Festival de Cannes

« Valse avec Bachir » : la mémoire d'Israël en dessin animé

Et hop c'est reparti… Le festival de Cannes, 61e du nom, célèbre son ouverture ce soir avec la présentation de « Blindness » de Fernando Meirelles. Le premier événement sera la présentation demain jeudi de « Waltz with Bashir », film d'animation israélien d'Ari Folman sur la mémoire des massacres de Sabra et Chatila. Un film important que l'on pourrait bien retrouver au palmarès le 25 mai.

Affiche du film

Oubliez les paillettes, la futilité ostentatoire et les très incontournables surenchères marketing (dans la catégorie, le quatrième épisode d'« Indiana Jones », présenté hors compétition dimanche prochain, n'a pas de concurrent sérieux). Le festival de Cannes, il convient de ne pas l'oublier, c'est avant tout des films. Des films témoignant de la créativité d'un cinéma singulier, rétif au formatage et qui, dans le meilleur des cas, ne regarde pas seulement tout au fond de son nombril…

Dans la compétition, forte de vingt-deux concurrents, un titre, sur le papier, intrigue plus que les autres. Son nom : « Waltz with Bashir ». Son réalisateur : Ari Folman, un cinéaste israélien peu connu hors des frontières de son pays, aujourd'hui l'un des plus généreux en découvertes stimulantes. Son genre : « Un documentaire d'animation », dixit Thierry Frémaux, le délégué général du festival, lors de la conférence de presse annonçant il y a une quinzaine de jours la liste des films présentés à Cannes.

Puzzle identitaire autour de cauchemars récurrents

Dans « Waltz with Bashir », Ari Folman retrace un traumatisme individuel et collectif. Le sien et celui de son pays. Le choix, très gonflé, du cinéma d'animation renvoie à un souci d'exemplarité, histoire que chacun, en Israël, puisse se reconnaître à travers ces personnages dessinés et ordinaires, résolument non-héroïques. Quel est ce passé qui ne passe pas ? Comment la mémoire s'est-elle arrangée avec les souvenirs dérangeants ? Pourquoi un quart de siècle après les faits, le protagoniste principal du film, Ari lui-même donc, est-il victime de cauchemars récurrents ? Peu à peu, le puzzle identitaire s'assemble. A vingt ans, Folman fut un soldat de Tsahal. Au Liban, en 1982, il connut l'horreur des combats et la déraison sanguinaire au travail. Point d'orgue, si l'on ose dire, les massacres des camps palestiniens de Sabra et Chatila perpétrés par les milices chrétiennes, suite à l'assassinat du président libanais Bashir Gemayel, sous l'œil (au mieux indifférent) de l'armée israélienne.

Le film bouscule la chronologie. Mêle le présent et des bribes des événements de 1982. Ari met en scène son enquête subjective. Il va voir ses potes de l'époque. Retrace avec eux une jeunesse commune. Les avertit de son ambitieux dessein (« Ce film est une thérapie »). Les réminiscences s'incarnent sur l'écran. Départ pour le Liban. Rêveries érotiques pour conjurer la trouille. Plongée dans le quotidien des attentats et le bourbier libanais. Permissions intermittentes. Apprentissage en accéléré de l'âge adulte. Enjeux politiques et militaires flous…

Face au refus collectif de se voir dans la peau du tortionnaire

Pourquoi une mémoire si friable ? Qu'avons-nous désiré à ce point ne pas voir ? La grande force (esthétique et politique) de « Waltz with Bashir » tient dans cette double question que Folman se pose à lui-même et pose à son pays. Sorte de psychanalyse historique, le film, en à peine une heure trente, tend un miroir dérangeant à Israël et à ses enfants. Et ose même avancer -ce que seul un Israélien peut faire- que la mauvaise conscience nationale face à ce passé éminemment trouble s'explique peut-être par un refus collectif de se voir dans la peau du tortionnaire.

Audace sur le fond et, bien sûr, audace sur la forme. Même si l'on est plus ou moins séduit par le style d'animation (un rien pompier) mis au point par Folman ; même si l'on peut regretter une certaine grandiloquence (musique omniprésente, effets sur-dramatisants), « Waltz with Bashir » demeure une œuvre atypique et, surtout, historiquement marquante.

À la fin du film, le cinéaste renonce à son procédé. Des images documentaires (cadavres de palestiniens, désolation dans les camps, errance des survivants hagards) succèdent à celles d'animation. Comme si en ayant renoué les fils de sa propre mémoire, il était temps désormais pour Ari Folman de montrer ce qu'il était vraiment advenu et qu'il convient de ne jamais oublier.

Un finale exemplaire, impressionnant, pour un film qui ne peut pas laisser indifférent. Il ne serait guère étonnant que Sean Penn (président du jury) et les plus engagés parmi ses collègues -Rachid Bouchareb (« Indigènes »), Marjane Satrapi (« Persépolis »)- lui trouvent des vertus à l'heure de rendre leur verdict dans dix jours.

Waltz with Bashir. De Ari Folman - Sortie en France le 25 juin.

Le festival de Cannes a lieu du 14 au 25 mai. Voir son site officiel.

3 commentaires sélectionnés

Portrait de Ben_David

De Ben_David

13H03 | 14/05/2008 | Permalien

c'est assez curieux cet amalgame… ça commence très clairement par dire que les massacres de Sabra et Chatila sont le fait des milices chrétiennes avec le laisser faire de l'armée israélienne et ça se termine pour dire que ce sont les israéliens… les tortionnaires !
Qu'ils aient été complices passifs OK, mais ne rien dire de la culpabilité des milices libanaises chrétiennes et laisser toute la culpabilité aux israéliens est tendancieux (je parle aux journalistes qui évoquent régulièrement ce massacre).

Bon point pour les israéliens qui en parlent et revisitent leur mémoire (donc merci à ce film et à son réalisateur.

Quid des libanais ? C'est le trou noir ! ça explique peut être ce qui se passe en ce moment au Liban. Ils n'ont
pas l'habitude de regarder la réalité en face et rejettent tout sur israël (y compris certains chrétiens)

Portrait de yekel

De yekel

14H24 | 14/05/2008 | Permalien

Bonjour à tous !
Je tiens à saluer le travail du réalisateur Ari Folman qui dénote une liberté d'opinion ancrée dans ce pays qu'est Israël.

Nul besoin de rappeler le rôle manipulateur de l'armée israelienne à l'époque des faits. Cependant, lui faire porter la responsabilité exclusive des massacres serait une entreprise de contre vérité et je rejoins Ben_David là-dessus.

Ce film permettra peut-être une meilleure compréhension pour les pays arabes de ce qu'est l'objectivité dans le rapport des faits d'histoire et qu'il fera réfléchir les parties bélligérantes en les faisant danser ensemble cette fois-ci sous le son mélodieux d'une vraie valse, pas celle de Bachir mais celle de Johann Strauss.

Portrait de leconcombrevert

De leconcombrevert

entier ! | 18H18 | 14/05/2008 | Permalien

À quoi peut bien servir ce film - Peut-être à sortir du manichéisme néfaste, de cette vision puérile du tout blanc - tout noir de ce conflit et des peuples qui y sont impliqués ?

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