R
econstRuiRe
les
défenses
de
l
âA
méRique
Un rapport du
Projet pour le Nouveau SiÚcle Américain
Septembre 2000
Traduit de lâamĂ©ricain
par
Pierre-Henri Bunel
âą
Correcteur du texte en français
Stéphane Barthe
âą
Mise en page par ReOpen911
La stratégie, les forces armées
et les ressources
pour un siĂšcle nouveau
Fondé au printemps 1997, le Projet pour le Nouveau SiÚcle Américain est un organisme pédagogique à but non
lucratif dont lâobjectif est de promouvoir la domination des Ătats-Unis sur le monde. Le projet est une initiative du
Projet pour une Nouvelle Citoyenneté. Son président est William Kristol ; Robert Kagan, Devon Gaffney Cross, Bruce
P. Jackson et John R. Bolton en sont les directeurs et Gary Schmitt en est le directeur exécutif.
« Au moment oĂč le XXe siĂšcle touche Ă sa fin, les Ătats-Unis se trouvent
ĂȘtre la puissance mondiale la plus prĂ©Ă©minente. AprĂšs avoir conduit
lâOccident Ă la victoire dans la guerre froide, lâAmĂ©rique fait face Ă
une occasion favorable et Ă un dĂ©fi : Les Ătats-Unis envisagent-ils de
tirer parti des rĂ©ussites des derniĂšres dĂ©cennies ? Les Ătats-Unis sont-
ils rĂ©solus Ă modeler un siĂšcle favorable aux principes et aux intĂ©rĂȘts
américains ? »
« [Ce dont nous avons besoin, câest dâ] une armĂ©e
1
puissante et prĂȘte
Ă faire face aux dĂ©fis prĂ©sents et Ă venir, dâune politique Ă©trangĂšre qui
promeuve hardiment et rĂ©solument les principes amĂ©ricains Ă lâĂ©tran-
ger, dâun pouvoir national qui accepte les responsabilitĂ©s mondiales des
Ătats-Unis. »
« Naturellement, les Ătats-Unis doivent se montrer prudents dans la fa-
çon dâexercer leur puissance. Seulement, on ne peut en toute sĂ©curitĂ©
dissocier les responsabilitĂ©s de la domination mondiale des coĂ»ts quâen-
traĂźne lâexercice de cette autoritĂ©. LâAmĂ©rique joue un rĂŽle vital dans
le maintien de la paix et de la sécurité en Europe, en Asie et au Moyen-
Orient. Si nous ne prenons pas nos responsabilités, nous susciterons des
dĂ©fis envers nos intĂ©rĂȘts fondamentaux. Lâhistoire du XXe siĂšcle doit
nous enseigner quâil est important dâorganiser les situations avant que
les crises ne surviennent et de faire face aux menaces avant quâelles ne
deviennent extrĂȘmes. Lâhistoire du XXe siĂšcle doit nous inciter Ă pren-
dre fait et cause pour la domination américaine. »
â TirĂ© de la dĂ©claration fondatrice du Projet, f :
Les principes
Ă
pRopos
du
p
Rojet
pouR
le
n
ouveAu
s
iĂšcle
A
méRicAin
____PROJECT FOR THE NEW AMERICAN CENTURY____
1150 Seventeenth Street, N.W., Suite 510, Washington, D.C. 20036
Telephone: (202) 293-4983 / Fax: (202) 293-4572
1 Il sâagit ici des forces armĂ©es en gĂ©nĂ©ral. Celles-ci se composent aux Ătats-Unis de quatre « services », ou armĂ©es :
lâarmĂ©e de Terre, la Marine, les Marines et lâarmĂ©e de lâAir.
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La stratégie, les forces armées
et les ressources
pour un siĂšcle nouveau
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Coprésidents du Projet
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homAs
d
onnelly
Auteur principal
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econstRuiRe
les
défenses
de
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âA
méRique
La stratégie, les forces armées et les ressources pour un siÚcle nouveau
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . i
Idées maßtresses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .iv
Pourquoi une nouvelle Ă©tude sur la DĂ©fense ? . . . . . . . . . . . 1
II Quatre missions essentielles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
III Le redéploiement des forces actuelles . . . . . . . . . . . . . . . 14
IV Reconstruire les forces armées actuelles . . . . . . . . . . . . . 22
Créer la force dominante de demain . . . . . . . . . . . . . . . 51
VI Les dépenses de défense . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70
Les participants au projet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78
s
ommAiRe
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
i
Ă©dition du 09/06/08
intRoduction
Le Projet pour le nouveau siÚcle américain a
été fondé au printemps 1997. DÚs le début de ses
activitĂ©s, le Projet sâest inquiĂ©tĂ© de lâaffaiblisse-
ment des dĂ©fenses de lâAmĂ©rique et des difficultĂ©s
quâil allait poser Ă la domination amĂ©ricaine sur
le monde, et de ce fait Ă la sauvegarde de la paix.
Nos préoccupations se sont trouvées renforcées
par deux études sur la défense commandées par
le CongrĂšs et qui sont parues peu aprĂšs : lâĂ©tude
quadriennale du Pentagone sur la DĂ©fense de mai
1997 et le rapport du
National Defense Panel
[Co-
mité National de Défense] ou NDP, de décembre
1997. Les deux Ă©tudes concluaient que les budgets
de dĂ©fense des Ătats-Unis allaient stagner voire
continuer à baisser. Le résultat en était que les
planifications de défense et les recommandations
que contenaient ces deux rapports Ă©taient Ă©tablies
en gardant Ă lâesprit ces contraintes budgĂ©taires.
Dâune maniĂšre gĂ©nĂ©rale, lâĂ©tude quadriennale sur
la défense limitait aux besoins militaires actuels les
dĂ©penses pour faire face aux besoins de dĂ©fense Ă
venir, alors que le rapport du NDP mettait lâaccent
sur les besoins Ă venir en sous-estimant les respon-
sabilités actuelles en matiÚre de défense.
Bien que lâĂ©tude quadriennale et le rapport
du NDP proposent des politiques différentes, ils
avaient en commun un caractĂšre sous-jacent : il
fallait rĂ©duire lâĂ©cart entre les ressources et les be-
soins stratégiques, non en augmentant les ressour-
ces mais en réduisant les ambitions stratégiques. Il
semblait que les forces armées américaines devai-
ent prĂ©parer lâavenir soit en abandonnant leur rĂŽle
de principal défenseur de la sécurité planétaire,
soit en expédiant les affaires courantes sans tenir
compte des menaces ni des thĂ©Ăątres dâopĂ©rations
Ă venir.
Les deux termes de lâalternative nous sem-
blaient ĂȘtre Ă courte vue. Les Ătats-Unis sont la
seule superpuissance au monde, combinant une
puissance militaire prééminente, une primauté
technique Ă lâĂ©chelle mondiale et lâĂ©conomie la
plus puissante au monde. De plus, lâAmĂ©rique est
Ă la tĂȘte dâun systĂšme dâalliances qui regroupe les
autres puissances démocratiques dirigeantes de
la planĂšte. Ă lâheure actuelle, les Ătats-Unis nâont
aucun rival. La grande stratĂ©gie de lâAmĂ©rique se
doit de préserver et accroßtre cette position favora-
ble pour une durée à venir aussi longue que possi-
ble. Toutefois, il existe des Ătats potentiellement
puissants qui ne se satisfont pas de la situation
prĂ©sente et dĂ©sirent la faire Ă©voluer sâils le peuvent
dans des directions qui mettent en danger lâĂ©tat
de paix relative, de prospérité et de liberté dont le
monde jouit aujourdâhui. JusquâĂ prĂ©sent, ils ont
Ă©tĂ© dissuadĂ©s dâagir par les capacitĂ©s et lâĂ©tendue
mondiale de la puissance militaire américaine.
Seulement, dans la mesure oĂč cette puissance
dĂ©cline, de façon relative mais aussi dans lâabsolu,
les conditions heureuses quâelle assure seront inĂ©-
luctablement mises Ă mal.
Pour préserver la situation stratégique envia-
ble dans laquelle se trouvent en ce moment les
Ătats-Unis, il leur faut disposer de la prĂ©Ă©minence
militaire tant aujourdâhui quâĂ lâavenir. Or, des
années de réductions des dépenses militaires ont
érodé le niveau de préparation opérationnelle de
lâarmĂ©e amĂ©ricaine et mis en danger les plans du
Pentagone visant à maintenir la supériorité de nos
forces dans les annĂ©es Ă venir. LâarmĂ©e amĂ©ricaine
sâest trouvĂ©e de plus en plus en sous-effectif, mal
équipée et entraßnée, tendant à conduire des opé-
rations de circonstance
2
, et mal prĂ©parĂ©e Ă sâadap-
ter à la révolution dans le domaine militaire. En
2
Contingency opérations
: OpĂ©rations de circonstance. Il sâagit dâopĂ©rations imprĂ©vues montĂ©es en fonction des circonstances, par opposition
aux opérations planifiées montées, celles-ci, en partant des plans génériques de défense établis en fonction des menaces prévisibles.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
ii
Ă©dition du 09/06/08
lâabsence dâune politique de dĂ©fense bien conçue et
faute dâaugmentation idoine des dĂ©penses en ma-
tiĂšre de dĂ©fense, les Ătats-Unis se sont aliĂ©nĂ© toute
possibilité de tirer pleinement parti des conditions
stratĂ©giques remarquables qui sâoffrent Ă eux.
En gardant ceci Ă lâesprit, nous avons conçu
au printemps 1998 dâĂ©tudier les plans de dĂ©fense
du pays et ses besoins en matiĂšre de ressources.
Nous sommes partis du principe que les capacités
militaires des Ătats-Unis devaient suffire Ă soute-
nir une grande stratégie américaine visant à tirer
parti de cette situation favorable sans précédent.
Nous avons rejeté toutes les contraintes préétablies
venant dâhypothĂšses portant sur ce que le pays vou-
drait ou ne voudrait pas dépenser pour sa défense.
Dâune façon gĂ©nĂ©rale, nous considĂ©rons que
cette étude consiste à bùtir une stratégie dont les
contours ont été dessinés par le ministÚre de la
DĂ©fense de Cheney dans les derniers jours de lâad-
ministration Bush
3
. Les
Conseils en matiĂšre de
Politique de DĂ©fense
(CPD) préparés dans les
premiers mois de 1992
ont présenté un plan di-
recteur pour le maintien
de la prééminence des
Ătats-Unis,
Ă©cartant
lâĂ©mergence dâune grande
puissance rivale, et fa-
çonnant lâordre de sĂ©cu-
rité mondiale selon les
principes et les intĂ©rĂȘts
américains.
Divulgué
avant dâavoir Ă©tĂ© approuvĂ©
officiellement, le docu-
ment a été critiqué comme étant une tentative des
« tenants de la guerre froide » pour maintenir lâef-
fort de défense à un haut niveau et limiter la réduc-
tion des forces malgrĂ© lâeffondrement de lâURSS. Il
a en conséquence été enterré par la nouvelle admi-
nistration, ce qui nâa rien de surprenant.
Bien que notre expérience des huit années
écoulées ait modifié notre façon de considérer
les besoins militaires exigĂ©s par la mise en Ćuvre
dâune telle stratĂ©gie, les principes fondamentaux
des CPD restent Ă notre avis valables. Et ce que le
SecrĂ©taire Ă la DĂ©fense Cheney a dit Ă lâĂ©poque, en
réponse aux critiques lancées contre les CPD, reste
vrai : « Nous pouvons soit conserver les [forces] ar-
mées dont nous avons besoin et rester en situation
de façonner les choses pour le mieux, soit laisser
disparaßtre cet avantage. [Mais], cela accélÚrerait
lâarrivĂ©e du moment oĂč nous devrions faire face Ă
des menaces plus graves, à un coût plus élevé en
budget et avec des risques plus graves pour les vies
américaines. »
LâĂ©tude a Ă©tĂ© conduite sous forme dâune sĂ©rie
de séminaires. Nous avons demandé à de remar-
quables spécialistes de la Défense de produire des
documents visant à étudier différents sujets : les
missions et les besoins à venir pour chaque armée,
le rÎle des réservistes, la doctrine nucléaire stra-
tégique et les défenses antimissile, le budget de la
DĂ©fense et les perspectives de modernisation des
armĂ©es, lâĂ©tat des forces actuelles (entraĂźnement
et aptitude opérationnelle), la révolution dans les
questions militaires, et la planification de défense
pour les conflits majeurs, les conflits de faible in-
tensité et les opérations de police. Ces documents
ont circulé au sein de groupes de participants
choisis pour leur expérience et leurs qualités de
jugement en matiÚre de défense. (On trouvera la
liste des participants à la fin du présent rapport).
Chaque document est devenu une base de discus-
sion et de débat. Notre but était de se servir de
ces documents pour aider aux délibérations, pour
gĂ©nĂ©rer et Ă©valuer les idĂ©es et pour nous aider Ă
mettre au point notre rapport final. Alors que cha-
que document partait dâun point de vue stratĂ©gique
commun, nous nâavons pas essayĂ© dâimposer nos
vues ou des directives lors de la rédaction de cha-
cun dâentre eux. Nous souhaitions une discussion
aussi complĂšte et ouverte que possible.
Notre rapport emprunte largement à ces déli-
bĂ©rations. Seulement, nous nâavons pas demandĂ©
aux participants aux sĂ©minaires dâ« entĂ©riner »
le rapport final. Nous souhaitions des discus-
sions franches et avons cherché à éviter le piÚge
De nos jours, les
Ătats-Unis nâont Ă
lâĂ©chelle mondiale
aucun rival. La
grande stratégie
de lâAmĂ©rique se
doit de préserver
et accroĂźtre cette
position favorable
pour une durĂ©e Ă
venir aussi longue
que possible.
De nos jours, les
Ătats-Unis nâont Ă
lâĂ©chelle mondiale
aucun rival. La
grande stratégie
de lâAmĂ©rique se
doit de préserver
et accroĂźtre cette
position favorable
pour une durĂ©e Ă
venir aussi longue
que possible.
3 Il sâagit du premier PrĂ©sident Bush, ce document ayant Ă©tĂ© rĂ©digĂ© au temps de lâadministration Clinton. (Rappel du traducteur)
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
iii
Ă©dition du 09/06/08
que représente la tentative de produire un texte
consensuel mais fade. Nous avons souhaité définir
et prĂ©senter une stratĂ©gie de dĂ©fense honnĂȘte, rĂ©-
fléchie, audacieuse, logique et claire. Nous avons
aussi voulu provoquer une discussion sérieuse et
documentée, premier pas essentiel pour parvenir
à des conclusions sensées et obtenir le soutien de
lâopinion.
De nouvelles circonstances nous conduisent
Ă penser que ce rapport pourrait trouver un audi-
toire plus rĂ©ceptif aujourdâhui que dans les annĂ©es
récentes. Pour la premiÚre fois depuis la fin des
années soixante, le gouvernement fédéral gÚre des
excédents. Pendant la plus grande partie des années
quatre-vingt-dix, le CongrĂšs et la Maison Blanche
ont donnĂ© la prioritĂ© Ă lâĂ©quilibre budgĂ©taire sur le
financement de la sécurité nationale. En fait, dans
une large mesure, le budget sâĂ©quilibrait grĂące
Ă une combinaison dâaccroissement des impĂŽts
et une baisse du budget de la DĂ©fense. Toutefois,
lâexcĂ©dent budgĂ©taire auquel on sâattend dans la
décennie à venir fait disparaßtre la nécessité de
maintenir les dépenses en matiÚre de défense à un
faible niveau prédéfini.
De plus, le peuple américain et ses représen-
tants élus ont largement pris conscience du déclin
de lâarmĂ©e amĂ©ricaine. De nouveaux articles, des
rapports du Pentagone, des témoignages de par-
lementaires, et des récits anecdotiques venant de
membres des armées donnent une image inquié-
tante dâune armĂ©e amĂ©ricaine dĂ©sorganisĂ©e par le
faible taux dâengagement et de renouvellements de
contrats, les mauvaises conditions de logement, le
manque de piĂšces dĂ©tachĂ©es et dâarmes ainsi que
par la diminution de lâaptitude opĂ©rationnelle.
Enfin, ce rapport arrive aprÚs une décennie
riche dâexpĂ©rience des relations avec le monde
de lâaprĂšs-guerre froide. Il avait fallu faire partir
les efforts antérieurs visant à mettre sur pied une
stratĂ©gie de dĂ©fense cadrant avec lâenvironnement
sĂ©curitaire actuel dâaffirmations non Ă©valuĂ©es rela-
tives Ă la nature dâun monde sans superpuissance
adverse. Nous avons maintenant une bien meilleure
perception de ce que sont nos responsabilités, de
ce que peuvent ĂȘtre les menaces Ă notre encontre
dans ce nouvel environnement sécuritaire et de ce
qui sera nécessaire pour assurer une paix et une
sécurité relative. Nous estimons que notre rapport
reflĂšte cette dĂ©cennie riche dâexpĂ©riences et en a
tiré profit.
Notre rapport paraĂźt en une annĂ©e dâĂ©lection
présidentielle. La nouvelle administration aura be-
soin de produire une deuxiĂšme Ătude Quadriennale
sur la Défense peu aprÚs son entrée en fonction.
Nous espérons que le rapport du Projet sera utile
comme feuille de route pour la planification de
défense du pays, présente et à venir. Nous pensons
présenter un programme de défense étayé par des
faits tangibles, qui sâappuie sur un examen honnĂȘte
des problĂšmes et des solutions, et qui nâĂ©vite pas
de regarder en face le coût réel de la sécurité. Nous
espĂ©rons quâil suscitera un intĂ©rĂȘt attentif et un
dĂ©bat sĂ©rieux. Le monde de lâaprĂšs-guerre froide
ne restera pas en paix relative si nous continuons
à négliger la politique étrangÚre et les questions de
dĂ©fense. Or, lâattention sĂ©rieuse, la rĂ©flexion ap-
profondie et la volonté de consacrer les ressources
adéquates au maintien de la puissance militaire
américaine peuvent rendre le monde plus sûr et
mieux garantir les intĂ©rĂȘts amĂ©ricains maintenant
et Ă lâavenir.
d
onAld
K
AgAn
g
ARy
s
chmitt
Coprésidents du Projet
t
homAs
d
onnelly
Auteur principal
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
iv
Ă©dition du 09/06/08
d
onneR
quAtRe
missions
de
bAse
Aux
foRces
ARmées
AméRicAines
:
Défendre le territoire national américain
Conduire victorieusement plusieurs conflits majeurs sur des thĂ©Ăątres dâopĂ©rations simultanĂ©s,
Assurer les missions « de police » liĂ©es au modelage de lâenvironnement sĂ©curitaire dans les
régions critiques,
Adapter les forces armĂ©es des Ătats-Unis pour tirer parti de la « rĂ©volution dans les questions
militaires » .
Pour remplir ces missions de base, nous devons consacrer suffisamment dâĂ©nergie et de
dotations budgétaires . en particulier, il faut que les états-unis :
c
onseRvent
lA
supéRioRité
nucléAiRe
stRAtégique
,
en appuyant la dissuasion
sur une Ă©valuation dâun rĂ©seau global et nuclĂ©aire qui prenne en compte tout lâĂ©ventail des
menaces actuelles et Ă©mergentes et non le simple Ă©quilibre USA â Russie .
R
AmeneR
les
effectifs
des
foRces
Actuelles
AppRoximAtivement
Au
niveAu
pRĂ©vu
dAns
lA
«
foRce
de
bAse
»
définie
pAR
l
â
AdministRAtion
b
ush
,
Ă
sAvoiR
un
AccRoissement
de
peRsonnel
en
Activité
de
1,4
million
Ă
1,6
million
.
R
edéployeR
les
foRces
des
Ă©
tAts
-u
nis
pour répondre aux réalités stratégiques du
XXIe siĂšcle en dĂ©ployant des forces permanentes en Europe du Sud-Est et en Asie ainsi quâen
modifiant le schéma de déploiement naval pour cadrer avec les préoccupations stratégiques
des Ătats-Unis en ExtrĂȘme-Orient .
Ce rapport procĂšde de la conviction que
lâAmĂ©rique doit chercher Ă prĂ©server et renforcer
sa situation de domination mondiale en maintenant
la prĂ©Ă©minence des forces armĂ©es des Ătats-Unis.
Les Ătats-Unis jouissent aujourdâhui dâune situa-
tion stratégique favorable sans précédent dans
lâhistoire. Ils nâont Ă faire face Ă aucun dĂ©fi de
grande puissance, ils ont le soutien dâalliĂ©s riches,
puissants et démocratiques sur tous les continents,
ils connaissent la plus longue pĂ©riode dâexpansion
Ă©conomique de leur histoire et leurs principes poli-
tiques et économiques ont été presque universelle-
ment adoptĂ©s. Jamais au cours de lâHistoire lâordre
sĂ©curitaire international nâa Ă©tĂ© aussi favorable aux
intĂ©rĂȘts et aux idĂ©aux amĂ©ricains.
Le défi du siÚcle à venir est de préserver et
développer cette « Paix Américaine ».
Cependant, Ă moins que les Ătats-Unis ne
conservent une puissance militaire suffisante, cette
situation favorable va se perdre. Et de fait, au cours
de la dĂ©cennie Ă©coulĂ©e, le fait de nâavoir pas mis au
point de stratégie de sécurité en mesure de répondre
aux nouvelles réalités du monde et de pourvoir en
ressources adaptĂ©es Ă tout lâĂ©ventail des missions
nĂ©cessaire Ă lâexercice de la domination mondiale
des Ătats-Unis a placĂ© la paix amĂ©ricaine en situa-
tion de risque croissant. Le présent rapport tente de
définir ces besoins. En particulier, il nous faut :
i
dées
mAĂźtResses
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
v
Ă©dition du 09/06/08
m
odeRniseR
les
foRces
ARmées
Actuelles
de
fAçon
sélective
, en exécutant le
programme F-22 tout en augmentant les achats dâavions Ă Ă©lectronique embarquĂ©e et autres
types dâappareils, en augmentant la flotte des sous-marins et bĂątiments de combat de surface,
en achetant des hĂ©licoptĂšres Comanche et des vĂ©hicules de tonnage moyen pour lâarmĂ©e de
Terre ainsi que des avions V22-Osprey Ă rotor pivotant pour le Corps des Marines
A
nnuleR
les
pRogRAmmes
«
bARRAges
»,
comme le
Joint Strike Fighter
[avion de combat
interarmĂ©es], le porte-avion CVX et le systĂšme dâarme Crusader qui absorbent un montant
exorbitant des fonds du Pentagone tout en nâapportant que peu dâamĂ©liorations aux capacitĂ©s
actuelles . Les Ă©conomies liĂ©es Ă la suppression de ces programmes pourraient servir Ă
intensifier le processus de transformation des armées .
m
ettRe
Au
point
et
déployeR
des
défenses
Antimissiles
mondiAles
pour protéger le
territoire national américain comme nos alliés et assurer une base sûre à la projection de la
puissance des Ătats-Unis autour du monde .
p
RendRe
le
contRĂŽle
des
nouveAux
«
espAce
et
cybeRespAce
communs
»
, et ouvrir la
route Ă la crĂ©ation dâune nouvelle armĂ©e â les forces spatiales des Ătats-Unis â ayant pour
mission de contrĂŽler lâespace .
m
ettRe
Ă
pRofit
lA
«
RĂ©volution
dAns
les
AffAiRes
militAiRes
»
en vue dâassurer Ă
long terme la supériorité des forces conventionnelles américaines . Mettre sur pied une
transformation en deux temps qui
maximise la validitĂ© des systĂšmes dâarmes actuelles par lâemploi des techniques nouvelles, et
entraĂźne de profondes amĂ©liorations des capacitĂ©s militaires, pousse Ă lâĂ©mulation entre les
armĂ©es elles-mĂȘmes et les efforts dâexpĂ©rimentations interarmĂ©es .
A
ccRoĂźtRe
le
budget
de
lA
d
Ă©fense
en le faisant passer progressivement de 3,5 Ă 3,8 % du
PIB en augmentant chaque année de 15 à 20 milliards de dollars le budget global de la défense .
Il est primordial de répondre à ces exigences si
lâAmĂ©rique doit conserver son statut de domination
militaire dans les décennies à venir.
A contrario
, le
fait de ne pas satisfaire Ă une seule de ces exigen-
ces conduirait inévitablement à une sorte de repli
stratégique. Au niveau actuel des dépenses en ma-
tiÚre de défense, la seule solution est de tenter sans
succÚs de « gérer » des risques toujours croissants
en finançant les besoins actuels, par lâhypothĂšque
posĂ©e sur ceux de lâavenir, en se retirant des opĂ©ra-
tions de police afin de conserver des moyens pour
les conflits majeurs et en « choisissant » entre la
présence en Europe et la présence en Asie, etc. Il
sâagit lĂ de mauvaises options, ainsi que dâĂ©cono-
mies mal pensées. Les « économies » faites en se
retirant des Balkans, par exemple, ne libéreraient
pas, et de loin, suffisamment de fonds pour assurer
la modernisation ou la transformation des armées.
Il sâagit Ă©galement de fausses Ă©conomies dans
dâautres domaines encore plus sensibles. Ce que
coûterait en réalité le fait de ne pas faire face aux
besoins de notre défense serait la réduction de la
capacitĂ© des Ătats-Unis Ă assurer la domination
mondiale et
in fine
signifierait la fin de lâordre
sécuritaire mondial qui est le seul favorable aux
principes et à la prospérité américains.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
1
Ă©dition du 09/06/08
i
p
ouRquoi
une
nouvelle
Ă©tude
suR
lA
d
Ă©fense
?
Depuis la fin de la guerre froide, les Ătats-
Unis se sont attaché à formuler une stratégie
nationale militaire et de sécurité cohérente qui
prenne en compte les constantes de la puissance et
des principes américains tout en cadrant avec les
réalités du XXIe siÚcle. Faute de cadre stratégique,
la planification de défense a été un exercice sans
consistance et fermĂ© sur lui-mĂȘme, souvent dominĂ©
par des intĂ©rĂȘts bureaucratiques et budgĂ©taires plu-
tÎt que stratégiques. En fait, la multiplication des
études de défense de la derniÚre décennie témoigne
de lâincapacitĂ© Ă dessiner un schĂ©ma logique : Ă ce
jour, on a connu une demi-douzaine dâĂ©tudes offi-
cielles sur la DĂ©fense, et le Pentagone est en train
de prĂ©parer une deuxiĂšme Ătude Quadriennale
de DĂ©fense pour 2001. Ă moins que cette EQD
II cadre avec les forces armées et les ressources
nécessaires à une stratégie américaine viable, elle
est, elle aussi, vouĂ©e Ă lâĂ©chec.
Ces Ă©checs ont un coĂ»t : dâores et dĂ©jĂ , ils font
peser un risque sur une situation historiquement
favorable. AprÚs les victoires du siÚcle passé
â deux guerres mondiales, la guerre froide et, plus
rĂ©cemment, la guerre du Golfe â les Ătats-Unis se
trouvent ĂȘtre la seule grande puissance Ă la tĂȘte
dâune coalition de pays libres et prospĂšres et nâont
face à eux aucun défi de grande puissance.
La paix amĂ©ricaine sâest montrĂ©e pacifique,
stable et durable. Au cours de la décennie écou-
lĂ©e, elle a assurĂ© le cadre gĂ©opolitique dâune large
croissance Ă©conomique et la diffusion des principes
américains de liberté et de démocratie. Cependant,
on ne peut jamais figer la politique internationale
dans le temps et mĂȘme une
Pax Americana
mon-
diale ne saurait sâauto-protĂ©ger.
De façon paradoxale, au moment oĂč la
puissance et lâinfluence amĂ©ricaines sont Ă leur
apogée, les forces armées américaines trébuchent
vers lâĂ©puisement, incapables de faire face aux
exigences de leurs missions nombreuses et variées,
dont lâadaptation au champ de bataille de demain.
Les forces actuelles, amputĂ©es dâun tiers ou plus
au cours de la derniĂšre dĂ©cennie, souffrent dâune
préparation opérationnelle dégradée, de difficul-
tés à recruter et retenir suffisamment de soldats,
marins, aviateurs et Marines. Ceci en raison dâune
« vacance dâachats » qui perdure et a eu pour consĂ©-
quences le vieillissement prématuré des systÚmes
dâarmes, dâinfrastructures militaires toujours plus
obsolĂštes et inadaptĂ©es, dâassises industrielles
timorĂ©es et mal organisĂ©es pour devenir « lâarsenal
de la dĂ©mocratie » pour le XXIe siĂšcle, dâun man-
que dâesprit novateur qui menace les avantages
techniques et opĂ©rationnels dont ont joui les Ătats-
Unis pendant une génération et sur lesquels repose
la stratĂ©gie amĂ©ricaine. Enfin, et dâune façon plus
dangereuse, le tissu social militaire sâeffiloche et
sâuse. Les forces armĂ©es amĂ©ricaines souffrent
dâune dĂ©gradation de la qualitĂ© de la vie qui tran-
che avec les espérances des classes moyennes. Les
hommes et femmes du rang, les sous-officiers et
les jeunes officiers manquent de plus en plus de
confiance en leurs supérieurs dont ils pensent
quâils nâinforment pas leurs supĂ©rieurs civils des
vĂ©ritĂ©s dĂ©plaisantes. En somme, au moment oĂč la
paix amĂ©ricaine sâĂ©tend sur la planĂšte, la puissance
qui la protÚge est de plus en plus dépassée par ses
missions.
Il ne sâagit pas lĂ dâun paradoxe mais de lâinĂ©-
vitable consĂ©quence dâune incapacitĂ© Ă faire cadrer
les moyens militaires avec les fins géopolitiques.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
2
Ă©dition du 09/06/08
DerriĂšre les Ă©checs des Ă©tudes successives sur la
DĂ©fense de la dĂ©cennie Ă©coulĂ©e gĂźt lâidĂ©e selon
laquelle lâeffondrement de lâUnion soviĂ©tique a
entraĂźnĂ© une « pause stratĂ©gique ». En dâautres
termes, jusquâĂ ce quâĂ©merge le dĂ©fi dâune autre
grande puissance, les Ătats-Unis pourraient jouir
dâun rĂ©pit face aux exigences de la domination
mondiale. Tel le boxeur entre deux saisons de
championnat, lâAmĂ©rique pourrait sâoffrir le luxe
de se reposer et de prendre du bon temps, sûre de
disposer de suffisamment de temps pour se prépa-
rer au prochain grand dĂ©fi. Ainsi, les Ătats-Unis
pourraient se permettre de réduire la taille de leurs
forces armĂ©es, de fermer des bases outre-mer, dâar-
rĂȘter des programmes majeurs dâarmement et « dâen-
granger les dividendes de la paix ». Pourtant, ainsi
que nous lâavons constatĂ© au cours de la dĂ©cennie
Ă©coulĂ©e, aucune puissance dans le monde nâa baissĂ©
la garde ; toutes ont mis Ă profit lâeffondrement de
lâempire soviĂ©tique pour Ă©tendre leur influence et
dĂ©fier lâordre sĂ©curitaire quâassurent les Ătats-Unis.
Au-delà de la notion infondée de pause straté-
gique, les récentes études de défense ont souffert
dâune comprĂ©hension Ă contresens de la dimension
militaire de lâaffrontement de la guerre froide entre
les Ătats-Unis et lâUnion soviĂ©tique. La stratĂ©gie
de confinement américaine ne procédait pas du
concept selon lequel la guerre froide nâaurait Ă©tĂ©
quâun affrontement purement militaire dans lequel
lâarmĂ©e amĂ©ricaine aurait marquĂ© lâArmĂ©e Rouge
de char Ă char ; au lieu de cela, les Ătats-Unis ont
cherché à dissuader les Soviétiques au plan militaire
tout en les battant au cours du temps sur les terrains
Ă©conomique et idĂ©ologique. Et mĂȘme dans le do-
maine des affaires militaires, la mise en Ćuvre de
la dissuasion a permis ce que lâon nomme en termes
militaires « une économie de la force ». Le principe
de fonctionnement de lâOtan, par exemple, consistait
Ă dissuader dâune invasion de lâEurope occidentale
et non dâenvahir et occuper le sol soviĂ©tique. De
plus, lâĂ©quilibre bipolaire de la terreur nuclĂ©aire avait
rendu gĂ©nĂ©ralement prudents tant les Ătats-Unis que
lâUnion soviĂ©tique. DerriĂšre la moindre guerre par
procuration dans la région la plus reculée se profi-
lait la perspective de lâapocalypse. Ainsi, en dĂ©pit
de nombreuses erreurs de calcul au cours des cinq
dĂ©cennies de la guerre froide, les Ătats-Unis ont bĂ©-
nĂ©ficiĂ© dâune sĂ©curitĂ© et dâune stabilitĂ© importantes
au niveau mondial rien quâen bĂątissant un arsenal
nucléaire crédible et relativement bon marché.
Guerre froide
XXIe siĂšcle
SystĂšme de
sécurité
Bipolaire
Unipolaire
But
stratégique
Contenir lâUnion
soviétique
Préserver la
Pax
Americana
Principale(s)
mission(s)
militaire(s)
Dissuader
lâexpansionnisme
soviétique
Protéger et étendre
les zones de paix
démocratiques,
dissuader toute
compétition de la part
dâune nouvelle grande
puissance .Protéger les
rĂ©gions clĂ©s, sâadapter
Ă lâĂ©volution de la
guerre.
Principale(s)
menace(s)
militaire(s)
Guerre mondiale
potentielle sur de
nombreux théùtres
Guerres de théùtres
potentielles dans le
monde entier.
Accent sur la
compétition
stratégique
Europe
Asie orientale.
Toutefois, au cours de la décennie qui a suivi la
guerre froide, presque tout a changé. Le monde de la
guerre froide Ă©tait bipolaire, le XXIe siĂšcle est, pour
le moment au moins, résolument unipolaire avec
lâAmĂ©rique Ă sa tĂȘte comme « seule superpuissance ».
Lâobjectif stratĂ©gique des Ătats-Unis Ă©tait le confine-
ment de lâUnion soviĂ©tique ; aujourdâhui, la mission
est de préserver un environnement sécuritaire inter-
national compatible avec les intĂ©rĂȘts et idĂ©aux des
Ătats-Unis. Le travail des militaires durant la guerre
froide Ă©tait de dissuader lâexpansionnisme soviĂ©ti-
que. Aujourdâhui, leur mission est de protĂ©ger et
dâĂ©tendre les « zones de paix dĂ©mocratique », de dis-
suader lâĂ©mergence dâune nouvelle grande puissance
concurrente, de dĂ©fendre les rĂ©gions clĂ©s de lâEurope,
de lâAsie orientale et du Moyen-Orient ainsi que de
protĂ©ger la prĂ©Ă©minence amĂ©ricaine face Ă lâĂ©volution
de la guerre quâont rendue possible les techniques
nouvelles. De 1945 à 1990, les forces armées des
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
3
Ă©dition du 09/06/08
Ătats-Unis se sont prĂ©parĂ©es Ă une guerre mondiale
unique quâon aurait pu avoir Ă conduire sur de nom-
breux théùtres. Au cours du siÚcle qui commence, la
perspective est celle de différentes guerres de théùtre
dans le monde entier contre des adversaires distincts
et séparés qui poursuivront des buts distincts et sé-
parĂ©s. Au cours de la guerre froide, lâaxe de pĂ©nĂ©tra-
tion principal de la superpuissance rivale, le « centre
de gravitĂ© stratĂ©gique », Ă©tait en Europe oĂč des forces
conventionnelles puissantes appartenant aux Ătats-
Unis et Ă lâOtan se prĂ©paraient Ă repousser une offen-
sive soviĂ©tique et oĂč une guerre nuclĂ©aire Ă©tait sus-
ceptible de démarrer. Avec
une
Europe
vivant
aujourdâhui en paix dâune
maniÚre générale, le nou-
veau centre dâintĂ©rĂȘt stratĂ©-
gique semble glisser vers
lâAsie Orientale. Les mis-
sions des forces armées
américaines ne se sont pas
réduites pour autant. Les
menaces sont de moindre
ampleur mais sont plus
nombreuses. Au cours de la
guerre froide, lâAmĂ©rique a
assuré sa sécurité « en
gros » en dissuadant lâUnion
soviétique au plan mondial. De nos jours, on ne peut
assurer la mĂȘme sĂ©curitĂ© quâ« au dĂ©tail » par la dis-
suasion ou, si besoin est, en forçant les ennemis ré-
gionaux à se comporter de maniÚre à protéger les
principes et intĂ©rĂȘts amĂ©ricains.
Cette faille entre un éventail de réalités straté-
giques diverses et chĂšres et la diminution des forces
et des ressources de la défense explique ample-
ment que le chef dâĂ©tat-major des armĂ©es
4
déclare
rĂ©guliĂšrement quâil entrevoit un « haut risque » Ă
remplir les missions confiées aux forces armées
amĂ©ricaines Ă lâaune de la stratĂ©gie nationale que
présente le gouvernement. En fait, une évaluation
faite par lâĂtat-major des armĂ©es au plus fort de la
campagne aérienne du Kosovo a estimé les risques
comme étant à un niveau « inacceptable ». De tels
risques sont le résultat de la combinaison des nou-
velles missions décrites ci-dessus et de la réduction
dramatique des forces armĂ©es qui est intervenue Ă
la suite de la rĂ©duction de lâeffort de dĂ©fense de la
derniĂšre dĂ©cennie. Aujourdâhui, lâAmĂ©rique consa-
cre moins de 3 % de son PNB Ă la DĂ©fense natio-
nale, moins quâĂ nâimporte quel moment depuis la
période précédant la seconde guerre mondiale. En
dâautres termes, depuis que les Ătats-Unis se sont
instaurés premiÚre puissance mondiale et depuis
1992, annĂ©e du premier budget de lâaprĂšs-guerre
froide, oĂč il Ă©tait de 4,7 % du PNB. Lâessentiel
de cette rĂ©duction sâest produit sous le mandat de
lâadministration Clinton. MalgrĂ© les promesses
initiales de rester au niveau de dépenses militaires
quâavait prĂ©conisĂ© le dernier programme de lâadmi-
nistration Bush
5
, le Président Clinton a réduit de 160
milliards de dollars le programme Bush rien quâen-
tre 1992 et 1996. Pendant les 7 premiÚres années de
lâadministration Clinton, on a diffĂ©rĂ© environ 426
milliards de dollars de dĂ©penses dâinvestissements
dans la Défense, générant ainsi un fléchissement
Ă©norme dans les achats dâarmement.
Lâeffet le plus immĂ©diat de la rĂ©duction des
dépenses de défense a été un déclin précipité de la
disponibilité opérationnelle. Dans toutes les armées,
les unitĂ©s rendent compte dâune disponibilitĂ© altĂ©rĂ©e,
de pĂ©nurie en piĂšces dĂ©tachĂ©es et en effectifs, dâun
rĂ©gime dâentraĂźnement rĂ©duit et dâactivitĂ©s diffĂ©rĂ©es
ainsi que de nombreuses autres difficultés. Lors
de dĂ©positions devant le CongrĂšs, des chefs dâĂ©tat-
major des armées rendent maintenant réguliÚrement
compte du fait que leurs forces sont inadaptĂ©es Ă
faire face aux exigences de la stratégie nationale
militaire de « conduite de deux guerres ». La presse
sâest intĂ©ressĂ©e Ă ces questions dâaptitude opĂ©ra-
tionnelle lorsquâil est apparu que deux divisions de
lâarmĂ©e de Terre ont Ă©tĂ© notĂ©es C-4, ce qui signifie
quâelles nâĂ©taient pas prĂȘtes au combat. Pourtant, il
aurait Ă©tĂ© plus parlant dâexpliquer quâ
aucune
des dix
divisions de lâarmĂ©e de Terre nâa obtenu le niveau le
plus Ă©levĂ©, C-1. Ceci reflĂšte lâampleur des effets de la
glissade des normes dâĂ©valuation de lâaptitude opĂ©-
rationnelle. Par comparaison,
toutes
les divisions qui
se sont engagées dans les opérations
Desert Shield
et
Desert Storm
en 1990-91 étaient notées C-1. Il ne
sâagit lĂ que dâun instantanĂ© qui montre le niveau
des forces armĂ©es des Ătats-Unis aujourdâhui.
Aujourdâhui,
lâAmĂ©rique
consacre moins
de 3 % de son
PNB Ă la DĂ©fense
nationale, moins
quâĂ aucune autre
Ă©poque depuis
que les Ătats-Unis
se sont institués
premiĂšre puissance
mondiale.
Aujourdâhui,
lâAmĂ©rique
consacre moins
de 3 % de son
PNB Ă la DĂ©fense
nationale, moins
quâĂ aucune autre
Ă©poque depuis
que les Ătats-Unis
se sont institués
premiĂšre puissance
mondiale.
4
Chairman of the Joint Chiefs of Staff Committee
: PrĂ©sident du comitĂ© des chefs dâĂ©tat-major. Il sâagit du comitĂ© des chefs dâĂ©tat-major de
lâarmĂ©e de Terre, de la Marine, et de lâaviation. Le chef dâĂ©tat-major de la Marine (
Navy
) y représente le commandant du corps des
Marines
qui
dépend de la Marine.
5 Nous sommes en 2000 et lâadministration Bush dont parle document du PNAC est celle du premier PrĂ©sident Bush.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
4
Ă©dition du 09/06/08
Ces problÚmes de disponibilité opérationnelle
se trouvent exacerbés du fait que les forces armées
américaines sont mal positionnées pour faire face
aux crises actuelles. En Europe, par exemple, la
grande majoritĂ© des unitĂ©s de lâarmĂ©e de Terre et
de lâarmĂ©e de lâAir restent sur les bases de la guerre
froide, en Grande-Bretagne et en Allemagne, alors
que les questions de sécurité sur le continent se sont
dĂ©placĂ©es vers le sud-est de lâEurope. Des rotations
temporaires de forces vers les Balkans et ailleurs
dans le sud-est de lâEurope accroissent fortement le
coĂ»t gĂ©nĂ©ral des opĂ©rations. De la mĂȘme maniĂšre,
lâadministration Clinton a fait perdurer la fiction
selon laquelle les opérations des forces armées
américaines dans le golfe Persique sont de simples
missions temporaires. PrĂšs dâune dĂ©cennie aprĂšs la
Guerre du Golfe, les forces américaines des trois
armĂ©es â Terre, Air, Marine â continuent Ă assurer
la protection des intĂ©rĂȘts permanents des Ătats-
Unis dans la région. Outre les missions navales
tournantes, lâarmĂ©e de Terre entretient lâĂ©quivalent
dâune brigade blindĂ©e au KoweĂŻt neuf mois par
an, lâarmĂ©e de lâAir a deux escadres mixtes en
opĂ©rations permanentes dâinterdiction de survol
des zones interdites du nord et du sud de lâIraq. Et
malgrĂ© lâinquiĂ©tude croissante face Ă lâĂ©mergence
de la Chine et Ă lâinstabilitĂ© en Asie du Sud-Est, on
ne trouve de bases militaires presque exclusivement
que dans des bases en Asie du Nord-Est.
En dépit de toutes ces difficultés à faire face
aux missions actuelles, le Pentagone nâa prati-
quement rien fait pour se préparer à un avenir
qui promet dâĂȘtre trĂšs diffĂ©rent et potentiellement
beaucoup plus dangereux. On conçoit couramment
que lâinformation et les autres techniques nouvel-
les, ainsi que la prolifération des techniques et de
lâarmement, crĂ©ent une dynamique qui peut mettre
en danger les capacitĂ©s de lâAmĂ©rique Ă exercer sa
domination militaire. Des rivaux potentiels comme
la Chine tiennent Ă mettre largement Ă profit cette
Ă©volution des techniques tandis que des adversaires
comme lâIran, lâIrak et la CorĂ©e du Nord se hĂątent
de mettre au point des missiles balistiques et des
armes nuclĂ©aires pour dissuader lâAmĂ©rique dâin-
tervenir dans les rĂ©gions dont ils veulent sâemparer.
Et pourtant, ni le ministĂšre de la DĂ©fense, ni les
armĂ©es nâont fait beaucoup plus que simplement
coller une étiquette « transformation » sur les pro-
grammes lancés au cours de la guerre froide, tout
en détournant leurs efforts et leur attention vers
un processus dâexpĂ©rimentations conjointes qui
freinent lâinnovation plus quâelles ne lâencouragent.
Au lieu dâadmettre que lâĂ©volution rapide des tech-
niques rend difficile de déterminer sur quels sys-
tĂšmes dâarmes il faudra mettre lâaccent, les armĂ©es
sâaccrochent toujours davantage aux programmes
et concepts traditionnels. Comme lâa soulignĂ© dans
une étude sur les expérimentations du Pentagone
Andrew Krepinevich, membre de la commission
nationale de défense, « Malheureusement, le
discours du ministĂšre de la DĂ©fense affirme quâil
faut financer dâurgence ou de façon substantielle
lâĂ©volution des armĂ©es et leurs expĂ©rimentations
conjointes⊠à ce jour, les efforts du ministÚre sont
dispersés et tristement sous-financés ».
En somme, les années 90 ont été une « décen-
nie de négligence en matiÚre de défense ». Cela pose
un dĂ©fi Ă©norme au futur PrĂ©sident des Ătats-Unis :
il lui faut accroĂźtre le budget de la DĂ©fense pour
prĂ©server la domination gĂ©opolitique des Ătats-
Unis ou alors rompre ses engagements en matiĂšre
de sĂ©curitĂ©, lesquels sont lâimage de la situation de
seule superpuissance de lâAmĂ©rique et sont
in fine
la garantie de la sécurité des libertés démocratiques
et des droits civiques des individus. Ce choix sera
lâun des premiers qui se posera au PrĂ©sident : une
nouvelle législation exigera de la nouvelle admi-
nistration quâelle façonne une stratĂ©gie nationale
de sécurité dans les six mois qui suivront sa prise
en charge des affaires au lieu dâattendre une annĂ©e
entiĂšre, et quâelle produise une nouvelle Ă©tude
quadriennale de défense à la suite de celle-ci. Plus
généralement, le nouveau Président aura à décider
si le « moment unipolaire » dâaujourdâhui, pour
reprendre lâexpression quâemploie lâĂ©ditorialiste
Charles Krauthammer au sujet de la domination
gĂ©opolitique actuelle de lâAmĂ©rique, sera prolongĂ©
ainsi que la paix et la prospĂ©ritĂ© quâil assure.
La présente étude vise à cadrer ces choix de
façon claire et à rétablir le lien entre la politique
Ă©trangĂšre des Ătats-Unis, la stratĂ©gie de sĂ©curitĂ©,
la planification militaire et le financement de la
DĂ©fense. Sâil faut conserver et Ă©tendre une paix
amĂ©ricaine, elle doit sâappuyer sur les fondations
indiscutables dâune prĂ©Ă©minence militaire des
Ătats-Unis.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
5
Ă©dition du 09/06/08
ii
q
uAtRe
missions
essentielles
La domination mondiale des Ătats-Unis et leur
rĂŽle de garant de la paix actuelle de grande puis-
sance repose sur la sécurité du territoire national, la
conservation dâun Ă©quilibre favorable des forces en
Europe, au Moyen-Orient et dans les régions pro-
ductrices de pĂ©trole qui lâentourent et en ExtrĂȘme-
Orient. Ils sont aussi garants de la stabilité générale
du systĂšme international des Ătats nations en ce qui
concerne le terrorisme, le crime organisĂ© et dâautres
« acteurs non Ă©tatiques ». Lâimportance relative de
ces Ă©lĂ©ments et les menaces Ă lâencontre des intĂ©-
rĂȘts des Ătats-Unis peuvent varier en fonction du
temps. LâEurope, par exemple, est Ă lâheure actuelle
remarquablement calme et stable malgrĂ© lâagitation
dans les Balkans.
A contrario
, lâExtrĂȘme-Orient
semble entrer dans une Ăšre qui possĂšde un potentiel
croissant dâinstabilitĂ© et de compĂ©tition. Dans le
Golfe arabo-persique la puissance et la présence
américaines ont réussi à assurer une relative sécu-
ritĂ© extĂ©rieure aux alliĂ©s des Ătats-Unis mais les
perspectives Ă long terme sont plus sombres. Dâune
maniÚre générale, la stratégie américaine pour les
décennies à venir devrait chercher à asseoir les
conséquences des grandes victoires remportées au
XXe siĂšcle qui ont fait par exemple de lâAllemagne
et du Japon des démocraties stables, à maintenir
la stabilité au Moyen-Orient tout en établissant les
conditions des succĂšs du XXIe siĂšcle, en particulier
en ExtrĂȘme-Orient.
Abandonner une seule de ces exigences revien-
drait Ă remettre en question le statut de puissance
dirigeante mondiale qui est celui de lâAmĂ©rique.
Comme nous lâavons vu, ne serait-ce quâun Ă©chec
mineur comme celui de Somalie ou une victoire
tronquĂ©e et incomplĂšte dans les Balkans suffisent Ă
jeter un doute sur la crĂ©dibilitĂ© des Ătats-Unis. Lâin-
capacité à définir une stratégie de sécurité militaire
et stratégique mondiale cohérente au cours de
lâaprĂšs-guerre froide a gĂ©nĂ©rĂ© des contestations.
Des Ătats qui cherchent Ă Ă©tablir des hĂ©gĂ©monies
régionales continuent à sonder les limites du péri-
mÚtre de sécurité américain. Aucune des études de
dĂ©fense de la derniĂšre dĂ©cennie nâa vraiment Ă©valuĂ©
le poids des missions quâimpose la domination
mondiale des Ătats-Unis : la dĂ©fense du territoire
national, conduire et gagner des conflits majeurs
sur des fronts multiples,
conduire des opérations
de police qui préservent
la paix en vigueur et
transformer les forces
armées
américaines
pour tirer parti de la
« révolution du monde
militaire ». Elles nâont
pas non plus quantifié
de façon idoine les for-
ces et moyens néces-
saires pour remplir ces
missions de façon sé-
parée et avec succÚs.
Bien que cela nécessite
des analyses plus dé-
taillées, le but de la présente étude est de dessiner
les contours des grandes forces et ressources « tous
azimuts » nécessaires pour remplir les missions va-
riĂ©es quâexige une stratĂ©gie de prĂ©Ă©minence amĂ©ri-
caine aujourdâhui et demain.
Aucune des Ă©tudes de
défense de la derniÚre
dĂ©cennie nâa vraiment
évalué le poids des
missions quâimpose la
domination mondiale
des Ătats-Unis, ni
quantifié de façon
idoine les forces et
moyens nécessaires
pour remplir ces
missions avec succĂšs.
Aucune des Ă©tudes de
défense de la derniÚre
dĂ©cennie nâa vraiment
évalué le poids des
missions quâimpose la
domination mondiale
des Ătats-Unis, ni
quantifié de façon
idoine les forces et
moyens nécessaires
pour remplir ces
missions avec succĂšs.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
6
Ă©dition du 09/06/08
l
A
défense
du
teRRitoiRe
nAtionAl
.
LâAmĂ©rique doit dĂ©fendre son territoire national . Au
cours de la guerre froide, la dissuasion nuclĂ©aire a Ă©tĂ© lâĂ©lĂ©ment clĂ© de la dĂ©fense du territoire
national et elle reste essentielle . Mais le nouveau siÚcle a apporté avec lui de nouveaux défis . Tout
en reconfigurant ses forces nuclĂ©aires, les Ătats-Unis doivent aussi contrebalancer les effets de
la prolifération des missiles balistiques et des armes de destruction massive qui permettront
bientĂŽt Ă des Ătats de moindre importance de dissuader les actions militaires des Ătats-Unis
en menaçant leurs alliĂ©s et le territoire amĂ©ricain lui-mĂȘme . De toutes les missions actuelles et
nouvelles des Ătats-Unis, celle-ci doit avoir la prioritĂ© .
l
es
conflits
mAjeuRs
.
DeuxiĂšmement, les Ătats-Unis doivent conserver suffisamment de
forces capables de se déployer rapidement et de conduire victorieusement plusieurs conflits
majeurs simultanés tout en étant capables de riposter à des circonstances inattendues dans des
rĂ©gions oĂč ils nâont pas de bases avancĂ©es . Cela rappelle la norme « deux guerres » qui a Ă©tĂ© la
base de la planification militaire au cours de la décennie écoulée . Pourtant, cette norme-là doit
ĂȘtre mise Ă jour pour prendre en compte de nouvelles rĂ©alitĂ©s et de nouveaux conflits potentiels .
l
es
missions
de
police
. TroisiÚmement, le Pentagone doit conserver des forces pour préserver
la paix actuelle de façon moins consommatrice que la conduite de campagnes sur des théùtres
majeurs . Une dĂ©cennie dâexpĂ©rience et les politiques de deux administrations ont dĂ©montrĂ©
quâil faut accroĂźtre le volume de telles forces pour faire face aux exigences des nouvelles
missions Ă long terme de lâOtan dans les Balkans, sur la zone dâinterdiction de vol et autres
missions en Asie du Sud-Ouest
6
ainsi que dâautres missions de prĂ©sence dans dâautres rĂ©gions
vitales dâAsie orientale . Ces missions sont aujourdâhui les plus frĂ©quentes et exigent des forces
configurées pour le combat tout en étant capables de tenir dans la durée des opérations de police
indépendantes .
l
A
tRAnsfoRmAtion
des
foRces
ARmées
AméRicAines
.
Finalement, le Pentagone doit
dĂšs maintenant commencer Ă tirer parti de ce quâon appelle la « rĂ©volution dans le domaine
militaire », initiĂ©e par lâintroduction de techniques de pointe dans les systĂšmes militaires . Il faut
considérer cet aspect des choses comme une mission séparée et essentielle qui mérite de mobiliser
Les forces armées américaines actuelles sont
mal préparées à remplir ces quatre missions. Au
cours de la dĂ©cennie Ă©coulĂ©e, les efforts visant Ă
définir et bùtir des défenses antimissiles efficaces
ont été mal conçus et insuffisamment financés.
Lâadministration Clinton a proposĂ© de profondes
réductions des forces nucléaires sans avoir suffi-
samment analysĂ© lâĂ©volution de lâĂ©quilibre mondial
des forces nuclĂ©aires. Pendant que les Ătats-Unis,
maintenant, conservent en général suffisamment
de forces dâactive et de rĂ©serves pour faire face Ă la
norme traditionnelle des « deux guerres », ce nâest
vrai quâau plan thĂ©orique et dans les conditions
géopolitiques les plus favorables. Comme les chefs
dâĂ©tat-major des armĂ©es lâont reconnu lors des dĂ©-
positions devant le CongrĂšs, ils nâont pas les forces
suffisantes pour faire face aux critĂšres dâune guerre
double tels que définis par les commandants en chef
territoriaux. Il faut revoir en profondeur les exigen-
ces que posent les conflits majeurs pour prendre en
compte les nouvelles rĂ©alitĂ©s stratĂ©giques. Lâune de
ces réalités est constituée par les exigences des opé-
rations de maintien de la paix. Faute de mieux les
comprendre, la capacitĂ© de lâAmĂ©rique Ă conduire
des conflits de forte intensité sera battue en brÚche.
De la mĂȘme façon le processus de transformation a
été traité par-dessus la jambe.
Pour faire face aux exigences des quatre
missions mises en avant plus haut, il faut que
les Ătats-Unis entreprennent une action en deux
temps. La tùche immédiate est de reconstruire les
forces actuelles en sâassurant quâelles ont autant
dâimportance que celles qui prĂ©cĂšdent : façonner
lâenvironnement du temps de paix et gagner la
guerre sur des théùtres simultanés. Il faut que ces
forces soient suffisamment puissantes pour rem-
plir ces missions sans se trouver face Ă un risque
« Ă©levĂ© » voire « inacceptable » comme câest le cas
actuellement. La deuxiĂšme tĂąche est de prendre
6 Asie du Sud-Ouest. DĂ©nomination stratĂ©gique amĂ©ricaine pour le Proche-Orient, le Moyen-Orient, lâIran, lâAfghanistan, et le Pakistan.
LâAsie du Sud-Ouest fait partie de la zone de responsabilitĂ© du Commandement Centre, le CENTCOM.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
7
Ă©dition du 09/06/08
sérieusement en compte une transformation du
ministĂšre de la DĂ©fense. Cette tĂąche-ci devra elle-
mĂȘme se faire en deux temps : pour la dĂ©cennie
à venir, voire davantage, les forces armées conti-
nueront Ă faire fonctionner nombre des systĂšmes
actuels, Ă sâorganiser en unitĂ©s traditionnelles et Ă
mettre en Ćuvre les concepts opĂ©rationnels actuels.
Toutefois, cette pĂ©riode de transition devra ĂȘtre le
premier pas vers une refonte plus en profondeur.
Au cours des quelques décennies à venir, les
Ătats-Unis doivent dĂ©ployer un systĂšme de dĂ©fense
antimissile Ă lâĂ©chelle mondiale, dĂ©couvrir des
moyens de prendre le contrÎle des « nouvelles
frontiĂšres communes » de lâespace et du cyberes-
pace ainsi que mettre sur pied de nouvelles forces
conventionnelles aptes Ă faire face Ă de nouveaux
défis stratégiques et à un nouvel environnement
technique.
Les forces nucléaires
La sagesse dâaujourdâhui, en ce qui concerne
les forces stratĂ©giques de lâaprĂšs guerre froide, est
contenue dans un commentaire de feu Les Aspin,
le premier ministre de la DĂ©fense de lâadministra-
tion Clinton. Aspin avait Ă©crit que lâeffondrement
de lâUnion soviĂ©tique avait « complĂštement fait
disparaĂźtre lâintĂ©rĂȘt, pour les Ătats-Unis, de dispo-
ser dâarmes nuclĂ©aires » et « Si aujourdâhui on nous
offrait une baguette magique pour faire disparaĂźtre
les armes nucléaires et le savoir qui les concerne,
il est trĂšs vraisemblable que nous lâaccepterions ».
Ătant donnĂ© que les Ătats-Unis sont la premiĂšre
puissance militaire en termes dâarmes convention-
nelles, on peut comprendre cette position. Mais
câest justement parce que nous possĂ©dons une
telle puissance que des Ătats opposĂ©s de moindre
taille et Ă la recherche dâun avantage qui rĂ©tablirait
lâĂ©quilibre, sont disposĂ©s Ă se doter de leurs propres
armes de destruction massive. Quels que soient
nos souhaits les plus profonds, la réalité du monde
actuel est quâil nâexiste pas de baguette magique
susceptible dâĂ©liminer de telles armes (ou de façon
plus fondamentale, lâintĂ©rĂȘt que prĂ©sente le fait de
sâen doter) et que pour dissuader quiconque dâen
user, il faut que les Ătats-Unis aient une capacitĂ©
nucléaire fiable et prééminente.
Alors que la posture officielle des Ătats-Unis
en matiÚre nucléaire est restée conservatrice aux
termes de la
Nuclear Posture Review
[RĂ©vision de
la posture en matiÚre nucléaire] de 1994 et de
lâĂtude Quadriennale de DĂ©fense de 1997, alors
que les dirigeants du Pentagone invoquent la per-
manence dâun besoin de forces de dissuasion nu-
clĂ©aire, lâadministration Clinton a pris une sĂ©rie de
mesures visant Ă Ă©branler la disponibilitĂ© et lâeffi-
cacité des forces nucléaires américaines. Elle a
notamment pratiquement arrĂȘtĂ© la mise au point
dâarmes nuclĂ©aires plus efficaces et plus sĂ»res, a
fait cesser complĂštement les essais souterrains et a
conduit Ă lâatrophie le complexe « armement » du
ministĂšre de lâĂnergie par manque de soutien [fi-
nancier et logistique]. Lâadministration a Ă©galement
pris la décision de conserver en service actif les
armes actuelles des années au-delà de leur date li-
mite de validitĂ©. Lorsquâon combine ceci avec les
réductions des essais en vol et des tests-systÚme
des armes elles-mĂȘmes, on se pose quantitĂ©s de
questions à propos de la persistance de la sûreté et
de la fiabilitĂ© de lâarsenal stratĂ©gique du pays. La
gestion par lâadministration des capacitĂ©s de dis-
suasion du pays a été avec justesse décrite par le
CongrÚs comme une « érosion à dessein ».
Avant de prendre quelque dĂ©cision au sujet dâune
rĂ©duction des forces nuclĂ©aires des Ătats-Unis, il faut
procĂ©der Ă une nouvelle Ă©valuation de lâĂ©quilibre nu-
cléaire mondial qui prenne en compte tant les forces
nucléaires chinoises et autres que celles des Russes.
Au lieu dâentretenir et amĂ©liorer la dissuasion
nuclĂ©aire amĂ©ricaine, lâadministration Clinton
a mis sa confiance en de nouvelles mesures de
contrĂŽle de lâarmement, tout particuliĂšrement en
signant le TraitĂ© dâinterdiction totale des essais nu-
cléaires (TITEN). Ce traité proposait un nouveau
rĂ©gime multilatĂ©ral sâappliquant Ă 150 Ătats dont
lâeffet principal Ă©tait dâobliger lâAmĂ©rique Ă fournir
un parapluie nucléaire mondial permettant à des
pays comme le Japon ou la Corée du Sud de ne
pas mettre au point dâarmes qui sont largement Ă
la portée de leurs compétences scientifiques tout
en ne faisant pas grand-chose pour enrayer la pro-
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
8
Ă©dition du 09/06/08
lifération des armes nucléaires. Le Sénat à eu beau
refuser de ratifier ce traitĂ©, lâadministration conti-
nue Ă se conformer Ă ses exigences fondamentales.
Et bien quâil puisse ĂȘtre sage de continuer pour le
moment Ă observer le moratoire actuel sur les es-
sais nuclĂ©aires, parce quâil faudrait de toute façon
des années pour remettre en état les installations
dâessais laissĂ©es Ă lâabandon, il sâagit lĂ Ă terme
dâune situation intenable. Si les Ătats-Unis doivent
disposer dâune dissuasion nuclĂ©aire Ă la fois effi-
cace et sûre, ils devront procéder à des essais.
Ceci dit, de tous les éléments de la posture
militaire des Ătats-Unis, ce sont peut-ĂȘtre les armes
nucléaires qui ont le plus besoin de remise à niveau.
Les armes nucléaires restent un composant essen-
tiel de la puissance militaire des Ătats-Unis, mais il
nâest pas Ă©vident que lâarsenal actuel soit adaptĂ© au
monde de lâaprĂšs-guerre froide qui est en train de
se mettre en place. La réflexion stratégique
dâaujourdâhui prend en compte bien dâautres Ă©lĂ©-
ments que le seul Ă©quilibre des forces entre lâAmĂ©-
rique et la Russie. La planification nucléaire amé-
ricaine et les politiques de contrĂŽle des armements
qui y sont liées doivent prendre en compte un plus
large éventail de variables que par le passé, dont le
nombre croissant de petits
arsenaux nucléaires, de la
CorĂ©e au Pakistan jusquâĂ
peut-ĂȘtre bientĂŽt lâIran et
lâIrak ainsi quâune force
nucléaire chinoise qui se
modernise et monte en
puissance. De plus, il se
pose la question du rĂŽle
que devraient jouer les
armes nucléaires dans la
dissuasion contre les
autres armes de destruc-
tion massive comme les
armes chimiques et biologiques, sachant que les
Ătats-Unis ont renoncĂ© Ă la mise au point et Ă lâem-
ploi de ces armes. En outre, il peut ĂȘtre nĂ©cessaire
de mettre au point une nouvelle famille dâarmes
nucléaires destinée à faire face à de nouveaux be-
soins militaires comme le traitement dâobjectifs
enfouis en profondeur dans le sous-sol ou les bloc-
khaus renforcés que sont en train de construire
nombre de nos adversaires potentiels. Il nây a pas
eu non plus dâĂ©tude sĂ©rieuse sur le rapport
avantage / coût du maintien de la « triade » nu-
clĂ©aire traditionnelle. Ce qui est tout dâabord indis-
pensable, câest une Ă©valuation gĂ©nĂ©rale prĂ©cise des
types et du nombre dâarmes nuclĂ©aires nĂ©cessaires
aux Ătats-Unis pour faire face Ă leurs responsabili-
tés dans un monde postsoviétique.
En bref, jusquâĂ ce que le ministĂšre de la DĂ©-
fense puisse mieux définir ses besoins nucléaires
pour lâavenir, une rĂ©duction importante de lâarsenal
nucléaire américain pourrait bien avoir des consé-
quences imprĂ©vues qui diminueront plutĂŽt quâelles
nâamĂ©lioreront la sĂ©curitĂ© des Ătats-Unis et de
leurs alliés. On pourrait, aprÚs étude, envisager des
réductions. Mais ce qui devrait
in fine
déterminer
la taille et la nature de nos forces nucléaires, ce
nâest pas la paritĂ© avec les capacitĂ©s des Russes,
mais la préservation de la supériorité stratégique
américaine. Et, cette supériorité acquise, la capa-
cité à dissuader de possibles coalitions hostiles de
puissances nucléaires. Il ne faut pas avoir honte
de la supĂ©rioritĂ© stratĂ©gique des Ătats-Unis ; au
contraire, elle sera un élément primordial dans
le maintien de la domination américaine dans un
monde plus complexe et plus chaotique.
Les forces armées des conflits ma-
jeurs
La seule constante de la planification des
forces selon le Pentagone, au cours de la décen-
nie écoulée, a été de reconnaßtre la nécessité de
conserver suffisamment de forces de mĂȘlĂ©e pour
conduire et gagner, de façon aussi rapide et déci-
sive que possible, des guerres survenant sur des
théùtres majeurs, multiples et de maniÚre prati-
quement simultanĂ©e. Cette constante sâappuie sur
deux rĂ©alitĂ©s importantes de lâordre international
actuel.
Primo
, la retenue qui existait au cours de
la guerre froide entre lâAmĂ©rique et ses alliĂ©s dâun
cĂŽtĂ© et lâUnion soviĂ©tique de lâautre, qui conduisait
Ă la prudence et dissuadait de sâen prendre de façon
directe aux intĂ©rĂȘts sĂ©curitaires principaux de
chacune des parties, a disparu. Secundo, la guerre
conventionnelle reste un moyen quâenvisagent des
Ătats agressifs pour tenter de faire Ă©voluer lâordre
international de façon significative.
Lâinvasion du KoweĂŻt par lâIrak en 1990 met
en évidence deux réalités. Cette invasion aurait été
hautement improbable voire impossible dans le
La gestion par
lâadministration
des capacités de
dissuasion du pays
a été avec justesse
décrite par le
CongrĂšs comme
une « Ă©rosion Ă
dessein ».
La gestion par
lâadministration
des capacités de
dissuasion du pays
a été avec justesse
décrite par le
CongrĂšs comme
une « Ă©rosion Ă
dessein ».
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
9
Ă©dition du 09/06/08
contexte de la guerre froide, or lâIrak a submergĂ©
le KoweĂŻt en seulement quelques heures. Ces deux
réalités en ont mis une troisiÚme en évidence : main-
tenir ou rétablir un ordre favorable dans les régions
vitales du globe comme lâEurope, le Moyen- Orient
et lâAsie orientale fait peser une responsabilitĂ© uni-
que sur les forces armées américaines. La guerre du
Golfe et de fait les conflits de moindre amplitude
dans les Balkans nâauraient pratiquement pas pu
ĂȘtre conduits et gagnĂ©s sans le rĂŽle dominant quây a
joué la puissance militaire américaine.
Ainsi, le concept selon lequel les forces
armĂ©es amĂ©ricaines doivent ĂȘtre modelĂ©es pour
pouvoir conduire deux conflits de grande intensité
a Ă©tĂ© Ă juste titre admis comme Ă©tant le cĆur de
la superpuissance américaine depuis la fin de la
guerre froide. La logique des précédentes études
de défense prévaut encore, et a été clairement défi-
nie dans lâĂtude Quadriennale de DĂ©fense de 1997
qui soutenait ceci :
Une armée dimensionnée et équipée en vue de
dissuader et de repousser une agression sur
plus dâun thĂ©Ăątre dâopĂ©rations assure que les
Ătats-Unis conserveront assez de souplesse
pour faire face Ă lâimprĂ©visible et Ă lâinattendu.
Une telle capacité est la condition sine qua
non de la superpuissance et est essentielle Ă
la crédibilité de notre stratégie générale de
sĂ©curitĂ© nationale⊠Si les Ătats-Unis devaient
renoncer à cette capacité de repousser une
agression sur plus dâun thĂ©Ăątre Ă la fois, notre
statut de puissance mondiale, de partenaire
de choix en matiÚre de sécurité et de chef de
file de la communauté internationale serait
remis en question. En effet, certains alliés
considĂ©reraient indubitablement une aptitude Ă
ne conduire quâune guerre comme le signe que
les Ătats-Unis, au cas oĂč ils seraient lourdement
engagés ailleurs, ne seraient plus en mesure
de les protéger⊠La capacité à ne conduire
quâune seule guerre risquerait de saper⊠la
crédibilité des engagements sécuritaires des
Ătats-Unis dans les rĂ©gions clĂ©s du monde.
Ceci pourrait en conséquence inciter nos
alliés et nos amis à adopter des politiques et
des postures de défense plus éloignées de nous,
ce qui affaiblirait le rĂ©seau dâalliances et de
coalitions sur lequel nous nous appuyons pour
dĂ©fendre nos intĂ©rĂȘts Ă lâĂ©tranger.
En bref, tout hormis une capacitĂ© claire Ă
mener deux guerres de front menace de conduire Ă
une stratégie de non guerre.
Malheureusement, la réflexion du ministÚre de
la DĂ©fense sur cette nĂ©cessitĂ© sâest figĂ©e au dĂ©but
des annĂ©es 1990. LâexpĂ©rience de lâopĂ©ration
Allied
Force
dans les Balkans laisse penser que dans une
certaine mesure la norme sacro-sainte dâune force
dimensionnĂ©e pour deux conflits risque dâĂȘtre
plutĂŽt insuffisante que redondante. La campagne
aérienne du Kosovo a finalement mis en jeu le
niveau de forces prévu pour un conflit majeur
mais sur un thĂ©Ăątre autre que les deux â CorĂ©e et
Asie du Sud-Ouest â qui ont inspirĂ© les scĂ©narios
des planifications antérieures du Pentagone. De
plus, les planificateurs du Pentagone doivent en-
core prendre en compte de nouveaux théùtres de
guerres prĂ©visibles, comme celui dâune dĂ©fense de
Taiwan par les Ătats-Unis face Ă une invasion ou
une attaque punitive chinoise
Pour mieux évaluer le volume de troupes né-
cessaire Ă la construction dâune paix amĂ©ricaine, il
faut que le Pentagone
calcule la force néces-
saire en tout temps Ă la
dĂ©fense des intĂ©rĂȘts
américains en Europe,
en Asie orientale et dans
le Golfe, et ceci indépen-
damment pour chaque
théùtre. Les actions de
nos adversaires dans ces
zones nâont que des rela-
tions limitées les unes
avec les autres. Il est
plus que vraisemblable que ces puissances régio-
nales saisissent lâoccasion que leur fournirait le
déploiement des forces américaines en un autre
endroit pour faire des bĂȘtises.
Ainsi la norme de lâaptitude au conflit de haute
intensité doit rester le critÚre de dimensionnement
des forces conventionnelles américaines. Ce qui
ne signifie pas que cette disposition ait été par-
faitement appliquée par le passé : les analyses du
Pentagone ont été tour à tour trop optimistes et trop
pessimistes. Par exemple, les analyses portant sur
les moyens nĂ©cessaires Ă empĂȘcher une invasion
par lâIrak du KoweĂŻt et de lâArabie saoudite ont
certainement surestimé le volume de forces requis.
En revanche, les analyses passées sur la défense de
Les chefs dâĂ©tat-
major des armées
ont admis quâils ne
disposent pas des
forces nécessaires
pour rĂ©pondre Ă
lâexigence dâune
capacité à faire face
Ă deux guerres.
Les chefs dâĂ©tat-
major des armées
ont admis quâils ne
disposent pas des
forces nécessaires
pour rĂ©pondre Ă
lâexigence dâune
capacité à faire face
Ă deux guerres.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
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Ă©dition du 09/06/08
la Corée du Sud pourraient avoir sous-estimé les
difficultĂ©s dâun tel conflit, en particulier au cas oĂč
la Corée du Nord emploierait des armes de destruc-
tion massive, ainsi que le prédisent les estimations
des services de renseignement. De plus, lâanalyse
des thĂ©Ăątres de guerres que prĂ©sente lâĂ©tude qua-
driennale de défense conclut que Kim Jong Il et
Saddam Hussein sont tous les deux susceptibles de
se lancer dans la guerre â peut-ĂȘtre avec emploi
dâarmes chimiques ou biologiques, voire dâarmes
nuclĂ©aires â et les Ătats-Unis nâont entrepris aucun
effort pour déposer ces dirigeants
manu militari
.
Dans les deux cas, les simulations de guerre pas-
sĂ©es du Pentagone nâont accordĂ© que peu dâattention
aux besoins en troupes destinées à faire face non
seulement Ă repousser une offensive mais encore Ă
déposer ces régimes et conduire des opérations de
stabilisation dâaprĂšs-guerre. En bref, la façon dont
le ministÚre de la Défense à appliqué le principe de
conduite de deux guerres Ă la fois nâa pas servi de
rÚgle fiable pour déterminer le niveau de force réel-
lement nécessaire. Et bien sûr, les études passées
nâont pas produit dâanalyses sur le type dâopĂ©rations
en Europe, comme on lâa constatĂ© lors de lâopĂ©ra-
tion
Allied Force
. Ătant donnĂ© que les Ă©tudes stratĂ©-
giques passées du Pentagone ont été des exercices
budgétaires, il est indispensable de conduire des
analyses nouvelles et plus rĂ©alistes mĂȘme que les
sacro-saints scénarios à deux guerres.
En somme, tout en conservant lâesprit des
planifications de force pour deux guerres qui pré-
valait auparavant, le ministĂšre de la DĂ©fense doit
entreprendre une étude plus nuancée et plus com-
plÚte des besoins réels. Les réalités qui ont généré
la norme originale des deux guerres perdurent : les
adversaires de lâAmĂ©rique vont continuer Ă lutter
contre lâĂ©tablissement dâune paix amĂ©ricaine. Lors-
quâils trouveront une occasion favorable, comme
Saddam Hussein en 1990, ils emploieront leurs
forces armées les plus puissantes pour remporter
sur le champ de bataille ce quâils seraient incapa-
bles de remporter dans le cadre dâune compĂ©tition
pacifique. Et les forces armées américaines restent
la cible des efforts de dissuasion, dâoffensives vi-
sant Ă les battre ou Ă les faire partir de la part de
puissances régionales agressives.
Des forces pour des missions « de police »
En plus dâamĂ©liorer les analyses nĂ©cessaires Ă
la quantification des moyens nécessaires à la
conduite des conflits majeurs, le Pentagone doit
aussi prendre en compte les besoins réels des opé-
rations de police. LâĂ©tude quadriennale de dĂ©fense
de 1997 a reconnu que ces missions qualifiées de
« circonstances de moindre importance » ou CMI
seront fréquemment et inévitablement au menu des
forces armées américaines au cours de nombreuses
annĂ©es Ă venir. « Compte tenu de lâexpĂ©rience rĂ©-
cente et des prospectives de renseignement, on
sâattend Ă ce que les opĂ©rations de CMI restent
hautement probables dans les 15 Ă 20 annĂ©es Ă
venir » concluait cette étude. Et pourtant, ce faisant
lâEQD sâest abstenue de dĂ©dier des unitĂ©s Ă ces
missions, faisant perdurer la fiction selon laquelle
on peut considérer, en matiÚre de planification des
forces, les missions de police comme de « simples
à -cÎtés » des exigences des théùtres de conflits
majeurs. « Les unitĂ©s amĂ©ricaines doivent ĂȘtre ca-
pables de se désengager des conflits de CMI, se
remettre en condition et sâengager ensuite dans un
conflit majeur en fonction de la chronologie qui
sâimpose » affirmait lâĂ©tude
Il faut considérer le nombre croissant des « opérations
de police », comme au Kosovo ci-dessus, comme une
partie intégrante de la planification du Pentagone.
LâopĂ©ration
Allied Force
dans les Balkans a
mis en Ă©vidence les lacunes de cette approche. Jus-
tement parce que les troupes engagées là -bas ont
été incapables de se retirer, se remettre en condi-
tion et se redéployer ailleurs, et parce que cette
opération a mobilisé une grande partie des avions
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
11
Ă©dition du 09/06/08
de lâarmĂ©e de lâAir, le comitĂ© des chefs dâĂ©tat-major
en a conclu que les Ătats-Unis ont fait courir un ris-
que « inacceptable » au cas oĂč une guerre se serait
déclenchée sur un autre théùtre. Ainsi, pour faire
face aux réalités de multiples opérations de police,
il faudrait y affecter en permanence des unités de
lâarmĂ©e amĂ©ricaine.
On ne peut pas non plus résoudre le problÚme
en se contentant de se retirer des missions de police
en cours ni en dĂ©cidant de ne pas y prendre part Ă
lâavenir. En fait, se retirer des missions en cours Ă
lâheure actuelle pourrait se rĂ©vĂ©ler problĂ©matique.
Bien que les opĂ©rations dâinterdiction de survol du
Nord et du Sud de lâIrak se dĂ©roulent sans inter-
ruption depuis presque une décennie, elles restent
un élément essentiel de la stratégie et de la posture
militaire des Ătats-Unis dans la rĂ©gion du golfe
Persique. Mettre fin à ces opérations reviendrait
Ă offrir Ă Saddam Hussein une grande victoire, ce
à quoi répugnerait tout dirigeant américain. De la
mĂȘme façon, se retirer des Balkans remettrait en
question la domination américaine en Europe et
par lĂ mĂȘme la survie de lâOtan. Bien quâaucune
de ces missions ne représente une menace mor-
telle, elles engagent directement les intĂ©rĂȘts amĂ©-
ricains en matiÚre de sécurité nationale tout autant
quâelles mettent en danger les intĂ©rĂȘts moraux des
Ătats-Unis.
De plus, ces missions de police sont beaucoup
plus compliquées et susceptibles de générer de
la violence que les missions traditionnelles de
« maintien de la paix ». PremiÚrement, elles exigent
lâautoritĂ© politique amĂ©ricaine plutĂŽt que celle des
Nations Unies comme le dĂ©montre lâĂ©chec de la
mission de lâONU dans les Balkans et le relatif suc-
cĂšs des opĂ©rations de lâOtan dans cette rĂ©gion. Les
Ătats-Unis ne peuvent pas non plus prĂ©tendre Ă une
posture de neutralitĂ© Ă lâinstar des Nations Unies.
La prépondérance de la puissance américaine est
telle et ses intĂ©rĂȘts dans le monde si Ă©tendus quâils
ne peuvent prétendre se désintéresser des issues
politiques dans les Balkans, dans le golfe Persique
ou mĂȘme lorsquâils dĂ©ploient leurs troupes en Afri-
que. Finalement, ces missions exigent des forces
essentiellement dimensionnées pour le combat.
Alors quâelles exigent aussi du personnel ayant des
compétences en langues étrangÚres, en logistique
et autres savoir-faire en matiĂšre de soutien, la pre-
miĂšre exigence de ces missions est, comme dans
les Balkans, dâĂ©tablir la sĂ©curitĂ©, la stabilitĂ© et lâor-
dre. Les troupes américaines doivent en particulier
ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme faisant partie dâune force
Ă la puissance Ă©crasante.
AprĂšs une dĂ©cennie dâexpĂ©rience tant des exi-
gences des missions de police en cours que de lâen-
vironnement politique chaotique de lâaprĂšs-guerre
froide, le ministĂšre de la DĂ©fense est plus quâen
mesure de produire un bilan utile pour lâĂ©valuation
des besoins généraux en troupes engagées en mis-
sions de police. Alors quâune partie de la solution
consiste à redéployer les forces existantes, on ne
peut Ă©chapper Ă la conclusion selon laquelle ces
nouvelles missions auxquelles on ne sâattendait pas
lorsque a commencé la réduction des moyens de
la DĂ©fense il y a dix ans exigent une augmentation
gĂ©nĂ©rale des tableaux dâeffectifs et de dotation des
forces armĂ©es des Ătats-Unis.
La reconversion des forces
Le quatriÚme élément de la posture militaire
des Ătats-Unis, et certainement la clĂ© des espoirs
Ă long terme de lâextension de la
Pax Americana
actuelle, est la mission qui consiste Ă reconvertir
les armées américaines pour faire face aux nou-
veaux défis géopolitiques et techniques. Alors
que la directive principale dans le sens de cette re-
conversion sera la mise sur pied et le déploiement
dâun systĂšme mondial de dĂ©fenses antimissile, les
effets des techniques de lâinformation et dâautres
techniques de pointe promettent de révolutionner
la nature des armées conventionnelles. De plus, la
nĂ©cessitĂ© de crĂ©er des systĂšmes dâarmes optimisĂ©s
en vue dâopĂ©rations dans le thĂ©Ăątre du Pacifique
imposera des exigences radicalement différentes
de celles en vigueur actuellement pour les systĂš-
mes dâarmes conçus pour la guerre sur un thĂ©Ăątre
europĂ©en et ces nouveaux systĂšmes dâarmes tel le
chasseur F-22 qui ont été eux aussi conçus pour les
besoins de la fin de la guerre froide.
Bien que le concept de base présidant à un
systÚme de défense antimissile mondial en mesure
de protĂ©ger les Ătats-Unis et leurs alliĂ©s face Ă une
menace de missiles plus petits et moins sophistiqués
ait bien été pris en compte depuis la fin des années
1980, on a gaspillé une décennie à mettre au point
les techniques indispensables. En fait, la recherche
sur les Ă©lĂ©ments clĂ©s dâun tel systĂšme, en particu-
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
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Ă©dition du 09/06/08
lier ceux qui devront opĂ©rer depuis lâespace, a Ă©tĂ©
soit ralentie soit complĂštement arrĂȘtĂ©e, ce qui fait
que le déploiement de solides systÚmes de défense
antimissile reste un projet Ă long terme. Toute autre
raison mise à part, il faut considérer la mission de
crĂ©ation dâun tel systĂšme de dĂ©fense antimissile
comme une affaire de reconversion militaire.
Comme nous le démontrerons de façon plus
complÚte par la suite, des défenses efficaces contre
les missiles balistiques seront lâĂ©lĂ©ment central de
lâexercice de la puissance amĂ©ricaine et de la pro-
jection outre-mer des forces armĂ©es des Ătats-Unis.
Sans elles, des Ătats de faible puissance mettant en
Ćuvre de petits arsenaux de missiles balistiques
rustiques Ă©quipĂ©s de tĂȘtes nuclĂ©aires Ă©lĂ©mentaires
ou dâautres armes de destruction massive seront en
mesure de dissuader
les Ătats-Unis dâutili-
ser
leurs
forces
convent ion nelles,
quels que soient les
avantages techniques
ou autres dont ils
pourraient bénéficier.
MĂȘme si de tels enne-
mis ne sont capables
de menacer que les
alliés des Américains
plutĂŽt que le territoire
national des Ătats-
Unis lui-mĂȘme, la ca-
pacité de projection
de lâAmĂ©rique serait
grandement compro-
mise. HĂ©las ! Ni les
stratĂšges de lâadministration [Clinton] ni les plani-
ficateurs du Pentagone ne semblent avoir pris en
compte cet aspect élémentaire des choses. Visible-
ment, les efforts entrepris pour financer, concevoir
et mettre au point un systÚme efficace de défense
antimissile ne donnent pas lâimpression dâun senti-
ment dâurgence. La premiĂšre tĂąche de la reconver-
sion des forces armées américaines pour faire face
aux réalités techniques et stratégiques du siÚcle qui
commence est pourtant la mise sur pied dâun tel
systĂšme.
La crĂ©ation dâun systĂšme antimissile mondial
nâest pas la seule prioritĂ© en matiĂšre de reconver-
sion. Il est presque aussi urgent de reconfigurer les
forces conventionnelles. Car, bien que les forces
américaines possÚdent des capacités et jouissent
dâavantages qui surpassent de loin ceux de nos plus
riches et plus proches alliés, sans compter ceux de
nos ennemis potentiels déclarés, la combinaison
des évolutions techniques et stratégiques qui ca-
ractérisent le nouveau siÚcle met en danger lesdits
avantages. Les forces conventionnelles actuelles
des Ătats-Unis maĂźtrisent un paradigme finissant de
la guerre marqué par la prédominance des blindés,
des porte-avions, en particulier en ce qui concerne
les aĂ©ronefs tactiques pilotĂ©s, qui commence Ă ĂȘtre
supplanté par un nouveau paradigme marqué, lui,
par les frappes de précision à longue distance et la
prolifĂ©ration des techniques de missiles. Lâironie de
la chose, câest que ce sont les Ătats-Unis qui ont Ă©tĂ©
les pionniers de cette forme de guerre convention-
nelle de haute technicité : elle a pris corps lors de la
guerre du Golfe de 1991 et sâest affirmĂ©e davantage
lors des opĂ©rations de la derniĂšre dĂ©cennie. MĂȘme
la campagne aérienne «
Allied Force
» au Kosovo
a montré une version déformée du paradigme de
guerre en cours dâĂ©mergence.
Pourtant, mĂȘme si ces capacitĂ©s dâinnovation
sont ce qui reste des investissements commencés
au milieu et à la fin des années 1980, le rythme
dâinnovation du Pentagone sâest notablement ra-
lenti au cours de la derniÚre décennie. Ceci est dû
en partie à la réduction des budgets de la Défense,
Ă lâĂ©crasante domination actuelle des forces amĂ©ri-
caines et Ă la multiplication des missions de police.
Et sans le défi impérieux que posait la menace
militaire soviĂ©tique, le besoin dâinnovation sâest
fait moins pressant. Toutefois, on distingue clai-
rement un éventail de nouveaux défis potentiels.
LâarmĂ©e chinoise, en particulier, cherche Ă tirer
profit de la révolution dans le domaine militaire
pour faire disparaĂźtre, par exemple, les avantages
américains en matiÚre de puissance navale et aé-
rienne. Si les Ătats-Unis tiennent Ă conserver leur
avance technique et tactique actuelle en matiĂšre de
conflits conventionnels de grande intensité, il faut
considĂ©rer lâeffort dâadaptation comme une mission
aussi urgente que celle qui consiste à se préparer
aux conflits potentiels des théùtres actuels ou aux
missions de police. En fait, il faut lui consacrer une
quantité significative de forces et de ressources
budgétaires à part au cours des vingt ans à venir.
Pour que les Ătats-
Unis préservent les
avantages techniques
et tactiques dont ils
jouissent Ă lâheure
actuelle, il faut
considĂ©rer lâeffort de
reconversion comme
une mission militaire
urgente en ce sens
quâelle prĂ©pare
les guerres sur les
thĂ©Ăątres dâopĂ©rations
dâaujourdâhui.
Pour que les Ătats-
Unis préservent les
avantages techniques
et tactiques dont ils
jouissent Ă lâheure
actuelle, il faut
considĂ©rer lâeffort de
reconversion comme
une mission militaire
urgente en ce sens
quâelle prĂ©pare
les guerres sur les
thĂ©Ăątres dâopĂ©rations
dâaujourdâhui.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
13
Ă©dition du 09/06/08
De plus, le processus dâadaptation doit relever
de lâĂ©valuation de la stratĂ©gie et des buts politiques
des Ătats-Unis. Par exemple, en tant que chef de file
dâun rĂ©seau mondial dâalliances et de partenariats
stratĂ©giques, les forces armĂ©es des Ătats-Unis ne
peuvent se replier dans la « forteresse Amérique ».
Ainsi, alors que les frappes stratégiques de précision
Ă longue distance joueront vraisemblablement un
rÎle accru lors des opérations militaires américaines,
les forces armĂ©es des Ătats-Unis doivent rester dĂ©-
ployĂ©es en quantitĂ© Ă lâĂ©tranger. Pour rester Ă la tĂȘte
dâun Ă©ventail de coalitions, les Ătats-Unis doivent
prendre leur part des risques auxquels leurs alliés
font face. On va devoir inévitablement accorder
moins de confiance à la sécurité garantie seulement
par des projections de forces depuis la métropole.
En outre, le processus dâadaptation devrait se
dĂ©rouler dans un esprit dâĂ©mulation au sein des
armées et entre les approches par armée et inter-ar-
mées. Les techniques nouvelles peuvent inévitable-
ment crĂ©er le besoin dâorganisations militaires en-
tiÚrement nouvelles. Le présent rapport aborde plus
loin que lâĂ©mergence de lâespace comme un thĂ©Ăątre
de guerre de premiÚre importance va par nécessité
imposer Ă terme lâidĂ©e selon laquelle il sera sage de
crĂ©er une « armĂ©e de lâespace » sĂ©parĂ©e des autres
armĂ©es. JusquâĂ prĂ©sent, le ministĂšre de la DĂ©fense
a essayé une approche prématurément interarmées
de lâadaptation des forces. Bien quâil soit certain
que les nouvelles techniques permettent une com-
binaison plus étroite des capacités traditionnelles
des armées, nous sommes encore trop prÚs du
dĂ©but du processus dâadaptation pour faire taire ce
quâil y aurait de salutaire et gĂ©nĂ©rateur dâĂ©mulation
dans la « rivalitĂ© interarmĂ©es ». Ătant donnĂ© que les
armées en tant que telles sont les institutions mili-
taires les mieux adaptées à la mise à disposition des
forces destinées à remplir les missions spécifiques
quâexige la stratĂ©gie des Ătats-Unis, elles sont de fait
les plus Ă mĂȘme dâĂȘtre les moteurs de lâadaptation et
du changement dans le contexte des exigences qui
perdurent en matiĂšre de missions.
Enfin, il faut se souvenir que le processus de re-
conversion est effectivement un processus : mĂȘme
la perception la plus visionnaire des forces armées
du futur doit reposer sur la compréhension de ce
que sont les forces dâaujourdâhui. En termes plus
généraux, il paraßt vraisemblable que le processus
dâadaptation prendra plusieurs dĂ©cennies et que les
forces armées américaines continueront à employer
beaucoup, si ce nâest la plus grande partie, des sys-
tĂšmes dâarmes actuels pendant encore dix ans ou
plus. Ainsi, on peut sâattendre Ă ce que le processus
de reconversion soit en fait un processus en deux
phases : dâabord une pĂ©riode de transition, ensuite
une transformation plus complĂšte. Le tournant
interviendra au moment oĂč les nouveaux systĂšmes
dâarmes entrant en service deviendront les plus
nombreux, peut-ĂȘtre au moment oĂč, par exemple,
les aéronefs sans pilote seront aussi nombreux que
les avions avec pilote embarqué. à cet égard, le
Pentagone devrait faire attention avant dâinvestir
massivement dans de nouveaux programmes, par
exemple de chars, dâavions, de porte-avions qui
engageraient les forces américaines dans une
doctrine actuelle de la guerre pour de nombreuses
décennies à venir.
En conclusion, il reste clair que ces quatre
missions essentielles visant à préserver la préé-
minence militaire des Ătats-Unis sont totalement
distinctes les unes des autres. On ne peut en consi-
dérer aucune comme une « composante mineure »
des autres mĂȘme si elle y est Ă©troitement liĂ©e et peut,
dans certains cas, faire appel Ă des forces similai-
res. En corollaire, ne pas fournir suffisamment de
forces pour remplir ces quatre missions pourrait
avoir pour consĂ©quence dâobĂ©rer la stratĂ©gie des
Ătats-Unis. Ne pas bĂątir de dĂ©fenses antimissiles
ferait courir de graves risques Ă lâAmĂ©rique et Ă
ses alliĂ©s et compromettrait lâexercice du pouvoir
américain outre-mer. Des forces conventionnelles
insuffisantes pour conduire simultanément des en-
gagements sur plusieurs théùtres ne préserveraient
pas les intĂ©rĂȘts mondiaux des Ătats-Unis et de leurs
alliés. Négliger ou abandonner les missions de po-
lice augmenterait la probabilité de déclenchement
de guerres de plus grande ampleur et inciterait
des tyranneaux Ă dĂ©fier les intĂ©rĂȘts et les idĂ©aux
américains. Et ne pas se préparer à relever les défis
de demain aurait pour conséquence de voir rapide-
ment disparaĂźtre la
Pax Americana.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
14
Ă©dition du 09/06/08
iii
l
e
Redéploiement
des
foRces
Actuelles
Malgré le caractÚre central des conflits majeurs
dans la planification militaire conventionnelle, il est
devenu cruellement Ă©vident que lâarmĂ©e amĂ©ricaine
aura dâautres rĂŽles de premier plan Ă jouer pour
bùtir une paix américaine durable. La présence de
troupes américaines dans les régions cruciales de
la planĂšte est la manifestation de lâĂ©tendue du statut
de superpuissance des Ătats-Unis et de leur rĂŽle
de garant de la liberté, de la paix et de la stabilité.
Notre rĂŽle est primordial dans le modelage de lâen-
vironnement de sĂ©curitĂ© en temps de paix et lâon
ne saurait y renoncer sans en payer le prix élevé :
il sera difficile voire impossible de conserver un
rÎle de garant mondial sans assurer une présence
conséquente partout outre-mer. Nos alliés, pour qui
les problĂšmes rĂ©gionaux sont dâimportance capi-
tale, douteraient de notre volonté de défendre leurs
intĂ©rĂȘts si les troupes amĂ©ricaines se retiraient dans
une Forteresse Amérique. Tout aussi important :
notre rĂ©seau mondial dâalliances fournit les moyens
les plus efficaces dâexercice de la domination mon-
diale des Ătats-Unis. Les bĂ©nĂ©fices compensent
largement les charges. Que ce soit par des bases
permanentes ou en procédant par déploiements en
rotations, les opérations outre-mer des forces amé-
ricaines et alliées constituent la premiÚre ligne de
dĂ©fense de ce quâon peut appeler le « pĂ©rimĂštre de
sĂ©curitĂ© des Ătats-Unis ».
Depuis lâeffondrement de lâUnion soviĂ©tique,
ce pĂ©rimĂštre sâest Ă©tendu lentement mais inexora-
blement. En Europe, lâOtan sâest Ă©tendue en ac-
cueillant trois nouveaux membres et en recevant un
grand nombre de membres « invités » par le truche-
ment du programme de Partenariat pour la Paix.
Des dizaines de milliers de soldats des Ătats-Unis,
de lâOtan et des pays alliĂ©s patrouillent dans les
Balkans et y ont conduit nombre dâactions signifi-
catives. En effet, la région est en voie de devenir un
protectorat de lâOtan. Dans la rĂ©gion du Golfe Per-
sique, la présence des forces américaines aux cÎtés
dâunitĂ©s britanniques et françaises est devenue une
donnée semi-permanente de la vie. Bien que la
mission immédiate de ces forces soit de faire res-
pecter les zones dâinterdiction de survol au-dessus
du nord et du sud de lâIraq, elles reprĂ©sentent lâenga-
gement Ă long terme des Ătats-Unis et de leurs
principaux alliĂ©s dans une rĂ©gion dâimportance vi-
tale. En fait, les Ătats-Unis cherchent depuis des
décennies à jouer un rÎle
plus durable dans la sécurité
régionale du Golfe. Alors
que le conflit non réglé avec
lâIraq lui donne une justifi-
cation immédiate, le besoin
dâune prĂ©sence militaire
américaine
significative
dans le Golfe va au-delĂ de
la question du régime de
Saddam Hussein. En Asie
orientale, le schéma des
opérations militaires améri-
caines est en train de glisser
vers le sud : au cours des
derniÚres années, on a dé-
ployé des forces navales significatives dans la région
de Taiwan en réponse à une provocation chinoise, et
maintenant un contingent américain appuie la mis-
sion que conduit lâAustralie au Timor oriental. Par-
tout sur la planĂšte, la tendance est Ă un Ă©largissement
du pĂ©rimĂštre de sĂ©curitĂ© des Ătats-Unis, ce qui
conduit Ă de nouveaux types de missions.
Il faut que le positionnement des bases améri-
caines réponde à ces réalités. Or le réseau mondial
des installations militaires amĂ©ricaines sâest rĂ©duit
alors que le pĂ©rimĂštre des intĂ©rĂȘts sĂ©curitaires
amĂ©ricains sâest Ă©tendu. Les forces armĂ©es des
Pour préserver
aujourdâhui
â et demain
â le pĂ©rimĂštre
de sécurité des
Ătats-Unis, il
faudra changer
les déploiements
et les installations
des forces
américaines
outre-mer.
Pour préserver
aujourdâhui
â et demain
â le pĂ©rimĂštre
de sécurité des
Ătats-Unis, il
faudra changer
les déploiements
et les installations
des forces
américaines
outre-mer.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
15
Ă©dition du 09/06/08
Ătats-Unis sont loin dâĂȘtre positionnĂ©es de maniĂšre
idéale pour répondre aux besoins du moment mais
le Pentagone reste attaché au niveau de forces
prépositionnées peu en rapport avec les capacités
militaires ou les rĂ©alitĂ©s de lâinstant. La campagne
aérienne du Kosovo en donne un exemple criant :
pendant lâopĂ©ration
Allied Force
, les avions de
combat des Ătats-Unis et de lâOtan ont Ă©tĂ© dissĂ©-
minĂ©s sur tout le continent europĂ©en et mĂȘme dans
la zone asiatique de la Turquie. Ils ont été obligés
de se lancer dans un schĂ©ma dâopĂ©ration trĂšs dis-
persé et trÚs compliqué qui a nécessité beaucoup
dâefforts de ravitaillement et a obĂ©rĂ© lâampleur de la
campagne elle-mĂȘme. Ceci en raison dâun manque
de bases aériennes adéquates en Europe du Sud-
Est. Il faut revoir en profondeur le rĂ©seau dâinstal-
lations et de déploiements militaires américains
outre-mer. Il faut de la mĂȘme façon reconsidĂ©rer
la structure des forces des Ătats-Unis Ă la lueur de
lâĂ©volution des missions de lâarmĂ©e amĂ©ricaine. Il
faut rationaliser lâensemble de la structure des for-
ces armées pour prendre en compte le fait que leur
présence en avant-postes éloignés ou en patrouilles
outre-mer peut prĂ©senter autant dâimportance que
leurs missions de guerre, notamment en Europe.
Les nécessités de la stabilisation des Balkans,
lâĂ©largissement de lâOtan, Partenariat pour la Paix
compris, font quâil nâest pas rĂ©aliste de croire que
les forces américaines en Europe sont disponibles
pour faire face Ă dâautres crises comme le prĂ©sume
la planification officielle du Pentagone. Le défi
permanent de lâIraq fait quâil ne serait pas sage de
réduire de façon importante la présence militaire
dans le Golfe. La protection du périmÚtre de sé-
curitĂ© des Ătats-Unis, aujourdâhui comme demain,
va imposer des changements dans les opérations
américaines outre-mer.
Il faut considérer les forces armées américai-
nes positionnĂ©es Ă lâextĂ©rieur ou en dĂ©ploiements
par rotations autour du monde comme la premiĂšre
ligne de dĂ©fense des Ătats-Unis. Elles assurent la
reconnaissance et la sécurité contre la perspective
dâaggravation des crises et mĂšnent des opĂ©rations
de stabilisation qui empĂȘchent leur dĂ©clenchement.
Il faut que ces forces armées soient des plus opéra-
tionnelles et maĂźtrisent les savoir-faire de combat les
plus affûtés. Les forces configurées pour la guerre
sont les seules à manifester aux yeux de nos alliés
notre engagement à leurs cÎtés pour la défense de
leurs intĂ©rĂȘts. Seulement, elles doivent aussi ĂȘtre
hautement adaptables et mobiles, elles doivent ĂȘtre
largement polyvalentes. Elles sont la cavalerie de
la nouvelle frontiĂšre amĂ©ricaine. Dans lâĂ©ventualitĂ©
dâun conflit de grande intensitĂ©, elles doivent ĂȘtre
capables de modeler le champ de bataille pendant
que les renforts stationnés en Amérique se dé-
ploient afin de porter les coups dĂ©cisifs Ă lâennemi.
Il ne suffit pas de les redéployer pour mettre en
évidence un changement du paysage stratégique,
il faut également les réorganiser et les structurer
pour les faire cadrer avec leurs nouvelles missions
et prendre en compte les techniques nouvelles.
LâEurope
Ă la fin de la guerre froide, les Ătats-Unis ont
maintenu la présence de plus de 300 000 hommes
en Europe comprenant deux corps dâarmĂ©e et 13 es-
cadres aériennes auxquels il faut ajouter un éventail
de sous-groupements stationnés essentiellement en
Allemagne. La plaine centrale dâAllemagne Ă©tait le
principal thĂ©Ăątre dâopĂ©rations de la guerre froide,
et sauf échange nucléaire à outrance, la principale
menace pour les Ătats-Unis et leurs alliĂ©s consistait
en une invasion de lâEurope occidentale par les
blindĂ©s soviĂ©tiques. LâAllemagne est aujourdâhui
réunifiée, la Pologne et la République tchÚque sont
membres de lâOtan et lâarmĂ©e russe sâest repliĂ©e aux
portes de Moscou et est engagée principalement
dans le Caucase et dâune façon plus gĂ©nĂ©rale vers
le sud. Bien que lâEurope du Nord et lâEurope cen-
trale soient plus stables aujourdâhui quâĂ nâimporte
quel moment de lâhistoire, lâessentiel des forces
américaines en Europe restent stationnées au nord,
soit une armée de théùtre et un corps de deux di-
visions lourdes en Allemagne avec seulement cinq
escadres aériennes auxquelles il faut ajouter une
poignĂ©e de plus petites unitĂ©s dâautre nature.
Seulement, alors que lâEurope du Nord et lâEu-
rope centrale sont remarquablement stables, que
lâAllemagne de lâEst, la Pologne et la RĂ©publique
tchÚque sont rentrées dans le courant général de la
vie politique, économique et culturelle européenne,
la situation de lâEurope du Sud-Est a connu des sou-
bresauts qui perdurent. Les Balkans, et lâEurope du
Sud-Est en gĂ©nĂ©ral, prĂ©sentent lâobstacle principal
Ă la crĂ©ation dâune Europe « libre et entiĂšre » de
la Baltique Ă la Mer Noire. Le retard Ă instaurer
la sécurité et la stabilité en Europe du Sud-Est a
non seulement empĂȘchĂ© de consolider la victoire
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
16
Ă©dition du 09/06/08
au cours de la guerre froide, mais encore a installé
une zone de violences et de conflits et a introduit
lâincertitude sur le rĂŽle de lâAmĂ©rique en Europe.
Au lieu dâadmettre la nĂ©cessitĂ© de reconfigurer les
forces américaines en Europe et de les redéployer
depuis le nord vers le sud-est, la politique actuelle
a été de faire stationner par rotations les unités
dans les Balkans, mettant ainsi Ă mal leur disponi-
bilitĂ© pour dâautres missions et mobilisant une por-
tion croissante dâun volume de forces dĂ©jĂ notable-
ment réduit.
Le déploiement, qui perdure, de troupes dans les Bal-
kans, reflĂšte un engagement de lâAmĂ©rique dans la
sécurité de la région. En refusant de considérer ces
déploiements comme un glissement de la présence
permanente des Ătats-Unis en Europe, lâadministra-
tion Clinton a accru de façon exponentielle la charge
qui pÚse sur les forces armées.
Dans le mĂȘme temps, le dĂ©ploiement, qui
perdure, de troupes dans les Balkans, reflĂšte un
engagement de lâAmĂ©rique dans la sĂ©curitĂ© de la
région. En refusant de considérer ces déploiements
comme un glissement de la présence permanente
des Ătats-Unis en Europe, lâadministration Clinton
a accru de façon exponentielle la charge qui pÚse
sur les forces armées.
MalgrĂ© lâaxe changeant des conflits en Eu-
rope [de lâest vers le sud-est (NdT)], il demeure
nécessaire de conserver des troupes en Europe du
Nord et en Europe centrale. La région est stable,
mais une prĂ©sence amĂ©ricaine continue aide Ă
assurer les principales puissances européennes,
notamment lâAllemagne, de ce que les Ătats-Unis
restent concernés de façon durable par la sécurité
du continent. Ceci est particuliĂšrement important
Ă la lueur dâun mouvement europĂ©en naissant
vers une « identité » et une politique de défense
indĂ©pendante. Il est essentiel que lâOtan ne soit
pas remplacĂ©e par lâUnion EuropĂ©enne, ce qui
laisserait les Ătats-Unis sans voix au chapitre en
matiÚre de sécurité européenne. De plus, nombre
des implantations et des installations assurent une
infrastructure de soutien aux forces américaines
Ă travers toute lâEurope et aux renforts en cas de
crise. Des bases en Angleterre ou en Allemagne
jusquâaux quartiers gĂ©nĂ©raux et unitĂ©s de lâarmĂ©e
de Terre en Belgique et en Allemagne, une grande
partie du réseau actuel de bases américaines en Eu-
rope du Nord et centrale garde la pertinence quâil
avait au temps de la guerre froide.
Il faut toutefois introduire des changements qui
reflĂštent le glissement trĂšs important en matiĂšre de
besoins sĂ©curitaires. LâarmĂ©e de Terre amĂ©ricaine
en Europe (USAREUR) devrait passer dâun simple
corps dâarmĂ©e Ă deux divisions lourdes et leurs
unitĂ©s dâappui et de soutien Ă un groupe dâunitĂ©s
interarmes modulables de la taille dâune brigade
capables dâagir de façon indĂ©pendante aprĂšs pro-
jection à des distances opérationnelles. Les unités
de lâarmĂ©e de lâAir en Europe doivent entreprendre
le mĂȘme type de rĂ©orientation. Il faudrait conser-
ver lâinfrastructure actuelle en Angleterre et en
Allemagne. Il faut sensiblement améliorer la base
aĂ©rienne de lâOtan Ă Aviano en Italie qui est de-
puis longtemps la base principale des opérations
aériennes dans les Balkans. En ce qui concerne les
infrastructures terrestres, il faut étudier sérieuse-
ment lâinstallation dâune base aĂ©rienne de lâOtan
et des Ătats-Unis en Hongrie pour servir dâappui
vers lâEurope centrale et du Sud. En Turquie, il
faut aussi agrandir et améliorer la base aérienne
dâIncirlik dâoĂč part lâopĂ©ration
Northern Watch
[Surveillance du Nord : lâopĂ©ration dâoccupation de
lâespace aĂ©rien Iraqien par les forces anglo-amĂ©ri-
caines renforcĂ©es par des avions dâautres nations
de lâOtan, comme la France (NdT)]. Il faudrait
peut-ĂȘtre la renforcer par une autre base aĂ©rienne
en Turquie orientale.
Bien que les unités américaines de la Marine
et du Corps des Marines opÚrent en général par cy-
cles réguliers de déploiements dans les eaux euro-
pĂ©ennes, elles sâappuient sur un rĂ©seau de bases
navales permanentes dans la région, en particulier
en Méditerranée. Il faut conserver ces bases et il
faudrait en outre envisager dâĂ©tablir une prĂ©sence
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
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Ă©dition du 09/06/08
plus forte dans la Mer Noire. Au moment oĂč lâOtan
sâĂ©largit et oĂč la grille des opĂ©rations militaires des
Ătats-Unis en Europe continue Ă glisser vers le sud
et lâest, il est certain que la prĂ©sence navale amĂ©-
ricaine va sâintensifier en Mer Noire. Cependant,
ainsi que nous lâexaminerons en dĂ©tail plus loin, il
faudrait que cette présence repose moins souvent
sur celle de groupements navals complets.
Le Golfe Persique
Au cours de la décennie qui a suivi la Guerre
Froide, le Golfe Persique et sa région ont été le
siĂšge dâune progression gĂ©omĂ©trique de la prĂ©-
sence des forces armées américaines atteignant un
pic de plus de 500 000 hommes lors de lâopĂ©ration
TempĂȘte du DĂ©sert mais ne descendant que rare-
ment au-dessous de 20 000 hommes au cours de la
période intermédiaire. Basés en Arabie saoudite,
au KoweĂŻt, et dans dâautres Ătats voisins, autour de
5 000 aviateurs et une flotte importante de divers
aĂ©ronefs de lâarmĂ©e de lâAir patrouillent dans les
cieux dans le cadre de lâopĂ©ration
Southern Watch
[Surveillance du Sud], souvent renforcés par des
avions de la Marine opérant depuis des porte-avi-
ons déployés dans le Golfe et, lors des frappes en
réponse aux provocations périodiques de Saddam
Hussein, de missiles de croisiÚre lancés depuis
des navires de surface et des sous-marins. Les
vols depuis la Turquie dans le cadre de lâopĂ©ration
Northern Watch
mettent Ă©galement en jeu des for-
ces conséquentes, ce qui débouche en fait souvent
sur des actions de combat.
AprĂšs huit ans dâopĂ©rations dâinterdiction de
survol, on a peu de raisons de sâattendre Ă ce que la
présence aérienne américaine se réduise de façon
significative tant que Saddam Hussein restera au
pouvoir. Les sensibilités nationales saoudiennes
ont beau imposer que les forces stationnées dans le
royaume gardent le statut dâunitĂ©s tournantes, il est
maintenant Ă©tabli quâil sâagit dâune mission semi-
permanente. Dâun point de vue amĂ©ricain, lâintĂ©rĂȘt
de telles bases subsistera mĂȘme aprĂšs que Saddam
aura quittĂ© la scĂšne. Ă long terme, lâIran pourrait
sâavĂ©rer une menace aussi grave pour les intĂ©rĂȘts
amĂ©ricains dans le Golfe que lâa Ă©tĂ© lâIraq. Et mĂȘme
si les relations entre les Ătats-Unis et lâIran venaient
Ă sâamĂ©liorer, conserver des forces prĂ©positionnĂ©es
dans la région resterait un élément essentiel de la
stratĂ©gie amĂ©ricaine compte tenu des intĂ©rĂȘts Ă
long terme des Ătats-Unis dans la rĂ©gion.
PrĂšs de dix ans aprĂšs la fin de la Guerre du Golfe, les
opĂ©rations dâinterdiction de survol perdurent au-des-
sus du nord et du sud de lâIraq.
Outre les aéronefs qui font respecter les inter-
dictions de survol, les Ătats-Unis maintiennent au
KoweĂŻt ce qui constitue une force terrestre pres-
que permanente. Un groupement tactique lourd
pratiquement de la taille dâune brigade tourne en
moyenne quatre fois par an pour des manĆuvres et
des exercices conjoints avec lâarmĂ©e koweitienne,
ce qui fait que certains commandeurs pensent
maintenant quâen conjonction avec la flotte de
lâopĂ©ration
Southern Watch
, on protĂšge le KoweĂŻt
lui-mĂȘme contre toute attaque venant dâIraq. On
pourrait réduire de façon significative tout risque
de rĂ©pĂ©tition dâune invasion surprise du pays par
lâIraq, comme celle de 1990, au prix dâun renforce-
ment minime des effectifs, de cantonnements plus
permanents et de la continuation de lâimposition
du respect des zones dâinterdiction de survol et de
passage Ă terre.
En rationalisant la présence des forces aé-
riennes basées à terre dans la région, on pourrait
réduire le besoin de présence de porte-avions dans
la zone. Comme le prouvent les récentes frappes
contre lâIraq, lâarme favorite des expĂ©ditions puni-
tives est le missile de croisiÚre complété par des
frappes dâavions furtifs et des frappes Ă plus lon-
gue portĂ©e par des avions de lâarmĂ©e de lâAir. Les
appareils opérant depuis des porte-avions sont trÚs
utiles pour poursuivre une campagne commencée
par des missiles et des avions furtifs, ce qui prouve
quâun groupe de combat capable de lancer plu-
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
18
Ă©dition du 09/06/08
sieurs centaines de missiles de croisiĂšre est, dans
le Golfe, la présence navale la plus adaptée. Avec
une présence significative de forces terrestres au
Koweït, on pourrait également réduire le besoin de
présence de la Marine dans le Golfe.
LâAsie Orientale
La planification actuelle des forces américai-
nes prĂ©voit le prĂ©positionnement dâenviron 100 000
hommes en Asie, mais ceci reflĂšte davantage
lâinertie du Pentagone et lâhĂ©ritage de la guerre
froide quâune rĂ©flexion sĂ©rieuse sur les besoins
stratégiques actuels de la Défense. La perspective
est que lâAsie orientale va prendre une importance
croissante marquĂ©e par lâessor de la puissance
chinoise alors que les forces américaines pourraient
baisser en effectifs.
La sagesse populaire veut que le détachement
de 37 000 hommes stationnĂ©s en CorĂ©e du Sud nâest
lĂ que pour Ă©viter une invasion venue du nord. Ceci
reste la mission centrale du détachement, mais ces
hommes sont aujourdâhui les seules forces amĂ©ri-
caines permanentes sur le continent asiatique. Ils
garderont un rÎle crucial dans la stratégie améri-
caine en cas dâunification de la CorĂ©e, au moment
de lâessor de la puissance militaire chinoise. Alors
que lâunification de la CorĂ©e pourrait militer pour
une réduction de la présence américaine dans la
Péninsule et une révision de la posture des troupes
américaines en Corée, il faudrait que ces change-
ments se traduisent par une réelle
Ă©volution
de leur
mission â compte tenu des rĂ©alitĂ©s techniques â et
non par la fin de cette mission. De plus, dans le
cadre de tout scĂ©nario rĂ©aliste pour lâaprĂšs-unifi-
cation, il est vraisemblable que les forces améri-
caines auront à jouer un rÎle stabilisateur en Corée
du Nord. Il est trop tÎt pour spéculer sur la taille
exacte et la composition dâune prĂ©sence amĂ©ricaine
en CorĂ©e dans lâaprĂšs-unification, mais il nâest pas
trop tÎt pour admettre que la présence des troupes
amĂ©ricaines en CorĂ©e joue un rĂŽle stratĂ©gique Ă
plus long terme. Pour le moment, toute réduction
des capacités du détachement américain dans la
péninsule serait une erreur. Il faut au contraire
les renforcer, notamment en ce qui concerne leur
aptitude Ă sâopposer aux attaques de missiles et Ă
limiter les effets de la puissance de la colossale ar-
tillerie nord-coréenne. à terme, ou au moment de
lâunification, la structure de ces unitĂ©s va Ă©voluer
et le niveau de leurs effectifs va fluctuer, mais il
faudrait que la présence américaine perdure dans
cette corne de lâAsie.
Un raisonnement analogue prĂŽne le maintien
de forces conséquentes au Japon. Au cours des der-
niĂšres annĂ©es, la prĂ©sence de forces importantes Ă
Okinawa est devenue source de controverses de
plus en plus vives en politique intérieure japonaise.
Et alors quâon a pris des engagements pour mĂ©na-
ger les susceptibilités locales, il reste primordial
de conserver les capacitĂ©s quâoffre la prĂ©sence des
troupes amĂ©ricaines Ă Okinawa. Si les Ătats-Unis
doivent rester le garant de la sécurité en Asie du
Nord-Est et rester dans une alliance
de facto
avec
les deux piliers essentiels que sont le Japon et la
Corée, il est essentiel de conserver des troupes
prépositionnées.
En Asie du Sud-Est, les forces américaines
sont trop dispersées pour pouvoir faire face de
maniÚre adéquate aux exigences croissantes de
la sécurité. Depuis leur retrait des Philippines en
1992, les Ătats-Unis nâont plus de prĂ©sence signi-
ficative permanente en Asie du Sud-Est. Les forces
amĂ©ricaines dâAsie du Nord-Est ne peuvent pas
non plus opérer facilement en Asie du Sud-Est ni
sây dĂ©ployer rapidement, en tout cas pas sans faire
courir des risques à leur engagement en Corée.
Exception faite des patrouilles de routine de la
Marine et du Corps des Marines, la sécurité de
cette zone stratégiquement importante et de plus
en plus agitĂ©e a souffert de la nĂ©gligence des Ătats-
Unis. Comme lâa prouvĂ© la crise du Timor oriental,
mĂȘme nos alliĂ©s les plus puissants de la rĂ©gion, du
Japon Ă lâAustralie en passant par la CorĂ©e du Sud,
ne disposent que de capacités limitées et de peu de
moyens de projection rapide de leurs forces ou de
leur soutien dans la durĂ©e. Dans le mĂȘme temps, la
crise du Timor oriental et la question plus générale
des réformes politiques en Indonésie et en Malaisie
soulignent lâinstabilitĂ© de la rĂ©gion. Enfin, lâAsie du
Sud-Est est depuis longtemps une zone de grand
intĂ©rĂȘt pour la Chine. Ces derniĂšres annĂ©es, elle y a
graduellement intensifié sa présence et ses actions.
AccroĂźtre la puissance militaire en Asie orien-
tale est la clĂ© qui permettra de faire face Ă lâarrivĂ©e
de la Chine au statut de grande puissance. Pour que
cela se fasse de maniĂšre pacifique, les forces ar-
mées américaines doivent conserver leur préémi-
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
19
Ă©dition du 09/06/08
nence militaire et rassurer par là nos alliés de la
rĂ©gion. En Asie du Nord-Est, les Ătats-Unis doivent
conserver et renforcer leurs liens avec la RĂ©publi-
que de Corée et le Japon. En Asie du Sud-Est, seuls
les Ătats-Unis peuvent
contrÎler des puissances ré-
gionales comme lâAustralie,
lâIndonĂ©sie, la Malaisie et
dâautres encore. Ce sera une
tĂąche difficile qui exige de
prendre en compte les senti-
ments nationaux, mais on
peut y parvenir grĂące Ă
lâĂ©mergence de nouveaux
gouvernements démocrati-
ques dans la zone. En ga-
rantissant la sécurité de nos
alliés actuels et des nou-
veaux régimes démocrati-
ques, les Ătats-Unis peuvent sâassurer que lâĂ©mer-
gence de la Chine sera pacifique. En fait, Ă terme,
la puissance des Ătats-Unis et de leurs alliĂ©s dans
la région peut ouvrir la voie au processus de démo-
cratisation de la Chine elle-mĂȘme.
En somme, il est temps dâaccroĂźtre la prĂ©sence
des forces américaines en Asie du Sud-Est. Le
contrĂŽle des lignes de communication qui permet-
tent lâaccĂšs Ă des Ă©conomies en croissance rapide,
permet de protéger la stabilité régionale tout en
favorisant le resserrement des liens avec des dé-
mocraties balbutiantes et, peut-ĂȘtre plus important,
en soutenant la tendance naissante vers la liberté
politique, tout ceci fera perdurer les intĂ©rĂȘts sĂ©curi-
taires de lâAmĂ©rique. Aucune stratĂ©gie amĂ©ricaine
ne peut relever le défi de la Chine à la domination
rĂ©gionale des Ătats-Unis si la sĂ©curitĂ© que nous
apportons Ă lâAsie du Sud-Est est en pointillĂ©s et si
la présence militaire américaine est intermittente.
Câest pourquoi, augmenter la prĂ©sence navale en
Asie du Sud-Est, quoique nécessaire, ne suffira
pas. De mĂȘme que dans les Balkans, ne sâappuyer
que sur des forces alliées ou la rotation de forces
amĂ©ricaines lors dâopĂ©rations de stabilisation, non
seulement augmente la pression sur ces forces,
mais encore obĂšre les buts politiques de telles
missions. Pour des raisons tant opérationnelles que
politiques, il faut absolument prépositionner des
forces terrestres et aériennes américaines dans la
région.
De plus, un retour en Asie du Sud-Est don-
nera de lâĂ©lan au lent processus de construction
dâalliances actuellement en cours dans la rĂ©gion.
Il est couramment admis que les pays de lâAsie
du Sud-Est sont réticents à une alliance régionale
de type Otan, mais la réponse régionale à la crise
du Timor oriental, y compris celle du nouveau
gouvernement indonésien, est encourageante. De
fait, des forces venues des Philippines ont relevé
celles venues dâAustralie comme Ă©lĂ©ments-guides
de la mission de maintien de lâONU sur place. Et
les efforts du Forum RĂ©gional Asiatique laissent
certainement penser quâune tendance Ă une coor-
dination régionale plus étroite pourrait déboucher
sur un accord plus durable qui pourrait ressembler
Ă une alliance. Les Ătats-Unis doivent jouer le rĂŽle
principal dans ce processus. Une présence militaire
américaine renforcée en Asie du Sud-Est serait un
aiguillon puissant pour la coopération régionale en
matiĂšre de sĂ©curitĂ©, fournissant lâossature autour
de laquelle prendrait corps une coalition de fait.
Les bases de déploiement
En complément des forces stationnées outre-
mer en vertu dâaccords Ă long terme, il faudrait
que les Ătats-Unis Ă©tablissent un rĂ©seau de « bases
de déploiement » ou « bases opérationnelles avan-
cĂ©es » de façon Ă augmenter le rayon dâaction des
forces actuelles et Ă venir. Non seulement une telle
approche améliorerait la capacité de projection de
forces vers les régions éloignées, mais encore elle
permettrait de circonvenir les contraintes politi-
ques, pratiques et financiĂšres relatives Ă lâextension
du réseau des bases américaines outre-mer.
Ces déploiements sur des bases opérationnel-
les avancĂ©es peuvent aller dâaccords relativement
modestes avec dâautres pays Ă de lĂ©gĂšres amĂ©-
liorations des bases et installations existantes.
Le prépositionnement de matériel accélÚrerait le
déploiement initial et améliorerait la viabilité des
forces amĂ©ricaines lors de dĂ©ploiements Ă lâocca-
sion de manĆuvres, de manĆuvres conjointes avec
le pays hĂŽte ou lors dâopĂ©rations en temps de crise.
On pourrait partager le coût de ces améliorations
avec le pays hĂŽte et on pourrait le faire figurer
comme partie intĂ©grante de lâassistance extĂ©rieure
des Ătats-Unis en matiĂšre de sĂ©curitĂ© ; cela rĂ©dui-
rait la nécessité pour les forces américaines de se
déployer dans des installations « squelettiques ».
En Asie du Sud-
Est, les forces
américaines sont
trop dispersées
pour pouvoir
faire face de
maniÚre adéquate
aux exigences
croissantes de la
sécurité.
En Asie du Sud-
Est, les forces
américaines sont
trop dispersées
pour pouvoir
faire face de
maniÚre adéquate
aux exigences
croissantes de la
sécurité.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
20
Ă©dition du 09/06/08
De telles installations seraient un « accélérateur de
puissance » dans le cadre des opérations de projec-
tion aussi bien quâun moyen de renforcer les liens
politiques et sécuritaires avec les pays hÎtes.
Ă lâheure actuelle, le
US Southern Command
[SOUTHCOMM, le Commandement unifié « Sud »
des Ătats-Unis (Ndt)], commandement rĂ©gional du
Pentagone pour lâAmĂ©rique du Sud, est en train
de mettre en Ćuvre un plan de « positionnements
opérationnels avancés » pour pallier la perte de la
Base aĂ©rienne dâHoward dans le cadre du retrait
des Ătats-Unis du Panama et du repli depuis la
zone du canal. En fait, il sera difficile de soutenir
dâefficaces opĂ©rations aĂ©riennes antidrogue, aprĂšs
la fermeture de la Base dâHoward, jusquâĂ ce que
soient prises les dispositions relatives aux nouvelles
implantations. Pour assurer une totale couverture
de la région au titre des opérations antidrogue, le
Commandement prĂ©voit dâutiliser des aĂ©rodromes
qui iront de Porto Rico Ă lâĂquateur.
En plus des accords solides qui permettent
lâaccĂšs suffisant des forces amĂ©ricaines aux aĂ©-
rodromes, il faut que les nouvelles implantations
permettent des opérations vingt-quatre heures sur
vingt-quatre et par tout temps, quâelles disposent
dâinstallations adaptĂ©es de contrĂŽle aĂ©rien, de pis-
tes dâau moins 2 400 mĂštres de longueur pouvant
accueillir de lourds avions de transport, dâinstalla-
tions de ravitaillement en carburant modernes, de
services dâintervention dâurgence, de zones de par-
king adaptées au garage de plusieurs avions de la
taille dâun AWACS et quâelles rĂ©pondent Ă plusieurs
autres critÚres, dont posséder des cantonnements et
des bureaux sécurisés pour le personnel américain.
Et pourtant, le Commandement pense que pour
un coût relativement modeste, soit 120 millions
de dollars pour les deux premiĂšres des trois bases
envisagĂ©es, et avec un minimum dâeffectif per-
manent, il peut pallier la perte dâune installation
stratégique comme Howard.
Une rĂ©cente Ă©tude conduite par lâarmĂ©e de
lâAir indique quâun rĂ©seau mondial de bases opĂ©-
rationnelles avancĂ©es, peut-ĂȘtre plus sophistiquĂ©es
et plus adaptées à la guerre que les emplacements
antidrogue planifiés par le
SOUTHCOM
, pourrait
coĂ»ter de 5 Ă 10 milliards de dollars Ă lâhorizon
2010. Cette Ă©tude avance quâune partie du coĂ»t
pourrait ĂȘtre supportĂ© par les pays hĂŽtes soucieux
de nouer des liens avec les Ătats-Unis ou quâon
pourrait, en Europe, le considérer comme un des
Ă©lĂ©ments communs Ă lâOtan et en faire supporter le
coĂ»t par le budget commun de lâOtan.
Alors quâon pourrait considĂ©rer que de telles
bases sont clairement un élément de la politique
américaine visant à compléter la structure actuelle
des bases outre-mer, on pourrait aussi les présenter
comme les dĂ©tachements prĂ©curseurs dâune nou-
velle structure étendue. Ceci pourrait séduire des
alliés ombrageux, comme dans la région du Golfe
Persique oĂč un systĂšme analogue fonctionne dâores
et dĂ©jĂ , et pour qui des liens Ă©troits avec les Ătats-
Unis causent des polémiques politiques locales.
Cela pourrait aussi accroĂźtre lâefficacitĂ© des forces
américaines actuelles dans une trÚs grande partie
de lâAsie du Sud-Est, complĂ©tant les opĂ©rations
navales dans la zone. Un tel réseau accroßtrait nota-
blement la souplesse opĂ©rationnelle des Ătats-Unis
en cas de guerre.
Les forces navales tournantes
La taille actuelle de la Marine et du Corps des
US Marines est dâabord fixĂ©e par les exigences de
la politique actuelle de rotations. Le besoin perma-
nent de 11 porte-avions reflÚte la nécessité de
conserver en moyenne trois
porte-avions déployés en
mĂȘme temps. Mais Ă©tant donnĂ©
que les porte-avions position-
nés au Japon sont considérés
comme « dĂ©ployĂ©s » mĂȘme
lorsquâils sont au port et non
en mer, le taux réel de bateaux
en mer est plus proche de un
pour cinq ou six. De fait, au
terme de lâanalyse de lâEtude
Quadriennale de DĂ©fense, les
besoins en moyens de la Ma-
rine au titre des missions de
« prĂ©sence » dĂ©passe de 20 % les moyens quâexige
la capacité à faire face à deux guerres.
Les plans actuels de rotations imposent la
prĂ©sence permanente dâun groupe naval en Asie du
Nord-Est et une présence quasi-permanente dans
le Golfe Persique et en Méditerranée. Cependant,
on demande des changements notoires dans les
schémas de rotation et de présence des porte-avi-
Il serait avisé de
réduire le taux
de présence des
porte-avions en
Méditerranée
et dans le Golfe
et dâintensifier
la présence
de la marine
américaine dans
le Pacifique.
Il serait avisé de
réduire le taux
de présence des
porte-avions en
Méditerranée
et dans le Golfe
et dâintensifier
la présence
de la marine
américaine dans
le Pacifique.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
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Ă©dition du 09/06/08
ons. Ătant donnĂ© la capacitĂ© Ă cantonner des forces
terrestres en Europe et dans le Golfe, et la taille et
la nature du thĂ©Ăątre dâAsie orientale, il serait avisĂ©
de réduire le taux de présence de porte-avions en
Méditerranée et dans le Golfe tout en intensifiant la
présence de la marine américaine dans le Pacifique.
De plus, il est préférable, pour des raisons straté-
giques et opérationnelles, de créer une deuxiÚme
grande base navale destinée à un groupe aéronaval
dans le Pacifique Sud, peut-ĂȘtre en Australie ou
aux Philippines. Dâune maniĂšre gĂ©nĂ©rale, il fau-
drait, en ce qui concerne les opérations navales et
en particulier celles des porte-avions, de mettre
davantage lâaccent sur le Pacifique occidental. Les
déploiements du corps des US Marines suivraient
le mouvement.
DeuxiĂšmement, il faudrait que la Marine en-
visage dâautres moyens que des groupes aĂ©ronavals
pour remplir ses vitales missions de prĂ©sence. Ătant
donné que les missiles de croisiÚre sont de plus en
plus le moyen principal de frappe de la Marine, la
valeur des plates-formes lance-missiles de croisiĂšre
comme symbole de la puissance des Ătats-Unis
dans le monde est en passe de supplanter les porte-
avions en matiĂšre de valeur dissuasive. Malheu-
reusement, au cours de la réduction qui a suivi la
fin de la Guerre Froide, la marine sâest dessaisie de
relativement plus de navires de combat de surface
et de sous-marins que de porte-avions. Cela a beau
ĂȘtre logique dans le cadre dâopĂ©rations aĂ©ronavales
(les croiseurs et les destroyers Ă protection anti-
détection disposent de plus de capacités et ont une
portĂ©e accrue par rapport aux navires dâancienne
génération, par exemple), cela obÚre maintenant les
capacités de la Marine à évoluer vers de nouveaux
moyens de remplir à la fois ses missions de pré-
sence et ses Ă©ventuelles missions de guerre.
De plus, au moment oĂč la Marine lance de
nouvelles classes de navires, ses besoins en ef-
fectifs, critÚre important dans la détermination de
la longueur des déploiements et par là de toute la
politique de rotations, vont se réduire. Le destroyer
DD-21 en projet va faire tomber de 300 Ă 100 hom-
mes le nombre dâhommes dâĂ©quipage. Des Ă©quipa-
ges réduits ainsi que des navires aux performances
gĂ©nĂ©rales amĂ©liorĂ©es permettront dâaugmenter le
rythme des relĂšves de personnel tout en laissant les
bateaux à la mer. Il est beaucoup moins compliqué
de mettre sur pied une relĂšve pour 100 hommes,
officiers mariniers et officiers, que pour les 6 000
membres dâĂ©quipage dâun porte-avions auxquels il
faut ajouter ceux de lâescadre aĂ©rienne. En somme,
les nouvelles capacités offriront de nouvelles pers-
pectives en matiĂšre de conduite des missions, ce
qui permettra dâaugmenter la prĂ©sence navale tout
en réduisant les coûts.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
22
Ă©dition du 09/06/08
iv
R
econstRuiRe
les
foRces
ARmées
Actuelles
Remplir les missions évoquées plus haut
repose sur les capacités des forces armées des
Ătats-Unis. Au cours de la dĂ©cennie Ă©coulĂ©e,
lâĂ©tat des forces armĂ©es a dĂ©clinĂ© inexorablement.
Non seulement on a dramatiquement réduit leur
budget, tranché dans leurs infrastructures, sabré
dans les effectifs, étouffé les programmes de
modernisation et Ă©tranglĂ© les efforts dâadaptation,
mais encore la qualité de vie des militaires, essen-
tielle en matiĂšre de recrutement pour une force
de volontaires, sâest dĂ©gradĂ©e. Des casernements
aux quartiers généraux et aux zones techniques,
les armées ont vu négliger leurs infrastructures.
La qualité des hébergements, en particulier
outre-mer, ne convient pas Ă une grande nation.
On a réduit de façon disproportionnée et hors de
toute vision Ă long terme les autres fondements
dâune armĂ©e puissante, notamment la formation
militaire gĂ©nĂ©rale et les systĂšmes dâinstruction.
Les rĂ©ductions dâeffectif ont pour consĂ©quence
que les soldats passent de plus en plus de temps
Ă entretenir les cantonnements, tondre les pelou-
ses, réparer les toitures et « peindre les cailloux ».
Encore plus décevant, la culture militaire et la
confiance des soldats en leurs chefs en souffrent.
Comme lâont montrĂ© de rĂ©cents sondages et rap-
ports, les relations armées-nation sont de plus en
plus tendues dans lâAmĂ©rique dâaujourdâhui.
ArmĂ©e de Terre : « finir » lâEurope et
défendre le Golfe Persique
De toutes les armĂ©es, câest lâarmĂ©e de Terre
qui a été transformée le plus en profondeur de-
puis la fin de la Guerre Froide et lâeffondrement
de lâempire soviĂ©tique en Europe de lâEst. Les
effectifs de lâarmĂ©e de Terre en service actif ont
été réduits de 40 pour cent et ses garnisons en
Europe des trois quarts. Ă la fin de la Guerre
Froide, le budget de lâarmĂ©e de Terre Ă©tait de 50
pour cent plus élevé que celui de cette année. Ses
dĂ©penses dâĂ©quipement Ă©taient plus Ă©levĂ©es de
presque 70 pour cent.
Dans le mĂȘme temps, le rĂŽle de lâarmĂ©e de
Terre dans les opĂ©rations militaires de lâaprĂšs-
Guerre Froide reste le critĂšre objectif de lâenga-
gement gĂ©opolitique des Ătats-Unis. Au cours de
la guerre du Golfe de 1991, on a perçu les limites
de la politique de lâadministration Bush dans ses
rĂ©ticences Ă sâengager dans la phase terrestre et
lorsquâelle a limitĂ© les
opérations terrestres au
seul théùtre du Koweït.
Dans les Balkans, des
opérations aériennes
relativement limitées
ont été suivies par des
opérations terrestres de
plus grande ampleur.
MĂȘme les 78 jours de
lâopĂ©ration
Allied Force
font pùle figure à cÎté
de lâeffort Ă long terme
de stabilisation du Ko-
sovo. En bref, la valeur
dâune armĂ©e de Terre
continue Ă reposer sur une superpuissance mon-
diale dont les intĂ©rĂȘts sĂ©curitaires sont toujours
de maintenir et dâĂ©tendre un systĂšme dâalliances
mondiales tout en restant en mesure de conduire
deux guerres majeures sur deux fronts distincts.
Tout en conservant son rĂŽle de combat, lâarmĂ©e
de Terre amĂ©ricaine sâest vu confier de nouvelles
missions au cours de la derniÚre décennie. Les
plus immĂ©diates sont liĂ©es Ă lâachĂšvement de la
mission qui consiste à bùtir une Europe « libre et
entiĂšre » et Ă dĂ©fendre les intĂ©rĂȘts amĂ©ricains
dans le Golfe Persique et au Moyen-Orient.
Ces nouvelles missions exigeront des position-
nements permanents outre-mer dâunitĂ©s de lâarmĂ©e
de Terre américaine. Bien que ces forces soient
Il faudrait
redéployer des
Ă©lĂ©ments de lâarmĂ©e
de Terre américaine
en Europe
(USAREUR) vers le
Sud-Est de lâEurope,
tandis quâil faudrait
installer une unité
permanente dans
la région du Golfe
Persique.
Il faudrait
redéployer des
Ă©lĂ©ments de lâarmĂ©e
de Terre américaine
en Europe
(USAREUR) vers le
Sud-Est de lâEurope,
tandis quâil faudrait
installer une unité
permanente dans
la région du Golfe
Persique.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
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Ă©dition du 09/06/08
réorganisées et repositionnées pour tenir compte des
rĂ©alitĂ©s actuelles, leur valeur en tant quâincarnation
du rĂŽle de lâAmĂ©rique comme premier garant de la
sécurité est aussi importante que leur aptitude opéra-
tionnelle immédiate. En fait, le plus grave problÚme
qui se pose aujourdâhui Ă lâarmĂ©e de Terre est dâali-
gner suffisamment de troupes pour remplir ses deux
missions : elle est tout simplement trop petite pour
les remplir bien toutes les deux.
Ces missions de grande ampleur continuent de
justifier le besoin dâune armĂ©e de Terre amĂ©ricaine
forte de nombreux effectifs sous les drapeaux. Lâem-
ploi croissant dâunitĂ©s de rĂ©servistes par lâarmĂ©e de
Terre pour ces missions de maintien de lâordre bat en
brÚche le contrat implicite passé avec les réservistes
qui veut que leur rĂŽle soit de servir de couverture
face à une véritable menace militaire. Tant que les
garnisons américaines dans les Balkans, par exem-
ple, demanderont un nombre important de linguistes,
de policiers militaires, de membres des affaires civi-
les et dâautres spĂ©cialistes, lâarmĂ©e de Terre dâactive
devra recruter davantage de soldats possédant ces
talents. De la mĂȘme façon, au moment oĂč le combat
de haute intensitĂ© change de forme, lâarmĂ©e de Terre
doit trouver de nouveaux moyens de recruter et de
retenir des soldats ayant des compétences en techni-
ques de pointe, peut-ĂȘtre en ouvrant des partenariats
avec lâindustrie pour disposer de rĂ©servistes trĂšs
instruits, ou en considérant que certains savoir-faire
donnent le grade de sous-officier supérieur et non
un simple grade de militaire du rang. LâarmĂ©e de
Terre devrait en particulier :
Revenir aux effectifs dâactive et aux structures
permettant de faire face aux exigences de
ses missions actuelles . Les effectifs sous les
drapeaux devraient monter Ă environ 525 000
hommes au lieu des 475 000 actuellement
1
. Lâes-
sentiel de cette augmentation devrait profiter
aux unités les plus mises à contribution ou en
sous-effectif ainsi quâaux unitĂ©s dâappui comme
le renseignement militaire, la police militaire
2
et
autres unités assimilées .
âą
Entreprendre des efforts de modernisation
sĂ©lective, dâabord pour accroĂźtre sa mobilitĂ©
opĂ©rationnelle et tactique ainsi que lâefficacitĂ©
de ses systÚmes de combat actuels par la « nu-
mérisation » qui consiste à mettre en place des
rĂ©seaux informatisĂ©s de communications . Lâar-
mée de Terre devrait accélérer son programme
dâacquisition de vĂ©hicules de taille moyenne, se
doter de lâhĂ©licoptĂšre Comanche et du systĂšme
de lance-roquettes dâartillerie HIMARS . De
la mĂȘme façon, le systĂšme dâartillerie lourde
Crusader, quoique canon de grande qualité, re-
présente un investissement insensé, étant donné
les capacitĂ©s actuelles de lâarmĂ©e de Terre et ses
besoins Ă venir . Il faudrait annuler ce projet .
Améliorer la disponibilité opérationnelle des
unités actuelles en renforçant les effectifs et en
relançant lâentraĂźnement au combat .
Entreprendre des efforts pour améliorer la
qualité de vie des soldats afin de rejoindre celle
de la classe moyenne au sein de lâarmĂ©e profes-
sionnelle .
Se redéployer et se réorganiser en fonction
des réalités stratégiques actuelles : il faudrait
redĂ©ployer des Ă©lĂ©ments dâ
USAREUR
[lâarmĂ©e
de Terre américaine en Europe (NdT)] vers
le sud-ouest de lâEurope tout en installant de
façon permanente une unité dans la région du
Golfe Persique ; dans le mĂȘme temps, il faudrait
reconfigurer des unitĂ©s prĂ©positionnĂ©es de lâar-
mĂ©e de Terre pour quâelles soient mieux Ă mĂȘme
de conduire des opérations autonomes comme
des opérations de police ou des phases initiales
dâopĂ©rations de guerre .
RĂ©duire la taille de la garde nationale et des
rĂ©serves de lâarmĂ©e de Terre, tout en reconnais-
sant que ces éléments sont conçus pour servir
de couverture face Ă une rĂ©elle urgence dâordre
militaire, inattendue et de grande ampleur .
Continuer Ă sâappuyer sur un grand nombre de
réservistes pour des missions de maintien de
lâordre est inappropriĂ© et relĂšve dâune vision Ă
court terme .
Voir son budget passer du niveau actuel de 70
milliards par an Ă 90 - 95 milliards
.
âą
âą
âą
âą
âą
âą
1 Rappel : Nous sommes en 2000 au moment oĂč paraĂźt ce document. (NdT).
2 La police militaire remplit une fonction majeure lors des déploiements des forces armées états-uniennes : comme les forces américaines ne
peuvent ressortir Ă aucune autre juridiction quâamĂ©ricaine, la police militaire tient le rĂŽle de la gendarmerie française employĂ©e en prĂ©vĂŽtĂ©, celui
entre autres dâofficier de police judiciaire. Comme aux Ătats-Unis, la police judiciaire dĂ©pend du ministĂšre de la Justice et non du ministĂšre de la
DĂ©fense, lâarsenal juridique Ă©tats-unien comprend les cours martiales qui correspondent Ă notre tribunal aux armĂ©es de Paris. Les magistrats du
siĂšge et du parquet qui instruisent et qui jugent pour les cours martiales, ainsi que les avocats qui y plaident, dĂ©pendent dâun organisme relevant
du ministÚre de la Défense : le JAG (abréviations de
Judge Advocate General
.) Ce corps est composé de juristes qui ont toutes les qualifications
des juges civils mais sont spécialement instruits sur le code de justice militaire. En principe, ce dispositif protÚge le militaire états-unien de toute
juridiction civile, que ce soit Ă lâĂ©tranger ou aux Ătats-Unis (NdT).
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
24
Ă©dition du 09/06/08
Ătat des lieux de lâarmĂ©e de Terre actuelle
Si on lâĂ©value Ă son aptitude Ă remplir nâim-
porte laquelle des missions que nous avons souli-
gnées ci-dessus, la présence outre-mer, le combat
sur des thĂ©Ăątres de conflits majeurs, lâadaptation
pour lâavenir, lâarmĂ©e de Terre nâest actuellement
pas au niveau. Son problÚme le plus immédiat est
le dĂ©clin de son aptitude opĂ©rationnelle. Jusquâau
printemps 1998, lâarmĂ©e de Terre est parvenue Ă
limiter les effets les plus néfastes de déploiements
fréquents et à conserver celles de ses unités dites
« de premier contact » prĂȘtes Ă rĂ©agir Ă toute crise
susceptible de devenir une guerre majeure. Mais
aujourdâhui, comme lâa expliquĂ© au congrĂšs le gĂ©-
nĂ©ral Dennis Reimer, ancien chef dâĂ©tat-major de
lâarmĂ©e de Terre, qui vient de prendre sa retraite :
Des commandeurs au sein de toute lâarmĂ©e de Terre
rapportent quâils rĂ©duisent la frĂ©quence, le champ
et la durée de leurs exercices⊠En outre, des com-
mandeurs ne sont pas toujours
en mesure de rendre les exercices
aussi rĂ©alistes et exigeants quâils
le voudraient. Dans certains cas,
les commandements ne sont pas
en mesure de combiner les simu-
lations et les Ă©lĂ©ments dâexercices
à tir réel, ce qui conduit à un
manque dâexpĂ©rience du person-
nel. Plusieurs commandements
ont rapportĂ© quâils nâont pas Ă©tĂ© en mesure de faire
participer leurs unitĂ©s dâALAT
[aviation légÚre de
lâarmĂ©e de Terre, câest Ă dire les unitĂ©s dâhĂ©licoptĂš-
res (NdT)]
aux sĂ©jours en centres dâentraĂźnement
au combat. Surtout, les compromis auxquels on ar-
rive en matiĂšre dâexercices rĂ©duisent le niveau de
compĂ©tence et conduisent Ă lâinexpĂ©rience⊠Au
niveau des bataillons, le niveau opérationnel est
déjà en train de décliner, fait qui ne passe pas ina-
perçu au niveau de nos Centres dâentraĂźnement au
combat.
Au cours des derniÚres années, tant la qualité
que la quantité de ces exercices ont diminué. De
façon significative, dans les années qui ont précédé,
une unité qui participait aux rotations pouvait par-
ticiper Ă huit exercices de service en campagne
3
au
niveau du bataillon avant de passer Ă Fort Irwin,
et huit autres pendant son sĂ©jour au centre dâen-
traĂźnement. De nos jours, les forces lourdes nâont
pratiquement jamais dâexercice complet au niveau
du bataillon et sont maintenant heureuses de parti-
ciper Ă plus de six services en campagne au centre
national dâentraĂźnement.
Comme les autres armĂ©es, lâarmĂ©e de Terre
continue Ă ĂȘtre empoisonnĂ©e par le faible niveau des
effectifs dans les spécialités essentielles du combat
et de lâentretien. Les chefs de lâarmĂ©e de Terre ad-
mettent avec sincĂ©ritĂ© quâils ont trop peu de soldats
pour la structure actuelle de leurs forces et quâil est
de plus en plus frĂ©quent de manquer dâofficiers et
de sous-officiers. Par exemple, au cours de lâannĂ©e
fiscale 1997, lâarmĂ©e de Terre ne disposait que de
67 Ă 88 pour cent de ses besoins dans les quatre
spĂ©cialitĂ©s dâentretien de ses chars et vĂ©hicules de
combat dâinfanterie. Dans les rangs des officiers, il
y a des manques significatifs parmi les capitaines et
les commandants. Le résultat de ces manques sur le
terrain est quâon demande Ă des officiers subalter-
nes ou Ă des sous-officiers dâoccuper les fonctions
du grade supérieur. Selon le général Reimer, « la
consĂ©quence finale est un manque dâexpĂ©rience, en
particulier â Ă la pointe de la lance â
4
».
La capacitĂ© de lâarmĂ©e de Terre Ă faire face Ă
ses missions en cas de conflit majeur, en particu-
lier dans le cadre des calendriers fixés par les plans
de guerre des commandants en chef, est au mieux
incertaine. Bien que sur le papier lâarmĂ©e de Terre
soit en mesure dây faire face, la rĂ©alitĂ© des choses
est en fait plus compliquĂ©e. LâĂ©tude sur les conflits
majeurs conduite dans le cadre de lâEtude Qua-
driennale de Défense suppose que chaque unité ar-
rive sur le thĂ©Ăątre dâengagement parfaitement prĂȘte
et entraßnée, mais les carences en entraßnement et
en personnel dans toute lâarmĂ©e de Terre rendent
cette hypothÚse douteuse, au moins dÚs le début
du dĂ©ploiement. MĂȘme si lâon pouvait remĂ©dier aux
carences immédiates en personnel, toute tentative
pour amĂ©liorer lâentraĂźnement, comme cela a Ă©tĂ©
fait dans le cadre de la prĂ©paration Ă lâopĂ©ration
TempĂȘte du DĂ©sert, sâavĂšrerait ĂȘtre un sĂ©rieux gou-
Reimer
Reimer
3 Service en campagne : exercice dans les conditions de la guerre. Il existe des exercices de service en campagne avec tir, en terrain militaire
avec champs de tir qui permettent lâouverture du feu. Il existe aussi des exercices dits « en terrain ouvert » qui ont lieu en terrain civil, et sans
ouverture du feu. Les forces terrestres Ă©tats-uniennes â armĂ©e de Terre ou Corps des Marines â disposent en outre de zones de manĆuvres
militaires qui reconstituent des environnements urbains ou campagnards et permettent des exercices trĂšs rĂ©alistes avec tirs dâartillerie, appui
air-sol et mĂȘme du matĂ©riel soviĂ©tique qui permettait, du temps de la Guerre froide, de se mesurer Ă des unitĂ©s manĆuvrĂ©es par des soldats Ă©tats-
uniens en uniformes soviĂ©tiques combattant â Ă blanc â dans du matĂ©riel de combat soviĂ©tique.
4 Traduction exacte de lâexpression « at the tip of the spear » que lâon exprime en français par lâexpression âles unitĂ©s de premiĂšre ligneâ.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
25
Ă©dition du 09/06/08
lot dâĂ©tranglement. Les centres dâentraĂźnement de
lâarmĂ©e de Terre ne sont pas en mesure dâaccroĂźtre
suffisamment leurs capacitĂ©s dâaccueil dans un
délai assez bref. Dans le modÚle actuel de « deux
guerre à la fois », on envisage le combat de haute
intensitĂ© comme une situation oĂč lâon se prĂ©sente
dans lâĂ©tat oĂč lâon est et lâarmĂ©e de Terre actuelle
est notablement moins bien préparée à de tels en-
gagements quâelle ne lâĂ©tait en 1990.
Les forces de lâarmĂ©e de Terre
stationnĂ©es aux Ătats-Unis
Les missions premiĂšres des unitĂ©s de lâarmĂ©e
de Terre stationnĂ©es aux Ătats-Unis sont de renfor-
cer rapidement les unités prépositionnées en cas de
crise ou de combat et de fournir des unités capables
de réagir face à des événements inattendus. De plus,
lâarmĂ©e de Terre doit continuer Ă lever, entraĂźner et
Ă©quiper toutes ses forces, y compris celles de sa
garde nationale et de ses réserves. Alors que la
refonte de la posture de ses forces outre-mer est
peut-ĂȘtre la principale mission Ă laquelle lâarmĂ©e
de Terre devra faire face dans un avenir immédiat,
elle sera inévitablement liée à la nécessité de rebùtir
et de reconfigurer lâarmĂ©e de Terre en mĂ©tropole.
La nécessité de riposter avec une puissance dé-
cisive Ă un conflit majeur en Europe, dans le Golfe
Persique ou en Asie orientale, restera le critÚre déter-
minant de la structure de lâarmĂ©e de Terre pour les
unitĂ©s stationnĂ©es aux Ătats-Unis. Quelle que soit
la probabilitĂ© quâon attribue Ă de tels conflits, il est
essentiel de conserver suffisamment de capacités
pour les conduire Ă une conclusion satisfaisante, y
compris une victoire décisive qui aurait pour consé-
quence une Ă©volution politique Ă long terme ou un
changement de régime. La structure actuelle de
lâarmĂ©e de Terre dâactive en mĂ©tropole, 23 brigades
de manĆuvre, est Ă peine suffisante pour rĂ©pondre
aux besoins potentiels. Non seulement le nombre
de ces unités est réduit, mais on a dangereusement
laissé se dégrader leur aptitude opérationnelle
au cours des derniÚres années. Les effectifs ont
baissé et on a réduit et dégradé leurs occasions de
sâentraĂźner. Il faut que ces unitĂ©s reviennent Ă un
haut niveau dâaptitude et, plus important, quâelles se
réorientent vers leurs missions de combat.
Comme la structure divisionnaire reste une
organisation économique et efficace lors des opé-
rations de grande envergure, ainsi quâune structure
administrative et logistique efficiente, il faut que la
division reste lâunitĂ© de base pour la plupart des
formations de lâarmĂ©e de Terre stationnĂ©es aux
Ătats-Unis, mĂȘme si lâarmĂ©e de Terre crĂ©e de nou-
velles structures indépendantes et plus petites des-
tinĂ©es aux opĂ©rations outre-mer. LâarmĂ©e de Terre
est en train dâentreprendre une rĂ©organisation de la
structure de base de la division. Elle réduit la taille
des bataillons de marche ordinaires pour répondre
aux améliorations que permettent les techniques
modernes et les capacités inexploitées que permet-
tent les systĂšmes actuels. Il sâagit dâune Ă©tape mo-
deste mais importante qui rendra ces unités plus
facilement projetables, et il faut que lâarmĂ©e de
Terre continue dans la voie dâĂ©volutions similaires.
De plus, il faut que lâentraĂźnement au sein de lâar-
mĂ©e de Terre continue Ă mettre lâaccent sur les
opĂ©rations interarmes mettant en Ćuvre des grou-
pements tactiques. En métropole, la structure de
lâarmĂ©e de Terre devrait comporter trois divisions
lourdes Ă trois brigades avec leurs effectifs au com-
plet, deux divisions légÚres et deux divisions aéro-
portées. En outre, cette armée métropolitaine de-
vrait conserver quatre régiments de cavalerie légÚre
Il faut que lâarmĂ©e de Terre remette les unitĂ©s basĂ©es
aux Ătats-Unis, celles dont on aurait besoin en cas de
conflit majeur sur un théùtre donné, à un haut niveau
dâaptitude opĂ©rationnelle.
Il faut que lâarmĂ©e de Terre remette les unitĂ©s basĂ©es
aux Ătats-Unis, celles dont on aurait besoin en cas de
conflit majeur sur un théùtre donné, à un haut niveau
dâaptitude opĂ©rationnelle.
5
En structure active
. Câest-Ă -dire avec tout le personnel prĂ©sent et prĂȘt au combat, entraĂźnĂ© suivant des normes classiques pendant que
dâautres unitĂ©s expĂ©rimentales apprendraient Ă manĆuvrer suivant la nouvelle doctrine. (NdT)
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
26
Ă©dition du 09/06/08
blindée en structure active
5
plus des unités expéri-
mentales dédiées aux activités de réorganisation.
Ceci reprĂ©senterait approximativement lâĂ©quivalent
de 27 brigades terrestres.
Pourtant, une telle force, quoique capable de
fournir et de soutenir une puissance de combat
significative pour les missions initiales, resterait
inadaptĂ©e Ă tout lâĂ©ventail de tĂąches stratĂ©giques
auxquelles lâarmĂ©e de Terre a Ă faire face. Ainsi,
cette armĂ©e doit de plus en plus sâappuyer sur des
unités de la Garde pour remplir une partie de ses
missions Ă©ventuelles de temps de guerre et non
chercher à faire remplir ses missions de présence
outre-mer Ă ceux qui devraient rester des militaires
Ă temps partiel. Pour permettre Ă la Garde natio-
nale de lâarmĂ©e de Terre de jouer son rĂŽle essentiel
dans le cadre des conflits majeurs, lâarmĂ©e de Terre
doit prendre un certain nombre de mesures visant
Ă sâassurer de lâaptitude opĂ©rationnelle des unitĂ©s
de la Garde. La premiĂšre mesure est dâĂ©tablir de
meilleurs liens entre la Garde et les unitĂ©s dâactive
en fournissant les moyens adéquats pour améliorer
lâefficacitĂ© opĂ©rationnelle des grandes unitĂ©s
6
de la
Garde. Elle pourrait peut-ĂȘtre inclure un encadre-
ment dâactive au sein des brigades de la Garde des-
tinées à se déployer les premiÚres. DeuxiÚmement,
il faut adapter la structure générale de la Garde
ainsi que réduire le nombre général des unités de la
Garde nationale de lâarmĂ©e de Terre, en particulier
celui des divisons dâinfanterie de la Garde natio-
nale. Non seulement cela Ă©liminerait les formations
inutiles, mais encore cela permettrait dâamĂ©liorer
les effectifs des unités de la Garde destinées à se
dĂ©ployer les premiĂšres et qui doivent ĂȘtre garnies
Ă bien plus de cent pour cent de leurs tableaux
dâeffectifs pour leur permettre de se dĂ©ployer un
certain temps en cas de crise ou de guerre.
En outre, il faut que lâarmĂ©e de Terre rationa-
lise les missions de ses unités de réservistes. Sans
les efforts des réservistes au cours de la derniÚre
dĂ©cennie, lâarmĂ©e de Terre aurait vu sĂ©rieusement
compromise sa capacité à conduire le grand nombre
dâopĂ©rations de circonstance auxquelles elle a eu Ă
faire face. NĂ©anmoins, lâeffort de rationalisation des
dĂ©ploiements, ainsi que nous lâavons abordĂ© dans
la partie précédente, aura aussi pour conséquence
de moins faire appel aux rĂ©servistes de lâarmĂ©e de
Terre, en particulier Ă ceux qui ont des aptitudes
hautement spĂ©cialisĂ©es. Ă partir du moment oĂč lâon
aura admis que les missions dans les Balkans, par
exemple, sont des déploiements à long terme, on
pourra rĂ©duire le rĂŽle des forces de rĂ©serve de lâar-
mĂ©e de Terre et les unitĂ©s dâactive pourront assurer
pratiquement lâintĂ©gralitĂ© de la mission.
En somme, il faut adapter les missions des
deux composantes des rĂ©serves de lâarmĂ©e de Terre
aux rĂ©alitĂ©s de lâaprĂšs-Guerre Froide comme il faut
adapter les missions de la composante dâactive.
Lâimportance de ces soldats-
citoyens pour faire le lien
entre lâarmĂ©e profession-
nelle et le gros de la société
amĂ©ricaine nâa jamais Ă©tĂ©
plus grande, et le fait de ne
pas procéder aux ajuste-
ments nécessaires de leur
mission a mis ce lien en
danger. La Garde nationale
de lâarmĂ©e de Terre doit
conserver son rĂŽle tradi-
tionnel de couverture face
aux besoins plus grands en
force de combat que ceux
auxquels on sâattendait. En
fait, elle pourrait jouer un
rĂŽle plus grand dans la planification de guerre
amĂ©ricaine quâelle ne lâa jouĂ© jusquâĂ prĂ©sent. Il ne
faut pas lâutiliser dâabord pour fournir du soutien
de combat au profit des unitĂ©s dâactive engagĂ©es
Ramener la Garde
nationale Ă son
rĂŽle traditionnel
permettrait une
réduction des
forces tout en
faisant baisser
les contraintes
des déploiements
répétés pour des
opérations de
circonstance.
Ramener la Garde
nationale Ă son
rĂŽle traditionnel
permettrait une
réduction des
forces tout en
faisant baisser
les contraintes
des déploiements
répétés pour des
opérations de
circonstance.
6
Grande unité .
Il sâagit des formations qui, commandĂ©es par des officiers gĂ©nĂ©raux, regroupent plusieurs bataillons ou groupements
tactiques, plusieurs brigades ou plusieurs divisions.
Lâ
unité élémentaire
est la compagnie. ComposĂ©e de plusieurs sections, elles-mĂȘmes composĂ©es de plusieurs groupes de combat, la compagnie
est la plus petite unitĂ© quâon puisse engager au combat. Le bataillon est le regroupement de plusieurs compagnies, en gĂ©nĂ©ral trois, sous les ordres
dâun officier supĂ©rieur qui aux Ătats-Unis est un lieutenant-colonel ou un colonel. Un regroupement de plusieurs unitĂ©s, par exemple un bataillon
renforcĂ© dâune compagnie spĂ©cialisĂ©e venant dâun autre bataillon, est ce quâon appelle un groupement tactique. Une formation de deux compagnies
pour une mission ponctuelle et de courte durĂ©e sâappelle un sous-groupement tactique.
Une brigade est aux Ătats-Unis composĂ©e en gĂ©nĂ©ral de trois bataillons et dâunitĂ©s de soutien administratif et logistique. Elle est la plus petite
des grandes unitĂ©s. Elle reprĂ©sente une entitĂ© dĂ©finie qui dure dans le temps. Elle conduit des manĆuvres et des exercices, elle assure et contrĂŽle
lâaptitude opĂ©rationnelle de ses bataillons et elle est Ă©valuĂ©e et notĂ©e en aptitude opĂ©rationnelle comme une entitĂ© dĂ©finie et constituĂ©e. La brigade
est commandée par un général de brigade. La division est une grande unité qui regroupe de façon permanente plusieurs brigades, en général trois
aux Ătats-Unis. Le corps dâarmĂ©e est une grande unitĂ© composĂ©e en gĂ©nĂ©ral de trois divisions, aux Ătats-Unis.(NdT).
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
27
Ă©dition du 09/06/08
dans les opérations en cours. Un retour à son rÎle
traditionnel permettrait à terme une légÚre réduc-
tion du volume de la Garde nationale de lâarmĂ©e de
Terre. Une telle évolution réduirait aussi la pression
de déploiements répétés en opérations de circons-
tance, ce qui met Ă mal le modĂšle de soldat Ă temps
partiel sur lequel est fondé le principe de la Garde
nationale. De la mĂȘme maniĂšre, il faudrait que la
rĂ©serve de lâarmĂ©e de Terre conserve son rĂŽle tradi-
tionnel de force fédérale, complément de la com-
posante dâactive, ce qui exige de rĂ©duire les de-
mandes en personnels isolés aux fins de renfort
pour les opĂ©rations de circonstance, et ceci grĂące Ă
des améliorations dans les opérations et les dé-
ploiements de lâarmĂ©e de Terre dâactive, dans son
organisation, voire une augmentation de ses effec-
tifs. Au cas oĂč les forces amĂ©ricaines se trouve-
raient impliquées dans deux conflits majeurs en
mĂȘme temps ou presque en mĂȘme temps, les com-
posantes de rĂ©serve de lâarmĂ©e de Terre pourraient
fournir le support pour des opérations décisives.
Une telle capacité est la clé de voûte de la stratégie
amĂ©ricaine et ne doit pas sâĂ©mietter dans des opĂ©-
rations de circonstance qui sâĂ©ternisent.
Une deuxiĂšme mission des unitĂ©s de lâarmĂ©e
de Terre stationnĂ©es aux Ătats-Unis est de rĂ©pon-
dre aux circonstances imprévues. Avec davantage
dâunitĂ©s prĂ©positionnĂ©es le long dâun pĂ©rimĂštre de
sécurité américain élargi autour du globe, ces cri-
ses imprĂ©vues pourraient ĂȘtre moins handicapantes.
Des unités comme les 82
e
et 101
e
divisions aéropor-
tĂ©es ou les deux divisions lĂ©gĂšres dâinfanterie ainsi
que les petits éléments de la 3
e
division dâinfanterie
mécanisée, qui restent en alerte renforcée, conti-
nueront à fournir ces nécessaires capacités. Ainsi
que les unitĂ©s des opĂ©rations spĂ©ciales de lâarmĂ©e
de Terre comme le 75
e
régiment des Rangers. De
plus, la crĂ©ation dâunitĂ©s moyennes autonomes
entamera le processus dâadaptation de lâarmĂ©e de
Terre aux besoins inopinĂ©s Ă venir. Au fur et Ă
mesure que progressera le processus dâadaptation,
le besoin apparaĂźtra dâun Ă©ventail plus large de
types dâunitĂ©s de lâarmĂ©e de Terre pour faire face
aux opĂ©rations de circonstance quâon nâavait pas
prévues.
Les forces prépositionnées
La présence américaine outre-mer pÚse lour-
dement sur les forces terrestres et sur lâarmĂ©e de
Terre qui est lâarmĂ©e la plus adaptĂ©e aux missions
de longue durĂ©e. Dans lâenvironnement de lâaprĂšs-
Guerre Froide, ces forces prépositionnées remplis-
sent par essence des missions de reconnaissance et
de sûreté. On demande aux unités concernées de
maintenir la paix et la stabilitĂ© dans les rĂ©gions oĂč
elles patrouillent, de donner lâalerte en cas de crises
imminentes et de modeler les premiĂšres phases de
tout conflit qui pourrait survenir pendant que les
forces en renfort se dĂ©ploient depuis les Ătats-Unis
ou ailleurs. Compte tenu de lâessence de leur mis-
sion, il faut que ces unités soient des unités auto-
suffisantes et interarmes
7
avec un large Ă©ventail de
capacitĂ©s, capables de sâengager Ă longue distance
avec des moyens de communication sophistiqués
et lâaccĂšs Ă des hauts niveaux du renseignement
américain. Actuellement, la plupart des unités
prĂ©positionnĂ©es de lâarmĂ©e de Terre ne rĂ©pondent
pas Ă ces critĂšres.
De tels critĂšres conduisent Ă envisager que ces
unités soient de la taille de régiments ou de bri-
gades, peut-ĂȘtre de 5 000 hommes. Il leur faudra
suffisamment de personnel pour pouvoir remplir
dans la durĂ©e des missions classiques dâinfanterie,
mais elles devront ĂȘtre suffisamment mobiles pour
intervenir sur des zones Ă©tendues. Elles doivent
avoir suffisamment de puissance de feu en tir di-
rect pour avoir dâemblĂ©e le dessus en cas de contact
et les moyens dâappui feu nĂ©cessaires pour Ă©viter
que soient bousculées ces unités relativement peti-
tes et autonomes. Cependant, le besoin en moyens
dâappui feu ne signifie pas forcĂ©ment de puissants
moyens en artillerie classique ou dâautres formes
dâappui feu. Bien quâun peu dâartillerie sâavĂšre
nĂ©cessaire, une grande partie de lâappui feu direct
viendrait des unitĂ©s dâhĂ©licoptĂšres dâattaque et
lâappui feu dans la profondeur viendrait des avions
dâattaque au sol. La combinaison dâune Ă©crasante
supériorité dans les engagements à tir direct, maté-
rialisée par les performance du VCI Bradley et du
char M1 Abrams au cours de la guerre du Golfe, et
bien sûr du LAV des Marines, ainsi que la précision
7
Interarmes
: une formation interarmes de lâarmĂ©e de Terre regroupe des unitĂ©s appartenant Ă plusieurs armes de lâarmĂ©e de Terre :
infanterie, artillerie, cavalerie, génie, transmissions, train etc.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
28
Ă©dition du 09/06/08
et lâefficacitĂ© accrues des feux dâartillerie, sans
compter les capacitĂ©s des avions dâassaut amĂ©ri-
cains, fourniront à ces unités une trÚs significative
capacité de combat.
Ces unités prépositionnées et autonomes
seront de plus en plus articulées autour du recueil
et du traitement de lâinformation. Ce sera essentiel
pour les opĂ©rations de guerre â le tir de prĂ©cision
à longue portée exige du renseignement précis et
instantané ainsi que de solides moyens de com-
munication â mais aussi pour les opĂ©rations de
stabilisation. Les unités stationnées dans les Bal-
kans, en Turquie ou en Asie du Sud-Est devront
ĂȘtre capables dâapprĂ©hender des ambiances poli-
tico-militaires inĂ©dites et dây opĂ©rer ; les dĂ©cisions
apparemment tactiques prises par des soldats sur
le terrain pourront avoir des conséquences straté-
giques. Alors que des civils tant américains que lo-
caux pourraient répondre à certains de ces besoins,
les unités déployées sur le périmÚtre de sécurité
américain doivent avoir les capacités, la cohésion
et la stabilitĂ© en personnel quâexige leur mission.
Au premier plan de ces capacités est la conscience
de lâenvironnement sĂ©curitaire et politique dans
lequel elles opĂšrent. En particulier, ces forces qui
stationnent dans des régions instables doivent
disposer de leurs propres moyens de recueil du
renseignement dâorigine humaine, sous la forme
de dĂ©tachement dâunitĂ© de forces spĂ©ciales voire
sous forme dâunitĂ©s organiques
8
de renseignement.
Les moyens techniques nécessaires pour ali-
gner de telles forces existent dĂ©jĂ et nombre dâentre
eux sont en cours de production ou sont présents
sur Ă©tagĂšre dans lâinventaire de lâarmĂ©e de Terre.
Les nouveaux contours des forces ainsi que la mise
en Ćuvre des techniques de lâinformation peuvent
donner une nouvelle utilitĂ© Ă lâarsenal existant.
Cependant, la question de la mobilité et du poids
devient encore plus cruciale si les forces doivent
ĂȘtre stationnĂ©es en Asie du Sud-Est. En cas de crise,
mĂȘme des troupes prĂ©positionnĂ©es auraient Ă se dĂ©-
ployer rapidement Ă de trĂšs grandes distances, tant
au moyen de ponts maritimes que de ponts aériens.
En bref, chaque kilo et chaque décimÚtre cube
comptent. En concevant de telles forces, lâarmĂ©e de
Terre doit envisager une approche plus novatrice.
Une approche Ă court terme serait de bĂątir une telle
unité autour du V22 Osprey, aéronef à rotors pivo-
tants actuellement mis en chantier pour le Corps
des Marines et les forces spéciales. Une deuxiÚme
approche Ă moyen terme serait dâaccroĂźtre les capa-
citĂ©s de lâinfanterie aĂ©romobile actuelle en ajoutant
des perches de ravitaillement aux hélicoptÚres
existants comme sur les appareils des opérations
spéciales. Une autre approche serait la construction
de navires de transport vraiment rapides.
En somme, il faudrait que ces unités autono-
mes prépositionnées deviennent clairement des
« ferments dâĂ©volution » au sein de lâarmĂ©e de Terre,
offrant lâoccasion de mettre en Ćuvre des concepts
de transformation en profondeur, mĂȘme si elles
remplissent des missions essentielles de stabilisa-
tion des régions dans lesquelles elles se trouvent.
En outre, de telles unitĂ©s auraient besoin de sâen-
traßner de façon réguliÚre aux opérations de guerre,
ce qui rend nécessaire la construction de nouveaux
centres dâinstruction et dâentraĂźnement ainsi que de
nouvelles garnisons dans des régions stratégiques
plus pertinentes. Elles opéreront de maniÚre plus
dispersée, reflétant tant de nouveaux concepts
dâopĂ©rations de guerre que
les nécessités des opérations
de stabilisation en cours.
Que ce soit en zones urbai-
nes ou dans les jungles de
lâAsie du Sud-Est, elles opĂš-
reront en terrain complexe
qui représente mieux les
théùtres de la guerre future.
Il est certain que de nouvel-
les unités de taille moyenne
ou aéromobiles apporteront
une plus grande motivation
à la réorganisation en pro-
fondeur de lâArmĂ©e de terre
pour faire face Ă lâavenir. Non seulement lâaccrois-
sement de la mobilité et des moyens de communi-
cation et dâinformation offrira de nouvelles possi-
bilités de conduite des opérations, mais encore
lâabsence dâarme blindĂ©e et de cavalerie lourde de-
mandera la conception de nouvelles tactiques, de
nouvelles doctrines et de nouvelles organisations.
MĂȘme parmi les unitĂ©s actuellement dotĂ©es du char
La puissance
terrestre
américaine est le
maillon essentiel
de la chaĂźne
qui transforme
la suprématie
militaire
américaine en
une prééminence
géopolitique.
La puissance
terrestre
américaine est le
maillon essentiel
de la chaĂźne
qui transforme
la suprématie
militaire
américaine en
une prééminence
géopolitique.
8
Organique
. Qui appartient en permanence à la formation au profit de laquelle elle est appelée à travailler. On distingue les éléments
organiques des éléments en appui, en renfort, détachés ou placés sous contrÎle opérationnel. Ces unités non organiques sont mises à disposition de
la formation de combat pour une phase donnĂ©e de la manĆuvre ou de lâopĂ©ration (NdT).
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
29
Ă©dition du 09/06/08
Abrams et du VCI Bradley, les exigences dâopĂ©ra-
tions autonomes, le resserrement des liens interar-
mĂ©es et lâintroduction de nouvelles capacitĂ©s de
renseignement et de communication ouvriront la
voie Ă lâinnovation. De façon plus profonde, ces
nouvelles unités et ces nouveaux concepts donne-
ront un but au processus dâadaptation au sein de
lâArmĂ©e de terre, les soldats seront partie prenante
du processus et le prendront Ă cĆur, brisant les rĂ©-
sistances bureaucratiques Ă lâĂ©volution.
En plus de ces nouvelles forces destinĂ©es Ă
lâEurope, au Golfe ou ailleurs en Asie orientale,
il faut que lâarmĂ©e de Terre conserve une force
équivalente à celle qui est actuellement stationnée
en Corée. Outre les unités de quartier général
quâon trouve lĂ -bas, la prĂ©sence militaire terrestre
sâarticule autour des deux brigades de la 2e Divi-
sion dâinfanterie. Cette unitĂ© est dĂ©jĂ hybride, ni
division lourde comme dans les livres, ni division
légÚre. Tout en conservant la structure division-
naire qui permet lâinsertion en souplesse de troupes
dâexploitation en cas de crise, il faudrait aussi que
lâarmĂ©e de Terre rĂ©organise cette unitĂ© pour per-
mettre des opĂ©rations Ă plus longue portĂ©e. Ătant
donnĂ© la masse de lâartillerie nord-corĂ©enne, les
tirs de contrebatterie joueront un rĂŽle important au
cours de nâimporte quelle guerre survenant dans
la pĂ©ninsule, ce qui conduit Ă conclure quâamĂ©-
liorer les capacitĂ©s de lâartillerie de saturation
de la division américaine est un investissement
modeste mais avisĂ©. De la mĂȘme façon, augmen-
ter le parc dâALAT et dâhĂ©licoptĂšres dâassaut des
forces terrestres américaines en Corée offrirait aux
commandeurs des possibilités dont ils ne disposent
pas aujourdâhui. Les principales forces lourdes de
lâarmĂ©e de Terre de la CorĂ©e du Sud sont bien ins-
truites et bien équipées, mais sont optimisées pour
défendre Séoul et la république de Corée le plus au
nord possible. Ă lâheure actuelle, les deux brigades
de la 2e Division dâInfanterie ressembleraient dâas-
sez prĂšs au type de force autonome et interarmes
dont on aurait besoin ailleurs.
La modernisation de lâarmĂ©e de Terre
et les budgets
Depuis la fin de la Guerre Froide, lâarmĂ©e de
Terre a souffert de dramatiques réductions budgé-
taires, notamment en matiĂšre dâacquisition dâarme-
ment et en matiĂšre de recherche. Cela a eu pour
consĂ©quence la dĂ©gradation actuelle de lâaptitude
opérationnelle dont nous avons traité plus haut et
a réduit la capacité de cette armée à se moderniser
et Ă innover pour le futur. Le besoin de se trouver
des ressources budgétaires a obéré les tentatives
dâadaptation actuelles de lâarmĂ©e de Terre.
Au cours de lâannĂ©e fiscale 1992, le premier
budget de lâaprĂšs-Guerre Froide et de lâaprĂšs-guerre
du Golfe, le budget de lâarmĂ©e de Terre Ă©tait de 91
milliards de dollars mesuré en dollar constant de
lâannĂ©e 2000. Cette annĂ©e, le CongrĂšs a votĂ© un
budget de 69,5 milliards pour les opĂ©rations de lâar-
mĂ©e de Terre â dont plusieurs milliards pour payer
les opĂ©rations dans les Balkans â et la demande du
président Clinton pour 2001 est de 70,6 milliards,
dont plus de deux milliards seront affectés aux opé-
rations dans les Balkans. Le budget dâĂ©quipement
de lâarmĂ©e de Terre subit lui aussi une rĂ©duction.
Au cours des annĂ©es Clinton, les dĂ©penses dâĂ©qui-
pement de lâarmĂ©e de Terre ont Ă©tĂ© en moyenne de 8
milliards de dollars pour descendre Ă 7,1 milliards
en 1995. La demande pour lâannĂ©e 2000 a Ă©tĂ© de
9,7 milliards, de loin la plus élevée depuis la fin
de la guerre du Golfe. Par comparaison, les achats
dâarmement de lâarmĂ©e de Terre atteignaient en
moyenne 23 milliards par an au début et au milieu
des annĂ©es 1980, au moment oĂč entraient en pro-
duction les systĂšmes dâarmes majeurs actuellement
en service, le char M1 Abrams, le VĂ©hicule de
Combat dâinfanterie (VCI) Bradley, les hĂ©licoptĂš-
res Apache et Blackhawk ainsi que le systĂšme de
missile
Patriot.
Pour aligner une armée de Terre
capable de remplir les nouvelles missions et de
relever les nouveaux défis évoqués plus haut, ses
budgets doivent revenir au niveau dâenviron 90 Ă 95
milliards en dollars constant de lâannĂ©e 2000. Une
partie de cet accroissement budgétaire permettrait
Ă lâarmĂ©e de Terre Ă la fois de regarnir les unitĂ©s
en sous-effectif et de remettre Ă niveau lâarmĂ©e
de Terre conventionnelle ainsi que dâamĂ©liorer
lâaptitude opĂ©rationnelle des unitĂ©s de sa Garde
nationale. De nouveaux programmes dâĂ©quipement
devraient porter sur des blindés légers, des réseaux
de commandement numĂ©risĂ©s et dâautres systĂšmes
de suivi de situation, la mise en service de lâhĂ©li-
coptÚre Comanche et des aéronefs sans pilotes. De
nouveaux investissements dans les infrastructures
militaires amélioreraient la qualité de vie des sol-
dats. Cela relancerait le processus dâadaptation.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
30
Ă©dition du 09/06/08
Seulement, comme lâa montrĂ© lâĂ©tude conduite
ci-dessus des besoins de lâarmĂ©e de Terre, il faut Ă
la fois réorienter et accroßtre ses investissements.
Par exemple, on a du mal Ă justifier dans le cadre
de la révolution que nous connaissons le program-
me dâartillerie Crusader, bien quâil porte sur le
canon automoteur peut-ĂȘtre le plus moderne jamais
conçu. Les coĂ»ts quâengendre ce canon, non seule-
ment en termes de budget mais aussi en termes
dâopportunitĂ© de faire perdurer un modĂšle de
guerre de plus en plus dĂ©passĂ©, lâemportent de loin
sur les avantages quâil apporterait. Il faut abandon-
ner le projet Crusader.
Toutefois, pour que lâarmĂ©e de Terre puisse
faire face aux nombreux défis qui se présentent
à elle, il faudra une sérieuse augmentation de son
financement. Les effectifs dâactive ont beau ĂȘtre
de 40% infĂ©rieurs Ă ce quâils Ă©taient au total Ă la
fin de la Guerre Froide, plusieurs générations de
ses chefs ont préféré les maintenir en réduisant
pour ce faire les dĂ©penses dâĂ©quipement et de
recherche. Cela ne peut pas continuer. LâarmĂ©e
de Terre a beau ĂȘtre trop rĂ©duite pour faire face
Ă lâĂ©ventail des missions que nous avons exposĂ©es
plus haut, ce dont elle a le plus besoin est la relance
des investissements, une recapitalisation et tout
particuliÚrement une réorganisation. Pris ensem-
ble, ces besoins dépassent de loin les économies
quâon pourrait faire au moyen de rĂ©formes ou de
gains de productivitĂ©. Lâabandon de programmes
mineurs comme le canon Crusader, lâadaptation
de lâorganisation administrative, la fermeture de
garnisons et dâautres mesures ne suffiront pas Ă
dégager suffisamment de ressources pour financer
la refonte radicale dont lâarmĂ©e de Terre a besoin.
La puissance terrestre américaine est le
maillon essentiel de la chaĂźne qui transforme la su-
prématie militaire américaine en une prééminence
gĂ©opolitique. MĂȘme si les moyens dâappliquer les
feux sur le champ de bataille ont largement pro-
gressĂ© â les avions dâattaque ont rĂ©alisĂ© les rĂȘves
les plus fous des adeptes de la puissance aérienne
â les drones promettent dâaccroĂźtre trĂšs bientĂŽt la
portĂ©e des frappes et la possibilitĂ© dâen conduire
depuis lâespace pointe le nez dans un avenir qui
nâest pas trĂšs Ă©loignĂ© â il persiste le fait que la
manĆuvre terrestre reste le moyen dâobtenir des
résultats politiques décisifs. Il est difficile de faire
tomber les régimes politiques du simple fait de les
sanctionner. Si les forces terrestres sont appelĂ©es Ă
survivre et à conserver leur rÎle stratégique unique
dans un monde oĂč il est de plus en plus facile de
frapper avec précision à des portées accrues, elles
doivent néanmoins évoluer elles aussi, devenir
plus discrĂštes, plus mobiles, plus projetables et ca-
pables dâopĂ©rer en ordre dispersĂ©. LâarmĂ©e de Terre
américaine, et les forces terrestres américaines en
gĂ©nĂ©ral, doivent de plus en plus ĂȘtre un complĂ©-
ment aux capacités de frappe des autres armées.
En corollaire, une force militaire américaine qui
nâaurait pas la possibilitĂ© de mettre en Ćuvre des
forces terrestres capables de durer et de manĆu-
vrer rapidement sur les champs de bataille Ă venir
priverait les dirigeants politiques amĂ©ricains dâun
outil essentiel de diplomatie.
LâarmĂ©e de lâAir : vers une armĂ©e du
premier choc Ă lâĂ©chelon de la planĂšte.
La derniĂšre dĂ©cennie sâest montrĂ©e la meilleure
et la pire pĂ©riode de lâhistoire de lâarmĂ©e de lâAir
amĂ©ricaine. De la guerre du Golfe Ă lâopĂ©ration
Al-
lied Force
au Kosovo, la sophistication croissante
de la puissance aĂ©rienne amĂ©ricaine â avec ses avi-
ons furtifs, ses munitions guidées de précision, ses
capacités tout temps de jour comme de nuit, le pro-
fessionnalisme de ses pilotes, de ses planificateurs
et des Ă©quipe de soutien â a permis Ă lâarmĂ©e de
lâAir de se vanter Ă juste titre dâĂȘtre « la puissance
mondiale de portée mondiale ». Sur court préavis,
les aĂ©ronefs de lâArmĂ©e de lâair peuvent engager
pratiquement nâimporte quel objectif sur terre avec
une grande précision et pratiquement sans risque.
La puissance aérienne américaine est devenue au
sens propre le symbole de la prééminence militaire
américaine.
En plus de mettre fin au programme dâartillerie
Crusader
, il faut augmenter le budget de lâarmĂ©e
de Terre au niveau de 90 Ă 95 milliards de dollars
pour financer ses missions actuelles et sa refonte Ă
long terme.
En plus de mettre fin au programme dâartillerie
Crusader
, il faut augmenter le budget de lâarmĂ©e
de Terre au niveau de 90 Ă 95 milliards de dollars
pour financer ses missions actuelles et sa refonte Ă
long terme.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
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Ă©dition du 09/06/08
Dans le mĂȘme temps, lâarmĂ©e de lâAir sâest vue
rĂ©duite dâun tiers, voire plus, et on lui a confiĂ© de
plus en plus de missions disparates. En outre, elle
sâest vue confier tant de missions nouvelles que
son organisation de base en a été changée. Pendant
la Guerre Froide, lâArmĂ©e de lâair Ă©tait agencĂ©e
pour sâengager dans des batailles aĂ©riennes de
grande ampleur visant Ă vider le ciel des appareils
soviétiques. De nos jours, elle est de plus en plus
formatée pour remplir de monotones missions
dâinterdiction de lâespace aĂ©rien qui sâĂ©ternisent,
conduire des frappes punitives périodiques ou
sâengager dans des campagnes aĂ©riennes limitĂ©es Ă
faible risque sans bavures comme
Allied Force
. Le
nouveau concept de « Corps expéditionnaire aé-
rien » de lâarmĂ©e de lâAir lui fait passer au-dessus
de la tĂȘte la classique campagne aĂ©rienne de conflit
majeur.
Les avions spécialisés comme le JSTARS ci-dessus
sont trop peu nombreux pour pouvoir faire face aux
missions quâon exige dâeux Ă lâheure actuelle.
Comme lâarmĂ©e de Terre, lâarmĂ©e de lâAir
continue Ă mettre en Ćuvre des systĂšmes datant
de la Guerre Froide dans ce nouvel environnement
stratégique et opérationnel. Les avions de combat
de lâarmĂ©e de lâAir, le F-15 et le F-16, ont Ă©tĂ© conçus
pour surpasser les appareils soviétiques plus nom-
breux. Les avions dâappui amĂ©ricains, de lâAWACS
et du JSTARS, avions de commandement et
aéronefs de guerre électronique, aux ravitailleurs,
étaient censés opérer en tandem avec de grands
nombres dâappareils amĂ©ricains. La mission pre-
miÚre de la flotte des bombardiers américains était
la dissuasion nucléaire.
LâarmĂ©e de lâAir a elle aussi commencĂ© Ă se
doter de nouvelles gĂ©nĂ©rations dâaĂ©ronefs de com-
bat pilotés qui ont été conçus à la fin de la Guerre
Froide. Le F-22 et, en particulier, lâavion de combat
multirÎle, sont une réponse à des cahiers des char-
ges établis il y a longtemps. Inversement, la décision
dâarrĂȘter le programme du bombardier B-2 a Ă©tĂ©
prise bien avant que ses capacités de plate-forme de
tir de précision à longue portée aient été mises en
Ă©vidence. Ă lâoccasion de lâopĂ©ration
Allied Force
,
les commandants en chef régionaux ont commencé
à reconsidérer la façon dont une telle capacité
pouvait rĂ©pondre Ă leurs besoins. De plus, lâarmĂ©e
de lâAir devrait rĂ©Ă©valuer ses besoins en un plus
grand nombre de systĂšmes dâarmes Ă longue portĂ©e.
Dans certaines régions, la capacité à opérer depuis
des aérodromes tactiques pose de plus en plus de
problĂšmes. Dans dâautres, en particulier en Asie
orientale, le théùtre est tout simplement si étendu
que mĂȘme les frappes « tactiques » quâon y conduit
demandent des capacités de tir à longue portée.
En somme, lâarmĂ©e de lâAir a commencĂ© son
adaptation aux nouvelles conditions de lâĂ©poque
actuelle, mais elle est loin dâavoir fini de mettre en
Ćuvre les nĂ©cessaires changements de posture, de
structure ou de programmes. De plus, lâarmĂ©e de
lâAir est trop rĂ©duite, en particulier sa flotte dâavi-
ons dâappui ; elle nâest pas tout Ă fait en mesure de
conduire des opérations soutenues pour conserver
aux Ătats-Unis leur prĂ©Ă©minence militaire. On a
rĂ©duit ses budgets dâĂ©quipement et ses chefs ont
rĂ©duit les achats de piĂšces dĂ©tachĂ©es, dâavions dâap-
pui et mĂȘme le remplacement des chasseurs actuels
dans le but de maintenir sur les rails le programme
F-22. LâarmĂ©e de lâAir a beau rester lâĂ©lĂ©ment le plus
souple et le plus réactif de la puissance militaire
américaine, il faut la restructurer, la redéployer,
lui redonner du tonus et en accroĂźtre la taille pour
lui permettre de rester « la puissance mondiale de
portée mondiale ». Il lui faudrait notamment :
Se redéployer pour refléter les changements en
matiĂšre de politique internationale . Il faudrait
dĂ©ployer des escadres aĂ©riennes composĂ©es dâun
large Ă©ventail dâaĂ©ronefs remplissant les fonc-
tions de guerre Ă©lectronique, de commandement
embarquĂ©, et dâautres appareils dâappui en Italie,
au sud-est de lâEurope, en Turquie centrale et
peut-ĂȘtre orientale, dans le Golfe Persique et en
Asie du Sud-Est .
RĂ©aligner les unitĂ©s de lâarmĂ©e de lâAir qui
subsistent en Europe, en Asie et aux Ătats-Unis
pour optimiser leurs capacités à conduire des
campagnes aériennes simultanées de grande
envergure .
Investir de maniÚre sélective dans les générations
actuelles dâavions de combat et dâappui pour per-
âą
âą
âą
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
32
Ă©dition du 09/06/08
mettre aux flottes de F-15 et de F-16 de perdurer,
acheter des nouveaux systĂšmes dâavionique
pour les avions de combat destinés aux missions
spéciales, augmenter la taille prévue des flottes
dâAWACS et de JSTARS et dâautres avions dâap-
pui Ă©lectronique ainsi quâaugmenter le stock des
armes guidées de précision .
Concevoir des plans visant Ă augmenter les flottes
dâavions dâappui de guerre Ă©lectronique comme
par exemple lancer le Wild Weasel, lâavion de
brouillage conçu sur la base du F-15 E .
Restaurer les conditions dâune armĂ©e de lâAir
normale en augmentant ses effectifs en person-
nel, en reconstituant son corps de pilotes et de
sous-officiers expérimentés en entretien du ma-
tériel, en augmentant les spécialités de soutien
comme le renseignement et la police spécialisée
et en relançant la fonction « instruction et en-
traßnement » .
Il faut augmenter les effectifs dâactive dâenviron
30 000 Ă 40 000 hommes et lâarmĂ©e de lâAir
pourra rebĂątir une structure de 18 Ă 19 escadres
aĂ©riennes dâactive et lâĂ©quivalent de 8 escadres
de réserve .
Ătat des lieux de lâarmĂ©e de lâAir
Comme lâarmĂ©e de Terre, lâarmĂ©e de lâAir a
au cours des derniÚres années rempli des missions
radicalement différentes de celles qui lui étaient
dévolues du temps de la Guerre Froide. Les années
qui ont suivi la chute du mur de Berlin ont été rien
de moins quâimprĂ©visibles. En 1997, lâarmĂ©e de
lâAir a dĂ©ployĂ© quatre fois plus de troupes quâen
1989, derniÚre année de la Guerre Froide, mais avec
un tiers de personnel dâactive en moins. La moder-
nisation sâest gravement ralentie. Dans de telles
conditions, les choix qui ont été faits en matiÚre
de construction dâune force de combat destinĂ©e Ă
la guerre se sont avĂ©rĂ©s ĂȘtre un handicap. Comme
lâa dĂ©clarĂ© Thomas Moorman, chef dâĂ©tat-major
adjoint de lâarmĂ©e de lâAir de 1994 Ă 1997 :
Aucun de nous ne croyait, Ă la fin de la Guerre
Froide, que nous aurions à conduire les opérations
Northern Watch et Southern Watch en 1998. La
Bosnie est toujours lĂ â tout le monde au sein de
lâarmĂ©e de lâAir y a servi depuis 1995⊠Ajoutez
cela Ă ce que nous avons vu Ă©merger en particulier
en Iraq. Saddam Hussein sâest montrĂ© trĂšs efficace
pour tirer sur la corde et nous avons connu trois
déploiements majeurs dont le dernier a été trÚs
âą
âą
âą
important. Il sâagissait de 4 000 hommes et 100
aéronefs. Et nous y sommes restés beaucoup plus
longtemps que nous ne lâavions imaginĂ© au dĂ©part.
Le rĂ©sultat est que « lâaptitude opĂ©rationnelle
de lâarmĂ©e de lâAir est en train de baisser, et ce nâest
pas une anecdote, câest un fait », dĂ©clare le gĂ©nĂ©ral
Michael Ryan, le chef dâĂ©tat-major de lâarmĂ©e de
lâair. DâaprĂšs Ryan, depuis 1996, lâarmĂ©e de lâAir
a connu « une dégradation générale de 14 % de
lâaptitude opĂ©rationnelle de ses principales unitĂ©s
opĂ©rationnelles. » Et les chefs de lâarmĂ©e de lâAir
ont beau prĂ©tendre quâelle maintient toutes ses
unitĂ©s au mĂȘme niveau de prĂ©paration, câest-Ă -dire
quâelle ne pratique pas lâaptitude « Ă©tagĂ©e » comme
le fait la Marine oĂč les unitĂ©s de premiĂšre inter-
vention ont la préférence en matiÚre de dotations,
le niveau dâaptitude des unitĂ©s basĂ©es en mĂ©tro-
pole est descendu au-dessous de celles déployées
outre-mer. Par exemple, lâ
Air Combat Command
[Commandement des forces aériennes tactiques],
le commandement principal de lâaviation tactique
basĂ©e aux Ătats-Unis, a vu son aptitude opĂ©ra-
tionnelle baisser de 50 %, Ă comparer Ă la baisse
gĂ©nĂ©rale de 14 % de lâarmĂ©e de lâAir toutes unitĂ©s
confondues.
Ces problĂšmes dâaptitude opĂ©rationnelle rĂ©sul-
tent dâun rythme dâengagements qui Ă©rode lâarmĂ©e
de lâAir lentement mais sĂ»rement. Une Ă©tude
conduite en 1998 par la Rand Corporation intitulée
«
Air Force Operations Overseas in Peacetime:
OPTEMPO and Force Structure Implications
»
[les opĂ©rations outre-mer de lâarmĂ©e de lâAir en
temps de paix] a conclu que lâarmĂ©e de lâAir est
aujourdâhui tout juste suffisante pour remplir la
mission actuelle dâinterdiction dâespace aĂ©rien et
dâautres missions de police, Ă lâexception de toute
participation Ă un conflit majeur. Alors que le mi-
nistĂšre de la DĂ©fense a dĂ» finir par admettre la
charge qui pĂšse sur les AWACS et dâautres aĂ©ronefs
spĂ©cialisĂ©s, lâĂ©tude a montrĂ© que « les avions spĂ©-
cialisĂ©s connaissent un taux dâemploi largement
supérieur à ce que la structure actuelle de la force
est susceptible de pouvoir endurer à long terme. »
LâĂ©tude a aussi rĂ©vĂ©lĂ© que la force dâavions de com-
bat actuelle a elle aussi atteint ses limites. Selon les
estimations actuelles, la structure de lâaviation de
combat « est aujourdâhui en mesure de faire face
aux exigences de maintien de la paix, mais avec de
maigres rĂ©serves â tout juste un tiers dâescadron (8
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
33
Ă©dition du 09/06/08
appareils) de plus que la demande. » Une autre
mission dâinterdiction de zone, comme celle ac-
tuellement conduite dans les Balkans par exemple,
« ne pourrait ĂȘtre remplie dans la durĂ©e sans de
grandes difficultĂ©s. » DâaprĂšs Ryan, lâaccumulation
de ces missions de police a un effet désastreux sur
lâarmĂ©e de lâAir. :
Nos hommes et nos femmes
sont chaque année séparés
de leurs garnisons et de leurs
familles pendant des durées
imprévisibles et assez longues,
ce qui a un impact négatif
sur le taux de rengagement.
Notre gestion du personnel
en mĂ©tropole nâest plus
adaptĂ©e et la charge de travail sâest accrue en
raison des départs fréquents en mission alors
que le travail doit continuer au mĂȘme rythme
dans les garnisons de métropole. Nos unités qui
se déploient hors métropole doivent emporter
beaucoup plus de moyens dâinfrastructure
dans les bases quâelles installent Ă lâextĂ©rieur.
La protection des infrastructures et la sécurité
élémentaire de la mission des unités déployées
Ă lâextĂ©rieur sont un souci majeur. Les exigences
qui pÚsent sur nos petites unités de renseignement,
de surveillance et de reconnaissance, ou celles
de recherche et de sauvetage au combat se sont
trĂšs fortement accrues. Elles sont correctement
dimensionnées pour les conflits majeurs sur deux
thĂ©Ăątres dâopĂ©rations, mais certaines ne sont
pas adaptées à des opérations de circonstance
multiples et de grande ampleur. En raison de
la nature imprévisible des engagements de
circonstance, on a Ă©largi les programmes
dâentraĂźnement, ce qui fait que les unitĂ©s ne
peuvent pas toujours suivre la préparation
jusquâĂ son terme avant de partir en mission
dâappui ou de soutien. Comme on ne peut pas
prĂ©voir ces mĂȘmes opĂ©rations de circonstance,
il devient beaucoup plus difficile dâemployer les
unités de réservistes, dont beaucoup ont besoin
de temps pour organiser leur absence avec leurs
employeurs civils avant de pouvoir rejoindre
leurs affectations en mobilisation dans lâarmĂ©e
de lâAir.
Lâaccumulation de ces tensions a causĂ© tout
un ensemble de difficultĂ©s pour lâarmĂ©e de lâAir :
le recrutement et la conservation du personnel clé,
en particulier les pilotes, est devenu problématique
comme jamais auparavant ; sa flotte dâappareils, en
particulier les avions dâappui, vieillissent de façon
significative. Le manque de piÚces détachées ajouté
Ă celui des sous-systĂšmes Ă©lectroniques et des mu-
nitions de haute technicité limite les missions tant
opĂ©rationnelles que dâentraĂźnement et dâinstruction,
ce qui fait que le niveau dâentraĂźnement au combat
a baissé.
MĂȘme lâentraĂźnement habituel en mĂ©tropole
sâest trouvĂ© affectĂ© au cours des derniĂšres annĂ©es,
ainsi que les exercices majeurs de combat aérien. La
faiblesse du budget dâinstruction, explique Ryan, a
pour conséquence que « les équipages ne sont plus
capables de répondre à de nombreuses exigences
de lâentraĂźnement. Et lâinstruction sur la menace va
atteindre un niveau trĂšs bas qui nâa plus rien de rĂ©a-
liste. Les équipages vont développer un sentiment
trompeur de sĂ©curitĂ© sâils sâentraĂźnent face Ă une
menace qui nâa rien de rĂ©aliste ». De la mĂȘme façon,
le programme de lâarmĂ©e de lâAir pour assurer Ă ses
pilotes lâentraĂźnement avec « plastron »
9
nâest plus
que lâombre de ce quâil Ă©tait : au cours des annĂ©es
1980, il y avait un avion plastron pour 35 avions
de lâarmĂ©e de lâAir. Aujourdâhui le rapport est dâun
pour 240. La fréquence à laquelle les pilotes de
lâarmĂ©e de lâAir participent Ă des exercices «
Red
Flag
» [des exercices de combat avec plastron] est
tombĂ©e dâun par an Ă un tous les 18 mois.
Les difficultĂ©s de lâarmĂ©e de lâAir se sont ag-
gravĂ©es du fait de lâarrĂȘt des achats au cours des
années 1990. Le vieillissement catastrophique de
la flotte de lâarmĂ©e de lâAir et
lâaccroissement des coĂ»ts et
des charges dâentretien rĂ©sul-
tant de lâusure des appareils,
de la corrosion et de lâobso-
lescence des piĂšces, est le
deuxiĂšme facteur de chute de
lâaptitude opĂ©rationnelle de
lâarmĂ©e de lâAir. Au tournant
du siĂšcle, lâĂąge moyen des
avions sera de 20 ans et en
2015, mĂȘme si lâon introduit
le F-22 et lâavion de combat multirĂŽles, mĂȘme si
lâon continue Ă acheter des avions de la gamme
actuelle comme le C-17, lâĂąge moyen de la flotte
sera de 30 ans. La diffĂ©rence de coĂ»t dâentretien au
Ryan
Ryan
Lâ
Air Combat
Command
,
le principal
commandement
de chasse basé
en métropole, a
perdu 50 % de
son efficacité
opérationnelle.
Lâ
Air Combat
Command
,
le principal
commandement
de chasse basé
en métropole, a
perdu 50 % de
son efficacité
opérationnelle.
9 Le plastron est un ennemi dâexercice matĂ©rialisĂ© sur le terrain. Ici, il sâagit dâautres pilotes qui jouent le rĂŽle dâagresseurs, de batteries de tir antiaĂ©rien
utilisant la simulation ou des munitions dâexercices (NdT).
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
34
Ă©dition du 09/06/08
sol entre les modĂšles les plus anciens de F-15, les
type A et type B â ĂągĂ©s dâenviron 21 ans en
moyenne â dont lâentretien revient Ă 1,9 millions de
dollars par avion et par an, et les plus récents F-15E
ĂągĂ©s de 8 ans, dont lâentretien revient Ă 1,3 million
par avion et par an, ce qui représente une diffé-
rence de 37 %, illustre bien la surcharge de dé-
pense quâoccasionnent les appareils plus anciens.
Mais ce qui coĂ»te peut-ĂȘtre le plus cher dans une
flotte vieillissante, câest que peu dâavions sont aptes
au combat. Le taux global d⫠inaptitude opération-
nelle » ou dâavions clouĂ©s au sol dans lâarmĂ©e de
lâAir est passĂ© de 17 % en 1991 Ă 25 % aujourdâhui.
Ce taux continue de croßtre malgré le fait que le
personnel dâentretien de lâarmĂ©e de lâAir travaille
toujours plus intensément et plus longtemps pour
maintenir les avions Ă niveau. La cannibalisation,
qui consiste Ă remplacer les piĂšces dâun avion quâon
veut garder en Ă©tat de vol par celles dâun avion en
cours de rĂ©paration, sâest accrue de 58 % entre 1995
et 1998.
Certaines des difficultĂ©s de lâarmĂ©e de lâAir
sont une conséquence de la réduction de son bud-
get dâapprovisionnement associĂ©e Ă la volontĂ© de
lâarmĂ©e de conserver le programme F-22 sur les
rails autant que faire se peut. Les dépenses engen-
drĂ©es par le « Raptor » ont forcĂ© lâarmĂ©e de lâAir
Ă procĂ©der Ă des coupes rĂ©pĂ©tĂ©es dans dâautres
programmes budgétaires, portant non seulement
sur de nouveaux avions mais aussi sur des approvi-
sionnements en piÚces détachées et sur les effectifs.
Le manque de pilotes tient en partie à des décisions
relatives au maintien de financement du F-22. Ces
effets se doublent de changements dans le type
dâopĂ©rations de lâarmĂ©e de lâAir au cours des dix
annĂ©es Ă©coulĂ©es. Les avions dâappui tels lâAWACS,
le JSTARS, les avions de guerre Ă©lectronique et
les ravitailleurs ont tous été conçus pour opérer de
concert avec un grand nombre dâavions tactiques
en des opérations de grande envergure. Or, mainte-
nant, on les engage le plus souvent avec seulement
quelques avions de chasse ou dâattaque en des opĂ©-
rations dâinterdiction de lâespace aĂ©rien et dâautres
opérations de circonstance. Il en résulte que le
Pentagone dans ses points de situation interarmées
les Ă©tiquette comme systĂšmes dâarmes « fortement
demandĂ©s en faible densitĂ© ». En dâautres termes,
ils sont trop peu nombreux pour faire face aux
demandes de missions. Le programme de mo-
dernisation de lâarmĂ©e de lâAir se doit pourtant de
tenir complÚtement compte de ce phénomÚne. Par
exemple, la demande officielle en JSTARS est pas-
sĂ©e de 19 Ă 13 appareils. Ce nâest que tardivement
quâon a admis que le besoin est plus Ă©levĂ©. De la
mĂȘme façon, on a rĂ©duit le programme dâacquisi-
tion de C-17
10
de 210 Ă 120 appareils. En fait, il est
vraisemblable que, compte tenu des besoins qui ap-
paraissent, 210 avions C-17 ne suffiront pas. Dâune
maniĂšre globale, il faut entiĂšrement reprendre le
programme de modernisation de lâarmĂ©e de lâAir
Ă la lueur de nouvelles missions et de ce quâelles
vont imposer.
Les forces prépositionnées
Il faut également revoir le déploiement général
de lâarmĂ©e de lâAir. Actuellement, elle entretient
lâĂ©quivalent de deux escadres aĂ©riennes et demie en
Europe occidentale, une escadre dans le Pacifique,
basée au Japon, une demi-escadre composite semi-
permanente forte de 100 appareils disséminés dans
toute la rĂ©gion du Golfe et un morceau dâescadre
sur la base aĂ©rienne dâIncirlik en Turquie centrale.
MĂȘme si lâon tient compte de leur souplesse inhĂ©-
rente et de lâĂ©ventail dâavions dont elles disposent,
ces forces actuelles doivent ĂȘtre complĂ©tĂ©es par de
nouvelles bases prépositionnées, de nouvelles bases
permanentes et un réseau de bases de circonstance
qui permettraient Ă lâarmĂ©e de lâAir dâaugmenter
lâefficacitĂ© des flottes dâappareils actuelles et Ă
venir au fur et Ă mesure que sâĂ©tend le pĂ©rimĂštre de
sĂ©curitĂ© des Ătats-Unis.
En Europe, il faudrait renforcer les forces
existantes par des avions dâappui supplĂ©mentaires
allant dâune flotte de C-17 et de ravitailleurs Ă des
AWACS, des JSTARS et dâautres avions dâappui
électronique. Il faudrait compléter les forces actuel-
les, encore organisées en escadres traditionnelles,
par une escadre composite basée en permanence
Ă Incirlik en Turquie, base quâil faudrait amĂ©liorer
de façon substantielle. On pourrait aussi renforcer
les capacitĂ©s de lâescadre aĂ©rienne dâAviano, en
Italie, au moment oĂč ses installations sâĂ©tendent.
En outre, il faudrait que lâarmĂ©e de lâAir Ă©tablisse
un cahier des charges pour une petite escadre
analogue installĂ©e au sud-est de lâEurope. Il faut
10 Le C-17 est un avion de transport servant au soutien logistique et au transport de troupes.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
35
Ă©dition du 09/06/08
Ă terme renforcer lâarmĂ©e de lâAir amĂ©ricaine en
Europe de lâĂ©quivalent dâune Ă deux escadres et
demie. En outre, il faut apporter des améliorations
aux bases aériennes existantes dans les nouveaux
pays membres de lâOtan et dans ceux qui vont
la rejoindre afin de permettre des déploiements
rapides, des exercices hors programmation et des
opérations préliminaires renforcées en temps de
crise. Il faudrait que ces préparatifs comprennent
une modernisation des installations de contrĂŽle
aérien, de ravitaillement en carburant et de dépÎts
dâarmement, et peut-ĂȘtre le prĂ©positionnement de
petits stocks de munitions ainsi que suffisamment
dâespace pour loger des renforts lors dâopĂ©rations.
Il faudrait aussi améliorer les installations existant
en Angleterre pour permettre la mise en Ćuvre des
bombardiers B-2 en temps de crise, afin dâaugmen-
ter le taux de sorties des appareils en cas de besoin.
Dans la région du Golfe Persique, il faudrait
que la 4 044e escadre continue à opérer comme elle
lâa fait au cours de la plus grande partie de la der-
niĂšre dĂ©cennie. Il faudrait cependant que lâarmĂ©e de
lâAir prenne plusieurs mesures en vue dâamĂ©liorer
sa conduite des opérations tout en tenant compte
des sensibilités politiques locales. Pour alléger la
tension liĂ©e aux rotations constantes, lâarmĂ©e de
lâAir pourrait envisager de faire davantage appel Ă
des contractuels civils de droit américain dans les
missions de soutien, peut-ĂȘtre dans le domaine de
lâentretien des avions ou pour renforcer la sĂ©curitĂ©.
Bien que cela augmente le coût de ces opérations,
cela pourrait aussi inciter les Saoudiens, les KoweĂŻ-
tis et les dirigeants des autres pays du Golfe Ă
prendre une plus grande part des coûts engendrés
tout en réduisant la présence militaire américaine
au niveau minimal. Dans le mĂȘme temps, apporter
de nouvelles améliorations à la Base de Al Kharj
en Arabie saoudite â en particulier pour amĂ©liorer
la qualité de vie des aviateurs et permettre un
meilleur entraĂźnement au combat â garantirait les
investissements complémentaires tant américains
que saoudiens. La prĂ©sence de lâarmĂ©e de lâAir
dans la région du Golfe est vitale pour la stratégie
militaire amĂ©ricaine, et il faut que les Ătats-Unis
y envisagent, de fait, une présence permanente
mĂȘme sâils doivent trouver des moyens pour allĂ©ger
les embarras que la présence américaine pose aux
Saoudiens, aux Koweïtis et aux pays de la région.
Mais câest en Asie orientale que lâarmĂ©e de
lâAir doit chercher Ă accroĂźtre ses capacitĂ©s et sa
portĂ©e. Elle dispose actuellement dâenviron deux
escadres fortes des avions stationnés dans trois
bases au Japon et en CorĂ©e. Comme lâarmĂ©e de
Terre, lâarmĂ©e de lâAir est concentrĂ©e en Asie du
Nord-Est et manque de présence permanente en
Asie du Sud-Est, ce qui limite son allonge dans
la rĂ©gion. LâarmĂ©e de lâAir dispose aussi dâune
escadre de F-15 en Alaska qui fait officiellement
partie, elle aussi, de la force du Pacifique. Il faut
que lâarmĂ©e de lâAir double grosso modo ses forces
prépositionnées en Asie orientale, de préférence
en dispersant ses bases au sud comme elle lâa fait
au nord, peut-ĂȘtre en installant une escadre aux
Philippines et en Australie. Comme en Europe, les
opĂ©rations de lâarmĂ©e de lâAir en Asie orientale
seraient grandement amĂ©liorĂ©es par une capacitĂ© Ă
soutenir des opérations de bombardement à grande
portĂ©e au dĂ©part de lâAustralie, peut-ĂȘtre aussi en y
incluant des installations spĂ©ciales dâentretien des
B-2 et dâautres appareils furtifs. En outre, il serait
sage de la part de lâarmĂ©e de lâAir dâinvestir dans
la remise à niveau des aérodromes régionaux qui
permettent dâaccueillir le dĂ©ploiement de renforts
et, incidemment, dâaider Ă nouer des liens avec les
armĂ©es de lâAir de la rĂ©gion.
Les unitĂ©s de lâarmĂ©e de lâAir
stationnĂ©es aux Ătats-Unis
MĂȘme si lâarmĂ©e de lâAir intensifie ses opĂ©ra-
tions et accroßt la portée de ses interventions dans
les régions clés du monde, il lui faut conserver aux
Ătats-Unis suffisamment de forces Ă dĂ©ployer rapi-
dement en temps de crise et se préparer à conduire
LâefficacitĂ© gĂ©nĂ©rale du bombardier B-2 est obĂ©rĂ©e par
le fait que la flotte en est trop réduite et par les difficul-
tés que pose le fait de ne pouvoir opérer que depuis la
base aérienne de Whitman dans le Missouri.
LâefficacitĂ© gĂ©nĂ©rale du bombardier B-2 est obĂ©rĂ©e par
le fait que la flotte en est trop réduite et par les difficul-
tés que pose le fait de ne pouvoir opérer que depuis la
base aérienne de Whitman dans le Missouri.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
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Ă©dition du 09/06/08
le type dâengagements Ă grande Ă©chelle qui sont le
fait des conflits de haute intensitĂ© ainsi quâĂ rĂ©agir
à des événements réellement imprévus. En fait, la
mobilité et la souplesse de la force aérienne font
pratiquement disparaĂźtre le distinguo entre les
éléments de renfort et ceux destinés aux missions
de circonstance. Il est cependant Ă©vident que la
dimension actuelle de lâarmĂ©e de lâAir en mĂ©tropole,
Ă©quivalente Ă environ huit Ă neuf escadres de chasse
et quatre de bombardement, nâest pas adaptĂ©e Ă ces
missions. De plus, les flottes dâavions dâappui de
lâarmĂ©e de lâAir sont trop peu dimensionnĂ©es pour
faire face Ă des dĂ©ploiements Ă grande Ă©chelle et Ă
des opĂ©rations qui sâinstallent dans la durĂ©e.
Les problĂšmes de structure de lâarmĂ©e de
lâAir sont le reflet des difficultĂ©s liĂ©es au type
des appareils ainsi quâĂ leur nombre. Par exemple,
lorsque lâarmĂ©e de lâAir a retirĂ© du service les F4
« Wild Weasel » de lutte anti-DCA et ses avions
de guerre Ă©lectronique EF-111, leurs missions ont
été respectivement reprises par des F-16 équipés
de systÚme HARM montés en nacelles et par des
EA-6B « Prowlers » de la Marine et du Corps des
Marines. Ceci a eu pour effet de réduire la taille de
la flotte de F-16 disponible pour dâautres missions.
Le F-16 a été conçu comme un avion multirÎle
mais le poids des Ă©quipements anti-DCA, mĂȘme en
opĂ©rations dâinterdiction de survol, signifie que ces
appareils ne sont que rarement en mesure de rem-
plir dâautres missions et que leurs pilotes perdent
leur entraĂźnement. De la mĂȘme façon, la perte des
EF-111 a reporté toute la mission de brouillage sur
la petite flotte de vieux « Prowlers » et fait perdre Ă
lâarmĂ©e de lâAir sa propre capacitĂ© de brouillage. La
pénurie de tels appareils est si aiguë que pendant
lâopĂ©ration «
Allied Force
», les opĂ©rations dâinter-
diction de survol en Iraq ont été interrompues.
La flotte de transport de lâarmĂ©e de lâAir
connaĂźt le mĂȘme sous-dimensionnement. Les be-
soins en moyens de transport établis au début des
annĂ©es 1990 nâont pas pris en compte le rythme et
le nombre des missions de circonstances du monde
de lâaprĂšs-Guerre Froide. On nâa pas non plus fait
Ă©voluer les besoins en fonction du reformatage de
lâarmĂ©e de lâAir, alors que cela a Ă©tĂ© fait
de facto
pour les corps expĂ©ditionnaires de lâarmĂ©e de Terre
et de la Marine, pas plus quâon nâa pris en compte
ceux exprimés dans le présent rapport. La nécessité
dâopĂ©rer de façon plus dispersĂ©e va notablement
accroßtre les besoins en transport aérien.
De plus, les besoins de lâarmĂ©e de lâAir en ap-
pareils dâappui dĂ©passent les ressources de sa flotte
actuelle. Comme lâa fait remarquer le GĂ©nĂ©ral dâar-
mĂ©e aĂ©rienne Ryan, chef dâĂ©tat-major de lâarmĂ©e de
lâAir, son armĂ©e est bien loin, dans de nombreux
domaines, dâĂȘtre en mesure de conduire « deux
guerres » simultanĂ©ment. MĂȘme dans les opĂ©rations
quotidiennes dâinterdiction de survol qui mettent en
Ćuvre un nombre dâavions relativement faible, la
nature de la mission impose lâemploi dâAWACS, de
JSTARS et dâautres appareils dâappui Ă©lectronique
à longue portée, les EA-6B et les F-16 équipés
de nacelles HARM, destinés au brouillage et à la
lutte anti-DCA, ainsi que plusieurs ravitailleurs
qui permettent dâallonger la durĂ©e des missions
longue distance. Les ratios « appui/combat » de la
Guerre Froide et dâopĂ©rations de grande envergure
comme la campagne aĂ©rienne de lâopĂ©ration «
De-
sert Storm
» ont été complÚtement inversés. Les
besoins de lâarmĂ©e de lâAir en de tels appareils pour
les patrouilles de contrÎle du périmÚtre ainsi que
pour les missions de renforts dépassent largement
les ressources de sa flotte actuelle. Aucune Ă©tude
stratĂ©gique antĂ©rieure nâa examinĂ© ces besoins.
Bien quâune telle analyse dĂ©borde du cadre de la
prĂ©sente Ă©tude, il est Ă©vident quâun Ă©largissement
de la structure de lâarmĂ©e de lâAir est nĂ©cessaire.
Enfin, il faudrait réétudier la flotte des bom-
bardiers Ă long rayon dâaction de lâarmĂ©e de lâAir.
Comme nous lâavons Ă©voquĂ©
plus haut, les opérations des
B-2 au cours de lâopĂ©ration
«
Allied Force
» ne peuvent
que conduire à un réexamen
des besoins des Comman-
dants RĂ©gionaux portant sur
cet appareil.Toutefois, il est
une autre caractéristique
frappante des missions des
B-2 durant la guerre du Ko-
sovo : leur durée. Chaque
frappe imposait une sortie
de trente heures depuis la
Base aérienne de Whiteman,
dans le Missouri, avec les
difficultés de soutien que
cela représente. Le gros de la flotte de B-2 est ré-
servĂ© aux frappes nuclĂ©aires. En dĂ©finitive, lâarmĂ©e
Les flottes
dâavions dâappui
de lâarmĂ©e de
lâAir sont trop peu
dimensionnées
pour faire face Ă
des déploiements
Ă grande
Ă©chelle et Ă des
opérations qui
sâinstallent dans
la durée.
Les flottes
dâavions dâappui
de lâarmĂ©e de
lâAir sont trop peu
dimensionnées
pour faire face Ă
des déploiements
Ă grande
Ă©chelle et Ă des
opérations qui
sâinstallent dans
la durée.
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Ă©dition du 09/06/08
de lâAir nâa pas pu engager plus de deux B-2 par jour
dans lâopĂ©ration «
Allied Force
». Quelles que soient
les qualités du B-2, son efficacité globale est étroi-
tement obérée par le faible volume de la flotte et les
difficultĂ©s quâil y a Ă nâopĂ©rer que depuis la base de
Witheman. Bien que le coût de la relance de la
chaĂźne de fabrication du B-2 soit prohibitif, il est
Ă©vident quâil faudrait sây rĂ©soudre. LâarmĂ©e de lâAir
peut accroßtre le « rendement » opérationnel des B-2
en implantant des aires outre-mer dâoĂč pourraient
opérer les B-2 en cas de besoin et en mettant sur
pied une capacitĂ© projetable dâentretien de ces appa-
reils. Au moment oĂč lâarmĂ©e de lâAir se penche sur
sa future force de bombardement, elle devrait sâĂ©vi-
ter un tel dilemme en mettant au point des succes-
seurs au B-2. Et en tenant compte du peu de viabi-
lité du volet « bombardier » du triptyque nucléaire
amĂ©ricain, lâarmĂ©e de lâAir pourrait chercher Ă ne
plus avoir de bombardiers pris en compte dans le
contrĂŽle des armements et nâĂ©quiper ses B-52 et ses
B-2 que pour les frappes conventionnelles.
Au minimum, il faudrait renforcer lâarmĂ©e de
lâAir basĂ©e aux Ătats-Unis par lâĂ©quivalent de deux
escadres aériennes. Cependant, il faudrait mettre
lâaccent surtout sur les appareils qui reprĂ©sentent
une « faible ressource pour une forte demande » et
qui font maintenant tellement défaut. Cependant,
alors quâil existe une volontĂ© dâallĂ©ger la pression
sur lâactuelle flotte de combat, cela ne suffira pas Ă
contrebalancer les effets du rythme élevé des opé-
rations de la derniÚre décennie. Les flottes de F-15
et de F-16 sont en danger dâobsolescence absolue.
Cela sera en partie compensé par la mise en service
du F-22 dans lâarsenal de lâarmĂ©e de lâAir, mais en
tant quâappareil de supĂ©rioritĂ© aĂ©rienne, le F-22 ne
correspond pas aux missions actuelles de moindre
intensitĂ©. LâarmĂ©e de lâAir est en train dâacheter une
nouvelle voiture de course alors quâelle a aussi be-
soin dâun parc de camionnettes. Elle devrait acheter
les nouveaux avions multirĂŽle F15E et F-16. Le
programme C-17 devrait ĂȘtre ramenĂ© Ă son niveau
initial dâun achat de 210 appareils et lâarmĂ©e de
lâAir devrait faire face au besoin dâavions dâappui
électronique supplémentaires tant à court terme
quâĂ plus long terme dans le cadre de ses efforts de
réorganisation.
Si le F-22 est loin dâĂȘtre parfaitement adaptĂ©
aux besoins du moment, la question de lâAvion de
Combat Interarmées est tout autre chose. De plus,
plus de la moitiĂ© de tout le programme F-22 a dĂ©jĂ
Ă©tĂ© dĂ©pensĂ© alors que lâengagement de dĂ©pense Ă
ce jour sur lâACI â bien que se montant dĂ©jĂ Ă des
milliards de dollars â ne reprĂ©sente que la partie
Ă©mergĂ©e dâun iceberg qui pourrait sâavĂ©rer reprĂ©sen-
ter 223 milliards. Et plus importante que les défis
techniques reprĂ©sentĂ©s par lâACI ou que le coĂ»t total
du projet, la question qui se pose est de savoir si un
tel programme qui va relancer lâAmĂ©rique pour 50
ans de plus dans le domaine des avions de com-
bat pilotés représente une décision opérationnelle
sensée. En fait, comme cela apparaßt dans la suite
de notre étude sur la réorganisation des armées et
la révolution dans le domaine militaire, il semble
peu vraisemblable que le modĂšle actuel de guerre,
dominé par les capacités des avions de combat
pilotés, perdure longtemps. Un avion de combat
interarmées au coût élevé, aux capacités limitées et
qui présente un risque industriel significatif semble
ĂȘtre un mauvais investissement Ă la lueur de ce qui
prĂ©cĂšde. Il faut mettre fin Ă ce programme. Il sâagit
dâun obstacle Ă la rĂ©organisation et dâun tonneau
des Danaïdes pour le budget de la défense.
La remise sur pied dâune armĂ©e de lâAir aux
Ătats-Unis en tant que force de combat de grande
envergure va compliquer les plans de cette armée
pour se rĂ©organiser elle-mĂȘme en vue de faire face
aux exigences des opĂ©rations dâintervention. Mais
la multiplication des bases outre-mer devrait gran-
dement rĂ©duire, si ce nâest faire disparaĂźtre, le poids
des rotations en opĂ©rations de circonstances. Ătant
donné la mobilité et la souplesse qui lui sont inhé-
rentes, lâarmĂ©e de lâAir sera la premiĂšre force amĂ©-
ricaine Ă arriver sur le thĂ©Ăątre dâopĂ©rations en temps
de crise. En tant que telle, elle se doit de conserver
la capacité à déployer et à soutenir suffisamment
dâappareils pour dissuader les vellĂ©itĂ©s guerriĂšres
et modeler nâimporte quel conflit dĂšs ses dĂ©buts. En
effet, câest lâarmĂ©e de lâAir qui reste, avec lâarmĂ©e
de Terre, le noyau de la capacitĂ© de lâAmĂ©rique Ă
mettre en Ćuvre une force militaire dĂ©cisive quand
elle le juge bon. Se priver de cette capacité à don-
ner un rapide coup de massue revient Ă perdre la
composante essentielle de la prééminence militaire
américaine.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
38
Ă©dition du 09/06/08
Moderniser lâArmĂ©e de lâair
et ses budgets
Comme pour lâarmĂ©e de Terre, les budgets
de lâarmĂ©e de lâAir ont Ă©tĂ© rĂ©duits de maniĂšre im-
portante au cours de la derniĂšre dĂ©cennie, mĂȘme
si lâarmĂ©e de lâAir a reçu des missions nouvelles et
inattendues et essaie de lutter contre les implica-
tions des missions outre-mer. Au sommet de lâĂšre
Reagan, en 1985, elle sâest vue autorisĂ©e Ă dĂ©penser
140 milliards de dollars. En 1992, le premier budget
de lâaprĂšs-Guerre Froide est tombĂ© Ă 98 milliards.
Au cours des annĂ©es Clinton, les budgets de lâarmĂ©e
de lâAir sont tombĂ©s Ă un minimum de 73 milliards.
La demande de lâadministration pour 2001 Ă©tait
de 83 milliards. Tous ces chiffres sont en dollars
constants Ă la valeur de lâannĂ©e budgĂ©taire 2000.
Au cours de cette pĂ©riode, les chefs de lâarmĂ©e
de lâAir ont fait lâimpasse sur nombre dâautres projets
essentiels pour assurer la continuité du programme
F-22. Rien que pour remettre lâarmĂ©e de lâAir en
condition â corriger les insuffisances budgĂ©taires
des derniÚres années ainsi que les distorsions in-
ternes dues aux dĂ©cisions de commandement â il
faudra du temps et une importante augmentation
des dépenses. Il faut progressivement revenir au
niveau des engagements de dépenses de 110 à 115
milliards de dollars pour augmenter les effectifs
de lâarmĂ©e de lâAir, mettre sur pied de nouvelles
unités, en particulier les escadres composites
quâimposent les « missions aĂ©riennes de maintien
de lâordre » comme lâinterdiction de survol. Ă quoi
il faut ajouter les capacitĂ©s dâappui nĂ©cessaires au
renfort de la flotte dâavions tactiques, le retour aux
investissements dans le domaine spatial ainsi que
les moyens que demande le début du processus de
réorganisation.
Il faudrait poursuivre le programme du F-22
Raptor pour fournir lâĂ©quivalent de trois escadres
dâavions et pour mettre au point et acheter les muni-
tions nĂ©cessaires Ă lâaccroissement de la capacitĂ© du
F-22 à remplir des missions de frappes aériennes.
Quoique lâavion ait des capacitĂ©s limitĂ©es dâemport
de bombes, lâamĂ©lioration des munitions pourrait
accroĂźtre son intĂ©rĂȘt en tant quâappareil dâattaque.
Les besoins en transport stratégique se sont accrus
de maniĂšre exponentielle depuis la fin de la Guerre
Froide, tant en termes de volume dâemport quâen
nombre de plateformes de transport aérien stratégi-
que. Il se pourrait bien que les exigences en trans-
port aĂ©rien stratĂ©gique soient aujourdâhui supĂ©rieu-
res Ă celles des annĂ©es 1990, Ă©poque oĂč le
programme du C-17 a Ă©tĂ© ramenĂ© de 210 appareils Ă
ce quâil est aujourdâhui, Ă savoir 120 appareils seu-
lement. Les capacités du C-17 à se poser sur des
pistes courtes en font un avion de transport Ă la fois
stratégique et tactique. Ou plus exactement, il est le
premier avion de transport capable de déploiements
stratégiques sur des théùtres rustiques, comme au
Kosovo.
De la mĂȘme maniĂšre, les cahiers des charges
des AWACS, JSTARS, « Rivet Joint » et autres
appareils dâappui et de guerre Ă©lectronique ont Ă©tĂ©
Ă©tablis pendant la Guerre Froide ou avant que les
caractéristiques de la période actuelle ne soient
clairement perceptibles. Ces appareils ont été
conçus pour opérer en liaison avec de nombreux
avions de combat alors quâaujourdâhui ils sont
engagés au profit de trÚs petites formations en mis-
sions dâinterdiction de survol, voire pratiquement
seuls dans des missions de collecte du renseigne-
ment dans le cadre de la lutte contre la drogue.
Comme pour le C-17, il est vraisemblable quâune
véritable estimation des besoins actuels conduirait
Ă accroĂźtre la flotte de ce type dâavions au-delĂ de
ce qui Ă©tait admis du temps de la Guerre Froide. En
somme, le processus de reconstruction de lâarmĂ©e
de lâAir actuelle, outre quâil doit compenser le
« taux dâattrition » des F-15 et des F-16 et poursui-
vre le programme F-22, consiste tout dâabord en la
mise sur pied des diffĂ©rentes capacitĂ©s dâappui qui
viendront en complément de la flotte de combat.
Lâavion de combat interarmĂ©es aux capacitĂ©s limitĂ©es
et qui présente un haut risque technique est un obsta-
cle à une future réorganisation et un tonneau des Da-
naĂŻdes pour le budget de la DĂ©fense.
Lâavion de combat interarmĂ©es aux capacitĂ©s limitĂ©es
et qui présente un haut risque technique est un obsta-
cle à une future réorganisation et un tonneau des Da-
naĂŻdes pour le budget de la DĂ©fense.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
39
Ă©dition du 09/06/08
A la lueur de la campagne aérienne du Kosovo,
lâarmĂ©e de lâAir devrait aussi reconsidĂ©rer la ques-
tion des bombardiers stratégiques. Tant les succÚs
que les limites du B-2 au cours des opĂ©rations quâil
a conduites dans le cadre de lâopĂ©ration «
Allied
Force
» conduisent Ă penser quâon a sous-estimĂ©
lâutilitĂ© des bombardiers Ă long rayon dâaction, non
seulement dans les conflits majeurs mais aussi
dans les opérations de police et de représailles. Il
nâentre pas dans le cadre de cette Ă©tude de prĂ©ciser
sâil faut relancer les chaĂźnes de production du B-2
ou accĂ©lĂ©rer les programmes de conception dâun
nouveau bombardier qui pourrait ĂȘtre un appareil
sans pilote. Dans le mĂȘme temps, il est peu vrai-
semblable que la flotte de bombardiers actuelle,
essentiellement constituĂ©e de B-1B et dâune flotte
de B-52 vieillissante et timorée ainsi que des quel-
ques B-2 qui pourront ĂȘtre disponibles pour des
opérations conventionnelles, soit la mieux adaptée
pour faire face Ă ces besoins nouveaux.
Pour tendre vers lâobjectif qui consiste Ă ĂȘtre
une force Ă portĂ©e rĂ©ellement planĂ©taire â et qui
tienne dans la durĂ©e â lâarmĂ©e de lâAir se doit de
rebĂątir sa flotte de ravitailleurs. Quelles que soient
les capacitĂ©s des bombardiers Ă lâallonge stratĂ©gi-
que
11
, soutenir une campagne aérienne de grande
envergure revient inĂ©vitablement Ă sâappuyer sur
des avions tactiques. Comme lâa montrĂ© la campa-
gne du Kosovo, la capacité en ravitaillement aérien
est souvent le caractÚre restrictif de ces opérations
de grande envergure. La doctrine actuelle de lâar-
mĂ©e de lâAir, qui consiste Ă mettre en Ćuvre des
ravitailleurs qui ont soixante-quinze ans dâĂąge
12
,
est incompatible avec la mise sur pied dâune flotte
Ă lâallonge planĂ©taire.
Enfin, il faudrait que lâarmĂ©e de lâAir em-
ploie une partie de lâaugmentation de son budget
et les Ă©conomies quâelle ferait en abandonnant le
programme dâavion de combat interarmĂ©es pour
accélérer sa réorganisation interne et y inclure de
nouvelles capacités spatiales. La capacité à accéder
Ă lâespace, Ă y opĂ©rer et Ă dominer le thĂ©Ăątre aĂ©-
rospatial est devenu le passage obligé de la guerre
moderne de haute technicité. En fait, comme nous
lâabordons plus loin, la maĂźtrise de lâespace peut
sâavĂ©rer si primordiale pour la dĂ©fense de la prĂ©Ă©-
minence militaire des Ătats-Unis quâelle pourrait
imposer la crĂ©ation dâune nouvelle armĂ©e distincte
des trois autres. La façon dont lâarmĂ©e de lâAir
relÚvera les nombreux défis qui se présentent à elle,
mĂȘme si on augmente ses budgets, fera beaucoup
pour déterminer si les forces armées américaines
garderont ou non les capacités de combat qui sont
les leurs aujourdâhui.
Une nouvelle route pour la Marine
La fin de la Guerre Froide laisse la Marine
américaine dans une situation de suprématie ab-
solue en haute mer, domination qui dépasse celle
mĂȘme de la Marine britannique au XIXĂšme
siÚcle et au début du XXÚme. Maintenant que ce
qui reste de la Marine soviétique rouille dans les
ports, la haute mer appartient Ă lâAmĂ©rique et les
lignes de communication sont ouvertes des cĂŽtes
des Ătats-Unis Ă lâEurope, au Golfe Persique et Ă
lâAsie orientale. Pourtant, ce succĂšs mĂȘme conduit
Ă devoir remettre en question lâarticulation actuelle
de cette force. De plus, les progrĂšs des techniques
de frappes de précision peuvent vouloir dire que
les unités de combat de surface et en particulier
les porte-avions Ă grand pont dâenvol qui sont les
unités de premier plan de la Marine ne survivront
pas aux guerres de haute technicité des décennies
à venir. Enfin, la nature et le schéma des missions
de prĂ©sence navale pourraient bien ĂȘtre en dĂ©ca-
lage avec les réalités stratégiques. En somme, bien
que la Marine nâait pas dâĂ©gale aujourdâhui, ses
concepts dâopĂ©rations qui ont conduit Ă dâincontes-
tables succÚs dans le passé doivent faire face à des
défis majeurs.
Comme pour lâarmĂ©e de Terre, la capacitĂ© de
la Marine Ă relever ces dĂ©fis sâest trouvĂ©e encore
plus obérée par le rythme élevé des opérations ac-
tuelles. Comme exposé dans la premiÚre section
du prĂ©sent rapport, la Marine a rompu lâĂ©quilibre
entre le service en mer et le service Ă terre, mettant
11 Il faut faire ici la diffĂ©rence entre les bombardiers stratĂ©giques qui emportent des armes stratĂ©giques â en lâoccurrence des armes nuclĂ©aires
et/ou thermonuclĂ©aires, en ce qui concerne les Ătats-Unis â et les avions capables dâintervenir Ă une distance stratĂ©gique, câest-Ă -dire nâimporte oĂč
dans le monde. Les trois niveaux dâengagement militaire sont : lâĂ©chelon
tactique
qui porte sur la zone de combat de la ligne de front, lâ
opératif
qui
porte sur lâensemble du thĂ©Ăątre dâopĂ©ration de la bataille en cours et le
stratégique
qui permet de frapper lâadversaire dans ses forces vives civiles
et militaires avant quâelles aient commencĂ© leur approche du thĂ©Ăątre dâopĂ©ration, câest-Ă -dire dans son pays, mĂȘme si celui-ci est situĂ© de lâautre
cÎté de la planÚte.
12 Il sâagit des ravitailleurs KC 135 Stratotanker conçus sur des plates-formes de Boeing 707 de premiĂšre gĂ©nĂ©ration, mis en service en 1957.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
40
Ă©dition du 09/06/08
la pression sur ses marins et compliquant les cycles
dâentraĂźnement. Les unitĂ©s Ă terre ne disposent plus
du personnel, du matériel ni des occasions néces-
saires Ă lâentraĂźnement. Ce qui fait que lorsquâelles
partent en service en mer, elles ont un niveau de
prĂ©paration infĂ©rieur Ă celui quâelles avaient aupa-
ravant. La modernisation a, elle aussi, fait les frais
du maintien du niveau opérationnel des unités en
mer lors de la réduction des moyens de la Défense
intervenue au cours de la derniÚre décennie.
Comme lâa rĂ©cemment reconnu H. Lee Buchanan,
autorité supérieure des approvi-
sionnements de la Marine,
« AprÚs la montée en puissance
des années 80, nous avons à la
fin de la Guerre Froide complĂš-
tement cessé la modernisation
pour financer la capacité opéra-
tionnelle Ă court terme [et]âŠ
notre ligne budgĂ©taire dâappro-
visionnement a plongé de 70 %.
Il en est résulté un vieillissement
du matĂ©riel de base de la force et trĂšs peu dâinves-
tissements dans la modernisation. » DâaprĂšs lâAmi-
ral Jay Johnson, Sous-chef
13
Opérations de la Ma-
rine qui a pris récemment sa retraite, la Marine des
Ătats-Unis est en danger de se retrouver avec une
flotte dont le nombre dâunitĂ©s aura glissĂ© au-des-
sous de 300 bateaux, ce qui ferait courir « un risque
inacceptable » Ă lâexĂ©cution des missions quâimpose
la stratégie militaire nationale. Malheureusement,
ajoute-t-il, « Le rythme de construction des navires
ne suffit pas Ă ne serait-ce que maintenir ce nombre
dâunitĂ©s pour les dĂ©cennies Ă venir. »
Il en résulte que la Marine essaie de remplir
un éventail complet de missions de présence en
employant des unités de combat conçues pour les
derniĂšres annĂ©es de la Guerre Froide. Il faut quâelle
sâengage dans un processus compliquĂ© de remise Ă
niveau et de rĂ©organisation. Une dĂ©cennie dâinten-
sification des opérations et de réduction des inves-
tissements a mis à genou les flottes qui ont gagné
la Guerre Froide. Les nouvelles missions exigent de
nouvelles mĂ©thodes et de nouveaux schĂ©mas dâopĂ©-
rations, avec un accent sur lâAsie orientale. Pour
faire face aux besoins stratégiques actuels en puis-
sance navale, il faut reconstruire la Marine selon le
nouveau cahier des charges présenté ci-aprÚs :
Sâadapter au glissement progressif du recentre-
ment des soucis stratégiques américains vers
lâAsie orientale, une grande partie de la flotte
comprenant deux tiers de groupes aéronavals
devant ĂȘtre concentrĂ©s dans le Pacifique . CrĂ©er
une nouvelle base avancée permanente en Asie
du Sud-Est .
La Marine doit entamer une mutation qui la
rende moins dépendante des opérations aérona-
vales et réduire sa flotte de 12 à 9 porte-avions
dans les six années à venir . Il faut imposer un
moratoire sur la construction de porte-avions
aprĂšs lâachĂšvement du CVN-77, ce qui permettra
Ă la Marine de conserver une force de 9 porte-
avions jusquâen 2025 . Il faut continuer les Ă©tudes
sur un futur porte-avion CNX mais orientées
vers une Ă©volution radicale visant Ă introduire
la mise en Ćuvre dâune escadre composĂ©e es-
sentiellement dâaĂ©ronefs sans pilote . Il faut que
la Marine mĂšne Ă son terme le programme F/A-
18E/F, remette en Ă©tat et modernise ses avions
dâappui, examine lâutilitĂ© dâune version embar-
quĂ©e du F-22 de lâarmĂ©e de lâAir, mais laisse le
programme dâavion de combat interarmĂ©es au
stade dâĂ©tude jusquâĂ ce quâon comprenne mieux
quelles seront les conséquences de la révolution
dans le domaine militaire pour la guerre navale .
Pour compenser la réduction du rÎle des porte-
avions, il faut que la Marine accroisse légÚre-
ment ses flottes actuelles de bateaux de combat
de surface et de sous-marins pour améliorer ses
capacités de frappe le long des cÎtes et remplir
un nombre accru de missions de présence en
liaison avec des groupements tactiques de
surface . Il faut aussi investir davantage dans la
guerre antimine .
Ătat des lieux de la Marine actuelle
La premiĂšre mesure Ă prendre pour conserver
la prĂ©Ă©minence maritime actuelle des Ătats-Unis
est de remettre Ă niveau aussi rapidement que pos-
sible la flotte actuelle. Bien que le déploiement de
la Marine aujourdâhui nâait pas aussi profondĂ©ment
Ă©voluĂ© que celui de lâarmĂ©e de Terre ou de lâarmĂ©e
de lâAir â les diverses branches de la Marine se sont
âą
âą
âą
La Marine
doit réduire
sa grande
dépendance
vis-Ă -vis des
opérations
aéronavales.
La Marine
doit réduire
sa grande
dépendance
vis-Ă -vis des
opérations
aéronavales.
13 Le sous-chef OpĂ©rations dâun Ă©tat-major est lâofficier responsable des opĂ©rations. On le nomme « sous-chef » par apocope de « sous-chef
dâĂ©tat-major pour les opĂ©rations. Il est un des subordonnĂ©s directs du Chef dâĂ©tat-major de la Marine qui est lui lâamiral commandant les forces
navales. La traduction littĂ©rale de lâexpression amĂ©ricaine serait « chef des opĂ©rations », mais en français, cela aurait un autre sens que celui de
« sous-chef Opérations ». (NdT)
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
41
Ă©dition du 09/06/08
depuis longtemps dotĂ©es dâun personnel entraĂźnĂ© et
du matériel adapté aux rigueurs de longs déploie-
ments en mer â le nombre des missions a augmentĂ©
alors que le volume de la Marine sâest rĂ©duit. La
Marine fait face Ă un problĂšme dâĂ©quipement en
navires et de modernisation encore plus grave qui,
sâil nâest pas pris en compte immĂ©diatement, alour-
dira cette crise dans la décennie à venir.
Ainsi, comme les autres armées, la Marine
est de plus en plus mal préparée aux missions ac-
tuelles et Ă venir. Depuis plusieurs annĂ©es, lâamiral
Johnson a admis quâelle « nâa jamais Ă©tĂ© dimension-
née pour conduire deux guerres sur deux théùtres
majeurs différents », ce qui signifie que, depuis la
rĂ©duction de lâeffort de dĂ©fense, la Marine nâest pas
assez puissante pour répondre aux exigences de la
stratĂ©gie militaire nationale actuelle. DâaprĂšs John-
son, « lâEtude Quadriennale de DĂ©fense a conclu
quâune flotte dâun peu moins de 300 unitĂ©s suffit
aux besoins Ă court terme et se trouve en risque
acceptable. Toutefois, depuis lors, trois années
dâopĂ©rations Ă une cadence Ă©levĂ©e conduisent Ă
conclure que ce volume de la flotte ne permettra
pas de faire longtemps face au rythme actuel de
campagnes ».
MĂȘme si la taille de la Marine est tombĂ©e Ă Ă
peine plus de la moitiĂ© de celle quâelle avait pen-
dant la Guerre Froide, le rythme des opérations
sâest tellement accru quâelle connaĂźt des difficultĂ©s
en matiÚre de capacité opérationnelle et de niveau
des effectifs. Ces difficultés sont telles que les for-
ces navales prépositionnées, les groupes aérona-
vals de porte-avions qui sont actuellement le cĆur
de la mission de présence de la Marine, partent
en mer en grave sous-effectif. Lorsque le groupe
aéronaval du porte-avions
USS Lincoln
a tiré des
missiles de croisiĂšre Tomahawk sur des camps de
terroristes en Afghanistan et sur ce quâon pensait
ĂȘtre une usine dâarmes chimiques au Soudan, il
comptait 12 % de personnel en moins par rapport
Ă son prĂ©cĂ©dent dĂ©ploiement. De la mĂȘme façon,
au cours de la confrontation de 1998 avec lâIraq, la
Marine a dĂ©pĂȘchĂ© trois porte-avions dans le Golfe
Persique. Lâ
USS George Washington
sâest dĂ©ployĂ©
dans le Golfe avec 4 600 hommes, presque 1 000
de moins que lors de sa précédente mission dans
la région deux ans auparavant. Le porte-avions
USS Independence
, envoyé sur court préavis
depuis sa base permanente au Japon, a appareillé
avec seulement 4 200 hommes et a eu besoin dâun
renfort dâurgence dâenviron 80 marins rien que
pour pouvoir armer les postes de combat. Lâ
USS
Nimitz
, déjà dans le Golfe, comptait 400 hommes
de moins que lors de sa précédente mission. La
Marine a Ă©galement dĂ» lancer deux appels urgents
Ă des volontaires dans le port dâattache du bateau.
Il sâagit lĂ dâune tendance inquiĂ©tante.
Aujourdâhui plus que jamais, les opĂ©rations de
la Marine américaine tournent autour du groupe
aĂ©ronaval de porte-avions. En fait, la capacitĂ© Ă
mener des opérations complémentaires, voire des
entraßnements indépendants des opérations de
groupe aéronaval, est de plus en plus réduite. Or
le processus qui consiste à rassembler les éléments
dâun groupe aĂ©ronaval, le porte-avions lui-mĂȘme,
son escadre aérienne, ses escorteurs, ses sous-
marins et le groupe amphibie que lui fournit le
corps des Marines, devient aussi un défi difficile
Ă relever.
Amener un groupe aéronaval au niveau élevé
de capacitĂ© opĂ©rationnelle quâexigent les dĂ©ploie-
ments en mer est une tĂąche complexe et qui de-
mande de la rigueur et met en jeu des dizaines de
milliers de personnes sur une période de dix-huit
mois. Officiellement appelĂ©e « cycle dâentraĂźnement
inter déploiement » et plus souvent surnommée « la
baignoire », cette période est déterminante pour
lâaptitude opĂ©rationnelle en mer. Il faut revoir et
remettre à niveau le matériel, affecter et réaffecter
le personnel et conduire lâentraĂźnement des savoir-
faire individuels jusquâaux opĂ©rations complexe
du groupe aéronaval. Les restrictions et les coupes
que connaissent les cycles inter déploiement ont
pour consĂ©quence une diminution de lâaptitude
opérationnelle en mer. Et, ce qui est essentiel et de
la derniĂšre importance pour la santĂ© dâune force
entiÚrement composée de volontaires, les marins
doivent recréer les liens et les relations avec leurs
familles qui leur permettent de se concentrer sur
leurs missions quand ils sont en mer.
Les chefs de la Marine ont beau avoir récem-
ment mis lâaccent sur les coupes dans cet entraĂźne-
ment inter déploiements, il est évident que le report
des opĂ©rations dâentretien et des entraĂźnements a
un effet nĂ©faste croissant sur lâaptitude opĂ©ration-
nelle en mer. Par suite, les groupements tactiques
navals sont obligés de conduire leur entraßnement
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
42
Ă©dition du 09/06/08
en cours de mission faute de lâavoir fait avant lâap-
pareillage. Et avec 52 % de ses bateaux Ă flot, en
comptant ceux qui sont Ă lâentraĂźnement et 33 %
effectivement déployés en mer, à comparer avec les
normes de 42 % en mer dont 21 % en opérations,
les chefs de la Marine observent une réduction de
leurs groupes aéronavals en jouant sur le nombre
des escorteurs. Le plus inquiétant est que se réduit
la capacité de la Marine à lancer des flottes impor-
tantes en temps de guerre â ce quâexige le contrat
dâune capacitĂ© Ă conduire deux guerres. Comme
lâa dĂ©clarĂ© lâAmiral Johnson au CongrĂšs :
Pratiquement nâimporte quel scĂ©nario de guerre
sur un théùtre majeur exigerait le déploiement
rapide de forces depuis les Ătats-Unis. En
raison de la profondeur toujours plus grande de
la « baignoire » dans notre posture de capacité
opérationnelle, il est trÚs
vraisemblable que ces
forces de deuxiĂšme
Ă©chelon nâatteindraient
pas assez rapidement le
volume souhaité. Des
soucis quant Ă lâaptitude
opérationnelle des unités
en base arriÚre ont été
un facteur déterminant
de la conclusion du Chef
dâĂ©tat-major des ArmĂ©es,
ce qui lâa conduit Ă faire passer son Ă©valuation
du risque dâun scĂ©nario de deux guerres du
niveau « modéré à élevé ».
Cette évaluation a incité le successeur de Jo-
hnson, lâAmiral Vernon Clark, ancien commandant
de la flotte de lâAtlantique qui a Ă©tĂ© confirmĂ© en
juin comme Sous-chef OpĂ©rations de la Marine, Ă
esquisser une réallocation majeure des ressources
en vue dâamĂ©liorer lâaptitude opĂ©rationnelle des
groupes aĂ©ronavals ; celle-ci nâa pourtant atteint
que le niveau « C-2 », ce qui est loin du maximum.
« Pour moi, lâaptitude opĂ©rationnelle est LA prio-
rité » a déclaré Clark dans son exposé de confir-
mation. « Cela revient simplement à prendre soin
dâune Marine dans laquelle le peuple amĂ©ricain
sâest dĂ©jĂ investi ».
Seulement, si Clark Ă raison Ă propos des
difficultés croissantes de la Marine à conserver
son niveau opérationnel actuel, un nuage encore
plus sombre se profile Ă lâhorizon. La « vacance
dâachats » de la Marine au cours de la derniĂšre
décennie a laissé cette armée face à un sérieux pro-
blĂšme dâobsolescence gĂ©nĂ©rale pour les dix ans Ă
venir. Si on ne renverse pas la tendance, la Marine
sera trop petite pour faire face Ă ses engagements
dans le monde. Tant dans son programme de navi-
res majeurs que dans son programme dâaĂ©ronefs,
la Marine a acheté trop peu de moyens de soutien
mĂȘme pour la flotte rĂ©duite de lâaprĂšs Guerre Froide
que lâEtude Quadriennale de DĂ©fense a envisagĂ©e.
Le rĂ©sultat de lâexpansion importante de la
Marine, qui est montée à prÚs de 600 navires dans
les années Reagan, et de la réduction qui a suivi au
cours des années 1990, est que la Marine actuelle
qui a tout juste un peu plus de 300 bĂątiments se
compose de bateaux relativement récents. Ce qui
fait que le faible taux dâĂ©quipement de la derniĂšre
dĂ©cennie nâa pas encore eu
dâeffet dramatique sur la flotte.
Si lâon considĂšre la vie « nor-
male » dâun bateau comme
Ă©tant de 30 Ă 35 ans, il suffit
dâacheter 8 Ă 10 bateaux par an
pour conserver le niveau actuel
de 300 bĂątiments. La demande
budgĂ©taire pour 2001 de lâad-
ministration Reagan est de 8
bateaux ; câest la premiĂšre fois
que le nombre est aussi élevé
depuis plusieurs années. Et le plan à long terme de
lâadministration serait dâacheter 39 bĂątiments sur 5
ans, ce qui est loin du taux de remplacement sou-
haitable, mais représente un progrÚs par rapport
aux budgets récents de la Marine.
Cependant, cette amĂ©lioration nâest quâap-
parente. La légÚre augmentation du taux de
renouvellement des navires se fait par lâachat de
cargos à un coût moins élevé, et dont le prix qui
est ordinairement de 300 Ă 400 millions de dollars
est à comparer au milliard de dollars que coûte un
sous-marin dâattaque ou un contre-torpilleur de la
classe
Arleigh Burke
, ou aux six milliards de dollars
dâun porte-avions. Selon une analyse du Service
de Recherches du CongrĂšs, le plan dâĂ©quipement
de lâadministration comprend des cargos inutiles
« acquis à un taux qui dépasse le rythme fixé du
remplacement des navires auxiliaires ». Le taux de
remplacement des navires auxiliaires est dâenviron
1,5 par an, or lâadministration a prĂ©vu dâen acheter
un en 2001, trois en 2002 et en 2003, deux en 2004
Johnson
Johnson
La Marine
connaĂźt un
« déficit de
modernisation
qui va bientĂŽt
approcher les
100 milliards de
dollars ».
La Marine
connaĂźt un
« déficit de
modernisation
qui va bientĂŽt
approcher les
100 milliards de
dollars ».
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
43
Ă©dition du 09/06/08
et en 2005. Alors quâelle achĂšte trop de navires auxi-
liaires Ă bon marchĂ©, lâadministration se procure
trop peu de navires de combat comme le montre
lâĂ©tat de la flotte de sous-marins. En 1997, la flotte
de 72 bĂątiments dâattaque de la Marine Ă©tait insuf-
fisante pour faire face aux besoins opérationnels ;
or, au mĂȘme moment, lâEtude Quadriennale de DĂ©-
fense appelait à une nouvelle réduction de la flotte
de sous-marins dâattaque pour la faire descendre Ă
50 unités. Depuis lors, ces nouvelles réductions de
la flotte de sous-marins ont aggravé le problÚme.
Comme lâa dĂ©clarĂ© lâannĂ©e derniĂšre au SĂ©nat lâAmi-
ral Malcolm Fages, sous-chef dâĂ©tat-major chargĂ©
du programme des sous-marins, « Nous sommes
passĂ©s dâune flotte visant Ă rĂ©pondre aux besoins
Ă une structure Ă valeur rĂ©duite. Aujourdâhui, nous
avons beau disposer de 58 sous-marins dans notre
flotte, nous nâen avons pas assez pour remplir les
missions quâon nous confie ».
Il nâest pas non plus vraisemblable que la
Marine soit en mesure dâenrayer lâhĂ©morragie de
ses sous-marins dâattaque. Selon la planification
actuelle, la Marine nâaurait acquis que 10 nouveaux
sous-marins dâattaque pour la pĂ©riode qui court de
1990 Ă 2005. Seulement, le taux de remplacement
pour une flotte de 50 sous-marins aurait dĂ» impo-
ser lâacquisition de 23 Ă 27 bateaux au cours de la
mĂȘme pĂ©riode. En somme, la Marine connaĂźt un
« déficit » de renouvellement de 13 à 17 bateaux, ne
serait-ce que pour seulement conserver une flotte
qui reste trop peu importante pour faire face aux
besoins opĂ©rationnels et stratĂ©giques. DâaprĂšs la loi
de programmation budgĂ©taire de lâadministration,
la Marine nâenvisage pas de construire plus dâun
nouveau sous-marin dâattaque par an. En considĂ©-
rant que la durĂ©e de vie dâun sous-marin nuclĂ©aire
dâattaque est de trente ans, la flotte amĂ©ricaine de
sous-marins tombera Ă 24 unitĂ©s dâici 2025.
La flotte de navires de combat de surface de la
Marine connaĂźt le mĂȘme dilemme que sa flotte de
sous-marins : elle est trop rĂ©duite pour faire face Ă
ses missions actuelles et, au moment oĂč se dĂ©velop-
pent les systÚmes maritimes de défense antimissile,
la marine de surface se trouve face Ă nombre de
nouvelles missions pour lesquelles elle nâest pas
préparée. Pour ces raisons, la Marine a préparé
un nouveau rapport intitulé
Ătude du niveau de la
flotte de combat de surface
, arguant du fait que le
besoin réel en navires de combat de surface est de
138 unitĂ©s, Ă comparer aux 116 que prĂŽne lâEtude
Quadriennale de DĂ©fense. Par comparaison, la Ma-
rine disposait de 203 bateaux de combat de surface
en 1990 et lâadministration Bush [celle du premier
président Bush (NdT)] prévoyait 141 bateaux.
LâannĂ©e derniĂšre [en 1999 (NdT)], la construc-
tion accusait un « dĂ©ficit » dâenviron 26 bateaux,
avant mĂȘme quâon ait intĂ©grĂ© les besoins en nou-
velles missions comme celle du tir de missiles ba-
listiques. Pour rester Ă un niveau de 300 bateaux, il
faut que la Marine passe commande de 8,6 navires
par an. Pourtant, selon la planification de lâadmi-
nistration, elle aura acheté 85 unités entre 1993 et
2005, ce qui reprĂ©sente un taux dâinvestissement
de 6,5 bateaux par an. Les taux fixés auraient exigé
lâacquisition de 111 bĂątiments, selon lâanalyse du
Service de Recherche du CongrĂšs. Une fois que le
grand nombre de bateaux achetés au cours des an-
nées 80 arrivera en fin de vie, la Marine se réduira
rapidement et il sera difficile de rester Ă un niveau
de 250 bĂątiments.
Comme pour les navires de surface et les sous-
marins, la flotte dâavions de la Marine vit sur les
acquis des achats faits au cours de la montée en
puissance des annĂ©es Reagan. La moyenne dâĂąge
des avions de la Marine est de 16 ans et demi et
sâĂ©lĂšve ans cesse. Alors quâon remet Ă niveau les
F-14 et les F-18 de la Marine, la moyenne dâĂąge
est plus parlante pour les avions dâappui. Le projet
de la Marine de remettre Ă niveau lâavion de lutte
anti-sous-marine P-3C va repousser la durée de
vie de lâOrion jusquâĂ 50 ans. LâĂąge moyen de la
flotte est actuellement de 21 ans. Le E-2 Hawkeye,
lâĂ©quivalent de lâAWACS pour la Marine, est sorti
dans les années 1960. Le S-3B Viking est un autre
avion indispensable Ă nombre dâopĂ©rations aĂ©ro-
navales. Il a 23 ans dâĂąge et nâest plus produit. Et
le EA-6 Prowler est aujourdâhui lâavion de guerre
Ă©lectronique quâemploient toutes les armĂ©es
14
et
on le considĂšre maintenant comme un appareil
interarmées et non plus comme une plate-forme
14 Les armĂ©es des Ătats-Unis, câest-Ă -dire lâarmĂ©e de Terre, lâarmĂ©e de lâAir, la Marine et le Corps des Marines. (NdT).
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
44
Ă©dition du 09/06/08
simplement marine. LâopĂ©ration
Allied Force
a mis
à contribution 60 des 90 EA-6 opérationnels à ce
moment-lĂ . Les projets actuels de la Marine sont
de remettre Ă niveau les 123 carcasses de Prowler
qui existent en remplaçant la tranche centrale des
ailes sur cet avion des annĂ©es 1960 et dâamĂ©liorer
son avionique. Aucune armée (voir note sur la dé-
finition du mot « armĂ©e ») nâa lancĂ© de programme
dâavion de guerre Ă©lectronique.
15
ConsĂ©quence de 10 annĂ©es de vacance dâin-
vestissement, une Marine trop peu étoffée pour
faire face Ă nombre de ses missions actuelles est
en train de sâavancer vers une crise de moderni-
sation. En fait, elle pourrait bien déjà accuser un
« déficit de modernisation » qui va bientÎt atteindre
les 100 milliards de dollars en ce qui concerne les
navires de surface, les sous-marins et les avions.
Alors quâon demande Ă la Marine de remplir de
nouvelles missions supplémentaires comme la
défense antimissile balistique. Des rythmes accrus
dâopĂ©rations, des problĂšmes dâeffectifs et dâentraĂź-
nement ainsi que des carences en piÚces détachées
ont rĂ©duit lâaptitude opĂ©rationnelle de la Marine.
Quoi quâon fasse, elle est actuellement incapable
de faire face au nombre croissant de missions quâon
lui confie, encore moins de sâadapter au schĂ©ma de
la nouvelle guerre navale.
De nouveaux schémas de déploiement
Pourtant, la revitalisation de la Marine va né-
cessiter plus quâune amĂ©lioration de lâaptitude opĂ©ra-
tionnelle et quâune recapitalisation. Il faut Ă©galement
reconsidĂ©rer sa structure et ses modes dâopĂ©rations
Ă la lueur des nouvelles rĂ©alitĂ©s stratĂ©giques. Dâune
façon générale, il faut que ceci reflÚte une accentua-
tion des opérations dans le Pacifique occidental et
une rĂ©duction de lâaccent mis sur les porte-avions.
Comme nous en avons débattu plus haut, il
est vraisemblable que lâaccent de la stratĂ©gie de
sĂ©curitĂ© amĂ©ricaine glisse vers lâAsie orientale.
Cela reflÚte les succÚs de la stratégie américaine
au XXe siĂšcle, et en particulier ceux de lâalliance
de lâOtan durant la Guerre Froide qui a Ă©tabli ce
qui paraĂźt gĂ©nĂ©ralement ĂȘtre une paix stable et du-
rable en Europe. Le nouveau problĂšme urgent de la
sĂ©curitĂ© en Europe, lâinstabilitĂ© en Europe du Sud-
Est, sera mieux maßtrisé par des actions de stabi-
lisation dans les Balkans conduites par des forces
terrestres des Ătats-Unis et de lâOtan appuyĂ©es par
des unités aériennes positionnées sur place. De la
mĂȘme façon, les nouvelles conditions favorables Ă
la stabilité en Europe que créera la future extension
de lâOtan reposeront dâabord sur des forces terres-
tres et aĂ©riennes prĂ©positionnĂ©es. Ătant donnĂ© que
le pĂ©rimĂštre de sĂ©curitĂ© des Ătats-Unis en Europe
se dĂ©place vers lâest, ce schĂ©ma va perdurer alors
que les forces maritimes ont un rĂŽle important Ă
jouer dans la Baltique, en Méditerranée orientale
et quâelles ne cesseront pas de soutenir et dâappuyer
les opĂ©rations de lâAmĂ©rique et de lâOtan Ă terre.
De la mĂȘme façon, alors quâil est vraisembla-
ble que le Moyen-Orient et le Golfe Persique restent
des zones de turbulences et dâinstabilitĂ©, la prĂ©-
sence accrue des forces américaines terrestres et
aériennes prépositionnées marque une évolution
notable par rapport aux années 1980 durant les-
quelles les forces navales portaient lâĂ©crasant far-
deau de la présence militaire américaine dans la
région.Bien que la
Marine soit appelée
Ă rester un parte-
naire
important
dans le Golfe et
pour les opérations
dans la zone, on
peut maintenant ré-
partir plus Ă©quita-
blement la charge
entre les différentes
armĂ©es. Et dâaprĂšs
la posture de force
décrite au précédent
chapitre, la politique
américaine à venir
devrait tendre Ă
renforcer la présen-
ce militaire dans la
région ou à proxi-
mité. Cependant,
comme sa structure
Le missile de croisiĂšre Tomahawk
a Ă©tĂ© lâarme de prĂ©dilection de la
Marine au cours des frappes des
récentes opérations.
Le missile de croisiĂšre Tomahawk
a Ă©tĂ© lâarme de prĂ©dilection de la
Marine au cours des frappes des
récentes opérations.
15 Le problĂšme ne se pose pas quâaux Ătats-Unis. La fonction Guerre Ă©lectronique est une nĂ©cessitĂ© opĂ©rationnelle pour toutes les armĂ©es,
mais les besoins restent spĂ©cifiques et diffĂšrent entre la Marine, lâarmĂ©e de lâAir et lâarmĂ©e de Terre. Aucune ne veut donc financer un projet par
elle-mĂȘme. En France, la question reste un dĂ©bat entre la Marine et lâarmĂ©e de lâAir. Les Ă©quipes de lâarmĂ©e de Terre se font hĂ©berger une fois sur
un avion de la Marine, une fois sur un avion de lâarmĂ©e de lâAir, mais souvent pour des missions ponctuelles et limitĂ©es dans le temps.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
45
Ă©dition du 09/06/08
actuelle, en particulier celle de ses groupes aérona-
vals, est dimensionnée pour les nécessités des
opĂ©rations dans le Golfe, le recul de lâimportance
des forces navales dans cette zone aura un impact
sur la composition de toute la Marine.
Ainsi, la prioritĂ© de la Marine des Ătats-Unis
en matiĂšre dâopĂ©rations devrait glisser de plus en
plus vers lâAsie orientale. Non seulement ce thĂ©Ăątre
prend de plus en plus dâimportance dans la stratĂ©-
gie américaine et dans le maintien de la préémi-
nence des Ătats-Unis , mais encore câest le thĂ©Ăątre
dâopĂ©rations dans lequel les forces navales appor-
teront leur principale contribution. Comme nous
lâavons soulignĂ© Ă plusieurs reprises, il faudrait que
les Ătats-Unis cherchent Ă Ă©tablir, ou rĂ©tablir, une
présence navale énergique en Asie du Sud-Est,
marquĂ©e par un port dâattache semi-permanent Ă
long terme dans la rĂ©gion, peut-ĂȘtre aux Philippi-
nes, en Australie ou les deux. Au cours de la pro-
chaine décennie, il faudrait que cette présence de-
vienne approximativement lâĂ©quivalent des forces
navales stationnées au Japon, à savoir 17 navires
articulés autour du groupe aéronaval du
Kitty Hawk
et du groupe amphibie
Belleau Wood
.
16
LâidĂ©al se-
rait de renforcer ces forces prépositionnées au
Japon et Ă terme en Asie du Sud-Est par dâautres
navires de combat de surface. En effet, il faudrait
rĂ©affecter lâun des groupes aĂ©ronavals actuellement
basĂ©s sur la cĂŽte ouest des Ătats-Unis au thĂ©Ăątre
dâopĂ©rations de lâAsie orientale.
Les forces navales tournantes forment le gros
de la Marine amĂ©ricaine. Comme nous lâindiquons
plus haut, ce sont les besoins des commandants
en chef régionaux en matiÚre de présence navale,
tels quâils ont Ă©tĂ© dĂ©finis par lâĂtude Quadriennale
de DĂ©fense de 1997, qui dimensionnent la flotte
actuelle. Et la Marine ainsi que le ministĂšre de la
DĂ©fense ont dĂ©fini la notion de prĂ©sence dâabord en
terme de groupes aéronavals. La nécessité actuelle
de conserver environ trois groupes aéronavals
Ă©quivaut Ă une dotation globale de 11 porte-avions
â auxquels il faut ajouter un porte-avion dĂ©diĂ© Ă
lâinstruction et Ă lâentraĂźnement. En rĂ©alitĂ©, le taux
des forces Ă dĂ©ployer est aujourdâhui plus Ă©levĂ©, car
la Marine compte toujours les forces stationnées
au Japon comme Ă©tant « dĂ©ployĂ©es » mĂȘmes lors-
quâelles ne sont pas en mer. De plus, Ă cause des
dĂ©lais de transit et dâautres critĂšres, la proportion
de porte-avions déployés dans le Golfe Persique
est de 1 pour 5.
Quoique la combinaison de porte-avions et de
groupes amphibies de la Marine offre de grandes
perspectives dâefficacitĂ© aux commandants dâopĂ©-
rations, il est loin dâĂȘtre sĂ»r que lâapproche monoli-
thique de la Marine soit adaptée à toutes les situa-
tions inopinĂ©es ou Ă toutes les missions quâauraient
aujourdâhui Ă remplir les forces amĂ©ricaines. Tout
dâabord, il faudrait revoir et rĂ©duire les missions
de « déploiement du drapeau » que remplissent
les porte-avions. La Marine a raison dâaffirmer,
comme nous lâavons citĂ© plus haut, quâ« il est im-
portant de faire acte de présence » pour rassurer
les alliĂ©s des Ătats-Unis et intimider dâĂ©ventuels
adversaires. Seulement, dans les endroits oĂč les
intĂ©rĂȘts stratĂ©giques amĂ©ricains sont bien pris en
compte, en particulier en Europe et dans le Golfe
persique, ou bien en Corée, la possibilité de baser
des forces Ă terre compense la nĂ©cessitĂ© dâune
présence navale.
Plus important encore, le rĂŽle des porte-avions
en opération de guerre est certainement en train
dâĂ©voluer. Alors que lâaviation embarquĂ©e a encore
un grand rÎle à jouer dans les opérations navales,
ce rĂŽle devient relativement moins important. Une
étude sur les opérations postérieures à la Guerre
Froide conduite par lâarmĂ©e amĂ©ricaine rĂ©vĂšle un
Bien que lâaviation embarquĂ©e ait encore un grand
rÎle à jouer dans les opérations navales, ce rÎle perd
de son importance.
Bien que lâaviation embarquĂ©e ait encore un grand
rÎle à jouer dans les opérations navales, ce rÎle perd
de son importance.
16
Belleau Wood
se traduit en français par Bois Belleau, lieu de bataille oĂč se sont illustrĂ©s pour la premiĂšre fois en Europe les soldats du Corps
des
US Marines
, au cours de la PremiÚre Guerre Mondiale. Il faut savoir à quel point les traditions du Corps des Marines sont influencées par les
combats en France, et lâamour mythique de la France qui sous-tend la vie militaire de ce corps dâĂ©lite. (NdT).
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
46
Ă©dition du 09/06/08
fait saillant : les porte-avions ont presque toujours
jouĂ© un rĂŽle secondaire. LâopĂ©ration
Just Cause
au
Panama a été presque exclusivement une opération
aéroterrestre. La guerre du Golfe, qui est de loin
lâopĂ©ration la plus importante de la derniĂšre dĂ©-
cennie, a mis en jeu des éléments significatifs des
différentes armées, mais la campagne aérienne a
dâabord Ă©tĂ© une prestation de lâarmĂ©e de lâAir, et
lâarmĂ©e de Terre a jouĂ© le rĂŽle central de lâopĂ©ration
terrestre. Les opĂ©rations dâinterdiction de survol
postérieures à la guerre ont souvent mis à contri-
bution des avions de la Marine, mais ils Ă©taient lĂ
pour allĂ©ger la charge qui pesait sur lâarmĂ©e de
lâAir, laquelle a assurĂ© la majeure partie des sorties
au cours de ces opérations. La Marine a aussi pris
part aux frappes pĂ©riodiques sur lâIraq mais dans
la plus importante dâentre elles, lâopĂ©ration
Desert
Fox
de décembre 1998, les avions de la Marine
nâavaient pas lâautonomie suffisante pour atteindre
certains objectifs et nâont pas Ă©tĂ© engagĂ©s pour trai-
ter des objectifs fortement défendus. Ces missions
sont maintenant remplies presque exclusivement
par des avions furtifs ou des missiles de croisiĂšre.
De la mĂȘme façon, au cours de lâopĂ©ration
Allied
Force
, les avions de la Marine ont joué un rÎle de
renforts. Et, bien sûr, ni la Marine, ni les unités du
Corps des Marines nâont jouĂ© de rĂŽle significatif
dans les opérations de maintien de la paix en Bos-
nie-Herzégovine ou au Kosovo.
La seule opération récente dans laquelle les
forces navales et notamment les porte-avions aient
joué un rÎle essentiel est aussi une préfiguration
de ce que sera la future Marine : le déploiement de
deux groupes aéronavals au large de Taiwan lors
de lâaffaire du « blocus antimissile » des Chinois en
1996. Il faut souligner plusieurs Ă©lĂ©ments. Dâabord,
la crise est survenue en Asie orientale, dans le
Pacifique occidental. Ainsi la Marine Ă©tait-elle
positionnĂ©e et prĂȘte Ă la riposte. Non seulement la
VIIe flotte a été la premiÚre sur place, mais encore
il aurait été difficile de déployer et de soutenir des
forces terrestres ou des aérodromes de campagne.
DeuxiĂšmement, lâennemi potentiel Ă©tait la Chine. Le
Pentagone avait beau avoir envisagĂ© quâun conflit
majeur dans la région serait centré sur la Corée
â oĂč une fois de plus ce seraient lâarmĂ©e de Terre
et lâarmĂ©e de lâAir prĂ©positionnĂ©es qui joueraient
vraisemblablement le rĂŽle principal â la crise de
Taiwan a Ă©tĂ© peut-ĂȘtre plus emblĂ©matique de ce qui
se passerait Ă plus long terme. Il est une troisiĂšme
question à laquelle il est difficile de répondre : en
fait, quâauraient Ă©tĂ© capables de faire ces groupes
aĂ©ronavals en cas dâescalade ou de dĂ©clenchement
des hostilités ? Si les Chinois avaient effective-
ment pris pour objectifs les missiles installĂ©s Ă
Taiwan, on peut douter que le systÚme de défense
antiaérienne
Aegis
installé à bord des croiseurs et
des contre-torpilleurs des groupes aéronavals eus-
sent assuré une défense efficace. Des frappes de
représailles contre les forces chinoises conduites
par des avions embarqués ou des missiles de croi-
siĂšre auraient pu ĂȘtre une deuxiĂšme option, mais
une option problĂ©matique. Et mĂȘme au cours de
récentes opérations de frappes conduites ailleurs,
les frappes initiales auraient certainement mis en
Ćuvre exclusivement des missiles de croisiĂšre, ou
peut-ĂȘtre des missiles de croisiĂšre et des avions
furtifs basés à terre.
Ainsi, alors quâil faudrait accroĂźtre la prĂ©sence
navale dans le Pacifique occidental, y compris celle
quâassurent les porte-avions, il faudrait que la Ma-
rine se mette a remplir nombre de ses missions de
prĂ©sence au moyen dâautres
types de groupes navals arti-
culés autour de croiseurs, de
contre-torpilleurs et dâautres
navires de combat de surface
ainsi que de sous-marins. En
fait, la Marine doit mieux
prendre en compte la néces-
sitĂ© de disposer dâun nombre
substantiel de plates-formes
de tir de missiles de croisiĂšre
en mer et à proximité des
points chauds régionaux ;
quitte Ă employer les porte-
avions et leurs appareils embarqués comme éléments
de renfort. De plus, le besoin réduit en aviation em-
barquée sur le théùtre européen et dans le Golfe
conduit Ă conclure quâon peut rĂ©duire les Ă©lĂ©ments Ă
base de porte-avions de la flotte de lâAtlantique.
Donc, en plus des deux groupes aéronavals préposi-
tionnés que nous avons recommandés plus haut, il
faudrait que la Marine conserve une flotte complé-
mentaire de trois porte-avions dâactive plus un de
rĂ©serve en port dâattache sur la cĂŽte ouest des Ătats-
Unis et une flotte de trois porte-avions dans lâAtlan-
tique. Cela représente en tout une réduction de trois
du nombre de porte-avions.
La flotte de
surface de la
Marine nâest pas
dimensionnée
pour faire face Ă
la planification
et aux besoins
actuels, ni aux
missions Ă
venir de défense
antimissile.
La flotte de
surface de la
Marine nâest pas
dimensionnée
pour faire face Ă
la planification
et aux besoins
actuels, ni aux
missions Ă
venir de défense
antimissile.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
47
Ă©dition du 09/06/08
Toutefois, il faut compenser la réduction du
nombre de porte-avions par un accroissement du
nombre de navires de combat de surface, de sous-
marins et aussi du nombre de bateaux de soutien
et dâappui pour remplir les fonctions logistiques
que les porte-avions assurent pour lâensemble dâun
groupe naval. Comme nous lâavons soulignĂ© plus
haut, la flotte de surface est déjà trop faible en
nombre pour faire face aux besoins actuels et doit
monter en puissance pour faire face aux besoins de
la défense en mer contre les missiles balistiques. De
plus, il est vraisemblable que la flotte de frégates
de la Marine ne sera plus adaptée trÚs longtemps
et il faut que la Marine reconsidĂšre ses besoins en
navires plus petits et moins sophistiqués visant
à répondre aux missions de présence et autres
missions de circonstance de moindre importance.
Les patrouilles le long des limites du périmÚtre
maritime de sĂ©curitĂ© des Ătats-Unis, comprenant
un rÎle important en matiÚre de défense contre
les missiles de théùtre, nécessiteront une flotte de
navires de surface forte de 150 unités de combat.
Il faut aussi Ă©largir la flotte de sous-marins
dâattaque de la Marine. LâĂtude Quadriennale
de DĂ©fense nâa pas pleinement pris en compte
nombre des besoins réels des sous-marins dans
les missions de recueil du renseignement et en
tant que plates-formes de tir de missiles de croi-
siĂšre. Il faudra un certain temps pour comprendre
comment les besoins des sous-marins vont Ă©voluer
pour tenir compte des changements dans la flotte
de porte-avions. En conséquence, la prévision
actuelle dâune flotte de cinquante unitĂ©s est de
loin trop faible, quelle que soit la façon dont on
fait les comptes. Toutefois, comme câest le cas pour
les navires de surface, il faut mettre en balance le
besoin dâaugmentation de la flotte avec la nĂ©cessitĂ©
de lancer de nouvelles classes de bĂątiments aux
capacités accrues. On ne sait pas si les générations
actuelles et programmĂ©es de sous-marins dâatta-
que (sans parler des nouveaux sous-marins lance-
missiles balistiques) auront la souplesse nécessaire
pour rĂ©pondre aux exigences de lâavenir. Il faudrait
que la Marine revoie le cahier des charges de ses
sous-marins, non seulement Ă la lueur des missions
actuelles, mais aussi avec une vision Ă©largie des
possibles futures missions.
Enfin, il ne faut pas que la réduction du nom-
bre de porte-avions sâaccompagne dâune rĂ©duction
proportionnelle du nombre des escadres dâavions
embarquĂ©s. Dâores et dĂ©jĂ , la Marine nâentretient
que 10 escadres aériennes, structure trop faible
pour les besoins actuels de la flotte de porte-avi-
ons, en particulier si lâon tient compte du vieillis-
sement rapide des avions de la Marine. Les vieux
chasseurs comme les F-14 ont reçu de nouvelles
missions, et lâavion multirĂŽle F-18 se fatigue plus
vite que ce Ă quoi lâon sâattendait en raison dâun
taux dâutilisation plus Ă©levĂ© que prĂ©vu et dâun
emploi qui est source dâusure prĂ©maturĂ©e. MĂȘme
si la Marine ne faisait que cesser dĂšs maintenant
de sâĂ©quiper en porte-avions, elle pourrait conser-
ver une flotte de neuf porte-avions jusquâen 2025,
en supposant quâon construise le CNV-77 dĂ©jĂ
programmé dans les budgets de Défense actuels.
Il faut conserver une petite flotte de porte-avions
Ă un haut niveau dâaptitude opĂ©rationnelle quand
elle est au mouillage. Il en va de mĂȘme pour les
escadres aériennes de la Marine.
Le Corps des Marines :
retour vers le futur
Au cours de la plus grande partie du siĂšcle
Ă©coulĂ©, les Ătats-Unis ont entretenu le plus grand
corps de fusiliers marins
17
de tous les pays. Le
Corps des US Marines, avec sa structure Ă trois
divisions imposée par la loi et fort de 170 000
hommes, compte plus dâeffectifs que la plupart
des forces terrestres dans le monde. Son lien Ă©troit
avec la Marine â sans parler de sa propre force
aérienne trÚs sophistiquée- lui confÚre une extraor-
dinaire mobilité et une extraordinaire puissance de
combat. Il a beau avoir été réduit de 15 % depuis
la fin de la Guerre Froide, le Corps des Marines
a acquis de nouvelles capacités, notamment en
matiĂšre dâopĂ©rations spĂ©ciales et plus rĂ©cemment
en matiĂšre de ripostes aux frappes chimiques et
biologiques. Cette facultĂ© dâadaptation jointe Ă des
17 Je rappelle quâĂ la diffĂ©rence des troupes de marine françaises qui appartiennent Ă lâarmĂ©e de Terre, le Corps des US Marines appartient Ă la
Marine des Ătats-Unis dont il constitue un Ă©lĂ©ment organique avec son propre commandement exercĂ© par le Commandant des Marines. En anglais,
on utilise le terme français de Commandant au lieu du terme anglais de
Commander
. Câest pour Ă©viter la confusion avec le grade de
commander
qui se traduit en français par capitaine de corvette, mais aussi et surtout par tradition, en raison de lâattachement de ce corps dâĂ©lite au souvenir de
ses premiĂšres batailles glorieuses en France au cours de la PremiĂšre guerre mondiale.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
48
Ă©dition du 09/06/08
déploiements intenses fait du Corps des Marines un
outil apprĂ©ciable de maintien de lâinfluence planĂ©-
taire et de la prĂ©Ă©minence militaire des Ătats-Unis.
Lorsquâils sont en mer, les Marines sont capables Ă
la fois de réagir relativement vite en temps de crise
et de rester à terre pendant de longues périodes.
Pourtant, alors que ce volumineux Corps de
Marines prĂ©sente un intĂ©rĂȘt incomparable pour
une puissance mondiale comme les Ătats-Unis, il
faut bien comprendre quâil ne fait que remplir une
niche parmi lâensemble des capacitĂ©s que requiert
la prééminence militaire américaine. Il manque
au Corps les capacités avancées et endurantes
de lâarmĂ©e de Terre, les capacitĂ©s de frappes de
prĂ©cision Ă haute puissance de lâarmĂ©e de lâAir et,
sans la coopération avec la Marine, il manque de
puissance de feu. Pour rendre au corps des Marines
sa vigueur, il faudra non seulement investir dans
les nouveaux Ă©quipements qui lui font cruellement
dĂ©faut et rĂ©tablir ses effectifs Ă un niveau dâenviron
200 000 hommes ; mais, là encore, cela dépendra
de la capacité des Marines à se concentrer sur leur
mission principale dâinfanterie de marine, mission
dont lâimportance est remise en avant dans la stra-
tégie de sécurité américaine.
Comme la Marine, le Corps des Marines doit
mettre lâaccent sur les exigences des opĂ©rations
en Asie orientale, dont lâAsie du Sud-Est. Par de
nombreux aspects, il sâagira lĂ dâune mission de
« retour vers le futur » pour les Marines, rappelant
les innovations conceptuelles de la période de
lâentre-deux guerres mondiales qui a vu sâaffirmer
leur maĂźtrise en matiĂšre dâopĂ©rations amphibies
et de débarquement. Cela leur imposera pourtant
dâabandonner certaines de leurs capacitĂ©s actuelles
âcomme les chars lourds et lâartillerie â acquises
dans les derniers temps de la Guerre Froide. Cela
imposera aussi aux Marines dâacquĂ©rir la capacitĂ©
de mieux travailler en coopération avec les autres
armĂ©es, et notamment avec lâarmĂ©e de Terre et
lâarmĂ©e de lâAir, dâapporter des amĂ©liorations Ă
leurs transmissions, à leurs liaisons numériques et
aux autres systÚmes indispensables aux opérations
interarmées complexes, et évidemment de parti-
ciper à des exercices interarmées plus fréquents.
Ces nouvelles missions et ces besoins nouveaux
vont rendre plus impérative la modernisation du
Corps des Marines, en particulier par lâacquisition
du V-22 Osprey, appareil Ă rotor pivotant, qui ac-
croßtra sa portée opérationnelle. Et, ainsi que nous
lâavons Ă©voquĂ© plus en dĂ©tail dans notre passage
sur lâĂ©volution, il faut que le Corps des Marines se
penche désormais sur la vulnérabilité des navires
de surface dans les conflits Ă venir. Pour conserver
son rÎle unique et précieux, le Corps des Marines
devrait :
Croßtre en volume pour permettre le préposition-
nement dâune seconde
Unité Expéditionnaire de
Marines
18
(Marine Expeditionary Unit, MEU)
en Asie orientale . Il faudrait baser cette MEU en
Asie du Sud-Est aux cÎtés du groupe aéronaval
redéployé que nous avons évoqué plus haut .
De la mĂȘme façon, il faudrait le renforcer de
25 000 hommes pour améliorer la condition du
personnel des unités de Marines, en particulier
celle des unitĂ©s qui sont Ă lâinstruction et Ă lâen-
traĂźnement dans les garnisons .
Se réorganiser pour créer des unités plus légÚres
avec plus dâinfanterie et une meilleure apti-
tude aux opérations interarmées, notamment
en incluant lâappui feu dâautres armĂ©es dans les
opérations des Marines . Il faudrait que le Corps
reconsidÚre sa structure et celle de ses unités
pour se débarrasser des fonctions marginales .
AccĂ©lĂ©rer lâacquisition de lâaĂ©ronef V-22 et du
VĂ©hicule dâAssaut Amphibie AvancĂ©
19
pour amé-
liorer la manĆuvre bateau de dĂ©barquement/
littoral et augmenter sa mobilité et sa portée
tactique .
Ătat des lieux du Corps des Marines
Comme la Marine, le Corps des US Marines
souffre dâune trop forte charge par rapport Ă ses
capacitĂ©s et dâun manque de ressources. Bien que
les Commandants successifs du Corps aient eu
tendance Ă mettre lâaccent sur les problĂšmes de
modernisation des Marines, lâinstruction, lâentraĂź-
nement et lâaptitude opĂ©rationnelle des unitĂ©s qui
ne sont pas réellement déployées ont également ré-
gressé. On doute de plus en plus de la capacité des
Marines Ă engager la grande force qui a amplement
âą
âą
âą
âą
18 Il sâagit dâun corps expĂ©ditionnaire du volume dâune brigade avec des unitĂ©s amphibies de dĂ©barquement et des appuis aĂ©ronavals. Les MEU
dĂ©pendent de MEFs (Marine Expeditionary Forces) qui ont le volume dâune petite division.(NdT)
19
Advanced Amphibious Assault Vehicle
. Il sâagit dâun vĂ©hicule « lĂ©ger » de combat et de transport de troupes qui se meut rapidement sur lâeau
en déjaugeant grùce à un systÚme hydroglisseur. (NdT)
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
49
Ă©dition du 09/06/08
contribué à la campagne terrestre de la guerre du
Golfe. De tous les chefs dâĂ©tat-major dâarmĂ©e, le
GĂ©nĂ©ral dâarmĂ©e Charles Krulak, ancien Comman-
dant du Corps des Marines récemment admis en
deuxiÚme section, a été le premier à reconnaßtre
publiquement que cette force nâest pas en mesure
de remplir les missions quâexige dâelle la stratĂ©gie
militaire nationale.
Comme la Marine, le Corps des Marines paie
le prix de la disponibilité opérationnelle tournante
en termes dâentraĂźnement Ă terre, de modernisation
et de qualité de vie. Les chefs du Corps des Mari-
nes soulignent quâune grande partie du problĂšme
vient du vieillissement de lâĂ©quipement : « Nos
problĂšmes actuels ont pour origine le fait que nous
tirons, et avons tirĂ©, sur les rares ressources â hom-
mes, budgets, matĂ©riel â pour essayer de garder
opérationnels notre vieux matériel et nos vieux
systĂšmes dâarmes », a expliquĂ© Krulak au CongrĂšs
peu de temps avant son adieu aux armes.
La plus grande partie du matériel des Marines
sert bien au-delà de la durée de vie pour laquelle
il a été conçu. Et bien que le Corps ait largement
investi dans des programmes visant Ă allonger la
durĂ©e de vie de ces systĂšmes dâarmes, les taux de
disponibilité du matériel chutent au sein de cette
armĂ©e. Le matĂ©riel des Marines sâuse rapidement
Ă cause de lâeffet corrosif de lâeau de mer sur le
mĂ©tal et lâĂ©lectronique. MĂȘme un Ă©lĂ©ment relati-
vement moderne de lâarsenal des Marines comme
le LAV (Light Armored Vehicle, Véhicule Blindé
LĂ©ger, Ă©quivalent dâun gros VAB français. [NdT])
en ressent les effets. En 1995, les Marines ont
lancĂ© un programme dâinspection et de rĂ©paration
uniquement en cas de besoin qui concernait le
LAV. Ils ont détecté un accroissement de 25 % du
coĂ»t dâentretien par vĂ©hicule et un accroissement
de 46 % du nombre dâengins qui avaient besoin
de réparations. Dans le cas de certaines unités
de Marines, la plus grande difficulté réside dans
la disponibilitĂ© des piĂšces dĂ©tachĂ©es, mĂȘme en
pĂ©riode dâentretien et de remise en condition. Ă
Camp Lejeune
20
, en Caroline du Nord, les officiers
et sous-officiers des services techniques vont pres-
que tous les jours Ă Fort Bragg
21
, situé à proximité,
pour chercher des piÚces à destination de véhicules
indisponibles, comme le HMMWV (High Mobility
Multipurpose Wheeled Vehicle, plus connu sous le
nom de Hummer, ou Hummvee [NdT]). Cela est lié
au fait que les Marines sont équipés de la version la
plus ancienne du HMMWV qui nâest plus produite
pour lâarmĂ©e de Terre. Faire des Ă©changes avec la
82
e
Airborne est la façon la plus habituelle de se
procurer la piĂšce dont on a besoin.
Mais si le souci premier du Corps des Marines
rĂ©side encore dans le matĂ©riel, ce corps dâarmĂ©e
nâest pas exempt de soucis dâeffectifs et dâinstruc-
tion qui touchent les autres armées. Confronté non
seulement Ă lâemploi du
temps exigeant des six mois
traditionnels de déploiement
en mer mais aussi Ă une
charge toujours croissante de
missions inopinées, la « bai-
gnoire dâinaptitude » inter
sĂ©jours sâest creusĂ©e et il est
devenu de plus en plus diffi-
cile dâen sortir. Comme la
Marine, le Corps des Mari-
nes a dĂ» tailler dans le vif de son instruction Ă
terre, en particulier dans lâacquisition des savoir-
faire Ă©lĂ©mentaires qui sont la base de lâaptitude
LâOsprey V-22 va accroĂźtre la vitesse et la portĂ©e
dâengagement des Marines.
LâOsprey V-22 va accroĂźtre la vitesse et la portĂ©e
dâengagement des Marines.
Il faudrait que
le ministĂšre
de la Marine
22
augmente son
budget de 100 Ă
110 milliards de
dollars chaque
année.
Il faudrait que
le ministĂšre
de la Marine
22
augmente son
budget de 100 Ă
110 milliards de
dollars chaque
année.
20 Camp Lejeune, prĂšs de Fayetteville, est la maison mĂšre du Corps des Marines, sa vitrine, un peu comme Saint-Cyr pour lâarmĂ©e de Terre
française, Brest pour la Marine, Salon de Provence pour lâarmĂ©e de lâAir.
21 Fort Bragg est la garnison des forces spĂ©ciales de lâArmĂ©e de terre amĂ©ricaine et de la 82
e
division aéroportée, la fameuse «
82
nd
Airborne
Division
». (NdT).
22 Comme en France autrefois, la Marine dispose dâun ministĂšre Ă part, entitĂ© particuliĂšre au sein du Pentagone.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
50
Ă©dition du 09/06/08
opĂ©rationnelle dâune unitĂ©. Il faut mĂȘme parfois
envoyer de plus petits éléments pour aider des
unitĂ©s en phase dâinstruction ou pour prendre part
à leurs exercices. Souvent, des unités de Marines
vont ĂȘtre obligĂ©es dâenvoyer des unitĂ©s en sous-
effectif sur des exercices majeurs à tir réel ou dans
des manĆuvres qui Ă©taient autrefois les contrĂŽles
dâaptitude opĂ©rationnelle avant dĂ©ploiement. De
plus, dâimportantes unitĂ©s de Marines nâont pas la
puissance dâinfanterie dont elles disposaient autre-
fois. Les Divisions de Marines disposent de moins
de fusiliers quâautrefois, vu que lâeffectif global du
Corps des Marines est passé de 197 000 à 172 000
hommes. Comme lâavait recommandĂ© lâEtude
Quadriennale de DĂ©fense, le nombre de bataillons
dâinfanterie de la division est passĂ© de 11 Ă 9 et les
droits ouverts en personnel de la division sont
passés de 19 161 à 15 816 hommes.
Les budgets de la Marine
et du Corps des Marines
La demande budgétaire de 2001 du Président
Clinton comptait 91,7 milliards de dollars pour le
ministĂšre de la Marine. Ce chiffre regroupe les
budgets de la Marine et du Corps des Marines.
Cela représente une augmentation par rapport
aux 87,2 milliards accordés par le CongrÚs en
2000, mais une forte baisse par rapport aux 107
milliards de 1992, le premier budget depuis la fin
de la Guerre Froide.
La rĂ©duction des budgets dâĂ©quipement du
ministĂšre de la Marine est aussi dramatique. Pour
2000, lâadministration a demandĂ© un peu moins de
22 milliards pour lâĂ©quipement de la Marine et du
Corps des Marines. De 1994 Ă 1997, le point bas de
la « vacance dâinvestissement », les budgets dâĂ©qui-
pement du ministĂšre ont atteint une moyenne de
tout juste 17 milliards. Par comparaison, au cours
des années Bush, il y a eu en moyenne une dotation
de 35 milliards pour lâĂ©quipement de la Marine.
Au cours des années de la montée en puissance
de Reagan â comparaison acceptable, Ă©tant donnĂ©
le besoin de réaugmenter le volume de la Marine
â les budgets dâĂ©quipement de la Marine Ă©taient en
moyenne de 43 milliards.
Pour réorganiser la Marine comme nous
lâavons prĂ©sentĂ© plus haut, il faudrait que son mi-
nistÚre augmente en tout ses dépenses de 100 à 110
milliards de dollars. Câest lĂ©gĂšrement plus que les
niveaux de dĂ©penses quâavait prĂ©vus lâadministra-
tion Bush en fin de mandat et câest nĂ©cessaire pour
intensifier la construction de navires et de sous-
marins. AprÚs plusieurs années, cela compensera
partiellement le moratoire sur la construction de
porte-avions et de maintien du programme dâĂ©tu-
des sur lâavion de combat interarmĂ©es. Pourtant, il
faudra davantage que des accroissements minimes
de ses budgets pour entretenir une Marine capable
de dominer les mers libres, dâassurer une puissance
de feu efficace aux opérations interarmées à terre et
lui permettre de sâadapter Ă la future guerre navale,
bref, pour garder une Marine capable de protéger
la prĂ©Ă©minence maritime des Ătats-Unis.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
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Ă©dition du 09/06/08
v
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RĂ©eR
lA
foRce
dominAnte
de
demAin
Pour préserver la prééminence militaire
américaine dans les décennies à venir, le minis-
tĂšre de la DĂ©fense doit se montrer plus offensif
dans lâexpĂ©rimentation de nouvelles techniques
et de nouveaux concepts opérationnels, et cher-
cher à mieux tirer profit de la révolution qui se
profile dans le domaine militaire. Les techniques
de lâinformation, en particulier, sont en train de
devenir une composante de plus en plus déter-
minante des systĂšmes militaires modernes. Ces
techniques de lâinformation ont le mĂȘme impact
sur les armées que sur le monde en général. La
révolution dans le domaine militaire va avoir
des conséquences profondes sur la maniÚre de
conduire les guerres, sur le genre dâarmes qui
domineront le champ de bataille et inévitable-
ment sur les pays qui jouiront de la prééminence
militaire.
Les Ătats-Unis ont tout espoir dâĂȘtre Ă la tĂȘte
de cette Ă©volution. En fait, ce sont les progrĂšs ac-
complis en matiÚre de capacités durant la montée
en puissance de la Défense américaine pendant
les annĂ©es Reagan qui ont laissĂ© entrevoir quâune
révolution était en cours dans le domaine militai-
re ; ce qui a Ă©tĂ© confirmĂ© au cours de lâopĂ©ration
Desert Storm
. Dans le mĂȘme temps, le processus
dâĂ©volution des armĂ©es va offrir aux adversaires
de lâAmĂ©rique lâoccasion de se doter de nouvelles
capacités, posant de nouveaux défis à la préémi-
nence militaire américaine.
En outre, contraint par des budgets réduits
et lâurgence des missions prĂ©sentes, le Pentagone
a vu ses financements dâexpĂ©rimentations et
dâadaptation Ă©touffĂ©s ces derniĂšres annĂ©es. Les
dépenses militaires de recherche et de déve-
loppement ont été dramatiquement réduites au
cours de la derniÚre décennie. En fait, au milieu
des annĂ©es 1980, pĂ©riode oĂč le ministĂšre Ă©tait en
plein dans la montée en puissance des années
Reagan qui consistait dâabord en un effort pour
Ă©tendre les forces traditionnelles et faire entrer
en service des systĂšmes dâarmes traditionnels,
les dépenses de recherche représentaient 20 %
de lâensemble des budgets du Pentagone. Par
comparaison, les recherches et mises au point
se montent aujourdâhui Ă 8 % des dĂ©penses de
dĂ©fense. En outre, ce montant rĂ©duit sert dâabord
Ă remettre Ă niveau les armes actuelles. Sâils
nâaccroissent pas les investissements en recher-
che fondamentale, les Ătats-Unis seront dans
lâincapacitĂ© de tirer profit de la rĂ©volution dans
le domaine militaire et de préserver leur avance
technique sur les champs de bataille du futur.
Tout effort dâadaptation doit sâinscrire dans
le cadre plus large de la stratégie nationale de
sĂ©curitĂ© des Ătats-Unis, des missions des armĂ©es
et des budgets de dĂ©fense. Les Ătats-Unis ne
peuvent se contenter de
déclarer une « pause stra-
tĂ©gique » pendant quâils
expérimentent de nouvel-
les techniques et de nou-
veaux concepts opération-
nels. Ils ne peuvent pas
non plus décider de pour-
suivre une stratégie
dâadaptation qui dissocie-
rait les intĂ©rĂȘts de lâAmĂ©-
rique de ceux de ses alliés.
Ainsi, une stratégie
dâadaptation qui viserait
la capacité de projection
de lâarmĂ©e depuis les
seuls Ătats-Unis, par
exemple, et ferait lâim-
passe sur le préposition-
nement et la présence, se-
rait en désaccord avec les
buts plus larges de la politique américaine ; elle
jetterait le trouble chez nos alliés.
La RĂ©volution
dans le domaine
militaire va avoir
des conséquences
profondes sur
la maniĂšre de
conduire les
guerres, sur le
genre dâarmes
qui domineront le
champ de bataille
et inévitablement
sur les pays qui
jouiront de la
prééminence
militaire.
La RĂ©volution
dans le domaine
militaire va avoir
des conséquences
profondes sur
la maniĂšre de
conduire les
guerres, sur le
genre dâarmes
qui domineront le
champ de bataille
et inévitablement
sur les pays qui
jouiront de la
prééminence
militaire.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
52
Ă©dition du 09/06/08
En outre, le processus de reconversion, mĂȘme
sâil introduit un changement radical, sera vraisem-
blablement long, Ă moins dâun Ă©vĂ©nement catas-
trophique jouant le rĂŽle de catalyseur â comme un
nouveau Pearl Harbor. La politique intérieure et la
politique industrielle conditionneront le rythme
et le contenu de la reconversion autant que les
exigences que posent les nouvelles missions. La
décision de suspendre la construction de porte-
avions ou de lâabandonner comme le prĂ©conise le
prĂ©sent rapport et comme le justifie lâorientation
claire de lâindustrie militaire, entraĂźnera de grands
bouleversements. De la mĂȘme façon, des systĂš-
mes dâarmes qui entrent aujourdâhui en phase de
production, comme le chasseur F-22 par exemple,
feront partie des tableaux de dotation des armées
pendant plusieurs décennies. Une gestion avisée
de ce processus consistera dans une large mesure Ă
choisir le bon moment pour arrĂȘter la production de
lâarmement qui correspond au paradigme actuel et
évoluer vers des concepts radicalement différents.
Les dépenses liées à certains programmes peuvent
ĂȘtre une pierre dâachoppement pour un processus
dâĂ©volution plus Ă©tendu â le programme dâavion de
combat interarmĂ©es, avec un total dâenviron 200
milliards de dollars, semble un investissement
inconsidéré. Ainsi, le présent rapport plaide pour
une Ă©volution en deux temps, transition puis trans-
formation, au cours des prochaines décennies.
Dâune maniĂšre gĂ©nĂ©rale, pour maintenir
la prééminence militaire américaine qui est le
corollaire de la stratégie de domination mondiale
des Ătats-Unis, il faut que les forces armĂ©es amĂ©-
ricaines de demain remplissent trois nouvelles
missions :
Une défense antimissile mondiale . Il faut établir
un réseau contre les frappes limitées, capable
de protĂ©ger les Ătats-Unis, leurs alliĂ©s et les
forces prépositionnées . Il doit se présenter sous
la forme dâun systĂšme stratifiĂ© intĂ©grant des
composantes terrestres, maritimes, aériennes et
spatiales .
ContrĂŽler lâespace et le cyberespace . Tout comme
le contrĂŽle de la haute mer â et la protection du
commerce international â dĂ©finissaient autrefois
les puissances mondiales, le contrĂŽle du nou-
veau domaine commun sera la clef du pouvoir
mondial Ă lâavenir . Une AmĂ©rique incapable de
protĂ©ger ses intĂ©rĂȘts ou ceux de ses alliĂ©s dans
âą
âą
lâespace ou dans lâ« infosphĂšre » aurait les plus
grandes difficultés à exercer une domination
politique mondiale,
Poursuivre une stratĂ©gie dâadaptation des forces
conventionnelles en deux temps . En mettant Ă
profit la « révolution dans le domaine militaire »,
le Pentagone doit ĂȘtre guidĂ© par les missions
invariables des forces armées américaines . Ce
processus comportera deux phases : une tran-
sition, qui verra la mise en Ćuvre Ă la fois de
systĂšmes actuels et de systĂšmes nouveaux, et une
vĂ©ritable transformation mettant en Ćuvre des
systÚmes, des articulations et des concepts opé-
rationnels entiĂšrement nouveaux . Ce processus
doit adopter une approche par Ă©mulation, avec
des opĂ©rations dâarmĂ©es et interarmĂ©es oĂč les
armées concourent pour obtenir de nouveaux
rĂŽles et de nouvelles missions . Tout processus
dâadaptation rĂ©ussi doit ĂȘtre liĂ© aux armĂ©es qui
sont les institutions internes du ministĂšre de la
Défense ayant les compétences et la responsabi-
lité de faire coïncider les budgets et les ressources
avec les missions spécifiques .
Les défenses antimissile
Les adversaires de lâAmĂ©rique ont compris
lâintĂ©rĂȘt du missile balistique depuis la guerre du
golfe Persique de 1991. Pendant cette crise, un
missile SCUD iraquien a frappé un hangar saou-
dien oĂč dormaient des soldats amĂ©ricains, causant
le plus grand nombre de pertes de toute la guerre
en une seule frappe ; les citoyens israéliens et saou-
diens mettaient leurs masques Ă gaz dans la terreur
nocturne des attaques de SCUD ; la grande « partie
de chasse aux SCUD » sâest avĂ©rĂ©e un jeu de cache-
cache qui a mobilisĂ© une forte proportion dâavions
américains. Lorsque les missiles balistiques seront
Ă©quipĂ©s de tĂȘtes militaires portant des charges nu-
clĂ©aires, biologiques ou chimiques, mĂȘme les peti-
tes puissances rĂ©gionales disposeront dâune force
de dissuasion crĂ©dible, indĂ©pendante de lâĂ©quilibre
des forces conventionnelles. Câest pourquoi, dâaprĂšs
la CIA, nombre de régimes profondément hostiles
Ă lâAmĂ©rique â CorĂ©e du Nord, Iraq, Iran, Libye et
Syrie ⠫ possÚdent déjà ou sont en train de mettre
au point des missiles balistiques » susceptibles de
menacer les alliĂ©s des Ătats-Unis et les forces amĂ©-
ricaines dĂ©ployĂ©es outre-mer. Et lâun dâentre eux,
la Corée du Nord, est à la veille de déployer des
missiles qui pourront atteindre le sol des Ătats-
âą
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
53
Ă©dition du 09/06/08
Unis. De telles capacités présentent un grave défi
pour la paix américaine et la puissance militaire
qui la protĂšge.
Les traditionnels
traités de non-prolifé-
ration sont de peu de
poids face aux avan-
tages géopolitiques et
stratégiques de telles
armes si faciles Ă ac-
quérir. La diplomatie
de lâadministration
Clinton, Ă base de
menaces et de priĂšres,
a Ă©tĂ© incapable dâem-
pĂȘcher dâabord lâInde,
puis aussitĂŽt aprĂšs
le Pakistan, de faire
montre de leurs capa-
cités nucléaires. Les
traités internationaux
officiels comme le
traité MTCR
1
de 1987
nâont pas non plus fait
grand-chose pour en-
rayer la prolifération
des missiles, mĂȘme
quand ils Ă©taient
assortis de sanctions
américaines. En fin
de compte, lâadministration a prĂ©fĂ©rĂ© subordonner
sa politique de non-prolifération à des objectifs
régionaux plus larges et à des buts spécifiques par
pays. Ainsi, le président Clinton a-t-il déploré avoir
dĂ», en juin 1998, parce quâil trouvait la lĂ©gislation
des sanctions si contraignante, « édulcorer » les
rapports de renseignement prouvant que la Chine
avait fourni des missiles de croisiĂšre au Pakistan
pour contourner lâobligation juridique dâappliquer
des sanctions Ă PĂ©kin.
Dans le mĂȘme temps, le respect par lâadminis-
tration du traité ABM (
Anti-Ballistic Missile
) de
1972 passĂ© avec lâUnion soviĂ©tique a empĂȘchĂ© la
mise au point de défenses antimissiles balistiques
qui auraient Ă©tĂ© bien utiles. Ceci sâest vu dans les
profondes coupes budgĂ©taires â les engagements
budgétaires sur les défenses antimissile ont été plus
que divisés par deux à la fin des années 1990, ce qui
a arrĂȘtĂ© les travaux sur les intercepteurs en orbite,
rĂ©duit de 80% les fonds Ă destination dâun systĂšme
national de dĂ©fense antimissile et de 30 % ceux Ă
destination des systÚmes antimissile de théùtre. De
plus, lâadministration a coupĂ© les financements au
moment crucial oĂč les programmes individuels
commençaient à se montrer prometteurs. Seules
les mises Ă niveau de systĂšmes existants comme
le missile
Patriot
initialement conçu comme un
systÚme de défense contre les avions de chasse
à réaction et non comme un systÚme antimissile
â ont en gĂ©nĂ©ral suivi leur cours.
Plus grave a été la décision de 1993 de mettre
fin au projet «
Brilliant Pebbles
» [« Galet étince-
lant »]. Cet hĂ©ritage de lâeffort original dit « Guerre
des Ătoiles » de lâĂšre Reagan avait mĂ»ri au point
que la conception dâun intercepteur placĂ© en orbite
spatiale et capable de détruire les missiles balisti-
ques au début ou au milieu de leur vol était devenue
réalisable. Ce qui est infiniment préférable à tenter
dâatteindre des tĂȘtes militaires isolĂ©es entourĂ©es
dâun amas de leurres lors de la phase terminale de
leur vol vers leur objectif. Seulement, étant donné
quâun systĂšme installĂ© dans lâespace Ă©tait en viola-
tion du traitĂ© ABM, lâadministration a mis fin au
programme «
Brilliant Pebbles
», choisissant à la
place de continuer avec un systĂšme radar dâinter-
ception basĂ© au sol, systĂšme qui sera cher sans ĂȘtre
particuliĂšrement efficace.
Au moment oĂč lâon est sur le point de dĂ©battre
de la question de « terminaux » dâinterceptions
au sol dans une architecture élargie de défenses
antimissile, il ne mĂ©rite pas et de loin dâĂȘtre mis
en premiÚre priorité. Le premier élément de toute
dĂ©fense antimissile devrait ĂȘtre une constellation
de satellites de surveillance dotés de capteurs ca-
pables dâacquĂ©rir les missiles balistiques ennemis
dĂšs leur lancement. Une fois le missile pris en
chasse et acquis en cible, il faut que le renseigne-
ment soit diffusĂ© par lâintermĂ©diaire dâun systĂšme
de commandement mondial
2
comportant un lien
direct avec les intercepteurs. Pour faire face au
problĂšme particulier des missiles balistiques de
théùtre, il faudrait déployer également des systÚ-
Pour accroĂźtre leur effica-
citĂ©, les systĂšmes dâinter-
ception basés au sol comme
lâATHADS â le systĂšme de
défense de zone de théùtre
en haute altitude â doivent
ĂȘtre connectĂ©s Ă des systĂš-
mes mis sur orbite spatiale
Pour accroĂźtre leur effica-
citĂ©, les systĂšmes dâinter-
ception basés au sol comme
lâATHADS â le systĂšme de
défense de zone de théùtre
en haute altitude â doivent
ĂȘtre connectĂ©s Ă des systĂš-
mes mis sur orbite spatiale
1
Missile Technology Control Regime
Traité de contrÎle du régime de la technique des missiles. Ce traité interdit entre autre la vente de
missiles de croisiĂšre dâune portĂ©e supĂ©rieure Ă 300 kilomĂštres. (NdT).
2 Ce quâon nomme en Français un SIC, systĂšme informatisĂ© de commandement. (NdT).
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
54
Ă©dition du 09/06/08
mes antimissile de théùtre. En plus des systÚmes
dĂ©ployĂ©s dans lâespace, ces systĂšmes de thĂ©Ăątre
devraient comporter des dispositifs dâinterception
basĂ©s Ă terre et dâautres embarquĂ©s sur des navires,
ce qui permettrait le déploiement sur les zones de
troubles pour renforcer les systÚmes de théùtre
déjà en place et combler les trous dans les zones
oĂč il nâexiste aucun systĂšme. En outre, il faudrait
quâils soient à « double niveau », assurant aussi
bien la dĂ©fense rapprochĂ©e ponctuelle dâobjectifs
sensibles que, à un niveau supérieur, la couverture
de lâensemble du thĂ©Ăątre.
Les programmes actuels pourraient fournir la
densité nécessaire à une approche par strates de la
défense antimissile de théùtre,
bien que le financement de
chacune des composantes ait
été inadapté, en particulier en
ce qui concerne le niveau su-
périeur embarqué sur bateaux
et connu sous le nom de Pro-
gramme naval Ă lâĂ©chelle du
théùtre. La défense ponctuelle
doit ĂȘtre assurĂ©e par les missi-
les
Patriot
améliorés de 3e
génération, la version PAC-3
du missile de défense anti-aé-
rienne
Patriot
, et par le sys-
tÚme de défense de zone de la
Marine, vraisemblablement
une amélioration du systÚme
normal actuel de défense anti-aérienne et du sys-
tĂšme radar
Aegis
. Tous deux sont sur le point
dâentrer en service.
Ces dĂ©fenses de bas niveau, bien quâelles
soient en mesure de fournir une protection contre
les SCUD de base et les variantes du SCUD qui
font partie de lâarsenal de la plupart des adversai-
res actuels des Américains, sont moins efficaces
contre les missiles à plus grande portée et à plus
grande vitesse que plusieurs pays sont en train de
mettre au point. En outre, ils seront moins effica-
ces contre les missiles Ă tĂȘte militaire plus Ă©laborĂ©e
ou contre ceux qui se divisent comme le faisaient
les SCUD modifiés par les Iraquiens pendant la
guerre du Golfe. Et finalement, les défenses ponc-
tuelles, mĂȘme lorsquâelles rĂ©ussissent Ă intercepter
un missile en approche, peuvent ne pas empĂȘcher
les effets des armes de destruction massive.
DâoĂč la nĂ©cessitĂ© de disposer dâune dĂ©fense
de niveau plus élevé comme le THAAD (
Armyâs
Theater High Altitude Defense systĂšme de DĂ©fense
de ThĂ©Ăątre Ă Haute Altitude de lâarmĂ©e de Terre
)
et des systÚmes de défense de théùtre de la Marine.
Quoique monté sur un lanceur identique à celui du
Patriot
, le THAAD est un systĂšme entiĂšrement
nouveau destinĂ© Ă lâinterception des missiles balis-
tiques de moyenne portée plus tÎt au cours de leur
vol, ce quâon appelle la « mi-course ». Le systĂšme
de théùtre de la Marine est basé sur le systÚme
Aegis
avec un radar amélioré et une version plus
rapide du missile normal, bien que volontairement
ralenti pour répondre au souci des politiques en
matiÚre de violation du traité ABM. Le systÚme
THAAD a récemment été testé avec succÚs, mais
la mise au point du systÚme de théùtre de la Marine
a été entravée par un manque de financement. De
la mĂȘme façon, une cinquiĂšme composante dâun
réseau de défense de théùtre contre les missiles
balistiques, le laser embarquĂ© de lâarmĂ©e de lâAir,
a souffert de crédits insuffisants. Ce systÚme qui
consiste Ă monter un laser Ă haute Ă©nergie dans un
Boeing 747 est destinĂ© Ă lâinterception des missiles
balistiques de théùtre dans leur premiÚre phase de
vol, dite « phase dâaccĂ©lĂ©ration », au moment oĂč ils
sont le plus vulnérables.
Pour maximiser leur efficacité, il faut que ces
intercepteurs de théùtre reçoivent du renseigne-
ment dâobjectif en temps rĂ©el directement depuis
une constellation de satellites équipés de capteurs
infrarouge capables de détecter le tir des missiles
balistiques dĂšs quâils ont lieu. Le niveau dâorbite
basse du systĂšme infrarouge orbital
SBIRS Low
(Spaced Based Infrared System)
, actuellement en
cours de mise au point par lâarmĂ©e de lâAir, assu-
rera lâobservation permanente des missiles balisti-
ques dans les phases dâaccĂ©lĂ©ration, de vol et de
rentrĂ©e dans lâatmosphĂšre de lâattaque. Les radars
antimissile actuels ne peuvent distinguer les objets
quâau-dessus de lâhorizon et il faut les dĂ©ployer en
territoire ami. En conséquence, ils sont surtout ef-
ficaces dans la phase terminale du vol dâun missile
balistique. Toutefois, le
SBIRS Low
peut détecter
un missile hostile plus tĂŽt sur sa trajectoire, aug-
mentant le temps utile Ă lâinterception et lâefficacitĂ©
des intercepteurs de théùtre en fournissant à leurs
radars les donnĂ©es de dĂ©signation dâobjectif. Il
donne aussi du renseignement précis sur le point
de départ, ce qui offre aux forces de théùtre de
Le respect par
lâadministration
Clinton du
traité ABM
(Anti-Ballistic
Missile) de 1972
a empĂȘchĂ© la
mise au point
de défenses
anti missiles
balistiques qui
auraient été
bien utiles
Le respect par
lâadministration
Clinton du
traité ABM
(Anti-Ballistic
Missile) de 1972
a empĂȘchĂ© la
mise au point
de défenses
anti missiles
balistiques qui
auraient été
bien utiles
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
55
Ă©dition du 09/06/08
plus grandes possibilités de détruire les lanceurs
avant quâils ne procĂšdent Ă de nouveaux tirs. Il
existe Ă©galement un projet
SBIRS High
[SBIRS
en orbite haute (NdT)] mais les deux programmes
SBIRS ont souffert de coupes budgétaires qui vont
retarder leur mise au point de deux ans.
Mais pour avoir toute son efficacité, il faut que
ce dĂ©ploiement de satellites de dĂ©tection et dâacqui-
sition soit reliĂ© Ă un rĂ©seau mondial dâintercepteurs
ou de lasers placés en orbite. En fait, il est illusoire
de concevoir un tel systĂšme comme un systĂšme
national de dĂ©fense antimissile Ă©tant donnĂ© quâil
serait un élément fondamental des défenses de
thĂ©Ăątre qui protĂšgeraient les alliĂ©s des Ătats-Unis
ou des corps expéditionnaires déployés outre-mer
contre des armes de théùtre à plus longue portée.
Câest pourquoi lâarchitecture de dĂ©fense antimis-
sile de lâadministration Bush, qui est pratiquement
identique au réseau que nous avons décrit plus haut,
a été nommée GPALS (
Global Protection Against
Limited Strikes
, Protection mondiale contre les
frappes limitées). Par comparaison, le projet de
lâadministration Clinton de mettre au point des
défenses antimissile limitées basées sur le missile
Minuteman III
dotĂ© dâun prĂ©tendu « vĂ©hicule de
destruction exo atmosphérique »
3
est la forme la
plus difficile à réaliser techniquement, la plus chÚre
et la moins efficace forme de dispositif de défense
contre les missiles balistiques à longue portée. En
fait, le distinguo que fait lâadministration Clinton
entre la défense de théùtre et celle du territoire na-
tional est encore un héritage du traité ABM qui ne
répond pas à la situation stratégique actuelle. De
plus, en établissant le distinguo entre la défense
du territoire national et la défense de théùtre, les
projets actuels crĂ©ent un fossĂ© entre les Ătats-Unis
et leurs alliés, ce qui risque de provoquer un « dé-
couplage ». Inversement, les intĂ©rĂȘts des Ătats-Unis
vont diverger de ceux de nos alliés si les défenses
de théùtre sont en mesure de protéger nos alliés
et les forces dĂ©ployĂ©es outre-mer, alors quâelles
laissent sans protection le peuple américain sur son
propre sol.
Dans lâĂšre de lâaprĂšs-Guerre Froide, lâAmĂ©ri-
que et ses alliés sont devenus les premiers outils
de dissuasion, Ă la place de lâURSS, et ce sont des
pays comme lâIraq, lâIran et la CorĂ©e du Nord qui
souhaitent le plus se doter de moyens de dissuasion.
La projection de forces conventionnelles, voire la
simple affirmation dâune influence politique outre-
mer, sâavĂšreront beaucoup plus compliquĂ©es et se-
ront soumises Ă contraintes si le sol des Ătats-Unis
ou les territoires de nos alliés sont susceptibles
dâĂȘtre attaquĂ©s par des Ătats voyous, par ailleurs
faibles, capables de bricoler une minuscule force
à base de missiles balistiques. Le préalable au
maintien de la prĂ©Ă©minence des Ătats-Unis est la
mise sur pied Ă lâĂ©chelle mondiale dâun systĂšme de
défense antimissile efficace, solide et à plusieurs
niveaux.
Lâespace et le cyberespace
Aucun systÚme de défense antimissile ne peut
ĂȘtre pleinement efficace si lâon ne met pas des cap-
teurs et des armes dans lâespace. Ceci a beau paraĂźtre
signifier la crĂ©ation dâun champ de bataille nouveau,
lâespace a en fait Ă©tĂ© militarisĂ© au cours de la plus
grande partie des quatre derniÚres décennies. Les
satellites météorologiques, de transmissions, de
navigation et de reconnaissance, sont des éléments
de plus en plus essentiels de la puissance militaire
américaine. En fait, les forces armées américaines
dĂ©pendent entiĂšrement de lâespace. Comme lâa
conclu lâEtude StratĂ©gique InterarmĂ©es de 1996
qui a prĂ©cĂ©dĂ© lâĂtude Quadriennale de DĂ©fense de
1997, « Lâespace est dĂ©jĂ inextricablement mĂȘlĂ© aux
opérations terrestres, maritimes et aériennes ». Le
rapport de la Commission nationale de DĂ©fense a
reconnu : « Lâutilisation sans rĂ©serve de lâespace
est devenu dâintĂ©rĂȘt stratĂ©gique primordial pour
les Ătats-Unis ».
Ătant donnĂ© lâavantage dont jouissent les forces
armĂ©es amĂ©ricaines du fait de lâutilisation sans res-
triction de lâespace, câest raisonner Ă courte vue que
de penser que les adversaires potentiels se privent
de tenter dâannihiler ou de compenser les capacitĂ©s
spatiales américaines. Et avec la prolifération dans
le monde des savoir-faire spatiaux et des techniques
y-afférentes, nos adversaires vont à coup sûr tenter
de bĂ©nĂ©ficier Ă lâavenir des mĂȘmes avantages liĂ©s
Ă lâespace. De plus, le « commerce spatial » prend
une part croissante dans lâĂ©conomie mondiale. En
1996 aux Ătats-Unis, les lancements commerciaux
ont dépassé en nombre les lancements militaires et
3 Il sâagit dâun aĂ©ronef, navette sans Ă©quipage ou vĂ©hicule analogue, qui ne serait pas en orbite permanente mais serait lancĂ© en cas de
nécessité.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
56
Ă©dition du 09/06/08
les revenus commerciaux liĂ©s Ă lâespace ont Ă©tĂ© plus
Ă©levĂ©s que les dĂ©penses de lâĂtat dans le domaine
spatial. Aujourdâhui, il existe plus de 1 100 sociĂ©-
tés commerciales réparties dans plus de cinquante
pays qui mettent au point, construisent et mettent
en Ćuvre des systĂšmes spatiaux.
Nombre de ces systĂšmes spatiaux ont des
applications directement militaires, dont le ren-
seignement depuis des constellations de systĂšmes
mondiaux de localisation et des satellites Ă la
résolution en dessous du mÚtre. En fait, 95 % des
communications militaires américaines actuelles
passent par des réseaux commerciaux, dont des
satellites commerciaux. Le Commandement de
lâEspace
4
américain prévoit que dans les décennies
Ă venir :
Un adversaire aura une connaissance précise
de la situation régionale. Les forces ennemies
peuvent parfaitement connaĂźtre presque en
temps rĂ©el la disposition de toutes les forcesâŠ
En fait, les forces militaires nationales, les unités
paramilitaires, les terroristes et nâimporte lequel
des autres adversaires potentiels partageront le
haut espace avec les Ătats-Unis et leurs alliĂ©s.
Les adversaires pourront aussi disposer des
mĂȘmes services de satellites commerciaux en
matiĂšre de transmissions, dâimagerie et de
navigation⊠Le « terrain de jeu » spatial est
en train de rapidement se niveler, ce qui fait
que les forces amĂ©ricaines vont ĂȘtre de plus
en plus vulnérables. Alors que les adversaires
vont largement profiter de lâespace, perdre
la possibilitĂ© de sâen servir pourrait ĂȘtre des
plus dĂ©vastateurs pour les Ătats-Unis. Il serait
intolérable pour les forces américaines⊠de se
trouver privées de capacités spatiales.
En bref, la suprématie sans conteste dont
jouissent aujourdâhui les Ătats-Unis dans lâespace
va se trouver de plus en plus en danger. Comme
lâont Ă©crit Colin Gray et John Sheldon, « la maĂźtrise
de lâespace est un sujet quâon ne peut Ă©luder. Il ne
sâagit pas dâune option facultative ». Pour que les
forces armĂ©es amĂ©ricaines continuent dâassurer
une prĂ©Ă©minence militaire, la maĂźtrise de lâespace,
que le Commandement de lâEspace dĂ©finit comme
« la capacitĂ© Ă assurer lâaccĂšs Ă lâespace, la libertĂ©
dâaction au sein du milieu spatial et la capacitĂ© Ă
interdire aux autres lâutilisation de lâespace », doit
ĂȘtre un Ă©lĂ©ment essentiel de notre stratĂ©gie militaire.
Si lâAmĂ©rique ne peut pas conserver cette maĂźtrise,
sa capacité à mener des opérations militaires au
niveau mondial sera gravement entravée. Les coûts
seront beaucoup plus Ă©levĂ©s et la capacitĂ© dâaction
pourra se trouver définitivement compromise.
La maĂźtrise de lâespace va se compliquer de
plus en plus au fur et Ă mesure que lâactivitĂ© com-
merciale prendra de lâampleur. Les investissements
des Ătats-Unis et de leurs alliĂ©s dans les systĂšmes
spatiaux vont imposer de sécuriser et de protéger
ces dispositifs. Ils prennent déjà une part impor-
tante Ă la puissance des Ătats-Unis. Il ne suffira
pourtant pas de se contenter de protĂ©ger lâutilisa-
tion commerciale de lâespace des alliĂ©s. Comme
lâadmet aussi le Commandement de lâEspace, les
Ătats-Unis doivent aussi ĂȘtre capables dâinterdire Ă
leurs adversaires lâutilisation de plates-formes com-
merciales spatiales Ă des fins militaires en temps
de crise ou de conflit. En fait, on peut sâattendre
Ă ce que lâespace devienne le nouveau « domaine
partagĂ© international » oĂč sâentrelacent et se relient
intĂ©rĂȘts commerciaux et sĂ©curitaires. Exactement
comme lâa Ă©crit en ce sens Alfred Thayer Mahan
au début du XXe siÚcle à propos de la « puissance
Comme le montre le satellite GPS ci-dessus, lâespace
devient un nouveau « domaine partagé international »
oĂč sâentrelacent les intĂ©rĂȘts commerciaux et les intĂ©-
rĂȘts sĂ©curitaires.
Comme le montre le satellite GPS ci-dessus, lâespace
devient un nouveau « domaine partagé international »
oĂč sâentrelacent les intĂ©rĂȘts commerciaux et les intĂ©-
rĂȘts sĂ©curitaires.
4
US Space Command
ou
SPACECOM
. Il sâagit du commandement unifiĂ© dont la rĂ©gion de compĂ©tence est lâespace, au mĂȘme titre quâil
existe un
CENTCOM, Central Command
dont la zone de responsabilitĂ© est le Proche et le Moyen-Orient, plus lâĂgypte, ou un
EUCOM Europe
Command
â et non
European Command
, nuance â dont la zone de responsabilitĂ© est lâEurope et la MĂ©diterranĂ©e, plus la Turquie.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
57
Ă©dition du 09/06/08
maritime », au XXIe siÚcle, les stratÚges américains
vont bien ĂȘtre obligĂ©s de mettre la « puissance spa-
tiale » au nombre de leurs préoccupations.
Pour assurer Ă lâAmĂ©rique la maĂźtrise de lâes-
pace Ă court terme, il faut au minimum mettre au
point une forte capacité de transport de systÚmes
vers lâespace, de conduite des opĂ©rations une fois
en orbite, et dâentretien et de rĂ©cupĂ©ration de ces
systĂšmes en cas de besoin. Comme lâa soulignĂ© le
Commandement de lâEspace, la mise en Ćuvre de
ce programme compren-
drait un mélange de lanceurs
consommables et de lan-
ceurs réutilisables, de véhi-
cules spatiaux capables
dâopĂ©rer dans lâespace, y
compris « des remorqueurs
spatiaux pour déployer, re-
mettre en condition, ravi-
tailler, réviser, améliorer et
soutenir » les systÚmes spa-
tiaux. Mais Ă plus long
terme, conserver la maĂźtrise
de lâespace exigera lâusage
de la force tant dans lâespace
que depuis lâespace, com-
prenant des défenses anti-
missile sans se limiter à cela, et des systÚmes dé-
fensifs capables de protéger les satellites des
Ătats-Unis et de leurs alliĂ©s. La maĂźtrise de lâespace
ne peut se conserver dâaucune autre façon, que ce
soit par les armées conventionnelles, Terre, Air,
Mer, ou par la guerre Ă©lectronique. La politique
spatiale officielle nationale des Ătats-Unis admet
déjà cette éventualité en déclarant que « le minis-
tÚre de la Défense entretiendra la capacité de rem-
plir des missions dâappui spatial, dâimposition de la
force, de maĂźtrise de lâespace et dâ
emploi de la force
.
(Italique ajouté
5
).
En somme, la capacité de préservation de la
prééminence militaire américaine dans le futur
reposera de plus en plus sur lâaptitude Ă opĂ©rer mi-
litairement dans lâespace. Il sâagit dâune exigence
tant dâune dĂ©fense antimissile mondiale efficace
que de la projection de forces conventionnelles
Ă lâĂ©chelle de la planĂšte. Malheureusement, ni
lâadministration Clinton ni les Ă©tudes de DĂ©fense
conduites aux Ătats-Unis dans le passĂ© nâont mis
sur pied de politique cohérente ni lancé de pro-
grammes pour atteindre cet objectif.
Buts et moyens de la maĂźtrise de lâespace
Comme, de façon plus générale, les dépenses
en matiĂšre de dĂ©fense, lâĂ©tat des « forces spatiales »
américaines _ ces systÚmes nécessaires pour assu-
rer la continuitĂ© de lâaccĂšs Ă lâespace et finalement
sa maĂźtrise _ sâest dĂ©tĂ©riorĂ© au cours de la dĂ©cennie
écoulée et peu de nouvelles initiatives ou program-
mes se profilent Ă lâhorizon immĂ©diat. Lâapproche
amĂ©ricaine de lâespace a Ă©tĂ© une lente dĂ©rive.
Comme lâa dĂ©clarĂ© le GĂ©nĂ©ral dâArmĂ©e AĂ©rienne
Richard Myers, commandant en chef du SPACE-
COM : « Les capacités que nous avions du temps de
la Guerre Froide se sont atrophiĂ©es », mĂȘme si elles
conservent aujourdâhui leur importance. Et alors
que le Commandement de lâEspace a une vision
claire de ce quâil faut faire dans lâespace, il parle
tout aussi clairement de la « question des moyens ».
Comme le note succinctement le commandement,
il sâagit dâun plan Ă long terme : « Lorsque nous
mettons face à face les réalités de la dépendance
par rapport Ă lâespace et lâĂ©volution des moyens,
nous sommes devant un problÚme ».
Mais outre ce problĂšme de manque de moyens,
il sâen pose un dâordre institutionnel. En fait, cer-
taines des difficultés à maintenir la suprématie
militaire amĂ©ricaine dans lâespace rĂ©sultent dâun
« trou noir » bureaucratique qui empĂȘche la vision
du SPACECOM dâobtenir le soutien nĂ©cessaire Ă sa
mise en Ćuvre. Dâabord, la planification militaire
spatiale américaine reste liée aux vicissitudes de
la NASA. LâincapacitĂ© des Ătats-Unis Ă rĂ©duire le
coĂ»t des lancements spatiaux â ce qui est peut-ĂȘtre
le seul obstacle Ă lâamĂ©lioration gĂ©nĂ©rale des capa-
citĂ©s spatiales amĂ©ricaines â rĂ©sulte en partie des
exigences et de la prédominance des programmes
de la NASA aux cours de plusieurs des décennies
passées, plus particuliÚrement le programme de
navette spatiale. DeuxiĂšmement, au sein de la
bureaucratie de la sécurité nationale, la majorité
des dĂ©cisions dâinvestissements en matiĂšre spatiale
sont prises par le Bureau National de Reconnais-
sance et par lâarmĂ©e de lâAir, dont aucune des deux
ne considÚre les opérations militaires hors atmos-
Ă lâavenir, il va
falloir associer
la surveillance
quâexerce
actuellement
le SPACECOM
sur la maĂźtrise
de lâespace aux
responsabilités
et intĂ©rĂȘts
institutionnels
dâune armĂ©e
séparée.
Ă lâavenir, il va
falloir associer
la surveillance
quâexerce
actuellement
le SPACECOM
sur la maĂźtrise
de lâespace aux
responsabilités
et intĂ©rĂȘts
institutionnels
dâune armĂ©e
séparée.
5 Commentaire du rédacteur et non du traducteur. (NdT).
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
58
Ă©dition du 09/06/08
phĂšre terrestre comme une mission prioritaire. Et
il ne fait aucun doute quâen pĂ©riode de restrictions
budgétaires, les investissements dans la maßtrise
de lâespace ont manquĂ© de soutien de la part des
institutions et ont été balayés par les autres priori-
tés de ces organismes.
Bien quâau temps des rĂ©formes Goldwater
et Nichols, au milieu des années 1980, les Com-
mandants en chef des Commandements unifiés
â dont le SPACECOM fait partie â aient eu plus
dâaudience dans la planification et la program-
mation budgétaire du Pentagone, leurs pouvoirs
sont restés secondaires par rapport au pouvoir
traditionnel de chaque armée en matiÚre de « dé-
veloppement, dâinstruction et dâentraĂźnement ». Il
sera donc nĂ©cessaire Ă lâavenir de lier les Ă©lĂ©ments
essentiels de la vision actuelle du SPACECOM
aux responsabilitĂ©s dâune armĂ©e
6
en matiĂšre dâal-
location de ressources et de conception. En outre,
il est pratiquement certain que la conduite de la
guerre dans lâespace diffĂšrera autant de la guerre
aérienne traditionnelle que la guerre aérienne
diffĂšre de la guerre maritime ou de la guerre ter-
restre. La guerre spatiale va exiger de nouvelles
organisations, des stratégies opérationnelles, des
doctrines et des programmes dâinstruction. Ainsi,
lâargument qui consiste Ă remplacer le
US Space
Command
par
US Space Forces
[Forces américai-
nes de lâEspace (NdT)], armĂ©e sĂ©parĂ©e aux ordres
du ministĂšre de la DĂ©fense, est imparable. Alors
quâon peut admettre que, dans la mesure oĂč les
capacités spatiales militaires montent en puis-
sance, il soit logique de disposer dâun Corps de
lâespace provisoire placĂ© sous le commandement
de lâarmĂ©e de lâAir, il faut le considĂ©rer comme
une étape intermédiaire analogue au Corps aérien
de lâarmĂ©e de Terre de lâĂ©poque de la seconde
guerre mondiale et non au Corps des Marines
qui est resté une composante du ministÚre de la
Marine. Si la maĂźtrise de lâespace est un Ă©lĂ©ment
essentiel du maintien de la prééminence militaire
américaine dans les décennies à venir, il sera alors
impératif de réorganiser le ministÚre de la Défense
pour sâassurer que ses structures institutionnelles
reflÚtent de nouvelles réalités militaires.
Le cyberespace ou la « Guerre du Net »
Si lâespace reprĂ©sente un moyen Ă©mergent de
se faire la guerre, alors le Cyberespace et lâInternet
en particulier renferment les mĂȘmes perspectives
et menaces. Et au mĂȘme titre que pour lâespace,
lâaccĂšs et lâutilisation du Cyberespace et de lâIn-
ternet sont des éléments émergents du commerce
mondial, de la politique internationale et de la
puissance et de la politique internationales. Tout
pays qui veut sâaffirmer au plan mondial doit pren-
dre en compte ce nouveau « domaine commun ».
LâInternet joue lui aussi un rĂŽle toujours plus
grand dans la guerre et les conflits politiques. De
la premiĂšre utilisation de lâInternet par les rĂ©vo-
lutionnaires zapatistes au Mexique Ă la guerre du
Kosovo, les communications informatisées ont
ajoutĂ© une dimension nouvelle Ă lâart de la guerre.
De plus, lâemploi de lâInternet pour diffuser des
virus informatiques montre combien il est facile
de perturber le fonctionnement normal des réseaux
informatisés commerciaux, voire militaires. Tout
pays qui nâest pas capable dâassurer un accĂšs libre
et sûr de ses citoyens à ces systÚmes abandonnera
un élément de sa souveraineté et de sa puissance.
Bien que de nombreux scénarios de « cyber-
guerre » contiennent des éléments de science-fic-
tion et que le rĂŽle du ministĂšre de la DĂ©fense dans
la « mainmise » sur lâInternet, voire dans la dĂ©fini-
tion de la sĂ©curitĂ© sur lâInternet, exige de prendre
en compte des questions dâordre lĂ©gal, moral et po-
litique, il nâen demeure pas moins impĂ©ratif dâĂȘtre
capable dâinterdire aux ennemis de lâAmĂ©rique et
à ses alliés de perturber ou de paralyser les sec-
teurs tant militaires que commerciaux des réseaux
informatisés. Inversement, une capacité offensive
pourrait offrir aux chefs militaires et politiques de
lâAmĂ©rique un outil irremplaçable pour dĂ©sarmer
un éventuel adversaire de façon décisive.
Prises ensemble, les perspectives dâune guerre
spatiale ou dâune guerre dans le cyberespace reprĂ©-
sentent la vraie révolution potentielle de la notion
de transformation de lâart de la guerre. Certes, ces
formes futures de la guerre ne sont pas mûres au
plan technique. Mais il est tout aussi certain que
6 Le rĂ©dacteur Ă©voque ici la crĂ©ation dâune autre armĂ©e (en anglais militaire
Service
) aux cĂŽtĂ©s des lâarmĂ©e de Terre, de la Marine et de lâarmĂ©e
de lâAir : lâarmĂ©e de lâEspace. Au moment de la rĂ©daction, le SPACECOM Ă©tait un commandement unifiĂ© rĂ©gional, câest-Ă -dire regroupant sous les
ordres dâun officier gĂ©nĂ©ral des forces fournies par les trois armĂ©es. (NdT).
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
59
Ă©dition du 09/06/08
pour que les forces armées américaines conservent
leur prĂ©Ă©minence et Ă©vitent un talon dâAchille dans
lâexercice de leur puissance, elles doivent sâassurer
que ces possibles formes de guerre future favori-
sent lâAmĂ©rique tout comme aujourdâhui la guerre
aérienne, maritime et terrestre reflÚte la domina-
tion militaire des Ătats-Unis.
La refonte des forces conventionnel-
les américaines
On a beaucoup écrit, ces derniÚres années, sur
la nécessité de refondre les forces conventionnelles
des Ătats-Unis pour tirer parti de la « rĂ©volution
dans le domaine militaire ». Le processus dâadap-
tation au sein du ministre de la DĂ©fense doit encore
sérieusement porter ses fruits. Les deux concep-
tions de lâadaptation proposĂ©es par le ComitĂ© des
chefs dâĂ©tat-major, la Perspective InterarmĂ©es 2010
et la Perspective Interarmées 2020, ont été des
dĂ©clarations gĂ©nĂ©rales de principe et dâengagement
dans la rĂ©forme, mais on nâa constatĂ© que peu
dâĂ©volution en matiĂšre dâacquisition de nouveaux
systĂšmes dâarmes. En fait, on sâest opposĂ© Ă de
nouvelles idĂ©es comme ce quâon a appelĂ© le « na-
vire arsenal » qui aurait effectivement pu accélérer
le processus dâadaptation, et les armĂ©es ont mis
fin aux programmes qui en dĂ©coulaient. Lâactuel
processus dâ« expĂ©rimentation inter-armĂ©es » ne
semble pas non plus de nature à accélérer le chan-
gement. En somme, lâadaptation du gros des forces
armĂ©es amĂ©ricaines a Ă©tĂ© bloquĂ©e. Tant quâon ne
considĂšrera pas le processus dâadaptation comme
une mission à long terme, méritant une allocation
permanente de dollars et de moyens, il restera Ă
lâĂ©tat embryonnaire.
Quelques bonnes raisons font quâil en est ainsi.
En une période de moyens militaires insuffisants,
il a fallu doter les efforts dâadaptation en fonds et
en personnel en se restreignant dans dâautres nĂ©-
cessités plus urgentes. En conséquence, tenter de
prendre en compte les risques Ă plus long terme
que fait courir le fait de ne pas refondre les forces
armées exposait les forces actuelles à des risques
plus graves aujourdâhui. Il sâagit lĂ dâun pĂ©nible
dilemme pour une armée qui tente de faire face
Pas de R&D, pas de révolution dans le domaine militaire ?
La réduction des budgets R&D barre la route à l'adaptation
M
inistĂšr
e du Budget
(en milliar
ds de $)
30
32
34
36
38
40
42
44
1993
1994
1995
1996
1997
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2000
2001
2002
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2004
2005
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
60
Ă©dition du 09/06/08
au fardeau des missions du moment. Lâaction
dâaujourdâhui tend Ă obĂ©rer les innovations pour
demain. DeuxiĂšmement, lâabsence de concurrent
militaire actuel conduit Ă la complaisance envers
le caractĂšre durable de la domination militaire
amĂ©ricaine. TroisiĂšmement, et câest peut-ĂȘtre plus
Ă©vocateur, il faut encore mettre en concordance le
processus dâadaptation avec les missions stratĂ©-
giques visant à préserver la domination militaire
amĂ©ricaine. Câest lĂ une partie du problĂšme pour
les tenants de lâadaptation qui prĂ©fĂšrent prĂ©voir
les développements techniques plutÎt que les faire
cadrer avec les nécessités liées à la prééminence
des Ătats-Unis. Ainsi, la prise en compte de ce
quâon a appelĂ© « le problĂšme de la non-accession »
sâest faite sans beaucoup de dĂ©bats Ă propos des
effets stratĂ©giques sur la crĂ©dibilitĂ© des Ătats-Unis
et de leurs alliés, effets qui découlent du fait
quâon se reposait davantage sur des armes et des
forces stationnées en métropole plutÎt que sur des
moyens opérant depuis des bases avancées. Par
« non-accession », on entend lâobservation du fait
que la prolifération des capacités de tir de préci-
sion à longue portée va compliquer la projection
des forces et de la puissance militaire américaines.
Il existe de nombreuses solutions au problĂšme de
la non-accession, mais peu dâentre elles tendront
Ă maintenir la domination gĂ©opolitique des Ătats-
Unis au lieu de la faire se diluer.
En outre, les partisans de lâadaptation tendent
à se focaliser sur la nature révolutionnaire des
nouvelles capacités plutÎt que sur la maniÚre de
mener Ă bien lâadaptation nĂ©cessaire. Ainsi, la
Commission Nationale sur la Défense a prÎné une
stratégie
dâ
adaptation plutĂŽt quâune stratĂ©gie
en
vue dâ
adaptation. On a trÚs peu discuté sur la façon
exacte de transformer lâarmĂ©e dâaujourdâhui en lâar-
mĂ©e de demain tout en conservant aux Ătats-Unis
leur prééminence tout au long du processus. Il va
donc ĂȘtre nĂ©cessaire dâentreprendre un processus
de
transition
en deux temps, au cours duquel les
forces dont on hĂ©rite aujourdâhui seront moderni-
sées de maniÚre sélective en les dOtant de systÚ-
mes dâarmes dâores et dĂ©jĂ disponibles, et en leur
appliquant une véritable
transformation
lorsque
les rĂ©sultats dâexpĂ©rimentations poussĂ©es abouti-
ront Ă la mise sur le marchĂ© dâarmes entiĂšrement
nouvelles et de nouveaux concepts dâopĂ©rations, et
à une réorganisation des Armées.
Il est vraisemblable que ce processus en deux
temps prendra plusieurs décennies. Cependant,
alors que les contours exacts de lâadaptation des
forces armées américaines restent encore à définir
grùce à des analyses et à des expérimentations
rigoureuses â nous Ă©voqueront le sujet dans le
passage sur les armĂ©es â on peut dĂ©jĂ entrevoir les
caractĂ©ristiques gĂ©nĂ©rales de lâactuelle rĂ©volution
dans le domaine militaire. Dâune maniĂšre gĂ©nĂ©rale,
elles couvrent plusieurs domaines principaux de
capacités :
Une meilleure connaissance de la situation et un
meilleur partage de lâinformation,
La portée et la durabilité des plates-formes et
des armes,
La précision et la miniaturisation,
La vitesse et la furtivité,
La robotisation et la simulation .
Ces caractéristiques se combineront de diffé-
rentes maniÚres pour générer de nouvelles capa-
cités militaires. De nouvelles classes de capteurs,
commerciaux et militaires, terrestres, maritimes
ou sous-marins, aériens et spatiaux, seront reliés
entre eux en rĂ©seaux denses que lâon pourra ra-
pidement configurer et reconfigurer pour fournir
aux chefs du futur une perception du champ de
bataille jamais atteinte jusquâĂ prĂ©sent. Les rĂ©-
seaux de communications seront aussi denses et
douĂ©s dâubiquitĂ©, voire davantage, et capables de
transmettre en toute sécurité de grandes quantités
dâinformations, donnant ainsi Ă des unitĂ©s diver-
ses et dispersées une perception commune du
champ de bataille. Inversement, les techniques de
furtivité, plus largement employées, généreront
des « parties de cache-cache » entre des forces
militaires sophistiquĂ©es qui joueront au chat et Ă
la souris. La prolifération des missiles balistiques
et des missiles de croisiĂšre ainsi que de drones Ă
longue portée faciliteront la projection de la force
militaire sur toute la planĂšte. Les munitions elles-
mĂȘmes deviendront de plus en plus prĂ©cises tandis
que de nouvelles mĂ©thodes dâoffensive, Ă©lectroni-
ques, non létales, biologiques, seront de plus en
plus présentes. Des drones à bas coût et à grande
durabilitĂ©, et mĂȘme des missiles « en boĂźte » aux-
quels on ne sâattend pas, permettront de projeter la
force, non seulement Ă une grande distance, mais
aussi dans la durée. Les techniques de simulation
âą
âą
âą
âą
âą
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
61
Ă©dition du 09/06/08
amĂ©lioreront grandement lâentraĂźnement militaire
et la planification des missions.
Bien quâil puisse falloir plusieurs dĂ©cennies au
processus dâadaptation pour se dĂ©ployer, Ă terme
lâart de la guerre dans les airs, sur terre et sur mer
sera trĂšs diffĂ©rent de ce quâil est aujourdâhui et le
« combat » se déroulera vraisemblablement dans de
nouvelles dimensions : dans lâespace ou le cyberes-
pace et peut-ĂȘtre dans le monde des microbes. La
guerre aĂ©rienne ne pourra plus ĂȘtre le fait de pilotes
parcourant les cieux sur des avions de chasse Ă la
recherche de chasseurs adverses, mais connaĂźtra le
régime des aéronefs furtifs sans pilote et à longue
portée. à terre, le choc de massives forces blin-
dées interarmes sera remplacé par les incursions
de forces beaucoup plus légÚres, furtives et de
renseignement, renforcées par des flottes de robots
dont certains seront assez petits pour tenir dans la
poche des soldats. La maĂźtrise des mers pourrait
ĂȘtre le fait non de flottes de navires de surface et
de porte-avions, mais relever de systĂšmes basĂ©s Ă
terre ou placés en orbite qui obligeront les marines
Ă manĆuvrer et combattre sous la mer. Lâespace
lui-mĂȘme va devenir un champ de bataille au fur
et à mesure que les pays accÚderont à la capacité
spatiale et se mettront à en dépendre. En outre, le
distinguo entre les systĂšmes spatiaux commer-
ciaux et militaires â de combat et non-combat-
tants â sera de moins en moins net. Les systĂšmes
dâinformation deviendront un important objectif
dâattaques, en particulier pour les ennemis des
Ătats-Unis qui chercheront Ă court-circuiter des
forces américaines sophistiquées. Et des formes
évoluées de guerre biologique capables de « cibler »
des génotypes déterminés pourront faire passer la
guerre biologique du rĂšgne de la terreur Ă celui
dâun outil politique utile. Il ne sâagit lĂ que dâun
aperçu des possibilités inhérentes au processus
dâadaptation et non dâune prĂ©diction fondĂ©e sur des
données précises. Quelles que soient la forme et
lâorientation que prendra cette rĂ©volution dans le
domaine militaire, elles auront des conséquences
profondes sur la continuité de la prééminence mi-
litaire des Ătats-Unis. Comme nous lâavons exposĂ©
plus haut, il y a de bonnes raisons de penser que
les forces américaines possÚdent déjà des capacités
révolutionnaires naissantes, en particulier dans les
domaines du renseignement, du commandement et
des frappes de précision à longue portée. En fait,
ces capacités suffisent pour permettre dÚs main-
tenant aux armées de se lancer dans un processus
dâadaptation « intermĂ©diaire » Ă moyen ou long
terme en créant de nouveaux schémas de forces et
de nouveaux concepts opérationnels différents de
ceux que suit le programme actuel de la DĂ©fense, en
vue de maximiser les capacitĂ©s qui existent dâores
et déjà . Mais il faut ne considérer ceci que comme
une Ă©tape vers une adaptation plus complĂšte.
Il faut aussi donner à chaque armée une plus
large stature administrative et lĂ©gale si lâon veut
quâelle atteigne ces buts. Bien quâun dĂ©bat complet
sur ce sujet sorte du cadre
de cette étude, la réduction
de lâimportance des admi-
nistrateurs civils au sein des
armĂ©es et de lâĂ©tat-major
des armées cadre de moins
en moins avec les nécessités
de faire Ă©voluer rapidement
le paysage technique, stra-
tégique et géopolitique. La
concentration des pouvoirs
entre les mains du cabinet
du ministĂšre de la DĂ©fense
et du Chef dâĂ©tat-major des
armĂ©es et de lâĂ©tat-major
interarmées, ainsi que le
rĂŽle accru des comman-
dants en chef des thĂ©Ăątres â qui sont un produit des
rĂ©formes de lâĂ©poque de la Guerre Froide et en
particulier de la loi Goldwater & Nichols de 1986
â ont gĂ©nĂ©rĂ© un processus de prise de dĂ©cision au
sein de la DĂ©fense. Ce processus place souvent les
préoccupations immédiates au-dessus des exigen-
ces du long terme. Ă une Ă©poque dâincertitude et
de transformation, il est plus quâimportant de favo-
riser la confrontation des avis sur la façon dâappli-
quer les techniques nouvelles aux missions qui
perdurent.
La façon de faire actuelle obÚre particuliÚrement
le processus dâadaptation qui a Ă©tĂ© polluĂ© par une ap-
proche vers un « plus petit dénominateur commun ».
LâinterarmĂ©es reste une dimension importante de la
puissance militaire américaine et il sera important
de prendre en compte le rÎle interarmées des armes,
des concepts dâopĂ©rations et des organigrammes
qui apparaĂźtront au cours du processus dâadaptation.
La capacité à conduire des opérations interarmées
sans failles et décisives est un aspect important
Tant quâon ne
considĂšrera pas
le processus
dâadaptation
comme une
mission Ă long
terme, méritant
une allocation
permanente
de dollars et
de moyens, il
restera Ă lâĂ©tat
embryonnaire.
Tant quâon ne
considĂšrera pas
le processus
dâadaptation
comme une
mission Ă long
terme, méritant
une allocation
permanente
de dollars et
de moyens, il
restera Ă lâĂ©tat
embryonnaire.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
62
Ă©dition du 09/06/08
de lâart de la guerre. Pourtant, il serait plus utile
au processus dâadaptation de permettre lâesprit de
compĂ©tition et dâexpĂ©rimentation entre les armĂ©es.
En ce dĂ©but dâadaptation, on ne discerne pas quelles
techniques sâavĂšreront les plus efficaces. Il vaut
mieux entreprendre un Ă©ventail dâexpĂ©rimentations
concurrentes, mĂȘme si certaines peuvent aboutir au
final Ă des impasses. Pour atteindre ce but, il faut
renforcer les prérogatives des armées afin de restau-
rer un meilleur Ă©quilibre au sein du ministĂšre de la
DĂ©fense. La premiĂšre Ă©tape est de reconstruire les
secrĂ©tariats dâarmĂ©es
7
pour attirer davantage de gens
talentueux jouissant de la confiance de lâadministra-
tion Ă laquelle ils appartiennent. Une seconde Ă©tape,
parallĂšle, serait de redonner de la vigueur aux Ă©tats-
majors dâarmĂ©es et de mettre Ă leur tĂȘte des chefs
dâĂ©tat-major Ă©nergiques. En pĂ©riode de changement
rapide, il est plus vraisemblable que la prééminence
des Ătats-Unis sera davantage soutenue par une
vigoureuse compétition visant à recevoir des mis-
sions et des subsides que par la bureaucratie et une
conception « interarmées » conçue au plus fort de la
Guerre Froide.
Vers une armée de Terre du XXIe siÚcle
Peu de gens contestent le fait que le dévelop-
pement des nouvelles techniques rendra de plus
en plus vulnérables les armées de Terre massives
et mécanisées lors de conflits de haute intensité
contre des forces sophistiquées. La difficulté de
faire se mouvoir de grandes formations en terrain
ouvert, mĂȘme de nuit, ce qui a Ă©tĂ© envisagĂ© pendant
la bataille de Khafji lors de la guerre du Golfe, a
diminué le rÎle des armées de chars face au type
de puissance de feu et Ă la prĂ©cision que lâarmĂ©e
de lâAir amĂ©ricaine est capable de mettre en Ćuvre.
Il sâagit lĂ dâune indĂ©niable Ă©volution de la nature
de la guerre terrestre moderne, une Ă©volution qui
va influer sur la taille, la structure et la nature de
lâarmĂ©e de Terre amĂ©ricaine. Pourtant, ce serait
manquer de sagesse de la part des Ătats-Unis que
dâaccepter la vue plus gĂ©nĂ©rale selon laquelle la
valeur stratĂ©gique des forces terrestres sâest Ă©rodĂ©e
au point que le pays nâa plus besoin dâentretenir
dâimportantes forces terrestres. Aussi longtemps
que les guerres et les autres opérations militaires
tirent leur logique de buts politiques, la puissance
terrestre demeurera la forme réellement décisive de
la puissance militaire. En fait, lâironie est que plus
les opĂ©rations militaires de lâaprĂšs-Guerre Froide
ont été sophistiquées et ont reposé sur la puissance
aérienne et les frappes à longue distance, moins
elles ont été décisives. La prééminence militaire
américaine continuera à résider pour une part si-
gnificative dans la capacitĂ© dâentretenir suffisam-
ment de forces terrestres pour atteindre les buts
politiques tels que déposer un régime dangereux et
hostile si cela sâavĂšre nĂ©cessaire. Ainsi, les futures
forces de lâarmĂ©e de Terre, et les forces terrestres
dâune maniĂšre plus gĂ©nĂ©rale, doivent imaginer
de nouvelles façons de survivre et de manĆuvrer
dans un environnement technique radicalement
diffĂ©rent. LâarmĂ©e de Terre doit devenir plus tacti-
quement agile, plus mobile et plus stratégiquement
dĂ©ployable. Elle doit sâappuyer toujours davantage
sur les autres armées pour concentrer la puissance
de feu lorsque câest nĂ©cessaire, tout en se recen-
trant sur ses « capacitĂ©s propres » de manĆuvre, de
suivi de situation, et son caractÚre décisif au plan
politique. Le processus dâadaptation de lâarmĂ©e de
Terre devrait notamment :
Aller de lâavant grĂące Ă des expĂ©rimentations en
vue de mettre sur pied de nouveaux types dâuni-
tĂ©s autonomes mettant en Ćuvre des systĂšmes
qui sont aujourdâhui en fin de mise au point ou
en dĂ©but de mise sur le marchĂ©, comme lâaĂ©ronef
à rotor inclinable V-22 et le lance-roquettes léger
dâartillerie HIMARS, aptes Ă des opĂ©rations Ă
plus longue distance et au déploiement autono-
me . Une fois au point, de telles unités pourraient
relever les forces lourdes prépositionnées .
Procéder à des expérimentations de fond pour
appréhender les implications à long terme sur
lâArmĂ©e de Terre de la rĂ©volution dans le domaine
militaire . LâarmĂ©e de Terre devrait notamment
mettre au point des modes de dĂ©ploiement face Ă
des adversaires dotés de capacités améliorées de
frappe à longue portée .
Comme nous lâavons expliquĂ© plus haut, le
processus dâadaptation en deux temps de lâarmĂ©e
de Terre est suffisamment important pour quâon
le considĂšre comme une mission Ă part de chaque
âą
âą
7 Il sâagit en fait de « ministĂšres » dâarmĂ©es. Un peu comme il existe un ministĂšre de la Marine, hĂ©ritĂ© du XIXĂšme siĂšcle, le rĂ©dacteur propose
de recrĂ©er un ministĂšre de lâarmĂ©e de Terre, un ministĂšre de lâAir, etc. En France, nous avons encore un bĂątiment qui porte le nom de MinistĂšre
de la Marine, place de la Concorde. Il sâagit dâune survivance de ce qui existait encore au dĂ©but du XXĂšme siĂšcle oĂč il existait un MinistĂšre de la
Marine et des Colonies. (NdT)
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
63
Ă©dition du 09/06/08
armĂ©e et de lâĂ©tat-major des armĂ©es. La nĂ©cessitĂ©
dâune refonte tant Ă court terme quâĂ long terme
exige quâune instance sĂ©parĂ©e au sein de ces orga-
nismes agisse comme défenseur et acteur de cette
adaptation révolutionnaire. En ce qui concerne
lâarmĂ©e de Terre amĂ©ricaine, le siĂšge idoine de ce
processus dâadaptation est le Commandement de la
Doctrine et de lâInstruction. Cette armĂ©e doit mettre
sur pied une unité permanente implantée au Centre
Interarmes
8
de Fort Leavenworth, au Kansas, afin
de superviser la recherche, les mises au point et les
expĂ©rimentations quâimpose le passage de lâarmĂ©e
de Terre dâaujourdâhui Ă celle de lâavenir.
Ătant donnĂ© la nĂ©cessitĂ© de mettre en ligne les
unités interarmes autonomes évoquées ci-dessus,
il faut constituer ce « laboratoire de lâadaptation »
le plus tĂŽt possible. Bien que nombre des systĂšmes
dâarmes existent dĂ©jĂ ou soient bientĂŽt disponi-
bles, la mise en service en nombre suffisant de
nouveaux systÚmes, tels le véhicule blindé à roues
de transport de troupe comme le LAV ou le lance-
roquettes lĂ©ger dâartillerie HIMARS par exemple,
prendra plusieurs années. De plus, il faut accélérer
le processus de « numĂ©risation », câest-Ă -dire la
mise en place des systÚmes informatisés de com-
munication au niveau des unités tactiques.
9
Enfin,
il faut que lâarmĂ©e de Terre investisse davantage
dans de nouveaux systĂšmes dâarmes dĂ»ment sĂ©-
lectionnĂ©s comme des drones et lâhĂ©licoptĂšre de
reconnaissance
Comanche
de façon à en disposer
plus rapidement. Il faudra les intégrer dans un
organigramme et une doctrine dâemploi cohĂ©rents.
Il faut concentrer le processus dâexpĂ©rimentation Ă
court terme sur les besoins de lâarmĂ©e de Terre Ă
court et moyen termes en vue de créer les nouvelles
unités nécessaires.
Cependant, ce premier processus dâadaptation
doit nâĂȘtre que la premiĂšre Ă©tape dâune refonte plus
radicale de lâarmĂ©e de Terre. MĂȘme si elle aligne
de nouvelles unités qui maximisent les capacités
actuelles, mĂȘme si elle met en service de nouveaux
systĂšmes dâarmes sĂ©lectionnĂ©s, mĂȘme si elle prend
en compte les défis et les avantages des opérations
Ă haut niveau dâinformatisation, il faut que lâarmĂ©e
de Terre cherche à répondre aux questions essen-
tielles relatives aux forces terrestres de lâavenir.
Parmi ces questions se posent celle de la mobilité
stratĂ©gique, celle de la manĆuvre sur des champs
de bataille toujours plus transparents et celle de la
façon dâopĂ©rer en environnement urbain, pour ne
citer que celles-ci. Si la premiĂšre phase de lâadap-
tation doit prendre lâessentiel de la dĂ©cennie Ă venir
pour aboutir, il faudra que lâarmĂ©e de Terre soit
alors en mesure de se lancer dans une Ă©volution
plus en profondeur. De plus, les techniques, les
concepts opérationnels et les organisations doivent
avoir une certaine rĂ©alitĂ©. Il ne doit pas sâagir de
simples planches de présentation ou de concepts
de bureaux dâĂ©tudes. Au moment oĂč la premiĂšre
phase de lâadaptation arrivera Ă son terme, il faudra
entamer les premiÚres expérimentations tactiques
en vue de la deuxiĂšme phase et entrer dans une
phase dâĂ©volution plus en profondeur.
Alors que lâĂ©tendue et la nature exactes dâune
telle Ă©volution relĂšvent de lâexpĂ©rimentation, les
Ă©tudes de lâarmĂ©e de Terre conduisent dĂ©jĂ Ă penser
quâelle sera radicale. Penchons-nous sur les chan-
gements potentiels qui vont affecter le fantassin.
Le soldat du futur pourrait opérer en combinaison
de combat climatisée, étanche et motorisée, bardée
de capteurs et couverte dâun camouflage actif,
comme celui de la peau dâun camĂ©lĂ©on. Des « pan-
sements dermiques » pharmaceutiques réduiront
ses inquiétudes, lui permettant de mieux se concen-
trer, ce qui améliorera son endurance et sa force.
Un dispositif de visualisation monté sur le casque
du soldat lui permettra dâavoir une vision globale
du champ de bataille â notamment de voir ce qui se
passe au-delĂ des angles ou des hauteurs qui lui
cachent la vue â et lui donnera une possibilitĂ©
dâaccĂšs Ă tout le systĂšme de renseignement de
contact et dâensemble tout en filtrant les donnĂ©es
qui lui parviendront pour Ă©viter la surabondance.
8 Interarmes : traduction de
Combined arms
, signifie « qui associe les diffĂ©rentes armes » de lâarmĂ©e de Terre, infanterie, cavalerie, artillerie,
gĂ©nie, transmissions, arme du matĂ©riel, commissariat de lâarmĂ©e de Terre, Corps technique et administratif, Corps des Experts etc.
Fort Leavenworth est la maison mĂšre de lâArmĂ©e de terre amĂ©ricaine, un peu comme une rĂ©union de CoĂ«tquidan et Saint-Maixent pour lâarmĂ©e
de Terre française, Ă©coles auxquelles il faudrait ajouter certaines des compĂ©tences du Commandement de la Formation de lâarmĂ©e de Terre et du
Commandement de la Doctrine de lâEmploi des Forces.
9 On distingue trois niveaux dans les opérations militaires : le stratégique qui est de la responsabilité des instances politiques, assistées de
militaires, bien sĂ»r, lâopĂ©ratif qui couvre tout le thĂ©Ăątre dâopĂ©rations, et le tactique qui traite du front et des lignes immĂ©diatement Ă lâarriĂšre du front.
Les unités tactiques sont donc celles qui se battent et celles qui sont légÚrement en arriÚre et qui les soutiennent au plan logistique direct. Ces
unitĂ©s de soutien direct sont elles-mĂȘmes soutenues par les unitĂ©s logistiques de lâĂ©chelon opĂ©ratif, elles-mĂȘmes approvisionnĂ©es par lâĂ©chelon
stratégique. (NdT)
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
64
Ă©dition du 09/06/08
Les armes individuelles seront plus mortelles et la
possibilitĂ© de demander de lâappui feu indirect, non
seulement Ă lâarmĂ©e de Terre, mais aussi aux autres
armées, permettra à chaque combattant individuel
dâavoir une action sur de grands espaces. Au titre
du programme «
Land Warrior
» [Guerrier Terres-
tre], des experts de lâarmĂ©e de Terre envisagent une
« escouade » de sept hommes capables de contrÎler
une zone de la taille du théùtre de la bataille de
Gettysburg sur lequel, en 1863, se sont affrontés
165 000 hommes.
MĂȘme des concepts radicalement novateurs
comme ceux que lâon Ă©tudie
dans le cadre du projet
Land
Warrior
ne mettent pas en
scĂšne des techniques exoti-
ques ou qui se seraient
échappées du domaine de la
science-fiction.
Nombre
dâentre elles existent dĂ©jĂ ;
parmi elles, nombreuses
sont celles qui découlent
des progrÚs de la médecine
civile, des techniques de
communication, de lâinformatique et dâautres do-
maines de la recherche.
Au moment de se lancer dans le processus
dâadaptation Ă court terme et tout en alignant de
nouveaux types dâunitĂ©s destinĂ©es Ă remplir les
missions actuelles, lâArmĂ©e de terre doit dans le
mĂȘme temps sâinvestir de façon volontariste dans
lâexpĂ©rimentation visant Ă crĂ©er les systĂšmes, les
soldats, les unités et les concepts permettant de
conserver aux Ătats-Unis leur prĂ©Ă©minence dans
le domaine du combat terrestre, et ceci dans une
perspective Ă trĂšs long terme.
Les frappes au niveau de la planĂšte
depuis lâair et lâespace
La capacitĂ© en rapide croissance de lâarmĂ©e de
lâAir amĂ©ricaine Ă appliquer des frappes de prĂ©ci-
sion Ă des distances toujours plus grandes marque
une Ă©volution significative dans la nature de la
guerre de haute technicité. La sophistication du
bombardement de prĂ©cision de lâarmĂ©e de lâAir nâa
cessĂ© de croĂźtre depuis la guerre du Golfe jusquâĂ la
campagne aérienne du Kosovo. Pourtant, de façon
paradoxale, au moment oĂč il semble quâelle atteint
les capacitĂ©s dont rĂȘvaient les premiers pionniers
et théoriciens de la guerre aérienne, la « période
technique » des avions pilotés pourrait bien entrer
dans sa phase de dĂ©clin. RĂ©trospectivement, câest
la sophistication des munitions de haute précision
qui ressort de la campagne aérienne du Kosovo,
mĂȘme si les bombardiers furtifs B-2 tiraient des
bombes de précision guidées par satellites au
cours de missions de trente heures du Missouri
au Kosovo et retour, tandis que les vieux et lents
avions à hélice Orion de la Marine, initialement
conçus pour la lutte anti-sous-marine, tiraient en
stand-off
10
des munitions guidées de haute préci-
sion avec la mĂȘme efficacitĂ©. Au fur et Ă mesure
que les systĂšmes Ă©lectroniques et les munitions de
prĂ©cision prennent de lâimportance, la nĂ©cessitĂ©
de disposer dâavions pilotĂ©s sophistiquĂ©s semble
diminuer. De plus, au fur et Ă mesure que lâAsie
orientale prend de lâimportance dans la stratĂ©gie
militaire des Ătats-Unis, les besoins de portĂ©e et
de résistance des aéronefs pourraient bien dépas-
ser les normes traditionnellement en vigueur. En
somme, alors que lâarmĂ©e de lâair amĂ©ricaine jouit
Les
expérimentations
« Land Warrior »
de lâarmĂ©e
de Terre vont
largement
accroĂźtre la valeur
de lâinfanterie Ă
pied.
Les
expérimentations
« Land Warrior »
de lâarmĂ©e
de Terre vont
largement
accroĂźtre la valeur
de lâinfanterie Ă
pied.
10 Stand-off : littĂ©ralement hors dâatteinte. Il sâagit de tirer des armes vers lâennemi depuis des positions quâil ne peut lui-mĂȘme atteindre par
ses propres armes. Câest en gĂ©nĂ©ral le cas des missiles de croisiĂšre ou des munitions Ă guidage terminal tirĂ©es depuis la stratosphĂšre.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
65
Ă©dition du 09/06/08
dâune pĂ©riode de suprĂ©matie technique et tactique,
il nâest pas certain que cette armĂ©e se positionne
trÚs bien face à un avenir qui aura évolué.
En particulier, lâaccent mis par lâarmĂ©e de lâAir
sur les opérations aériennes tactiques traditionnel-
les est un frein à la capacité du pays à maintenir et
Ă Ă©tendre sa domination dans lâespace. Au cours de
la dĂ©cennie Ă©coulĂ©e, lâarmĂ©e de lâAir sâest façonnĂ©e
par intermittence comme une force « de lâespace et
de lâair » et a prĂ©parĂ© nombre dâĂ©tudes utiles sur la
longue portée, études qui soulignent le caractÚre
fondamental de la maĂźtrise de lâespace pour les
opérations militaires à venir. Cependant, le style
dâinvestissements de cette armĂ©e a Ă©tĂ© en contra-
diction avec cette conception de lâavenir. Comme
nous lâavons dĂ©crit plus haut, lâarmĂ©e de lâAir a en-
glouti chaque dollar disponible dans le programme
du F-22. Alors que le F-22 est un superbe chasseur
et peut-ĂȘtre un avion dâattaque exploitable, son
intĂ©rĂȘt dans un schĂ©ma modifiĂ© de la guerre de
haute technicité peut ne pas justifier son coût ; si
la plus grande partie du programme nâavait pas Ă©tĂ©
déjà financée, la décision de le continuer aurait
Ă©tĂ© discutable. Comme nous lâavons Ă©galement
démontré plus haut, de nouveaux investissements
dans le programme de lâavion de combat interar-
mées seraient encore plus coûteux et entraveraient
tout effort majeur dâadaptation. Câest pourquoi il
faudrait que lâarmĂ©e de lâAir :
AchĂšve son plan dâacquisition du F-22 tout en ces-
sant de participer au programme de lâACI et de
remettre Ă niveau les avions de combats actuels,
notamment en achetant de nouvelles munitions
de précision, en en mettant au point de nouvelles
et en augmentant le nombre dâavions dâappui afin
de permettre des opérations à plus longue portée
et dâacquĂ©rir une plus grande survivabilitĂ©
11
.
AccroĂźtre ses efforts en vue de mettre au point des
aéronefs sans pilote à longue portée et à grande
résistance, non seulement dans le domaine de la
reconnaissance mais aussi dans celui des frappes
ou du combat aérien .
Poursuivre la mise au point dâavions furtifs de
grandes dimensions destinés à un éventail de
missions dont le transport, le ravitaillement en
âą
âą
âą
vol et dâautres missions de soutien aussi bien
quâaux missions dâattaque .
Cibler de nouveaux investissements importants
en vue dâĂ©tablir des capacitĂ©s dâaction dans lâes-
pace, dont des lanceurs à bas coût, de nouveaux
satellites et véhicules extra atmosphériques, en
vue de se préparer à évaluer si la guerre spatiale
diffĂšre suffisamment du combat en atmosphĂšre
pour justifier la crĂ©ation dâune « armĂ©e de lâEs-
pace » distincte de lâarmĂ©e de lâAir .
Une telle Ă©volution permettrait en fait dâat-
teindre le but avouĂ© de lâarmĂ©e de lâair qui est de
devenir une armée dotée de réelles capacités pour
atteindre et frapper tous les points de la planĂšte.
Pour lâinstant, lâarmĂ©e de lâair donne un aperçu de
ces capacités et accomplit un travail remarquable
en termes dâemploi des systĂšmes essentiellement
tactiques Ă lâĂ©chelon mondial. Pour la pĂ©riode de
transition imposĂ©e par lâhĂ©ritage de ces systĂšmes
et par les limites inhĂ©rentes au F-22, lâarmĂ©e de
lâair va rester essentiellement apte Ă une guerre de
frappes de théùtre sophistiquées. Pourtant, pour se
rĂ©former rĂ©ellement en vue du siĂšcle Ă venir, lâar-
mĂ©e de lâair doit intensifier ses efforts de crĂ©ation de
nouveaux systĂšmes â et, pour enfoncer le clou, des
systĂšmes spatiaux â qui sont indispensables pour
faire passer les opérations aériennes du niveau du
théùtre au niveau de la planÚte. Alors que le mon-
tage de campagnes aériennes à grande échelle et
sâĂ©tendant dans la durĂ©e continuera Ă sâappuyer sur
des Ă©lĂ©ments du thĂ©Ăątre, il faut modifier lâĂ©quilibre
en faveur des systÚmes à longue portée.
La Marine repart « à la mer »
Depuis la fin de la Guerre Froide, la Marine
a connu une rupture brutale avec la doctrine an-
ciennement en vigueur qui mettait lâaccent sur la
nĂ©cessitĂ© dâavoir la maĂźtrise des mers. Mais avec
la maĂźtrise des Ătats-Unis sur le « domaine com-
mun » qui ne connaßt, pour le moment, aucune
concurrence sĂ©rieuse, la Marine prĂȘche maintenant
lâĂvangile de la projection de la force Ă terre et dans
les eaux littorales. Dans une série de déclarations,
de positions et de livres blancs qui ont débuté avec
« ⊠Depuis la Mer » en 1992 et ont conduit au « En
avant⊠depuis la Mer : en tout temps et en tout
âą
11 SurvivabilitĂ© : en langage militaire, il sâagit de la facultĂ© dâune unitĂ© ou dâun type de matĂ©riel de diminuer le risque de destruction au combat,
notamment par des moyens passifs comme la furtivitĂ©, la rĂ©sistance physique aux coups de lâadversaire (blindage) ou les moyens de contre-mesures
(leurres, dĂ©tection de lâadversaire avant quâil soit en position de tir, etc.).[NdT]
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
66
Ă©dition du 09/06/08
lieu » de 1998, la Marine, en coopération avec le
Corps des Marines, a adopté le principe des opéra-
tions « au plus prÚs ». Pour citer le texte de « Depuis
la Mer » :
Notre capacité à maßtriser la mer dans les
zones oĂč lâon peut sâattendre Ă de futures
opérations nous permet de redimensionner les
forces navales et de nous concentrer davantage
sur les capacitĂ©s quâexige lâenvironnement
opérationnel complexe que constitue le littoral,
câest-Ă -dire les cĂŽtes de la planĂšteâŠ. Cette
orientation stratégique qui découle de la
stratégie nationale de sécurité représente un
glissement fondamental de la guerre de haute
mer vers les opérations interarmées conduites
depuis la mer.
La série de documents « Depuis la Mer » a
Ă©galement pris position en faveur dâune prĂ©sence
militaire américaine sur toute la planÚte et a as-
similé tout particuliÚrement cette présence prépo-
sitionnĂ©e Ă une prĂ©sence navale. Reprenant lâidĂ©e
maĂźtresse de lâĂtude Quadriennale de DĂ©fense, la
Marine et le Corps des Marines arguent du fait que
« le modelage de situation et la riposte exigent une
présence et donc le maintien de forces navales pré-
positionnĂ©es et prĂȘtes au combat. Il est important
dâĂȘtre « sur place » ! Il sâagit dâune contribution
typiquement navale Ă lâengagement en temps de
paix et cela le restera⊠La souplesse inhérente aux
forces navales permet de régler rapidement une
crise ou un conflit mineur par les forces présentes
sur place. » Les Armées de la mer (La Marine et le
Corps des Marines, [NdT]) ont en outre ajouté que
la conduite de ces missions de présence demande
les mĂȘmes types de groupes aĂ©ronavals et de grou-
pes amphibies que ceux qui étaient nécessaires
pour combattre lâUnion soviĂ©tique.
La puissance concentrée et équilibrée des
groupes aĂ©ronavals et amphibies est au cĆur
de la capacitĂ© de notre pays Ă mettre en Ćuvre
sa stratĂ©gie dâengagement en temps de paix.
Leur puissance rassure les alliés et dissuade
les agresseurs potentiels⊠les capacités
combinĂ©es dâun groupe aĂ©ronaval et dâun
groupe amphibie offre une puissance aérienne,
maritime et terrestre quâon peut appliquer Ă
tout lâĂ©ventail des conflits.
Ainsi, alors que la Marine a admis que les
rĂ©alitĂ©s stratĂ©giques de lâĂšre postsoviĂ©tique indui-
saient une révision des missions prioritaires de la
Marine et du Corps des Marines ainsi quâun redi-
mensionnement de la flotte, elle a néanmoins dû
envisager que lâĂšre nouvelle exige Ă©galement une
rĂ©vision de ses schĂ©mas dâopĂ©rations et une refonte
de la flotte. De plus, sur le long terme, il va ĂȘtre de
plus en plus difficile pour la Marine de sâengager
dans les eaux cĂŽtiĂšres, ainsi quâelle le rĂ©alise elle-
mĂȘme. Ainsi que lâa dĂ©clarĂ© Ă la commission des
forces armées du Sénat le contre-amiral Malcolm
Fages, sous-chef guerre sous-marine Ă lâĂ©tat-major
de la Marine : « Un Ă©ventail dâĂ©tudes indĂ©pendan-
tes qui ont passé en revue les tendances principales
de la guerre navale Ă venir ont conclu que la guerre
sur le littoral au XXIe siĂšcle pourrait ĂȘtre marquĂ©e
par lâemploi de moyens asymĂ©triques visant Ă
contrer une marine américaine dont la doctrine et
les projets dâorganisation de la force⊠poussent au
dĂ©barquement depuis les zones littorales ». Dâores
et déjà , des adversaires potentiels comme la Chine
et lâIran investissent dans des sous-marins diesel
silencieux, des missiles balistiques tactiques, des
missiles de croisiĂšre et dâautres missiles antinavires
tirĂ©s depuis la cĂŽte ou la mer ainsi que dans dâautres
systĂšmes dâarmes visant Ă compliquer les opĂ©ra-
tions des flottes américaines dans les eaux littora-
les à faible dégagement. La marine chinoise a ré-
cemment pris livraison de son premier destroyer
de la classe Sovremeny sur une commande de sept
unitĂ©s, achetĂ©s en mĂȘme temps que des missiles
supersoniques anti-navires venant de Russie, ce
qui a largement amélioré ses capacités à attaquer
les navires américains.
Ă cela sâajoute le fait que les adversaires de
lâAmĂ©rique vont progressivement acquĂ©rir la capa-
cité de prendre pour objectif les flottes de surface
non seulement dans les eaux littorales mais peut-ĂȘtre
aussi en haute mer. Les puissances régionales ont de
plus en plus accĂšs aux satellites commerciaux qui
Lâacquisition par la Chine de destroyers russes mo-
dernes et de missiles anti-navires supersoniques va
compliquer les opérations de la flotte de surface amé-
ricaine.
Lâacquisition par la Chine de destroyers russes mo-
dernes et de missiles anti-navires supersoniques va
compliquer les opérations de la flotte de surface amé-
ricaine.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
67
Ă©dition du 09/06/08
non seulement leur fournissent des informations de
désignation des objectifs militairement utiles mais
leur fournissent Ă©galement dâimportantes capacitĂ©s
de commandement et de communications en cas de
besoin. Comme le dit Fages : « Notre préoccupation
pour le XXIe siĂšcle, câest que la synergie entre la
reconnaissance depuis lâespace, des armes de
précision à longue portée et de solides réseaux de
commandement, pourrait rendre les plates-formes
non furtives de plus en plus vulnĂ©rables lorsquâelles
attaquent depuis une faible distance les cĂŽtes oĂč
que ce soit dans le monde.
Pour conserver et améliorer la capacité de
couvrir ses forces débarquées et de conduire des
opérations de pilonnage ainsi que pour prendre
une part trÚs importante dans le réseau de défense
contre les systĂšmes de missiles balistiques, il faut
que la marine accĂ©lĂšre son processus dâadaptation
Ă court terme. Il lui faut Ă©galement prendre en
compte le défi à plus long terme de la révolution
dans le domaine militaire pour faire en sorte que
lâAmĂ©rique rĂ©gente demain les vagues et les lames
comme elle le fait aujourdâhui. La Marine devrait
sâengager dans un processus dâadaptation en deux
temps :
Lâadaptation Ă court terme de la Marine devrait
conduire Ă lâaccĂ©lĂ©ration de la mise en chantier
des générations programmées de navires de
combat de surface du XXIe siÚcle aux capacités
de furtivité accrues, armés de missiles améliorés
diversifiés et de canons à longue portée pour les
frappes à terre . Il faudrait accélérer les efforts
de mise en Ćuvre de la guerre « en rĂ©seau » qui
découle du concept du combat en coopération . Il
faudrait que la Marine commence Ă se structurer
pour répondre au rÎle qui est en train de devenir
le sien dans le cadre de la défense antimissile ;
notamment décider si les navires de combat
de surface actuels et le schéma traditionnel de
dĂ©ploiement par rotations sont bien adaptĂ©s Ă
cette mission .
à plus long terme, il faut que la Marine décide
si lâaccent quâelle met aujourdâhui sur les opĂ©-
rations cĂŽtiĂšres reste dâactualitĂ© dans le cadre
dâune rĂ©forme du schĂ©ma de la guerre maritime
et de quelle façon elle conservera la maßtrise de
la haute mer Ă lâavenir . Il faudrait dâores et dĂ©jĂ
entamer lâexpĂ©rimentation de diverses flottes
dâaĂ©ronefs sans pilote, peut-ĂȘtre en se servant
dâun porte-avions actuel retirĂ© du service . Il
âą
âą
faudrait se pencher sur dâautres formes de ba-
teaux et dâaĂ©ronefs sans Ă©quipage ainsi que sur
lâĂ©largissement du rĂŽle des sous-marins .
Le changement de forme des opérations nava-
les ainsi que lâĂ©volution de la structure des forces
que nous avons étudiés plus haut devraient montrer
la voie dâune adaptation de la Marine Ă lâenvironne-
ment en train dâĂ©merger de la guerre en mer. Dans
lâavenir immĂ©diat, cela signifie lâamĂ©lioration des
capacitĂ©s de frappes navales dans le cadre dâopĂ©-
rations interarmées dans les eaux cÎtiÚres ainsi
que des moyens de commandement. Cependant,
la Marine doit se préparer à de nouveaux défis en
haute mer en commençant dÚs maintenant à mettre
au point des moyens de projection de force alors
que les risques que courent les navires de surface
augmentent de façon substantielle. Dans les deux
cas, il faut que la Marine continue Ă Ă©voluer des
opérations centrées sur les groupes aéronavals vers
les « réseaux » de navires de surface de divers types,
ce qui conduira peut-ĂȘtre Ă des flottes composĂ©es
de navires de surface furtifs et de submersibles.
Lâaxe principal des efforts de transformation
Ă court terme de la Marine devrait porter sur lâac-
croissement de la capacitĂ© de frappe et sur lâamĂ©-
lioration de la contribution aux opérations interar-
mées à terre par les patrouilles en eaux cÎtiÚres. Il
faut multiplier les initiatives de la Marine visant Ă
tirer le meilleur parti de ses navires actuels grĂące Ă
une meilleure collecte et Ă une meilleure diffusion
du renseignement, ce que la Marine nomme la
« guerre en réseau » par opposition à la « guerre par
plates-formes ». En plus de lâamĂ©lioration de ses
capacités de renseignement, de surveillance et de
reconnaissance ainsi que de ses réseaux de com-
mandement, il faut que la Marine se dote de flottes
plus importantes de navires de combat de surface et
de submersibles, tous capables de tirer des missiles
de croisiĂšre. Lâaugmentation du nombre des navires
de combat de surface donnerait dâabord une bonne
occasion dâaccĂ©lĂ©rer les recherches et la mise au
point des nouvelles classes de contre-torpilleurs et
de croiseurs, et peut-ĂȘtre de nouvelles frĂ©gates, ceci
peut-ĂȘtre en ne faisant que lĂ©gĂšrement intensifier
les efforts actuels sur les programmes portant sur
les contre-torpilleurs.
En outre, il faudrait que la Marine intensifie
ses efforts de mise au point de nouvelles armes et
munitions en vue de la guerre de bombardement.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
68
Ă©dition du 09/06/08
En plus de se doter de davantage de sous-marins
dâattaque, il faudrait quâelle reconvertisse quatre
de ses sous-marins lanceurs de missiles balistiques
de la classe Trident en plates-formes de tir conven-
tionnelles, exactement comme lâa fait lâarmĂ©e de
lâAir de ses bombardiers avec Ă©quipages. En outre,
elle devrait mettre au point un autre armement de
frappe qui aille au-delà de la génération actuelle de
missiles de croisiĂšre Tomahawk. Lâadjonction du
JDAM (systĂšme de guidage terminal des projecti-
les) qui consiste Ă monter un dispositif de guidage
par GPS sur des bombes « bĂȘtes » va amĂ©liorer
les capacités de frappes de précision des avions
actuels de la Marine. LâamĂ©lioration de la portĂ©e et
de la précision des canons embarqués ou la mise en
Ćuvre dâune version marine du systĂšme de missile
tactique de lâarmĂ©e de Terre amĂ©liorerait Ă©gale-
ment la contribution de la Marine aux opérations
interarmées dans les zones cÎtiÚres.
Cependant, lâamĂ©lioration des capacitĂ©s des
bateaux et de lâarmement
dâactuelle gĂ©nĂ©ration Ă opĂ©-
rer de concert est certes
importante, mais pourrait
ne pas prendre en compte
lâaspect plus fondamental
de cette adaptation. La Ma-
rine a déjà prouvé sa capa-
citĂ© Ă mettre en Ćuvre des
véhicules aériens et sous-
marins sans Ă©quipage de-
puis des sous-marins ; en
outre, elle améliore sa capa-
cité de communiquer avec
des sous-marins. Tant que
les submersibles restent re-
lativement furtifs, ils peu-
vent opĂ©rer lĂ oĂč les navires
de surface courent de grands risques.
Ainsi, la Marine devrait affecter une partie
de ses forces vives Ă une Ă©tude en profondeur de
la rĂ©volution dans le domaine militaire. Au-delĂ
des mesures immédiates comme la reconversion
de sous-marins de la classe Trident, il faudrait
envisager dâemployer un porte-avions retirĂ© du
service opérationnel pour mieux appréhender les
potentialitĂ©s et les difficultĂ©s de mise en Ćuvre Ă
la mer de grandes flottes dâaĂ©ronefs sans pilotes.
De la mĂȘme façon, des « nacelles lance-missile »
immergées, soit déployées de façon permanente,
soit mouillées secrÚtement par des sous-marins
en temps de crise, amélioreraient les capacités de
frappe sans faire courir de risques aux navires de
surface dans les zones littorales. Dâune maniĂšre
générale, si la Marine évolue vers la « guerre en
réseaux », il lui faut explorer les possibilités de
multiplier le nombre de « mailles du réseau ».
Pour le moment, la Marine américaine jouit
dâun niveau dâhĂ©gĂ©monie planĂ©taire qui dĂ©passe
celui dont jouissait la Royal Navy du temps de
son Ăge dâOr. Alors que la capacitĂ© de projeter
Ă terre la puissance navale reste, comme elle lâa
toujours été, une importante mission secondaire de
la Marine, elle ne saurait rester son souci premier
au cours des décennies qui viennent. à plus long
terme â mais compte tenu de la durĂ©e de vie des
navires, bien avant la fin de la période que couvre
la planification de la Marine â elle pourrait se re-
centrer sur la conservation de la maĂźtrise des voies
de communication sur les mers et les océans. Faute
dâun programme rigoureux dâexpĂ©rimentation por-
tant sur lâimpact de la rĂ©volution dans le domaine
militaire sur la guerre navale, la Marine pourrait
bien se trouver confrontée à un nouveau Pearl
Harbor, aussi mal prĂ©parĂ©e Ă la guerre de lâĂšre de
lâaprĂšs porte-avions quâelle lâĂ©tait au dĂ©but de lâĂšre
du porte-avions.
Telle la Marine,
tel le Corps des Marines
Paradoxalement pour un corps qui prend en
compte certains aspects de la révolution dans le
domaine militaire, le schéma à long terme de son
adaptation pose les questions les plus profondes au
Corps des Marines. Car si la capacité de survie de
ses navires de surface doit ĂȘtre toujours davantage
remise en question, les moyens de débarquement
doivent eux aussi ĂȘtre revus en profondeur. Le
Corps a beau avoir raison de mettre au point des
opérations de débarquement navire - cÎte toujours
plus rapides et de plus grande autonomie en misant
sur le V-22 et le VĂ©hicule dâassaut amphibie amĂ©-
lioré (AAAV), il est certain que la vulnérabilité
potentielle des véhicules amphibies des Marines
restera le facteur limitant dans les opérations fu-
tures. Alors que lâutilitĂ© de lâinfanterie de marine
reste élevée dans les conflits de basse intensité, la
capacité des Marines à prendre part aux guerres de
Il faudrait que la
Marine envisage
dâemployer un
porte-avions
retiré du service
opérationnel
pour mieux
appréhender les
potentialités et
les difficultés de
mise en Ćuvre Ă
la mer de grandes
flottes dâaĂ©ronefs
sans pilotes
Il faudrait que la
Marine envisage
dâemployer un
porte-avions
retiré du service
opérationnel
pour mieux
appréhender les
potentialités et
les difficultés de
mise en Ćuvre Ă
la mer de grandes
flottes dâaĂ©ronefs
sans pilotes
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
69
Ă©dition du 09/06/08
haute technicitĂ©, ne fĂ»t-ce quâen opĂ©rant Ă partir de
bateaux dont ils dépendent dans tous les domaines,
du commandement & communications Ă la logis-
tique, pourrait bien ne plus ĂȘtre que marginale. De
la mĂȘme façon, la vitesse relativement faible des
bateaux des Marines rĂ©duit leur souplesse dâemploi
en temps de crise.
Au cours des prochaines décennies, les efforts
des Marines en vue de leur adaptation devraient
permettre au Corps dâallĂ©ger ses structures et
de sâappuyer sur dâautres armĂ©es, en particulier
la Marine, pour lui fournir la majeure partie de
sa puissance de feu. Cela devrait permettre au
Corps des Marines de se débarrasser de nombre
des systĂšmes dâarmes lourds dont il sâest dotĂ©
durant la période de la Guerre Froide, de réduire
son artillerie (Les Marines, notamment, mettent
en Ćuvre les systĂšmes dâartillerie les plus anciens
qui sont moins efficaces au combat et plus lourds
Ă manĆuvrer en termes de logistique) et enfin son
aviation Ă voilure fixe
12
. En fait, nombre des F-18 et
EA6-B du Corps des Marines passent le plus clair
de leur temps en rotations sur les porte-avions et
en appui des opĂ©rations de lâarmĂ©e de lâAir. De la
mĂȘme façon, lâavenir de lâAV-8B Harrier est com-
promis. Les Marines ne mettent en Ćuvre quâune
flotte réduite et de plus en plus obsolÚte de Harriers.
Alors quâon pourrait envisager des programmes
de prolongation de leur durée de vie, le moment
approche oĂč le Corps devra envisager lâexistence
sans ses propres aéronefs à voilure fixe, en parti-
culier si le programme de lâACI atteint son terme.
En conséquence, le Corps des Marines devra envi-
sager la version « hélicoptÚre de combat » du V-22,
se doter dâaĂ©ronefs sans pilotes et intensifier ses
efforts de mise au point de mĂ©thodes dâappui feu
interarmées.
Ainsi, lâutilitĂ© Ă long terme du Corps des
Marines repose largement sur des perspectives de
rĂ©elle Ă©volution. Comme pour lâarmĂ©e de Terre, si
on ne peut pas redéfinir les rapports entre le feu, la
manĆuvre et le renseignement de situation, alors
la pertinence des forces terrestres et de lâinfanterie
de marine dans le cadre des guerres futures sera
largement remise en cause. Ce qui limitera ainsi la
capacitĂ© des Ătats-Unis Ă entreprendre des opĂ©ra-
tions à portée politique décisive. La prolifération de
techniques dâapplication de feux de haute prĂ©cision
à des portées toujours accrues lance un grand défi
tant Ă lâarmĂ©e de Terre quâau Corps des Marines.
Mais au lieu de tenter de le relever en entrant dans
le jeu qui consiste Ă appliquer eux-mĂȘmes des feux
à longue portée, ces armées feraient mieux, toutes
les deux, dâessayer dâassurer la complĂ©mentaritĂ©
avec la Marine et lâarmĂ©e de lâAir et, bien sĂ»r, de
lier Ă©galement les manĆuvres dĂ©cisives aux possi-
bilitĂ©s que lâespace va offrir.
12 Câest ainsi quâon nomme les avions pour les distinguer des autres aĂ©ronefs, hĂ©licoptĂšre, aĂ©ronefs Ă rotors orientables ou aĂ©ronefs plus lĂ©gers
que lâair. (NdT)
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
70
Ă©dition du 09/06/08
vi
l
es
dépenses
de
défense
Quel est alors le prix de la perpétuation de la
domination politique et de la prééminence militaire
des Ătats-Unis ?
Il nâentre pas dans le cadre de cette Ă©tude
dâapporter une rĂ©ponse finement dĂ©taillĂ©e Ă cette
question. Trop de recommandations relatives Ă
la posture des forces et à la structure des armées
nâont pas Ă©tĂ© prises en compte par la planification
de défense actuelle. Contentons-nous de dire que
lâextension du pĂ©rimĂštre de sĂ©curitĂ© des Ătats-Unis,
les techniques nouvelles et les nouveaux systĂšmes
dâarmes, dont de solides dĂ©fenses antimissile, les
nouveaux types dâorganisation ainsi que les nou-
veaux concepts opĂ©rationnels, auxquels sâajoutent
les nouvelles bases et tout ce genre de choses, tout
ceci reviendra cher. Toutefois, dans ce chapitre,
nous allons essayer de poser les lignes directrices
générales visant à définir un niveau de budget de
défense qui suffise à conserver la prééminence mi-
litaire des Ătats-Unis. Au cours des annĂ©es rĂ©cen-
tes, on a vu paraĂźtre une sĂ©rie dâanalyses portant sur
lâinadĂ©quation entre les budgets de dĂ©fense propo-
sĂ©s par lâadministration Clinton et son programme
de défense. Toutes les estimations concordent : le
programme est sous-financé. Elles ne diffÚrent que
par le montant du sous-financement et lâĂ©valuent
entre 26 et 100 milliards par année budgétaire. Les
chiffres les plus élevés proviennent des analyses les
plus rigoureuses.
Les tendances des budgets de défense
Pour la premiĂšre fois depuis 15 ans, le budget
de défense de 2001 pourrait montrer une modeste
mais réelle augmentation des dépenses de défense
des Ătats-Unis. Tant les demandes budgĂ©taires du
Président Clinton que les chiffres de la résolution
budgétaire du CongrÚs pourraient enrayer la glissade
des budgets de défense. Pourtant, la prolongation de
lâengrangement des « dividendes de la paix » et la
gĂ©nĂ©ration de lâexcĂ©dent budgĂ©taire fĂ©dĂ©ral actuel,
produit de lâaugmentation de lâimpĂŽt sur le revenu et
de la réduction des dépenses de défense, ont entraßné
un grave « déficit en matiÚre de défense » qui atteint
des dizaines de milliards de dollars chaque année.
Le CongrĂšs sâest rendu complice de ce dĂ©clin de
la Défense. Au cours des premiÚres années de man-
dat, il a accepté les réductions sévÚres auxquelles a
procédé
lâadministration
Clinton par rapport aux som-
mes prévues par le dernier
plan de défense de Bush. De-
puis que les RĂ©publicains ont
pris le contrĂŽle du CongrĂšs en
1994, il y a eu de trÚs légers
ajouts aux demandes de lâad-
ministration en matiĂšre de
défense ; pourtant aucune
dâentre elles nâa Ă©tĂ© en mesure
dâenrayer le schĂ©ma de dĂ©clin
en matiĂšre de dĂ©fense jusquâĂ
aujourdâhui. On nâa mĂȘme pu
obtenir ces ajouts quâen utili-
sant des artifices comptables
qui ont permis au gouverne-
ment de contourner les limi-
tations de lâaccord budgĂ©taire Ă©quilibrĂ© de 1997.
GrĂące Ă tous ces artifices comptables, les
dépenses de défense sont restées pratiquement au
mĂȘme niveau au cours des quatre derniĂšres annĂ©es.
En fait, les montants ont variĂ© de moins dâun mil-
liard de dollars sur cette pĂ©riode. Câest au cours
des premiÚres années du mandat de Clinton que
les dépenses de défense ont le plus décliné, époque
oĂč le budget est tombĂ© dâenviron 339 milliards de
dollars en 1992 pour arriver Ă 277 milliards en 1996.
Les effets cumulatifs des réductions budgétaires sur
une décennie ou plus ont été encore plus graves.
Une étude récente conduite par le Centre des études
stratégiques et internationales, intitulée
Avoiding the
Defense Train Wreck in the New Millennium
[Pour
éviter le déraillement du train de la Défense au pro-
Lâutilisation des
dividendes de la
paix de lâaprĂšs-
Guerre Froide
pour Ă©quilibrer
le budget fédéral
a généré un
déficit en matiÚre
de défense
qui atteint des
dizaines de
milliards de
dollars chaque
année.
Lâutilisation des
dividendes de la
paix de lâaprĂšs-
Guerre Froide
pour Ă©quilibrer
le budget fédéral
a généré un
déficit en matiÚre
de défense
qui atteint des
dizaines de
milliards de
dollars chaque
année.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
71
Ă©dition du 09/06/08
chain millénaire], a comparé le dernier plan de Bush
pour la Défense qui couvrait la période 1994-1999
Ă celui de lâadministration Clinton. Il a conclu que
la combinaison des changements budgétaires et des
prises de position internes du Pentagone ont eu pour
résultat une nette réduction des dépenses en matiÚre
de dĂ©fense qui sâest traduite par 162 milliards de
réduction entre la planification de Bush et celle de
Clinton. Les demandes du CongrĂšs en matiĂšre de
supplĂ©ments budgĂ©taires et dâaffectations complĂ©-
mentaires ont rajouté environ 52 milliards, mais
ces dépenses ont servi pour leur plus grande part
à financer les opérations de circonstance et autres
carences en disponibilité opérationnelles ; elles
nâont pas beaucoup contribuĂ© Ă la modernisation
à laquelle elles étaient destinées. Par comparaison
avec lâĂ©poque Bush, lâadministration Clinton a rĂ©-
duit les dĂ©penses dâĂ©quipement de 40 milliards de
dollars par an, en moyenne. Au cours de la période
1993-2000, les rĂ©ductions en matiĂšre dâĂ©quipement,
lâignoble « creux de vague de lâĂ©quipement », a atteint
plus du double de ce qui Ă©tait prĂ©vu pour sâĂ©lever Ă
426 milliards selon les termes du rapport.
Le rapport du CESI est le plus rĂ©cent dâune
sĂ©rie de rapports qui chiffrent lâinadĂ©quation entre
la planification actuelle de défense et les budgets. La
derniĂšre estimation du bureau budget du CongrĂšs
évalue le décalage annuel à au moins 90 milliards
de dollars. LâĂtude Quadriennale de DĂ©fense de
1997 elle-mĂȘme a autorisĂ© un sous-financement
annuel de 12 Ă 15 milliards de dollars. DâaprĂšs des
articles de presse, les chefs dâĂ©tat-major dâarmĂ©es
insistent maintenant pour obtenir une augmentation
de 30 milliards par an des dépenses de défense. En
1997, le Centre dâĂ©valuations stratĂ©giques et bud-
gétaires a calculé que le sous-financement annuel
Ă©tait dâenviron 26 milliards de dollars et a revu
son montant Ă 50 milliards. Lâanalyste de lâinstitut
Brookings Michael OâHanlon soutient que le fossĂ©
est dâau moins 27 milliards.
Plus importante peut-ĂȘtre que de savoir si ces
estimations rendent compte au mieux du montant
des sous-financements actuels de la défense est
la question de savoir quels coûts ne sont pas pris
en compte. Toutes ces estimations mesurent lâina-
déquation entre les plans et les programmes de
défense actuels et les budgets en cours. Elles ne
prennent pas en compte les nouvelles missions ni
les nĂ©cessitĂ©s du monde de lâaprĂšs-Guerre Froide.
Elles ne prennent pas en compte les coûts du dé-
ploiement dâune dĂ©fense antimissile efficace. Elles
nâenglobent pas les coĂ»ts des missions de police.
Elles ne prennent pas en considération les coûts
de lâadaptation. Elles ne calculent pas non plus les
coĂ»ts quâentraĂźnent les recommandations du prĂ©sent
rapport comme le renforcement, la reconfiguration
et le redéploiement des forces actuelles.
En fait, le meilleur moyen de mesurer les
dépenses de défense sur de plus longues périodes
est de les considérer comme faisant partie des dé-
penses fédérales et de la richesse nationale. Selon
ces critÚres, les budgets de défense ont continué
de dĂ©cliner alors mĂȘme que les AmĂ©ricains sont
devenus de plus en plus prospĂšres au cours des
derniÚres années. Le budget de la Défense atteint
maintenant moins de 3 % du produit national
brut ; câest le niveau le plus bas depuis la grande
dépression. La Défense représente environ 15 %
des dépenses fédérales, à peine plus que les inté-
rĂȘts de la dette et moins dâun tiers des dĂ©penses
de sĂ©curitĂ© sociale, de lâassurance santĂ© et dâautres
programmes dâallocations, lesquels reprĂ©sentent
54 % des dépenses fédérales. Alors que le budget
fédéral annuel, auparavant déficitaire, est devenu
excédentaire, et que davantage de ressources ont
Ă©tĂ© libĂ©rĂ©es, aucun effort sĂ©rieux nâa Ă©tĂ© fait pour
refinancer les forces armées américaines.
Quelque gĂȘnantes quâaient Ă©tĂ© les tendances de
la derniÚre décennie, quelque inadaptés que soient
les budgets actuels, lâavenir Ă long terme est plus
troublant encore. Si lâon maintient le niveau actuel
des dépenses, selon certaines projections les sous-
financements de la défense atteindront le niveau du
budget de la dĂ©fense lui-mĂȘme dans les annĂ©es 2020,
soit 2,3 % pour 2,4 % du PNB. En particulier, alors
que le niveau des dépenses de modernisation glisse
de plus en plus sous celui des besoins, le creux de
la vague en matiĂšre dâĂ©quipement atteindra les pro-
portions dâun tsunami, dit le CESI : « Sâil continue
à laisser filer la ligne, le ministÚre des armées va en
effet laisser sâinstaller une situation dans laquelle
il va devoir demander 4 400 milliards de dollars
au titre de lâĂ©quipement entre 2006 et 2020 pour
conserver le niveau actuel des forces.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
72
Ă©dition du 09/06/08
AprĂšs 2010, ce qui peut paraĂźtre loin mais se
situe tout Ă fait Ă lâhorizon habituel des planifica-
tions de dĂ©fense, il est mĂȘme encore plus improbable
de voir augmenter les dépenses de défense selon la
planification actuelle. Dans les décennies à venir,
le tissu des programmes dâallocations sociales, en
particulier la Sécurité Sociale, va générer un nou-
veau gel des autres budgets fédéraux. Si les budgets
de défense restent aux niveaux envisagés, il sera
impossible de conserver la prééminence militaire
mondiale des Ătats-Unis, ainsi que de dĂ©fendre
lâordre mondial quâassure cette prĂ©Ă©minence.
Les budgets et la stratégie de repli
Les récentes études de défense, en particulier
lâĂtude Quadriennale de DĂ©fense de 1997 et les
rapports connexes de la Commission
ad hoc
sur la
Défense nationale, ont situé le dilemme auquel se
trouvent confrontés le Pentagone et le pays dans son
ensemble dans le domaine des risques. Au niveau
actuel de la planification et des dépenses de défense,
les Ătats-Unis peuvent prĂ©server les forces et les
capacités actuelles pour remplir les missions du
moment en sacrifiant la modernisation, lâinnovation
et lâadaptation, ou bien ils peuvent rĂ©duire encore les
tableaux dâeffectifs et de dotation pour se doter de
nouvelles armes et créer de nouvelles unités. Malgré
le discours que tient lâEQD Ă propos du formatage
de lâenvironnement stratĂ©gique actuel, de la rĂ©ac-
tion aux crises et de la prĂ©paration dâaujourdâhui Ă
un avenir incertain, la planification de défense de
lâadministration Clinton continue Ă davantage privi-
lĂ©gier les besoins immĂ©diats que la prĂ©paration dâun
avenir toujours plus menaçant au plan technique ou
gĂ©opolitique. Comme nous lâavons indiquĂ© plus haut
0
5
10
15
20
25
30
35
40
1940
1945
1950
1955
1960
1965
1970
1975
1980
1985
1990
1995
2000
DeuxiĂšme
Guerre Mondiale
Ăvolution des dĂ©penses de DĂ©fense de 1940Ă 2001
Guerre de Corée
Guerre du Vietnam
Reconstruction
sous Reagan
Effondrement
post Guerre Froide
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
73
Ă©dition du 09/06/08
dans notre prĂ©sentation de lâarticulation des forces,
lâEQD retient la capacitĂ© Ă conduire deux guerres
de front comme critĂšre central de la planification de
défense et la condition
sine qua non
que lâAmĂ©rique
reste une superpuissance mondiale. La Commission
ad hoc
sur la DĂ©fense nationale, dans son appel Ă
une « stratĂ©gie de lâadaptation », a avancĂ© lâargument
selon lequel « il faut donner la prioritĂ© Ă lâavenir ». Le
critĂšre de deux guerres Ă la fois, selon les conclusions
de la Commission, « est devenu un moyen de justifier
les forces actuelles ». Cette approche met lâaccent
sur un scénario improbable qui obÚre des fonds qui
pourraient servir à réduire les risques que nous cou-
rons à long terme ».
Une fois encore, le CESI, dans les conclusions
de son étude de faisabilité, suggÚre que les arbitra-
ges entre les effectifs et lâarticulation des forces se
fassent dans le cadre des contraintes budgétaires
actuelles. Par exemple, il estime que le coût de
lâadaptation de lâarmĂ©e actuelle
dâun million sept cent mille
hommes entraßnerait des dé-
penses dâĂ©quipement de 164
milliards de dollars par an.
Alors que nous pourrions ne
pas ĂȘtre dâaccord avec tous les
aspects méthodologiques qui
aboutissent Ă ce chiffre, lâes-
sentiel est clair : si les dépenses
de défense restent au niveau
actuel, comme lâadmet la pla-
nification actuelle vue par
lâEQD, le Pentagone ne sera en
mesure de moderniser quâun peu plus de la moitiĂ©
des forces armĂ©es. Si lâon suit ce scĂ©nario, lâarmĂ©e
américaine sera de plus en plus obsolÚte, coûteuse
à déployer et surclassée sur le champ de bataille.
Comme le conclut le rapport, « lâarmĂ©e amĂ©ricaine,
Ă cause de sa taille, de son vieillissement et de son
aptitude technique, va perdre sa crĂ©dibilitĂ© tant Ă
lâintĂ©rieur quâĂ lâextĂ©rieur quant Ă ses capacitĂ©s Ă
soutenir la stratégie militaire nationale ».
A contrario
, adopter lâapproche de la Commission
ad hoc
sur la DĂ©fense nationale qui consiste Ă pren-
dre des risques tout en se prĂ©parant aujourdâhui Ă
un avenir incertain, imposerait de nouvelles et im-
portantes réductions de la taille des forces armées
amĂ©ricaines. DâaprĂšs le CESI, un transfert des do-
tations visant Ă moderniser 76 % du matĂ©riel â il ne
sâagit pas dâun chiffre de la Commission
ad hoc
mais il nâest pas aberrant dans le cadre de cette
approche globale â imposerait de ramener les ef-
fectifs des armĂ©es Ă tout juste un million dâhom-
mes, toujours en admettant quâon accorde 3 % du
PNB aux dépenses de défense. Ainsi, au niveau
actuel des dépenses, il faudrait que le Pentagone
choisisse entre le volume des forces et leur moder-
nisation.
Quand on a rappelé que la projection de
dépenses de défense à un niveau de 3 % du PNB
représente la perspective la plus optimiste de la
planification du Pentagone, le poids de ce dilemme
paraĂźt encore plus lourd : Ă ce niveau, les forces
armées américaines seront bientÎt trop vieilles ou
trop peu nombreuses. A rester Ă la conception de
« vivre au jour le jour » que professe le gouverne-
ment, les forces armĂ©es des Ătats-Unis nâauront
pas les effectifs nécessaires à la conduite de leurs
missions actuelles. Des missions de police Ă la
conduite de deux guerres sur des théùtres majeurs,
leur capacitĂ© Ă dĂ©fendre les intĂ©rĂȘts sĂ©curitaires des
Ătats-Unis va se trouver en danger croissant.
Pour Ă©largir la question, ces deux approches
ne diffĂšrent que par la nature et la chronologie de
la stratégie de repli américaine. En engageant les
troupes dans les Balkans, en maintenant la présence
américaine dans le golfe Persique, en ripostant aux
menaces chinoises envers Taiwan et en envoyant
des soldats de la paix au Timor oriental, lâadmi-
nistration Clinton a maladroitement, par Ă -coups
et souvent de façon inefficace, pris certaines des
mesures nécessaires au renforcement du nouveau
pĂ©rimĂštre de sĂ©curitĂ© des Ătats-Unis. Seulement,
en maintenant les dépenses de défense et le volume
des troupes à leurs niveaux actuels, elle a obéré la
capacitĂ© du pays Ă conduire aujourdâhui des conflits
de haute intensité et dépensé les fonds qui auraient
été investis pour préserver demain la prééminence
militaire des Ătats-Unis. On mesurera les rĂ©sultats
dâune telle stratĂ©gie lorsque les forces armĂ©es
amĂ©ricaines seront dans lâincapacitĂ© de rĂ©pondre Ă
ce quâon exigera dâelles. Cela pourra se produire
lorsquâelles recevront une mission de trop ; si, di-
sons, le rĂŽle de lâOtan dans les Balkans prend de
lâampleur, ou si les troupes amĂ©ricaines doivent
Si les dépenses
de défense
restent Ă leur
niveau actuel,
les forces
américaines
seront bientĂŽt
trop vieilles
ou trop peu
nombreuses.
Si les dépenses
de défense
restent Ă leur
niveau actuel,
les forces
américaines
seront bientĂŽt
trop vieilles
ou trop peu
nombreuses.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
74
Ă©dition du 09/06/08
sécuriser une zone démilitarisée sur les hauteurs
du Golan, et quâĂ©clate un conflit majeur. Ou encore
cela pourrait se produire si une grande puissance
Ă©mergente â une Chine qui monterait en puissance
â cherchait Ă dĂ©fier les intĂ©rĂȘts des Ătats-Unis et de
leurs alliés dans une région importante.
A contrario
, une stratĂ©gie qui sacrifierait lâar-
ticulation des forces et la disponibilité opération-
nelle actuelles Ă la transformation future laisserait
les forces armĂ©es amĂ©ricaines dans lâincapacitĂ© de
faire face aux missions et aux engagements actuels.
Ătant donnĂ© que la paix actuelle nâest le rĂ©sultat que
de la prééminence américaine, échouer à conserver
cette prĂ©Ă©minence laisserait Ă dâautres la possibilitĂ©
de façonner le monde selon des schémas contraires
aux intĂ©rĂȘts et aux principes des Ătats-Unis. Câest
cela, le prix de la prééminence américaine ; de
mĂȘme quâelle a Ă©tĂ© gagnĂ©e de haute lutte, il faut
la préserver de haute lutte. Mais comme les Chefs
des armées et les autres hautes autorités militaires
sont obligĂ©s de lâadmettre, les forces armĂ©es ac-
tuelles suffisent Ă peine Ă soutenir la rotation des
unités dans le cadre de la multitude de missions de
maintien de la paix et dâautres missions de police
auxquelles elles ont Ă faire face tout en conservant
en réserve les troupes nécessaires pour conduire
un seul conflit majeur.
Une armĂ©e dâactive rĂ©duite de 300 000 Ă
400 000 hommes de plus représenterait une nou-
velle réduction de 30 % par rapport au niveau
actuel, soit une réduction totale de plus de la moitié
par rapport Ă lâĂ©poque de la Guerre Froide. Prendre
cette mesure pour dégager des fonds en vue de la
modernisation et de lâadaptation ferait que cette
armée réduite serait évidemment inadaptée aux
nécessités des missions et de la stratégie nationale
actuelles. Si les Ătats-Unis retiraient des troupes
des Balkans par exemple, on peut douter du fait que
lâOtan soit en mesure de combler le trou pendant
longtemps.
A contrario
, un tel retrait entraĂźnerait
une crise politique au sein de lâOtan, qui aurait
certainement pour résultat la fin du leadership
amĂ©ricain dans lâOrganisation. Cela pourrait bien
conduire Ă la dissolution de lâAlliance elle-mĂȘme.
De la mĂȘme façon, mettre fin aux missions dâin-
terdiction de survol en Iraq remettrait en question
La vacance des approvisionnements
La chute des investissements dans les années Reagan
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Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
75
Ă©dition du 09/06/08
la position des Ătats-Unis comme garant de la
sécurité dans le Golfe Persique. La réaction serait
la mĂȘme Ă propos dâun retrait ou dâune rĂ©duction
de la présence militaire américaine en Asie du Sud-
Est. Les consĂ©quences quâenvisage lâEQD Ă propos
dâun abandon de la capacitĂ© Ă conduire deux guer-
res simultanément se vérifieraient inévitablement :
tant les alliés que les adversaires commenceraient
à prendre des mesures contre le repli américain et
ne feraient plus confiance aux garanties de sécurité
que reprĂ©sente lâAmĂ©rique. Au niveau actuel des
budgets, on court le risque de voir une stratégie de
modernisation ou dâadaptation se traduire par une
stratĂ©gie de non guerre. MĂȘme si la paix amĂ©ricaine
ne devait pas se terminer en catastrophe, elle com-
mencerait Ă rapidement sâeffilocher. Le rĂ©sultat Ă
terme serait pratiquement le mĂȘme.
Le prix de la prééminence américaine
Comme nous lâavons admis plus haut, Ă©valuer
le coût exact de forces armées capables de maintenir
la prééminence militaire américaine actuelle et de
lâĂ©tendre dans le futur demande une analyse plus
profonde que ce que permet cette étude trÚs géné-
rale. Nous avons prÎné une posture militaire et une
articulation des armées qui diverge sensiblement
tant de la planification actuelle que dâautres disposi-
tifs prĂ©sentĂ©s par dâautres Ă©tudes. Nous croyons quâil
faut augmenter légÚrement les effectifs des forces
armées américaines. Nombre des missions liées à la
protection du pĂ©rimĂštre de sĂ©curitĂ© des Ătats-Unis
sont consommatrices de personnel et la préparation
à des conflits de haute intensité doit inclure la possi-
bilité de campagnes décisives au plan politique com-
portant des opĂ©rations de stabilisation dâenvergure
aprĂšs combats. De la mĂȘme façon, lâextension dudit
périmÚtre milite fortement pour le déploiement
de nouvelles bases outre-mer et de tĂȘtes de pont
avancées qui faciliteront les opérations politiques et
militaires des Ătats-Unis de par le monde.
Dans le mĂȘme temps, nous avons soutenu
quâun dispositif plus logique de bases avancĂ©es
pourrait alléger le fardeau des missions de police
institutionnelles qui pĂšse sur les soldats, les marins,
les aviateurs et les Marines ainsi que sur lâensemble
du dispositif militaire américain. Les déploiements
de sĂ©curitĂ© Ă long terme ne devraient reposer quâen
dernier ressort sur lâĂ©puisante rotation de courte
durée des unités. En Europe, dans le Golfe Persique
et en Asie orientale, la perpĂ©tuation des intĂ©rĂȘts
sĂ©curitaires des Ătats-Unis passe par celle de la
présence militaire américaine. Il faut que les poli-
tologues du Pentagone adaptent leur planification
pour prendre en compte ces réalités et réduire le
poids qui pÚse sur le personnel des armées. Nous
avons aussi soutenu quâil faut que les armĂ©es puis-
sent commencer dĂšs maintenant Ă mettre sur pied
des unités et des systÚmes militaires plus souples.
Ceux-ci pourraient sâavĂ©rer dans le temps de plus
petite taille que les systĂšmes actuels, mĂȘme pour les
opérations de maintien de la paix ou de police.
MĂȘme si les forces amĂ©ricaines doivent Ă©voluer
sur un périmÚtre de sécurité étendu, nous pensons
quâil est essentiel de conserver en garnison en mĂ©tro-
pole suffisamment de forces capables, à bref délai,
de monter en puissance et, si nécessaire, de projeter
une puissance de combat massive en vue de stabi-
liser une région en crise ou de conduire une guerre
jusquâĂ la victoire. Il faudrait que sâĂ©tablisse une
forte synergie entre les forces déployées outre-mer
et un dispositif de renfort : les unités opérant outre-
mer sont le marqueur des intĂ©rĂȘts gĂ©opolitiques
des Ătats-Unis ainsi que de leur domination, elles
assurent une puissance militaire significative pour
modeler lâĂ©vĂ©nement et, en temps de guerre, Ă©tablir
les conditions de la victoire lorsquâelles reçoivent
des renforts. ParallÚlement, conserver la capacité
dâappliquer le dĂ©finitif « coup de poing du K.O. »
grĂące Ă lâintervention rapide dâunitĂ©s venues de mĂ©-
tropole renforcera la force dâinfluence des troupes
opérant outre-mer et la vitalité de nos alliances. En
somme, nous considérons que perdure la nécessité
de forts effectifs pour lâarmĂ©e amĂ©ricaine.
Mais tout en plaidant en faveur dâamĂ©liorations
du positionnement des armées actuelles, nous ne
voulons pas sacrifier la capacité de maintenir la
prĂ©Ă©minence Ă plus long terme. Si les Ătats-Unis
veulent maintenir cette prĂ©Ă©minence â la rĂ©volu-
tion qui est maintenant en cours dans le domaine
militaire se fait sous lâimpulsion des Etats-Unis
â, il faut que le Pentagone commence au plus tĂŽt
lâadaptation des forces armĂ©es amĂ©ricaines. Nous
avons soutenu que cette mission dâadaptation fait
partie des nouvelles missions, aussi exigeante que
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
76
Ă©dition du 09/06/08
le maintien de la stabilité dans les Balkans, la pré-
paration aux conflits de grande intensité ou toute
autre mission actuelle. Il sâagit dâun effort qui met
en jeu plus que les techniques de lâarmement. Elle
exige des unités expérimentales libres de mettre
au point de nouveaux concepts dâopĂ©rations, de
nouvelles doctrines, de nouvelles tactiques. Cela
va demander des années, voire des décennies, pour
prendre pleinement en compte et mettre en Ćuvre
de tels changements, et cela va sans doute ĂȘtre Ă
lâorigine dâerreurs et dâessais infructueux. Pourtant,
le maintien de la paix américaine exige que les
forces armĂ©es des Ătats-Unis aient la prĂ©Ă©minence
lorsquâelles auront, Ă lâavenir, Ă faire face Ă des
adversaires trĂšs diffĂ©rents de ceux dâaujourdâhui.
Enfin, nous avons soutenu quâil faut restaurer
les fondements de la sĂ©curitĂ© des Ătats-Unis et re-
lancer lâĂ©tablissement de bases en vue dâopĂ©rations
militaires américaines outre-mer en améliorant nos
défenses en métropole. La paix américaine actuelle
pourrait bien de pas durer si les Ătats-Unis devien-
nent vulnérables aux
entreprises
dâĂtats
voyous dotés de petits
arsenaux bon marché de
missiles balistiques et
de tĂȘtes nuclĂ©aires ou
dâautres armes de des-
truction massive. Nous
ne pouvons pas laisser
la CorĂ©e du Nord, lâIran,
lâIraq ou dâautres Ătats
du mĂȘme acabit saper la
domination américaine,
intimider les alliés des
Ătats-Unis, ou menacer
le sol mĂȘme des Ătats-
Unis. Il ne faut pas dila-
pider si lamentablement
les bienfaits de la paix américaine, conquis sans
regarder Ă la dĂ©pense pendant un siĂšcle dâefforts.
Pris dans leur ensemble, le positionnement des
forces et la structure des armées que nous préconi-
sons sont suffisamment différents de la planification
actuelle pour quâil ne soit pas fondĂ© dâen Ă©valuer le
coût avec précision sur les planifications budgé-
taires telles quâon les connaĂźt. De la mĂȘme façon,
il sort du cadre de cette Ă©tude de se lancer dans
une analyse indépendante des coûts qui reposerait
sur des situations politiques et technologiques trĂšs
incertaines. Nâimporte quelle Ă©valuation du coĂ»t
du déploiement de nouvelles bases outre-mer ou de
systĂšmes dâarmes rĂ©volutionnaires risque de nâĂȘtre
que pure spĂ©culation faute de faisceaux dâĂ©tudes ri-
goureuses et dâanalyses de programmes. Toutefois,
nous sommes convaincus que, au cours du temps,
le programme que nous préconisons exigera des
budgets grosso modo Ă©quivalents Ă ceux quâim-
poserait le financement de lâensemble des forces
proposĂ© par lâĂtude Quadriennale de DĂ©fense, Ă
savoir 3,5 Ă 3,8 % du PNB. Une planification sen-
sée augmenterait annuellement de 15 à 20 milliards
de dollars le total des dépenses de défense au cours
des prochaines années budgétaires. Ceci aurait
pour rĂ©sultat une augmentation maximale de 75 Ă
100 milliards de dollars sur cette période, soit une
faible proportion de lâaccroissement budgĂ©taire de
700 milliards que lâon envisage aujourdâhui pour la
mĂȘme pĂ©riode. Nous estimons quâil faudrait que le
nouveau Président engage son administration dans
une planification visant Ă atteindre ce niveau de
dépenses en quatre ans.
En termes plus simples, notre intention est
de fournir suffisamment de forces pour faire face
aux missions actuelles avec autant dâefficacitĂ© que
possible tout en préparant les armées américaines
aux missions qui seront vraisemblablement les
leurs Ă lâavenir. Ainsi, les programmes de dĂ©fense
décrits plus haut conserveront la structure actuelle
des armées tout en améliorant leur aptitude opéra-
tionnelle en les mettant en meilleure posture face
à leurs missions actuelles et en procédant à des
investissements choisis en vue de leur modernisa-
tion. Dans le mĂȘme temps, nous souhaitons trans-
férer les efforts de recapitalisation de la défense
visant Ă lâadaptation des armĂ©es pour les dĂ©cennies
à venir. à raison de 4 centimes par dollar prélevé
sur la richesse nationale amĂ©ricaine, il sâagit dâun
programme à la portée de nos finances.
Il sâagit aussi dâun programme avisĂ©. Seuls un
tel positionnement des forces, une telle organisa-
tion des armées et un tel niveau de dépenses de
dĂ©fense pourront garantir aux Ătats-Unis et Ă leurs
dirigeants la disposition de lâĂ©ventail de moyens
Le programme dont
nous nous faisons les
avocats, qui offrirait
Ă lâAmĂ©rique des
forces armées en
mesure de répondre
aux exigences
stratégiques de la
seule superpuissance
mondiale, exige de
porter les budgets de
défense au niveau de
3,5 Ă 3,8 % du PNB.
Le programme dont
nous nous faisons les
avocats, qui offrirait
Ă lâAmĂ©rique des
forces armées en
mesure de répondre
aux exigences
stratégiques de la
seule superpuissance
mondiale, exige de
porter les budgets de
défense au niveau de
3,5 Ă 3,8 % du PNB.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
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Ă©dition du 09/06/08
militaires permettant de faire face aux exigences
stratégiques de la seule superpuissance mondiale.
PrĂ©server la paix amĂ©ricaine exige que lâar-
mĂ©e amĂ©ricaine entreprenne aujourdâhui un large
Ă©ventail de missions et relĂšve Ă lâavenir divers dĂ©fis,
mais on ne peut abandonner ces missions sans com-
promettre la domination amĂ©ricaine et lâordre bien-
veillant quâelle assure. Voici le choix devant lequel
nous nous trouvons. Il ne sâagit pas de choisir entre
la prĂ©Ă©minence dâaujourdâhui et celle de demain.
Nous nâexercerons pas la domination mondiale pour
notre bon plaisir quand lâenvie nous en prendra ou
lorsque les fondements de notre sécurité nationale
seront en cause. Ce serait alors trop tard. Il sâagit
plutĂŽt de savoir si oui ou non nous allons conserver
la prééminence américaine, si oui ou non nous
allons assurer la domination géopolitique mondiale
des Ătats-Unis et prĂ©server la paix amĂ©ricaine.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
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pARticipAnts
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pRojet
Roger Barnett
Ăcole de guerre navale des Ătats-Unis
Alvin Bernstein
UniversitĂ© de la dĂ©fense nationale(Ătats-Unis)
Stephen Cambone
Université de la défense nationale
Eliot Cohen
Ăcole Nitze dâĂ©tudes supĂ©rieures internationales, uni-
versité John Hopkins
Devon Gaffney Cross
Forum des donateurs pour les affaires internationales
Thomas Donnelly
Project for the New American Century
David Epstein
Cabinet du ministre de la DĂ©fense, Ă©valuations du Net
David Fautua
Lieut. Colonel, armée de Terre
Dan Goure
Centre dâĂ©tudes internationales et stratĂ©giques
Donald Kagan
Université de Yale
Fred Kagan
Académie militaire de West Point
Robert Kagan
Fondation Carnegie pour la paix internationale
Robert Killebrew
Colonel en retraite (Ătats-Unis)
William Kristol
Hebdomadaire The Weekly Standard
Mark Lagon
Commission des Affaires Ă©trangĂšres du SĂ©nat
James Lasswell
Société GAMA
I . Lewis Libby
Dechert Price & Rhoads
Robert Martinage
Centre dâĂ©valuations stratĂ©giques et budgĂ©taires
Phil Meilinger
Ăcole de guerre navale des Ătats-Unis
Mackubin Owens
Ăcole de guerre navale des Ătats-Unis
Steve Rosen
Université Harvard
Gary Schmitt
Project for the New American Century
Abram Shulsky
The RAND Corporation
Michael Vickers
Centre dâĂ©valuations stratĂ©giques et budgĂ©taires
Barry Watts
Société Northrop Grumman
Paul Wolfowitz
Ăcole Nitze dâĂ©tudes supĂ©rieures internationales,
université John Hopkins
Dov Zakheim
Société System Planning
Les personnes citĂ©es dans la liste ci-dessus ont pris part Ă lâune au moins des rĂ©unions du projet ou ont
fourni un écrit pour servir de base aux débats. Ce rapport est le fait du seul Projet pour le Nouveau SiÚcle
AmĂ©ricain et nâexprime pas nĂ©cessairement lâopinion des participants au projet ou des institutions auxquelles
ils appartiennent.
Fin du document du PNAC.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
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Ă©dition du 09/06/08
l
A
liste
RĂ©elle
des
signAtAiRes
Les pages qui suivent sont une mise au point en ce qui concerne la liste des concepteurs du document du
PNAC. La liste ci-dessous ne reprend que les noms des signataires initiaux du document, câest-Ă -dire ceux de
gens qui ont pris part aux rĂ©flexions et dĂ©bats de ce qui allait ĂȘtre une doctrine de la politique de la nouvelle
Ă©quipe qui devait arriver aux affaires.
Elle vient dâune autre source que le document du PNAC dont le texte intĂ©gral est traduit ci-dessus, avec la
liste « retenue » des participants.
Avec beaucoup de persĂ©vĂ©rance, on peut effectivement trouver le mĂȘme rapport sous la forme dâun docu-
ment de travail qui a « fuitĂ© » sur le net ; sans doute du fait dâun manque de prudence des rĂ©dacteurs. Le texte
de ce document en format*.rtf, ne diffĂšre pas sensiblement du document PDF que lâon trouve sans difficultĂ©.
Seules quelques coquilles ou tournures de phrases ont changĂ© mais cela ne change rien au texte publiĂ©. Câest ce
qui me conduit Ă penser quâil sâagissait dâune des derniĂšres relectures avant le bon Ă tirer. En revanche, la liste
des signataires est trĂšs diffĂ©rente comme le lecteur pourra sâen rendre compte par lui-mĂȘme.
On constatera que les participants à la rédaction du texte paru en septembre 2000 ne sont pas tous
répertoriés dans la liste que fournissent les rédacteurs dans le document de travail. On remarquera
aussi que certains des noms que mentionne la liste annexée au rapport ne font pas partie des
signataires initiaux. Tout laisse à penser que certains des vrais signataires ont préféré ne pas
apparaĂźtre parmi les auteurs du document rendu public. Le fait quâon ait apparemment ajoutĂ© les
noms de gens qui nâont pas Ă©tĂ© signataires initiaux pourrait laisser penser quâon a voulu gonfler une
liste devenue trop mince du fait de la « modestie » des autresâŠ
La qualitĂ© des personnalitĂ©s ayant effectivement participĂ© Ă lâĂ©laboration de ce document dâimportance
capitale est Ă©loquente. Les CV succincts qui accompagnent les noms viennent de sources publiques et auto-
risĂ©es, comme les biographies officielles que lâon peut trouver sur lâInternet, soit sur les sites personnels des
personnes concernées, soit sur les sites des organismes qui les emploient ou les ont employées.
Les commentaires qui accompagnent cette liste de personnalités datent de la fin 2007.
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
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Ă©dition du 09/06/08
Personnel
Les vingt-cinq signataires initiaux du document Ă©taient :
Elliott Abrams
, ancien adjoint au secrĂ©taire dâĂtat de lâĂšre Reagan, responsable des affaires in-
teramĂ©ricaines. Lors du scandale de lâIrangate, Abrams a plaidĂ© coupable pour deux incartades
consistant en des mensonges devant le CongrĂšs, mais a Ă©tĂ© ensuite amnistiĂ© par lâadministration
Reagan. Il est devenu par la suite prĂ©sident du Centre dâĂthique et de Politique Publique. Il est
actuellement membre du Conseil national de sécurité de Bush.
Gary Bauer
, candidat républicain aux élections présidentielles de 2000, il est actuellement prési-
dent de lâassociation
American Values
(les Valeurs de lâAmĂ©rique)
William J . Bennett
, haute personnalitĂ© de lâadministration Reagan
1
, a servi sous la présidence de
Reagan puis la premiĂšre administration Bush comme ministre de lâĂducation. AprĂšs avoir quittĂ©
sa charge gouvernementale, Bennet est devenu un « ami distingué » de la fondation conservatrice
Héritage, a co-fondé le mouvement
Empower America
(Pour une AmĂ©rique puissante) et sâest
autoproclamé expert en moralité en écrivant son livre
The Book of Virtues
(Le Livre des vertus).
Jeb Bush
, frÚre du Président George Walker Bush. Au moment de la fondation du PNAC, Jeb
Bush sâest prĂ©sentĂ© aux Ă©lections sĂ©natoriales en Floride. Il a Ă©tĂ© Ă©lu Ă ce poste quâil tient encore
aujourdâhui. (2008)
Dick Cheney
, ancien directeur de cabinet de la Maison Blanche sous Gerald Ford, six fois membre
du CongrĂšs et secrĂ©taire dâĂtat du premier PrĂ©sident Bush, il Ă©tait prĂ©sident de la section pĂ©troliĂšre
du gigantesque groupe de logistique et de services
Halliburton
au moment de la fondation du
PNAC. Il est ensuite devenu vice-prĂ©sident des Ătats-Unis sous la prĂ©sidence de G.W. Bush.
Eliot A . Cohen
, professeur dâĂ©tudes stratĂ©giques Ă lâuniversitĂ© John Hopkins.
Paula Dobriansky
, vice-présidente et directrice du bureau de Washington du Conseil des Rela-
tions internationales. Mme Dobriansky travaille actuellement dans lâadministration Bush comme
sous-secrĂ©taire dâĂtat pour les affaires mondiales.
Steve Forbes
, éditeur, milliardaire et candidat aux élections présidentielles de 1996 et 2000. For-
bes a Ă©galement activement fait campagne pour le compte de lâassociation « Flat Tax » qui militait
pour rĂ©duire le poids des impĂŽts fĂ©dĂ©raux sur les gens aisĂ©s comme lui-mĂȘme.
Aaron Friedberg
, professeur de sciences politiques et de relations internationales au Centre dâĂ©tu-
des internationales, directeur du Programme de recherches sur la sĂ©curitĂ© internationale de lâĂ©cole
Woodrow Wilson de lâUniversitĂ© de Princetown.
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1 Le terme du document en anglais est Drug Czar (baron de la drogue). Aux Ătats-Unis, il sâagit dâun surnom donnĂ© aux « apparatchiks » des
administrations, Carter ou Reagan, notamment. (NdT).
Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
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Ă©dition du 09/06/08
Francis Fukuyama
, auteur de
The End of History and the Last Man
[La fin de lâhistoire et le dernier homme],
doyen de la facultĂ© Bernard L Schwartz oĂč il enseigne lâĂ©conomie politique
Frank Gaffney
, â Ă©ditorialiste conservateur.
Fondateur et président du Centre pour une politique de sécurité, à Washington D.C.
Site Internet
http://www.centerforsecuritypolicy.org
Fred C . Ikle
, « Membre distinguĂ© » du Centre dâĂ©tudes stratĂ©giques et internationales.
Donald Kagan
, professeur dâhistoire et de culture classique Ă lâuniversitĂ© de Yale,
auteur de plusieurs livres parmi lesquels :
While America Sleeps: Self-Delusion
[Quand lâAmĂ©rique dort : une auto-illusion],
Military Weakness, and the Threat to Peace Today
[La faiblesse militaire et la menace dâaujourdâhui contre la paix],
A Twilight Struggle: American Power and Nicaragua, 1977-1990
[Une guerre entre chien et loup : la puissance américaine et le Nicaragua de 1977 à 1990],
et
The Origins of War and the Preservation of Peace
[Des origines de la guerre et de la préservation de la paix].
Kagan est Ă©galement un membre important de la Fondation Carnegie pour la paix internationale,
Ă©ditorialiste actif au
Weekly Standard
et au
Washington Post
, membre du Conseil pour les rela-
tions internationales et collĂšgue de Alexander Hamilton en Histoire diplomatique de lâAmĂ©rique Ă
lâUniversitĂ© AmĂ©ricaine. ExpĂ©rience politique : on le trouve comme adjoint au rĂ©dacteur en chef
de
the Public Interest
[le bien public] en 1981, assistant spĂ©cial du directeur adjoint de lâagence
dâinformation des Ătats-Unis en 1983, conseiller en politique internationale du parlementaire
Jack Kemp en 1983, rĂ©dacteur des discours du SecrĂ©taire dâĂtat George P. Schultz en 1984 et 1985,
membre de lâĂ©quipe de la planification de la doctrine au dĂ©partement dâĂtat de 1984 Ă 1985, et de
1985 à 1988, il est Adjoint à la doctrine au bureau des affaires interaméricaines du département
dâĂtat.
Zalmay Khalilzad
, AmĂ©ricain dâorigine afghane, il est le seul musulman du groupe de signataires
et le seul non amĂ©ricain de naissance. Khalizad a Ă©tĂ© nommĂ© envoyĂ© spĂ©cial de lâadministration
Bush en Afghanistan aprĂšs la chute du rĂ©gime des Taliban ainsi que lâenvoyĂ© spĂ©cial auprĂšs de
lâopposition iraquienne Ă Saddam Hussein. Khalizad a Ă©crit sur la Guerre de lâInformation. En
1996, avant lâarrivĂ©e au pouvoir des Taliban, il a servi auprĂšs de la Compagnie pĂ©troliĂšre UNOCAL
comme expert en « analyse des risques » Ă propos du projet dâolĂ©o- gazoduc Ă travers lâAfghanistan
et le Pakistan.
William Kristol
, président du PNAC, il est aussi rédacteur en chef au
Weekly Standard
, revue
politique installĂ©e Ă Washington. Ses engagements antĂ©rieurs : sous lâadministration Reagan, il a
enseignĂ© les sciences politiques Ă lâuniversitĂ© de Pennsylvanie et lâĂ©cole dâadministration Kennedy
de lâuniversitĂ© de Harvard ; toujours sous lâadministration Reagan, il a Ă©tĂ© directeur de cabinet du
ministre de lâĂ©ducation William J. Bennett ; ensuite il a Ă©tĂ© directeur de cabinet du vice-prĂ©sident
J. Danforth Quayle en enfin directeur du Projet sur lâavenir du parti rĂ©publicain.
I . Lewis Scooter Libby
, directeur de cabinet du Vice-président Dick Cheney.
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Reconstruire les DĂ©fenses de lâAmĂ©rique : stratĂ©gie, forces armĂ©es et ressources pour un siĂšcle nouveau
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Norman Podhoretz
, membre important de lâ
Hudson Institute
et auteurs dâĆuvres comme
Patrio-
tism and its Enemies
[Le patriotisme et ses ennemis].
J . Danforth Quayle
, dit « Dan Quayle »,
ancien Vice-prĂ©sident auprĂšs du prĂ©sident George Herbert Walker Bush (Bush 1er) et lui-mĂȘme
candidat aux élections présidentielles de 1996.
Peter W . Rodman
, a servi au dĂ©partement dâĂtat et au Conseil National de SĂ©curitĂ© sous les prĂ©-
sidents Ronald Reagan et George Bush (le premier); en 2001, il devient sous-secrétaire à la défense
chargé des affaires de sécurité internationale sous la deuxiÚme administration Bush & C°.
Stephen P . Rosen
, a Ă©tĂ© nommĂ© titulaire de la chaire de sĂ©curitĂ© nationale et dâaffaires militaires
du Centre Michael Kaneb de lâuniversitĂ© de Harvard.
Henry S . Rowen
, était président de la Rand Corporation de 1967 à 1972. De 1981 à 1983, il a servi
comme président du Conseil national du renseignement sous les présidents Reagan et Bush (le
premier). De 1989 à 1991, il est secrétaire adjoint à la défense pour les affaires de sécurité interna-
tionale. Il est actuellement « membre distinguĂ© » de lâInstitut Hoover sur la Guerre, la RĂ©volution
et la Paix.
Donald H . Rumsfeld
, a servi sous le prĂ©sident Gerald Ford comme chef de lâintĂ©rim aprĂšs la
démission de Richard Nixon. Il est ensuite devenu le directeur de cabinet de Ford puis son ministre
de la défense de 1974 à 1975. Il a ensuite été PDG de la Compagnie
General Instrument
, puis
président du directoire de la société pharmaceutique
Gilead Sciences
. En 1998, il est désigné
comme président de la commission bipartite américain sur la menace par les missiles balistiques.
Il est à nouveau ministre de la défense du président George W. Bush.
Vin Weber
, ancien parlementaire républicain du Minnesota, on le connaßt maintenant comme
lobbyiste trÚs bien introduit qui a travaillé pour des sociétés comme
AT&T
(téléphonie et télécom-
munications)
Lockheed Martin
(aéronautique civile et militaire) et
Microsoft
. Weber est aussi vice-
prĂ©sident de lâassociation
Empower America
et ancien membre de la Fondation pour le ProgrĂšs et
la Liberté.
George Weigel
, religieux catholique romain et commentateur politique, est « membre important »
du Centre dâĂ©thique et de politique publique.
Paul Dundes Wolfowitz
, ancien doyen et professeur de relations internationales Ă lâĂ©cole Paul H.
Nitze dâĂ©tudes supĂ©rieures internationales de lâuniversitĂ© John Hopkins. Il est devenu lâadjoint du
ministre de la défense de George W. Bush en 2001. Poussé à la démission aprÚs le fiasco en Iraq
et les scandales qui y sont liĂ©s, il a Ă©tĂ© nommĂ© prĂ©sident de la Banque mondiale, poste quâil a dĂ»
quitter au bout de quelques mois Ă la suite dâun nouveau scandale, de nĂ©potisme, cette fois
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