REVUE 11

La propagande de l'école soviétique : les images-idées

Aurore CRESSON

 

Poser la question de l'idée dans le cinéma en passant tout d'abord par l'étude de la question des films de propagande est d'autant plus justifié que les premiers cinéastes ayant affirmé qu'il y avait de l'idée dans le cinéma, également partisans du "montage-roi", sont aussi ceux qui ont utilisé le pouvoir de l'image pour servir une idéologie : Dziga Vertov, responsable des films de propagande et des actualités du régime soviétique naissant ou encore Eisenstein.

Il est vrai que la finalité du cinéma de Dziga Vertov : "saisir la réalité sur le vif ", prendre les images au sein de la vie même, une recherche de l'objectivité absolue donc, semble très éloigné d'un cinéma servant une idéologie, et pourtant, c'est par les principes même de ce "cinéma-vérité" que résulte un cinéma subjectif, un cinéma présentant une réalité "pensée" : "Le réalisateur, s'effaçant derrière l'objectivité absolue - ou tenue pour telle- de la caméra, enregistrait une quantité de documents à partir d'un thème assez vague qui servait de fil conducteur. L'art consistait simplement à "cadrer" les prises de vues, à les ordonner et à les monter. La signification résultait du sens qui prenaient les faits ainsi rapportés entre eux. Pris sur le vif, ils se trouvaient "orientés", transformés, en raison du rôle qu'on leur faisait jouer dans la continuité. […] L'objectivité poursuivie n'était en fin de compte qu'un trompe-l'œil ou un mythe… " (J.Mitry, " Les débuts du montage ", dans Esthétique et psychologie du cinéma).

Dans cette citation de J.Mitry expliquant les principes du cinéma de D.Vertov, nous pourrions prendre son terme "simplement" ("L'art consistait simplement…") pour ironique car c'est justement parce que D.Vertov cadre, ordonne et monte ces fragments "pris sur le vif" qu'il n'y a pas objectivité mais une réalité "orientée", "orientée" selon un discours, une idéologie.

A la différence de D.Vertov, Eisenstein a théorisé cette même idée, bien qu'il insiste plus sur la portée signifiante du montage que sur celle du cadrage, selon laquelle : "Ce n'est pas le cours du monde qu'il nous montre: mais toujours, comme il dit, le cours du monde réfracté à travers un "point de vue idéologique" entièrement pensé, signifiant de part en part. Le sens ne suffit pas, il faut que s'y ajoute la signification." (C.Metz, " L'esprit manipulateur ", dans " Le cinéma, langue ou langage ? ", Essais sur la signification au cinéma, tome 1).

Selon Eisenstein, "le montage est un discours, la pensée par l'image, une nouvelle écriture idéographique. L'image en soi n'a pas de sens, n'est même pas un objet théorique, il ne peut être question d'image qu'en relation avec le montage. […] chaque fragment de film soit une cellule organique d'un tout conçu organiquement" (Ishaghpour, D'une image à l'autre : la nouvelle modernité du cinéma).

Nous pourrions réduire la thèse de Eisenstein à une phrase, phrase qui est d'ailleurs une citation de celui-ci : "Le montage est pour moi le moyen de donner le mouvement (c'est-à-dire l'idée) à deux images statiques".

 

Nous pouvons alors résumer la thèse de l'école soviétique ainsi : ils "en vinrent à considérer les images-idées comme autant de signes. En les assemblant, il devait être possible de développer des idées dialectiquement, de constituer une sorte de discours où les images, ne mettant en cause que des idées indépendantes de leur contenu immédiat, ne suivraient d'autre développement que celui imposé par la logique de ce discours." (J.Mitry, "Les débuts du montage", dans Esthétique et psychologie du cinéma).

vertov_citycamerax.

"Il ne s'agit pas d'opposer aux options politique d'Eisenstein je ne sais quelle objectivité. On reconstitue un double de l'objet initial, un double totalement pensable puisque pur produit de la pensée : c'est l'intelligibilité de l'objet devenue elle-même un objet.", une image filmique est donc toujours produit de la pensée, qu'elle soutienne une idéologie ou non, un film, quel qu'il soit, pourrait donc contenir des idées.

 

Les films de propagande de l'école soviétique ont su user des pouvoirs de l'image filmique lui permettant de faire passer l'idéologie communiste avec une extraordinaire force, nous dirons plutôt que de conviction, de persuasion, puisqu'il s'agit de transmettre des "idées" en passant tout d'abord par l'émotion," "De tous les arts - disait Lénine - le cinéma est pour nous le plus important" Conscient de l'immense influence et du pouvoir de propagande du cinéma, des trains, dont les wagons étaient transformés en salle de projection, sillonnent la Russie tout entière pendant la guerre civile de 1918-1920. Ces films projetés - dits "agit films" - présentaient des informations, des messages idéologiques communistes, et distillaient à une population illettrée à 90% des renseignements pratiques, comme par exemple la démonstration de méthodes de travail plus efficaces." ( Dominique Auzel, "Les maîtres du cinéma soviétiques", dans Le cinéma). Les pouvoirs de l'image filmique utilisés par l'école soviétique pour signifier une idéologie, voire une "idée", sont :

 

  • l'impression de réalité qui permet de faire croire aux spectateurs que le film présente la réalité telle qu'elle est, alors qu'il ne s'agit que de la vision du monde de l'auteur du film, donc, d'une certaine manière, que d'un point de vue

 

  • les moyens de donner une signification à cette perspective :
 


· tout d'abord, le montage, outil du pouvoir de l'image le plus souvent utilisé par les réalisateurs servant l'idéologie soviétique, permettant l'association d'images, certains diront d'idées, que les spectateurs n'auraient pas rapproché naturellement


· mais aussi la mise en scène, c'est-à-dire le cadrage des différents plans: prenons l'exemple du documentaire, " Le triomphe de la volonté " de Leni Riefenstahl, celui-ci célèbre Hitler en filmant un congrès du parti nazi en 1934, elle y accumule travellings et contre-plongée sur une foule en délire face à un tyran qui, grâce à des cadrages savants, apparaît comme un héros et un sauveur


· ou encore la musique, dictant aux spectateurs les sentiments qui doivent accompagner sa vision des images : par exemple, la joie, la fierté face à des images d'un peuple travaillant la terre.

 

Je rappelle que toutes les illustrations et textes cités sur ce site restent la propriété de leurs ayants droit légitimes. Ils seront retirés à leur demande. Toute utilisation à but commercial de matériel se trouvant sur ce site sans autorisation de leurs ayants-droit est bien entendue proscrite.

REVUE 11