Vocabulaire de Wallonie usité pour désigner les phénoménes karstiques

Par Francis Polrot

2- LES PHENOMENES KARSTIQUES

Les phénomènes karstiques les plus anciennement nommés - car les plus spectaculaires ou les plus intéressants pour l'homme- sont, les pertes, les émergences et les grottes.

2.1 LES PERTES

Les pertes étaient utiliséespour dévier les eaux en excès lors des crues et servaient d'évacuation aux eaux d'égouttage (encore aujourd'hui bien souvent malheureusement). Les pertes sont souvent impressionnantes, elles laissent perplexe le quidam quant à la destination finale des eaux enfouies.

Ce dernier siècle, l'expansion de la diffusion des connaissances et la multiplicité des contacts humains ont aidé au développement de certains termes, pendant que d'autres régressaient suivant qu'ils étaient ou non utilisés dans l es premières publications scientifiques et les guides touristiques.

Ainsi, par exemple, le terme " chantoir(e) " s'est répandu depuis le début du siècle (surtout depuis VMR 1910) au préjudice de termes comme " pous " ou " agolina " et leurs dérivés. Ce dernier, pourtant utilisé par les mineurs, s'est bien souvent vu confiné sous forme de toponyme, on parle alors de l'Agolina ou l'Agole comme d'un lieu dit , le phénomène karstique devenant secondaire. Autre exemple: à Desnié, où " chantoir " (au masculin s'il vous plaît) a quasiment remplacé " pous " depuis la publication " le Vallon des Chantoirs " (VMR) alors qu'auparavant les deux termes se côtoyaient (RENARD 1957).

Signalons à présent une constante dans l'évolution des termes wallons: Les nouvelles générations n'intègrent pas le sens des mots qui souvent se figent alors en toponymes et sont accompagnés d'un autre mot à la signification similaire mais compris , lui, de tous ; c'est ainsi que se forment les pléonasmes (tautologie). Exemples: " pous, ou avec tautologie, al tchantwêre dè pous' " (RENARD), les diverses " résurgences du Sourd d'Aiwe " etc....

Le tableau (1) reprend les différents termes wallons et leurs utilisations respectives dans les provinces wallonnes, j'y ai intégré les termes français pour comparaison.

Remarques : Dans leur glossaire, VMR, au mot " adugeoir ", envoient à " bétoire ", au mot " bétoire ", nous trouvons un renvoi à " adugeoir " sans autre explication ! " Bétoire " est en fait le mot régional normano-picard " s'appliquant aux cavités, aux entonnoirs où se perdent les eaux de pluies et des ruisseaux. Le mot dériverait du latin bibere, boire " (FENELON 1967), il est aussi usité en Normandie pour désigner un puits perdu artificiel (Jean Polrot, com. orale). Ce mot est de la même famille de mots que " béthune ", " bétune " et " bétue ". Le normano-picard est parlé à l'extrême Ouest de la Wallonie et VMR ont peut-être supposé que le terme y était usité, nous n'en avons jamais eu la confirmation. Le terme est en tout cas inconnu du dictionnaire de Wallon du Hainaut de Sigart (1866). Nous avons trouvé son emploi dans de rares textes belges, comme: " Deux jets successifs à la bétoire du trou du Diable..." ( GRAVET 1978).

2.2 LES EMERGENCES.

Les émergences (sources et fausses sources) fournissaient l'eau nécessaire aux besoins ménagers, alimentaires ou industriels (moulins).

Elles étaient, au même titre que les pertes, désignées sous vocables wallons locaux. Ces termes, usités par les natifs pour désigner ces phénomènes karstiques, peuvent paraître, dans le langage spéléo, discrets sinon inconnus. Pourtant, à côté des termes français " source " et " fontaine " (auxquels nous ajoutons les mots " résurgence ", " émergence "et " exurgence ", abondamment usités actuellement des spéléologues), quelques termes wallons sont distribués à travers la Wallonie . Leur usage est souvent local, ils ne sont en tout cas jamais entrés dans le vocabulaire strictement spéléologique même si on les retrouve dans les désignations même des phénomènes karstiques qui nous intéressent. Ils sont en fait, comme cela peut-être le cas pour les pertes, souvent figés sous forme de toponymes car leur sens premier étant oublié, nous les utilisons comme prénom et non plus comme nom de famille du phénomène.

Le plus courant de ces termes wallons est assurément " sourd " et ses dérivés (voir lexique), il s'adresse, en terrain calcaire à de bonnes émergences permanentes. Le terme " bola " (voir lexique) s'adresse plus particulièrement à une résurgence " bouillonnante ", c'est-à-dire chargée de bulles d'air. Plus simplement, la résurgence, si elle est puissante, sera un " ri " (ruisseau), si elle est banale, ce sera une " trûtchete ", un jet d'eau (CASTERMANS 1995), de " trûtch'ler " : couler et tomber de façon continue en parlant de l'eau (HAUST 1933). A ce sujet, j'ai trouvé une résurgence et une ...chantoire Truchette (AKWA 1993). Le terme est passé ici au niveau de toponyme, ce qui nous vaut un pléonasme et un non-sens.

Une émergence peut laisser l'eau sourdre goutte à goutte, on l'appelle alors " on gota " ou " ine gotale ", " in gote " , etc.. Ex : " Inzès gotes ". " Goté ", lui, est un petit étang alimenté par une faible source (CASTERMANS). En Gaume, une " goutèle " est une petite source jaillissant à flanc de coteau, ou un petit ravin au fond duquel coule une source (MASSONNET 1975); près d'Angers (France), le terme régional " agout " semble avoir une même origine (FENELON).

D'autres sources sont nommées " pouhôn ", terme wallon issu du latin " potio " : boisson (ancien français " poison " et " puison ") et " potiri " : boire (HAUST 1933), il s'agit alors de sources minérales. A notre connaissance, il n'y a pas de résurgence ou d'émergence karstique désignée sous ce vocable en Wallonie. Le mot français " fontaine " a été donné aux sources aménagées (HAUST), mais nous savons que de nombreuses sources karstiques s'appellent " fontaines ", par exemple, à Namur, une " fontînne " était désignée comme étant un courant d'eau souterrain qui se fait jour, soit au pied d'une montagne, soit dans une plaine, ou même au fond d'un puits (PIRSOUL 1902).

2.3 LES GROTTES.

Les grottes ont de tout temps servi d'abris et leurs couloirs obscurs ont envahi l'imaginaire collectif d'histoires merveilleuses ou tragiques peuplées de nutons et de sotès.Il existe peu de termes wallons pour désigner les cavités sèches, le mot " trô " ou " trooz " est le terme usuel pour désigner toute excavation. Quant au terme français " grotte ", il est en wallon un peu précieux, on trouve parfois " crotte " (voir lexique). Nous avons repris dans le tableau 4 les différents termes wallons et français qui désignent les cavités sêches et pénétrables par l'homme (chiffres Akwa 1993 à 1996).

Quelques cavités sont désignées par les mots " cave " (cave) ou " grègne " (grange), suivis du prénom. Grègne l'usage que l'on fait de la cavité, ainsi " li grègne d'à Papa Pire " à Comblain la Tour (bassin de l'Ourthe, prov. de Liège) est un abri sous roche qui servit de remise à un certain Pierre (DEFOSSE). Cave rappelle plutôt la forme de la grotte (voir lexique).

- Les Nutons et les Sotès (voir aussi dans le lexique).

Les grottes wallonnes, comme les autres cavités européennes, sont supposées avoir été habitées par de petits hommes. Ces nains vécurent dans de nombreuses cavités pour autant que celles-ci aient été suffisamment vastes pour servir ordinairement de refuge. Divers auteurs ont tenté d'expliquer l'origine de ces récits qui, comme toutes les légendes, doivent bien se baser sur une réalité si lointaine ou altérée qu'elle soit. Nous n'allons pas reprendre ici l'énumération des hypothèses développées à ce jour, je laisserais le lecteur se documenter d'après la bibliographie non exhaustive (DANTINNE 1960, DEBLOCK 1966, LAGARDE 19ème, LEVAUX 1889, ...).

Rappelons que de tout temps, les grottes ont été utilisées comme lieux de vie, ou de refuge. Le mode de vie particulier, hors normes et précaire, généré autant par les raisons du choix de cet habitat que par l'habitat lui-même, a développé dans l'imaginaire populaire des histoires qui allient le merveilleux au sordide.

Si, comme dans tous les pays de langue française, les habitants furent appelés nains, lutins ou fées, peu de cavités sont répertoriées sous ces dénominations. Nous avons trouvé le trou des Lutins à Dinant (prov. de Namur), la grotte des Nains à Malmédy (prov de Liège) et le trou aux Nains à Marche-en-Famenne (prov du Luxembourg). Par contre, les termes wallons sont plus usités, je veux parler de " nuton ", " sotè " et leurs variantes. Nous avons trouvé le terme " nuton " dans les provinces de Namur, Liège, Hainaut et même Brabant (DANTINNE) et le terme " sotè " dans la province de Liège uniquement. Ces mots sont souvent, dans le langage spéléo principalement, associés ou remplacés par de nouveaux termes qui définissent de façon plus précise le phénomène. Au lieu de dire le trô des Nutons, on dira plus facilement caverne du Bois de la Saute ou grotte de Revogne. C'est plus précis car ce sont des lieu-dits, mais cela fait un peu de folklore en moins. Ainsi, dans le lexique du tome 1 sur la Province de Liège de l'Atlas du Karst Wallon (AKWA) édité par la CWEPSS, nous trouvons 15 fois " nuton " ou " nutton " et 13 fois " sotè ", " sottais " " sotais " ou " sotteaux ", mais dans le listing intitulé liste des sites de l'AKWA et spécifié comme ne contenant pas les synonymes, nous ne retrouvons plus que 10 fois " nuton " et une seule fois " sotè " ! Les autres ont disparu, relégués au niveau de synonymes.

Plus rarement, nous trouvons aussi d'autres termes wallons: " Massotè ", " dûhon " . Le terme " sarrasin ", que l'on rencontre dans le Hainaut, n'est pas un caractère propre à la Wallonie car on le retrouve en France.

Il existe un terme wallon appliqué à des être féminins, c'est le mot " macralle " qui veut dire sorcière. Il y a le trou des Macralles à Ciney (prov. de Namur) et un autre à Soy (prov. de Luxembourg). Par contre, le mot français " fées ", plus positif, est donné 5 fois comme nom de cavité dans la province le Luxembourg et 3 fois dans celle du Hainaut sous l'influence de la France proche (DOEMEN 1968 et CWEPSS 1995).


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