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Actualité - L'économie vue par Philippe Chalmin |
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« La malédiction des matières premières » |
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Philippe Chalmin, professeur associé à l’université de Paris-Dauphine, est l’un des grands spécialistes européens des matières premières. Il explique les raisons de la flambée des prix des matières fossiles, minières ou agricoles. Et les conséquences sur l’économie mondiale et sur les pays émergents… qui n’en profitent pas. | |
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Comment se fait-il qu’aujourd’hui les matières premières intéressent de plus en plus les médias et les économistes, alors qu’elles étaient le plus souvent ignorées ?
Nous sommes au cœur d’un choc des marchés des matières premières, et plus largement des commodities, notion plus large qui intègre aussi les produits transformés. Ce choc des prix est équivalent à ce que l’on a connu au début des années 1970 avec le premier choc pétrolier, l’émergence de l’arme alimentaire… Les prix de nombreuses matières minérales, de métaux, flambent. Et nous assistons à une remontée des prix des produits agricoles, comme les céréales, le caoutchouc… Il est vrai qu’entre ces deux grands chocs on a connu une période de prix plutôt déprimés. De ce fait, les marchés internationaux des matières premières n’intéressaient pas grand monde.
Quelles sont les composantes
de ce choc des prix ?
Nous sommes à un de ces moments clés de l’histoire des marchés marquée par un déséquilibre entre l’offre et la demande. D’un côté, nous connaissons, depuis 2002, une croissance économique de l’ordre de 4 à 5 % par an, croissance qui se traduit par une augmentation des besoins en matières premières pour faire tourner les usines qui doivent répondre aux demandes croissantes des marchés. Il y a eu également un élément déclencheur : l’émergence de la Chine, devenue importateur net de commodities, et ceci dans des proportions que personne n’avait imaginées. La Chine est à l’origine de toutes les flambées de prix qui sont intervenues à partir de 2002. Cela a commencé avec la hausse du fret maritime, s’est poursuivi avec la hausse de l’énergie, des métaux, et continue maintenant avec les produits agricoles.
D’un autre côté, nous connaissons une offre dont les capacités de production n’avaient pas été renouvelées, tout simplement parce que les prix bas de la fin du XXe siècle n’ont pas incité à l’effort d’investissement nécessaire pour forer des puits de pétrole, ouvrir des chantiers miniers, développer la recherche agronomique ou de nouvelles plantations.
Ainsi le choc que nous vivons aujourd’hui est-il le résultat de la conjonction de la dynamique de la demande et de la stagnation de l’offre. Pour de très nombreux produits, nous sommes en situation structurellement déficitaire. C’est le cas de l’énergie, du pétrole, de la plupart des grands métaux : nickel, cuivre, zinc, plomb, aluminium, minerai de fer. C’est maintenant le cas de certains produits agricoles comme les céréales. Ce déséquilibre de l’offre et de la demande explique la flambée des cours depuis maintenant trois ans.
Les facteurs de hausse
des produits agricoles
sont-ils durables ?
Ce sont les mêmes facteurs que pour les autres matières premières : augmentation de la demande liée à la démographie, à la croissance économique, à un enrichissement des populations dans certains pays émergents, avec des changements dans les modes de consommation, notamment un développement des consommations de protéines animales. C’est ainsi que les Chinois consomment de plus en plus de viandes blanches, volailles et porcs, au point que la Chine est devenue le premier importateur mondial de soja pour nourrir ses animaux d’élevage.
Réciproquement, il y a une offre qui a été contrainte jusque-là parce qu’on était plutôt habitué à avoir des guerres de prix. Les grands pays agricoles exportateurs avaient tendance à freiner la production : le monde était tellement dans la perspective d’excédents alimentaires qu’un certain nombre de pays ont développé une doctrine de malthusianisme agricole, avec la mise en œuvre de gel des terres, de friches obligatoires, de quotas de production.
Les producteurs profitent-ils
de cette hausse des prix
des matières premières ?
Les producteurs de matières premières, hors agriculture, ne profitent pas de ces hausses. Le plus souvent, dans les pays riches en matières premières, il y a captation de la rente économique par les élites locales. Quand on regarde l’utilisation de la rente pétrolière issue des premiers chocs pétroliers, on constate qu’il n’y a eu aucun développement économique. Dans certains cas, la production par tête a même régressé. C’est le cas, par exemple, de pays comme le Nigeria, l’Algérie, l’Indonésie, la Libye, l’Irak ou l’Iran. L’argent du pétrole pour ces pays a été plus une malédiction qu’une chance. Seule l’Arabie Saoudite fait, un peu, exception. Quant au Venezuela, ses dirigeants viennent de consacrer une part importante de ses ressources pétrolières à acheter de l’armement. Ce que je viens de dire pour le pétrole peut également être dit pour les ressources minières. La république démocratique du Congo, avec son abondance de ressources minières, aurait dû être un pays très riche, alors que c’est un des pays les plus pauvres du monde.
On le voit bien aussi dans les pays d’Afrique avec les produits tropicaux. La rente du cacao ivoirien a été plutôt bien utilisée à l’époque du président Houphouët-Boigny. Aujourd’hui, le cacao finance la guerre. J’ai une théorie que j’appelle « la malédiction des matières premières », c’est-à-dire que la richesse en matières premières est plus une entrave qu’une chance pour le développement…
Cependant, trois pays ont bien géré leur rente : la Norvège, pour le pétrole, un cas d’école, avec la création d’un fonds pour les générations futures ; le Chili, qui a bien utilisé les produits de la rente du cuivre pour financer les investissements de l’Etat ; la Malaisie, sortie des matières premières tout en restant producteur de caoutchouc et d’huile de palme. N’oublions pas l’Algérie qui vient de rembourser l’intégralité de sa dette grâce aux produits de sa rente pétrolière.
Philippe Chalmin est aussi l’initiateur et coordinateur de Cyclope, la « bible » annuelle des marchés mondiaux. Il vient de publier Le Siècle de toutes les espérances, éd. Belin. Acheter ce livre sur l'Arrêt aux pages.com
Alimentation : l’enjeu des OGM
Si nous n’avions pas de problème d’équilibre de la production agricole mondiale à l’horizon de trente ans, les OGM ne seraient peut-être pas nécessaires. Mais les OGM vont devenir d’une importance cruciale parce qu’il faudra d’ici à trente ans, pour la seule production alimentaire, doubler la production agricole à surface cultivée constante. En effet, du côté de la demande, nous serons en 2050 neuf milliards d’êtres humains, contre six milliards aujourd’hui, dont un milliard qui ne mange pas à sa faim. Et l’on peut espérer que les pays émergents continueront d’accroître leur pouvoir d’achat. Or la conquête de nouvelles terres à défricher sera très limitée et ne compensera pas la déprise foncière due au développement des villes, des routes, des aéroports… Ainsi la Chine perd entre 800 000 et 1 million d’hectares chaque année avec le développement de l’urbanisation. Une situation potentiellement déficitaire pour les productions agricoles et alimentaires est en train de se développer au niveau mondial.
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Philippe Chalmin :
« Il y a déséquilibre entre l’offre
et la demande »
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