charge utile de
1 000 kg. AprĂšs la guerre, lâIran a essayĂ© de dĂ©velopper des sĂ©ries de missiles
Mushak
avec
des portĂ©es de 130 Ă 200 km dans le seul but dâatteindre Bagdad. En 1989, lâIran a importĂ©
200 missiles chinois CSS-8 avec une portée de 150 km et une charge utile de 190 kg, la
cible Ă©tant encore Bagdad. Depuis la fin de la guerre, lâIran a achetĂ© en CorĂ©e du Nord des
missiles Scud avec des portées atteignant 500 km.
Le dĂ©veloppement des missiles, de mĂȘme que les recherches nuclĂ©aires, ont finalement
servi un seul but : la dissuasion. Ce dĂ©veloppement Ă©tait fondĂ© sur lâexpĂ©rience de la guerre
avec lâIrak et sur la constatation que le droit et les institutions internationales nâĂ©taient pas
les moyens sur lesquels on pouvait compter pour sa survie.
Comme lâexplique Chubin
1
,
lâIran sâest tournĂ© vers lâest, notamment la Chine et CorĂ©e
du Nord, pour lâacquisition des missiles et technologies, en raison de son incapacitĂ© Ă se
procurer une quantitĂ© de missiles nĂ©cessaire pour faire face Ă lâIrak en 1987-88. En mĂȘme
temps, Ă cause dâembargos imposĂ©s Ă la RĂ©publique islamique, il y a eu un programme de
développement de missiles en interne.
Oghab
(lâaigle) et
Shahin
(le faucon) sont les fruits de
1
Chubin, Shahram,
Iranâs National Security Policy: Intentions, Capabilities and Impact,
Carnegie
Endowment, Washington DC, 1994, p. 22-25.
236
ce dĂ©veloppement. En 1989, lâIran a annoncĂ© la fabrication dâun nouveau missile avec une
portée de 200 kilomÚtres
1
.
En 1999, lâIran a testĂ© le
Shahab 3,
un dérivé du
Nodong 1
de la Corée du Nord avec une
portée de 1 300 kms et une charge utile de 750 kg. Ceux-ci peuvent atteindre Israël : Tel-
Aviv est à 1 020 kms. La portée supplémentaire pourrait donner la capacité à ce missile
dâadopter une courbe de trajectoire plus convexe, atteignant une vitesse dâentrĂ©e qui
empĂȘche leur interception par le systĂšme de dĂ©fense aĂ©rien israĂ©lien,
Arrow
2
. LâIran, selon
des rumeurs, développerait aussi le
Shahab 4,
avec une portée de 2 000 kms et une charge
utile de 1 000 kgs.
En juillet et septembre 2000, lâIran aurait testĂ© le
Chehab-3D
qui utiliserait des fuels
solides et liquides, et déclare avoir fabriqué cinq missiles balistiques sous le contrÎle des
gardiens islamiques révolutionnaires (
pasdaran
3
).
« La construction du missile Shahab-3 nâest pas en infraction avec la politique de paix
de la RĂ©publique islamique de lâIran, qui cherche la dĂ©tente et lâĂ©tablissement de la paix
et de la sécurité dans la région comme principe. En fait, ceci est une garantie pour la
paix et la sécurité dans la région du golfe Persique, contre ceux qui commettent des
agressions contre les droits des nations. »
4
La guerre avec lâIrak a dĂ©truit 75 % des avions militaires iraniens â de production
amĂ©ricaine â et rendu les 25 % restants dâune utilitĂ© incertaine, pour manque dâaccĂšs aux
piĂšces de rechange. Depuis, lâIran sâest tournĂ© vers lâUnion soviĂ©tique (et ensuite la Russie)
comme fournisseur de matĂ©riel. LâIran a aussi rĂ©cupĂ©rĂ© des avions soviĂ©tiques irakiens, en
1991, quand les pilotes irakiens se sont enfuis. En janvier 1991, lâIran dĂ©clare avoir lancĂ© un
programme de fabrication de missiles de longue portée, de missiles à courte portée, de type
1
INRA, 19 avril 1989. Repris dans Chubin, Shahram,
Iranâs National Security Policy: Intentions,
Capabilities and Impact
, Carnegie Endowment, Washington DC, 1994, p. 22.
2
Speier, Richard, « Iranian Missiles and Payloads », dans Kemp, Geoffrey, ed.,
Iranâs Nuclear
Weapons Options: Issues and Analysis,
The Nixon Center, DC, 2001, p. 57.
3
Arms Control Today
, octobre 2000, repris dans Chubin, Shahram,
Whither Iran? Reform, Domestic
Politics and National Security
, Oxford University Press, Oxford, 2002, p. 56.
4
Mohsen Rezai, juillet 1998, cité dans Schake, p. 27.
237
sol Ă sol (
ground to ground
) tel que le
Fazeat
(80-150 kms),
Fadjr
et
Zehal
(200 kms), ainsi
que des missiles anti-bateaux et des missiles de croisiĂšre, et le missile balistique
Chehab-3
1
.
Ayant des bases industrielles et intellectuelles, lâIran a mĂȘme pu dĂ©passer son
fournisseur nord-corĂ©en. Lâinfrastructure des missiles balistiques en Iran est dĂ©sormais plus
sophistiquĂ©e que celle de la CorĂ©e du Nord. Elle a bĂ©nĂ©ficiĂ© de lâassistance Ă long terme de
la Russie et la Chine. DâaprĂšs un rapport du CongrĂšs amĂ©ricain de 1988, lâIran fait des
progrÚs rapides pour le développement du
Shahab-3 MRBM
qui, comme le
Nodong
de la
Corée du Nord, a une portée de 1 300 kms
2
.
Ce mĂȘme rapport a jugĂ© que « lâIran a
désormais la capacité et les ressources pour la fabrication de missiles balistiques de portée
ICBM, similaire au TD-2, basĂ© sur la technologie Scud [âŠ] mais quâil nâa pas pris la
décision de lancer le programme de fabrication. »
Cependant, il faut tempérer les déclarations alarmistes de la presse sur le programme de
missiles iraniens. Les missiles que lâIran dĂ©veloppe actuellement ne sont pas de type
« intelligent », capables dâune grande prĂ©cision pour atteindre leurs cibles. Leur seule utilitĂ©
est dans le cas dâattaques contre des villes et des cibles Ă©tendues. Comme le note Byman, ils
peuvent Ă la limite ĂȘtre utilisĂ©s contre des zones de concentration de troupes, compliquant
ainsi les opĂ©rations dâune campagne amĂ©ricaine
3
.
En 1995, lâArabie Saoudite a finalisĂ© un systĂšme de dĂ©fense aĂ©rien â le bouclier de
paix â qui a coĂ»tĂ© 8 milliards de dollars et qui lie les systĂšmes de radars avancĂ©s de rayon
court, moyen et long aux AWACS saoudiens, avions dâattaque, et aux missiles SAM et
systĂšmes antiaĂ©riens. Ceci pourrait devenir la base dâun systĂšme de dĂ©fense aĂ©rien pour le
Golfe. Le KoweĂŻt, en 1995, a Ă©tabli un systĂšme similaire Ă une plus petite Ă©chelle et a
cherchĂ© Ă lier son systĂšme dâavertissement avancĂ© (
advanced warning system
) Ă celui de
lâArabie Saoudite. Le commandement aĂ©rien dâOman planifie actuellement un systĂšme et
une mise Ă niveau similaires Ă ceux de lâArabie Saoudite. En 2001, le CCG
4
a aussi
1
The New York Times,
13 mars 2001,
Defense News,
12 mars 2001, cités dans Chubin, Shahram,
Whither Iran? Reform, Domestic Politics and National Security
,
Oxford University Press, Oxford, 2002,
p. 56.
2
Executive Summary of the Report to the Commission to Assess the Ballistic Missile Threat to the United States.
Pursuant to Public Law 201. 104th Congress
, Washington, 15 juillet 1998.
3
Byman, Daniel, Wise, John, L.,
The Persian Gulf in the Coming Decade: Trends, Threats, and Opportunities
,
RAND Project Air Force, 2002, p. 29.
4
Regroupant lâArabie Saoudite, le KoweĂŻt, lâOman, les Ămirats arabes unis, le Qatar, le BahreĂŻn.
238
commencĂ© la construction dâun systĂšme conjoint de dĂ©fense aĂ©rienne â
Hizaam Al
Taawun
ou bouclier de coopĂ©ration â qui est liĂ© au systĂšme de dĂ©fense aĂ©rien de chaque
Ătat
1
. Face à ces développements sophistiqués et coûteux, les missiles iraniens ne peuvent
avoir dâutilitĂ© que pour la dissuasion.
Lâouvrage trĂšs complet de Cordesman sur la capacitĂ© militaire iranienne
2
fournit une
étude détaillée de tous les aspects de la puissance iranienne, y compris la capacité nucléaire
et les moyens d'envoi (
delivery
). Lui aussi confirme la capacité autonome de fabrication des
missiles balistiques, de croisiĂšre ou Ă longue portĂ©e de lâIran, capables dâatteindre IsraĂ«l.
Lâavantage des missiles sur les avions est de ne pas nĂ©cessiter de piĂšces de rechange. Avec
lâembargo et la baisse importante des budgets de dĂ©fense iraniens, les seules sources
dâapprovisionnement possible dâavions sont la Russie et la Chine. Les appareils chinois ne
sont pas assez sophistiquĂ©s, et ceux de la Russie obligeront lâIran Ă sâentraĂźner sur les
systÚmes soviétiques, alors que les forces iraniennes sont formées sur les appareils
occidentaux. Les missiles sont aussi comparativement beaucoup plus simples Ă fabriquer
en interne.
Les intĂ©rĂȘts communs : pĂ©trole, gaz et sĂ©curitĂ© du Golfe
LâintĂ©rĂȘt immĂ©diat principal des Ătats-Unis dans le golfe Persique est le libre
acheminement du pétrole du Golfe vers les pays industrialisés. En tant que Directeur
gĂ©nĂ©ral de Halliburton, Cheney sâĂ©tait souvent interrogĂ© sur lâintĂ©rĂȘt des sanctions contre
lâIran. La production et lâexportation ininterrompue du pĂ©trole et du gaz sont les premiers
intĂ©rĂȘts communs de lâIran et des Ătats-Unis. Pour celui-ci, le contrĂŽle et la propriĂ©tĂ© de ce
pĂ©trole ou lâobtention de ses bĂ©nĂ©fices â que ce soit par le biais de firmes amĂ©ricaines,
europĂ©ennes, russes, iraniennes saoudiennes, ou irakiennes â sont des Ă©lĂ©ments
dâimportance mais demeurent une prĂ©occupation secondaire. Le premier facteur â
production et transport â affecte lâĂ©conomie mondiale (le Golfe fournit 25 % de la
consommation mondiale de pĂ©trole), le deuxiĂšme est lâintĂ©rĂȘt financier des firmes
amĂ©ricaines, qui sont parmi les plus puissants groupes de pression aux Ătats-Unis.
1
Ibid., p. 54.
2
Cordesman, Anthony H.,
Iranâs Military Force in Transition: Conventional Threats and Weapons of Mass
Destruction
, Praeger, Connecticut, 1999.
239
LâĂ©conomie mondiale, depuis la Seconde Guerre mondiale, sâest construite sur la base
dâune fourniture Ă©nergĂ©tique bon marchĂ©. Nous avons vu au chapitre 4 lâimpact de
lâaugmentation des prix de lâOPEP ; lâĂ©conomie mondiale sâeffondrera si cette base est
modifiée
1
.
Approximativement, 25 % de la production mondiale de pétrole vient de la région du
Golfe. LâArabie Saoudite, seule, fournit environ 15 % de cette production et lâIran plus de
4 %. Le golfe Persique contient deux tiers des réserves mondiales de pétrole, pétrole dont la
production est la plus Ă©conomique au monde
2
. La perte du pétrole saoudien, ou la
combinaison dâun pĂ©trole iranien et irakien produiraient probablement une rĂ©cession
mondiale plus importante que celle des années 30.
1
Pollack, Kenneth M.,
Securing the Persian Gulf: Washington Must Manage Both External Aggression and
Internal Instability
, Brookings, Washington, DC, 2003 (Reprint from article in
Foreign Affairs
,
July/August, 2003).
2
Ibid.
0
100
200
300
400
500
600
700
800
Amérique du Nord
Amérique Centrale et du Sud
Europe
FSU
Golfe
Afrique du Nord
Afrique Sous-Saharien
Asie Pacifique
Milliards de Barils
Afrique Sub-Saharienne
Importance du Moyen-Orient: réserves mondiales de pétrole
Source: Oil and Gas Journal & Bp Statistical Review of World Energy 1999.
* Nigeria, Angola, Colombie, Venezuela
FSU *
% des RĂ©serves par Pays
Source: BP Amaco Statistical Review of World Energy 1999
Arabie
Saoudite
36%
UAE
14%
Iran
13%
Reste
8%
Irak
16%
Kuweit
13%
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
100%
1
% des RĂ©serves par Pays
Source: BP Amaco Statistical Review of World Energy 1999
Arabie
Saoudite
36%
UAE
14%
Iran
13%
Reste
8%
Irak
16%
Kuweit
13%
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
100%
1
240
Les Ătats-Unis et lâIran ont aussi tous les deux le mĂȘme intĂ©rĂȘt stratĂ©gique pour un
dĂ©veloppement stable du transport de lâĂ©nergie du bassin caspien, Ă travers la Turquie et
lâAsie centrale. Ils ont aussi intĂ©rĂȘt Ă limiter la dĂ©pendance de ces pays vis-Ă -vis de la Russie.
LâIran est un trajet potentiel important pour les olĂ©oducs, gazoducs et pour le commerce, et
peut garantir lâaccĂšs de la Turquie Ă des sources dâĂ©nergie Ă©conomiques. Les incertitudes
gĂ©opolitiques rĂ©centes renforcent lâargument en faveur des voies de passage multiples pour
les olĂ©oducs et gazoducs, mĂȘme si cela pourrait mettre leur viabilitĂ© Ă©conomique en cause.
LâIran de son cĂŽtĂ© a surtout besoin dâinvestissements et de technologie et pas seulement
dans le domaine de lâĂ©nergie. LâIran, en tant que « troisiĂšme acteur », peut aussi minimiser
le risque de tension entre les Ătats-Unis et la Russie pour avoir une influence dans le
dĂ©veloppement du bassin caspien et lâAsie centrale.
En 1995 lâoccasion sâest prĂ©sentĂ©e pour que les relations entre les deux pays puissent
faire un pas en avant, avec lâaccord passĂ© entre lâIran et Conoco pour dĂ©velopper un
domaine gazier
offshore
dans le golfe Persique. Conoco avait gagné le contrat en battant
Total. Bien que ce contrat soit tombé en dehors de la politique de « double maßtrise » il était
Ă tout point de vue lĂ©gal. Mais les Ătats-Unis se sont opposĂ©s Ă ce contrat en imposant des
sanctions unilatĂ©rales Ă lâIran, et en interdisant aux sociĂ©tĂ©s amĂ©ricaines de faire des affaires
avec la RĂ©publique islamique.
La production et le passage ininterrompu du pétrole réclament la sécurité dans le Golfe.
Il est naturel que les acteurs qui bénéficient de cette stabilité partagent le coût de son
maintien. Une Ă©tude de
RAND
de 2003 indique quâil y avait trois pĂŽles potentiels de
pouvoir dans la rĂ©gion du Golfe : lâArabie Saoudite et les autres membres du CCG â le
0
200
400
600
800
1000
1200
1400
1600
1800
Russie
Iran
Qatar
UAE
Arabie Saoudite
US
Trillions de mĂštres cubique
Importance du Moyen-Orient: réserves mondiales de gaz
Source: Oil and Gas Journal & Bp Statistical Review of World Energy 1999.
241
KoweĂŻt, lâOman, les Emirats Arabes Unis, le Qatar, le BahreĂŻn â lâIran et lâIrak. Avec
lâinvasion et le dĂ©mantĂšlement rĂ©cent de lâIrak, il nâen reste que deux. LâArabie Saoudite et
les Ătats du Golfe avec leurs investissements rĂ©cents importants et lâaccĂšs Ă la technologie
militaire amĂ©ricaine ont pris une avance dâune gĂ©nĂ©ration sur lâIran en termes de qualitĂ© du
matĂ©riel. Mais leurs forces militaires nâont pas la capacitĂ© de contrer lâennemi et dâutiliser
ces matĂ©riels de maniĂšre efficace. Beaucoup de ces Ătats ont des pĂ©nuries de personnel,
leurs possibilitĂ©s de recrutement Ă©tant limitĂ©es. En outre il arrive souvent que les Ătats du
Golfe ne possĂšdent pas lâinfrastructure nĂ©cessaire pour faire fonctionner leurs systĂšmes.
LâentraĂźnement du personnel militaire et la maintenance des Ă©quipements sont superficiels
et nĂ©gligĂ©s. Leurs facultĂ©s de combat et de manĆuvre sont pauvres sauf pour lâarmĂ©e de
lâair oĂč plusieurs Ătats du Golfe ont de bonnes capacitĂ©s dâopĂ©rations air-air, mais peu de
capacité air-sol
1
.
Mais ces pÎles apprécient de moins en moins la présence américaine dans la région. Le
sort de lâIrak nâest pas clair pour le futur proche et la plupart des actions amĂ©ricaines sont
trĂšs impopulaires. Le soutien loyal et inconditionnel dâIsraĂ«l est ce que ces pays reprochent
le plus aux Ătats-Unis. Le traitement des Palestiniens par IsraĂ«l est devenu sujet Ă critique,
non seulement pour les Ătats du Golfe, mais trĂšs rĂ©cemment pour la quasi-totalitĂ© des pays
du monde. Le 19 mai 2004, le Conseil de sĂ©curitĂ© de lâONU a unanimement condamnĂ© le
refus dâIsraĂ«l de respecter les droits de lâhomme Ă Gaza
2
. Ces facteurs représentent une
opportunitĂ© pour lâIran dâassumer de nouveau un rĂŽle sĂ©curitaire plus important dans le
Golfe. La gĂ©ographie et la population de lâIran lui donnent une position de domination
naturelle et un intĂ©rĂȘt stratĂ©gique rĂ©el
3
, dâautant plus quâavec les Ă©vĂ©nements rĂ©cents en
Irak, les Ătats-Unis pourraient bien avoir besoin de lâIran pour assumer ce rĂŽle.
Lâobjectif principal des Ătats-Unis nâest pas alors de simplement assurer le libre passage
du pĂ©trole, mais dâempĂȘcher lâIran, ou un autre Ătat, de perturber ce passage, ou bien
encore dâavoir une influence trop forte sur les ressources de la rĂ©gion â comme cela a Ă©tĂ©
le cas du Shah à la fin de son rÚgne. Dans ce contexte, les armes nucléaires ont une
1
Byman, Daniel, Wise, John, L.,
The Persian Gulf in the Coming Decade: Trends, Threats, and Opportunities
,
RAND Project Air Force, 2002, p. xiv.
2
BBC 19 mai 2004. Les USA nâont pas utilisĂ© leur veto Ă cette occasion, mais se sont abstenus.
3
Rathmell, Andrew, Karasik, Theodore, Gompert, David,
A New Persian Gulf Security System
, RAND,
Washington, 2003.
242
importance rĂ©elle dans le positionnement stratĂ©gique de lâIran. Car les Ătats-Unis, dâaprĂšs
Pollack
1
, « veulent avoir un accĂšs militaire Ă cette rĂ©gion dâimportance gĂ©ostratĂ©gique afin
de préserver leur influence sur les événements au Moyen-Orient, en Asie centrale, en
Afrique de lâOuest, et en Asie du Sud ». DâaprĂšs Pollack, cette stratĂ©gie fonctionnera mieux
maintenant que dans les annĂ©es 1970, car « Ă lâĂ©poque Ă la fois lâIran et lâIrak Ă©taient trop
forts [âŠ] aujourdâhui ils sont beaucoup plus faibles et semblent le demeurer, du moins
jusquâĂ ce que lâIran acquiert lâarme nuclĂ©aire. »
Mais mĂȘme sans les armes nuclĂ©aires, lâIran a amĂ©liorĂ© sa capacitĂ© Ă perturber le passage
du pĂ©trole par le DĂ©troit dâOrmuz : « le pays a acquis des sous-marins Kilo en Russie et est
en train dâamĂ©liorer la capacitĂ© de ses missiles antinavires et accĂ©dera bientĂŽt par
dĂ©veloppement interne Ă des missiles Ă longue portĂ©e capables dâatteindre lâArabie
Saoudite et Israël »
1
.
Les mesures de coopĂ©ration et dâamĂ©lioration de la confiance entre lâIran
et les Etats-Unis
Si les intĂ©rĂȘts actuels ont permis au ViĂȘt-nam et aux Ătats-Unis dâoublier leur lourd
passĂ© et de coopĂ©rer, dans le cas de lâIran et des Ătats-Unis, cela devrait ĂȘtre encore plus
simple. La RĂ©publique islamique a dĂ©jĂ pris des mesures Ă lâĂ©gard des universitaires et des
dissidents iraniens pour montrer son ouverture grandissante. Ces actions peuvent sâĂ©tendre
aux personnalités et universitaires américains en désaccord avec les politiques de
gouvernement Bush. Dans le contexte actuel, il y a beaucoup de personnalitĂ©s aux Ătats-
Unis qui sont opposĂ©es Ă lâadministration Bush et Ă la guerre en Irak. Ces individus
peuvent ouvrir une voie parallÚle de dialogue avec le nouveau gouvernement du Président
Ahmadinejad, Ă©vitant ainsi que les relations entre les deux pays ne se dĂ©gradent dâavantage.
Un dĂ©but de rapprochement doit permettre aux deux parties dâaborder dans une future
proche, et sur un plan plus officiel, le sujet de la prise dâotages de lâambassade amĂ©ricaine
ou celui de lâincident de lâavion civil dâ
Iran Air
. On pourrait évoquer les erreurs du passé et
1
Ibid.
243
en quelque sorte regretter la chute de Mossadegh. Les Ătats-Unis pourraient laisser
entendre que le dĂ©veloppement Ă©nergĂ©tique et Ă©conomique de lâIran est conforme Ă leur
intĂ©rĂȘt Ă long terme et quâils investiront en Iran une fois que les dĂ©veloppements
démocratiques garantiront la viabilité de ces investissements. Toute action qui pourrait
faciliter le fonctionnement rapide de lâindustrie nuclĂ©aire civile iranienne empĂȘchera lâIran
à chercher à développer des applications militaires de cette technologie. La geste de
Washington en Mars 2005, de ne plus sâopposer Ă la candidature iranienne Ă lâOMC, ainsi
que son annulation de lâembargo sur les piĂšces pour les avions civils iraniens vont dans le
sens dâun rapprochement entre les deux pays. Le passage des pipelines Ă travers lâIran
pourrait ĂȘtre un autre enjeu commun pour les deux parties pouvant faciliter leur
coopération. Enfin, les deux pays pourraient participer à une conférence semi officielle sur
la sĂ©curitĂ© du Golfe, dans un pays du Golfe, ce qui pourrait ĂȘtre lâamorce dâun dialogue.
Maintenant que leur intervention en Irak nâa produit que des scandales humanitaires et
financiers, les Ătats-Unis doivent reconnaĂźtre que leurs discours moralisateurs ne peuvent
plus servir de prĂ©texte Ă lâinvasion dâun pays dans le but de sâaccaparer ses ressources. Mais
si dans le cas dâIrak, les Ătats-Unis avaient misĂ© sur leur certitude dây trouver des armes de
destruction massive, dans le cas de lâIran ils insistent sur « lâintention » de lâIran Ă utiliser
son industrie nuclĂ©aire Ă des fins militaires. DĂ©noncer le programme nuclĂ©aire de lâIran â
qui est dans la légalité totale du TNP et qui peut au mieux servir de dissuasion virtuelle,
tout en maintenant une conspiration du silence sur les armes nuclĂ©aires dâIsraĂ«l â ne
créera pas un environnement de coopération, devenu désormais trÚs urgent. Sur le plan
sĂ©curitaire, la politique des Ătats-Unis doit ĂȘtre plus raisonnable et moins discriminatoire.
Renoncer Ă la rhĂ©torique de l'action prĂ©ventive et Ă lâinjustice de la diffamation sera utile.
ReconnaĂźtre les besoins lĂ©gitimes de l'Iran en matiĂšre de sĂ©curitĂ© et de dĂ©fense, l'associer Ă
des discussions régionales et lui garantir ainsi une plus grande participation à la stabilité de
la rĂ©gion sera un dĂ©but de transfert dâun certain rĂŽle sĂ©curitaire Ă lâIran. La fourniture
1
CIA,
Statement by Acting Director of Central Intelligence George J. Tenet Before The Senate Select Committee
On Intelligence Hearing On Current And Projected National Security Threats to the United States
, 5 février
1997.
244
dâarmement conventionnel Ă lâIran couplĂ© Ă des garanties de non-agression dâIsraĂ«l
diminuera, dâaprĂšs Chubin, le besoin de « chercher des substituts nuclĂ©aires »
1
.
Dâautres mesures de coopĂ©ration peuvent consister en des accords rĂ©gionaux de contrĂŽle
des armements et des garanties de non-emploi de l'arme nuclĂ©aire par les Ătats-Unis et
IsraĂ«l contre des Ătats qui ne la possĂšdent pas, en attendant de faciliter la dĂ©nuclĂ©arisation
du Moyen-Orient. Chubin soutient quâaucune de ces mesures n'est inacceptable pour les
Ătats-Unis et quâelles devraient ĂȘtre envisagĂ©es indĂ©pendamment d'un accord formel avec
l'Iran
2
.
Un courant favorable au rĂ©tablissement de relations Ă©troites et profitables avec lâIran a
existĂ© dans les administrations amĂ©ricaines depuis lâarrivĂ©e au pouvoir en Iran des
« rĂ©formateurs ». Mais le courant opposĂ© lâa emportĂ© en sâappuyant sur leur conviction que
les rĂ©formateurs iraniens avaient fait preuve dâimpuissance. Avec lâĂ©lection de PrĂ©sident
Ahamadinejad, les Ătats-Unis nâont dâautre option valable que de trouver un arrangement
provisoire avec le pouvoir en place.
LâIran possĂšde un emplacement gĂ©ographique, une population importante avec un bon
niveau dâĂ©ducation, une armĂ©e bien formĂ©e et professionnelle, ainsi que lâexpĂ©rience
rĂ©cente dâavoir assumĂ© un rĂŽle sĂ©curitaire dans le Golfe. Câest un acteur respectĂ© par les
Ătats de la rĂ©gion et il pourrait garantir la stabilitĂ© et dĂ©veloppement de la rĂ©gion. La
coopĂ©ration entre lâIran et les Ătats-Unis en matiĂšre de sĂ©curitĂ© et de dĂ©veloppement du
Golfe doit ĂȘtre lâobjectif Ă long terme. Pour que celle-ci puisse se concrĂ©tiser et soit durable,
il est indispensable que lâIran continue son processus de dĂ©mocratisation. Pas
nĂ©cessairement une dĂ©mocratie « Ă lâOccidentale » mais au moins un systĂšme comprenant
des contre-pouvoirs politiques qui puissent garantir la reprĂ©sentation et les intĂ©rĂȘts de tous.
Ă cet Ă©gard, le rĂŽle de la communautĂ© internationale doit ĂȘtre de veiller Ă ce que le rĂŽle
sĂ©curitaire de lâIran se double de rĂ©formes intĂ©rieures garantissant la libertĂ© et la justice.
1
Chubin, Sharam,
Modifier la politique nucléaire de l'Iran plutÎt que provoquer un «changement de régime»
,
Centre de politique de sécurité de GenÚve, 18 juin 2003.
2
Ibid.
245
Conclusion
Si les Ătats-Unis sâopposent aujourdâhui avec virulence au programme nuclĂ©aire iranien,
il nâest pas inutile de rappeler et dâexpliquer comment lâintroduction de lâatome en Iran
sâest faite Ă leur propre initiative en 1957. Ă lâĂ©poque, cette incitation Ă introduire des
activitĂ©s nuclĂ©aires dans ce pays sâest dĂ©roulĂ©e dans le cadre du programme « Atomes pour
la Paix ». LâIran de lâĂ©poque nâavait bien sĂ»r aucunement besoin de la technologie
nuclĂ©aire, mais cette mĂȘme technologie lui a fourni les moyens de dissuasion contre les
Ătats-Unis mĂȘmes, un demi-siĂšcle plus tard : en quelque sorte lâatome a servi pour la « paix
en Iran ».
Il faut aussi comprendre que le rejet de la part des Ătats-Unis du programme nuclĂ©aire
iranien ne date pas de lâavĂšnement de la RĂ©publique islamique. MĂȘme Ă lâĂ©poque du
lancement de ce programme, sous le rĂ©gime Pahlavi, les amĂ©ricains sây opposaient. Pour le
motif, entre autres, que les iraniens nâavaient pas optĂ© pour lâachat de rĂ©acteurs amĂ©ricains,
mais de modÚles allemands et français.
Lâinitiative amĂ©ricaine dans les annĂ©es 50 Ă©tait basĂ©e sur leur position de faiblesse pour le
contrĂŽle du secteur nuclĂ©aire. La participation de lâIran, comme des autres pays, au
programme « Atomes pour la Paix » a permis aux Ătats-Unis de crĂ©er un rĂ©gime
international leurs assurant le contrĂŽle de ce secteur. Leur but Ă©tait dâempĂȘcher
lâacquisition de la capacitĂ© nuclĂ©aire militaire par de nouveaux pays. Cette acquisition par
les nations fortes, lâUnion soviĂ©tique (1949), le Royaume-Uni (1952), la France (1960)
nâavait pas pu ĂȘtre contrĂŽlĂ©e par les Ătats-Unis. Lâacquisition de lâarme nuclĂ©aire par la
Chine (1964), un pays en voie de dĂ©veloppement, a amenĂ© les Ătats-Unis Ă renforcer le
rĂ©gime de la non-prolifĂ©ration par la crĂ©ation dâun organe international de contrĂŽle
246
(lâAIEA
1
) et un traitĂ©, le TraitĂ© de non-prolifĂ©ration (TNP), auquel lâIran a immĂ©diatement
adhĂ©rĂ©. IsraĂ«l, avec lâappui discret des Ătats-Unis et lâassistance technique de la France, a pu
échapper à toute mesure de contrÎle et a obtenu la capacité nucléaire militaire en 1967-68.
Les Ătats-Unis ont utilisĂ© lâaccession de lâInde Ă la capacitĂ© nuclĂ©aire militaire (1974)
comme prĂ©texte pour empĂȘcher lâaccĂšs de tout nouveau pays Ă lâutilisation de lâĂ©nergie
nuclĂ©aire. Câest parce que lâInde avait utilisĂ© les dĂ©chets de ses centrales civiles pour cet
essai que les Ătats-Unis ont dĂ©cidĂ© de mettre fin Ă toute coopĂ©ration internationale dans ce
domaine et dâempĂȘcher le lancement de nouvelles industries nuclĂ©aires dans le monde.
LâInde nâĂ©tait mĂȘme pas signataire du TNP, et de plus le type de rĂ©acteur quâelle avait
utilisĂ© Ă©tait diffĂ©rent de celui adoptĂ© par les utilisateurs pacifiques de lâĂ©nergie nuclĂ©aire. De
plus, les activitĂ©s de retraitement, qui ont permis lâextraction du plutonium des dĂ©chets,
nâĂ©taient pas sous le contrĂŽle de lâAIEA. La vĂ©ritable raison de lâarrĂȘt, par les Ătats-Unis, de
la coopération internationale dans ce secteur était la perte de leur monopole sur le marché
dâenrichissement commercial. Une bonne part du marchĂ© des rĂ©acteurs avait dĂ©jĂ Ă©chappĂ©
aux AmĂ©ricains au profit de la France et de lâAllemagne. Avec lâentrĂ©e de lâEurope dans le
marchĂ© de lâenrichissement, les AmĂ©ricains nâavaient plus aucun intĂ©rĂȘt dans le maintien et
la croissance du secteur nuclĂ©aire international. LâInde avait fourni « lâĂ©vĂ©nement »
nĂ©cessaire pour justifier lâarrĂȘt par les Ătats-Unis de la coopĂ©ration internationale dans ce
domaine. Ce marchĂ© ne leur servit plus Ă rien, et allait mĂȘme augmenter le coĂ»t de leurs
interventions militaires.
Si le « changement de régime » de Mossadegh, orchestré par la CIA, avait facilité le
retour du Shah sur le trĂŽne, celui-ci avait aussi fourni aux Ătats-Unis 40 % des bĂ©nĂ©fices de
lâindustrie pĂ©troliĂšre iranienne. Une partie importante des bĂ©nĂ©fices iraniens servit aussi
aux achats dâarmes auprĂšs des Ătats-Unis pendant les vingt-cinq annĂ©es qui ont suivi le
rétablissement du Shah. Le départ des forces britanniques du golfe Persique en 1971 a
fourni lâoccasion au Shah dâassumer un rĂŽle sĂ©curitaire important dans la rĂ©gion. La
contrepartie pour celui-ci Ă©tait la rĂ©cupĂ©ration totale des bĂ©nĂ©fices de lâindustrie pĂ©troliĂšre.
Mais il visait aussi à enrayer la baisse continue des prix pétroliers en termes réels par le biais
dâune action collective de lâOPEP, ce qui nâĂ©tait plus acceptable pour les Ătats-Unis. Ceci,
1
LâAgence Internationale de lâEnergie Atomique.
247
couplĂ© avec la volontĂ© du Shah dâajuster ses dĂ©penses dâarmement aux besoins du pays et
de sâĂ©quiper chez les meilleurs fournisseurs et pas nĂ©cessairement les Ătats-Unis, a fait du
Shah un client inutile aux yeux de ces derniers.
Lâintroduction de lâindustrie nuclĂ©aire iranienne en 1974 sâest faite dans ces conditions
de mĂ©fiance entre les Ătats-Unis et lâIran. Ce programme Ă©tait un des piliers de
lâindustrialisation accĂ©lĂ©rĂ©e du pays : dâune part la nation prĂ©voyait un Ă©quilibre
Ă©nergĂ©tique optimal, et dâautre part la diminution de lâutilisation du pĂ©trole pour la
consommation énergétique permettait son utilisation à des fins de diversification. Le
moment prĂ©cis du lancement de cette industrie a Ă©tĂ© choisi pour deux raisons : dâabord
lâaugmentation des prix pĂ©troliers fournissait les revenus nĂ©cessaires pour des
investissements dâenvergure. DeuxiĂšmement, en tant que puissance hĂ©gĂ©monique
rĂ©gionale, lâIran ne pouvait pas ignorer le statut nuclĂ©aire dâIsraĂ«l et de lâInde. MĂȘme si le
programme de lâIran Ă©tait de nature strictement commerciale (usage civil), il fournissait
deux Ă©lĂ©ments indispensables pour lâIran : dâune part, lâindustrie nuclĂ©aire pouvait servir
dans lâimmĂ©diat de symbole et, dâautre part, la capacitĂ© de recherche et les technologies Ă
double usage pouvaient, si besoin Ă©tait, fournir Ă lâIran une capacitĂ© de dissuasion nuclĂ©aire
dans le futur. Lâoption nuclĂ©aire militaire nâĂ©tait pas une fin en soi pour le Shah. Ce dernier
poursuivait activement Ă lâONU la dĂ©nuclĂ©arisation du Moyen-Orient. Mais la survie de sa
nation était importante. Il voulait se donner les moyens de la défendre contre une menace
nuclĂ©aire si un jour celle-ci se prĂ©sentait. En ce sens lâacquisition dâun savoir-faire et
dâinstallations nuclĂ©aires prĂ©sentait autant dâimportance que lâaspect Ă©nergĂ©tique et
Ă©conomique.
Le lancement de lâindustrie nuclĂ©aire iranienne sâest effectuĂ© dans des conditions
dâurgence. Dâun cĂŽtĂ© deux pays de la rĂ©gion, lâInde et IsraĂ«l, avaient dĂ©veloppĂ© des
capacitĂ©s nuclĂ©aires militaires : lâIran avait besoin dâune telle industrie pour son aspect
symbolique. De lâautre cĂŽtĂ©, les AmĂ©ricains, ayant utilisĂ© lâessai nuclĂ©aire indien comme
prétexte, avaient commencé à faire pression sur les fournisseurs nucléaires pour
interrompre la coopĂ©ration internationale dans ce secteur. Un troisiĂšme facteur dâurgence
Ă©tait le quadruplement soudain des revenus pĂ©troliers de lâIran : il fallait trouver un moyen
rapide dâinvestissement de ces recettes pour Ă©viter la pression inflationniste.
248
De leur cĂŽtĂ©, les AmĂ©ricains avaient commencĂ©, lâannĂ©e oĂč lâIran avait lancĂ© son
programme nucléaire, à mettre fin au commerce international dans ce secteur par le biais
du contrĂŽle des fournisseurs. Aussi Ă©taient-ils mĂ©contents de leur client dâantan qui avait
nationalisĂ© son pĂ©trole, rĂ©tabli les cours internationaux du pĂ©trole, et sâĂ©tait imposĂ© comme
la puissance forte de la région avec un contrÎle direct sur la circulation du pétrole dans le
golfe Persique. En somme, lâIran Ă©tait devenu un ancien client qui refusait mĂȘme dâacheter
ses centrales nuclĂ©aires aux Ătats-Unis.
La rĂ©ponse des Ătats-Unis au dĂ©fi de lâIran a Ă©tĂ© un mĂ©lange de deux mesures : sur le
plan international, le contrÎle des fournisseurs nucléaires a rendu difficile la souveraineté
iranienne sur son cycle du combustible nucléaire. Par ailleurs, les manipulations
américaines des taux de change du dollar ont renversé les gains temporaires des pays
producteurs et ont
de facto
annulé le redressement des cours du pétrole. Tout ceci a imposé
des contraintes importantes sur des pays comme lâIran, qui sâĂ©taient engagĂ©s dans des
programmes industriels et des investissements lourds. En a résulté un mécontentement
populaire, qui a Ă©tĂ© aggravĂ© par le « ciblage » de lâIran par les Ătats-Unis pour le non
respect des droits de lâhomme. Les Ătats-Unis ont aussi favorisĂ© les mouvements
dâopposition nuclĂ©aire dans le monde qui, avec lâinsatisfaction gĂ©nĂ©rale de la population en
Iran, ont facilité la remise en cause du programme nucléaire. Cette situation a aussi favorisé
le changement de rĂ©gime, qui sâest traduit par la rĂ©volution de 1979.
Le programme nucléaire a été dénoncé par le gouvernement révolutionnaire à cause du
« symbole de dĂ©pendance envers lâOccident » quâil reprĂ©sentait Ă ses yeux et Ă cause
dâ« une mauvaise gestion du budget qui ne profitait pas au peuple ». Seules les activitĂ©s de
recherche nuclĂ©aire continueront pendant les premiĂšres annĂ©es de la rĂ©volution : ceci Ă
cause de la guerre avec lâIrak, de lâutilisation par les irakiens des armes chimiques, de
lâembargo sur les armes et du manque de piĂšces de rechange. Ces facteurs poussĂšrent le
gouvernement révolutionnaire à rechercher un moyen autonome de dissuasion. Avec les
ravages de la guerre, lâindĂ©pendance prit moins dâimportance pour le nouveau
gouvernement. Mais les recherches de la RĂ©publique islamique en vue d'obtenir lâaide
Ă©trangĂšre pour le programme nuclĂ©aire ne produisirent pas dâeffet en raison de lâincapacitĂ©
des fournisseurs à exporter du savoir et du matériel nucléaire, du fait de la contrainte des
249
lois de non-prolifĂ©ration des Ătats-Unis. Câest en Chine que la RĂ©publique islamique
trouvera la capacité de résister aux pressions américaines à la fin des années 1980. Mais la
coopération avec la Chine restera limitée à la recherche et la formation.
Avec la fin de la guerre froide, lâIran sâest trouvĂ© dans un environnement plus
menaçant : celui dâun monde unipolaire avec les Ătats-Unis, lâancien patron quâil avait
dénoncé et humilié, comme puissance hégémonique. Mais avec de nouvelles menaces, la
fin de la guerre froide a aussi apporté de nouveaux partenaires. La Russie devient dÚs 1990
le nouveau fournisseur de lâIran. Avec la baisse des moyens financiers et lâembargo
militaire, la dissuasion devient la base centrale de la défense iranienne. Pour cela, un
programme de missile est lancĂ© en 1990 : il fournira Ă lâIran une production interne de
missiles de toutes portĂ©es, capables dâatteindre Tel-Aviv et au-delĂ .
Ainsi la divulgation en 2002 de la capacitĂ© dâenrichissement de lâIran servit deux
fonctions essentielles : installer une « dissuasion virtuelle » contre une invasion américaine,
et, profitant de la division qui rĂ©gnait entre les Ătats-Unis et les autres membres du Conseil
de sécurité, de faire valoir ses droits à un cycle combustible complet. En tant que signataire
du TNP, lâIran a le droit de faire fonctionner un cycle combustible, comprenant les activitĂ©s
dâenrichissement et de retraitement. Mais depuis le lancement de cette industrie en 1974,
les Ătats-Unis sây sont opposĂ© unilatĂ©ralement pour des motifs variĂ©s. Ainsi le
gouvernement iranien chercha à accélérer la mise en fonctionnement de la centrale de
Boushehr, qui a Ă©tĂ© retardĂ©e plusieurs fois pour cause de pression des Ătats-Unis sur la
Russie. La position difficile des Ătats-Unis en Irak, son dĂ©saccord avec les membres du
Conseil de sĂ©curitĂ©, et son impopularitĂ© croissante dans les Ătats du Golfe, ont rendu le
moment de cette divulgation particuliĂšrement bien choisi.
Le programme des missiles iraniens est la deuxiĂšme composante de son systĂšme de
dissuasion : la capacitĂ© dâenrichissement peut dissuader les Ătats-Unis de lâenvahir mais les
missiles capables dâatteindre Tel-Aviv peuvent aussi dissuader IsraĂ«l de lancer une attaque
nuclĂ©aire contre lâIran. LâutilitĂ© de ce programme est limitĂ©e Ă la dissuasion, car lâIran nâa
pas la capacitĂ© dâune deuxiĂšme attaque, tandis quâIsraĂ«l possĂšde des sous-marins dans le
golfe Persique capables de lancer une deuxiĂšme frappe nuclĂ©aire sur lâIran.
250
Parmi les trois choix qui sâoffrent aux Ătats-Unis face Ă cette situation â veto,
acceptation du nuclĂ©aire civil, acceptation du cycle complet de combustion âlâintĂ©rĂȘt des
Ătats-Unis aurait Ă©tĂ© de choisir la seconde, câest-Ă -dire le fonctionnement de la centrale
civile. Mais les dĂ©veloppements trĂšs rĂ©cents semblent indiquer quâils finiront par
reconnaĂźtre les droits de lâIran Ă une activitĂ© dâenrichissement. Lâoption du veto
nĂ©cessiterait de la part des Ătats-Unis une intervention militaire ou un sabotage, des
pressions sur la Russie, ou lâincitation aux troubles internes et au changement de rĂ©gime.
Aucune de ces actions nâest facile ni souhaitable. Au mieux, elles peuvent retarder le
programme civil iranien, mais avec le risque de lâorienter vers un dĂ©veloppement militaire
dont le pays a dĂ©jĂ la capacitĂ©. Un rĂ©gime diffĂ©rent risque de poursuivre lâoption nuclĂ©aire
encore plus activement, comme la République islamique en a fait la démonstration aprÚs le
régime Pahlavi.
Les intĂ©rĂȘts communs de lâIran et des Ătats-Unis, gaz, pĂ©trole, et le passage libre de ce
dernier dans le golfe Persique garanti par la sécurité de la région, fourniraient des
opportunitĂ©s de coopĂ©ration entre les deux nations. Cela doit dâabord passer par lâabandon
dâune rhĂ©torique hostile des deux cĂŽtĂ©s et la prise en considĂ©ration des besoins lĂ©gitimes de
lâIran en matiĂšre de sĂ©curitĂ©. Des mesures Ă moyen et long terme nĂ©cessitent le
renforcement du processus de démocratisation en Iran et peuvent aller, au delà de la
coopĂ©ration Ă©conomique, jusquâau maintien commun de sĂ©curitĂ© dans le golfe Persique.
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Aviation Week and Space Technology
Ayandegan
Azadlyg
BBC
, site web
Bulletin of the Atomic Scientists
Business Week
Congressional Quarterly
CQ Weekly
DĂ©fense Nationale
Ettelaâat
Ettelaâat International
Ettelaâat Siaysi-Eghtesadi
Economist
Electrical World
Factiva (Dow Jones Reuters
Business Interactive)
Federal News Service
Financial Times
Foreign Affairs
Frankfurter Rundschau
Guardian
Hamshahri
International Journal of Middle East Studies
International Organization
International Power Generation
IRNA
Iran Times
Iranian Studies
Jomhuri-e Islami
Keyhan
Keyhan Havai
Los Angles Times
MEED (Middle East Economic Digest)
Meâir Stieglitz
Middle East Journal
Middle East Studies
Middle East News
Modern Power Systems
Moscow Times
National Review Online
New Perspectives Quarterly
New Republic
Nonproliferation Review
Nuclear Fuel
Orbis
Power Economics
Prime-TASS Energy Service (Russie)
Reuters
Scientific American
St. Petersburg Times
Tehran Times
Time
Time Canada
US News and World Report
Wall Street Journal
World Nuclear Energy.
World Politics
Xinhua
Yale Global
265
Annexes
1-
Table dâĂ©vĂ©nements
ĂvĂ©nement
Notes
1938
DĂ©couverte de la fission de lâuranium
- Ă Berlin, Allemagne.
1939
La France commence à obtenir les matériaux
fissiles en mĂȘme temps ou peut-ĂȘtre avant les USA
et lâAngleterre.
- Craignant lâinvasion de lâAllemagne nazie.
- La France obtient de lâeau lourde de la NorvĂšge et
de lâuranium du Congo belge.
1941
-Mohammad Reza Shah Pahlavi accĂšde au trĂŽne
1945
- Fin de la présidence de Roosevelt
(démocrate 1933-1945).
- 12 avril : présidence de Truman
(démocrate, 1945-53).
- AprĂšs la mort de Roosevelt.
****
- Bombe dâHiroshima (uranium enrichi)
- Bombe de Nagasaki, 9 août, (plutonium)
- 72 000 tués, 80 000 blessés à Hiroshima.
- 26 000 tués, 40 000 blessés à Nagasaki.
- De Gaulle crĂ©e le Commissariat Ă lâĂnergie
Atomique (CEA).
- Un an avant son équivalent américain, l⫠US Atomic
Energy Commission. »
1946
- Plan Acheson-Lilienthal (DĂ©partement d'Ătat
américain).
- Le rapport rejette la possibilité d'un contrÎle
international basé seulement sur la promesse des
participants et une inspection internationale.
-Propose le contrÎle international de toute activité
nucléaire dans le monde. Abandonné à cause du refus
de l'Union soviétique.
- CrĂ©ation de lâ«
US Atomic Energy Commission
»
1949
****
- Armes nucléaires de l'Union soviétique.
- DeuxiÚme puissance nucléaire au monde.
1950
- Le MinistÚre de la Défense israélien crée une
division
de recherche et développement nucléaire.
- Au sein de lâInstitut scientifique Weizman.
1951
- Nationalisation de lâindustrie pĂ©troliĂšre en Iran par
Mossadegh.
- Le Shah quitte le pays et ne reviendra quâen 1953.
- En 1954 il accorde 50 % des bénéfices du pétrole
iranien Ă un consortium de 40 % de compagnies
américaines et 40 % anglaises.
1952
****
- Armes nucléaires du Royaume-Uni.
- IsraĂ«l crĂ©e la Commission de lâĂnergie Atomique.
- Une entité secrÚte qui sera rendue publique
seulement en 1954 par le gouvernement israélien.
1953
- Présidence d'Eisenhower (républicain 1953-61).
- Rapport de Dean Acheson, secrĂ©taire d'Ătat
américain : il y a déjà trop de matériaux fissiles dans
le monde pour quâils puissent ĂȘtre contrĂŽlĂ©s.
- Et assurer qu'ils ne seront pas utilisés pour l'usage
militaire.
266
-19 août : La CIA et les services britanniques
renversent le gouvernement de Mossadegh.
- LâIran a Ă©tĂ© sous embargo durant la totalitĂ© du
gouvernement de Mossadegh.
- 22 août : le Shah retourne en Iran.
- Le gouvernement américain lui accordera une
assistance militaire dĂšs sa participation au CENTO en
1955.
- Les ventes d'armes amĂ©ricaines Ă lâIran
commencent sous Eisenhower.
- 2 décembre 1953 : Eisenhower expose son projet
« Atomes pour la Paix » devant l'Assemblée
Générale des Nations Unies.
- Pour persuader les autres nations dây participer, il
propose une assistance technique et Ă©conomique.
- Monopole anglo-américain des ressources
nuclĂ©aires non communistes jusquâĂ cette date.
1955
- Le prototype de sous-marin nucléaire américain
Nautilus
est mis en route.
- Utilise la technologie Ă lâeau pressurisĂ©e, ce qui est
devenu la norme la plus répandue pour les réacteurs.
- Fourniture dâun rĂ©acteur de recherche Ă IsraĂ«l
- Par les Ătats-Unis sous le programme « Atomes
pour la Paix »
1957
- Mai : bombe H britannique
- Utilisant du plutonium.
- Lancement du Spoutnik soviétique.
- Création de l'AIEA (Agence Internationale de
l'Ănergie Atomique) par le programme « Atomes
pour la Paix », pour encourager les programmes
nucléaires pacifiques et décourager l'utilisation
militaire de la technologie nucléaire dans différentes
nations.
- Le statut de l'AIEA n'est pas celui d'une
organisation spécialisée de l'ONU, mais d'une
organisation qui, bien qu'autonome, se trouve
subordonnée à l'ONU.
- Exposition dâ« Atomes pour la Paix » en Iran.
- Le Shah annonce la signature dâun accord de
coopĂ©ration, proposĂ© par les Ătats-Unis, pour la
recherche sur les utilisations pacifiques de lâĂ©nergie
nucléaire
- Création du SAVAK, le service secret du Shah.
- Sazemaneh Amnyat va Ettelaateh Keshvar
:
Organisation de la SĂ©curitĂ© et de lâInformation de la
Nation
1958
- Juillet : révolution en Irak.
- Fin du pacte de Bagdad (qui deviendra le CENTO,
avec les mĂȘmes membres sans lâIrak).
1959
- IsraĂ«l achĂšte 20 tonnes dâeau lourde Ă la NorvĂšge.
- Une quantité aurait également été détournée vers
lâInde. La NorvĂšge nâinterdira lâexportation de lâeau
lourde quâen mars 1989.
- Le Shah donne lâordre de crĂ©er un centre de
recherches nuclĂ©aires Ă lâuniversitĂ© de TĂ©hĂ©ran.
1960
****
- Présidence de John F. Kennedy
(démocrate 1960-63)
- PremiÚre explosion nucléaire française.
- En Algérie française. 13 février 1960.
- Premier réacteur de recherche iranien (5 MW), qui
ne sera opĂ©rationnel quâen 1967.
- Fourni par les Ătats-Unis sous le programme
« Atomes pour la Paix. »
1961
- DĂ©cembre : des nĂ©gociations sâouvrent Ă l'ONU,
pour un accord des puissances nucléaires afin de ne
pas assister les puissances non nucléaires pour la
fabrication de l'arme atomique.
- Ce qui deviendra plus tard le TNP, adopté en 12 juin
1968 par l'AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale de lâONU.
- Les pays non nucléaires renonçaient à obtenir les
armes nucléaires.
1963
- Janvier : annonce de la « Révolution Blanche » par
le Shah.
- «
Limited Test Ban Treaty
» (LTBT).
- Sous la présidence Kennedy.
- Juin : discours incendiaire dâAyatollah Khomeiny.
- Dénonçant le Shah, la tyrannie et la corruption de
son rĂšgne.
- Novembre : assassinat du président Kennedy.
267
- PrĂ©sidence de Johnson (dĂ©mocrate 63-69) suite Ă
lâassassinat de Kennedy.
- Comme Kennedy, Johnson donne lâimpression
dâexercer une pression bilatĂ©rale sur IsraĂ«l pour le
faire entrer dans le régime de la non-prolifération et
l'AIEA.
1964
****
- Octobre : la Chine obtient l'arme nucléaire par un
développement purement militaire.
- La Chine ne s'intéresse sérieusement à la
production d'énergie nucléaire qu'en 1984.
- Toutes les acquisitions dâarmes atomiques Ă ce jour
dĂ©montrent quâun programme nuclĂ©aire civil n'est
pas le point de départ ou une nécessité pour un
programme militaire.
- Les Ătats-Unis se rĂ©signent au droit de veto pour
tous les membres nucléaires du Conseil de sécurité
Ă l'ONU.
- Preuve quâun pays ne peut se faire entendre au
niveau du Conseil de sĂ©curitĂ© que sâil possĂšde lâarme
nucléaire.
1965
Guerre indo -pakistanaise.
Hassinein Haykal Ă©crit dans
Al-Ahram
quâIsraĂ«l
aurait accĂšs Ă la bombe atomique dans deux ou trois
ans.
- Cette information Ă©tant publique, il est certain que le
Shah aura pris ce facteur en considération.
1967
****
- Israël sépare du plutonium de qualité militaire dans
ses installations secrĂštes.
- Les « tĂȘtes nuclĂ©aires » ne seront montĂ©es quâen
1973. Il faut aussi noter quâIsraĂ«l nâa jamais « testĂ© »
ses armes.
- Retrait des forces britanniques dâAden.
1968
- CrĂ©ation du consortium dâenrichissement Urenco.
- Par le Royaume-Uni, lâAllemagne et le Pays-Bas.
- 16 janvier : le Royaume-Uni annonc e que ses
forces quitteront le Golfe Persique.
- Reçu comme une grande surprise car jusquâa la fin
de 1967 il avait affirmĂ© rester au moins jusquâen 1975.
- 12 juin : le TNP est adopté par l'Assemblée
Générale des Nations Unies.
- Essentiellement Ă l'initiative des Ătats-Unis, et de
l'URSS.
- 1 juillet : lâIran signe le TNP.
- Ratification seulement le 2 février 1970.
- Preuve que lâIran nâa pas lâintention de dĂ©velopper
des armes nucléaires.
1969
- Présidence de Nixon (républicain 69-74).
- Nixon et Kissinger arrĂȘtent les pressions bilatĂ©rales
sur IsraĂ«l et laissent libre chemin Ă dâautres pays
comme lâAfrique du Sud, lâInde, lâAllemagne et le
Japon pour développer leurs programmes nucléaires.
1970
2 fĂ©vrier : ratification du TNP par lâIran.
- Preuve que lâIran ne considĂšre pas Ă ce moment la
capacitĂ© nuclĂ©aire militaire dâIsraĂ«l comme une
menace pour sa sécurité.
1971
14 février : Accords de Téhéran.
- Pour augmenter les prix pétroliers en faveur des
producteurs.
Mars : le gouvernement britannique annonc e quâil
retirera ses forces du Golfe Persique avant la fin de
lâannĂ©e.
Août : établissement de relations diplomatiques
avec la RĂ©publique Populaire de Chine.
Retrait des forces britanniques du golfe Persique.
- Occasion attendue par le Shah pour assumer un rĂŽle
de sĂ©curitĂ© rĂ©gional, gardien des intĂ©rĂȘts capitalistes
dans la région.
1972
- Le premier réacteur pakistanais, 125 MW (eau
lourde, uranium naturel), entre en fonction â
fabrication GE Canada.
- Le Pakistan avait depuis 1965 un réacteur de
recherche de fabrication américaine, fourni par les
Ătats-Unis/AIEA.
- Les Ătats-Unis et lâUnion soviĂ©tique signent leur
premier pacte de désarmement.
- Mais les stocks dâarmes continuent Ă augmenter.
1973
- Mai : le Shah renégocie les accords de 1954 avec
le consortium pétrolier.
Une nationalisation
de facto
de lâindustrie pĂ©troliĂšre
iranienne.
268
- Octobre : guerre israélo-arabe.
- Israël monte treize armes nucléaires et menace de
les utiliser comme option de dernier recours.
- Les USA et l'URSS soutiennent les deux parties et
sont en alerte nucléaire.
- Une des rares fois oĂč les superpuissances sont
entrées en posture de confrontation nucléaire.
- La politique amĂ©ricaine de vente dâarmes au
Moyen-Orient est mise en débat dans le cadre de la
politique Ă©trangĂšre des Ătats-Unis.
On pense soudainement que l'Iran est surarmé et que
ces ventes ne sont pas dans l'intĂ©rĂȘt global de la
politique américaine.
- DĂ©cembre : accords de TĂ©hĂ©ran. LâOPEP
quadruple les prix pétroliers.
- La consommation mondiale de pétrole a augmenté
de 70 % entre 1965 et 1973.
- Nixon-Kissinger, ayant donné carte blanche au Shah
pour lâacquisition de toutes les armes quâil voulait, lui
demanda de ne pas opter pour lâaugmentation des prix
pĂ©troliers au sein de lâOPEP.
- Quatre-vingt
guerilleros
exécutés en Iran en 1972-
73.
- Manifestations de terrorisme urbain.
1974
****
- Présidence de Ford (républicain 74-77).
- Mars : crĂ©ation de l'Organisation d'Ănergie
Atomique d'Iran (OEAI).
- LâIran avait dĂ©jĂ un accord de principe avec la
France pour cinq réacteurs de 1 000 MW.
****
- 18 mai : explosion nuclĂ©aire indienne â utilisant du
plutonium crĂ©Ă© dans ses rĂ©acteurs civils. LâInde
nâest pas signataire du TNP.
- Ceci est le premier exemple au monde dâaccession Ă
la bombe atomique par une voie civile.
- Mais lâInde nâest pas signataire du TNP.
Juin : Accord de principe avec les USA pour deux
réacteurs, et l'uranium enrichi nécessaire.
- Comprenant l'approvisionnement d'uranium, et un
centre de recherche nucléaire.
- Ratification de l'accord préliminaire avec la France
pour l'achat de cinq réacteurs de 1 000 MW.
- Contrats entre lâIran & l'URSS pour la fourniture
dâuranium enrichi.
- L'uranium enrichi est livré.
- LâIran, le Pakistan, le Japon, la CorĂ©e du Sud et
Taïwan sont considérés comme des candidats
potentiels pour le club nucléaire par les USA.
Juillet : LâIran commence Ă soutenir lâidĂ©e dâune
zone dénucléarisée au Moyen-Orient.
- LâĂgypte co-sponsorise la demande iranienne ; dĂšs
1975, le BahreĂŻn, la Jordanie, le KoweĂŻt et la Tunisie
vont soutenir lâinitiative.
- La dĂ©faite des Ătats-Unis au ViĂȘt-nam, le
changement de leur position vis-Ă -vis de la Chine, et
la dĂ©tente avec lâUnion soviĂ©tique, contribuaient Ă la
perception dâun dĂ©clin de la capacitĂ© des Ătats-Unis
pour un engagement Ă lâĂ©chelle mondiale. La
Doctrine Nixon-Kissinger articule une diminution de
ces engagements en faveur des centres régionaux du
pouvoir.
- Lâadministration Nixon offre son assistance
nuclĂ©aire Ă lâĂgypte et Ă IsraĂ«l.
- Critique sĂ©vĂšre aux Ătats-Unis qui donne lieu Ă la
création de la premiÚre législation restrictive, depuis
1954, pour la coopération nucléaire pacifique
américaine.
Novembre : visite de Henry Kissinger, Secrétaire
dâĂtat amĂ©ricain, Ă TĂ©hĂ©ran.
- DĂ©cision de crĂ©ation dâune commission conjointe
irano- américaine pour intensifier les liens de
coopération entre les deux pays, surtout dans le
domaine de lâĂ©nergie nuclĂ©aire.
- Signature des contrats pour lâapprovisionnement
de lâuranium enrichi pour deux rĂ©acteurs nuclĂ©aires.
- La construction de ces réacteurs sera discutée avec
des firmes amĂ©ricaines, et lâIran exprime son intĂ©rĂȘt
pour la participation dans une usine commerciale
dâenrichissement de lâuranium qui doit ĂȘtre construite
aux Ătats-Unis.
DĂ©cembre : Signature d'un protocole d'accord pour
la participation de l'Iran dans Eurodif.
- Sommet Ford-Giscard.
- Le gouvernement français envisage de se plier,
pour ses exportations nucléaires, aux rÚgles
internationales définies.
1975
- Introduction du systĂšme de parti unique
« Rastakhiz » en Iran.
- Ratification du TNP par la RFA
- Lâopposition nuclĂ©aire en RFA commence au milieu
des années 1970.
269
- FĂ©vrier : accord sur la participation de l'Iran dans
Eurodif.
- Mai : Signature de contrats entre lâOEAI & CEA
pour les grandes lignes du projet de cycle
combustible Ispahan.
- Le contrat sur les études détaillées des installations
du centre sera signé en février 1976.
- Non- réalisé.
- LâIran prĂȘte 1 milliard de dollars au gouvernement
français pour participer au capital dâEurodif
(enrichissement) et financer lâachat des futurs
réacteurs.
- Ă ce jour seul lâUSA et lâURSS disposent de
capacitĂ© dâenrichissement. LâIran ne bĂ©nĂ©ficiera
jamais de son droit dâaccĂšs aux services
dâenrichissement.
- Juin : lettre dâintention de 8 milliards de DM signĂ©e
entre lâOEAI & KWU pour deux centrales
nucléaires.
- Payés en espÚce. Les travaux commencent en août,
sans les contrats finaux, qui sont enfin signés en 1976.
- Le Shah déclare que si un pays dans la région
obtient lâarme nuclĂ©aire, lâIran le ferait aussi.
- LâIran annule son contrat pour quatre des six
destroyers « Spurance » avec les Ătats- Unis.
- Ă cause dâune chute de 4 milliards de dollars dans
ses revenus pétroliers.
- Le Pakistan commence un programme clandestin
dâacquisition des matĂ©riels et des technologies
nucléaires.
- Pour construire une usine dâenrichissement.
*
- Création du Club de Londres sur une initiative
américaine.
- USA, Royaume-Uni, Canada, Japon, Allemagne de
lâOuest, France & URSS, y participent.
1976
- Giscard dâEstaing crĂ©e le ComitĂ© pour la Politique
dâExportations NuclĂ©aires sous sa propre direction.
- LâIran est le client militaire le plus important des
USA.
17 mars : lâaccord de coopĂ©ration nuclĂ©aire franco-
pakistanais.
- Y compris la vente dâune usine de retraitement.
- Octobre 1976 : contrat définitif avec la France sur
les centrales de Karoun (date donné par le CEA)
- Lâintervention de Giscard dĂ©bloque les
négociations stagnantes depuis 1974. Contrats
séparés pour le financement, centrales, fourniture de
combustible et retraitement.
- De 1972 Ă 1976 les USA vendent plus de
10 milliards de dollars dâarmes Ă lâIran.
- DĂ©cembre : la France dĂ©clare quâelle ne rentrerait
plus en coopérations bilatérales nouvelles pour le
transfert de technologie de retraitement industrielle.
- Pression américaine sur le Pakistan et la France pour
arrĂȘter le projet français de retraitement au Pakistan.
- Vente dâOsirak, un rĂ©acteur de recherche 20-
70 MW, Ă lâIrak par la France.
- La France avait aussi fourni lâIrak avec
12.5 kg dâuranium trĂšs enrichi, Ă peine suffisant pour
une bombe.
- Traité, pour la coopération nucléaire entre les
Ătats-Unis et lâIran.
- LâĂ©valuation des sites pour la construction des
centrales atomiques ; lâexploration des ressources de
lâuranium ; formation des ingĂ©nieurs et scientifiques
iraniens, et fabrication de lâuranium lĂ©gĂšrement
enrichi pour alimenter les rĂ©acteurs dâĂ©nergie
nucléaire.
- La résolution pour déclarer le Moyen-Orient zone
libre des armes nuclĂ©aires est adoptĂ©e Ă lâONU avec
un vote de 130, zéro opposition, et une seule
abstention : Israël.
- Sous lâinitiative de lâĂgypte, lâIran, et le KoweĂŻt, co-
sponsorisé plus tard par le Bahreïn, la Jordanie, la
Mauritanie, le Soudan et le les Ămirats Arabes Unis.
- Le Shah est trÚs affaibli par la chimiothérapie.
1977
- Présidence de Jimmy Carter (démocrate 1977-
1981).
- Annulation du projet dâusine de retraitement
français au Pakistan.
- Washington coupe toute aide militaire et
Ă©cono mique au Pakistan.
- Conférence sur le transfert de la technologie
nucléaire à Takhté Jamshide, Iran.
- Crée un « esprit de résistance » parmi les pays
receveurs de la technologie nuclĂ©aire (lâesprit de
Persépolis)
270
- Avril : politique nucléaire de Carter : ajournement
de toute activités de retraitement et
dâenrichissement commercial ; ralentissement et
réorientation les développements « fast breeder »
pour ne pas utiliser le cycle combustible plutonium.
- Les USA pensent avoir une capacité suffisante pour
fournir les pays qui ne possédaient pas leurs propres
facilitĂ©s, avec service dâenrichissement ou avec de
lâuranium enrichi.
*
- Introduction du Programme International
dâ« Ăvaluation de Cycle Combustible NuclĂ©aire ».
- « International Nuclear Fuel Cycle Evaluation
Program » (INFCE).
- Juillet 1977 : les travaux (français) préliminaires
commencent Ă Karoun.
- LâĂgypte dĂ©clare Ă lâONU quâelle nâaccepterait pas
lâobtention des armes nuclĂ©aires par IsraĂ«l.
- Août : La France suspend toute livraison pour
lâusine de retraitement pakistanais.
- Novembre : Sadate se rende Ă JĂ©rusalem.
- Signe de la récognition
de facto
dâIsraĂ«l.
- Ămergence dâune nouvelle forme de relations
égypto -israéliennes.
- Création de « International Fuel Cycle Evaluation »
(INFCE) sous initiative américaine.
- Conférence technique internationale pour que les
fournisseurs nucléaires acceptent de prendre les
implications des exportations commerciales sur la
prolifération en considération.
- LâIran importe 20 kg dâU
3
O
8
Ă©puisĂ© et 50 kg dâUO
2
épuisé.
- En 1998 lâIran dĂ©clarera 5 kg de cet U
3
O
8
comme
perte dans le processus dâenrichissement.
1978
- Janvier 1978 : Les directives de Londres pour les
exportations nucléaires sont rendues publiques.
- Les réunions et décisions sont tenues secrÚtes de
1975 Ă 1978.
- 10 mars :
Nuclear Non-Proliferation Act
du président
Carter.
- Donne aux Ătats-Unis le droit de dĂ©cision et
dâapprobation sur les services de retraitement rendus
au niveau international.
- 23 mai au 1 juillet : premiÚres réunions des Nations
unies sur le désarmement.
- Juin : rĂ©organisation de lâOEAI par le Premier
ministre Amouzegar.
- Le planning, la construction et lâopĂ©ration des
centrales sont mis sous la responsabilité du ministÚre
de lâĂnergie.
- Agitations révolutionnaires en Iran.
- LâĂ©nergie nuclĂ©aire est critiquĂ©e.
- Novembre et décembre : les grÚves interrompent
les travaux sur le site dâAhvaz.
1979
- Janvier : Bakhtiar interrompt les contrats français
(Framatome et Eurodif) face à la remontée des
protestations sociales.
- La France rompt alors le paiement des échéances du
prĂȘt dâ1 Milliard de dollars que l'Iran lui avait
consenti.
- 11 février : forces révolutionnaires prennent le
pouvoir en Iran.
- Mars : suspension du contrat par Framatome pour
cause de défaut de paiement.
- Traité de paix israélo-égyptien
- Accident nucléaire de « 3 Miles Island » aux USA
(PA).
- Mai : les USA coupent pour la deuxiĂšme fois leur
aide au Pakistan.
- Rendant publique leurs inquiĂ©tude pour lâusine
dâenrichissement en construction au Pakistan.
- Juin : Framatome dĂ©nonce le contrat avec lâIran.
- AoĂ»t : KWU arrĂȘte ses travaux en Iran, complĂ©tĂ©s Ă
75 % et 85 %, prétextant le retard de livraison des
matériaux de construction par les firmes nationales.
- Le gouvernement rĂ©volutionnaire ne sâintĂ©resse pas
Ă la continuation des travaux, car cela est vu comme
une dépendance technologique et économique
envers lâOccident. La recherche nuclĂ©aire, en
revanche, continue.
271
- Novembre : premiĂšre arme atomique de lâAfrique
du Sud.
(lâAfrique du Sud nâavait pas signĂ© le TNP et nâaurait
jamais testé ces bombes).
- 4 novembre : 66 diplomates américains sont pris
en otages en Iran.
- 6 novembre : Chute du gouvernement provisoire
de Mehdi Bazargan.
- Une arme tout les 18 mois Ă©tait construite durant les
dix ans qui allaient suivre (uranium enrichi).
- Occupation de la grande mosquée de Mecque.
- Par des radicaux Islamistes.
DĂ©cembre : occupation de lâAfghanistan par des
forces soviétiques.
- Les USA reviennent sur leur position et offrent
une aide de plus en plus importante au Pakistan.
1980
Septembre : LâIrak envahit lâIran.
(22 septembre début de la guerre)
- DĂ©but dâune guerre qui va durer huit ans, et qui
coûtera la vie à plus de 400 000 iraniens.
1981
- Janvier : les otages américains en Iran sont libérés.
- Président Ronald Reagan (républicain 81-89).
-Vice présidence de George Bush (républicain 81-
89).
- La prise dâotages amĂ©ricains en Iran Ă©tait la raison
principale de la perte des Ă©lections par Carter.
Mai : création du Conseil de sécurité du Golfe
(CSG) : Arabie Saoudite, KoweĂŻt, Oman, Ămirats
arabes unis, Qatar, BahreĂŻn.
- Face Ă la double menace irakienne et iranienne,
appuyĂ© en sous-main par les Ătats-Unis. La
consolidation de son bras militaire « le Bouclier de la
Péninsule », basé à Hafre al Batin en Arabie Saoudite
prendra 10 ans.
- 7 juin : Israël bombarde Osirak.
- Des bombardiers spéciaux F-16 longue portée et
des renseignements de reconnaissance ainsi que des
photos de satellites américains sont utilisés pour le
raid.
- Le Pakistan reçoit une exemption de six ans des
lois de la non-prolifération du CongrÚs américain.
- Ainsi lâusine dâenrichissement du Pakistan dĂ©marrait
son opération en 1984. Le Pakistan va franchir le
seuil nucléaire en 1986.
- Un responsable amĂ©ricain a lâAIEA nous dit (1994)
que le Pakistan teste ses bombes nucléaires en Chine,
dépassant ainsi des rÚglements internationaux sur les
essais nucléaires.
- LâIran a commissionnĂ© la construction, Ă ENTC,
dâun laboratoire de chimie dâuranium.
- Ceci a Ă©tĂ© formellement dĂ©clarĂ© Ă lâAIEA en 1998.
- Tentative de coup dâĂ©tat en BahreĂŻn.
- Soutient du Gouvernement de la RĂ©publique
islamique.
1982
- LâIran importe 531 tonnes de concentrĂ©s dâU3O8
naturel.
- Ceci sera dĂ©clarĂ© Ă lâAIEA en 1990 (dont 85 kg
déclarés comme perte durant le processus
dâenrichissement).
- 85 kg de cet U
3
O
8
sera traité entre 1982 et 1993 au
laboratoire chimique dâIspahan (fermĂ©), dont 4 kg
déclarés comme perte dans ces expérimentations.
- DĂ©clarĂ© Ă lâAgence en 1998.
- Entre 1982 et 1987 environ 12. 2 kg dâU0
2
Ă©tait
produit utilisant U
3
O
8
déclaré comme perte en 1998.
- Ceci sera utilisé entre 1989 et 1993 pour produire
10 kg dâUF
4
au centre de recherche nucléaire de
Téhéran.
1983
- Octobre : 241 marines américains sont tués dans un
attentat à Bayrût.
- Des sympathisants pro-iraniens sont soupçonnés
dây ĂȘtre impliquĂ©s.
- Munir A. Khan, du Pakistan, aurait volé les
conceptions des centrifugeuses de lâUrenco cette
année.
1984
- LâIran sâintĂ©resse de nouveau aux projets
nucléaires.
- LâAllemagne refuse de reprendre les travaux de
Boushehr, prétextant la guerre Iran- Irak.
272
- Avril : Bombardements irakiens des centrales de
Boushehr.
- Il y aura huit bombardements au total pendant la
guerre.
- Nouveau centre de recherche nucléaire à Ispahan.
- Avec lâaide de la Chine.
- Lâusine dâenrichissement pakistanais entre en
opération.
- Le gouvernement pakistanais annonçait que le
centre de Kahuta avait enrichi de lâuranium Ă moins
de 5 %.
- Permettant au Pakistan dâobtenir de lâuranium
hautement enrichi utilisable dans lâarme nuclĂ©aire en
1986.
- LâIran a commissionnĂ© la construction, Ă Ispahan,
dâun laboratoire de fabrication de fuel.
Ceci a Ă©tĂ© formellement dĂ©clarĂ© Ă lâAIEA en 1998.
1985
- FĂ©vrier : Bombardements irakiens des centrales de
Boushehr.
- Boushehr sera de nouveau bombardĂ©e par lâIrak en
avril 85, juillet et novembre 87, et juillet 88.
- Avril : Bombardements irakiens Ă Boushehr.
- Juillet : Accord de principe des USA pour la vente
des missiles anti-char TOW Ă lâIran.
- AoĂ»t : IsraĂ«l envoie 96 missiles TOW Ă lâIran pour
le compte des Ătats-Unis ainsi que 408 de plus le
14 septembre.
- Lâotage Weir sera libĂ©rĂ© le 14 septembre.
- 24 novembre : 18 missiles anti-avions HAWK sont
livrĂ©s Ă lâIran par la CIA.
- RefusĂ©s par lâIran aprĂšs le premier tir car ils ne
correspondent pas Ă ses besoins.
- DĂ©cision de lancement dâun programme
dâenrichissement par centrifugeuse.
1986
- 17 fĂ©vrier : 1986 les USA envoi 500 TOW Ă lâIran
en passant par Israël suivi de 500 de plus en 27
février et 508 autres en mai, et 500 en octobre
- Lâotage Jenco sera libĂ©rĂ© le 26 juillet.
- 26 avril : accident de Tchernobyl.
- Juillet : le bureau dâEnvironnement, Protection de
la Nature et Sûreté de Réacteurs, qui faisait partie du
MinistĂšre FĂ©dĂ©ral de lâIntĂ©rieur, devient autonome.
- Cette décision est justifiée comme conséquence du
désastre de Tchernobyl.
- Novembre :
Irangate
. On commence Ă apprendre
que Ronald Reagan est prĂȘt Ă Ă©changer les otages
américains en Proche-Orient contre la vente
dâarmes Ă lâIran.
- Les recettes de ces ventes sont destinées à armer la
Contra nicaraguayenne (guérilla antisandiniste) en
dépit de la volonté du CongrÚs.
- DâaprĂšs l
âintelligence
américaine le Pakistan aurait
enrichi suffisamment dâuranium pour quelques
bombes.
- Câest Ă ce moment que lâURSS possĂšde le plus de
stocks dâarmes nuclĂ©aires.
Mordechaï Vanunu, ingénieur au centre de Dimona,
révéla au
Sunday Times
, lâexistence du programme
nucléaire militaire israélien.
- EnlevĂ© en Italie par le Mossad alors quâil venait de
contacter les journalistes et avant que leur article ne
paraisse, il fut jugé à huis clos et emprisonné dix-huit
ans.
1987
- Vente par la Chine dâun calutron Ă lâIran.
(sĂ©parateur dâisotope Ă©lectromagnĂ©tique)
- LâIran refuse de signer le
Physical Protection of
Nuclear Materials.
- Rupture totale des relations diplomatiques entre
lâIran et la France.
- MalgrĂ© le soutien français de lâIrak pendant la
guerre, il y avait une relation diplomatique informelle
jusquâalors.
- Juillet : bombardements irakiens Ă Boushehr.
- Novembre : bombardements irakiens Ă Boushehr.
273
- La France et la Suisse modifient leurs lois
dâexportations nuclĂ©aires et de transfert de la
technologie pour ĂȘtre en accord avec les exigences
du Londres.
- Initiatives du CEA pour opérer des changements
dans sa politique de non-prolifération de la France.
- La Belgique aussi met fin à ses négociations
nucléaires avec la Libye sous la pression
américaine.
- Une série de changements structurels est implantée
dans le mécanisme de prise de décision du
gouvernement allemand en 1986-87.
- Dans la premiÚre partie des années 80 presque tous
les projets français de vente de centrales - à Israël,
lâIrak, lâAfrique du Sud, lâInde et le Pakistan sont
annulĂ©s. Il en va de mĂȘme en Allemagne ou KWU ne
reçoit pas lâautorisation du gouvernement allemand
pour négocier avec le Pakistan.
- Signature entre les Ătats-Unis et lâUnion soviĂ©tique
de lâ
Intermediate-Range Nulcear Force Treaty
.
- LâIran reçoit au cours de cette annĂ©e des dessins
de conception de centrifugeuses.
- Par un intermédiaire étranger, pas nommé.
1988
- Juillet : bombardements irakiens des centrales de
Boushehr.
- Octobre : dĂ©claration de Rafsandjani â Chef du
Parlement â pour lâacquisition des armes
nucléaires.
- Dans le contexte dâutilisation des armes chimiques
contre les populations iraniennes, perte de la guerre Ă
cause de lâengagement direct des Ătats-Unis et des
futures élections présidentielles en Iran.
- Fin de la guerre avec lâIrak.
1989
- Présidence de George Bush (républicain 89-93).
- Janvier : le prĂ©sident Bush signale possibilitĂ© dâune
ouverture Ă lâIran : «
good will begets good will
».
- En faisant allusion aux otages américains au Liban.
- DĂ©cĂšs de lâAyatollah Khomeiny.
- Avec la fin de la guerre avec lâIrak et le dĂ©cĂšs de
Khomeiny lâIslam iranien nâest plus perçu comme
subversif, mais comme une idéologie officielle.
- Présidence de Rafsandjani.
- FĂ©vrier : lâamiral Brooks, directeur des services de
renseignements navals des Ătats-Unis, dĂ©clare au
CongrĂšs que lâIran « poursuivait activement » un
programme nucléaire.
- Juillet : Signature dâun accord nuclĂ©aire entre lâIran
et lâUnion soviĂ©tique.
- Lors de la visite du président Rafsandjani à Moscou.
- Le commerce international annuel de combustible
nucléaire est de 2 milliards de dollars.
- Représentant 10 % du coût total de production
dâĂ©lectricitĂ© nuclĂ©aire (dâenviron 20 milliards de
dollars par an.)
- Certains medias accusent lâIran dâavoir obtenu, en
1988-89, de lâuranium de lâAfrique du Sud.
- Pour ĂȘtre enrichi localement ou au Pakistan
1990
- Accord de 10 ans avec la Chine pour coopération
scientifique, transfert de la technologie et la vente
dâun rĂ©acteur de recherche de 30 MW. (Les Chinois
devaient vendre deux centrales, et certains pensent
que la réduction à une seule a eu pour but de réduire
lâopposition amĂ©ricaine.)
- Bien que lâIran renie toutes implications militaires
dans cette affaire, câest le ministre de la DĂ©fense
iranien, Torkan, qui accompagne Rafsandjani Ă PĂ©kin
et qui annonce lâaccord.
- Mars : accord de principe avec lâUnion soviĂ©tique
pour deux centrales de 440 MW.
- Qui sera finalisé seulement en septembre 1992.
- La France génÚre 74 % de son électricité par son
industrie nucléaire.
- En 1974 ceci Ă©tait seulement de 8 %. Le chiffre de
46 % pour utilisation de pétrole et gaz baisse à 2 %.
- 430 réacteurs civils sont en opération dans le
monde.
- 96 centrales de plus sont en cours de construction.
- AoĂ»t : lâAllemagne dĂ©clare, lors de la confĂ©rence
de revue du TNP, exiger des sauvegardes
complĂštes pour to utes ses futures exportations.
- Les accords existants doivent ĂȘtre renĂ©gociĂ©s avant
1995 pour se conformer Ă cette nouvelle politique.
1991
- Janvier : lâIran lance un programme de fabrication
de missiles de longue portée.
274
Juin : Le gouvernement allemand ne permettra pas Ă
KWU de compléter les réacteurs de Boushehr.
- Suite à ses discussions avec les autorités
américaines.
- Juillet : lâAfrique du Sud signe le TNP.
- Déclarera en 1993 avoir monté 7 armes nucléaires
en 1990, mais les avoir détruites avant la signature du
TNP.
- Annonce de la signature du TNP par la France.
(SĂ©nat)
- Ă lâoccasion du « plan de maĂźtrise des armements »
du président Mitterrand.
Octobre : accord préliminaire franco-iranien pour le
versement dâun milliard de dollars par la France.
- Ayatollah Mohajérani déclare que si Israël a le
droit de posséder les armes nucléaires, alors les
pays islamiques doivent aussi avoir ce droit.
- Pour le remboursement du prĂȘt consenti en 1974.
Maintien de la participation financiĂšre de lâIran, qui
perd son droit dâenrichissement.
- Novembre : accord avec lâInde pour un rĂ©acteur
de recherche (10- MW).
- AnnulĂ© par lâInde en dĂ©cembre 1991, suite Ă la visite
des autorités américaines à New Delhi.
- Décembre : visite des Américains à New Delhi et
Pékin au sujet de la coopération nucléaire avec
lâIran.
- Jusquâau milieu de lâannĂ©e 1991 les analyses
américaines ne donnent pas de crédibilité au
programme nuclĂ©aire de lâIran et prĂ©voient un dĂ©lai
dâenviron dix ans pour une Ă©ventuelle arme.
- Les démocrates sont plus critiques au sujet de la
coopĂ©ration nuclĂ©aire de lâIran.
- 29 décembre : le contentieux Eurodif est
définitivement réglé.
- La France ne permettra aucun futur transfert
d'uranium enrichi vers lâIran.
- Importation de 1 005 kg dâUF
6
(naturel)
- 1,9 kg de cette UF
6
seront utilisés entre 1999 et
2002 pour les essais dâenrichissement par
centrifugeuse.
- Importation de 402 kg dâUF
4.
- Déclaré en 2003.
- Entre 1991 et 1993 376. 4 kg dâUF
4
ont été
convertis en mĂ©tal dâuranium dans 113
expĂ©rimentations, et 9. 4 kg dâUF
4
pour produire 6,5
kg dâU
.
F
6
.
- Aux laboratoires multifonctionnels de Jabr Ibn
Hayan, au centre de recherche nucléaire de Téhéran.
- Importation de 401,5 kg dâU0
2
.
- Déclaré en 2003.
- 44 kg dâUO
2
utilisé pour tester les colonnes de
battement au centre Jabr Ibn Hayan de TNRC.
- 1-2 kg dâUO
2
irradié.
- Dans le réacteur de recherche de Téhéran.
- 2,7 kg dâUO
2
utilisĂ© pour produire dâUF4
.
1992
La France a adhéré au TNP.
- FĂ©vrier : R. Gates, directeur de la CIA, annonce au
CongrĂšs que lâIran veut obtenir des missiles et la
technologie nucléaire de la Chine.
- Visite dâĂ©quipe dâinspection de lâAIEA sur
invitation du gouvernement dâIran.
- Pour développer sa capacité militaire.
- Indiquant que lâIran pouvait dĂ©velopper une arme
nuclĂ©aire avant lâan 2000.
- Ne trouve aucune indication dâun programme
nucléaire militaire.
- Mars : la visite de lâIAEA ne trouve pas
dâinstallations dâenrichissement Ă Moallem Kalayeh.
- Les mĂ©dias avancent lâhypothĂšse que puisque les
rumeurs des sites dâenrichissement ne sont pas
dâorigine
Mojahedines
mais viennent des services de
renseignements des Ătats-Unis.
- Avril :
The European
confirme la rumeur de
livraison Ă lâIran de deux des trois armes nuclĂ©aires
disparues au Kazakhstan.
- Les évaluations américaines du programme
nuclĂ©aire de lâIran donnent plus de crĂ©dibilitĂ© et des
délais plus courts (3 - 5 ans) pour une arme iranienne.
- Septembre Le gouvernement chinois annonce
lâaccord pour la vente de deux rĂ©acteurs de
300 MW Ă lâIran.
- Lâaccord de vente de deux centrales de 440 MW
(initié en mars 90) est finalisé.
- Entre 1945 et 1992 les Ătats-Unis ont conduit
1 030 essais nucléaires.
275
1993
- Présidence de Clinton (démocrate 93 - 2001)
- Avril : ratification par le
Majlés
des accords avec la
Chine et la Russie pour la coopération dans
lâutilisation pacifique de lâĂ©nergie nuclĂ©aire.
- PrĂ©sident de lâOEAI, M. Reza Amrollahi dĂ©clare que
lâIran veut fournir 20 % de son Ă©lectricitĂ© par
lâĂ©nergie nuclĂ©aire dans 20 ans.
- Fin novembre 1993 : visite par lâAIEA des sites de
Téhéran, Karaj, et Ispahan.
- Mi dĂ©cembre : Lâambassadeur de lâUnion
soviétique à Téhéran, Sergei Tretyakov, est cité par
Keyhan Havai, de déclarer que la Russie terminera
les travaux du site de Karoun.
- La Russie a une politique indĂ©pendante envers lâIran,
et rien ne lâempĂȘchera de transfĂ©rer la technologie
moderne aux pays islamiques (
Economic Intelligence
Unit
, « Country Report IRAN ». 1st quarter 1994. p.
11.)
- Importation de 50 kg de mĂ©tal dâuranium.
- Dont 8 kg seront utilisés entre 1999 et 2000 pour
expérimentations de séparation isotopique par laser,
au centre de recherche nucléaire de Téhéran.
- 22 kg seront utilisés entre 2002 et 2003 pour
expĂ©rimentations de sĂ©paration isotopique par laser Ă
Lashkar Abad.
- LâIran signe la Convention des Armes Chimiques.
1994
- Août : on pense maintenant que 1 kg de plutonium
suffira pour une bombe, tandis que 8 kg Ă©taient
nécessaires auparavant.
- 1 kg dans une bombe bien conçue produirait le
mĂȘme effet que 1 000 tonnes dâexplosifs (Hiroshima =
1 500 kg).
- Les AmĂ©ricains et les Français estiment quâun
pouvoir hostile en Russie ou bien une alliance de
plusieurs Ă©tats forts dotĂ©s dâarme nuc lĂ©aire pourrait
constituer une nouvelle menace.
LâIran, au sud de la Russie pourrait bien ressentir cette
menace.
- La CorĂ©e du Nord sâengage Ă mettre fin Ă son
programme nucléaire militaire.
- Le pays est membre du TNP.
1995
- 8 janvier : le ministĂšre dâĂ©nergie atomique de la
Russie signe un contrat avec son homologue
iranien pour terminer les travaux des réacteurs de
Boushehr.
- Ainsi que des centrifuges a gaz permettant Ă lâIran
dâenrichir lâuranium. Le ministĂšre des Affaires
étrangÚres russe annule immédiatement la vente de la
centrifuge.
- 11 mai 1995 : Extension définitive du TNP du
1 juillet 1968 par 175 pays. Ă ce jour 188 pays ont
signé le traité, y compris les cinq états nucléaires.
- Lâarticle VIII, paragraphe 3, envisage une revue de
lâopĂ©ration du traitĂ© tous les cinq ans.
- Chaque pays a le droit de se retirer de ce traité si
son intĂ©rĂȘt vital le nĂ©cessite. Il faut dans ce cas avertir
le conseil de sĂ©curitĂ© de lâONU trois mois Ă lâavance.
- Le TNP a été complété par des accords régionaux
créant des " zones exemptes d'armes nucléaires ".
- La France a ainsi ratifié le 20 septembre 1996 les
Protocoles de Rarotonga applicables au Pacifique
Sud.
- Campagne française de six essais nucléaires en
1995 et 1996.
- La France signera par la suite le TraitĂ© dâInterdiction
ComplÚte des Essais Nucléaires (ratifié par le
Parlement en 1998).
- LâArgentine rejoint le TNP.
1996
- Conclusion du « Traité d'Interdiction ComplÚte des
Essais ».
- Les Ătats-Unis nây participeront pas.
- La France signe le TraitĂ© dâInterdiction ComplĂšte
des Essais Nucléaires (ratifié par le Parlement en
1998).
- AprĂšs avoir conclu une campagne de 6 essais
nucléaires en 1995 et 1996.
1997
Mai : Mise en Ćuvre de sauvegardes renforcĂ©es de
lâAIEA.
- Octobre : Aghazadeh rĂ©affirme lâengagement de
lâIran pour un programme dâĂ©nergie nuclĂ©aire
important. à terme 20 % des besoins énergétiques
de lâIran seront fournis par les centrales nuclĂ©aires.
- Aghazadeh, lâancien chef du pĂ©trole iranien avait Ă©tĂ©
nommé par le président Khatami pour remplacer M.
Amrollahi.
276
1998
- LâInde et le Pakistan font des dĂ©tonations
nucléaires et déclarent leur volonté de déployer des
armes.
- LâInde, le Pakistan et IsraĂ«l ne sont pas membres du
TNP.
1999
- Le Sénat américain rejette la ratification du CTBT.
- Ce qui rendra la traite de la non-prolifération plus
fragile.
- Le lieutenant gĂ©nĂ©ral Hughes dĂ©clare que lâIran
peut avoir une arme nuclĂ©aire avant lâan 2000.
- 1,9 kg des 1 005 kg dâUF
6
importés en 1991 seront
utilisés entre 1999 et 2002 pour les essais
dâenrichissement par centrifugeuse.
- 8 kg de mĂ©tal dâuranium seront utilisĂ©s entre 1999
et 2000 pour des expérimentations de séparation
isotopique par laser, au centre de recherche
nucléaire de Téhéran.
2000
- 24 avril-19 mai : conférence de revue des pays
membres du TNP.
- En accord avec lâarticle VIII, par. 3, qui envisage
une revue de lâopĂ©ration du traitĂ© tous les cinq ans.
2001
- 21 mars : le CSG se dote d'une défense aérienne
unifiée.
- 11 septembre : Le « World Trade Center » est
détruit par deux avions détournés par des terroristes
présumés.
- Le Département de Défense américain rend
publique lâexistence dâune structure dĂ©diĂ©e au
développement des armes nucléaires en Iran.
- BasĂ©e sur lâeffo rt dâĂ©tablir des capacitĂ©s
dâenrichissement et de retraitement.
2002
- Mai : signature par la Russie et les USA de la
Strategic Offensive Reductions Treaty
(SORT).
- Cela marque une percée dans la réduction
stratĂ©gique des armes, dans lâimpasse depuis lâentrĂ©e
en force en 1993 du traité START II.
- Retrait des USA du traité
Anti-Ballistic Missile Treaty
de 1972.
- Septembre : le prĂ©sident de lâOEAI rappelle Ă
lâAIEA que lâIran introduira 6 000 MW dâĂ©nergie
nucléaire dans les vingt ans à venir.
- Condamne la possession des armes de destruction
massive.
- Invite les pays technologiquement avancĂ©s Ă
participer au programme large iranien, y compris au
cycle combustible.
- Octobre : La CorĂ©e du Nord dĂ©clare quâelle
possĂšde un programme secret dâenrichissement
dâuranium.
- Annonce son intention de devenir le premier pays
Ă se retirer du TNP.
- En rĂ©activant une facilitĂ© quâelle avait « gelĂ©e » en
1994, suite Ă un accord avec les Ătats-Unis.
- Les
Mojahédine
s de Khalgh auraient révélé à la
presse lâexistence de deux sites dâenrichissement Ă
Natanz.
- Notre hypothĂšse est que cette divulgation a servi
les intĂ©rĂȘts de la RĂ©publique islamique.
8 novembre : Ariel Sharon, Premier ministre
israélien, déclare que « la guerre américaine contre
la terreur ne doit pas sâarrĂȘter avec lâIrak [et quâil]
pousserait po ur que lâIran soit mis sur la âliste Ă
faireâ» (
to do list
).
(New York Post)
- Décembre : le président G. W. Bush ordonne le
dĂ©ploiement dâun systĂšme de dĂ©fense contre les
missiles balistiques en 2004â2005.
- « Pour faire face à la menace des missiles
balistiques. »
- SâĂ©tant retirĂ©s du
Anti-Ballistic Missile Treaty
de
1972, plus tĂŽt dans lâannĂ©e.
- Inquiétude de la Russie et la Chine pour « la stabilité
mondiale. »
- 22 kg de mĂ©tal dâuranium seront utilisĂ©s entre 2002
et 2003 pour des expérimentations de séparation
isotopique par laser.
- Ă Lashkar Abad.
277
2003
- 10 janvier : la Corée du Nord annonce son retrait
du TNP.
- FĂ©vrier : LâIran reconnaĂźt devant lâAIEA la
construction de deux sites dâenrichissement Ă
Natanz.
- Un site pilote et un site commercial en cours de
construction.
- Mars : lâadministration Bush informe le CongrĂšs
quâelle dĂ©pensera 21 millions de dollars pour
développer des minis armes nucléaires capables de
pénétrer les montagnes et les rochers.
- A lâattention de ceux qui ont des installations
cachées souterraines.
- 20 mars : invasion de lâIrak par les forces
américaines.
- PrĂ©textant lâĂ©limination des armes de destruction
massive de Saddam Hussein.
- 28 avril - 9 mai : la conférence de révision du TNP
en 2005 se réunit à l'ONU à GenÚve.
Il existe actuellement environ 30 000 bombes
atomiques sur la planÚte, soit une réduction de
seulement 1 500 unités depuis la signature du TNP
en 1970.
- Les Ătats membres du TNP ont la responsabilitĂ© de
respecter les lois internationales et de garantir un
monde sans armes atomiques. Malheureusement, les
puissances nucléaires officielles du TNP - USA,
Russie, Royaume-Uni, Chine et France - ont manquĂ© Ă
leur devoir et n'ont pas respecté le TNP.
- Mai : LâIran informe lâAIEA de son intention de
construire un rĂ©acteur de recherche Ă lâeau lourde Ă
Arak.
- Les médias avaient déjà fait part de ceci en 2002.
- Les Ătats-Unis dĂ©clarent que les
Mojahedines
Khalgh
en Irak seront désarmés et détenus.
Les Ătats-Unis avaient maintenu des liens avec les
Mojahedines
depuis la révolution iranienne de 1979.
- En Ă©change de la neutralitĂ© de lâIran au sujet de
lâinvasion de lâIraq par les Ătats-Unis.
- LâIraq avait depuis des annĂ©es abritĂ© les
Mojahedines
et en reprĂ©sailles lâIran abritait le Conseil SuprĂȘme
pour la RĂ©volution Islamique en Iraq (CSRII).
- 18 juin : George Bush dĂ©clare que « les Ătats-Unis
ne tolĂšreront pas la possession par lâIran dâune
bombe atomique ».
- Juillet : les
Mojahedines
révÚlent deux sites
nucléaires secrets à Hashtgerd, 30 km au nord-ouest
de Téhéran.
- Ce sont les
Mojahedines
qui auraient révélé les sites
de Natanz et dâArak Ă la presse aussi.
- 17 juillet : suicide contestée du scientifique
britannique David Kelly.
- Il maintenait quâil nây avait pas dâarmes de
destruction massive en Irak.
- 12 septembre : lâAIEA adopte une rĂ©solution sur
les sauvegardes en Iran.
- 2 octobre : les inspecteurs de lâAIEA partent en
Iran.
- Demandant Ă lâIran plus de coopĂ©ration et de
transparence pour permettre Ă lâAgence dâaccomplir
sa mission.
- 16 octobre : El Baradei conclut ses nĂ©gociations Ă
Téhéran.
- Recevant des assurances de la part du Conseil
SuprĂȘme de SĂ©curitĂ© Nationale pour une
coopération accélérée.
- 22 octobre : lâIran accepte dâarrĂȘter le programme
dâenrichissement dâuranium aprĂšs la visite des
ministres des affaires Ă©trangĂšres de la France, de
lâAllemagne et du Royaume-Uni.
- LâIran nâa pas encore abandonnĂ© le retraitement.
- LâAIEA avait donnĂ© un dĂ©lai jusquâĂ fin octobre Ă
lâIran.
- Le contrepartie demandĂ©e est dâavoir plus de
technologie de pointe.
- La Libye importe des centrifuges pour
enrichissement de lâuranium.
- De conception pakistanaise et de fabrication
malaisienne.
- 1000 Ă 2000 de ces centrifuges permettraient
dâenrichir suffisamment dâuranium naturel pour une
bombe dans environ 1-2 ans.
- 12 novembre : LâIran arrĂȘte toutes ses activitĂ©s
dâenrichissement.
- En janvier 2004 lâIran possĂšde 920 centrifugeuses,
toutes sous le contrĂŽle de lâAIEA.
22 novembre : Les Ătats-Unis accusent la France,
lâAllemagne, le Royaume-Uni et lâAIEA de ne pas
vouloir admettre que lâIran est en brĂšche de ses
engagements du TNP. Cette accusation est rejetée
comme « malhonnĂȘte » par El Baradei.
- Lâargument des USA est basĂ© sur la dĂ©couverte par
lâAIEA de traces dâuranium de qualitĂ© militaire, et sur
un rapport concernant la construction par lâIran de
capacitĂ© sophistiquĂ©e dâenrichissement depuis 18 ans.
278
- 18 dĂ©cembre : lâIran signe un protocole pour
lâinspection internationale plus poussĂ©e de ses sites
nucléaires, permettant des « inspections surprises »
par lâAIEA de toutes les installations nuclĂ©aires du
pays.
- Bien accueilli par les USA, mais cela « nâapaise pas
leur inquiétude » au sujet du nucléaire iranien.
- « Promesse » dâarrĂȘt des activitĂ©s dâenrichissement.
- Les EuropĂ©ens sâengagent Ă fournir lâIran en
technologie avancée pour son programme civil.
2004
- Janvier : le président Khatami menace de boycotter
les élections régionales.
- Si le processus dâapprobation des candidats par les
instances religieuses nâest pas reformĂ©.
- LâAyatollah Khamenei, leader religieux, donne
lâordre de rĂ©examiner les dossiers des candidats.
- Plusieurs membres du gouvernement iranien
démissionnent.
- Pour contester le manque dâouverture concernant
lâapprobation des candidats pour les Ă©lections
locales.
- 8 février : Abdul Qader Khan, le pÚre du
programme nuclĂ©aire pakistanais, avoue et sâexcuse,
dans une apparition tĂ©lĂ©visĂ©e, dâavoir transmis des
secrets nuclĂ©aires Ă lâIran (piĂšces de centrifugeuse
en 1994-95), la Libye et le Corée du Nord.
- DĂ©menti par lâIran Ă qui on reproche dâavoir cachĂ©e
sa capacitĂ© dâenrichir des petites quantitĂ©s dâuranium
et du plutonium depuis 18 ans (1986).
- 12 février : El Baradei demande un renforcement
du systÚme de contrÎle des exportations nucléaires
et de nouveaux efforts pour le désarmement
nucléaire.
- El Baradei salue la dĂ©cision de lâIran dâabandonner
ses activitĂ©s dâenrichissement.
- 25 fĂ©vrier : El Baradei dĂ©clare ĂȘtre satisfait de la
coopĂ©ration de lâIran.
- Le seul problĂšme est la conception des centrifuges
P-2, qui nâavaient pas Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©es avant.
- Lâaccord sur le transport des dĂ©chets de Boushehr
Ă la Russie nâa pas pu ĂȘtre signĂ©.
- La Russie aurait demandĂ© Ă ĂȘtre payĂ©e davantage
pour le retraitement des déchets.
- 6 avril : El Baradei se dit « satisfait » de la
coopération iranienne.
- Des inspecteurs de lâAIEA visiteront lâIran bientĂŽt
pour vĂ©rifier lâarrĂȘt dâenrichissement de lâuranium.
- 7 avril : Kamal Kharrazi, ministre iranien des
Affaires Ă©trangĂšres, dĂ©clare que lâarrĂȘt des activitĂ©s
dâenrichissement est seulement temporaire.
- Et reprendra dans le futur si « approprié ».
279
2- Traité de non-prolifération nucléaire (1970)
Texte officiel en français
Texte intégral du Traité de non-prolifération nucléaire ouvert
Ă la signature Ă Londres, Moscou et Washington le 1er juillet 1968
Entré en vigueur le 5 mars 1970
TRAITĂ SUR LA NON-PROLIFĂRATION DES ARMES NUCLĂAIRES
Les Ătats qui concluent le prĂ©sent TraitĂ©, ci-aprĂšs dĂ©nommĂ©s les « Parties au TraitĂ© ».
Considérant les dévastations qu'une guerre nucléaire ferait subir à l'humanité entiÚre et la nécessité qui
en résulte de ne ménager aucun effort pour écarter le risque d'une telle guerre et de prendre des mesures
en vue de sauvegarder la sécurité des peuples :
Persuadés que la prolifération des armes nucléaires augmenterait considérablement le risque de guerre
nucléaire : en conformité avec les résolutions de l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations unies
demandant la conclusion d'un accord sur la prévention d'une plus grande dissémination des armes
nucléaires :
S'engageant à coopérer en vue de faciliter l'application des garanties de l'Agence internationale de
l'énergie atomique aux activités nucléaires pacifiques :
Exprimant leur appui aux efforts de recherche, de mise au point et autres visant Ă favoriser l'application,
dans le cadre du systĂšme de garanties de l'Agence internationale de l'Ă©nergie atomique, du principe d'une
garantie efficace du flux de matiÚres brutes et de produits fissiles spéciaux grùce à l'emploi d'instruments et
autres moyens techniques en certains points stratégiques :
Affirmant le principe selon lequel les avantages des applications pacifiques de la technologie nucléaire, y
compris tous les sous-produits technologiques que les Ătats dotĂ©s d'armes nuclĂ©aires pourraient obtenir par
la mise au point de dispositifs nuclĂ©aires explosifs, devraient ĂȘtre accessibles, Ă des fins pacifiques, Ă toutes
les Parties au TraitĂ©, qu'il s'agisse d'Ătats dotĂ©s ou non dotĂ©s d'armes nuclĂ©aires :
Convaincus qu'en application de ce principe, toutes les Parties au Traité ont le droit de participer à un
échange aussi large que possible de renseignements scientifiques en vue du développement plus poussé
des utilisations de l'énergie atomique à des fins pacifiques, et de contribuer à ce développement à titre
individuel ou en coopĂ©ration avec d'autres Ătats ; DĂ©clarant leur intention de parvenir au plus tĂŽt Ă la
cessation de la course aux armements nucléaires et de prendre des mesures efficaces dans la voie du
désarmement nucléaire.
Demandant instamment la coopĂ©ration de tous les Ătats en vue d'atteindre cet objectif ;
Rappelant que les Parties au Traité de 1963 interdisant les essais d'armes nucléaires dans l'atmosphÚre,
dans l'espace extra- atmosphérique et sous l'eau ont, dans le préambule du dit Traité, exprimé leur
dĂ©termination de chercher Ă assurer l'arrĂȘt de toutes les explosions expĂ©rimentales d'armes nuclĂ©aires Ă
tout jamais et de poursuivre les négociations à cette fin ;
DĂ©sireux de promouvoir la dĂ©tente internationale et le renforcement de la confiance entre Ătats afin de
faciliter la cessation de la fabrication d'armes nucléaires, la liquidation de tous les stocks existants des dites
armes, et l'élimination des armes nucléaires et leurs vecteurs des arsenaux nationaux en vertu d'un traité
sur le désarmement général et complet sous un contrÎle international strict et efficace ;
Rappelant que, conformĂ©ment Ă la Charte des Nations unies, les Ătats doivent s'abstenir, dans leurs
relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale
ou l'indĂ©pendance politique de tout Ătat, soit de toute autre maniĂšre incompatible avec les buts des Nations
unies, et qu'il faut favoriser l'établissement et le maintien de la paix et de la sécurité internationales en ne
280
détournant vers les armements que le minimum des ressources humaines et économiques du monde, sont
convenus de ce qui suit :
ARTICLE 1er
Tout Ătat dotĂ© d'armes nuclĂ©aires qui est Partie au TraitĂ© s'engage Ă ne transfĂ©rer Ă qui que ce soit, ni
directement ni indirectement, des armes nucléaires ou autres dispositifs nucléaires explosifs, ou le contrÎle
de telles armes ou de tels dispositifs explosifs : et Ă n'aider, n'encourager ni inciter d'aucune façon un Ătat
non doté d'armes nucléaires, quel qu'il soit, à fabriquer ou acquérir de quelque autre maniÚre des armes
nucléaires ou autres dispositifs nucléaires explosifs, ou le contrÎle de telles armes ou tels dispositifs
explosifs.
ARTICLE 2
Tout Ătat non dotĂ© d'armes nuclĂ©aires qui est Partie au TraitĂ© s'engage Ă n'accepter de qui que ce soit, ni
directement ni indirectement, le transfert d'armes nucléaires ou autres dispositifs explosifs nucléaires ou du
contrÎle de telles armes ou de tels dispositifs explosifs : à ne fabriquer ni acquérir de quelque autre maniÚre
des armes nucléaires ou autres dispositifs nucléaires explosifs : et à ne rechercher ni recevoir une aide
quelconque pour la fabrication d armes nucléaires ou d autres dispositifs nucléaires explosifs.
ARTICLE 3
1. Tout Ătat non dotĂ© d'armes nuclĂ©aires qui est Partie au TraitĂ© s'engage Ă accepter les garanties
stipulées dans un accord qui sera négocié et conclu avec l'Agence internationale de l'énergie atomique,
conformément au statut de l'Agence internationale de l'énergie atomique et au systÚme de garanties de
ladite Agence, Ă seule fin de vĂ©rifier l'exĂ©cution des obligations assumĂ©es par ledit Ătat aux termes du
prĂ©sent TraitĂ© en vue d'empĂȘcher que l'Ă©nergie nuclĂ©aire ne soit dĂ©tournĂ©e de ses utilisations pacifiques
vers des armes nucléaires ou autres dispositifs explosifs nucléaires. Les modalités d'application des
garanties requises par le présent article porteront sur les matiÚres brutes et les produits fissiles spéciaux,
que ces matiÚres ou produits soient produits, traités ou utilisés dans une installation nucléaire principale ou
se trouvent en dehors d'une telle installation. Les garanties requises par le présent article s'appliqueront
toutes matiÚres brutes ou touts produits fissiles spéciaux dans toutes activités nucléaires pacifiques
exercĂ©es sur le territoire d'un tel Ătat, sous sa juridiction, ou entreprises sous son contrĂŽle en quelque lieu
que ce soit.
2. Tout Ătat Partie au TraitĂ© s'engage Ă ne pas fournir :
a) De matiÚres brutes ou de produits fissiles spéciaux, ou
b) D'équipements ou de matiÚres spécialement conçus ou préparés pour le traitement, l'utilisation ou la
production de produits fissiles spĂ©ciaux, Ă un Ătat non dotĂ© d armes nuclĂ©aires, quel qu'il soit, Ă des fins
pacifiques, à moins que lesdites matiÚres brutes ou lesdits produits fissiles spéciaux ne soient soumis aux
garanties requises par le présent article.
3. Les garanties requises par le prĂ©sent article seront mises en Ćuvre de maniĂšre Ă satisfaire aux
dispositions de l'article 4 du présent Traité et à éviter d'entraver le développement économique ou
technologique des Parties au Traité, ou la coopération internationale dans le domaine des activités
nucléaires pacifiques, notamment les échanges internationaux de matiÚres et d'équipements nucléaires
pour le traitement, l'utilisation ou la production de matiÚres nucléaires à des fins pacifiques, conformément
aux dispositions du présent article et au principe de garantie énoncé au préambule du présent Traité.
4. Les Ătats non dotĂ©s d'armes nuclĂ©aires qui sont Parties au TraitĂ© concluront des accords avec
l'Agence internationale de l'énergie atomique pour satisfaire aux exigences du présent article, soit à titre
individuel, soit conjointement avec d'autres Ătats conformĂ©ment au statut de l'Agence internationale de
l'énergie atomique. La négociation de ces accords commencera dans les 180 jours qui suivront l'entrée en
vigueur initiale du prĂ©sent TraitĂ©. Pour les Ătats qui dĂ©poseront leur instrument de ratification ou d'adhĂ©sion
aprÚs ladite période de 180 jours, la négociation de ces accords commencera au plus tard à la date de dépÎt
281
du dit instrument de ratification ou d'adhésion. Les dits accords devront entrer en vigueur au plus tard dix-
huit mois aprÚs la date du commencement des négociations.
ARTICLE 4
1. Aucune disposition du présent Traité ne sera interprétée comme portant atteinte au droit inaliénable
de toutes les Parties au Traité de développer la recherche, la production et l'utilisation de l'énergie nucléaire
a des fins pacifiques, sans discrimination et conformément aux dispositions des articles 1 et 2 du présent
Traité.
2. Toutes les Parties au Traité s'engagent à faciliter un échange aussi large que possible d'équipement,
de matiĂšres et de renseignements scientifiques et technologiques en vue des utilisations de l'Ă©nergie
nucléaire à des fins pacifiques, et ont le droit d'y participer. Les Parties au Traité en mesure de le faire
devront aussi coopĂ©rer en contribuant, Ă titre individuel ou conjointement avec d'autres Ătats ou des
organisations internationales, au développement plus poussé des applications de l'énergie nucléaire à des
fins pacifiques, en particulier sur les territoires des Ătats non dotĂ©s d'aimes nuclĂ©aires qui sont Parties au
Traité, compte dûment tenu des besoins des régions du monde qui sont en voie de développement.
ARTICLE 5
Chaque Partie au Traité s'engage à prendre des mesures appropriées pour assurer que, conformément
au présent Traité, sous une surveillance internationale appropriée et par la voie de procédures
internationales appropriées, les avantages pouvant découler des applications pacifiques, quelles qu'elle s
soient, des explosions nuclĂ©aires soient accessibles sur une base non discriminatoire aux Ătats non dotĂ©s
d'armes nucléaires qui sont Parties au Traité, et que le coût pour les dites Parties des dispositifs explosifs
utilisés soit aussi réduit que possible et ne comporte pas de frais pour la recherche et la mise au point. Les
Ătats non dotĂ©s d'armes nuclĂ©aires qui sont Parties au TraitĂ© seront en mesure dâobtenir des avantages de
cette nature, conformément à un accord international spécial ou à des accords internationaux spéciaux, par
l'entremise d'un organisme international appropriĂ© oĂč les Ătats non dotĂ©s d'armes nuclĂ©aires seront
représentés de maniÚre adéquate.
Des négociations à ce sujet commenceront le plus tÎt possible aprÚs l'entrée en vigueur du Traité.
Les Ătats non dotĂ©s d'armes nuclĂ©aires qui sont Parties au TraitĂ© pourront aussi s'ils le souhaitent,
obtenir ces avantages en vertu d'accords bilatéraux.
ARTICLE 6
Chacune des Parties au Traité s'engage à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures
efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au
désarmement nucléaire, et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrÎle international
strict et efficace.
ARTICLE 7
Aucune clause du prĂ©sent TraitĂ© ne porte atteinte au droit d'un groupe quelconque d'Ătats de conclure
des traites régionaux de façon à assurer l'absence totale d'armes nucléaires sur leurs territoires respectifs.
ARTICLE 8
1. Toute Partie au Traité peut proposer des amendements au présent Traité. Le texte de tout
amendement proposé sera soumis aux gouvernements dépositaires qui le communiqueront à toutes les
Parties au Traité. Si un tiers des Parties au Traité ou davantage en font alors la demande, les
gouvernements dépositaires convoqueront une conférence à laquelle ils inviteront toutes les Parties au
Traité pour étudier cet amendement.
2. Tout amendement au PrĂ©sent TraitĂ© devra ĂȘtre approuvĂ© Ă la majoritĂ© des voix de toutes les Parties
au TraitĂ©, y compris le s voix de tous les Ătats dotĂ©s d'armes nuclĂ©aires qui sont Parties au TraitĂ© et de
282
toutes les autres parties qui Ă la date de la communication de l'amendement, sont membres du Conseil des
gouverneurs de l'Agence internationale de l'Ă©nergie atomique.
L'amendement entrera en vigueur à l'égard de toute Partie qui déposera son instrument de ratification
du dit amendement dĂšs le dĂ©pĂŽt de tels instruments de ratification de tous les Ătats dotĂ©s d'armes
nucléaires qui sont Parties au Traité et de toutes les autres Parties qui, à la date de la communication de
l'amendement, sont membres du Conseil des gouverneurs de l'Agence internationale de l'Ă©nergie
atomique. Par la suite, l'amendement entrera en vigueur à l'égard de toute autre Partie dÚs le dépÎt de son
instrument de ratification de lâamendement.
3. Cinq ans aprĂšs l'entrĂ©e en vigueur du prĂ©sent TraitĂ©, une ConfĂ©rence des Parties au TraitĂ© aura lieu Ă
GenÚve (Suisse), afin d'examiner le fonctionnement du présent Traité en vue de s assurer que les objectifs
de préambule et les dispositions du Traité sont en voie de réalisation. Par la suite, à des intervalles de cinq
ans, une majorité des Parties au Traité pourra obtenir en soumettant une proposition à cet effet aux
gouvernements dĂ©positaires, la convocation d'autres confĂ©rences ayant le mĂȘme objet, Ă savoir examiner
le fonctionnement du Traité.
ARTICLE 9
1. Le prĂ©sent TraitĂ© est ouvert Ă la signature de tous les Ătats. Tout Ătat qui n'aura pas signĂ© le prĂ©sent
TraitĂ© avant son entrĂ©e en vigueur conformĂ©ment au paragraphe 3 du prĂ©sent article pourra y adhĂ©rer Ă
tout moment.
2. Le présent Traité sera soumis à la ratification et les instruments de ratification seront déposés auprÚs
des gouvernements des Ătats-Unis d'AmĂ©rique, du Royaume-Uni de Grande -Bretagne et d'Irlande du Nord
et de l'Union des républiques socialistes soviétiques, qui sont par les présents désignés comme
gouvernements dépositaires.
3. Le prĂ©sent TraitĂ© entrera en vigueur aprĂšs qu'il aura Ă©tĂ© ratifiĂ© par les Ătats dont les gouvernements
sont dĂ©signĂ©s comme dĂ©positaires du TraitĂ©, et par quarante autres Ătats signataires du prĂ©sent TraitĂ©, et
aprĂšs le dĂ©pĂŽt de leurs instruments de ratification. Aux fins du prĂ©sent traitĂ©, un Ătat dotĂ© d'armes
nuclĂ©aires est un Ătat qui a fabriquĂ© et a fait exploser une arme nuclĂ©aire ou un autre dispositif nuclĂ©aire
explosif avant le 1er janvier 1967.
4. Pour les Ătats dont les instruments de ratification ou d'adhĂ©sion seront dĂ©posĂ©s aprĂšs l'entrĂ©e en
vigueur à la date du dépÎt de leurs instruments de ratification ou d'adhésion.
5. Les gouvernements dĂ©positaires informeront sans dĂ©lai tous les Ătats qui auront signĂ© le prĂ©sent
Traité ou y auront adhéré de la date de chaque signature, de la date de dépÎt de chaque instrument de
ratification ou d'adhésion, de la date d'entrée en vigueur du présent Traité et de la date de réception de
toute demande de convocation d'une conférence ainsi que de toute autre communication.
6. Le présent Traité sera enregistré par les gouvernements dépositaires, conformément à l'article 102 de
la Charte des Nations unies.
ARTICLE 10
1. Chaque Partie, dans l'exercice de sa souveraineté nationale, aura le droit de se retirer du Traité si elle
décide que des événements extraordinaires, en rapport avec l'objet du présent Traité, ont compromis les
intĂ©rĂȘts suprĂȘmes de son pays. Elle devra notifier ce retrait Ă toutes les autres Parties du TraitĂ© ainsi qu'au
Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies avec un préavis de trois mois. Ladite notification
devra contenir un exposĂ© des Ă©vĂ©nements extraordinaires que l'Ătat en question considĂšre comme ayant
compromis ses intĂ©rĂȘts suprĂȘmes.
283
2. Vingt-cinq ans aprÚs l'entrée en vigueur du Traité, une conférence sera convoquée en vue de décider
si le Traité demeurera en vigueur pour une durée indéfinie, ou sera prorogé pour une ou plusieurs périodes
supplémentaires d'une durée déterminée. Cette décision sera prise à la majorité des Parties au Traité
.
ARTICLE 11
Le présent Traité, dont les textes anglais, chinois, espagnol, français et russe font également foi, sera
déposé dans les archives des gouvernements dépositaires. Des copies dûment certifiées conformes du
prĂ©sent TraitĂ© seront adressĂ©es par les gouvernements dĂ©positaires aux gouvernements des Ătats qui
auront signé le Traité, ou qui y auront adhéré.
En foi de quoi les soussignés, dûment habilités à cet effet, ont signé le présent Traité.
284
3- DĂ©finitions
Atome
: La matiĂšre (eau, gaz, roche, ĂȘtres vivants) est constituĂ©e de molĂ©cules, qui sont des
combinaisons d'atomes. Les atomes comprennent un noyau chargé positivement, autour duquel se
déplacent des électrons chargés négativement. L'atome est neutre. Le noyau de l'atome comprend des
protons chargés positivement, et des neutrons. C'est lui qui se transforme en émettant un
rayonnement lorsque la radioactivité d'un atome se manifeste.
Combustible
: dont la combustion, c'est-à -dire la réaction avec un comburant (souvent l'oxygÚne)
produit une Ă©nergie utilisable
Combustible nuclĂ©aire : matiĂšre fissile constituant la partie active du cĆur d'un rĂ©acteur. Pour
qu'une réaction de fission en chaßne soit possible, l'uranium naturel, mélange comprenant 0,7%
d'uranium 235 - fissile - et 99,3% d'uranium 238 - non fissile -, a dĂ» ĂȘtre prĂ©alablement enrichi Ă 4% en
uranium 235. Cet uranium est utilisé sous la forme d'oxyde d'uranium, particuliÚrement stable
chimiquement.
Deutérium
: isotope de lâhydrogĂšne (masse atomique 2)
Enrichissement
: processus par lequel est accrue la teneur d'un élément chimique en un de ses
isotopes. Ce processus conduit à la séparation du produit en deux parties dites respectivement
enrichie et appauvrie en l'isotope recherché. Exemple : enrichissement de l'uranium en isotope 235
Fission
: sission d'un noyau lourd en deux morceaux, accompagné d'émission de neutrons, de
rayonnements et d'un important dégagement de chaleur
Fusion
: réaction consistant à réunir deux petits noyaux pour en produire un plus gros
Fusion thermonucléaire
: réaction entre deux noyaux légers aboutissant à la production d'un noyau
plus lourd que l'un ou l'autre des noyaux initiaux, sâaccompagnant gĂ©nĂ©ralement de l'Ă©mission de
particules et dégageant une grande quantité d'énergie
MatiĂšre fissile
: noyau (ou matiĂšre) pouvant subir la fission par absorption de neutrons. En toute
rigueur, ce nâest pas le noyau appelĂ© fissile qui subit la fission mais le noyau composĂ© formĂ© suite Ă la
capture dâun neutron. MatiĂšres nuclĂ©aires dĂ©signent des composĂ©s radioactifs qui peuvent ĂȘtre
valorisés, soit immédiatement, soit ultérieurement en raison de leur potentiel énergétique : ce sont
par exemple l'uranium et le plutonium qui renferment des isotopes fissiles.
Modérateur
: matériau formé de noyaux légers qui ralentissent les neutrons par diffusions élastiques.
Il doit ĂȘtre peu capturant afin de ne pas "gaspiller" les neutrons et ĂȘtre suffisamment dense pour
assurer un ralentissement efficace
Uranium appauvri
: uranium dont la teneur en isotope 235, le seul fissile, est inférieure à son niveau
naturel (0,72% en masse). Il est principalement obtenu, d'une part en tant que co-produit d'une
opération d'enrichissement (autour de 0,3% de 235U), d'autre part en tant que sous-produit (1% de
235U) d'un traitement de combustible usé aprÚs passage en réacteur
Uranium enrichi
: uranium dont la teneur en isotope 235, le seul fissile, a été portée de son faible
niveau naturel (0,72% en masse) à , par exemple, 3,5% pour un combustible destiné à un réacteur
nucléaire à eau sous pression.
285
4- Cycle combustible
L'extraction de l'uranium du minerai
Lâuranium est un mĂ©tal relativement rĂ©pandu dans lâĂ©corce terrestre (50 fois plus que le mercure
par exemple). Comme la plupart des mĂ©taux, il ne sâextrait pas directement sous sa forme pure parce
quâĂ lâĂ©tat naturel il se trouve, dans des roches, combinĂ© Ă dâautres Ă©lĂ©ments chimiques. Les roches les
plus riches en uranium sont les minerais uranifĂšres (câest-Ă -dire contenant de lâuranium), telles, par
exemple, lâuraninite et la pechblende.
Le cycle du combustible nuclĂ©aire commence donc par lâextraction du minerai uranifĂšre dans des
mines Ă ciel ouvert ou en galeries souterraines. Les principaux gisements connus se trouvent en
Australie, aux Ătats-Unis, au Canada, en Afrique du Sud et en Russie.
La concentration et le raffinage de l'uranium
La teneur du minerai en uranium est en général assez faible. En France, par exemple, chaque tonne
de minerai contient de 1 Ă 5 kg dâuranium (soit entre 0,1 et 0,5 %). Il est donc indispensable de
concentrer lâuranium de ces minerais, ce qui se fait le plus souvent sur place. Les roches sont dâabord
concassĂ©es et finement broyĂ©es, puis lâuranium est extrait par diverses opĂ©rations chimiques. Le
concentrĂ© fabriquĂ© a lâaspect dâune pĂąte jaune appelĂ©e
yellow cake
. Il contient environ 75 % dâoxyde
dâuranium
1
, soit 750 kg par tonne. Le concentrĂ© dâuranium ne peut pas ĂȘtre utilisĂ© tel quel dans les
rĂ©acteurs nuclĂ©aires. Lâoxyde dâuranium doit dâabord ĂȘtre dĂ©barrassĂ© des impuretĂ©s par diffĂ©rentes
Ă©tapes de purification (raffinage). TrĂšs pur, il est ensuite converti en tĂ©tra fluorure dâuranium (UF
4
)
constituĂ© de quatre atomes de fluor et dâun atome dâuranium.
L'enrichissement de l'uranium
Pour alimenter les REP, il faut disposer dâun combustible dont la proportion dâuranium-235 se
situe entre 3 et 5 %, car seul cet isotope de lâuranium peut subir la fission nuclĂ©aire libĂ©ratrice
dâĂ©nergie. Or, dans 100 kg dâuranium naturel, il y a 99,3 kg dâuranium-238 et 0,7 kg dâuranium-235,
soit 0,7 % seulement dâuranium-235 fissile. LâopĂ©ration consistant Ă augmenter la proportion
dâuranium-235 est appelĂ©e enrichissement.
Lâenrichissement est une opĂ©ration difficile car, comme tous les isotopes dâun mĂȘme Ă©lĂ©ment,
lâuranium-235 et lâuranium-238 se ressemblent beaucoup et ont quasiment les mĂȘmes propriĂ©tĂ©s
chimiques. Cependant, il est possible de les différencier grùce à leur légÚre différence de masse. En
effet, lâuranium-235 est un tout petit peu plus lĂ©ger que lâuranium-238.
Câest pourquoi, actuellement, lâenrichissement de lâuranium est basĂ© sur la diffĂ©rence de mobilitĂ©
due Ă cette faible diffĂ©rence de masse. De tous les procĂ©dĂ©s dâenrichissement Ă©tudiĂ©s jusquâĂ prĂ©sent,
deux ont Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©s Ă lâĂ©chelle industrielle : la diffusion gazeuse et lâultracentrifugation
.
La préparation des assemblages de combustible
AprĂšs enrichissement, lâhexafluorure dâuranium est converti en oxyde dâuranium sous la forme
dâune poudre noire. Celle-ci est comprimĂ©e puis frittĂ©e (cuite au four) pour donner des petits cylindres
dâenviron 1 cm de long et gros comme des petits morceaux de craie, appelĂ©s « pastilles ». Chaque
pastille, qui ne pĂšse que 7 g, peut libĂ©rer autant dâĂ©nergie quâune tonne de charbon (1 million de
1
Lâuranium est un mĂ©tal qui sâoxyde trĂšs rapidement au contact de lâoxygĂšne de lâair, se
transformant en oxyde dâuranium.
286
grammes). Les pastilles sont enfilées dans de longs tubes métalliques de 4 m de long en alliage de
zirconium, les « gaines », dont les extrémités sont bouchées de maniÚre étanche pour constituer les
« crayons » de combustible. Pour une centrale, plus de 40 000 crayons sont prĂ©parĂ©s pour ĂȘtre
rassemblés en « fagots » de section carrée, appelés assemblages de combustible. Chaque assemblage
contient 264 crayons. Le chargement dâun rĂ©acteur nuclĂ©aire de 900 mĂ©gawatts (millions de watts)
nécessite 157 assemblages contenant en tout 11 millions de pastilles.
La consommation de l'uranium-235
Les assemblages de combustible, disposĂ©s selon une gĂ©omĂ©trie prĂ©cise, forment le cĆur du
réacteur. Chacun va y séjourner pendant trois ou quatre ans. Durant cette période, la fission de
lâuranium-235 va fournir la chaleur nĂ©cessaire Ă la production de vapeur puis dâĂ©lectricitĂ©.
En effet, lâuranium-235 est fissile. Cela signifie que, sous lâeffet de la collision avec un neutron, son
noyau se casse (fissionne) en produits de fission radioactifs tout en libĂ©rant de lâĂ©nergie. En revanche,
lâuranium-238, qui reprĂ©sente pourtant 97 % de la masse dâuranium enrichi, ne se casse pas lors de
lâabsorption dâun neutron. Cependant, certains noyaux dâuranium-238 capturent un neutron et se
transforment en plutonium-239, lequel est fissile comme lâuranium-235 : câest pourquoi on dit que
lâuranium-238 est fertile. Une partie du plutonium-239 peut fournir de lâĂ©nergie par fission des
noyaux. Une petite partie se transforme aussi en dâautres isotopes du plutonium par capture de
neutrons.
La dégradation du combustible
Au fil du temps, le combustible va subir certaines transformations qui le rendent moins
performant :
âą consommation progressive dâuranium-235 ;
⹠apparition de produits de fission (absorbant les neutrons, ces produits perturbent la réaction en
chaĂźne).
Au bout dâun certain temps, le combustible doit donc ĂȘtre retirĂ© du rĂ©acteur mĂȘme sâil contient
encore des quantitĂ©s importantes de matiĂšres Ă©nergĂ©tiques rĂ©cupĂ©rables, notamment lâuranium et le
plutonium. Ce combustible usé est également trÚs radioactif en raison de la présence des produits de
fission. Les rayonnements émis par ces atomes radioactifs dégagent beaucoup de chaleur et, aprÚs son
utilisation, le combustible usé est donc entreposé dans une piscine de refroidissement prÚs du
réacteur pendant trois ans pour laisser diminuer son activité.
Les objectifs du retraitement
Le retraitement consiste Ă :
âą rĂ©cupĂ©rer la matiĂšre encore utilisable, le plutonium et lâuranium, pour produire Ă nouveau de
lâĂ©lectricitĂ©. Câest le recyclage des matiĂšres Ă©nergĂ©tiques contenues dans les combustibles usĂ©s ;
⹠trier les déchets radioactifs non récupérables.
Certains pays nâont pas optĂ© pour le retraitement, par exemple, la SuĂšde et les Ătats-Unis. Dans ce
cas, les combustibles usés sont considérés comme des déchets et sont directement stockés aprÚs leur
retrait du rĂ©acteur. Les pays ayant choisi dâavoir une usine de retraitement sont la France, la Grande-
Bretagne, la Russie et le Japon. Dâautres pays comme lâAllemagne, la Suisse et la Belgique font retraiter
dans dâautres pays (notamment en France).
L'extraction des produits de fission
Lors de leur arrivĂ©e dans lâusine de retraitement, les assemblages de combustible usĂ©s sont de
nouveau entreposés dans une piscine. Ils sont ensuite cisaillés en petits tronçons, lesquels sont alors
287
introduits dans une solution chimique qui dissout le combustible mais laisse intacts les morceaux
mĂ©talliques (gainesâŠ). Ceux-ci seront stockĂ©s comme dĂ©chets nuclĂ©aires. Des traitements chimiques
successifs sur le combustible en solution permettent de sĂ©parer le plutonium et lâuranium des
produits de fission. Ces derniers seront intégrés dans des verres spéciaux (vitrification) et stockés
comme dĂ©chets nuclĂ©aires. Lâuranium et le plutonium, qui reprĂ©sentent 96 % de lâensemble, sont
séparés et conditionnés séparément.
Le recyclage des matiĂšres combustibles
Lâutilisation du plutonium issu du retraitement fait lâobjet de nombreuses Ă©tudes, notamment au
CEA. De nouveaux combustibles composĂ©s dâun mĂ©lange dâoxyde dâuranium et oxyde de plutonium
(appelés Mox, de l'anglais
Mixed Oxides
) sont dĂ©jĂ utilisĂ©s dans certains rĂ©acteurs (REP) dâEDF. De plus,
en ce qui concerne lâuranium rĂ©cupĂ©rĂ© au cours du retraitement et qui est encore lĂ©gĂšrement plus
riche que lâuranium naturel (environ 1 % dâuranium-235), il pourra ĂȘtre Ă nouveau enrichi Ă plus de
3 % et suivre une voie analogue Ă celle dâun combustible ordinaire.
288
5-
RĂ©acteurs
Différentes familles de réacteur
Une centrale nuclĂ©aire est destinĂ©e Ă produire de lâĂ©lectricitĂ© Ă partir dâun combustible nuclĂ©aire.
Cependant, mĂȘme si le principe de fonctionnement est identique dans toutes les centrales nuclĂ©aires,
il existe plusieurs familles de rĂ©acteurs, que lâon appelle filiĂšres.
Quatre constituants principaux sont nĂ©cessaires pour concevoir un cĆur de rĂ©acteur :
âą un combustible dans lequel se produit la fission ;
⹠un fluide caloporteur qui transporte la chaleur hors du réacteur ;
⹠un modérateur (sauf pour les réacteurs à neutrons rapides) qui permet de ralentir les neutrons ;
⹠des barres de commande qui contrÎlent la réaction en chaßne.
Pour ces constituants, notamment les trois premiers, il existe plusieurs possibilités. Par exemple,
le caloporteur peut ĂȘtre gazeux (gaz carbonique) ou liquide (eau). Cependant, parmi toutes les
combinaisons possibles entre les différents combustibles, caloporteurs ou modérateurs, seules
certaines ont été retenues et ont donné lieu à des réalisations industrielles. Les principales sont
décrites dans le tableau des différentes familles de réacteurs.
Les réacteurs à eau sous pression (REP)
La filiÚre des réacteurs à eau sous pression est la plus répandue dans le monde. Ces réacteurs
produisent environ la moitiĂ© de lâĂ©lectricitĂ© mondiale dâorigine nuclĂ©aire.
En France, tous les réacteurs nucléaires, mis à part Phénix, sont des REP :
⹠34 délivrent une puissance de 900 MWe (mégawatts électriques),
âą 20 une puissance de 1 300 MWe
âą et 4 une puissance de 1 450 MWe.
« Les rĂ©acteurs Ă eau sous pression produisent prĂšs de la moitiĂ© de lâĂ©lectricitĂ© dâorigine nuclĂ©aire
dans le monde. »
Les réacteurs à neutrons rapides (RNR)
Les rĂ©acteurs Ă neutrons rapides ont Ă©tĂ© conçus pour utiliser la matiĂšre fissile (lâuranium et le
plutonium) comme combustible nucléaire, plus complÚtement que dans les réacteurs à neutrons
thermiques.
Le fluide caloporteur peut ĂȘtre un mĂ©tal liquide, tel le sodium (PhĂ©nix) ou un gaz (lâhĂ©lium).
Ils présentent les avantages de pouvoir fabriquer de la matiÚre fissile (surgénérateur) ou, au
contraire, incinĂ©rer des dĂ©chets (actinides) Ă vie longue. « Les rĂ©acteurs Ă neutrons rapides nâutilisent
pas de modérateur. »
289
Les réacteurs à caloporteur gaz (RCG)
Lâutilisation de lâhĂ©lium comme caloporteur permet dâenvisager une gamme de rĂ©acteurs Ă cycle
direct (lâhĂ©lium Ă haute tempĂ©rature alimente directement, sans Ă©changeur intermĂ©diaire, le groupe
turbo-alternateur) avec un rendement thermodynamique élevé. Ils ont déjà été étudiés dans le passé,
mais bĂ©nĂ©ficient aujourdâhui des trĂšs importants progrĂšs accomplis en matiĂšre de turbine Ă gaz. Ils
sont susceptibles de permettre la rĂ©alisation dâunitĂ©s de petite taille (de 100 Ă 300 MWe), Ă©conomiques
et sûres.
Ce type de réacteur est également susceptible de fonctionner avec des neutrons rapides et donc de
présenter alors les avantages complémentaires des RNR.
Les différentes familles de réacteurs
FILIĂRES
COMBUSTIBLE
MODĂRATEUR
CALOPORTEUR
RĂ©acteur UNGG
(Uranium naturel graphite-gaz)
PremiÚre filiÚre développée en
France. Tous les réacteurs de
cette génération ont maintenant
Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s, le dernier en 1994.
Uranium
naturel
(0,7 % U-235)
Carbone solide
(graphite)
Gaz carbonique
RĂ©acteur CANDU
FiliÚre développée au Canada.
Uranium
naturel
Eau lourde*
Eau lourde sous
pression
RĂ©acteur RBMK
(
Reactor Bolchoe Molchnastie
Kipiachie
ou en français
« Réacteur bouillant de grande
puissance »). Ces réacteurs
constituent 40% du parc
nuclĂ©aire de lâancienne Union
SoviĂ©tique (ex. TchernobylâŠ).
Uranium enrichi
Ă 1,8% de U-235
Carbone
(graphite)
Eau bouillante
RĂ©acteur Ă eau bouillante (REB)
FiliĂšre dĂ©veloppĂ©e aux Ătats-
Unis, au Japon et en SuĂšde
Uranium enrichi
Ă 3% de U-235
Eau ordinaire entrant en Ă©bullition
dans le cĆur
RĂ©acteur Ă eau sous pression
(REP)
La filiĂšre la plus classique dans
le monde occidental. Elle est
également développée en ex-
URSS sous le nom de « VVER ».
Uranium enrichi
Ă 3% de U-235
Eau sous pression maintenue Ă lâĂ©tat
liquide. Lâeau sous pression est Ă la
fois le modérateur et le colporteur.
RĂ©acteur Ă neutrons rapides
(RNR)
La caractéristique de ces
rĂ©acteurs est quâils ne
comprennent pas de modérateur :
les neutrons restent rapides.
Un prototype en France :
le réacteur Phénix (250 MWe).
Uranium enrichi
ou plutonium
Aucun
Sodium liquide.
Ne ralentit pas
les neutrons
*Eau lourde : eau constituĂ©e de molĂ©cules dâeau dont lâatome dâhydrogĂšne est un atome de
deutĂ©rium, isotope lourd de lâhydrogĂšne.
Source : CEA 2004
290
RĂ©acteurs dans le monde
Génération
dâElectricitĂ©
Nucléaire 2002
RĂ©acteurs
Opérables
mars 2004
RĂ©acteurs sous
Construction mars
2004
RĂ©acteurs
Planifiées
mars 2004
RĂ©acteurs
Proposés
mars 2004
Besoin
dâuranium
2004
billion kWh
% e
No.
MWe
No.
MWe
No.
MWe
No.
MWe
tonnes U
Argentine
5.4
7.2
2
935
0
0
1
692
140
Arménie
2.1
4 1
1
376
0
0
0
0
54
Belgique
44.7
5 7
7
5728
0
0
0
0
1163
Brésil
13.8
4.0
2
1901
0
0
1
1245
303
Bulgarie
20.2
4 7
4
2722
0
0
0
0
1
1000
340
Canada
71.0
1 2
17
12054
1
515
2
1030
1692
Chine
57.4
**
15
11471
4
4500
4
3800
22
18000
2127
Tchéquie
18.7
2 5
6
3472
0
0
0
0
2
1900
474
Egypte
1
600
Finlande
21.4
3 0
4
2656
0
0
1
1600
542
France
415.5
7 8
59
63473
0
0
0
0
10181
Allemagne
162.3
3 0
18
20643
0
0
0
0
3704
Hongrie
12.8
3 6
4
1755
0
0
0
0
271
Inde
17.8
3.7
14
2493
9
4128
0
0
24
13160
299
Indonésie
2
2000
Iran
0
0
0
0
1
950
1
950
3
2850
125
Japon
313.8
3 9
53
44141
3
3707
13
16810
7661
Corée du
Nord
0
0
0
0
1
950
1
950
0
Corée du
S ud
113.1
3 9
19
15880
1
960
8
9200
2819
Lituanie
12.9
8 0
2
2370
0
0
0
0
290
Mexique
9.4
4.1
2
1310
0
0
0
0
233
Pays Bas
3.7
4.0
1
452
0
0
0
0
112
Pakistan
1.8
2.5
2
425
0
0
1
300
57
Roumanie
5.1
1 0
1
655
1
655
0
0
3
1995
90
Russie
130.0
1 6
30
20793
6
5475
0
0
8
9375
3013
Slovaquie
18.0
6 5
6
2472
0
0
0
0
2
840
370
Slovénie
5.3
4 1
1
676
0
0
0
0
128
Afrique du
Sud
12.0
5.9
2
1842
0
0
0
0
1
125
356
Espagne
60.3
2 6
9
7584
0
0
0
0
1629
SuĂšde
65.6
4 6
11
9429
0
0
0
0
1536
Suisse
25.7
4 0
5
3220
0
0
0
0
596
Ukraine
73.4
4 6
13
11268
2
1900
0
0
1512
R. Uni
81.1
2 2
27
12048
0
0
0
0
2488
USA
780.1
2 0 103
97452
1
1065
0
0
22353
Vietnam
2
2000
Monde
2574
1 6
440
361,696
3 0
24,805
3 3
36,577
71
54,000
66,658
Sources:
World Nuclear Association
25 mars 2004
Sources:
World Nuclear Association
25 mars 2004
291
6- Enrichissement
Il existe trois types dâenrichissement : diffusion gazeuse, dĂ©veloppĂ©e par Urenco, processus de
centrifuge, dĂ©veloppĂ©e par lâex-Union soviĂ©tique, et AVLIS, sĂ©paration par laser de vapeur atomique.
Lâenrichissement est lâun des Ă©tapes sensibles de non-prolifĂ©ration, car câest ici quâon pourra enrichir
lâuranium Ă des niveaux suffisants pour pouvoir lâutiliser dans une explosion nuclĂ©aire.
La diffusion gazeuse
Avant son enrichissement par ce procĂ©dĂ©, le tĂ©trafluorure dâuranium, obtenu aprĂšs extraction du
minerai et raffinage, sera transformĂ© en hexafluorure dâuranium (UF6) qui a la propriĂ©tĂ© dâĂȘtre gazeux
à partir de 56 °C.
Le procĂ©dĂ© par diffusion gazeuse consiste Ă faire passer lâUF6 Ă lâĂ©tat gazeux Ă travers une
multitude de « barriÚres » qui sont des membranes percées de trous minuscules. Les molécules
dâhexafluorure dâuranium-235, plus lĂ©gĂšres que celles dâhexafluorure dâuranium-238, traversent un
peu plus rapidement chaque barriĂšre, ce qui permet dâenrichir peu Ă peu lâuranium. Mais Ă©tant donnĂ©
la masse trĂšs voisine des deux isotopes, le ralentissement de lâuranium-238 est trĂšs faible par rapport
Ă celui de lâuranium-235. Câest pourquoi, en France, dans lâusine dâenrichissement de lâuranium (usine
Eurodif de Tricastin dans la vallée du RhÎne fournissant plus du tiers de la production mondiale
dâuranium enrichi), lâopĂ©ration doit ĂȘtre rĂ©pĂ©tĂ©e 1 400 fois pour produire un uranium assez enrichi en
uranium-235, alors utilisable dans des centrales nucléaires classiques.
L'ultracentrifugation
Un autre procĂ©dĂ© dâenrichissement de lâuranium est utilisĂ© Ă moins grande Ă©chelle par le groupe
europĂ©en Urenco (Allemagne, Pays-Bas, Grande-Bretagne) : câest lâultracentrifugation.
Ce principe de sĂ©paration utilise une centrifugeuse qui, telle une essoreuse Ă salade tournant Ă
grande vitesse, projette plus vite Ă sa pĂ©riphĂ©rie lâhexafluorure dâuranium-238 que lâhexafluorure
dâuranium-235 quâelle contient. La trĂšs lĂ©gĂšre diffĂ©rence de masse entre les deux molĂ©cules permet
ainsi dâaugmenter petit Ă petit la concentration en uranium-235. LĂ encore, de nombreuses Ă©tapes
successives sont nécessaires pour obtenir un enrichissement.
292
7- Sites nucléaires en Iran
1
1
Source: IAEA, Implementation of the NPT Safeguards Agreement in the Islamic Republic of Iran.
Vienne, 10 novembre 2003.
293
Usine de production de r
Ă©
acteurs
Ă
lâ
eau
lourde
Arak
R
Ă©
acteurs de
recherche
Complexe d
âenrichissement
de l
âuranium
Mines d
âuranium
Usine de conversion de minerai en fuel (UF
6
)
R
Ă©
acteur de
1000 MW
2 R
Ă©
acteurs
de 1000 MW
Exploitation Mini
Ăš
re U
3
0
8
Enrichisse
-
ment
Fabrication de Fuel UO
2
R
Ă©
acteur
Nucl
Ă©
aire
Retraitement
Bonab
Natanz
Ramsar
Planifi
Ă©
En op
Ă©ration
Sous construction
Conversion
UF4
(UF6
centrfg
)
Usine de production de r
Ă©
acteurs
Ă
lâ
eau
lourde
Arak
R
Ă©
acteurs de
recherche
Complexe d
âenrichissement
de l
âuranium
Mines d
âuranium
Usine de conversion de minerai en fuel (UF
6
)
R
Ă©
acteur de
1000 MW
2 R
Ă©
acteurs
de 1000 MW
Exploitation Mini
Ăš
re U
3
0
8
Enrichisse
-
ment
Fabrication de Fuel UO
2
R
Ă©
acteur
Nucl
Ă©
aire
Retraitement
Bonab
Natanz
Ramsar
Planifi
Ă©
Planifi
Ă©
En op
Ă©ration
En op
Ă©ration
Sous construction Sous construction
Conversion
UF4
(UF6
centrfg
)
294
8- Expérimentations nucléaires en Iran depuis 1977
1
1
Source : AIEA 2004.
295
9- Ogives Nucléaires dans le Monde
Pays
Ogives
Stratégiques
Ogives non
stratégiques
Ogives
Totale
USA
5 948
1 120
7 068 a
Russie
4 852
3 380
8 232 b
China
282
120
402
France
348
-
348
UK
185
-
185
Inde
-
-
(30-40) c
Pakistan
-
-
(30-50) c
Israël
-
-
(~200) c
Total
-
-
~16 500
Source:
Kristensen, H.M. & Kile, S., 'Appendix 15A. World Nuclear Forces',
SIPRI Yearbook 2003.
Note : Tel que défini par le TNP de 1968 seule les états qui avaient fabriqué et explosé une
bombe nucléaire avant janvier 1967 sont considérés comme puissances nucléaires reconnues.
Basé sur cette définition la Chine la France, la Russie, l'Royaume Uni et les Etats Unis sont
légalement reconnus comme états nucléaires. L'Inde, le Pakistan et l'Israël ne sont pas membres
du TNP.
a : Le total dâUSA y compris rĂ©serves est e 10 600 ogives et 5000 plutonium pits en stockage.
b : Le total de la Russie contient 18 000 ogives mais 9800 sont en stockage en attente de démontlement
c : Partiellement déployées.
296
10- Population de lâIran et sa croissance
297
11- Structure du pouvoir constitutionnel en Iran
1
1
International Crisis Group, Iran: the Struggle for the Revolutionâs Soul. Bruxelles, 5 aout 2002. P.
37.