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Affaire Mécili : les écoutes qui accusent un agent algérien

Le témoin, qui accablait le « diplomate » Hasseni pour l'assassinat de l'opposant en 1987, a subi des pressions.

L'avocat et opposant algérien Ali Mécili (DR).

Des écoutes téléphoniques officielles -dont Rue89 a eu connaissance- vont-elles empêcher qu'un non-lieu blanchisse définitivement Mohamed Ziad Hasseni, un « diplomate » algérien suspecté d'être l'organisateur de l'assassinat, en 1987 à Paris, de Ali Mécili, le porte-parole de l'opposition algérienne en France ?

Le 31 août, son sort sera en tout cas l'une des premières décisions rendue par la justice française à la fin des vacances judiciaires. Un nouveau rebondissement dans une affaire qui empoisonne les relations Paris-Alger, et qui est en permanence menacée d'être étouffée par la raison d'Etat, depuis le meurtre de cet avocat français, porte-parole de l'opposition algérienne abattu à l'âge de 47 ans dans le hall de son immeuble parisien du boulevard Saint-Michel, le 7 avril 1987.

Deux ans après l'interpellation de Hasseni à l'aéroport de Marseille, Alger affiche l'assurance qu'un non-lieu est acquis : la justice française s'apprêterait à reconnaître que ce dernier est bien un « diplomate algérien victime d'une homonymie » et en aucun cas celui qui organisa le meurtre d'André Ali Mécili, sous le nom de « capitaine Hassani » .

Le problème, c'est que les écoutes téléphoniques versées au dossier d'instruction en décembre 2009 montrent que la seconde hypothèse est, selon toute vraisemblance, la bonne. Et qu'un non-lieu est du coup totalement illogique.

Samraoui : « Au début, j'étais convaincu à 99%… »

Ces communications relativisent en effet beaucoup ce qu'Alger considère comme le « revirement » de Mohamed Samraoui, un dissident militaire algérien réfugié en Allemagne. C'est son témoignage qui avait ouvert la voie à la mise en examen de Hasseni pour « complicité d'assassinat ».

Auditionné par le juge Thouvenot alors en charge de l'enquête, Samraoui avait reconnu en Hasseni le fameux « capitaine Hassani » qui avait versé, en sa présence à Amelou, le tueur de Mécili, une partie de l'argent de son « contrat » dans un hôtel algérien à l'été 1987.

Le doute exprimé le 4 juin 2009 par Mohamed Samraoui au cours d'une confrontation par vidéo-conférence avec Hasseni permettra cependant à Alger de marquer un point. A l'issue de ce face-à-face, Samraoui avait déclaré :

« Au début, j'étais convaincu à 99% [de le reconnaître, ndlr] et je repars à 50-50 ».

On imaginait sans peine les pressions auxquelles Alger avait soumis cet ex-haut responsable des services secrets algériens avant cette confrontation. On les connaît désormais avec certitude grâce aux écoutes téléphoniques. On y entend un certain Mustapha appeler à plusieurs reprises Samraoui surnommé Mahmoud pour la circonstance.

Leur dialogue vaut son pesant de pressions et de connaissance des méthodes du régime algérien. Mais il est surtout accablant pour Hasseni. Extraits :

- Mustapha : « Celui qu'ils ont arrêté… [Hasseni, ndlr] »

- Mahmoud/Samraoui : « Que veux-tu que je fasse moi, ce n'est pas de ma faute, il n'avait pas à se mettre dans la gueule du loup. »

- Mustapha : « C'est toi qui en a rajouté sur lui. »

- Mahmoud : « C'est normal, c'est lui, c'est lui. Je ne peux pas faire autrement. Je ne suis pas seul à le connaître, on est plusieurs à le reconnaître […]. »

- Mustapha : « Il va être victime le pauvre d'une erreur. »

- Mahmoud : « Non pas d'une erreur, non pas d'une erreur. »

- Mustapha : « Lui, il n'est pas concerné. »

- Mahmoud : « Comment il n'est pas concerné ? »

- Mustapha : « Il va payer et injustement. »

- Mahmoud : « Non pas injustement. Pourquoi injustement ? »

- Mustapha : « Ce n'est pas lui, ce n'est pas lui le responsable [du meurtre de Mécili, ndlr]. »

Sur Hasseni  : « C'est un bouc-émissaire, mais il l'a fait »

- Mahmoud : « Si ce n'est pas lui le responsable, il n'a qu'à donner le nom de celui qui lui a donné l'ordre… Ça va arriver à Larbi [Belkheir, considéré comme l'un des “parrains” du régime décédé en janvier 2010, ndlr]. Moi, je ne leur demande rien. Ce sont eux qui me demandent, moi tu entends moi je ne peux pas…

[…] Regarde Mustapha, le jour où on leur lâchera Hasseni, je te jure qu'ils ne vont plus entendre parler de toi ou de moi… Tu entends… Maintenant, c'est parce qu'ils sont coincés… »

- Mustapha : « Le monsieur, son affaire est entre tes mains. »

- Mahmoud : « Non entre les mains de Dieu… »

- Mustapha : « Ils seront contre toi… »

- Mahmoud : « Pourquoi ils attendent pour lever le mandat d'arrêt ? Ils veulent juste sauver la tête de leur ami de France […]. Oui, je sais que c'est un bouc-émissaire, mais il l'a fait, il l'a fait… Ils avaient qu'à penser aux conséquences avant… »

Pour Antoine Comte, l'infatigable avocat d'Annie Mécili, la veuve de l'opposant assassiné, ces écoutes sont cruciales :

« Il s'agit d'éléments incontestables qui démontrent que les autorités algériennes ont tenté, à travers leurs services, de faire revenir le témoin sur ses déclarations en échange du retrait d'un mandat d'arrêt qu'elles ont lancé contre lui, mandat qui avait d'ailleurs entraîné son arrestation en Espagne en octobre 200. »

Toute la question est désormais de savoir si en dépit de ces éléments essentiels, la conjonction de deux raisons d'Etat permettra de classer « l'affaire Hasseni ». Ce serait un paradoxe inquiétant.

Un non-lieu le 31 août, et Paris de céder encore face à Alger

Les juges Philibeaux et Goetzmann avaient déjà estimé « prématuré » d'arrêter les investigations sur Hasseni -passé entretemps du statut d'inculpé à celui de témoin assisté- alors que le principal témoin, Samraoui, disait avoir subi « des pressions ». Or celles-ci sont aujourd'hui avérées.

Paradoxe aussi car si en février 2010 le parquet a « requis un non-lieu » au vu des « charges insuffisantes pesant à l'encontre » de Hasseni, il réclamait dans le même temps « la poursuite de l'information aux fins d'identifier le ou les auteurs de l'assassinat d'Ali Mécili ».

Dans un tel contexte, un arrêt de non-lieu rendu le 31 août confirmerait que Paris a une fois de plus cédé aux pressions des autorités algériennes. Il est vrai que depuis des mois, celles-ci attribuent les reports de la visite en France du Président Bouteflika et le malaise entre les deux pays en l'absence d'un non-lieu en faveur de Mohamed Ziane Hasseni.

Mise à jour le 28/8/2010 : Dans une déclaration au site Tout sur l'Algérie, Mohamed Samraoui a confirmé la véracité des écoutes téléphoniques révélées par Rue89. « Tout ce qui est écrit ci-dessus est vrai », a-t-il dit.

Photo : Ali Mécili (DR).

4 commentaires sélectionnés

Portrait de PIT LE CHIEN

De PIT LE CHIEN

19H47 | 26/08/2010 | Permalien

Mecili : comme pour Ben Barka, histoire sans fin... Pourtant, en France, notamment, certains des protagonistes des Services secrets sont toujours vivants.

Portrait de Jeha

De Jeha

randonneur | 22H02 | 26/08/2010 | Permalien

Il y a peu, les services Algériens étaient accusés sur ce site d'être acoquinés avec l'aqmi et d'avoir bérné la DST Française.
Ces mêmes services auraient fait assassiner Mecili par un nommé Hassani qui s'avère être un diplomate (sans guillemets svp, il est chef de cabinet ) nommé , comme par hasard Hasseni.
Un amateurisme qui laisse rêveur !
Il est vrai qu'on ne prête qu'aux riches,cependant à la lecture de l'article , comme du précédent plus haut cité,aucune preuve n'est avancée.
On procède par affirmations après deux années d'enquête stérile et on attente à la liberté d'un homme et à son honneur sur les affirmations d'un deserteur au passé douteux et aux déclarations contradictoires.
Qui manipule qui ? Et les services Français dans tout çà ?

Portrait de aa77

De aa77

Bâti | 23H01 | 26/08/2010 | Permalien

Peu de temps après l'assassinat de maître Mécili, Pasqua, Ministre de l'Intérieur, déclarait, si mes souvenirs sont encore bons, que le pouvoir (voyou, mafieux, truand, assassin, ....) d'Alger est en dehors de cet assassinat !

Est-ce un aveu avant l'heure ?

Ali André Mécili, allait fédérer toute l'opposition démocratique algérienne

contenu de sa lettre retrouvée après sa mort:

www.radiofrance.fr/franceinter/ev/pdf/LettreMecili.pdf&title=Lettre

Peut-on faire faire confiance à un régime qui tue ses enfants ? J'espère que notre justice fera son travail !

Portrait de Tinou tinou

De Tinou tinou

Ca m'regarde | 02H41 | 27/08/2010 | Permalien

Dans cette affaire la France freine des deux pieds depuis 23 ans. Dès 1987 l'un des principaux acteurs de ce dossier (un assassinat tout de même) est expulsé "en urgence" pour des dossiers vieux d'au moins quatre ans. Malheureusement, ça ne m'étonne pas que la justice ait toujours du mal à faire son travail concernant le dossier Mécili. Les responsables de l'époque ont ils vraiment envie que leurs actions d'alors soient connus de tous ?
Je ne sais pas qui a commis ou commandité ce meurtre, mais je sais que la France, mon pays, est très loin d'avoir fait tout ce qu'elle aurait du pour appliquer le Droit.
En 1987 j'avais sept ans, j'imagine que je croyais en la Justice. En 1987, j'avais sept ans et j'avais passé de très bons moments dans une famille, une famille qui n'était pour moi qu'une famille comme les autres, ni algérienne ni française : la famille Mécili.
Depuis, quand on me parle de Justice, d'État de Droit, de relations Diplomatiques, je me rappelle souvent qu'en 1987...
Bon courage à ceux qui essaient encore de savoir ce qui s'est réellement passé. Puisse la Justice, un jour, simplement "dire le Droit", comme tel est son devoir.

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