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Entre l’espoir et le faux-mage

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Préambule

par Jacques Poustis

J’aurais voulu, en préambule, vous dire que :

« S’il est quelque espoir de venir, un jour, à bout de l’illusion métapsychiste [1], et, plus généralement, des illusions qui nourrissent les fausses sciences, c’est moins par l’opposition directe que par le moyen d’une éducation convenable, d’une hygiène préventive du jugement. Enseigner aux jeunes l’esprit critique, les prémunir contre les mensonges de la parole et de l’imprimé, créer en eux un terrain spirituel [2] où la crédulité ne puisse prendre racine, leur enseigner ce que c’est que coïncidence, probabilité, raisonnement de justification, logique affective, résistance inconsciente au vrai, leur faire comprendre ce que c’est qu’un fait et ce que c’est qu’une preuve, - et surtout les mettre en garde contre le témoignage humain, en leur faisant apprendre par cœur l’histoire de la « dent d’or » [3] et en les faisant réfléchir sur celle des rayons N... Je me souviens que, dans mon adolescence, je lisais avec une vive curiosité les ouvrages métapsychiques d’Albert de Rochas, et notamment son Extériorisation de la sensibilité (Chacornac, 1909). Il est fait état, dans ce livre, de certaines expériences où un sujet « sensitif » (vingt-deux fois sur vingt-deux essais) distingue les pôles d’un électro-aimant par la coloration différentielle des « effluves polaires », ceux-ci étant bleus au-dessus du pôle nord, rouge au- dessus du pôle sud. Or, il m’était impossible, à cet âge, de penser que tout cela - si scrupuleusement observé en apparence, et si précisément décrit - était entièrement faux. De même, lorsqu’une personne racontait devant moi quelque histoire « supranormale », je ne me sentais pas le droit de refuser systématiquement son témoignage. Autodidacte de l’incrédulité, j’ai appris, j’ai compris peu à peu qu’une foule de livres sont purement formés de mensonges, qu’il y a des bibliothèques entières d’imposture, que les gens les plus intelligents et les plus instruits ne sont pas ceux qui, en ce domaine, disent le moins de sottises et répandent le moins d’erreurs. J’ai appris que rien, jamais, ne s’est passé comme on le rapporte, que, même loyal et désintéressé, un témoin fabule toujours sans le vouloir, sans le savoir ; j’ai appris à suspecter partout l’infime déformation, involontaire et invisible, qui suffit à tout fausser et à empêcher un « fait » d’être un fait... Mais, cet acquis, ce trésor de scepticisme, il est, hélas, impossible de le communiquer directement à autrui. Et, quand on le porte en soi, l’on parait atteint d’une sorte de doute névrotique, alors qu’on possède simplement le minimum de défiance qui s’impose » [4]

Voilà. Ce n’est sûrement pas mot pour mot ce que je voulais vous dire dans ce préambule, car Jean Rostand (auteur des lignes ci-dessus) était doué d’un savoir, d’une lucidité et d’un sens de la formule que je ne pourrai - à jamais hélas - que jalouser...

Ce paragraphe pourra être retrouvé aux pages 57 et 58 de la quinzième édition du livre « Science fausse et fausses sciences » de Jean Rostand (Gallimard, 1958). Admirable J. Rostand, dont « Les pensées » et « Les inquiétudes » traînent toujours sur ma table de chevet, prêtes à combler d’intelligence les trous noirs de mes nuits blanches. Admirable J.R., adversaire de l’univers impitoyable de ces Dallas de la crédulité, qui ne laissent pourtant personne indifférent, que l’on soit public béat ou désespéré, amusé ou révolté, attiré ou révulsé, attendri ou excédé, comme devant ces feuilletons télévisés interminables et sans génie, mais qui parviennent malgré tout à titiller nos affects les plus sensibles...

(à bientôt...)



[1] depuis la fin du XIXe (époque où le terme « spiritisme », fut jugé trop connoté de religiosité par les thuriféraires de la « médiumnité et autres pouvoirs réels mais encore inexplicables ») on parla dans les pays anglo-saxons de « parapsychologie » (Max Dessoir en Allemagne dès 1889, Joseph Bank Rhine pour son « Parapsychology laboratory » américain en 1934), alors que dans le même temps, sur proposition, dès 1905, de Charles Richet, on préféra longtemps utiliser en France le terme de « métapsychique ». Un consensus semble se faire aujourd’hui autour de l’appellation « parapsychologie » pour regrouper les capacités présumées de « clairvoyance », de « télépathie » et de « psychokinèse », et du terme plus généraliste de « paranormal » pour tout ce qui touche l’extraordinaire (parapsychologie, mais aussi : poltergeist, guérisons miraculeuses, lévitation, don d’ubiquité, communications avec les morts...). Autant de disciplines qui n’ont pas dépassé à ce jour, faut-il le rappeler, le stade d’attendrissantes hypothèses.

[2] on comprendra, surtout en connaissant le tempérament « agnostique ascendant athée » de l’auteur, que le terme de « terrain de spiritualité » est pris ici dans le sens de « intellectualité ».

[3] pour connaître ce petit conte rationaliste, taper « la dent d’or Fontenelle » dans votre moteur de recherche préféré...

[4] bien trop modeste ce Jean Rostand qui termine le paragraphe en regrettant que le scepticisme ne puisse se transmettre à autrui. Et c’est lui qui dit cela ! Lui qui se dépensa sans compter, parallèlement à sa vie passionnée de biologiste, pour promouvoir le raisonnement scientifique et l’esprit critique, à l’encontre des opinions ou des convictions personnelles si souvent travesties en vérités universelles ! Lui qui, le premier, me fit comprendre l’évidente nécessité pour l’hygiène intellectuelle, de ne jamais confondre l’indispensable rêve avec l’incontournable réalité !

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