Chapitres de l'histoire
Un programme consacré aux grands moments de l'histoire tchèque, mais aussi aux événements de moindre importance qui ne sont pas pour autant moins intéressants.
Le mécénat : une tradition tchèque[11-04-2007 13:08 UTC]
Par David Alon
Quand on parle aujourd'hui culture en Europe, on parle aussi de politique
culturelle et de subventions. Le soutien financier à l'art n'est pourtant
pas nouveau puisqu'il s'est traduit de longue date, et particulièrement en
Bohême, par le mécénat. Retour sur une tradition tchèque, qui va bien
au-delà de la culture.
Rodolphe II installe la résidence impériale à Prague en 1583. Souhaite-t-il
fuir les intrigues de cour ou bien le danger turc ? Toujours est-il qu'il
aime séjourner au Château de Prague, d'où ses réserves de chasse sont
toute proches. Mais, plus que le gibier, ce sont les arts et les sciences
qui constitueront la véritable passion du souverain.
En se faisant mécène, Rodolphe II obéit certes à un intérêt sincère. En
1595, il confirme, par une lettre de Majesté, les privilèges de la
corporation des peintres. Mais ce faisant, il se conduit aussi en
véritable prince humaniste, perpétuant la tradition du mécénat, véritable
obligation pour un roi de la Renaissance digne de ce nom. Ferdinand Ier
n'avait pas fait autre chose, de même que Philippe II à l'Escorial.
Rodolphe lui-même se sera fait représenter de différentes manières. Sous
forme de portraits ou encore en prince typique de la Renaissance, mode
néo-antique: on le voit en armure, couronné de lauriers ou entouré de
figures allégoriques symbolisant une illustre descendance.
Rodolphe II acquiert des Titien, des Dürer ou des Brueghel, qu'il installe
dans la Chambre des Arts, et notamment dans la Salle espagnole. Il
demandera même à ce que «La Madone des Roses», de Dürer, soit transporté à
dos d'homme plutôt qu'en calèche, depuis Venise. La plupart de ces oeuvres
d'art seront pillées lors de la Guerre de Trente Ans.
L'action de Rodolphe n'en aura pas moins permis de former des artistes
locaux, à une époque où la diffusion des idées et des arts n'est pas aussi
facile qu'aujourd'hui. Couleur, composition, modèles, les peintres tchèques
disposent à la Cour de la matière nécessaire à l'étude. Les peintres
tchèques du premier baroque, comme Karel Skreta, sauront en profiter.
L'imagerie populaire a retenu la légende du roi mystique. Pourtant,
Rodolphe II a surtout fait de Prague un centre culturel important en
Europe. Pour cela, il a su s'entourer d'artistes de valeur en leur offrant
une position à la Cour ainsi que des revenus importants. Position sociale
en anoblissant, comme le peintre d'Anvers Bartholomeus Spranger. L
'Italien Giuseppe Arcimboldo, anobli en 1560, se verra même décerner le
titre de comte palatin pour ses célèbres «Vertumnus», portraits de
Rodolphe II en forme de fruits et de fleurs. Parmi les artistes célèbres
passés à la Cour de Rodolphe II, citons aussi le sculpteur de La Haye
Adrian de Vries.
Du XVIIe au XIXe siècle, le mécénat s'élargit peu à peu, en même temps
qu'il épouse l'évolution sociale et politique des siècles. Après le
mécénat du Prince, voici, aux XVIIe et XVIIIe siècles, le mécénat des
grands nobles. Dans ces deux cas de figure, il s'agit avant tout d'exalter
sa propre puissance.
Au XIXe et au début du XXe siècle, la tradition du mécénat se développe
mais surtout, son but est désormais d'affirmer l'indépendance de la nation
tchèque.
Prague est alors à l'avant-garde de l'Europe en matière architecturale.
Loin de signifier un repli sur soi, la période voit l'ouverture totale de
la Bohême à l'Europe. Peintres et architectes tchèques sont formés à
Vienne ou à Paris.
Les banques tchèques, qui s'imposent peu à peu face aux banques de Vienne,
deviennent de grands mécènes collectifs, en passant commande, pour leurs
propres édifices, aux architectes et décorateurs tchèques. La Banque
Régionale est ainsi conçue par Oskar Polivka dans un style
néo-Renaissance. A l'intérieur, Max Svabinsky a peint deux allégories du
Commerce et de l'Industrie dans le style Art nouveau.
La municipalité de Prague se fait également mécène actif. Elle encourage
ainsi l'édification de sculptures dédiées aux grands hommes de l'histoire
tchèque. Ainsi la célèbre statue équestre de saint Venceslas par Myslbek,
actuellement en haut de la place Venceslas. Myslbek illustrera également
les grands mythes tchèques, avec ses sculptures de Libuse et de Premyslide
le Laboureur, dans les jardins de Vysehrad. Citons enfin la statue de Jan
Hus, par Saloun en 1915, sur la place de la Vieille-Ville.
C'est également la mairie de Prague qui est à l'origine de la magnifique
Maison municipale, construite de 1905 à 1911 par Balsanek et Polivka.
C'est un lieu de représentation et de sociabilité, avec ses salles de
concerts et ses salons luxueux. Mais c'est aussi un véritable symbole de
la future indépendance, à une époque où l'élément tchèque a supplanté
l'élément allemand à Prague. Dans la salle du maire, Alfons Mucha a peint,
sur le plafond circulaire, l'envol du faucon, allégorie de l'essor de la
nation tchèque.
Parfois, ce sont même des particuliers qui pratiquent un mécénat
prestigieux. Grand collectionneur, le chevalier Von Lanna finance la
construction du musée des Arts et Métiers sur les bords de la Vltava, sur
l'actuelle place Jan Palach. L'Ecole des arts et métiers de Prague sera la
première en Europe avec celle de Vienne. Sa réputation dans l'affiche ou la
verrerie prévaut encore aujourd'hui.
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