Poser la question de l'idée
dans le cinéma en passant tout d'abord par l'étude
de la question des films de propagande est d'autant plus
justifié que les premiers cinéastes ayant
affirmé qu'il y avait de l'idée dans le
cinéma, également partisans du "montage-roi",
sont aussi ceux qui ont utilisé le pouvoir de l'image
pour servir une idéologie : Dziga Vertov, responsable
des films de propagande et des actualités du régime
soviétique naissant ou encore Eisenstein.
Il est vrai que la finalité
du cinéma de Dziga Vertov : "saisir la réalité
sur le vif ", prendre les images au sein de la vie
même, une recherche de l'objectivité absolue
donc, semble très éloigné d'un cinéma
servant une idéologie, et pourtant, c'est par les
principes même de ce "cinéma-vérité"
que résulte un cinéma subjectif, un cinéma
présentant une réalité "pensée"
: "Le réalisateur, s'effaçant derrière
l'objectivité absolue - ou tenue pour telle- de
la caméra, enregistrait une quantité de
documents à partir d'un thème assez vague
qui servait de fil conducteur. L'art consistait simplement
à "cadrer" les prises de vues, à
les ordonner et à les monter. La signification
résultait du sens qui prenaient les faits ainsi
rapportés entre eux. Pris sur le vif, ils se trouvaient
"orientés", transformés, en raison
du rôle qu'on leur faisait jouer dans la continuité.
[ ] L'objectivité poursuivie n'était
en fin de compte qu'un trompe-l'il ou un mythe
" (J.Mitry, " Les débuts du montage ",
dans Esthétique et psychologie du cinéma).
Dans cette citation de J.Mitry expliquant
les principes du cinéma de D.Vertov, nous pourrions
prendre son terme "simplement" ("L'art
consistait simplement ") pour ironique car c'est
justement parce que D.Vertov cadre, ordonne et monte ces
fragments "pris sur le vif" qu'il n'y a pas
objectivité mais une réalité "orientée",
"orientée" selon un discours, une idéologie.
A la différence de D.Vertov,
Eisenstein a théorisé cette même idée,
bien qu'il insiste plus sur la portée signifiante
du montage que sur celle du cadrage, selon laquelle :
"Ce n'est pas le cours du monde qu'il nous montre:
mais toujours, comme il dit, le cours du monde réfracté
à travers un "point de vue idéologique"
entièrement pensé, signifiant de part en
part. Le sens ne suffit pas, il faut que s'y ajoute la
signification." (C.Metz, " L'esprit manipulateur
", dans " Le cinéma, langue ou langage
? ", Essais sur la signification au cinéma,
tome 1).
Selon Eisenstein, "le montage est
un discours, la pensée par l'image, une nouvelle
écriture idéographique. L'image en soi n'a
pas de sens, n'est même pas un objet théorique,
il ne peut être question d'image qu'en relation
avec le montage. [ ] chaque fragment de film soit
une cellule organique d'un tout conçu organiquement"
(Ishaghpour, D'une image à l'autre : la nouvelle
modernité du cinéma).
Nous pourrions réduire la thèse
de Eisenstein à une phrase, phrase qui est d'ailleurs
une citation de celui-ci : "Le montage est pour moi
le moyen de donner le mouvement (c'est-à-dire l'idée)
à deux images statiques".
Nous pouvons alors résumer
la thèse de l'école soviétique ainsi
: ils "en vinrent à considérer les
images-idées comme autant de signes. En les assemblant,
il devait être possible de développer des
idées dialectiquement, de constituer une sorte
de discours où les images, ne mettant en cause
que des idées indépendantes de leur contenu
immédiat, ne suivraient d'autre développement
que celui imposé par la logique de ce discours."
(J.Mitry, "Les débuts du montage", dans
Esthétique et psychologie du cinéma).
"Il ne s'agit pas d'opposer aux
options politique d'Eisenstein je ne sais quelle objectivité.
On reconstitue un double de l'objet initial, un double
totalement pensable puisque pur produit de la pensée
: c'est l'intelligibilité de l'objet devenue elle-même
un objet.", une image filmique est donc toujours
produit de la pensée, qu'elle soutienne une idéologie
ou non, un film, quel qu'il soit, pourrait donc contenir
des idées.
Les films de propagande de l'école
soviétique ont su user des pouvoirs de l'image
filmique lui permettant de faire passer l'idéologie
communiste avec une extraordinaire force, nous dirons
plutôt que de conviction, de persuasion, puisqu'il
s'agit de transmettre des "idées" en
passant tout d'abord par l'émotion," "De
tous les arts - disait Lénine - le cinéma
est pour nous le plus important" Conscient de l'immense
influence et du pouvoir de propagande du cinéma,
des trains, dont les wagons étaient transformés
en salle de projection, sillonnent la Russie tout entière
pendant la guerre civile de 1918-1920. Ces films projetés
- dits "agit films" - présentaient des
informations, des messages idéologiques communistes,
et distillaient à une population illettrée
à 90% des renseignements pratiques, comme par exemple
la démonstration de méthodes de travail
plus efficaces." ( Dominique Auzel, "Les maîtres
du cinéma soviétiques", dans Le cinéma).
Les pouvoirs de l'image filmique utilisés par l'école
soviétique pour signifier une idéologie,
voire une "idée", sont :
l'impression de réalité qui permet
de faire croire aux spectateurs que le film présente
la réalité telle qu'elle est, alors
qu'il ne s'agit que de la vision du monde de l'auteur
du film, donc, d'une certaine manière, que
d'un point de vue
les moyens de donner une signification à
cette perspective :
· tout d'abord, le montage, outil du pouvoir
de l'image le plus souvent utilisé par les réalisateurs
servant l'idéologie soviétique, permettant
l'association d'images, certains diront d'idées,
que les spectateurs n'auraient pas rapproché
naturellement
· mais aussi la mise en scène, c'est-à-dire
le cadrage des différents plans: prenons l'exemple
du documentaire, " Le triomphe de la volonté
" de Leni Riefenstahl, celui-ci célèbre
Hitler en filmant un congrès du parti nazi en
1934, elle y accumule travellings et contre-plongée
sur une foule en délire face à un tyran
qui, grâce à des cadrages savants, apparaît
comme un héros et un sauveur
· ou encore la musique, dictant aux spectateurs
les sentiments qui doivent accompagner sa vision des
images : par exemple, la joie, la fierté face
à des images d'un peuple travaillant la terre.
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