es premières mentions écrites de l’arbre de Noël dans les archives de la Ville de Sélestat

par Hubert MEYER

’est à l’abbé Joseph Gény(1) que revient l’insigne honneur d’avoir découvert pour la première fois dans les archives de la Ville de Sélestat l’existence de la mention de l’arbre de Noël(2). En effet, en 1902, il publia les «Schlettstadter Stadtrechte»(3), où il transcrivit de nombreux extraits de textes tirés des archives de la Ville de Sélestat, dont il avait la charge. Ainsi à la page 568, il fit imprimer un passage des comptes de la Ville de Sélestat daté de 1521, où figure la mention du «meyen» (mai)(4) de Noël. La même année, il édita un article sur les anciennes coutumes de Noël en Alsace(5) dans lequel il fit connaître les textes qu’il avait trouvés sur cette tradition remontant probablement au début du XVIe siècle. A partir de cette date, beaucoup d’historiens qui traiteront de ce sujet accepteront que la première mention de l’arbre de Noël est relaté dans les archives de Sélestat(6) et ceci malgré les références à Sébastien Brant et à Geiler de Kaysersberg qui ne sont pas suffisamment explicites et où il est plutôt question de branches que d’arbres(7).

Ce sera Alfred Pfleger(8) qui, le premier, considérera Sélestat comme le berceau de l’arbre du «Christ» (Christbaumes)(9). Ce que les textes ne permettent pas de dire aussi explicitement.

Nous sommes reconnaissants à tous ces historiens qui, durant la première moitié du XXe siècle, ont attiré l’attention sur l’importance de l’Alsace dans l’apparition et le développement de la tradition de l’arbre de Noël décoré. Depuis cette époque, il n’y a pas eu de nouvelles découvertes fondamentales sur l’origine de cette coutume. Seules quelques interprétations méritent un rappel et quelques précisions.

e plus ancien texte, au monde, et ceci jusqu’à preuve du contraire, se rapportant à cette tradition reste celui des archives de la Ville de Sélestat de l’année 1521(10). Celui-ci dit ceci :


A.M.S., CC 60 (1521), p.239

«Item 4 schillings den förstern die meygen an sanct thomas tag zu hieten» (De même 4 schillings aux gardes forestiers pour surveiller les mais à partir de la saint Thomas)(11).

Par ce texte nous apprenons que la Ville de Sélestat paie les gardes forestiers pour qu’ils veillent sur les mais(12) à partir de la saint Thomas, qui se célébrait le 21 décembre, qui est aussi le jour le plus court de l’année. Il n’est pas précisé s’il s’agit d’arbres de la forêt communale ou d’arbres déjà décorés sur une place publique ou encore dans une salle à l’intérieur d’une maison. Mais les textes des documents postérieurs confirmeront bien qu’il s’agit vraisemblablement des arbres de la forêt de Kintzheim et particulièrement des mais de Noël. Si la Ville doit ainsi protéger sa forêt en prévoyant une telle dépense, il faut supposer que le fait de décorer un arbre à cette époque de l’année était relativement courant et faisait partie des coutumes. Tout ceci est confirmé et précisé dans les comptes de la Ville de Sélestat durant les années postérieures. Citons en quelques uns.

e deuxième texte important date de 1546. Nous y apprenons que la Ville de Sélestat paie trois schillings à deux ouvriers chargés de frayer un chemin dans la forêt pour accéder à l’endroit de la plantation des mais.


A.M.S., CC 60 (1546), p.45

Ils ont aussi comme mission de couper les mais de Noël : «Zweien so den weg auffgehauwen und meigen auff die winaht gehauwen 4 schillings» (aux deux (ouvriers) qui ont frayé un chemin et ont coupé les mais pour la Noël 4 schillings(13).

e troisième texte à citer précise que la Ville de Sélestat cherche à canaliser cette coutume afin d’éviter les débordements et les abus. Il se trouve consigné dans le livre des statuts et des règlements de la Ville de Sélestat, où il est signalé que, durant sa séance du 17 décembre 1555, le Magistrat de Sélestat a décidé que «Niemand soll wyhenacht mayen hawen by daruff gesetzter straff» (personne ne doit couper de mais de Noël sous peine de condamnation)(14).


A.M.S., BB 6a, f°20

e quatrième texte est consigné dans les comptes de la Ville de Sélestat de l’année 1557. Il dit ceci :“Gemein Ussgab Den Kinsheim forstern von wyhnachtmayen zu hueten 2 schillings, zu hauen 2 schillings...“ (dépenses communales payé aux gardes forestiers de Kintzheim deux schillings pour surveiller les mais de Noël et deux schillings pour les couper)(15).


A.M.S., CC 60, p.20

Nous rappelons que Kintzheim, à cette époque, faisait partie de Sélestat, qui possédait une importante forêt, dont une partie est aujourd’hui encore propriété de la Ville de Sélestat.

Par ces textes, nous apprenons que les deux gardes forestiers sont chargés de veiller sur les mais de Noël dans la forêt de Kintzheim mais aussi de les couper. Par contre, ils ne précisent pas pour qui les arbres sont coupés. Il faut supposer que les risques de vols ou de détériorations étaient grands pour que la Ville de Sélestat s’en préoccupe sérieusement afin de protéger son patrimoine foncier. Ces textes sont vraiment récurrents dans le budget de la ville (en 1558, en 1559, en 1590,…). Par ailleurs, la Ville dépense régulièrement des frais de garde pour ses diverses forêts et ceci tout au long de l’année.

es quatre textes se complètent. Leur interprétation nécessite parfois quelques éclaircissements. Il n’y a pas de doute qu’il s’agisse à chaque fois d’arbres de Noël. Par ailleurs, ces textes ne parlent pas de décoration, ni de lieux ou locaux où sont dressés les arbres, ni qui pouvait obtenir ces arbres, ni quel genre d’arbre était concerné… Malgré les questions qui restent en suspend, le texte de 1521 est aujourd’hui la plus ancienne mention que l’on connaisse sur ce sujet.

Il faudrait aussi rappeler qu’au XVIe siècle la tradition de l’arbre de Noël est mentionnée dans d’autres dépôts d’archives : à Kaysersberg (1556), à Türckheim (1576), à Ammerschwihr (1561), à Strasbourg (1539),…En 1561, chaque habitant d’Ammerschwihr est autorisé à couper un arbre de Noël à condition qu’il n’ait pas plus de 8 pieds de haut (= environ 2,50m.)(16)… Tout ceci démontre que la tradition est déjà très populaire.

Il faudra attendre l’extrême fin du XVIe siècle, à savoir l’année 1600, pour avoir un texte explicite qui illustre la décoration de l’arbre de Noël sélestadien. Il est transcrit dans la chronique(17) de Balthasar Beck(18), échanson à l’hôtel de ville de Sélestat. L’original est conservé à la Bibliothèque Humaniste de Sélestat. Beck y décrit les principales coutumes observées à la «Herrenstube» (salle commune de l’hôtel de ville) lors des diverses fêtes ou cérémonies organisées tout au long de l’année. Il y décrit aussi les importants événements survenus à Sélestat entre 1601 et 1640.

Voici la traduction du passage concernant l’arbre de Noël:

omment on dresse les mais. De même le soir de Noël les gardes forestiers apportent les mais. La nuit les messagers (du magistrat), les courriers et les sergents aident l’échanson à le dresser et à le décorer avec des pommes et des hosties. Ce que l’échanson dépense pour l’achat de pommes et autres, on le lui rembourse à la douane. Le cuisinier lui donnera une bouteille de vin , 6 livres de pain et des lumières. Jusqu’au début de la messe, ils se rendent aux domiciles des membres du magistrat munis de chaudières à poix(19) et de torches et ils les accompagnent pour l’aller et pour la sortie de la messe.

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(1) Joseph Gény (Sélestat 1861 – Sélestat 1905), Bibliothécaire-Archiviste de la Ville de Sélestat de 1887 à 1905. (Notice biographique dans : Nouveau Dictionnaire de Biographie Alsacienne, édité par la Fédération des Sociétés d’Histoire et d’Archéologie d’Alsace, 1988, n°12, p. 1147). (2) Elsässische Monatschrift, 1910, p. 571 (Beitrag von Luzian Pfleger). (3) Joseph Gény, Schlettstadter Stadtrechte, Heidelberg, Carl Wintersbuchhandlung, 1902, 2 volumes. (Coll. : Oberrheinische Stadtrechte. Dritte Abteilung : Elsässische Stadtrechte, veröffentlicht von der Kommission zur Herausgabe elsässischer Geschichtsquellen) (4) Le mai est l’arbre érigé pour célébrer un événement ou honorer quelqu’un. Dans le «Trésor de la Langue Française. Dictionnaire de la Langue Française du XIXe et XXe siècles», publiés par le CNRS, Institut National de la Langue Française de Nancy, t. 11, Gallimard, 1985, page 159 on peut lire ; «Arbre de mai, et p. ell., mai. Arbre ou rameau enrubanné, planté durant la nuit du 30 avril au 1er mai, voire à toute autre date, devant le domicile d’une personne (fille à marier, maire,…) que l’on veut honorer…». Dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, il est écrit : «Mai, gros arbre ou rameau qu’on plante par honneur devant la maison de certaines personnes considérées. Les clercs de la bazoche plantent tous les ans un mai dans la cour du palais. Cette cérémonie se pratique encore dans nos villages et quelques unes de nos villes de province». (5) Joseph Gény, Altelsässiche Weihnachtsbraüche, in : Revue Alsacienne Illustrée, 1902, p. 120-128. (6) Alfred Pfleger, Aus der Geschichte des Schlettstadter Handwerks, 1912, p. 24-25 ; Alfred Pfleger, Volksbrauch und Volkssitte im alten Schlettstadt, in : Elsässiche Monatsschrift, 1913, p.159-160 ; Alfred Pfleger, Die Wiege des Christbaumes, in : Elsass- Land, 1921, p.95 ; Auguste Scherlen, L’arbre de Noël : une vieille tradition alsacienne, in : Perles d’Alsace, Mulhouse, Bader, p.95 ; Alfred Pfleger, Die Wiege des Christbaumes, in : Elsässische Weihnacht. Ein Heimatbuch, herausg. von J. Lefftz und A. Pfleger, Colmar, Alsatia, 1931 (2e édition en 1941) ; Dr Maurice Kubler, Le sapin de Noël, in : Programme du Corso Fleuri de Sélestat, 1966, p. 45 ; Lucien Sittler, Noël en Alsace. Tradition – Art – Chant – Gastronomie, Ingersheim, S.A.E.P., 1979 (coll. Delta 2000) ; Gérard Léser, Noël – Wihnachte en Alsace. Rites, coutumes, croyances, Mulhouse, Ed. du Rhin, 1989. (7) Elsässische Monatsschrift, 1912, p.476 – 477. Sébastien Brant, La Nef des Fous, trad. Madeleine Horst, Ed. de la Nuée Bleue, 1977, p.240 : «Certains sont convaincus qu’ils mourront dans l’année s’ils … ne décoraient pas leur maison de sapin». (8) Alfred Pfleger (Dachstein 1879 – Strasbourg 1957), professeur au collège de Sélestat de 1906 à 1913. (notice biographique dans le Nouveau Dictionnaire de Biographie Alsacienne, n° 29, 1997, p. 2996). (9) Alfred Pfleger, Die Wiege des Christbaumes, in : Elsass-Land, 1921, p 95 ; Alfred Pfleger, Die Wiege des Christbaumes, in: Elsässische Weihnacht, 1931 (2e éd. 1941).(10) Gérard Leser, op.cit., page 91, affirme que la plus ancienne mention d’un arbre de Noël se trouverait dans les archives de la Ville de Freiburg en Brisgau et daterait de l’année 1419. Après vérification cela s’avère inexact. Gérard Leser cite comme référence le livre de Kurt Mantel intitulé «Geschichte des Weihnachtsbaumes und ähnlicher Weihnachtlicher Formen» (Hannover, M. et H. Schaper, 2e édition, 1977) qui signale que la confrérie des compagnons et des garçons boulangers avait l’habitude de décorer un arbre de Noël à l’hôpital. Voici les deux passages en question auxquels fait référence Gérard Leser. A la page 11, Kurt Mandel écrit : «Die Verwendung von Weihnachtsbäume ist für die 1419 urkundlich nachgewiesene Bruderschaft der Bäckerknechte in Freiburg i. Br. festgestellt» et à la page 12, il dit : «Ein eingehender Nachweis für Schmuck des Wiehnachtsbaumes liegt für die 1419 urkundlich nachgewiesene Freiburger Bruderschaft der Bäckerknechte vor». En examinant ces deux phrases, il faut remarquer que la date de 1419 se rapporte uniquement à l’existence de la confrérie et non à l’arbre décoré, action qui aurait eu lieu que bien plus tard et à une date non connue. Pour affirmer cela, Kurt Mantel fait référence aux études de Heinrich Schreiber et de Friedrich Hefele. En effet, Heinrich Schreiber dans « Geschichte der Stadt Freiburg im Breisgau. Teil 4, Freiburg, 1858, p.277 signale l’existence d’une confrérie des garçons boulangers en 1465 (et non 1419), qui aurait décoré un sapin de Noël à l’hôpital mais sans indiquer à partir de quelle date ; il ne donne pas non plus sa source qui ne semble pas exister à Freiburg. Friedrich Hefele, qui fut directeur des archives de la Ville de Freiburg, dans son étude «Von alten Sitten und Bräuchen» parue dans Oberrheinische Heimat, 28 (1941), écrit à la page 320 : «Im vorigen Aufsatz konnten die “Weyhnachtsmeyen” in Freiburg schon für das Jahr 1554 nachgewiesen werden». Il ne reconnaît donc pas la date de 1419. Par ailleurs, Kurt Mantel, dans son livre sur l’histoire du sapin de Noël (op. cit.), à la page 8, affirme bien que la première mention en Alsace se trouve à Sélestat en 1521 et qu’à Freiburg la première mention est de l’année 1554. Sur ce sujet, j’ai contacté l’actuel archiviste de la Ville de Freiburg, Dr. Hans Schadek, qui m’a fourni une photocopie des passages des études citées précédemment. Dr. Hans Shadek me confirme que la date de 1419 ne concerne que l’existence d’une confrérie des compagnons des boulangers à Freiburg et n’a aucun rapport avec le sapin de Noël. Il m’a formellement confirmé qu’il n’existe pas de document sur le sapin de Noël à Freiburg pour la date de 1419 et non plus de mention plus ancienne que celle de Sélestat. En conclusion de ce débat, on peut noter que : Sélestat détient, à l’heure actuelle dans ses archives, la plus ancienne mention écrite de l’arbre de Noël. (Tous nos remerciements au Dr. Hans Schadek qui a bien voulu faire des recherches et vérifier les textes dans ses fonds d’archives). (11) A.M.Sélestat, CC 60 (1518-1521), p.239. (12) Voir note (4).(13) A.M.Sélestat, CC 60 (1546), p.45. (14) A.M.Sélestat, BB 6a, f° 20. (15) A.M.Sélestat, CC 60, p. 20.(16) Gérard Léser, op. cit., p.69s. ; Elsässische Monatsschrift, 1910, p.571 ; voir aussi la littérature citée à la note (6). (17) B.H.S. Ms 273,f° 47r°.; Joseph Gény, Schlettstadter Stadtrechte, 1902, p.701. (18) Balthasar Beck (Heroldingen (Bavière) 1580 – Sélestat 12.1.1641. En 1597, il arriva chez son oncle, Leonhart Hassenmeyer, qui tenait l’hôtel du Bouc à Sélestat, dont il devint le fils adoptif. De 1599 à 1600 il est engagé comme garçon d’hôtel chez Hans Eberhart à l’hôtel-restaurant «A la Fleur» à Ribeauvillé. De 1600 à 1609 il est «Schenkherr» (échanson ou maître d’hôtel) à la Herrenstube (hôtel de ville de Sélestat). Dans sa chronique il évoque tous les travaux et fêtes auxquels il a participé de par sa fonction. Le 12 juin 1609 il se marie au poële de la tribu des forgerons avec Ursule Reichardt. Le 5 novembre il acquiert le droit de bourgeoisie dans la tribu des tailleurs (Wothleuth) et devient «Unterkäufer» à la douane. Le 23 décembre 1609, il s’installe chez Christophe Goll, dont il devint régisseur en s’occupant de la comptabilité, tout en poursuivant sa fonction à la douane jusqu’en 1621. Le 28 juin 1621 le Magistrat de Sélestat, le nomme économe de l’hôpital, poste qu’il occupera jusqu’à sa mort en 1641. Balthasar Beck fut marié trois fois : avec Ursule Reichardt le 1.6.1609, qui décédera le 30.12.1622, avec Anne Frantz le 20.2.1623, qui décèdera le 3.12.1632 et avec Marguerite Buchberger le23.5.1633, qui décèdera le 10.1.1641. Il est surtout connu pour sa chronique de Sélestat, écrite en allemand, avec une partie autobiographique, une partie relatant les coutumes et les fêtes à l’hôtel de ville, une partie historique où il relate les événements survenus à Sélestat de 1600 à 1640… (Cf. Joseph Gény, Aus dem Schlettstadter Bürgerleben des XVIe Jahrhundert, in : Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheines, 1891, p.291-295 ; Joseph Gény, Schlettstadter Stadtrechte, op. cit., p.699-704, 1072 ; Voir aussi art. biographique du Dr Maurice Kubler dans le Nouveau Dictionnaire de Biographie Alsacienne, p.146 (19) Bech (ou Pech) pfanne = chaudière à poix, qui est une substance résineuse tirée des conifères. (Cf. Joseph Gény, Schlettstadter Stadtrechte, op.cit., p.541 et 701).

 


















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