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Octobre 2006

EnquĂȘte : Claire Voeux (journaliste free-lance) - Julien Pain

Reporters sans frontiĂšres - Bureau Internet et libertĂ©s

5, rue Geoffroy Marie - 75009 Paris

TĂ©l : (33) 1 44 83 84 84 - Fax : (33) 1 45 23 11 51

E-mail : internet@rsf.org

Web : www.rsf.org

INTERNET À CUBA :
Un réseau sous surveillance

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Les hauts fonctionnaires en visite pour le XIVe
sommet des pays non alignés ont dû se dire que
naviguer sur Internet Ă  Cuba Ă©tait aussi plaisant
que de siroter un 

mojito

sur une plage de sable

blanc. Peu ou pas de file d’attente, des tarifs
divisés par deux ou par trois et plus aucun
contrĂŽle d’identitĂ© Ă  l’entrĂ©e des cybercafĂ©s des
grands hĂŽtels de La Havane. Pendant toute la
semaine du sommet qui a réuni une centaine de
délégations du 11 au 16 septembre 2006, les
“business centers” des hĂŽtels Ă©toilĂ©s avaient
comme qui dirait adouci leurs conditions d’ac-
cùs à la Toile. A l’hîtel Inglaterra, certainement
l’un des plus emblĂ©matiques de la capitale, les
administrateurs du RĂ©seau se sont subitement
mis à proposer aux utilisateurs d’effacer leur
historique de navigation et les cookies* Ă  la fin
de chaque session. Et dire que, quelques jours
auparavant, l’hĂŽtesse d’accueil du cybercafĂ©
réclamait systématiquement les noms, prénoms
et numéros de passeport de tous les utilisa-
teurs
 Quant au Habana Libre, il avait baissé
ses tarifs de 9 à 3 dollars de l’heure. Non vrai-
ment, quel dommage que le sommet n’ait pas
duré plus longtemps
 en tout cas pour les tou-
ristes et les journalistes Ă©trangers comme moi,
les seuls autorisés à fréquenter ces grands
hĂŽtels. 
Les Cubains, eux, doivent se contenter des
quelques Correos de Cuba, les cybercafés
publics. Pendant que les touristes patientent
quelques minutes dans des fauteuils molleton-
nés, avec une glace fresa et chocolate dans
l’hîtel Inglaterra, les autochtones se collent
entre une demi- heure et trois quarts d’heure de
queue au Correo de Cuba voisin, situé à une
trentaine de mĂštres de lĂ , au pied du Capitole. A
l’entrĂ©e, l’agent de la sĂ©curitĂ© me propose de
“m’arranger le problùme de la file d’attente”. Ici,
beaucoup de choses peuvent s’arranger,
moyennant finances. Je refuse et arrive donc
trois quart d’heure plus tard devant l'un des
sept ou huit ordinateurs que compte ce cyber-

café. On ne me demande pas mon passeport,
simplement mon nom (je donne en fait mon pré-
nom) et mon pays d’origine. De toute façon, les
petits jeunes de l’accueil ne sont pas trùs regar-
dants. 
La connexion coĂ»te 4,50 dollars de l’heure

soit prĂšs de la moitiĂ© du salaire moyen d’un
Cubain. Autant dire que les locaux préfÚrent
opter pour la version “nationale” d’Internet qui
revient à 1,50 dollar de l’heure : une simple
adresse mail qui permet d’envoyer des courriers
Ă©lectroniques Ă  Cuba et Ă  l’étranger, mais pas
de naviguer sur la Toile. Partout, “la connexion
es super lenta”, “la connexion est super lente”,
comme l’indique ouvertement un panneau affi-
chĂ© Ă  l’entrĂ©e du Correo de Cuba de la rue
Obispo, dans la vieille Havane. En une heure, on
a le temps de lire environ trois mails, d’y rĂ©pon-
dre et de consulter trois articles dénichés sur
Google news. La plupart du temps (mais pas
toujours, c’est finalement assez alĂ©atoire),
mĂȘme si vous tapez www.google.fr, Google
news vous renvoie sur les news de Cuba. Un
mĂ©lange d’articles tirĂ©s du 

Granma

, la feuille de

chou officielle du Parti communiste cubain et de
l'agence officielle 

Prensa latina

.

Mais il ne faudrait pas noircir le tableau pour
autant. Depuis les Correos de Cuba comme
depuis les hĂŽtels, vous avez accĂšs Ă  pratique-
ment tous les sites d’information, lemonde.fr,
bbc.com, le Nuevo Herald (un quotidien de
Miami) et mĂȘme les sites des dissidents du
rĂ©gime castriste. MĂȘme chose pour les
employĂ©s du gouvernement qui disposent d’un
ordinateur et d’un accùs Internet. “Cela fait des
annĂ©es que je n’ai pas ouvert le Granma,
raconte Luis, qui travaille pour le ministĂšre de la
Culture. Je m’informe sur google et le site de la
BBC, et je n’ai jamais eu aucun problùme pour
consulter les sites des opposants.” En fait, un
seul papier que j’ai voulu lire sur Internet a Ă©tĂ©
bloquĂ©. L’article, intitulĂ© “Et quand Fidel ne sera
plus là, que se passera-t-il ?” du journal El

Internet Ă  Cuba : 

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“J’ai testĂ© pour vous l’Internet cubain”

RĂ©cit de voyage d’une journaliste free-lance en reportage sur l’üle du 14 aoĂ»t au 13 septembre 2006

* Petits Fichiers qui s'inscrivent automatiquement sur le disque dur d'un ordinateur connecté à Internet lors de la
visite de certains sites Web. Ils permettent aux sites de recueillir des informations sur leurs visiteurs et sont souvent
considérés comme portant atteinte à la vie privée des internautes.

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Diario Montanes, s’est bien affichĂ© mais un
message d’erreur est apparu au bout de quel-
ques secondes. J'y ai lu quelque chose comme

“Accùs restreint
 misconfiguration”. Prise de
panique, j’ai fermĂ© la page et l’affaire en est res-
tée là.
Non, en fait, le plus périlleux, en tant que jour-
naliste free-lance dépourvue de visa de presse
(ils étaient presque systématiquement refusés
au moment du sommet des non-alignés), a fina-
lement Ă©tĂ© l’échange de mails. PremiĂšres
sueurs froides Ă  Vinales, dans la province occi-
dentale de Pinar del Rio. Dans cette petite ville
touristique, l’accĂšs Ă  Internet se rĂ©duisait Ă  un
seul poste (le deuxiĂšme Ă©tait en panne) dans
une petite salle derriĂšre une agence de tou-
risme. Un responsable de Reporters sans fron-
tiĂšres m’avait envoyĂ© par mail les coordonnĂ©es
des principaux dissidents sur l’üle, avec des
Ă©toiles et d’autres signes de ponctuation inter-
calĂ©s entre les lettres, histoire d’éviter que les
autorités ne reconnaissent ces mots-clés. Mais
ces prĂ©cautions n'ont pas suffi. J’ai Ă  peine eu
le temps de lire les adresses et téléphones de
trois opposants qu’un message d’erreur sans
appel est apparu. “Ce programme fermera dans
quelques secondes pour des raisons de sécu-
ritĂ© d'Etat”. Oups !
 Heureusement qu’on ne
m’avait pas demandĂ© mon numĂ©ro de passe-
port Ă  l’entrĂ©e. La deuxiĂšme fois, je me trouvais
dans le trĂšs chic hĂŽtel NH Parque central oĂč la
connexion coûte la bagatelle de 12 dollars de
l’heure. J’étais toute seule dans une salle avec
air conditionné en train de taper un article pour
le quotidien belge Le Soir, sur Word. J’avais pris
l’habitude d’écrire les textes normalement et de
ne changer les termes sensibles comme Castro,

rĂ©volution ou dissidents qu’au moment de les
envoyer par mail. Je les remplaçais alors par
des mots anodins (Fanfan, confiture ou parents)
et transmettais le décodage par SMS. Mais
cette fois-ci, le mĂȘme message “Ce programme
fermera dans quelques secondes, etc.” a fait
irruption sur mon Ă©cran. J’ai tapĂ© Ctrl A (sĂ©lec-
tionner tout mon document) et Ctrl C (copier) et
la page s’est fermĂ©e. J’ai ensuite collĂ© le texte,
me le suis envoyé sur ma propre boßte mail et
n’ai plus jamais remis les pieds au NH Parque
central. 
A partir de ce moment, j’ai pris toutes les prĂ©-
cautions possibles et imaginables. Je me suis
mĂȘme servie d’une boite mail ouverte par
Reporters sans frontiĂšres. J’écrivais les articles
systĂ©matiquement codĂ©s, que  je laissais dans
la boite “brouillons”, sans les envoyer.
Quelqu’un en France venait ensuite ouvrir cette
boite mail et transmettait les articles Ă  mes
rĂ©dactions. 

On ne connaßt pas les stratégies et les métho-
des de la police cubaine, ou en tout cas trĂšs
mal. La surveillance de la Toile me semble en
fait assez arbitraire. Le niveau de vigilance
dépend des hÎtels et des ordinateurs, au petit
bonheur la chance. Mais mieux vaut faire trĂšs
attention. Et employer tous les moyens pour
éviter de se retrouver dans une situation péril-
leuse, voire d’ĂȘtre expulsĂ©e. J’ai eu la chance de
prendre mon vol retour à la date prévue, sans
passer par les bureaux de la police. Les mailles
du filet Ă©taient finalement assez lĂąches pour
laisser passer les petits poissons comme moi.

Claire Voeux 

Internet Ă  Cuba : 

un RĂ©seau sous surv

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Avec moins de deux internautes pour 100 habi-
tants, Cuba figure parmi les pays les plus en
retard en matiĂšre d'Internet. Il est de loin le plus
mal loti d'Amérique latine - le Costa Rica fait 13
fois mieux - et se situe au niveau de l'Ouganda
ou du Sri Lanka. Sur une Ăźle qui se targue d'avoir
l'un des niveaux d'éducation les plus élevés de
la planĂšte, ce constat a de quoi surprendre. Les
autorités défendent ce bilan catastrophique en
blĂąmant l'embargo amĂ©ricain, qui les empĂȘche-
rait de s'équiper du matériel nécessaire au
développement du Réseau. Elles expliquent
notamment que, ne pouvant pas se raccorder Ă 
l'Internet mondial par le biais de cĂąbles opti-
ques sous-marins, elles en sont réduites à utili-
ser des connexions satellitaires coûteuses et
moins efficaces. Cet argument peut en effet
expliquer la lenteur de l'Internet cubain et les
files d'attente interminables devant les cyberca-
fés. Mais il ne justifie en rien le systÚme de
contrĂŽle et de surveillance du RĂ©seau mis en
place par les autoritĂ©s. Dans un pays oĂč les
mĂ©dias sont Ă  la botte du pouvoir, empĂȘcher la
circulation d'informations indépendantes sur
Internet est naturellement devenu fune prioritĂ©. 

L'enquĂȘte menĂ©e par Reporters sans frontiĂšres
révÚle que le gouvernement cubain utilise plu-
sieurs leviers pour s'assurer que ce média n'est
pas utilisĂ© de maniĂšre “contre-rĂ©volutionnaire”.
Tout d'abord, il a peu ou prou interdit les
connexions privées au Réseau. Pour surfer ou
consulter leurs e-mails, les Cubains doivent
donc obligatoirement passer par des points
d'accĂšs publics (cybercafĂ©s, universitĂ©s, “clubs
informatiques pour la jeunesse”, etc), oĂč il est
plus facile de surveiller leur activité. Ensuite, la
police cubaine a installé, sur tous les ordina-
teurs des cybercafés et des grands hÎtels, des
logiciels qui déclenchent un message d'alerte
lorsque des mots-clĂ©s “subversifs” sont repĂ©-
rés. Le régime s'assure par ailleurs que les
opposants politiques et les journalistes indé-
pendants n'accĂšdent pas Ă  Internet. Pour ces
derniers, communiquer avec l'Ă©tranger est un
véritable chemin de croix. Enfin, le gouverne-
ment mise sur l'autocensure. A Cuba, on peut
ĂȘtre condamnĂ© Ă  vingt ans de prison pour quel-

ques articles “contre-rĂ©volutionnaires” publiĂ©s
sur des sites Ă©trangers et Ă  cinq ans simplement
pour s'ĂȘtre connectĂ© au Net de maniĂšre illĂ©gale.
Peu d'internautes osent défier la censure de
l'Etat et prendre un tel risque.

Internet contrĂŽlĂ© dĂšs 
son apparition sur l'Ăźle

Le gouvernement a lĂ©gifĂ©rĂ© dĂšs l’apparition
d’Internet sur l’üle. En juin 1996, le dĂ©cret-loi
209, intitulĂ© “AccĂšs depuis la RĂ©publique de
Cuba au rĂ©seau informatique global”, prĂ©cise
que son utilisation ne peut se faire “en violation
des principes moraux de la société cubaine ou
des textes de loi du pays”, et que les messages
Ă©lectroniques ne doivent pas “compromettre la
sĂ©curitĂ© nationale”. Les Cubains souhaitant dis-
poser d’un accùs à Internet doivent, pour obte-
nir l’accrĂ©ditation obligatoire, fournir une “raison
valable”, et signer un contrat d’utilisation aux
clauses restrictives. La procédure requiert,
comme pour le tĂ©lĂ©phone, l’accord d’ETEC SA,
unique opérateur de télécoms du pays, puis
d’une commission locale dĂ©pendant des
Comités de défense de la révolution, qui évalue
les mérites du demandeur.
Selon le dĂ©cret-loi 209, l’accĂšs est accordĂ© “en
vertu de rÚglements donnant la priorité aux enti-
tés et institutions pouvant contribuer à la vie et
au dĂ©veloppement de la nation”. Peuvent y prĂ©-
tendre Ă  ce titre, en dehors des ambassades ou
des sociétés étrangÚres, les personnalités poli-
tiques, les hauts fonctionnaires, les intellectuels,
universitaires, médecins, chercheurs et journa-
listes officiels, les cadres des entreprises cultu-
relles tournĂ©es vers l’exportation ou des entre-
prises d’informatique, ainsi que la hiĂ©rarchie
catholique.
Le 13 janvier 2000, un ministĂšre de
l’Informatique et des Communications a Ă©tĂ©
crĂ©Ă© pour “rĂ©guler, diriger, superviser et contrĂŽ-
ler la politique cubaine en matiĂšre de technolo-
gies de la communication, l’informatique, les
télécommunications, les réseaux informatiques,
la radiodiffusion, le spectre radioélectrique, les
services postaux et l’industrie Ă©lectronique”.

Internet Ă  Cuba : 

un RĂ©seau sous surv

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ContrÎle d'Internet, la méthode cubaine

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Une autorisation pour 
acheter un PC

Il est interdit d'acheter du matériel informatique,
sauf autorisation expresse des autorités. Il est
possible, quoique difficile, de se procurer sur le
marché noir un ordinateur en piÚces détachées,
mais les prix sont prohibitifs.  La quasi-totalitĂ©
des PC de l'ßle ont été achetés par l'Etat.
RĂ©sultat, Cuba est l'un des pays oĂč le taux
d'Ă©quipement est le plus faible du monde : 3,3
ordinateurs pour 100 habitants, un ratio Ă©quiva-
lent Ă  celui du Togo (source : Union internatio-
nale des télécommunications, 2005). De toute
façon, mĂȘme si un Cubain parvient Ă  acquĂ©rir
un ordinateur, sur le marché noir ou grùce à des
contacts Ă  l'Ă©tranger, il ne pourra pas se
connecter à Internet ni ouvrir une ligne télépho-
nique internationale sans autorisation de l'Etat.
Autant dire que dans le pays, il est quasiment
impossible d'accéder à Internet à partir de son
domicile.

Dans les cybercafĂ©s : 
des messages bloquĂ©s 
pour des raisons 
de “sĂ©curitĂ© d'Etat”

Les cybercafés cubains proposent deux types de
connexion au RĂ©seau : l'une “nationale”, qui ne
permet d'utiliser qu'un service d'e-mail mis en
place par l'Etat ; l'autre “internationale”, qui
donne l'accĂšs Ă  l'ensemble du world wide web.
L'immense majorité des Cubains n'accÚdent
qu'au premier service, qui coûte 1,20 euro de
l'heure, et ne peuvent payer les 4 euros de l'heure
requis  pour surfer sur le Net - une somme reprĂ©-
sentant un tiers du salaire mensuel moyen d'un
Cubain. La connexion “internationale” est par
conséquent principalement utilisée par les touris-
tes. Ces derniers peuvent accéder aux cyberca-
fés locaux, les Correos de Cuba, ou se connec-
ter Ă  partir des nombreux hĂŽtels de luxe de l'Ăźle. 

Les cybercafés ne censurent que trÚs peu le
Web. Des tests effectués par Reporters sans
frontiÚres ont montré que la plupart des sites de
l'opposition cubaine, ainsi que ceux des organi-
sations internationales de droits de l'homme,
sont accessibles par le biais du service “interna-
tional”. En Chine, des filtres par mots-clĂ©s sont
installés sur le Réseau, ce qui rend par exemple

impossible le téléchargement de pages conte-
nant des mots-clĂ©s “subversifs”. L'organisation a
pu vérifier, en testant une série de termes inter-
dits à partir de cybercafés, qu'aucun systÚme de
ce type n'est installĂ© Ă  Cuba. 

En revanche, les ordinateurs des cybercafés sont
étroitement surveillés. A l'entrée, il est demandé
à l'utilisateur de donner son nom, son prénom et
son adresse. Ensuite, lorsqu'il Ă©crit un message
contenant des mots-clés suspects, comme par
exemple le nom d'un dissident connu, un mes-
sage (pop-up) s'affiche Ă  l'Ă©cran pour l'avertir
que son texte est bloqué pour des raisons de
“sĂ©curitĂ© d'Etat”. Suite Ă  cette alerte, l'applica-
tion utilisée pour taper le message, qu'il s'agisse
d'un traitement de texte ou d'un logiciel de navi-
gation, est automatiquement fermée. Il semble-
rait donc qu'un programme installé sur tous les
postes des cybercafés détecte automatiquement
les contenus interdits. 

Les dissidents politiques et les journalistes indé-
pendants ne sont en général pas autorisés à se
rendre dans les cybercafés. Nombre d'entre eux
utilisent par conséquent la vingtaine d'ordina-
teurs mis Ă  leur disposition par la Section des
intĂ©rĂȘts nord-amĂ©ricains Ă  La Havane. Mais un
seul passage dans les locaux de la diplomatie
amĂ©ricaine suffit pour ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un
“ennemi de la rĂ©volution”. Cette option n'est
donc pas envisageable pour tout le monde.

Le marché noir et la traque
des internautes illégaux

Face à ces restrictions, les Cubains ont créé un
marché noir leur permettant de louer des codes
de connexions : des personnes autorisées à se
connecter au Net proposent d'utiliser leur
compte Ă  certaines heures, moyennant une

Internet Ă  Cuba : 

un RĂ©seau sous surv

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File d’attente Ă  l’entrĂ©e d’un cybercafĂ©

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rémunération au mois (environ 30 dollars). Les
autorités traquent les responsables de ce petit
commerce. D'aprĂšs La 

Nueva Cuba

, cinq Ă©tu-

diants ont été exclus de leur établissement pour
avoir revendu les codes de connexions de leur
université et créé des forums de discussion
hĂ©bergĂ©s aux Etats-Unis. Le site a mĂȘme publiĂ©
une vidéo tournée à Cuba, datée du 17 février
2006, dans laquelle des responsable de l'univer-
sité présentent à un auditoire les sanctions prises
Ă  l'encontre de ces Ă©tudiants. L'un d'entre eux y
explique que l'utilisation illégale d'Internet est
passible de cinq ans d'emprisonnement. Il pré-
vient Ă©galement que “la guerre contre les enne-
mis de la révolution se joue sur plusieurs fronts, y
compris sur Internet”. Un professeur annonce
finalement que les cinq jeunes qui trafiquaient
des codes de connexions, dont aucun n'avait
pourtant d'activité politique, ne seront plus auto-
risés à reprendre leurs études avant plusieurs
années.

Certains Cubains, notamment les journalistes
indépendants et les dissidents politiques, se
connectent Ă  Internet sur les ordinateurs d'Ă©tran-
gers vivant dans le pays. Mais la police cherche
Ă  faire cesser ce type de pratique. Elle appelle
donc rĂ©guliĂšrement ces “amis Ă©trangers” pour les
menacer d'expulsion. 

“El coco” se bat pour que 
tous les Cubains accĂšdent 
Ă  un Internet libre

Guillermo Fariñas, surnommĂ© “El coco”, directeur
de l'agence de presse indépendante Cubanacån
Press, a entamé, en février 2006, une grÚve de la
faim pour demander que tous les Cubains aient
accĂšs Ă  un “Internet libre”. Les autoritĂ©s ont dĂ»
l'hospitaliser de force et le mettre sous perfusion
pour mettre un terme Ă  son action, qui trouvait un
Ă©cho dans les mĂ©dias internationaux. 

“El Coco” se dit prĂȘt Ă  mourir pour que son peu-
ple ait enfin le droit de s'informer. Depuis le 20
août, il est maintenu dans un service de soins
intensifs en raison de problÚmes rénaux et de
troubles cardiaques. Les autorités ont proposé de
lui accorder un accùs “restreint” à Internet, mais il
a refusĂ©, expliquant qu'il ne pouvait exercer
dignement son métier de journaliste en ne
consultant que des informations filtrées par le
gouvernement.

Cubanacån, fondée en 2003, est l'agence de
presse la plus importante de la nouvelle géné-
ration de journalistes indépendants. Aucun des
17 reporters qui y collaborent n'ont pourtant le
droit d'utiliser Internet ou un fax pour envoyer
leurs articles Ă  l'Ă©tranger. Ils doivent le plus
souvent dicter entiĂšrement leurs textes Ă  partir
de téléphones publics. Les tarifs de communi-
cation étant trÚs élevés, ces appels sont habi-
tuellement passés en PCV.

Des journalistes emprisonnés
pour des articles publiĂ©s 
sur le Net

Vingt-quatre journalistes indépendants sont
actuellement détenus à Cuba. Ils purgent des
peines allant jusqu'Ă  27 ans de prison. Leurs
actes d’accusation comportent pour la plupart
des références à leur activité sur Internet, et
notamment leur collaboration avec des sites
basĂ©s aux Etats-unis. 

- Héctor Maseda Gutiérrez, journaliste, est
accusĂ©, entre autres, d’avoir publiĂ© des textes
sur le site Cubanet et d’avoir reçu de l’argent de
ce média. Il a été condamné à 20 ans de prison.

- Adolfo FernĂĄndez Sainz, journaliste, est
accusĂ©, entre autres, d’avoir publiĂ© sur le site
www.nuevaprensa.org des articles «contre-
rĂ©volutionnaires» pour qu’ils “soient utilisĂ©s,
directement ou indirectement, par le gouverne-
ment nord-américain pour continuer sa politique
d’agression contre Cuba”. Il a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă 
15 ans de prison.

-  Julio CĂ©sar GĂĄlvez RodrĂ­guez, journaliste, est
accusĂ©, entre autres, d’avoir reçu de l’argent de
sites Internet comme Cubanet et Encuentro en
la Red et d’avoir consultĂ© le Net Ă  partir de la
Section des intĂ©rĂȘts nord-amĂ©ricains. Il a Ă©tĂ©
condamné à 15 ans de prison.

Telecom Italia, actionnaire des
télécoms cubains

L'entreprise transalpine Telecom Italia est action-
naire Ă  29,3 % d’ETEC SA, l’unique opĂ©rateur de
télécoms cubain - le reste du capital étant détenu
par l’Etat. Or, ETEC SA, qui contrîle entiùrement
l’Internet du pays, est utilisĂ© par le gouvernement
pour surveiller le Web et traquer les dissidents

Internet Ă  Cuba : 

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politiques. Lors du procĂšs des journalistes arrĂȘ-
tés en mars 2003, des rapports ont été fournis
par l’opĂ©rateur cubain pour prouver que les incul-

pĂ©s avaient utilisĂ© le RĂ©seau de maniĂšre “contre-
rĂ©volutionnaire”. Reporters sans frontiĂšres a Ă©crit,
en mars 2004, au prĂ©sident du conseil d’adminis-
tration de Telecom Italia, pour attirer son atten-
tion sur les conséquences de la participation de
son entreprise dans ETEC SA. L’organisation lui a
demandĂ© “d’intervenir pour tenter d’inflĂ©chir la
politique du rĂ©gime cubain Ă  l’égard du Net et
demander la libération des journalistes empri-
sonnĂ©s”. L'entreprise italienne a rĂ©pondu Ă  ce
courrier, expliquant qu'elle ne pouvait pas se reti-
rer de Cuba pour des raisons financiĂšres, mais
affirmant qu'elle ne participait pas directement Ă 
la surveillance et au contrĂŽle d'Internet dans ce
pays.

Une possible coopĂ©ration 
avec la Chine dans le domaine 
de la surveillance des
communications Ă©lectroniques

La Chine et Cuba ont renforcé leur coopéra-
tion Ă©conomique depuis la visite dans l'Ăźle du
président Hu Jintao, en novembre 2004. Suite
à cette rencontre, un officiel chinois a annoncé
que son pays participerait au développement
du secteur des télécommunications cubains.

Les autorités de Pékin étant déjà soupçon-
nées de revendre leur technologie et leur
savoir-faire en matiĂšre desurveillance du
RĂ©seau Ă  plusieurs gouvernements de pays
autoritaires, notamment le  Zimbabwe et le
Belarus, il est probable que ce type de coopé-
ration existe à Cuba. Le site basé aux Etats-
Unis Cubanet affirmait d'ailleurs, en janvier
2005, que des experts chinois avaient installé
des â€œĂ©quipements d'espionnage Ă©lectronique”
dans la province de Santa Clara, en collabora-
tion avec ETEC SA.

Internet Ă  Cuba : 

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Cuba figure 

sur la liste des quinze 

“ennemis d'Internet” 

de Reporters sans frontiĂšres

L'organisation lance 

une cybermanifestation 

les 7 au 8 novembre 2006. 

Pendant ces "24h contre la censure du Net", 

mobilisez-vous sur www.rsf.org