Le Carouge 1958-2008

samedi 1er novembre 2008
par Rosine SCHAUTZ
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L’impressionnante somme, qui se veut l’histoire chronologique du Théâtre de Carouge au long de ces cinquante dernières années, est enfin sortie. Véritable mémoire du théâtre, elle est l’œuvre de Joël Aguet, qui, modeste jusqu’au bout, n’a pas tenu à mettre son nom en couverture, laissant de cette manière le lecteur seul propriétaire de ce merveilleux outil de référence, qui fera date, sans aucun doute.

De quoi traite cet ouvrage monumental ?
Il s’agit en fait d’une chronique, qui, au sens très étymologique du terme, retrace le temps passé, en donnant à comprendre ce que sont des moments de théâtre et les moments d’un théâtre, considérés ici dans une triple perspective : direction, saison, spectacle, que l’on devrait mettre au pluriel, tant les directions, puis les saisons, et enfin les spectacles auront été multiples au fil de ce demi-siècle.
Le livre se présente en deux tomes de même taille, dont le premier aborde la période Simon (1958-1966), la période Mentha (1966-1971) - qui se superpose à l’aventure charnière car novatrice de l’Atelier (1963-1972) - et la période Chenevière (1971-1975).
Le deuxième tome s’ouvre sur la période Rochaix (1975-1981), puis mène à celle de Wod (1981-2002), pour déboucher enfin sur la seconde période de Rochaix (2002-2008).
En quelque 800 pages, le lecteur a de quoi s’en mettre plein les yeux, notamment grâce aux photographies qui, de manière systématique, éclairent avec finesse les résumés des pièces jouées.
Le lecteur plus historien aura à cœur de lire le texte très fourni d’Aguet, dont le but est à la fois d’analyser ou de décrire les spectacles, et de faire voir avec pertinence et perspicacité en quoi la question du théâtre à Genève n’a jamais été simple, ni à régler, ni à cerner, ni plus banalement à discuter.
Cet ouvrage donne également la possibilité au lecteur de rentrer en lui-même pour s’interroger sur ce qu’ont signifié et pour lui personnellement et pour ses contemporains, ces 50 ans de théâtre. En effet, à la manière d’un Pierre Nora qui a su cataloguer ses lieux de mémoire de telle façon qu’ils en devinrent les lieux de mémoire de toute une époque, Aguet réussit à montrer en quoi l’aventure du Carouge sur un demi-siècle a été l’histoire d’un certain public, d’une certaine époque et par là, d’une certaine idée du théâtre. Car qu’est-ce que le théâtre, finalement, sinon la rencontre d’un texte, d’un comédien et d’un public dans un lieu donné et dans un temps donné ?

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« Mère courage » de Brecht, avec Magali Noël

Les programmes
Lorsque l’on se penche sur les programmes des saisons, catalogués en fin du second tome, on s’aperçoit que les périodes des différents directeurs se sont certes enchaînées, mais surtout déclinées, et pas de n’importe quelle façon. Par exemple, l’époque Simon paraît très marquée par les textes classiques : Shakespeare, Tchekhov, Molière, Pirandello, Brecht ; l’époque Mentha par les textes d’auteurs d’ici (Gaulis, Dürrenmatt), ou modernes (Mrozek, Weingarten, Dubillard), le tout mêlé aux incontournables et nécessaires Sophocle, Aristophane, ou encore Goldoni ; l’époque Chenevière, plus ancrée dans un théâtre de répertoire (Shakespeare-Molière-Brecht), faisant aussi la part belle aux accueils internationaux. Sans parler de l’ouverture du Nouveau Théâtre de Carouge en 1972, qui donnera un bel impact au Théâtre.
Le premier Rochaix, lui, s’intéresse surtout aux textes contemporains, qu’il crée souvent en première mondiale, comme ceux de Viala ou de Probst, ou ceux volontairement libertaires d’un Nazim Hikmet ou d’un Bond, entrecoupés de pièces qui, en véritables leitmotive, forcent le spectateur à réfléchir et à repenser le monde – voire l’absurdité du monde - comme celles de Strinberg, Jarry, Kafka ou encore Eschyle. Avec, chez Rochaix, cet appétit toujours vif, intact, pour la découverte d’auteurs moins typés théâtre, comme Tagore ou Hampton, dont la fameuse pièce Sauvages fit tant parler d’elle à l’époque.
Puis, la période Wod, qui pourrait se résumer à la présentation d’un répertoire plus français ou francophone, et aux représentations des œuvres de la désormais contreversée Monique Lachère, et, enfin, le dernier Rochaix, plus centré autour des ‘métaphores’ du voyage, de l’aventure et de la science. On retiendra en bouquet final son Galilée, mis en scène par un Karge très en forme, qui tenta de nous montrer le monde tel qu’il fut et donc tel qu’il reste.

Si l’on regarde, cette fois, du côté des metteurs en scène, on verra que ces 50 ans ont été honorés des prestations des plus grands : de Simon, Mentha, Apothéloz, Paschoud, puis Rochaix, Godel, Soutter ou Loichemol, ‘nos’ héros, à Karge, Langhoff, Blin, Lavelli, Stratz, en passant par Steiger, Bluwal, Wod, Germond, ou encore Kerbrat, Terzieff, Wilson, Pitoiset Wenzel, et… Liermier. Tous ont, de près ou de loin, contribué à faire du Carouge un lieu de création dont les Genevois peuvent être fiers.
Après ce voyage dans un demi-siècle de théâtre, laissons la parole à François Rochaix, l’initiateur de ces ambitieuses annales : «  Deux voix importantes manquent dans ce livre : celle des artistes et artisans qui ont fait tous ces spectacles, et celles des spectatrices et spectateurs qui en gardent longtemps des impressions fortes ».

Rosine Schautz

Le livre « Le Carouge 1958-2008, chronique du Théâtre de Carouge Atelier de Genève » est en vente à la librairie du Théâtre de Carouge ou sur commande (022.343.43.43). CHF 85.-



Commentaires

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dimanche 19 juillet 2009 à 21h00, par  Jap

Ce livre a une voix dépourvue d’une touche, toutes ces personnes, que ce soit les artistes ou artisans sont représentés, en gardant limpression d’une foule de spectateurs.