Outrage à Sarkozy : faut-il passer par les tribunaux ?

Entre le respect de toute personne ayant autorité et la liberté d’expression, l’outrage. Gros plan sur un délit en vogue.

Hervé Eon (DR). (DR).

Jeudi soir, Rue89 publiait le témoignage d’Hervé Eon, manifestant contrarié et riverain installé en Mayenne. Hervé Eon est aujourd’hui pousuivi pour avoir voulu brandir une pancarte intitulée « Casse toi pov’con » au passage de Nicolas Sarkozy à Laval, le 28 août.

La convocation qu’il a reçue du tribunal correctionnel de Laval précise qu’il a « offensé par parole, écrit, image ou moyen de communication -en l’espèce un écriteau avec les inscriptions « Casse-toi pov’con »- le président de la République française. »

Cette affaire médiatise un nouveau cas d’outrage, une incrimination qui explose en France  : 31 731 faits d’outrage à agents dépositaires de l’autorité en 2007 pour 17 700 en 1996 selon les chiffres de l’Observatoire national de la délinquance. Le code pénal précise qu’en cas de condamnation, l’outrage est passible d’emprisonnement (jusqu’à six mois de prison) et d’une amende qui peut atteindre 7500 euros.

Outrage ou insulte : qui porte plainte  ?

La loi indique que « toute personne dépositiaire de l’autorité publique » peut le faire dès lors qu’elle estime qu’on lui a manqué de respect « dans l’exercice ou à l’occasion de ses fonctions ».

En clair  : si votre voisin est policier et que vous l’insultez en pleine nuit parce qu’il fait du bruit (pure hypothèse), vous n’êtes théoriquement pas condamnable pour outrage.

En revanche, si, à cette heure tardive, excédé(e) sur le pallier vous lâchez « tous des cons, ces flics », il peut vous poursuivre. De même, toute insulte proférée contre un policier, un magistrat, un sous-préfet ou un ministre dans le cadre de ses fonctions est passible d’une condamnation.

A noter au passage  : si c’est une personne dépositaire de l’autorité publique -par exemple le président de la République- qui insulte un passant -par exemple au salon de l’agriculture- en lui donnant du « Casse-toi pov’con », le passant ne pourra pas porter plainte pour « outrage » car il n’incarnait rien au moment où il a croisé le chemin -par exemple- du président de la République.

Une opportunité de « faire du chiffre »

Le plus souvent, ce sont les policiers qui portent plainte pour outrage. Effet mathématique oblige  : ils sont plus nombreux et davantage en contact avec des outrageurs potentiels. Le syndicat de la magistrature, très remonté contre cette nouvelle tendance synonyme d’engorgement dans les tribunaux, a appelé à la modération, estimant que ces poursuites, basées sur la seule parole des policiers, pouvait aussi être regardée comme une opportunité de « faire du chiffre ».

L’outrage à magistrat, dans le cadre d’audiences qui dégénèrent, n’est pas non plus rare. Ce qui l’est davantage, c’est, comme dans le cas de l’affaire Hervé Eon, l’outrage à président. Dans ce cas, c’est rarement l’intéressé qui porte plainte en personne, mais plutôt le ministère public, c’est-à-dire le parquet.

Outrage au Président de la République, pourquoi ça se discute  ?

Parce que deux principes sont en conflit lorsque l’outragé est le président de la République. D’un côté, le respect de toute personne ayant autorité. De l’autre, la liberté d’expression.

Outrages sans frontières


A noter : les cas d’outrages peuvent excéder les frontières du territoire national puisqu’un jeune Français, installé en Irlande, a eu à son tour maille à partir avec Nicolas Sarkozy. Le serveur français avait jeté un œuf sur sa voiture durant une visite en Irlande, mi-juillet. Cette fois, c’est la justice irlandaise qui l’a condamné pour « comportement menaçant, insultant et abusif », déclinaison locale de l’outrage. Il a finalement écopé d’une amende de 150 euros destinée aux bonnes œuvres : le juge irlandais a renoncé aux poursuites quand le Français a accepté de payer.

En Algérie, un tribunal a également condamné en février dernier un étudiant algérien à une amende de 500 euros pour « outrage » au président de la république française. L’Algérien avait été interpellé à Constantine deux mois plus tôt, brandissant une pancarte frappée d’étoiles de David qui questionnait Nicolas Sarkozy sur « ses origines ».

Techniquement, Nicolas Sarkozy est bien sûr « dépositaire de l’autorité publique » lorsqu’il se rend à Laval, le 28 août dernier, pour officialiser la généralisation du revenu de solidarité active. Mais c’est sur le terrain politique que ça se discute  : Hervé Eon attaque-t-il l’Etat en tentant de brandir sa pancarte « Casse toi pov’con »  ?

Ne peut-on pas considérer que l’agitateur reste dans les clous de son droit à la contestation politique ? Qu’en tant que citoyen, il est autorisé à critiquer un personnage public, fût-il le locataire de l’Elysée sans pour autant devoir lester sa position d’un argumentaire soigné en bonne et due forme ? « Casse toi pov’con !  » relève-t-il de l’insulte ou de la contradiction politique ?

C’est donc sur le terrain de l’opportunité qu’une telle procédure peut se discuter. C’est d’ailleurs souvent en ce sens que se plaident des affaires d’outrages, hors vices de forme.

Lorsque Romain Dunand a été condamné pour avoir comparé le ministère de l’Intérieur époque Nicolas Sarkozy à Vichy, Rue89 avait interviewé son avocate. En janvier 2008 et Me Marianne Lagrue arguait alors qu’il s’agissait d’un courrier et donc de la sphère privée… à quoi Nicolas Sarkozy aurait pu choisir de répondre en privé.

D’ailleurs, tous les parquets ne réagissent pas à l’unisson  : il y a près d’un an, à La Rochelle, une affaire avait été classée sans suite. Il s’agissait alors aussi de Nicolas Sarkozy, déjà visé en sa qualité de président de la République. En cause  : une affiche de militants de l’Unef sur laquelle le chef de l’Etat faisait un doigt d’honneur. A l’époque, ce n’était pas le ministère public qui avait décidé d’ester en justice mais bien le chef de l’Etat. Qui a été contredit par le parquet.

Le nouveau fichier Edvige va-t-il augmenter le nombre de cas d’outrage ?

Dans les faits, les personnes visées le plus souvent sont des militants associatifs ou politiques. Ainsi, Hervé Eon, l’outrageur mayennais de cette semaine, est aussi faucheur volontaire et militant du Nouveau parti anticapitaliste.

Edvige va-t-il faciliter les procédures pour « outrage »  ? Dans le monde associatif, mais aussi chez les avocats et les juges, Edvige fait hurler. Ce nouveau fichier entré en vigueur cet été autorise le fichage de tout individu de plus de treize ans « ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou qui jouent un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif ». Autant dire que c’est large.

Alors que les affaires d’outrage ont déjà presque triplé en 2007, Edvige pourrait permettre de recenser provocations verbales et autres pancartes pleines de noms d’oiseau adressées, par exemple, à nos représentants politiques.

Photo  : L‘« outrageur » Hervé Eon (DR).


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Par Le Yéti
23H32    07/09/2008

CASSE-TOI POVCON !

J’assume et suis prêt à subir les foudres des tribunaux. Comme un vulgaire faucheur d’OGM.

 
Par Thomas GREDAT
22H39    07/09/2008

Voilà un article qui remet les choses à leur place, et Leprince remet le Prince à la sienne. Pour condamner quelqu’un pour outrage au Président de la République, encore faut-il prouver que c’est la fonction qui est outragée, et non la personne. Qui Hervé Eon a-t-il traité de « pôv’con » ? Le Président de la République ou Nicolas Sarkozy ? A mon sens, Nicolas Sarkozy n’est pas un Président, malheureusement je crains que l’argument ne soit pas valable juridiquement…
Méthode de fichage politique ? Vu ce que le personnage montre de lui-même (je parle de l’homme, pas de la fonction, enlevez-moi ces menottes !), ne serait-ce pas plutôt la manifestation d’une susceptibilité maladive d’un Nicolas Sarkozy qui ne supporte pas la critique ?
Toujours est-il que le problème juridique est réel. Hervé Eon a été arrêté en possession de la criminelle pancarte et inculpé d’outrage au Président de la République. Fort bien. Les policiers qui l’ont interpellé se sont-ils assurés que cette pancarte visait le Président (et non Nicolas Sarkozy) ? Qu’elle était destinée à une manifestation anti-Président (il s’agissait d’une manifestation anti-Sarkozy) ? Qu’elle était la propriété de son porteur ? Qu’il était l’auteur du propos outrageant ? Cela semble bien être le cas, et je ne veux pas le contester. Je m’interroge seulement sur les PREUVES qui ont conduit les agents de la maréchaussée à officier. N’y aurait-il pas eu plutôt PRESOMPTIONS ? Cela me paraît inquiétant. Imaginez un manifestant porteur d’un panneau contenant une insulte qui POURRAIT s’appliquer au Président de la République. Sera-t-il inculpé pour outrage sur de simples présomptions ? Sera-t-il inutile de chercher des preuves ? Voilà, à mon avis, une question qu’il faudrait se poser. Je sais que cette pauvre présomption d’innocence a du plomb dans l’aile, mais enfin quand-même…
Concernant Edvige, une adresse mail pour pétitionner contre cette dangereuse ficheuse : contact@nonaedvige.ras.eu.org. Faites passer !

 
Par JJ Reboux outrageur de poulets
22H47    07/09/2008

D’accord avec toi, Le Yéti.
J’ai une idée (plutôt marrante) : que chaque Français(e) qu’exténue et insupporte le grand cirque sarkozyste écrive sur une carte postale :
« CASSE-TOI POVCON ».
Signé : « Edvige. »
Opération gratuite vu que le courrier adressé au président de la République est en franchise postale÷