Confidentiels & indiscrets

Affaire Coupat : un éditeur entendu par l'antiterrorisme

La police espère établir un lien entre le livre « L'Insurrection qui vient » et Julien Coupat pour étayer ses accusations de terrorisme.

Intervention sur les lignes SNCF à Morcenx le 29 janvier 2009 (Regis Duvignau / Reuters)

Eric Hazan, patron des éditions La Fabrique, a été entendu ce jeudi matin pendant trois heures trente par la sous-direction de l'antiterrorisme (SDAT) de la Police judiciaire. Il est l'éditeur d'un livre signé d'un mystérieux « comité invisible » et intitulé « L'insurrection qui vient ».

Les enquêteurs, qui soupçonnent Julien Coupat d'en être l'auteur, espèrent en apporter la preuve, ce qui permettrait selon eux d'étayer les accusations pesant sur le présumé terroriste.

Eric Hazan a été convoqué hier par un coup de téléphone, à la suite, semble-t-il, d'une commission rogatoire.

Il s'est présenté ce jeudi matin à la sous-direction antiterroriste, où les enquêteurs l'auraient questionné sur deux points : les liens qu'ils soupçonnent entre « L'insurrection qui vient » et Julien Coupat, et ceux entre le jeune militant, ce livre et la fameuse affaire des caténaires.

Le livre est cité trois fois dans un rapport de l'antiterrorisme

Comme Rue89 le rappelait en décembre dans un article revenant sur l'affaire de Tarnac et son enquête très médiatique, la police a très vite confié aux médias une très forte présomption de paternité de Coupat pour cet écrit, qui semble faire office de pièce à conviction. Mais à l'époque, aucun élément de preuve n'a filtré pour étayer ces accusations.

On les trouve dans la retranscription d'un rapport de synthèse de la SDAT destiné au procureur de la République de Paris, publiée fin novembre par Mediapart (sur abonnement). Le document faisait le point sur l'état d'avancement de l'enquête, en rappelant les faits et en détaillant le profil des différentes personnes soupçonnées.

« L'insurrection qui vient » est cité à trois reprises sur quatorze pages. A chaque fois, les policiers sont catégoriques : Julien Coupat en est le principal auteur, et les autres suspects sont aussi membres du « comité invisible ». Les enquêteurs n'étayaient pas leurs affirmations, écrivant simplement que leur enquête a « établi » que les suspects ont écrit l'ouvrage, sous la direction de Coupat.

Selon la police, l'ouvrage a « été rédigé sous l'égide de Julien Coupat »

La première mention intervient dès le deuxième paragraphe de la première page :

« Ce groupe constitué autour de son leader charismatique et idéologue, le nommé Julien Coupat, […] obéit à une doctrine philosophico-insurrectionnaliste qui ayant fait le constat que la société actuelle est “ un cadavre putride ” (tel qu'il est mentionné au sein du pamphlet intitulé “L'Insurrection qui vient” signé du Comité invisible, nom du groupe constitué autour de Julien Coupat) a décidé d'user des moyens nécessaires pour se “ débarrasser du cadavre ” et provoquer la chute de l'Etat.

Les cibles désignées dans cet ouvrage dont il a été établi dans la présente enquête qu'il avait été rédigé sous l'égide de Julien Coupat étant, de manière récurrente, tout ce qui peut être, par analogie, défini comme un « flux » permettant la survie de l'Etat et la société de consommation qu'il protège.

Sont ainsi cités dans cet opuscule, avec insistance, le réseau TGV et les lignes électriques comme autant de points névralgiques par le sabotage desquels, les activistes peuvent, à peu de frais, arrêter plus ou moins durablement les échanges de biens et de personnes et ainsi porter un coup au système économique qu'ils combattent. »

La seconde mention, sur la quatrième page, reprend les mêmes arguments que dans ce dernier paragraphe.

Un témoin l'affirme : le comité invisible, c'est Coupat et les autres

La troisième et dernière, à la fin du document, est la plus intéressante, puisqu'elle figure dans la conclusion du rapport :

« L'ensemble des investigations menées depuis le 16 avril 2007 sur le nommé Julien Coupat ont donc permis de mettre au jour les agissements d'un groupe d'activistes reliés à la mouvance anarchoautonome et désirant se livrer par différentes formes d'actions violentes à la déstabilisation de l'Etat.

Ces conclusions sont largement confirmées par les déclarations formées par un témoin désigné sous le numéro (…) qui, entendu sous X… durant le temps de la garde à vue, confirmait l'existence d'un groupe formé à partir de 2002 autour d'un leader charismatique, le nommé Julien Coupat avec pour principale implantation la ferme « Le Goutailloux » et ayant pris la dénomination de « Comité invisible, sous-section du parti imaginaire ».

Ce groupe se présentant comme « le plus apte à détruire le monde et à en reconstruire un neuf » étant le rédacteur final d'un pamphlet principalement rédigé par Julien Coupat et intitulé L'Insurrection qui vient. »

Ces lignes montrent bien à quel point le fait que Coupat et les autres soient les auteurs du texte était, à l'époque, primordial pour les enquêteurs antiterroristes. On ne sait pas si, depuis, ils ont recueilli d'autres éléments dans ce sens.

Joint par Rue89, Eric Hazan assure que pendant son interrogatoire, les enquêteurs n'ont évoqué « aucune preuve » sur la paternité du livre. Contactés, le parquet de Paris et le ministère de l'Intérieur n'ont pas voulu faire de commentaires sur l'audition de l'éditeur.

Me Antoine Comte : « Du jamais vu depuis la guerre d'Algérie »

Dans un communiqué, La Fabrique s'insurge contre « cette tentative d'impliquer un livre et un éditeur dans une association de malfaiteurs terroristes [qui] constitue une grave atteinte à la liberté d'expression », et précise :

« N'étant pas témoin des faits instruits dans cette affaire, Eric Hazan a répondu qu'il n'était pas dans son rôle de combler le vide du dossier.

S'il existe des éléments dans « L'Insurrection qui vient » enfreignant les lois sur la presse, Eric Hazan est prêt à en répondre devant les tribunaux compétents. »

Avocat d'Eric Hazan (et de Rue89), Me Antoine Comte trouve dangereux que

« ce livre, qui n'a fait l'objet d'aucune procédure en matière de presse, soit inclus dans une instruction pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. On n'a pas vu ça depuis la guerre d'Algérie ».

► Mis à jour à 20h12 : ajout des éléments de la retranscription révélée en novembre par Mediapart, de la réaction d'Eric Hazan et de son avocat.

Photo : Intervention sur les lignes SNCF à Morcenx le 29 janvier 2009 (Régis Duvignau / Reuters)

7 commentaires sélectionnés

Portrait de Numerosix

De Numerosix

Prisonnier dans le village global | 16H28 | 09/04/2009 | Permalien

Je ne vois absolument pas en quoi une enquéte demontrant que Julien Coupat serait l'auteur de « L'insurrection qui vient » en vente libre dans toutes les librairies depuis deux ans justifierait en quoi que ce soit une inculpation de terrorisme et trois mois de garde à vue. C'est totalement hallucinant et digne d'un régime totalitaire, je suis désolé, y a pas d'autres mots .

Portrait de gilhou

De gilhou

| 16H30 | 09/04/2009 | Permalien

Etre potentiellement l'auteur d'un livre en vente libre pourrait être considéré comme un acte de terrorisme ! ! !

Portrait de flixp

De flixp

16H36 | 09/04/2009 | Permalien

Ils n'ont pas de preuves et essaient donc de constituer un faisceau de preuves.

Portrait de PIT LE CHIEN

De PIT LE CHIEN

17H30 | 09/04/2009 | Permalien

Eric Hazan, ex chirurgien devenu Editeur, comme son père Fernand Hazan et quel magnifique éditeur !
Il est également l'auteur de : « CHANGEMENTS DE PROPRIETAIRE, la guerre civile continue » (Le Seuil/2007)
à lire d'urgence !

Voici ce qu'il disait à propos de Julien Coupat, qu'il croit innocent, dans une interview en Janvier :

(innocent pour trois raisons)…/…« une raison politique : un tel sabotage, ex nihilo, sans aucun mouvement social, serait idiot et Julien est tout, sauf idiot. Une raison pratique : de l'aveu même des responsables SNCF, il suppose une technique que Coupat ne maitrise pas. Enfin, il était suivi depuis des semaines et voilà que, justement, au moment précis où on aurait pu le prendre sur le fait, on le perd. »…/…

Troublant, en effet.

Portrait de TonyMo

De TonyMo

clean anything | 19H03 | 09/04/2009 | Permalien

ça me donne envie d'acheter ce livre…

Portrait de jipèelgé

De jipèelgé

au bout du monde | 19H08 | 09/04/2009 | Permalien

Je propose que Mr Dalloz qui publie des lois liberticides soit inculpé d'attentat à la liberté.

Portrait de Idem

De Idem

Psychanalyste | 19H48 | 09/04/2009 | Permalien

Rien à dire sur l'article qui rapporte clairement des faits précis : du journalisme irréprochable.

Mais je trouve inadmissible que Rue 89 se permette de rubriquer cette information en « Société » !

L'affaire Coupat n'est nulle part, et ce depuis l'arrestation par un régiment de robocops, un fait de société : c'est une véritable Affaire _politique_ qui montre à quel degré de régression ce gouvernement conduit le pays, et surtout, jusqu'à quel point Sarkozy détruit les libertés publiques ! Etre citoyen dans ce pays est en train de devenir un élément à charge : voyez les lois scélérates qui tentent de criminaliser la solidarité la plus élémentaire envers l'extrême détresse de ceux qui osent traverser ce pays sans autorisation pour passer p ex en Angleterre - et qu'on ne s'y trompe pas.

Julien Coupat, c'est vous, c'est moi, c'est chacune et chacun d'entre nous.

La banalisation de l'Affaire Coupat passant par la réduction de ce scandale inoui à l'aune d'un simple fait de société procède des manoeuvres exécrables de ce gouvernement :

Rue 89 svp : restez vigilants !

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